Rapport d'information n° 348 (2018-2019) de Mme Annick BILLON et M. Michel MAGRAS , fait au nom de la délégation aux droits des femmes et de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, déposé le 21 février 2019

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N° 348

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 février 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) et de la délégation sénatoriale aux outre-mer (2) sur les actes du colloque « L'engagement des femmes outre-mer : un levier clé du dynamisme économique » du 20 février 2019,

Par Mme Annick BILLON et M. Michel MAGRAS,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Joëlle Garriaud-Maylam, Françoise Laborde, M. Marc Laménie, Mme Claudine Lepage, M. Claude Malhuret, Mmes Noëlle Rauscent, Laurence Rossignol, vice-présidents ; Mmes Maryvonne Blondin, Marta de Cidrac, Nassimah Dindar, secrétaires ; Mmes Anne-Marie Bertrand, Christine Bonfanti-Dossat, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Guillaume Chevrollier, Roland Courteau, Mmes Chantal Deseyne, Nicole Duranton, Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul, M. Loïc Hervé, Mmes Victoire Jasmin, Claudine Kauffmann, Valérie Létard, M. Martin Lévrier, Mme Viviane Malet, M. Franck Menonville, Mmes Michelle Meunier, Marie-Pierre Monier, Christine Prunaud, Frédérique Puissat, Dominique Vérien.

(2) Cette délégation est composée de : M. Michel Magras, président ; MM. Maurice Antiste, Stéphane Artano, Mme Esther Benbassa, MM. Pierre Frogier, Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Jean-François Longeot, Mme Vivette Lopez, MM. Victorin Lurel, Dominique Théophile, vice-présidents ; M. Jacques Genest, Mmes Victoire Jasmin, Viviane Malet, M. Gérard Poadja, secrétaires ; M. Guillaume Arnell, Mme Viviane Artigalas, MM. Jean Bizet, Patrick Chaize, Mme Catherine Conconne, MM. Mathieu Darnaud, Michel Dennemont, Mme Nassimah Dindar, M. Daniel Gremillet, Mme Jocelyne Guidez, M. Abdallah Hassani, Mme Gisèle Jourda, MM. Antoine Karam, Nuihau Laurey, Henri Leroy, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Mme Catherine Procaccia, MM. Michel Raison, Jean-François Rapin, Claude Raynal, Charles Revet, Gilbert Roger, Jean Sol, Mme Lana Tetuanui, M. Michel Vaspart.

OUVERTURE

Gérard LARCHER

Président du Sénat

Mesdames et Messieurs, mes chers collègues,

Je salue la présence dans cette salle de deux anciens ministres de l'outre-mer, que je retrouve avec beaucoup de plaisir, ainsi qu'Olivier Stirn. Je salue aussi la présidente de la Délégation aux droits des femmes, Annick Billon, le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, Michel Magras, ainsi que notre collègue vice-président du Sénat, Thani Mohamed Soilihi, et tous nos collègues sénatrices et sénateurs.

Je tiens à souligner auprès de nos compatriotes des outre-mer le bonheur que nous avons à les accueillir ici.

Le Sénat représente les territoires, les départements, les collectivités et les territoires d'outre-mer qui font partie de la conception de la République que nous défendons d'une façon particulière, ici au Sénat.

Je me rends compte que je ne me rends pas assez souvent dans les outre-mer. J'y retournerai, et pas uniquement en Martinique ! En Martinique, les Larcher sont des cousins, tant historiquement que réellement.

À quelques jours de la Journée internationale des droits des femmes, vous avez souhaité, mes chers collègues des deux délégations, mettre en lumière l'influence et le rôle des femmes ultramarines, notamment dans le développement économique de leur territoire. Cet après-midi est consacré à des témoignages et des échanges avec des femmes engagées. Engagées dans les organisations représentant le tissu entrepreneurial de nos outre-mer, engagées dans le secteur agricole, secteur essentiel des économies ultramarines. Nous réunissons aussi au Sénat cet après-midi des femmes audacieuses, notamment en matière d'innovation, des femmes passionnées, ambitieuses pour elles-mêmes, pour leur famille, leur territoire, que nos deux délégations ont choisi de mettre à l'honneur, lors de ce colloque.

Cette initiative commune à nos deux délégations est un peu une première. Nous avons l'habitude, avec ces deux délégations, des « premières ». Celle-ci revêt une importance particulière, si j'en juge par le nombre important d'intervenantes venues de tous nos départements et collectivités d'outre-mer, mais aussi de la métropole. En effet, nous avons presque manqué de place : il nous faudrait un premier rang immense pour vous accueillir, ce qui témoigne de votre intérêt pour cet événement.

Bienvenue à toutes au Palais du Luxembourg !

Cette belle initiative - je le dis à nos deux présidents - permet de nouer des partenariats avec des acteurs économiques locaux, de renforcer des liens de proximité avec le monde des entreprises, acteurs essentiels de la vie des territoires. Cette approche territoriale est d'autant plus pertinente au regard des spécificités qui caractérisent les économies ultramarines. En ces temps de difficultés sociales et sociétales que traverse notre pays, c'est des territoires que vient la solidité de la République. Ne l'oublions jamais ! Ici, au Sénat, notre responsabilité constitutionnelle doit s'exercer de manière particulière.

De plus, nous connaissons le rôle structurant de nos petites et moyennes entreprises, dont le maillage est vital pour nos territoires en termes de rayonnement, d'équilibre et de cohésion sociale. Il est vrai qu'ici nous avons un regard particulier sur la valorisation des potentiels locaux. La valorisation et la promotion de l'entrepreneuriat féminin doivent être envisagées tout particulièrement dans les territoires ultramarins en tant que leviers de développement, de croissance, d'innovation, mais aussi comme une source d'émancipation, même si depuis longtemps l'autorité dans la sphère familiale est essentiellement maternelle. Aussi, nous ne pouvons que regretter que nous soyons assez pauvres en études statistiques sur ce sujet. Cette rencontre, comme ce fut le cas des conférences économiques de bassin, organisées ces dernières années par notre délégation aux outre-mer, toujours de très haute tenue, toujours passionnantes, ne manquera pas de mettre en lumière les nombreuses initiatives innovantes qui voient le jour grâce à vous. Le rôle de laboratoire d'innovation de nos collectivités ultramarines et de ceux qui y vivent, face aux grands défis (mondialisation, changement climatique, vieillissement des populations) est en effet aujourd'hui unanimement reconnu.

Les entrepreneures de ces territoires doivent faire preuve de toujours plus de créativité et d'anticipation pour dessiner l'avenir de secteurs clés comme l'économie bleue, l'économie verte, l'énergie, le numérique ou encore le secteur médical. Nous reprenons actuellement dans l'hexagone certaines expériences qui se déroulent en outre-mer, dans le secteur médical notamment.

Enfin, nous ne pouvons que nous réjouir de votre initiative, qui donne une visibilité concrète aux travaux menés par nos délégations. Le nombre et la diversité de vos profils, la qualité des intervenantes, traduisent les évolutions qu'a connues au cours de ces dernières années l'entrepreneuriat. Ils montrent l'influence des femmes dans le monde économique et particulièrement en outre-mer. Les femmes, par leur dynamisme et leur détermination, sont devenues des actrices incontournables. Vous me permettrez de leur rendre hommage, car en plus des difficultés liées au monde du travail, elles sont soumises à d'autres contraintes, la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, mais aussi la nécessité d'une ardeur redoublée face au scepticisme de ceux qui considèrent encore trop souvent que l'entrepreneuriat serait d'abord une affaire masculine.

Je considère que l'entrepreneuriat féminin est une richesse pour notre économie et que les pouvoirs publics doivent tout mettre en oeuvre pour favoriser cette voie, dès le parcours éducatif, mais aussi en renforçant l'accompagnement des créatrices d'entreprise. Je me suis procuré les statistiques existantes en matière de financement. Le taux de rejet des crédits demandés par les femmes est presque deux fois plus élevé que ceux demandés par les hommes. Un tel chiffre ne saurait être uniquement conjoncturel : ce point m'apparaît comme un problème structurel, d'approche et de regard sur les projets, en fonction de celle ou de celui qui les porte. Cette étude n'est pas ancienne. Elle date de 2017. Elle a été réalisée par la Fondation Entreprendre et AXA.

Vous avez également souhaité, mes chers collègues, consacrer au cours de cet après-midi une séquence spécifique dédiée au rôle des femmes dans l'agriculture, dans le prolongement d'un travail approfondi accompli par notre délégation aux droits des femmes et du colloque sur les agricultrices, organisé en 2017. Je me réjouis de ce choix, car les femmes jouent un rôle essentiel dans le secteur agricole, pas simplement dans notre histoire. Il y eut des périodes de notre histoire où elles furent au coeur du secteur et de la survie. Elles représentent plus du quart des chefs d'exploitation et des co-exploitantes. Dans les jeunes générations, elles sont souvent plus diplômées que les hommes. C'est une réalité ! La part des diplômés « bac et plus » est plus importante chez les femmes que chez les hommes.

En outre, les études du ministère de l'Agriculture montrent qu'elles ont une appétence plus grande pour répondre aux nouvelles demandes de la société. Je pense au secteur bio, aux circuits courts, à la vente directe ou encore au développement de l'agrotourisme. Ce ne sont là que quelques exemples, car les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire sont particulièrement générateurs de nouveaux projets et porteurs d'innovation. Ainsi, à l'image de ce qui se passe dans la France hexagonale, elles sont souvent pionnières, contribuant à la modernisation du monde agricole et à la dynamisation du monde rural.

Nos deux délégations, en valorisant l'entrepreneuriat féminin, contribuent à donner envie à d'autres femmes d'oser se lancer et donc de réussir. Je vous souhaite de riches échanges, mais je me dis qu'il faut se pencher sur cette question du crédit, car nous savons bien que sans accès au crédit, il est extrêmement difficile de faire une réalité de son désir d'innovation et d'entreprendre. C'est un point que je retiens en tant que président du Sénat. Ce sujet mérite de ne pas simplement être traité le temps d'un colloque.

Je vous souhaite une excellente après-midi au Palais du Luxembourg.

[Applaudissements.]

Michel MAGRAS

Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Ministre, Madame la Ministre,

Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, chère Annick,

Mesdames et Messieurs les parlementaires et les élus,

Mesdames qui représentez les forces vives des territoires et qui avez accepté de franchir les océans pour être leur voix aujourd'hui, en portant haut leurs singularités qui font la richesse de nos îles,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Monsieur le Président du Sénat, j'ai été très sensible à votre propos, qui témoigne s'il en était besoin, car nous nous connaissons depuis onze ans, de la force de votre engagement et de la sincérité de vos propos quand il s'agit de parler des outre-mer. Cela me fait toujours plaisir de vous écouter.

J'ai également apprécié le fait que vous nous ayez, non pas tracé le chemin mais au moins ouvert la voie, sur des sujets qui nous donneront du travail, à moi-même et à mes successeurs, pour encore quelques années.

Je suis heureux et fier de notre manifestation d'aujourd'hui, organisée en synergie avec la Délégation aux droits des femmes du Sénat, et qui célèbre nos femmes d'outre-mer en soulignant l'importance de leur rôle dans la vie économique et entrepreneuriale de nos territoires.

Cet événement concrétise une action commune de deux instances du Sénat qui ont uni leurs savoir-faire et leur enthousiasme au service d'une double cause, celle des femmes et celle des outre-mer.

Chère Annick, nous partageons un même goût pour l'organisation d'événements qui donnent de la visibilité aux valeurs que nous défendons et la parole aux personnes qui les incarnent : je forme donc le voeu que le colloque de ce jour constitue la première étape d'un cheminement commun et je remercie le président du Sénat d'en être le témoin actif, par sa présence à nos côtés et ses encouragements chaleureux.

Notre initiative s'inscrit en amont de la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars et chacun sait ici que la femme est une figure centrale de la plupart de nos cultures d'outre-mer. Le matriarcat constitue un modèle répandu et parfois même une véritable institution dans nos traditions.

Les sociétés polynésiennes en sont une illustration où certaines îles, comme Maiao dans l'archipel de la Société, considéraient comme étrangère toute personne n'ayant aucune filiation maternelle avec une habitante vivante ou décédée de l'île. Les plus hautes fonctions politiques pouvaient leur échoir : je pense bien sûr à la Reine Pomaré et ses cinquante ans de règne, mais aussi aux îles Marquises où la polyandrie était de mise.

Si l'on met le cap sur l'océan Indien et plus spécifiquement sur Mayotte, alors que l'île a été soumise à des influences culturelles multiples et est aujourd'hui majoritairement musulmane, l'organisation sociale demeure fondée sur deux piliers : la matrilinéarité, d'une part, puisque la filiation se définit dans la lignée maternelle, et la matrifocalité, d'autre part, puisque la famille réside chez la mère qui détient le patrimoine et en assure la transmission héréditaire. L'époux est seulement un invité de passage.

Enfin, aux Antilles, le matriarcat est également traditionnellement prévalent, avec un système d'organisation familiale centré sur l'autorité maternelle au sein du foyer. C'est la femme « potomitan », terme qui désigne le poteau central du temple vaudou et qui est passé dans le langage courant dans toutes les Antilles.

Cependant, si la femme incarne et exerce souvent l'autorité dans la sphère domestique, dans la sphère privée, il n'en va pas de même pour ce qui concerne la sphère publique, dans laquelle elle n'apparaissait généralement, au mieux, qu'au second plan.

Mais les temps changent : les dynamiques économiques et sociales du monde moderne, et notamment le phénomène du développement de la monoparentalité, particulièrement prégnant outre-mer, font de facto supporter aux femmes un lourd fardeau dans l'ordre des responsabilités éducatives et de l'économie domestique. Ainsi en 2011, selon l'Ined, les familles monoparentales avec enfant de moins de 25 ans représentaient 25 % des familles de métropole avec à leur tête 85 % de mères. Cette proportion était portée au double, voire davantage, dans les départements tels que la Martinique (54 %), la Guadeloupe (51 %), la Guyane (46 %) et La Réunion (38 %).

Parallèlement, l'élévation du niveau d'éducation dont les femmes des outre-mer ont su bénéficier et les lois républicaines en faveur d'une réelle reconnaissance de leurs capacités et de leurs mérites les ont conduites à faire irruption dans les sphères décisionnelles.

Très investies dans l'univers associatif qui tisse un maillage social serré dans nos outre-mer, les femmes ont très naturellement étendu leur champ d'investigation vers les sphères politiques et économiques, dès que des ouvertures se sont présentées. Il n'y avait qu'un pas de l'économie domestique à l'économie entrepreneuriale et elles l'ont vaillamment franchi ! Si elles souffrent d'un taux de chômage généralement de deux à trois points supérieurs à ceux des hommes, contrairement à la situation qui prévaut dans l'hexagone, leur situation en termes d'égalité salariale est globalement plus enviable, avec des écarts en moyenne inférieurs. Rappelons que dans presque tous les territoires, la part des diplômés de niveau Bac et plus est plus importante chez les femmes que chez les hommes et que celles-ci sont globalement bien plus qualifiées.

Telles sont les tendances qui se dégagent des rares études et documents statistiques disponibles - vous en avez fait état, Monsieur le Président - car, comme sur bien d'autres sujets, les données sont insuffisantes et par trop lacunaires. C'est aussi pour cette raison que nous avons voulu organiser le présent colloque et donner la parole aux femmes investies dans la vie économique de nos outre-mer.

Mesdames - et je m'adresse plus particulièrement à nos quelque vingt-cinq intervenantes de cet après-midi - le recueil de vos témoignages sera publié et constituera un document inédit, visitant l'ensemble des territoires sur un sujet qui a jusqu'à présent suscité peu de travaux de recherche. Ainsi aurez-vous contribué à la visibilité de vos territoires, mais aussi à produire une précieuse information qui aujourd'hui fait cruellement défaut.

Les talents qui vont s'exprimer au cours des trois tables rondes, en provenance de tous les océans, seront en effet autant de témoignages de la vitalité de nos territoires et d'illustrations des tempéraments féminins comme tremplins de la réussite.

Avant de vous céder la parole, ma collègue et complice Annick Billon va à son tour vous souhaiter la bienvenue.

[Applaudissements]

Annick BILLON

Présidente de la Délégation aux droits des femmes

Monsieur le Président du Sénat, cher Gérard Larcher,

Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Michel Magras,

Chers collègues sénateurs et sénatrices,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames, Messieurs,

C'est pour moi et pour tous mes collègues de la Délégation aux droits des femmes du Sénat un plaisir particulier de nous trouver parmi vous cet après-midi, pour ce colloque qui met à l'honneur la contribution décisive des femmes au dynamisme économique des outre-mer.

Mes remerciements s'adressent tout d'abord et très naturellement à mon collègue Michel Magras, qui a spontanément accepté de prendre l'initiative de cette belle journée, commune à nos deux délégations. Nous l'avons expérimenté il y a quelques mois en nous réunissant ensemble pour la première fois : le croisement de nos champs de compétences respectifs, femmes et outre-mer, est très riche et prometteur. Je peux dire que cette première réunion avait été tellement réussie et chaleureuse que nous avons été obligés d'en programmer une seconde !

Grâce à ce colloque, nous sommes à nouveau réunis et c'est une grande joie.

Mes remerciements s'adressent également, bien sûr, à notre président, Gérard Larcher, qui malgré un agenda très contraint est toujours à nos côtés pour encourager par sa présence nos initiatives et nos manifestations. Un grand merci, Monsieur le président, pour votre présence.

Comme l'a dit Michel Magras, ce colloque est organisé à l'occasion du 8 mars - nous sommes en février, mais nous serons le 8 mars aujourd'hui - une date essentielle pour notre délégation. Je suis vraiment ravie que cette année, notre manifestation du 8 mars soit dédiée aux outre-mer.

Je voudrais donc saluer tout particulièrement nos vingt-cinq intervenantes qui nous ont fait l'amitié de venir de si loin, en cette occasion importante pour nous. Je tiens aussi à souligner ce que représentent les déplacements qu'accomplissent chaque mois les sénateurs des territoires ultramarins, à qui un trajet vers Paris ne prend pas seulement quelques heures, pour venir siéger au Sénat.

Mesdames, par-delà la diversité de vos parcours et de vos engagements, notamment associatifs, vous confirmez aujourd'hui qu'aucun secteur d'activité n'est fermé aux femmes, même des domaines qui ont longtemps semblé réservés aux hommes, comme le BTP, les sciences ou la viticulture. J'ai ainsi rencontré tout à l'heure une entrepreneuse qui cultive et vend le champagne Marie Césaire. Elle prendra la parole un peu plus tard. Merci, Madame, pour avoir déjà échangé avec moi sur le sujet des femmes dans la viticulture. Vous êtes également, chères intervenantes, les preuves vivantes que les femmes ne doivent en aucun cas se freiner ni, chères intervenantes, s'interdire aucune ambition.

Pour autant, des obstacles demeurent et le parcours de certaines peut encore être jalonné d'obstacles, qu'il s'agisse de la conciliation, toujours complexe, de la maternité et des responsabilités professionnelles, ou des défis associés au leadership féminin, parfois questionné. Vous l'avez souligné, Monsieur le Président, cher Gérard.

Néanmoins, vous montrez, Mesdames, que lorsque les femmes s'engagent, dans l'économie comme ailleurs, elles apportent toujours des qualités de dynamisme, de créativité et d'innovation. Mais elles sont aussi et surtout porteuses de valeurs, qu'il s'agisse du respect de l'environnement, de l'économie sociale et solidaire ou du tissu associatif local, créateur de lien social, qui en métropole comme dans les outre-mer doit tant aux femmes.

Ce point devait être souligné : la vie professionnelle des femmes, leur engagement citoyen et leurs responsabilités familiales forment souvent un tout : ils se complètent et s'enrichissent mutuellement.

Un mot, avant de finir, pour évoquer un anniversaire, que le président Gérard Larcher a évoqué : il y a deux ans, presque jour pour jour, le 22 février 2017, notre délégation aux droits des femmes organisait au Sénat une rencontre avec des agricultrices, à quelques jours du Salon de l'agriculture de Paris - comme aujourd'hui d'ailleurs.

Notre objectif était de mettre à l'honneur des femmes qui, trop longtemps, sont restées invisibles au sein d'une profession où elles ont toujours, pourtant, été très présentes. Nous souhaitions évoquer leur contribution au dynamisme de ce métier et essayer de prendre la mesure des inégalités qui persistent à leurs dépens, ne serait-ce qu'en matière de retraite.

Ce colloque, malgré sa réussite, avait un gros défaut : il ne comptait aucune intervenante des territoires d'outre-mer.

Le président l'a souligné : le parcours des femmes qui travaillent dans l'agriculture est souvent jalonné d'obstacles, pour les crédits aux entreprises, mais aussi pour l'accès au foncier. Il manque donc aussi à notre domaine d'activité des statistiques genrées. À ce titre, nous avons bien reçu, Michel et moi-même, la « feuille de route » de Monsieur le Président.

Fort heureusement, la lacune qui caractérisait notre colloque de 2017 sur les agricultrices est réparée aujourd'hui puisqu'une séquence sera dédiée au rôle des femmes dans l'agriculture des outre-mer. Cette table ronde fera vraisemblablement écho à nos travaux d'il y a deux ans. Je suis impatiente, Mesdames, d'entendre vos témoignages, qui confirmeront, sans aucun doute, que dans les outre-mer comme en métropole, les femmes prennent toute leur part à un secteur économique primordial pour notre économie et notre société.

Pour finir, je voudrais insister sur les mots clés qui caractérisent à mon avis l'engagement des femmes, que ce soit en politique, dans le milieu associatif ou dans la vie professionnelle : passion, défi, courage et surtout audace ! Nos intervenantes nous le montreront tout au long de l'après-midi.

Mesdames, Messieurs, chers amis, je vous souhaite un très bon 8 mars en ce 22 février, au Sénat, et je remercie nos collègues hommes d'être présents avec nous, en cette journée symbolique, car les combats pour les droits des femmes, nous en sommes convaincus à la délégation, ne sauraient se gagner sans les hommes.

Mais il est temps d'entrer dans le vif du sujet : je laisse sans plus tarder la parole à notre collègue Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte et vice-président du Sénat, qui va introduire la première table ronde.

[Applaudissements]

PREMIÈRE TABLE RONDE

LE TISSU ENTREPRENEURIAL : LES ENJEUX D'UNE GOUVERNANCE FÉMINISÉE

PROPOS INTRODUCTIF


Thani MOHAMED SOILIHI

Vice-président du Sénat et sénateur de Mayotte

Monsieur le Président du Sénat, votre présence ici témoigne du fort attachement que vous avez à l'égard des outre-mer. Pour nous, vos collègues, la démonstration n'est plus à faire, mais je tenais à le souligner devant cette assistance. Merci pour votre présence.

Madame et Messieurs les ministres,

Madame la présidente de la Délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon,

Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Michel,

Mesdames et Messieurs les parlementaires et élus,

Mesdames, vous qui venez révéler les talents de nos territoires,

Chers amis,

Il me revient aujourd'hui d'introduire la première de nos trois tables rondes et j'en suis sincèrement honoré.

Comme l'a évoqué le président Magras dans son propos liminaire, les femmes sont au centre de l'organisation sociale de Mayotte et leur rôle a été déterminant pour son ancrage dans la République française. Sur le mode de l'audace, de l'astuce pour contourner les interdictions et les dérives de la violence, les « Chatouilleuses » ont été de redoutables combattantes qui ont su, dans un registre pour le moins original, endiguer la spoliation foncière et politique et préserver le destin de leur île. Je présume que vous connaissez toutes et tous cet extraordinaire épisode de l'histoire de Mayotte, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, qui a illustré l'ingéniosité des femmes mahoraises parvenues, par de simples chatouilles, à rejeter à la mer les gouvernants comoriens indésirables et à retenir sur l'île les notables mahorais !

Mais l'inventivité, le pragmatisme, l'audace, la passion et le courage ne sont pas l'apanage des seules femmes mahoraises - même si nous venons de voir que ces qualités culminent chez elles, et en toute objectivité bien sûr ! Ce sont des qualités bien partagées par les femmes de nos outre-mer, et ma collègue Annick Billon, présidente de la Délégation aux droits des femmes qui a déjà une belle expérience de nos territoires, l'a parfaitement souligné dans son propos d'ouverture.

À l'occasion des nombreux colloques organisés par notre Délégation sénatoriale aux outre-mer, nous avons maintes fois eu l'occasion de mettre en avant ces talents féminins, et singulièrement ceux qui s'épanouissent dans la sphère économique, au gré des conférences organisées pour les trois bassins océaniques de 2015 à 2017 ou lors de nos colloques sur le tourisme notamment. J'ai souvenir de fortes personnalités et de profils impressionnants. Je n'en citerai que trois, une par océan, avec :

- Carol Ostoréro, alors présidente de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane ;

- Josiane Kaémo, gérante d'une société de tourisme de croisière à Lifou et qui nous a, ici même, initiés au rituel de la coutume kanake ;

- ou encore Danièle Le Normand, fondatrice du musée La saga du rhum à La Réunion, musée adossé à la maison Isautier, qui nous a malheureusement quittés prématurément et dont je salue ici la mémoire.

Mais la journée d'aujourd'hui concentre les talents féminins du monde de l'entreprise et nous sommes très heureux que vous ayez répondu si nombreuses à notre sollicitation.

Notre première table ronde va montrer que, non contentes de s'illustrer par leurs performances dans de très nombreux secteurs, y compris là où on ne les attend pas nécessairement, les femmes dirigeantes d'entreprises des outre-mer prennent des responsabilités politiques dans les organes de représentation du tissu entrepreneurial.

Leur pragmatisme et leur forte implication dans le domaine associatif leur ont fait prendre conscience de l'importance de développer l'économie sociale et solidaire, dont le maillage territorial est un vecteur crucial de cohésion et qui constitue en quelque sorte une pouponnière d'entreprises de nos territoires. Djémilah Hassani et Pascaline Ponama, toutes deux fortement impliquées à Mayotte et à La Réunion, feront un focus à ce sujet sur la base de leur expérience personnelle.

Puis, les têtes pensantes et stratèges, dirigeantes de nos chambres consulaires et de nos CPME, issues des deux autres océans, nous expliqueront, là aussi à partir de leur vécu, quelle place les femmes cheffes d'entreprises occupent dans leurs territoires respectifs, comment elles réussissent et quels parcours d'obstacles elles doivent emprunter. Je dois d'ailleurs souligner que le panel réuni sur la première table ronde n'épuise pas les ressources féminines de la représentation patronale et consulaire ultramarine : la CPME Nouvelle-Calédonie est en effet également présidée par une femme, Chérifa Linossier, qui préside aussi la Représentation patronale du Pacifique sud englobant la Polynésie française ; de même le Medef Mayotte avec Carla Baltus. Je n'oublie pas Nadine Hafidou, que j'ai vue dans la salle, première présidente des CCI d'outre-mer mahoraises.

Nos outre-mer sont donc riches de leurs femmes dirigeantes d'entreprises, engagées au premier plan des instances économiques représentatives, pour le plus grand bénéfice de la gouvernance entrepreneuriale de nos territoires. C'est à elles que revient maintenant la parole sous la douce férule de Francette Florimond, éditrice de presse et économiste distinguée, qui dirige depuis désormais vingt ans InterEntreprises , magazine économique qui couvre l'actualité des trois territoires de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane.

Avant de lui passer la parole, permettez-moi de rendre hommage à une femme qui a porté hauts nos outre-mer, même si elle n'en est pas originaire. Je veux parler d'Agnès Moulin, responsable du secrétariat de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, qui va malheureusement quitter notre délégation pour d'autres horizons, car elle a été promue par le président et le Bureau du Sénat, et c'est tout à fait mérité.

[Applaudissements]

Madame Florimond, nous vous remercions d'avoir accepté d'orchestrer notre après-midi. Je vous passe la parole.

Francette FLORIMOND

Directrice des Éditions InterEntreprises , modératrice

Bonjour à tous. Je suis effectivement la créatrice du magazine que vous avez reçu, InterEntreprises , que j'ai lancé il y a vingt ans. Mes trois territoires d'activité sont la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. J'ai le plaisir d'avoir témoigné pendant la conférence économique des bassins, en tant que Présidente des Conseillers du commerce extérieur, à cette place même. Je me sens donc un peu chez moi !

La première table ronde concerne les enjeux de la gouvernance féminisée. Nous ferons l'économie du protocole, car chaque intervenante ne dispose que de cinq minutes et parce que ce qu'elles ont à dire est plus important que remercier encore une fois les uns et les autres. Je vais donc formuler ce commentaire pour chacune d'elles : merci encore de nous recevoir, car nous avons, nous les femmes, non seulement beaucoup à dire mais aussi beaucoup à montrer, ainsi que des routes à tracer. Comme vous allez le voir, ces routes sont fort belles.

La première table ronde va se scinder en deux parties. La première portera sur la gouvernance des chambres consulaires, puis la seconde aura trait à l'économie sociale et solidaire. Là aussi, des exemples de créativité forts intéressants émanant des outre-mer seront évoqués.

[Applaudissements]

Je propose de laisser tout de suite la parole à Jennifer Seagoe, qui va évoquer l'entrepreneuriat en Nouvelle-Calédonie.

Jennifer SEAGOE

Présidente de la Chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie

« L'entrepreneuriat féminin en Nouvelle-Calédonie »

Je remercie infiniment le Sénat pour l'organisation d'un colloque sur cette thématique. Cela n'aurait pas été imaginable il y a trente ans.

[Un document en projeté]

Le président Larcher a indiqué que nous étions pauvres en statistiques. Je suis d'accord. C'est pour cette raison que j'ai décidé de vous montrer les photos des treize femmes élues des trois Chambres consulaires de Nouvelle-Calédonie.

Ces photos ont été placées sur les grilles de la mairie de Nouméa, le 8 mars, pour célébrer la Journée de la femme. Elles sont restées sur place pendant quinze jours. Ces femmes représentent les principaux secteurs d'activité de Nouvelle-Calédonie.

Je tiens à commencer par un constat qui est valable en Nouvelle-Calédonie mais aussi ailleurs. Les femmes sont moins présentes que les hommes dans la gouvernance des entreprises, alors que les rares statistiques que nous détenons montrent qu'elles font preuve, en Nouvelle-Calédonie, d'une meilleure réussite scolaire et qu'elles sont davantage diplômées que les hommes.

Un changement de mentalité s'est pourtant opéré dans la société calédonienne, qui reste réputée assez machiste, en tant que terre de pionniers. Ce changement permet aujourd'hui aux femmes de davantage s'épanouir dans leur vie professionnelle et d'accéder plus facilement à des postes à responsabilité. Ce changement s'opère aussi dans la communauté mélanésienne, où des initiatives publiques aident les femmes à s'émanciper, ce que chacune d'elles appelle de ses voeux.

En 2015, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, à travers son secteur de la condition féminine, a par exemple initié le programme Cent Femmes Leaders , qui vise à renforcer la capacité des femmes au leadership.

Le programme Cadres Avenir constitue un autre indice du progrès. Ce programme de formation de cadres supérieurs est destiné au rééquilibrage économique et social de la Nouvelle-Calédonie.

La féminisation est en cours. Alors que le taux de femmes présentes dans ce programme n'était que de 20 % en 1989, il est passé à 51 % en 2015.

Les jeunes femmes expriment en outre de plus en plus de confiance en elles et s'engagent de façon volontaire dans la création d'entreprises. Ainsi, en 2017, le parcours CréaJeunes de l'association de microcrédit ADIE-NC comptait 100 % de jeunes femmes. Enfin, à la fin de l'année 2018, la toute première entreprise créée au sein du Parcours Entreprendre de l'école de gestion et de commerce de la CCI était portée par une jeune femme de 22 ans.

Quand elles occupent des postes de responsabilité en entreprise, les femmes sont en général plus à l'écoute, à la recherche de médiation et de consensus. Ce n'est pas un jugement subjectif mais un constat, qui est le fruit de ma longue expérience professionnelle.

En tant que première femme élue à la tête de la CCI de Nouvelle-Calédonie, en décembre 2014, je pratique moi-même ce mode de gouvernance, qui a conduit au rapprochement des trois chambres, qui étaient très séparées dans le passé. Nous avons lancé des initiatives communes et fédératrices, grâce à de nombreuses femmes qui, ensemble, veulent faire avancer les choses.

Les femmes qui ont su s'imposer à la tête d'entreprises, dans des secteurs traditionnellement masculins comme le BTP ou le traitement des déchets, sont respectées pour le travail accompli, leur rigueur ou leur engagement.

Avant d'être acceptée, une femme doit faire ses preuves, pas seulement en Nouvelle-Calédonie. Toute femme est alors amenée à redoubler d'efforts. Elles ont, de plus, la nécessité de créer un réseau d'échange et d'information. C'est un point très important. Toute femme qui se lance dans une activité professionnelle se rend compte très rapidement que les hommes sont organisés en réseaux et en clubs, dans lesquels les femmes ont du mal à entrer. Il leur faut non seulement participer à des groupes mixtes, mais aussi créer leurs propres réseaux, pour échanger des informations. En effet, il est difficile de faire son chemin dans l'entrepreneuriat de façon isolée.

En mars 2017, la première Semaine de l'entrepreneuriat au féminin a été organisée à Nouméa par le vice-rectorat, à travers le Comité 3E (Éducation, Égalité et École), à l'attention des lycéens et des étudiants. Il visait à montrer la diversité et la richesse de l'entrepreneuriat au féminin, estomper les stéréotypes, changer les représentations et encourager l'initiative et l'esprit d'entreprise. À l'issue de cette semaine de témoignages et d'échanges avec des femmes cheffes d'entreprises, Hélène Iekawé, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en charge de l'enseignement, a lancé aux jeunes réunis, en majorité des filles : « Osez dépasser le récif calédonien. Prenez des risques, les filles ! Prenez la place des hommes à la tête des entreprises ». Les jeunes filles qui étaient présentes étaient ravies et ont été très motivées pour appliquer cette recommandation.

Peut-être nous trouvons-nous à un moment charnière, où il ne suffit plus que la gouvernance du monde économique reflète l'évolution de la place des femmes dans la société. Peut-être faut-il que le monde économique prenne les devants et se montre exemplaire pour faire évoluer plus vite la société. En Nouvelle-Calédonie, à la CCI en particulier, nous parlons de l'esprit pionnier que j'ai évoqué précédemment. Pour rendre compte du goût du risque et de l'esprit d'initiative très spécifique qui ont modelé cette terre d'entrepreneurs, appliquer cet esprit pionnier à la féminisation de nos entreprises serait un beau challenge. Ce mouvement est déjà en marche en Nouvelle-Calédonie, comme le montrent les photographies qui sont diffusées.

A la CCI, nous comptons 70 % d'employés féminins. Nous comptons en outre plus de femmes que d'hommes dans l'encadrement. Ce n'était pas une volonté spécifique ou une recherche de parité, malgré les obligations en la matière. Ce n'est que le reflet de sélection des compétences et des capacités d'adaptation des femmes aux postes disponibles.

Aujourd'hui, les Calédoniennes sont de plus en plus présentes dans le tissu entrepreneurial, grâce à leurs convictions fortes. Elles continueront sur cette voie.

Une petite anecdote pour conclure : nous savons qu'il demeure une différence de salaire entre les hommes et les femmes à travers le monde, comprise entre 17 % et 23 %. À Melbourne, en Australie, un café pratique des tarifs majorés de 18 % pour les hommes !

[Applaudissements]

Lauriane VERGÉ

Présidente de la Chambre de commerce, d'Industrie et des Métiers de l'Artisanat

(Wallis-et-Futuna)


« Le rôle des femmes dans la société et l'économie de Wallis-et-Futuna »

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,

Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

Je tenais tout d'abord à vous présenter mes plus respectueuses salutations et à vous exprimer la gratitude et l'honneur que vous faites à notre territoire, le plus éloigné de Paris, de permettre aux hommes et aujourd'hui plus particulièrement aux femmes wallisiennes et futuniennes d'être présentes dans cette grande institution.

[Un powerpoint est projeté pendant cette intervention]

Le territoire de Wallis-et-Futuna est formé de deux îles distantes de 230 kilomètres et comprend une zone économique exclusive de 266 100 kilomètres carrés. Cette collectivité française d'outre-mer est éloignée de 16 000 kilomètres de Paris et située au coeur du Pacifique, entre Fidji, Samoa et Tonga. Trois langues sont parlées : le français sur les deux îles, le wallisien et le futunien. Sa population, de 12 067 habitants en 2018 fait ressortir une forte diminution depuis ces dix dernières années. À titre d'exemple, la communauté wallisienne et futunienne en Nouvelle-Calédonie est plus nombreuse que celle qui vit sur les deux îles natales. L'organisation de cette collectivité est particulière, puisqu'elle comporte aujourd'hui, au sein de la République, les trois rois et leurs chefferies. Un administrateur supérieur, accompagné d'une assemblée territoriale, régissent l'activité politique et institutionnelle du territoire. Un conseil territorial regroupant les trois rois forme le troisième pilier institutionnel de ces deux îles. La religion catholique étant très forte dans nos îles, la femme wallisienne et futunienne est une femme catholique polynésienne.

Par son histoire, Wallis-et-Futuna n'a jamais été colonisé et a choisi en 1959, par un vote républicain, son rattachement à la France. Le statut de 1961, toujours en vigueur sur nos îles, est le cadre juridique du fonctionnement du territoire entre ces deux entités républicaines et ses monarques.

En termes économiques, il s'agit d'une économie traditionnelle et faiblement monétarisée, avec 2 065 emplois locaux et environ 400 fonctionnaires d'État. Deux tiers des emplois à Wallis-et-Futuna sont des emplois publics. À ce jour, nous comptons seulement 629 patentés, dont deux tiers sont à Wallis et seulement un tiers sont des femmes.

Les principales activités sont l'agriculture, l'élevage et la pêche, qui restent principalement vivriers. Le régime foncier de Wallis-et-Futuna est coutumier et est basé sur l'indivision de la terre. Dans ce contexte, l'Assemblée territoriale a adopté une stratégie de développement durable, qui priorise cinq secteurs économiques clés : le tourisme, le secteur primaire, l'économie numérique, l'économie bleue et l'innovation.

Sur la place de la femme à Wallis-et-Futuna, il faut préciser les éléments suivants : l'existence d'une Délégation aux droits des femmes, d'une Commission interne à l'Assemblée territoriale de la condition féminine et de l'artisanat, et d'un Conseil territorial des femmes. L'artisanat est un vecteur social traditionnel et identitaire de la femme wallisienne et futunienne, qui lui permet de s'émanciper socialement et économiquement.

Le programme « 40 cadres » a formé 31 femmes sur 66 candidats depuis 2003. Néanmoins, les femmes titulaires de Bac + 4 ont des postes moins valorisés que les hommes, à diplôme équivalent. Trois femmes sont à la tête d'un des vingt-quatre services de l'administration. Six femmes sont élues sur les vingt conseillers du territoire. Aucune femme n'a jamais été députée, sénatrice ou conseillère économique et sociale.

La chefferie et la coutume donnent une place institutionnelle plus importante aux hommes qu'aux femmes. Aujourd'hui, à travers la CCMA, la Chambre consulaire que je représente, notre objectif est d'intégrer les femmes les plus jeunes dans les formations spécifiques, afin de promouvoir la femme entrepreneure dans nos deux îles. Je vous remercie pour votre attention.

[Applaudissements]

Yvette TEMAURI

Présidente de la Chambre de l'agriculture et de la pêche lagonaire

(Polynésie française)


« Les femmes polynésiennes, source de modernisation du secteur primaire »

Bonjour à toutes et à tous. Je vous salue, au nom du Président de la Polynésie française, son gouvernement et toute la population.

J'aimerais vous parler de notre Polynésie et de ses femmes, modèles de réussite qui ont réussi à percer dans le monde du secteur primaire. La Polynésie française est une collectivité d'outre-mer de la République, composée de cinq archipels regroupant 118 îles, dont 76 sont habitées : l'archipel de la Société, avec les îles du Vent et les îles Sous-le-Vent, l'archipel des Tuamotu, l'archipel des Gambier, l'archipel des îles Australes et les Marquises. Elle est située dans le Sud de l'océan Pacifique, à environ 6 000 kilomètres à l'Est de l'Australie et 21 000 kilomètres de Paris. Elle inclut aussi les vastes espaces maritimes adjacents.

D'après les chiffres de l'Institut statistique de la Polynésie française de 2008 sur la démographie locale, la population totale est de 268 207 personnes et les femmes sont au nombre de 130 111, soit 48 % de la population totale. Les salariés en Polynésie française sont au nombre de 65 121, dont 29 363 femmes, soit 45 % des salariés. Les femmes composent quasiment la moitié de la population et occupent la même place concernant le secteur économique. Depuis 1995, le secteur primaire est passé de 1 000 à 1 828 personnes en 2018, soit une progression de 82 % du nombre de personnes dans ce secteur. En 2018, nous comptions 40 % de femmes dans ce secteur pourtant souvent réputé masculin.

Plusieurs femmes sont représentatives de réussites.

Nathalie Convert a créé sa société, la Compagnie agricole polynésienne. Cette société fait le relais entre agriculteurs, professionnels et consommateurs. Elle concentre son énergie au rachat et à la vente de fruits, légumes et tubercules en vrac, mais elle contribue aussi à la fin du gaspillage alimentaire en transformant les aliments qui ne répondent pas aux normes de calibrage des grandes surfaces. Ces « indésirables » serviront à la Compagnie, pour confectionner des produits d'une qualité nutritive exceptionnelle : fruits séchés, en paillettes ou en concentré, farine sans gluten, à base d'uru, de mape ou de patate douce, tubercules précuits et transformés en frites rissolées ( hash brown ), des produits sans ajout d'aucune sorte et d'une diversité incroyable, pour se réapproprier le goût des aliments et se nourrir sainement.

Juliet Lamy, la fromagère de Tahiti, qui interviendra tout à l'heure, est une chef d'entreprise qui, malgré toutes les difficultés auxquelles elle fait face, continue son développement avec succès.

Keya Tina, qui est présente aujourd'hui dans la salle, représente l'agriculture biologique. Elle est également Présidente de l'association Bio Fetia, qui certifie les cultures biologiques de Polynésie française.

J'en aurais pour toute une journée à citer toutes ces femmes dynamiques qui ont modernisé notre secteur primaire, mais il y a aussi des freins au développement des femmes du secteur primaire.

Si aujourd'hui ces femmes ont réussi, ce n'est pas sans efforts. Nous pouvons reprendre l'expression de « plafond de verre », car malgré toutes les avancées politiques et économiques, la gentrification est toujours d'actualité. L'émancipation de la femme se fait tardivement. Elle se doit avant tout de se consacrer à sa famille, avant de pouvoir prendre ses propres décisions. L'environnement est souvent la plus grande source de démotivation : remise en cause de son statut lors de la création d'un projet, un travail considéré comme masculin, la famille selon le nombre de personnes composant le foyer qui influe sur le temps disponible à la réalisation de son projet, ou un conjoint un peu trop possessif. Il faut aussi considérer les problèmes liés aux îles, cet éloignement qui amplifie les difficultés, notamment les exploitations dans les îles, où les femmes se doivent de rester en centre-ville, pour l'éducation des enfants, et ne peuvent travailler dans les champs. Le manque de qualification ou de formation est un frein important. Une assistance financière sur de gros projets est un réel besoin et, parfois, cette assistance ne peut être attribuée. Le manque de terres accessibles pour son exploitation peut lui aussi être un frein, tout comme le manque d'accompagnement technique.

Heureusement, il y a aussi des moteurs. La Polynésie française encourage le développement de chaque projet, aux plans financier, domanial et technique : assistance à la création de projets, formation sur le secteur primaire, mise à disposition d'aides financières, mise à disposition de foncier, suivi des services du pays.

Il y a une véritable politique de motivation et d'accompagnement, tout au long de l'année. La Chambre joue également son rôle, ainsi que la Direction de l'Agriculture et le ministère de l'Économie verte, qui sont des acteurs actifs de leur développement.

En conclusion, malgré des difficultés présentes, les femmes en Polynésie sont valorisées dans le secteur primaire. Elles ont une place importante et reconnue, de la population et du pays. La politique et le secteur primaire ont un lien fort. En Polynésie française, le pays a compris depuis bien longtemps l'intérêt de ce secteur et y investit chaque année des moyens considérables. Je vous remercie.

[Applaudissements]

Angèle DORMOY

Présidente de la Chambre consulaire interprofessionnelle

(Saint-Martin)


« Les femmes dans la vie entrepreneuriale de Saint-Martin :
un enjeu pour la reconstruction »

Henriette, Messeva ou Miss Éva, Miss Édith, Tatie Berthe, ce sont les femmes de mon territoire qui, à travers moi, vous disent bonjour. C'est en leur nom et avec fierté que je me présente à vous, ici, au Palais du Luxembourg, pour parler de l'entrepreneuriat au féminin, sur mon île en convalescence.

Je ne vous ferai pas l'injure de vous présenter Saint-Martin, puisque le cyclone Irma et les nombreux reportages qui en ont découlé ont fait beaucoup parler de nous, bien souvent négativement. Pour la petite histoire, le nom arawak de Saint-Martin est Walichi , ce qui veut dire Terre des Femmes . C'est un nom prédestiné ! Nous toutes, chez nous, avons baigné dans un environnement féminin et matriarcal très fortement ancré dans notre histoire et dans nos gènes. Pendant des siècles, les femmes ont été considérées comme des travailleuses à Saint-Martin. Elles attachaient la canne, picking salt and picking rocks . À Saint-Martin, nous sommes bilingues. Vous entendrez donc quelques mots en anglais dans mon exposé.

Aujourd'hui, l'île compte 7 726 entreprises immatriculées, avec près de 40 % créés ou gérées par des femmes, un peu plus que la moyenne nationale. Pour nous, c'est normal. Nous avons constaté un accroissement de l'entrepreneuriat au féminin après le passage du cyclone Irma. Curieux, me direz-vous, lorsqu'on sait que plus de 8 000 personnes ont quitté le territoire. Mais ce cyclone, dévastateur pour notre île, a tout de même fait surgir un sentiment de survie et de protection maternelle de notre industrie et de notre économie, ce qui est très féminin. Ma mère me répète souvent un proverbe créole qui dit : « fanm sé chatengn », ce qui signifie : « la femme est une châtaigne », car elle tombe mais elle se relève toujours. Saint-Martin, c'est une châtaigne ! La résilience dont ont fait preuve les femmes après le cyclone en confirme l'exactitude.

Beaucoup ont cru Saint-Martin à terre, complètement détruite, mais ma présence parmi vous aujourd'hui est la preuve vivante de notre résilience. Certaines ont erré pendant quelque temps. Certaines ont choisi de partir, mais beaucoup sont restées pour reconstruire notre territoire, brique par brique. Lorsque vous vous promenez à Marigot, notre chef-lieu encore en reconstruction, pratiquement tous les magasins sont tenus par des femmes. Jenny, Martine, Coco, Françoise, des prénoms encore, mais des prénoms très connus chez nous. Saint-Martin smiles again .

Si les femmes demeurent encore très sous-représentées dans les entreprises du BTP, elles ont pris toute leur place dans le monde de l'entreprise à Saint-Martin, et pas seulement dans les métiers traditionnellement associés à leur sexe. Pour leur apporter leur soutien, la CCISM que je préside oeuvre pour la formation, le renforcement des capacités et des chaînes de valeur et leur apporte un appui soutenu, dans tous les secteurs.

Cette démarche est adossée à une émission de radio hebdomadaire informant sur l'environnement de l'entrepreneuriat au féminin. Ce programme a déjà permis à bon nombre de femmes d'être accompagnées, formées ou sensibilisées à l'entrepreneuriat. Mais le travail ne s'arrête pas là. Il consiste aussi à la mise en réseau des forces économiques pour plus de synergies, à travers tout l'espace ultramarin, plus d'occasions de partenariat et de maillage, plus d'échanges de bonnes pratiques. Actuellement à Saint-Martin et comme dans tout l'espace ultramarin, les femmes entrepreneuses font la démonstration d'une extraordinaire créativité, de leur inventivité, de leur dynamisme et de leur persévérance. Oui, ce sont nos femmes, souvent avec l'appui des jeunes qui, ensemble, sont les vecteurs du changement et qui sont en marche.

L'entrepreneuriat au féminin n'est pas seulement économique chez nous. Il est également sociétal. Il est social et il est solidaire. Être entrepreneur, c'est saisir des opportunités, agir plutôt que regarder. Ainsi, beaucoup de femmes, y compris moi-même, se sont relevé les manches. Nous avons investi les décombres. Nous avons participé au déblaiement, au ravitaillement, à la distribution des denrées, au nettoyage des habitations des personnes fragiles et nous participons à la reconstruction de notre territoire.

Je voudrais nous dire merci. Thanks to all of us . Et même si à Saint-Martin les femmes ont pris toute leur place dans le domaine économique, comme elles l'ont fait dans la société, cela reste un combat, un combat avec nous-mêmes, nos préjugés et nos propres blocages familiaux et ancestraux, la peur d'être perçue comme une femme « djok », comme on dirait en Martinique, une femme autoritaire, une femme trop indépendante, qui émascule son compagnon, la peur de vivre seule. La réussite sociale et sociétale tient encore, dans nos mentalités, à un mariage ou une vie à deux, au risque de choquer mon sénateur. Pour dépasser ces préjugés, mon message serait le suivant : vous êtes très bien équipées pour devenir des cheffes d'entreprise. Vous êtes plus sensibles aux besoins des autres, plus concrètes, davantage conscientes de nos réalités, du sens des détails, plus exigeantes aussi. Notre île y gagne, n'hésitez pas : soyons audacieuses !

Le management au féminin est un atout dans nos temps de crise. Nous l'avons vécu au lendemain du passage de la gigantesque Irma - qui porte un nom féminin. Le management, c'est le meilleur remède auquel je crois pour l'avenir. Nous ne réussirons à transformer les mentalités que de deux façons : l'éducation et la responsabilisation. Inspirer les gens à penser de façon critique, regarder derrière l'étiquette et s'impliquer. Continuons ensemble le changement. Vive la République et vive Saint-Martin. We are still the friendly island .

[ Un film sur les femmes de Saint-Martin est projeté]

[Applaudissements]

Francette FLORIMOND , modératrice

Merci infiniment pour ces premiers témoignages. J'aurai moi-même des questions à poser à ces présidentes de chambres de commerce et de chambres des métiers. Pourquoi ces postes ne sont-ils pas visés par les hommes ? Vous me répondrez.

Djémilah HASSANI

Responsable de la stratégie régionale de l'économie sociale et solidaire
de la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire de Mayotte (CRESS)

« Les femmes mahoraises, pionnières de l'entrepreneuriat social et solidaire,
un enjeu économique pour Mayotte »

Messieurs les Présidents et Ministres, Parlementaires et élus,

Monsieur le Vice-Président du Sénat et sénateur de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, fondateur de la Chambre régionale de l'Économie Sociale et Solidaire de Mayotte,

Mesdames les intervenantes,

C'est un réel plaisir et un honneur pour moi d'être entourée d'autant de femmes, pour raconter et écrire l'histoire économique et sociale des femmes, au Sénat, dans ce magnifique Palais du Luxembourg.

Je ne saurais assez vous remercier d'avoir convié la Chambre régionale de l'Économie Sociale et Solidaire de Mayotte (CRESS), dont je suis la représentante aujourd'hui. Je m'adresse aux femmes, aux Mahoraises et aux Mahorais, mais surtout au peuple français. Aujourd'hui, c'est une histoire que je souhaite vous raconter, car nous vivons une période importante et charnière dans l'avancée de notre histoire, dans l'histoire des femmes à Mayotte et dans l'histoire de l'humanité. À travers ce récit, j'espère démontrer pourquoi et comment les Mahoraises peuvent répondre aux enjeux d'une gouvernance féminisée.

Il est primordial de rappeler qu'à Mayotte, la filiation, l'héritage, passent par la mère. Cette matrilinéarité se traduit de façon concrète dans la vie sociale, politique et bientôt économique de Mayotte. Je pense notamment à nos aïeules, les « Chatouilleuses », qui se sont battues pour que Mayotte reste française, tout en préservant une tradition si riche et chère à notre coeur de Mahoraise et de Mahorais. Sans elles, je ne pourrais vous conter l'histoire du laboratoire d'économie sociale et solidaire (ESS) de l'océan Indien. Sans elles, je ne pourrais pas vous raconter comment les femmes gouvernent la vie dans les foyers et dans la cité mahoraise. Elles se sont battues pour que je puisse témoigner du terreau fertile que nous connaissons à Mayotte en matière de gouvernance et d'économie sociale et solidaire.

À Mayotte, l'économie sociale et solidaire trouve ses racines dans une vie économique qui s'est organisée de façon atypique par rapport aux modèles économiques dominants que nous avons connus. Mayotte et les Mahoraises ont toujours organisé une économie adaptée aux besoins humains et de la société, et ce en tout temps. Ne serait-ce pas la préfiguration de l'innovation sociale ? Les Mahoraises ont toujours favorisé la solidarité et l'entraide au sein de la société et dans son mode d'entreprendre. Les Mahoraises ont entrepris par la création de ce que nous connaissons aujourd'hui comme le financement collaboratif, que nous appelons chez nous le chicoa , basé sur un principe d'entraide bien précis, la musada . Ces termes barbares, que je rapporte aujourd'hui, sont la base de travail que nous avons à la CRESS. Ils répondent aux manières d'entreprendre que nous souhaitons raviver à Mayotte. Les Mahoraises ont toujours recherché le principe de gouvernance démocratique, en privilégiant un modèle associatif et participatif dans ces rassemblements. Elles ont toujours aspiré à l'utilité sociale, tout autant qu'au profit, grâce à des modèles pionniers de coopératives. Les Mahoraises ont toujours souhaité la gestion responsable, en développant des méthodes respectueuses de l'environnement et de la vie en société. Ces trois éléments sont le fondement d'entreprendre de l'économie sociale et solidaire, conformément à la loi du 31 juillet 2014 1 ( * ) . Est-ce que nous pouvons dire que les Mahoraises réunissent les compétences, les valeurs et l'héritage pour devenir un levier du développement économique mahorais ? Je nous invite à y réfléchir aujourd'hui.

À Mayotte, l'économie sociale et solidaire, ce sont 280 entreprises, soit 14 % des entreprises mahoraises, qui génèrent 27 % d'emplois. Plus de la moitié de ces emplois sont occupés par des femmes. Est-ce que nous pouvons dire que le dynamisme économique de Mayotte, porté par les femmes, sur un modèle d'économie sociale et solidaire, génère de l'emploi paritaire ? C'est encore un autre axe de réflexion que je nous invite à mener aujourd'hui.

Alors, comment écrivons-nous cette nouvelle histoire que nous souhaitons voir germer ? Comment participons-nous à la traduction de cette tradition séculaire ?

Tout d'abord, depuis 2016, depuis la création de la CRESS, nous avons mis en place un outillage technique concret, adapté aux besoins d'un territoire dépendant fortement de la commande publique et d'entreprises qui peinent à se structurer, surtout chez les femmes, lorsqu'on sait qu'elles subissent 42 % du chômage.

Le 17 décembre 2018, nous avons signé un Plan d'action régional, en partenariat avec la préfecture, le Conseil départemental et la Caisse des Dépôts en faveur de l'entrepreneuriat au féminin. Nous espérons appuyer cette démarche grâce à nos outils, qui sont en cours de création, tels que notre accélérateur des entreprises de l'économie sociale et solidaire et l'ouverture prochaine de pôles ESS qui permettront d'assurer un relais dans nos communautés de communes. Ces actions, menées depuis notre création il y a deux ans, témoignent de notre volonté forte à faire émerger le développement économique de l'île.

Celui-ci ne se fera pas sans les Mahoraises. Elles possèdent toutes les clés en main pour devenir un exemple en matière de gouvernance et d'économie sociale et solidaire. Ce déploiement ne se fera pas par magie, mais bel et bien par un retour à l'âme des Mahoraises, une empreinte forte que notre territoire accompagne et continuera à accompagner concrètement à l'avenir. Merci, Mesdames et Messieurs.

[Applaudissements]

Pascaline PONAMA

Présidente de la Fédération Méti-Tresse, consultante en ingénierie de projets de l'économie sociale et solidaire (ESS), militante associative

(La Réunion)

« Entreprendre au féminin, un vrai défi à La Réunion ? »

Mesdames, Messieurs, bonjour.

Je suis assez impressionnée par les différents discours que j'ai entendus. Je ne parlerai pas d'économie sociale et solidaire ; je n'ai pas non plus préparé de carte d'identité de l'île de La Réunion, que je représente aujourd'hui. Je laisse le soin aux sénatrices et sénateurs qui sont présents de le faire, si nécessaire.

Nous rencontrons les mêmes problématiques que les autres outre-mer. Notre société est peut-être un peu moins matriarcale que d'autres.

J'évoquerai la filière de la fibre végétale et ses enjeux d'évolution de développement. À La Réunion, l'artisanat est fortement représenté par les femmes. Par le passé, nous parlions d'une filière économique qui représentait deux millions d'euros de chiffre d'affaires par an. Développée sur l'ensemble du territoire, cette économie était plutôt familiale. Les hommes ramassaient les fibres, puis les femmes les tressaient. Cette filière a fortement décliné avec l'arrivée du plastique et l'évolution des modes de communication. Les jeunes se sont détournés de cette filière, le métier étant en outre particulièrement pénible. L'informel ou l'associatif sont aujourd'hui très forts, ce qui permet de compenser le manque de viabilité par des contrats aidés notamment. Néanmoins, dans le meilleur des cas, un vannier ou une vannière perçoit deux euros de l'heure, ce qui est insuffisant pour vivre.

La fédération Méti-Tresse a été créée il y a un peu moins de deux ans pour répondre à la problématique de la disparition de ces métiers. Nous avons décidé de repenser le modèle de cet artisanat, car il nous semble difficile de concevoir un développement de notre territoire sans culture ou tradition. La culture et le patrimoine constituent en effet le socle de notre histoire. Les perdre, c'est perdre une partie de notre âme.

Nous sommes une vingtaine d'acteurs, réunis aujourd'hui autour d'un nouveau défi. Ce défi doit passer par la professionnalisation de la filière, notamment par la formation. Il n'existe pas de formation diplômante et qualifiante à la vannerie. Il faudra s'assurer de l'apport de nouveaux métiers, du design et de l'ingénierie mécanique, mais aussi du développement de l'exportation, car notre situation économique nous empêche d'envisager un développement local uniquement. Il nous faut de surcroît développer un nouveau modèle économique viable, car un salaire de deux euros par heure n'est pas soutenable. La coopération régionale doit être privilégiée, avec les pays de la zone de l'océan Indien, sachant que tous ces pays pratiquent la vannerie.

De plus, et ce point est le plus important et c'est sur ce point que j'espère pouvoir le mieux témoigner, il nous faut concevoir un nouveau statut, pour que les femmes puissent concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Or le cadre réglementaire se heurte parfois à des traditions et des fonctionnements insulaires.

Nous avons envisagé de faire évoluer la fédération vers une Société coopérative d'intérêt collectif (SCIC). Nous serons certainement amenés à coopérer avec des couveuses et des coopératives d'activité et d'emploi, pour tester les différentes activités. Mais il nous faudra aussi bénéficier du droit à l'expérimentation pour un cadre plus approprié.

Nous n'avons pas encore trouvé la solution et nous comptons sur nos élus et nos dirigeants pour nous aider à y réfléchir.

Il nous semble prioritaire d'aider ces personnes, qui vivent de minima sociaux, à tenir leur ambition de développement d'une filière qui saura s'exporter. Tel est l'enjeu de notre fédération. Nous, les femmes de La Réunion, aurons besoin de vous.

[Applaudissements]

Francette FLORIMOND , modératrice

Merci pour ce témoignage très concret, qui vise à transformer une activité qui a existé depuis toujours en une activité viable, en particulier pour une population en marge.

Marie-France THIBUS

Présidente de la Confédération des Petites et moyennes entreprises (CPME)

(Guadeloupe)

« Pourquoi rendre grâce aux femmes chefs d'entreprises ? »

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,

Madame la Présidente de la Délégation au droit des femmes,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,

C'est avec une immense joie et un grand honneur que je participe à ce colloque, organisé par la Délégation sénatoriale aux outre-mer et la Délégation au droit des femmes, et je suis d'autant plus heureuse que j'ai la satisfaction de constater que notre sphère économique en Guadeloupe a beaucoup changé. Il est fini le temps où les femmes avaient le sentiment de ne jamais pouvoir être à la hauteur ou du moins de devoir travailler trois fois plus pour réussir.

J'ai moi-même, en ma qualité de cheffe d'entreprise depuis presque quarante ans et aujourd'hui présidente d'une CPME que je dirige, j'espère, avec beaucoup d'acuité, eu affaire à la gent masculine, que j'ai dû dompter, par mes connaissances et mon savoir, pour lui faire admettre que ma place était méritée !

Le rôle et la place des femmes dans la vie économique et entrepreneuriale en Guadeloupe sont donc en constante expansion. Notre engagement constitue une réelle dynamique, qui concourt à développer la créativité et faire naître des vocations entrepreneuriales. C'est en cela qu'il faut rendre grâce aux femmes cheffes d'entreprises. C'est ainsi que nous observons en Guadeloupe une répartition très parlante des zones sélectionnées par les femmes pour créer leur entreprise.

[Un powerpoint est projeté]

La Guadeloupe ressemble par sa forme à un papillon, avec la Grande Terre et la Basse Terre. Ses zones sont matérialisées dans ma carte par des touches de couleur, qui permettent de vérifier la proportion des entreprises créées par des femmes en Guadeloupe.

Les zones les plus sectorisées dans le domaine économique sont les plus appréciées. Les secteurs les plus concentrés des Abymes, de Pointe-à-Pitre ou de Baie-Mahault sont les zones où les femmes sont les plus présentes, avec plus de 1 000 entreprises dirigées par des femmes. Je précise que ces statistiques m'ont été remises par la Chambre de Commerce et datent de 2016.

Dans ces zones, 1 097 entreprises dirigées par des femmes ont été enregistrées, contre 1 734 entreprises créées par des hommes. C'est la preuve de la volonté des femmes d'aller toujours plus loin.

Par ailleurs, la répartition des femmes par type d'activité montre que les femmes se concentrent sur le commerce et les services. Ces statistiques datent de 2016. 52 % des femmes créent des emplois dans le commerce, avec 7 088 femmes créatrices d'entreprises dans le secteur du commerce et des services. On dit que les femmes sont rares dans l'industrie. Une petite entreprise artisanale relève pourtant de l'industrie.

Il est important de mettre ensuite l'accent sur l'accélération de l'entrepreneuriat féminin à compter des années 2000. Nous sommes passés de 581 créations d'entreprises dirigées par des femmes en 2000 à 3 900 en 2018. Les micro-entreprises sont majoritaires. Or ces entreprises ne sont que rarement aidées, ce qui génère de l'inconfort et des difficultés de développement.

Plusieurs forces ont été identifiées. Une femme antillaise connaît bien ses atouts, d'abord sa sensibilité féminine. Une femme cheffe d'entreprise saura se montrer diplomate. Elle saura en outre faire preuve d'un réel sens de la créativité. Elle sait également fédérer la famille autour de ses activités, qu'il s'agisse du mari ou des enfants.

Parmi les faiblesses, on relève les délais administratifs et financiers, la conciliation de la vie familiale et du statut de femme entrepreneure, et la complexité des rapports hommes-femmes.

Enfin, parmi les besoins, il convient de noter la formation, l'existence de financements adaptés et une meilleure reconnaissance du statut et de la place des femmes dans la société économique.

Je vous remercie.

[Applaudissements]

Céline ROSE

Présidente de la Confédération des Petites et moyennes entreprises (CPME)

(Martinique)

« Tendance entrepreneuriale et place des femmes
dans les organisations syndicales patronales en Martinique »

Je suis une jeune présidente de l'Union régionale de la CPME pour la Martinique. Je ne me suis pas positionnée à la présidence de cette organisation en tant que femme, mais j'ai été beaucoup questionnée sur ce que cela représentait dans le paysage des organisations patronales.

Je commencerai mon exposé en évoquant le tissu entrepreneurial de la Martinique. 37 % des entreprises sont créées par des femmes.

52 % des entreprises se consacrent aux services (aux particuliers ou aux entreprises). Les secteurs du commerce, du transport, de l'hébergement et de la restauration regroupent 41 % des entreprises.

40 % se consacrent à l'industrie, 16 % à la construction et entre 16 % et 18 % à l'agriculture, sachant qu'il ne se trouve que trois ou quatre femmes pour 800 marins-pêcheurs. Dans ce secteur, elles ont été très actives sur le plan syndical, mais elles restent très peu nombreuses, essentiellement concentrées sur la pêche côtière et, de plus, elles partiront bientôt à la retraite.

Il convient par ailleurs de noter que deux des trois organisations patronales représentatives (le Medef, l'U2P et la CPME) sont présidées par des femmes (la CPME et l'U2P).

Quelques associations de chefs d'entreprise très actives sont présidées par une femme, comme l'Association martiniquaise pour la promotion de l'industrie (AMPI), Contact-Entreprises, qui fait la promotion des entreprises sur le territoire, le Cluster GAT Caraïbes ou l'Association des agriculteurs de Mana, qui est très dynamique dans le Nord de la Martinique. Nous comptons de plus un certain nombre d'associations de femmes cheffes d'entreprise, ce qui montre que nous savons nous montrer à l'écoute de nos pairs quand nous entreprenons. Ainsi, le Club Soroptimist décerne un trophée à l'entrepreneuriat au féminin. L'association Femmes Chefs d'Entreprises (FCE) a pour mission d'associer la représentativité des femmes cheffes d'entreprise dans les mandats patronaux. D'ailleurs, une ancienne présidente des FCE est par exemple présente au Conseil d'administration de la CPME et siège avec nous.

Une association particulière, Bizness Mam , mérite de surcroît d'être citée. Elle fédère les mamans cheffes d'entreprise. Enfin, nous avons dernièrement bénéficié d'un beau panel de Fanm Doubout , une association qui accompagne les créatrices d'entreprises sur le territoire. Comme vous le voyez, le dynamisme est très fort chez nous.

De son côté, la CPME Martinique que je préside compte douze membres à son conseil d'administration, dont sept femmes. Sans l'avoir cherché spécifiquement, nous avons agréablement constaté la parité au sein du conseil. Trois vice-présidents sur quatre sont des femmes, ainsi que la trésorière. En tout cas, la dynamique entrepreneuriale des femmes est importante au sein de notre organisation. Il est à noter qu'un tiers de nos entreprises adhérentes sont dirigées par des femmes.

Un bémol mérite toutefois d'être mentionné. Dans le cadre de l'activité de la CPME, il nous est demandé de compter autant d'hommes que de femmes pour nommer des mandataires. Il peut être difficile de trouver des candidates pour siéger. Les mêmes femmes sont souvent sollicitées et peuvent être surchargées, car il y a toujours moins de femmes entrepreneures que d'hommes.

De façon générale, les femmes qui entreprennent ne font pas qu'entreprendre. Elles s'inscrivent aussi dans le tissu associatif ou représentatif. Il nous faut continuer d'être dynamiques et croire en nous.

Par ailleurs, je souhaite préciser que présider une organisation telle que la CPME n'implique pas nécessairement d'être une personne d'un certain âge. Je suis une jeune femme et j'ai deux filles de 14 et 7 ans. Je me suis investie car je suis une militante et je ne pense pas que pour s'impliquer activement il faille attendre un certain âge et que les enfants soient déjà partis faire leurs études, ou qu'ils soient plus grands et indépendants.

En outre, la question de ma présence en tant que femme ne s'est posée que parce que l'on a commencé à m'interroger à ce sujet.

Pour conclure, dans nos démarches d'entrepreneures et militantes, il est surtout important de montrer que l'on a des choses à dire et que nous ne sommes pas là pour faire de la figuration. C'est ce que j'indique systématiquement quand j'interviens dans des écoles. Nous devons avoir conscience que nous sommes des modèles, avec toute l'humilité que cela implique, pour donner aux femmes l'envie de se lancer dans l'entrepreneuriat et, pourquoi pas, devenir ensuite militante dans une organisation.

[Applaudissements]

Joëlle PRÉVOT-MADÈRE

Présidente de la Confédération des Petites et moyennes entreprises (CPME)

(Guyane)


« Être une femme et réussir à se faire entendre »

Bonjour à tous.

Je commencerai par brosser la composition de certains secteurs économiques de la Guyane. Le pourcentage de femmes cheffes d'entreprises y est inférieur à celui de la Guadeloupe ou de la Martinique. Notre conseil d'administration ne compte que trois femmes sur douze membres. Pour autant, elles sont plus souvent présentes que les messieurs.

Dans le secteur minier, secteur dans lequel on ne s'attend pas à trouver des femmes, 20 % de nos 185 entreprises sont dirigées par des femmes.

Dans le secteur du transport maritime fluvial, vous trouvez 16 % de femmes cheffes d'entreprises.

Dans le secteur du transport routier de fret interurbain, comme le transport de bois de sciage, le transport de bétail ou le transport frigorifique, de containers ou de déchets, 11,4 % des 105 entreprises sont dirigées par des femmes.

Dans le secteur du transport routier de fret, 17 % des patrons sont des femmes.

Dans le domaine de l'exploitation forestière, leur part est de 9 %.

Dans le secteur agricole, elle est de 12 %.

Ces taux sont encore faibles, mais ce ne sont pas des secteurs où l'on s'attend à trouver des dirigeantes.

Je citerai ensuite mon expérience personnelle. Mon exposé s'intitule « Être une femme et réussir à se faire entendre ». Ce titre fait bien évidemment référence à la vie professionnelle, pas à la vie publique, où chacun s'organise à sa guise.

Je suis présidente de la CPME depuis 2006. En 2007, le préfet nous a annoncé que le prix du carburant allait croître de 30 %. Ce fut un choc pour tous, car il en a découlé une hausse tarifaire de 30 centimes par litre. Je précise que le carburant coûte plus cher en Guyane que partout ailleurs, que ce soit en Martinique, en Guadeloupe ou en métropole. J'ai alors mené des recherches sur cette formule de prix, annoncée comme une formule administrée.

Après six mois de recherches et d'échanges avec des spécialistes, je me suis tournée vers le monde économique (Chambre de commerce et d'industrie, Chambre d'agriculture, organisations professionnelles et interprofessionnelles, etc .). J'ai déclaré que la proposition était tout simplement inacceptable, car la formule retenue était illégale et comportait des irrégularités.

Tout le monde m'a découragée d'intervenir, y compris dans mon secteur économique. Au bout du compte, c'est une association de femmes (une association de consommateurs) qui m'a demandé de leur communiquer mes informations. Je leur ai présenté ces éléments un soir, à la Chambre de commerce, pour démontrer l'illégalité de la formule. Ces éléments montraient que l'État ne jouait pas son rôle de contrôle de la fixation de ce tarif administré.

Dans le même temps, les prix ont continué de croître, jusqu'en octobre 2008. Nous avons fait le tour des ministères, en délégation, pour leur démontrer que le prix n'était pas juste et que ce n'était pas supportable, économiquement et socialement parlant, pour le territoire. Nous n'avons été ni écoutées ni entendues.

L'association en question a alors décidé d'occuper tous les ronds-points de Guyane, pour faire signer une pétition. Plus de 10 000 signatures ont été recueillies. La pétition a été transmise au préfet, pour qu'il la fasse remonter au niveau national et pour que l'augmentation des prix cesse, afin de revenir à un prix plus supportable. Là aussi, nous n'avons pas été entendues.

Les blocages ont commencé en novembre 2008. C'est alors que la CPME nationale m'a appelée, car le gouvernement insistait pour que je fasse cesser les blocages. J'ai indiqué que je n'en étais pas responsable. J'ai juste fait remonter des éléments justifiant une telle manifestation de la population. Je ne souhaitais pas non plus faire cesser une démarche juste.

Le ministre de l'époque m'a alors appelée, pour me dire que je tuais mon pays. Le ton est monté, pour aboutir à une session de visioconférence avec le président directeur général de Total de l'époque, Christophe de Margerie, qui a confirmé que j'avais raison. Il ne comprenait d'ailleurs pas qu'on fasse venir du carburant en Guyane depuis les Antilles (auparavant, le carburant provenait de la zone des Caraïbes) par une raffinerie qui a des coûts de production très élevés.

La Guyane a finalement obtenu une baisse de 50 centimes des prix du carburant et le groupe missionné par Bercy pour contrôler les éléments mis en avant, a confirmé toutes les anomalies et irrégularités de la formule de prix.

Je n'ai pas de diplôme dans le domaine, seulement un BTS de biochimie. Je n'avais pas de compétences ou de connaissances, mais quand une femme décide de s'intéresser à un sujet, elle s'y intéresse vraiment. Elle n'attend pas de détenir un diplôme ou une compétence pour obtenir des résultats. Être une mère est déjà une mission éprouvante. Donc je le dis à chacune d'entre nous : n'ayez pas peur. Osez ! L'important n'est pas la formation ou les diplômes, ce qui est important, c'est de croire en soi, pour le bien-être de tous.

[Applaudissements]

Francette FLORIMOND , modératrice

Ces femmes vivent dans des zones en transformation. Aujourd'hui, les femmes sont partout. Peut-être sommes-nous les plus adaptées pour faire se transformer les pays. Merci encore, Mesdames.

[Les participantes à la deuxième table ronde prennent place à la tribune]

DEUXIÈME TABLE RONDE

L'AGRICULTURE, SECTEUR PIVOT DES ÉCONOMIES ULTRAMARINES : L'ENGAGEMENT AU FÉMININ

(c) Marie-Inès Romelle - Champagnes Marie Césaire

Annick Billon, présidente de la Délégation aux droits des femmes

Nous cédons la parole à Olivier Stirn, ancien ministre, qui souhaite s'exprimer.

Olivier Stirn, ancien ministre

Je tenais à féliciter les organisateurs et toutes les intervenantes. J'ai commencé à m'occuper de l'outre-mer avec le Général de Gaulle. Je travaillais avec Louis Jacquinot et Jacques Foccart. J'ai été ministre de l'Outre-mer pendant quatre ans, sous Valéry Giscard d'Estaing, avec Jacques Chirac comme Premier ministre, puis sous François Mitterrand où, dans le gouvernement de Michel Rocard, on m'avait demandé de veiller à la réconciliation en Nouvelle-Calédonie, après les événements d'Ouvéa. J'ai signé avec Michel Rocard les accords de Nouméa.

Je me félicite de voir que les outre-mer restent très vivantes, pour une large partie grâce aux efforts des femmes. C'est une évolution mondiale. Les femmes exercent de plus en plus de responsabilités et jouent un rôle décisif dans l'économie, la culture et dans beaucoup de domaines. C'est le cas - je l'ai entendu aujourd'hui - dans les outre-mer.

La dernière fois que j'ai vu le Général de Gaulle, c'était en juin 1970 (il est mort en novembre de la même année). Il n'était plus président. Il m'avait invité à déjeuner à Colombey-les-Deux-Églises, chez lui. À la fin du repas, il m'annonce qu'une guerre nucléaire aura lieu un jour. Il l'a affirmé avec une telle assurance, car il était convaincu qu'on ne saurait donner de telles armes à des hommes sans qu'un inconscient finisse par s'en servir. Il a souligné qu'il fallait veiller à ce que la guerre nucléaire, qui d'abord serait partielle, ne devienne pas totale. Heureusement, a-t-il ajouté, les femmes vont nous y aider.

Sur le coup, je n'ai pas bien compris pourquoi il évoquait les femmes. Dans ma vie, j'ai rencontré beaucoup de chefs d'État : un ministre français est habituellement reçu par les chefs d'État. Au bout de quinze ou vingt minutes d'entretien avec eux, les chefs d'État me demandaient généralement ce que la France pouvait faire pour leurs armements, quitte à me fournir des listes de ce qui les intéressait.

Depuis quelques années, on compte une vingtaine de femmes cheffes d'État. Ce total ne cesse d'augmenter. Aucune d'entre elles ne m'a demandé des armes. Elles m'interrogeaient plutôt sur les besoins de leurs universités, de leurs hôpitaux ou de leurs entreprises. J'ai compris pourquoi : les femmes donnent la vie. Pour elle, la priorité est d'abord l'avenir des enfants, ce qui passe par l'éducation, la santé et le travail. C'est une priorité différente de celle des hommes. Dès lors, Mesdames, continuez à travailler, nous avons besoin de vous pour la paix dans le monde !

[Applaudissements]

Annick Billon, présidente de la Délégation aux droits des femmes

Merci, Monsieur le ministre.

Ma collègue Victoire Jasmin va à présent introduire la deuxième table ronde.

PROPOS INTRODUCTIF


Victoire JASMIN

Sénatrice de la Guadeloupe

Bonjour à toutes et à tous. Nous avons la chance d'accueillir à notre colloque trois anciens ministres : Olivier Stirn, qui vient de prendre la parole, la députée et ancienne ministre Ericka Bareigts et Victorin Lurel.

Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Michel Magras,

Madame la Présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon,

Chers collègues sénateurs et sénatrices,

Mesdames, Messieurs, chers amis,

Je suis très émue et très heureuse de vous accueillir ici, dans la salle Clemenceau, que nous avons réussi à remplir.

C'est pour moi un honneur et un plaisir tout particulier d'introduire cette séquence, qui porte sur un sujet central à la fois pour les outre-mer, pour les hommes et pour les femmes.

Le souhait de mettre l'accent sur l'agriculture a d'ailleurs inspiré le choix de la date de ce colloque, quelques jours avant l'ouverture du Salon de l'agriculture de Paris.

Les femmes et l'agriculture, c'est une thématique très importante pour la délégation aux droits des femmes dont je suis membre depuis mon élection au Sénat, en 2017.

Notre présidente, Annick Billon, l'a rappelé tout à l'heure : les agricultrices - leurs réalisations, leurs ambitions, leurs espoirs, mais aussi leurs difficultés et parfois aussi leur sentiment d'injustice - ont été au coeur du programme de travail de la délégation en 2016-2017.

Les femmes ont aujourd'hui toute leur place dans l'agriculture : l'époque des pionnières est révolue. 25 % des chefs d'exploitation sont des femmes, de même que 36 % des salariés agricoles ; 40 % des projets d'installation sont portés par des femmes. Et la relève est assurée, car les jeunes femmes constituent une importante proportion des élèves de l'enseignement agricole.

Les agricultrices sont présentes dans toutes les productions. Elles ont aujourd'hui des projets d'installation très construits et autonomes, souvent dans le cadre d'une reconversion professionnelle, fréquemment après un parcours très brillant - nos témoins nous en diront plus. Les femmes ne viennent plus à l'agriculture nécessairement par mariage ou par héritage familial, mais apportent à cette activité le regard extérieur et enrichissant lié aux expériences diverses qu'elles ont connues avant de s'installer.

L'agriculture au féminin, c'est aussi une manière singulière de pratiquer ce métier.

Tout d'abord, féminisation rime avec diversification : autour de l'exploitation se développent souvent, grâce aux initiatives de femmes, une ferme pédagogique, des activités touristiques et de loisirs, de la vente directe de produits, la création de nouvelles productions... Nous le verrons par exemple avec les confitures d'Emmanuelle Sablé.

Féminisation rime aussi avec innovation, comme nous le montreront Marie-Inès Romelle, qui a su allier sa passion pour la viticulture, et plus particulièrement pour le champagne, à la culture de la canne à sucre aux Antilles, Mariana Royer, pionnière de l'utilisation d'écorces recyclées dans le domaine cosmétique, et Juliet Lamy, l'unique fromagère en Polynésie française.

L'agriculture au féminin, c'est aussi la préoccupation constante de s'inscrire dans un territoire, de dynamiser la vie locale et de créer du lien social autour de l'exploitation par l'organisation d'événements festifs ou l'animation de la vie associative.

Sur ce plan, je ne peux pas m'empêcher d'évoquer le parcours de Louisette Julien-Sérac, qui nous en dira plus, je l'espère, sur son engagement en tant qu'agricultrice, car elle appartient à la filière canne de Marie-Galante, mais aussi sur son engagement en tant que grande sportive, car elle a su créer dix-sept équipes de femmes, de poule A et B, en Guadeloupe et à Marie-Galante. C'est une femme particulière, une des rares agricultrices à avoir reçu la médaille de chevalier de la Légion d'honneur. Elle a aussi été l'une des rares à recevoir cette récompense d'un ancien Président de la République, Monsieur Nicolas Sarkozy. Enfin, elle tourne dans un film qui lui est consacré, qui traite des problématiques liées au foncier à Marie-Galante, à l'insertion, aux difficultés des femmes de Marie-Galante et au chômage. Un court extrait de ce film va vous être diffusé dans un moment.

Enfin, les agricultrices de métropole et des outre-mer partagent la volonté de développer des réseaux pour échanger et mettre en commun leurs bonnes pratiques et pour développer des liens humains, par-delà leurs préoccupations professionnelles. Nous le verrons avec Emmanuelle Sablé, qui a créé la Confrérie des confituriers de La Réunion pour défendre la profession, rencontrer des collègues et mutualiser des moyens de production. Nous le verrons aussi avec Louisette Julien-Sérac, que je viens de citer, qui a pris l'initiative de créer une commission des agricultrices au sein de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de Guadeloupe.

Nous savons quel travail accomplit la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA pour mettre en réseau ses adhérentes - je sais que des adhérentes qui ont contribué aux travaux de notre collègue Chantal Jouanno sont présentes aujourd'hui - pour faire porter leur voix dans les instances de la profession et pour soutenir leurs combats. Je tiens donc à saluer sa présidente, Jacqueline Cottier, et sa secrétaire générale, Catherine Faivre-Pierret, toutes deux dans la salle et elles-mêmes agricultrices.

Par ailleurs, nous le savons, les agricultrices sont très investies dans la filière bio et celles qui cultivent de manière traditionnelle font généralement un usage plus modéré des engrais. Nous l'avons vu hier soir, avec le film sur Mayotte 2 ( * ) .

Une autre caractéristique commune aux agricultrices, en métropole comme dans les outre-mer, est donc le souci partagé de la nature, de l'environnement et de la santé.

J'attends avec impatience sur ce point les interventions de Mariana Royer, qui s'est intéressée aux arbres de la forêt amazonienne dans ses recherches sur la biomasse forestière, et de Sylvie Colliez, très soucieuse de développer les utilisations du calice d'hibiscus, une plante aux nombreuses vertus thérapeutiques, sans oublier le rhum bio de Claudine Neisson-Vernant !

Mais par-delà ces acquis, les parcours des agricultrices peuvent aussi être semés d'embûches, et l'accès à la formation, au crédit (comme l'a dit le Président du Sénat dans son discours), aux terres, aux aides reste souvent problématique pour certaines, qui vivent leur activité professionnelle comme un parcours du combattant. Ce constat fait écho au documentaire de Claire Perdrix sur le combat - car c'est vraiment de combat qu'il s'agit - des agricultrices de Mayotte.

Pourtant, comme toujours quand il s'agit de femmes, les problèmes deviennent des solutions : c'est précisément pour contourner les contraintes auxquelles elles sont confrontées que les agricultrices développent une créativité, une énergie et une imagination hors du commun.

Je suis donc vraiment très fière d'accueillir en votre nom les huit intervenantes venues des outre-mer qui vont nous faire partager leur expérience et prolonger les témoignages de leurs collègues de métropole qui, il y a deux ans, ont guidé les réflexions de la délégation aux droits des femmes.

Je n'en dis pas plus et donne sans plus tarder la parole à Francette Florimond, notre modératrice, pour une deuxième séquence très attendue.

Je vous remercie.

[Applaudissements]

Francette Florimond, modératrice

J'ai le plaisir de faire ouvrir cette séquence par Louisette Julien-Sérac, très engagée dans les sujets qui nous rassemblent aujourd'hui.

Louisette JULIEN-SÉRAC

Exploitante agricole

(Guadeloupe)


« Les agricultrices de Guadeloupe : des femmes engagées au service des autres »

Je remercie le Sénat de m'avoir invitée, en particulier ma sénatrice, Victoire Jasmin, qui a largement évoqué les sujets que j'avais l'intention d'aborder.

[Un passage du film Liberté Lili 3 ( * ) , de Frédérique Fischbach, est projeté.]

J'ai longtemps pratiqué l'agriculture, dans la canne à sucre. Je me consacre actuellement à la passation de mes pouvoirs et de ma motivation aux jeunes. Je leur répète que c'est par la sueur de leur front qu'ils réussiront.

Des particuliers m'ont appelé après avoir vu ce film pour mettre des terrains à disposition des jeunes. Or j'ai souligné qu'il fallait d'abord former et motiver les parrains et les marraines, pour accompagner les jeunes dans leur installation. Ce travail a commencé. Malheureusement, quand les jeunes soumettent des demandes, les pouvoirs publics prennent beaucoup de temps pour répondre.

Je mets par ailleurs en place une ferme pilote, dans l'agriculture raisonnée. Notre réseau de femmes fournit un accompagnement très précieux et il est déterminant d'aller jusqu'au bout de notre démarche.

[Applaudissements]

Emmanuelle SABLÉ

Gérante du Comptoir Mélissa, Présidente de la Confrérie des confituriers

(La Réunion)


« Les confitures Mélissa : une expérience de diversification de l'activité agricole
pour mieux valoriser les produits de l'exploitation »

Bonjour à tous. Je suis très contente d'être ici aujourd'hui. La Réunion est ma terre d'adoption depuis vingt-cinq ans. J'y ai suivi mon conjoint, sans bien savoir où j'allais. J'ai découvert un territoire aux ressources énormes, avec des gens qui aimaient partager, ce qui m'a donné envie de créer quelque chose et de mettre en avant ce territoire.

J'étais auparavant cadre en métropole, ce qui n'a rien à voir avec mes activités actuelles. Mon conjoint tenait pour sa part à reprendre l'exploitation agricole familiale, dans l'Est de La Réunion, qui produit des fleurs tropicales et des fruits. Cette exploitation est située sur l'un des berceaux de la production fruitière, dans ce qui était le jardin d'acclimatation des fruits qui ont été introduits à La Réunion, sachant qu'aucun fruit n'est originaire de cette île.

Après une recherche d'actions à mener, il m'est rapidement apparu que ma place n'était pas nécessairement là et qu'il me fallait créer mon entreprise. J'avais conscience que mes études n'allaient pas pouvoir être valorisées. Je savais en outre que, bien souvent, pour qu'une activité existe à La Réunion, il faut la créer. Il est en effet assez difficile de trouver du travail.

J'ai donc cherché à valoriser les produits de l'exploitation agricole, par la commercialisation de ces produits. Les fleurs tropicales ne sont pas endémiques. Elles n'étaient pas représentatives de la filière professionnelle locale. J'ai alors oeuvré pour intégrer ces fleurs à la filière horticole et pour qu'elles soient traitées comme les fleurs traditionnelles de La Réunion. À La Réunion, on préfère souvent ce qui vient de l'extérieur, ce qui est dommage. J'ai mis en place des formations et maintenant la fleur tropicale fait partie de la vie de tous les jours, notamment pour fleurir nos institutions.

J'ai par ailleurs développé un projet agrotouristique, en proposant des visites de l'exploitation et des ateliers, autour des fleurs tropicales.

Cette approche n'a nécessité que très peu d'investissements. On a fait remarquer que les banques ne prêtent que trop rarement aux femmes. C'est exact. Faute de financement, j'ai dû me tourner vers un projet ne nécessitant que peu d'investissements.

Une fois le secteur des fleurs développé, je me suis tourné vers celui des fruits, pour valoriser par le biais de confitures ce que l'on appelle les « écarts », c'est-à-dire les fruits qui ne sont pas assez beaux pour être vendus.

[Des documents photographiques sont projetés.]

J'ai alors découvert qu'il existait beaucoup de collègues concernés par la filière, mais qui travaillaient séparément. Nous nous sommes donc réunis, pour partager nos problématiques de formation, d'information ou de commercialisation des produits, notamment à l'export, et pour faire circuler nos marchandises.

La Confrérie des Confituriers de La Réunion a pour objectif de défendre le métier et l'artisanat de la filière. Les entreprises agroalimentaires qui proposent des confitures ou des jus sont nombreuses, mais les entreprises artisanales qui valorisent les produits locaux restent rares ou sont de très petite taille.

Cette année, nous participons pour la troisième fois au Salon de l'Agriculture. Il y a un an, nous avons lancé un projet à la dimension économique plus affirmé, pour lequel nous nous heurtons à nouveau à un problème de financement. Ce projet se situe entre l'économie sociale et solidaire et le projet économique, ce qui ne permet pas d'entrer dans une « case » bien définie. Tous les investisseurs le trouvent intéressant, mais les financements restent difficiles à obtenir. Telle est la problématique à laquelle nous faisons face à l'heure actuelle. Nous essayons d'avancer, mais le chemin est long...

Je vous remercie.

[Applaudissements.]

Claire PERDRIX

Réalisatrice du film Mayotte, les combattantes


« Le combat des agricultrices de Mayotte »

Quand la chaîne France Ô m'a parlé de sa volonté de créer une série documentaire autour des gens de la terre, sur deux ans, j'ai estimé qu'il fallait qu'au moins un de ces films soit consacré aux femmes, car aujourd'hui ce ne sont plus seulement des femmes d'agriculteurs mais des agricultrices ! J'ai également immédiatement souhaité retourner à Mayotte, territoire pour lequel j'avais eu un coup de coeur lors du tournage d'un précédent documentaire. L'agriculture m'est apparue comme le sujet idéal, du fait de la problématique alimentaire particulièrement sensible au regard de la démographie de l'île.

J'ai rencontré de nombreuses femmes et j'ai produit quatre portraits de femmes. La première, Corinne, ne se consacrait pas à l'agriculture à l'origine. Elle s'est retrouvée à la tête d'une exploitation suite à l'AVC de son père. Elle possède aujourd'hui le plus grand cheptel de l'île. C'est une femme forte qui ne se laisse pas impressionner.

[Un passage de ce documentaire est projeté]

Cette femme dont je parlais à l'instant, Corinne, a bien réussi mais rencontre des difficultés. En effet, des spécificités locales se font jour à Mayotte, tant pour concilier sa vie professionnelle et sa vie personnelle, mais aussi pour des raisons culturelles et religieuses. Une femme musulmane ne peut pas abattre une bête par exemple.

D'autres difficultés particulières se présentent pour les femmes mahoraises, par exemple pour une mère célibataire que j'ai suivie, à qui de nombreuses aides ont été refusées du fait de son statut, mais aussi parce qu'elle est seule à surveiller son exploitation. Elle a régulièrement subi des vols. Elle fait preuve d'un courage incroyable.

Naoilou, technicienne agricole formée en métropole, a de son côté décidé de revenir à Mayotte après sa formation. Son apparence (cheveux courts et survêtement) a d'abord fait réagir. En outre, elle arrivait pour donner des conseils aux hommes, ce qui a été mal perçu au départ. Peu à peu, elle a su se rendre indispensable, avec humour et douceur.

Philomène a quant à elle quitté Madagascar pour Mayotte, où elle ne s'est pas contentée de travailler dans la ferme de son mari. Elle suit aujourd'hui des formations pour apprendre le français et développer des spécialités sur l'exploitation.

Ces femmes prennent des initiatives et savent se relever. Elles ont conscience que le travail de la terre est primordial, pour elles mais aussi pour la planète. Elles ont également compris que le travail de la terre, qui a longtemps été méprisé à Mayotte, était une façon de s'émanciper. Ce combat est donc un combat féministe.

Je terminerai en précisant que le film sera diffusé le 28 février en première partie de soirée sur France Ô . J'ajoute qu'un réalisateur qui propose un sujet sur les femmes agricultrices, notamment à Mayotte, est rarement entendu, mais France Ô m'a beaucoup soutenue. Je tenais à saluer le travail de cette chaîne et à exprimer mon amertume dans la période actuelle, particulièrement troublée pour cette chaîne.

[Applaudissements.]

Claudine NEISSON-VERNANT

Gérante de l'EARL Domaines Thieubert Distillerie Neisson

(Martinique)


« D'un univers à l'autre : de la médecine à la culture de la canne à sucre
et à la production de rhum AOC Martinique »

Mesdames et Messieurs, en vos grades et fonctions, bonjour. Je suis heureuse et fière d'être parmi vous.

Notre distillerie a été créée par mon oncle et mon père en 1932. Elle a aujourd'hui 86 ans révolus et je la dirige avec mon fils depuis vingt-trois ans.

Ma formation et mon début de carrière ne me prédestinaient en rien à embrasser l'agriculture et le domaine des spiritueux. En effet, je suis docteur en médecine, ancien praticien hospitalier à temps plein des hôpitaux en biologie médicale, puis en médecine interne, à l'Assistance publique des hôpitaux de Paris puis en Martinique, et ancien coordonnateur du centre d'information de soins d'immunodéficience humaine du CHU de Martinique.

Lors du décès brutal de mon père, en 1986, la distillerie a été gérée par une de ses soeurs jusqu'au 1 er juillet 1995, date du décès de ma tante. Alors en poste, j'ai rappelé mon fils, qui faisait des études d'économie à Paris, afin qu'il vienne reprendre la distillerie, comme le voulait absolument mon père. J'ai donc basculé d'un univers professionnel vers un autre, juste avant que la Martinique obtienne la première et seule appellation d'origine contrôlée, à ce jour, pour le rhum. J'ai donc eu le privilège de connaître le début de l'infection VIH et du Sida et le début de l'appellation d'origine contrôlée Martinique !

Une chose en entraînant une autre, j'ai donc accepté un certain nombre de représentations au sein des nombreux organismes professionnels. À ce jour, je reste membre du conseil d'administration du syndicat de défense de l'appellation AOC Martinique, que j'ai eu l'honneur de présider pendant douze ans. Au niveau de l'Institut national des appellations d'origine (INAO), je suis membre du Comité national des vins et de la Commission nationale des eaux de vie. Par ailleurs, j'ai été désignée capitaine d'industrie pour la Martinique du réseau CCI de France. Enfin, j'ai l'honneur d'être Chevalier dans les ordres nationaux de la Légion d'honneur et du Mérite.

[Un film de présentation est projeté.]

Comme vous avez pu le voir, nous exerçons également une activité d'agrotourisme.

En changeant d'activité, j'ai dû me plonger dans des aspects réglementaires forts contraignants (les finances, les ressources humaines, le marketing, la communication ou le lobbying), aidée bien entendu par mon fils qui, avec le maître de chai, Alex Bobi, a la responsabilité entière de la production, comme on le voit sur ces documents.

[Un document est projeté.]

J'ai oublié de dire que nous avons eu l'honneur en 2018 d'être labellisés « entreprise du patrimoine vivant » (EPV). Nous sommes la seule entreprise de Martinique et la seule distillerie des outre-mer concernée.

Je n'ai pas agi seule. J'ai bénéficié du soutien de mon fils. Il est par ailleurs maître distillateur. Emmanuel Fedronic est quant à lui le distillateur qui a succédé à mon père après son décès. Il a beaucoup appris à mon fils. Sa devise était : « qui aime bien châtie bien » et, comme disait mon fils : « il m'adore ».

Ils forment, avec Julie Mocquot, une jeune ingénieure agronome martiniquaise, un trio de choc. Elle a en charge, en amont, la responsabilité de l'exploitation agricole, avec plus spécifiquement la conversion de nos champs en agriculture biologique, ainsi que la recherche et développement, par exemple l'utilisation des petits robots désherbeurs, que vous avez vu dans le film.

Notre distillerie est la plus petite de Martinique et fait partie des deux dernières distilleries indépendantes et familiales de l'île. Nous représentons un peu moins de 3 % de la production en volume, mais sommes positionnés sur le segment premium des rhums agricoles blancs et vieux de Martinique. Nous produisons exclusivement des rhums AOC. Nous comptons dix-huit salariés permanents, mais l'effectif peut monter jusqu'à quarante-huit durant la période de la récolte de la canne et d'élaboration du rhum.

Nous avons voulu et su garder une tradition familiale respectueuse de l'environnement sur le plan de la culture de la canne et de la distillation, tout en explorant de nouveaux horizons, jusqu'à produire à ce jour le seul rhum à la fois appellation d'origine contrôlée et bio au monde ! Nos savoir-faire sont reconnus et nous décrochons chaque année médailles d'or et trophées dans les concours internationaux. Enfin, comme je vous le disais, notre distillerie a été labellisée EPV. Nous avons également reçu l'année dernière le trophée de l'entrepreneur de la première édition du guide Gault & Millau Antilles-Guyane 2018.

Je peux dire que j'ai eu de la chance. J'ai été épaulée par mon mari, professeur de médecine et par ma fille, artiste, qui m'ont encouragée à m'investir à plein temps, ainsi que par mon fils, bien sûr, qui tient maintenant les rênes de l'entreprise. Ce n'était pas un pari gagné d'avance et il n'est toujours pas gagné...

Nous avons pour volonté d'aller plus loin dans la reconversion en bio ou la conversion en bio d'une partie de nos champs, ce qui est à la fois difficile techniquement et surtout extrêmement onéreux. Nous militons ardemment, tant sur le plan local que national, pour recevoir des aides, car la canne et le rhum bio ne font pas partie pour le moment des secteurs aidés.

J'espère vous avoir prouvé que rien n'est impossible et que le fait d'être une femme ne doit en rien limiter nos ambitions. Il faut croire en soi, croire en ses rêves, aller jusqu'au bout, faire preuve de pugnacité et savoir s'entourer.

[Applaudissements.]

Marie-Inès ROMELLE

Fondatrice des champagnes Marie Césaire

(Guadeloupe)

« Allier la viticulture à l'agriculture »

Je suis la fondatrice des champagnes Marie Césaire . J'emploie le terme au pluriel, car j'en ai créé six. Mes six cuvées sont dédiées à mes frères et soeurs. Comme vous allez le constater lors de mon allocution, mon histoire est très tournée vers ma famille.

[Un film de présentation est projeté.]

Je suis toujours très émue quand je vois ce film, car il a un grand attachement sentimental à mes parents. Le nom Marie Césaire combine en effet le prénom de ma mère et le prénom de mon père, qui est décédé. Je n'ai rien à voir avec la famille d'Aimé Césaire. Ce n'est pas non plus un coup marketing. C'est un hommage à mes parents, à ma famille et aussi à toute la communauté antillaise. Pourquoi ? Je ne me suis pas limitée à coller une étiquette sur une bouteille de champagne. Tout le monde dans cette salle pourrait le faire. Il y a quatre ans, je suis retournée à l'université. Pendant une année, j'ai suivi un Master 2 en administration des entreprises, que j'ai passé pour pouvoir créer ma société dans le négoce de vins et spiritueux. J'ai été formée par mon viticulteur, car je ne peux pas toucher le jus de champagne, n'étant pas manipulante. Néanmoins, je participe aux vendanges. Je fais le tirage, le dégorgement, l'élaboration. Pour allier la viticulture et l'agriculture des outre-mer, j'ai fait le choix d'élaborer mes champagnes avec rien d'autre que du sucre de canne...

Comme je vous l'ai dit, cette marque porte le prénom de mes parents. En effet, dans un monde aussi fermé que le champagne, il faut respecter certains codes et certains passages, quasiment passer un examen. Une personne « normale », du cru, qui déposerait un dossier pour obtenir une marque de champagne verrait son dossier traité en environ deux semaines. Cela a pris quatre mois et demi pour moi.

J'ai compris d'où venait le problème en déposant mon dossier. Quand je me lève le matin, je ne pense pas à ma couleur de peau. Je me dis que je me dois de réussir là où j'ai posé le pied, pour toutes les personnes qui sont confrontées à ce genre de problème. Aujourd'hui, je peux vous dire, avec une très grande fierté, que ma réussite ne porte pas sur l'argent qui se trouve sur mon compte. Je suis fière de montrer qu'il est possible pour une personne originaire des banlieues - car je viens de Grigny, une des villes les plus pauvres de France - de réussir. J'espère sincèrement qu'il y aura une autre Marie-Inès Romelle, qui pleurera peut-être la nuit, mais qui aura le courage de tenter l'aventure.

Aujourd'hui, je me sens un peu seule, car je suis la seule Afro-Caribéenne au monde à produire du champagne. Je n'aurais jamais pensé que mon champagne pourrait un jour être distribué en France, aux États-Unis, en Martinique, en Guadeloupe et bientôt au Portugal. Quand je me suis lancée dans cette histoire, j'espérais vendre 500 bouteilles. De 500, je suis passée à 10 000 bouteilles et nous allons atteindre 15 000 bouteilles cette année.

J'espère qu'il y aura bientôt beaucoup de bouteilles Marie Césaire dans les restaurants ou dans les hôtels ou que des distributeurs en proposeront. En effet, à l'heure actuelle, le principal problème n'est pas l'approvisionnement mais l'exportation, car les distributeurs de mon île, la Guadeloupe, refusent mes bouteilles, sous prétexte que deux autres marques contrôlent le système. Sur ce constat, j'ai décidé de contourner ce système et de trouver la solution. Si vous croyez en vous, si vous croyez que tout est possible, rien ne vous arrêtera, que vous soyez une femme ou un homme.

Si vous retenez une chose de la marque Marie Césaire , j'espère que ce sera que cette histoire est vraiment un combat et pas seulement une marque de champagne de plus.

Je vous remercie.

[Applaudissements.]

Sylvie COLLIEZ

Directrice générale de Nature Plus

(Nouvelle-Calédonie)


« L'entrepreneuriat au féminin, Innovation, Fabrication en Nouvelle-Calédonie »

Bonjour à toutes et à tous. Je viens de Nouvelle-Calédonie. Tout le monde connaît la Nouvelle-Calédonie du fait du récent référendum. Je raconterai plutôt ma propre histoire, en tant que femme, pour confirmer que tout est possible, avec de la volonté.

[Un powerpoint est projeté pendant l'intervention.]

Je suis née dans le Nord-Pas-de-Calais dans une fratrie de huit enfants devenus pupilles de la nation. J'avais pour trait de caractère une volonté de sportive. J'ai passé des diplômes pour devenir professeure. En cette qualité, j'ai eu la possibilité d'occuper un poste en Nouvelle-Calédonie. J'ai eu trois enfants en métropole, puis j'ai fait le choix de la Nouvelle-Calédonie, qui était pour moi l'opportunité que je n'ai jamais eue dans le Nord-Pas-de-Calais pour évoluer dans une carrière sportive. La Nouvelle-Calédonie a été pour moi un tremplin monumental. J'étais attendue en tant que professeure de sport. J'y ai fait carrière pendant dix-huit ans.

Je me suis ensuite orientée vers une autre profession, la gestion de patrimoine, du fait d'une grave maladie. J'ai cherché des traitements alternatifs naturels, qui m'ont permis de soigner mon mal avec une plante, la fleur d'hibiscus. J'ai mené des recherches avec des femmes kanakes qui connaissaient bien ces fleurs. Nous les avons cultivées pour les vendre. Mon entreprise, Nature+, compte à ce jour cent points de vente. Peut-être connaissez-vous l' hibiscus sabdariffa , qui est reconnue pour les problèmes de cholestérol, de diabète ou d'hypertension. Ce n'est pas une plante miracle, mais je pense que si Dieu l'a mise sur terre, c'est pour l'utiliser.

Conformément à ce qui a été souligné précédemment, les banques ne m'ont pas suivie dans mon projet. L'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), agence qui permet d'aider les petites entreprises, m'a alors fourni un financement. Nature+ propose une infusion d'hibiscus. Nous sommes une entreprise familiale. Je travaille avec mes enfants. Nous générons 17 millions de francs Pacifique (CFP) de chiffre d'affaires. Nous travaillons en partenariat avec l'entreprise Unique et Naturel , qui propose des produits naturels.

Je suis soutenue par la Fédération des industries de Nouvelle-Calédonie (FINC) et par Avenir Export, qui m'a permis de participer au Salon de l'Agriculture et à la Foire de Paris. Je vous invite à venir déguster nos produits au Salon de l'agriculture.

Je vous remercie.

[Applaudissements.]

Juliet LAMY

Fromagère

(Polynésie française)


« La première fromagère de Tahiti : témoignage d'une ?néo-paysanne? »

Bonjour à toutes et à tous. Tout d'abord merci de cette invitation à participer au colloque, je suis très heureuse d'être là.

Effectivement, je suis une « néo-paysanne ». On considère comme « néo-paysans » les personnes qui ne comptent pas d'agriculteurs dans leur famille et qui décide, après une première vie professionnelle ou bien après leurs études, de devenir agriculteurs ou, en l'occurrence, paysans. D'ailleurs, à ce propos, nous sommes dix néo-paysannes à avoir témoigné dans le livre, qui est sorti ce début d'année, Néo-paysannes , de Linda Bedouet 4 ( * ) .

Je suis fromagère à Tahiti depuis deux ans. Je ne suis pas du tout issue du milieu agricole. J'ai fait des études d'espagnol et de commerce international. J'ai d'abord travaillé en tant que commerciale dans une entreprise de commerce équitable. Je suis engagée pour un développement durable, et le commerce équitable faisait écho à mes valeurs. Mais je manquais cruellement de contact avec les producteurs, et je passais mes journées à sillonner les routes pour rencontrer nos clients dans les centres commerciaux. Le sens, je ne le retrouvais plus du tout dans mon quotidien. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé un bilan de compétences. J'aspirais alors à un autre mode de vie : une remise en question de notre système a fait naître en moi ce besoin de vivre en autosuffisance. Je suis partie de Lille pour l'Auvergne. Suite à deux évaluations en milieu de travail (EMT) qui m'ont permis de tomber amoureuse du métier de fromagère, j'ai passé neuf mois au Centre de formation professionnelle pour adultes (CFPPA) d'Aurillac où j'ai obtenu mon Brevet professionnel responsable d'exploitation agricole (BPREA) de transformation laitière produits fermiers.

Pourquoi Tahiti, me direz-vous ? Parce que, pour faciliter les choses, c'est là-bas que se trouve l'homme que j'aime. J'aime bien le dire, Tahiti, c'est un peu mon Amérique à moi. Fraîchement débarquée, il était impensable d'accéder à du foncier pour s'installer en production laitière. C'était financièrement inenvisageable. Par contre, ce qui fut possible, c'était d'acheter du lait pour faire du fromage. J'ai donc commencé à l'envers : je transforme le lait pour ensuite un jour, je l'espère, monter ma ferme laitière. Donc on peut dire qu'aujourd'hui je ne suis pas agricultrice, car l'accès au foncier est compliqué.

Dans nos îles où la vahiné incarne l'image de Tahiti, être une femme n'a pas toujours été une contrainte. Un mois après mon arrivée à Tahiti, je rencontrai un maître fromager qui m'a aidée à me lancer. Le mois où j'ai créé mon entreprise, je gagnais le deuxième prix du concours à la création d'entreprise créé par l'association Tahiti Faa'hotu et le ministère de l'Économie de l'époque. J'ai également eu droit à une aide financière du Service de l'emploi, de la formation et de l'insertion (SEFI).

SEFI, le pôle emploi local. C'est une aide financière et technique mensuelle, sur deux ans, permettant à l'insertion par la création ou la reprise d'une activité.

J'ai également réussi à obtenir un atelier-relais alimentaire. Ce sont des ateliers à loyer modéré et à durée limitée. J'y suis installée depuis un an maintenant. Je ne m'attendais pas à tant de soutien et d'aide. Sans tout cela, la mise en place et la création de cette activité innovante aurait été beaucoup plus lente et difficile. Je n'en serai pas là aujourd'hui !

Mais tout de même, une ombre au tableau : sans lait, pas de fromages, n'est-ce pas ?

Les difficultés ont surgi plutôt là où je ne m'y attendais pas : l'approvisionnement du lait. Il n'existe qu'une seule et unique ferme, qui vend tout son lait à une seule et unique laiterie. Le réseau est fermé et je n'ai pas réussi au début à convaincre la ferme de me vendre son lait au lieu de passer par la laiterie. C'est normal, en même temps : je suis une jeune femme, qui arrive de France, et je demande à ce qu'ils me vendent du lait... C'est compréhensible qu'ils m'aient regardée avec réserve !

Comment ai-je réussi à me faire prendre au sérieux ? Il a fallu que je fasse mes preuves : à force de ténacité, de persévérance, je suis restée, j'y suis retournée... Ils ont fini par comprendre que je n'avais pas prévu de repartir en France et que ce projet n'était pas qu'un hobby de femme désoeuvrée ! Peut-être que si j'avais été un homme, j'aurais perdu moins de temps à faire comprendre que ce projet avait de l'avenir et que j'étais capable de le mener à bien. Du côté de la laiterie, la négociation a été plus compliquée. Le sentiment de concurrence et quelques incompréhensions par rapport à mon projet ont fermé les vannes. Un mois après mon installation dans l'atelier-relais, la laiterie me diminuait les quantités de lait. J'en suis réduite à transformer des quantités presque ridicules. À ce train-là, impossible donc de répondre à la demande toujours croissante, impossible de se développer, donc impossible de se projeter dans une installation future.

Donc, toutes ces aides pour quelques litres de lait... quel dommage !

Pendant un an, je n'ai pas avancé sur l'approvisionnement du lait, pour des raisons que je ne maîtrisais plus, notamment sanitaires et réglementaires. J'ai fait appel à la Chambre d'agriculture. Elle m'a beaucoup aidée à me faire entendre auprès des institutions qui pouvaient faire bouger les choses. Il a fallu s'armer de patience, et ne pas baisser les bras. Depuis ce début d'année, la Direction de l'Agriculture a accepté de m'accompagner dans les procédures. Depuis maintenant une semaine, la situation semble se débloquer. J'ai bon espoir qu'un jour je puisse produire mon propre lait !

Merci beaucoup pour votre attention.

[Applaudissements.]

Mariana ROYER

Fondatrice des Laboratoires Bio Forextra Inc., Présidente de Bio Stratège Guyane, Promotrice du projet Laboratoire AmazonActiv

(Guyane)


« La filière des ingrédients naturels, un moteur de développement économique
et durable de la Guyane française »

Bonjour à tous. C'est un honneur d'être présente à ce colloque. Je remercie les délégations aux outre-mer et aux droits des femmes pour son organisation.

Je suis docteure en chimie des produits naturels, une phytochimiste amoureuse de la forêt et des arbres et de toutes les ressources naturelles que nous offre la terre. Je suis arrivée au Québec après une thèse sur les bois amazoniens, après avoir découvert ce fabuleux pouvoir magique des arbres, qui contiennent des molécules faites pour nous soigner.

[Un powerpoint est projeté pendant cette intervention.]

Après avoir découvert le potentiel chimique et biologique des arbres, je suis partie faire un post-doctorat au Québec. Je précise que 60 % du territoire y est constitué de forêts (ce taux atteint 90 % en Guyane). L'industrie forestière affiche un pouvoir économique important. Or on ne s'intéresse au bois que pour le bois de construction et le papier. Les autres parties, non utilisées, ne sont pas valorisées. Des dizaines de millions de tonnes de bois partaient en biomasse, d'abord enfouies sous terre. Puis, en 2010, pendant mon post-doctorat, le gouvernement a cherché une solution de diversification, pour faire quelque chose du bois. Il s'est adressé à mon laboratoire, qui m'a donné le mandat de produire une revue de littérature sur ce qu'il était possible de faire avec les résidus du bois.

J'ai découvert que ce matériau, considéré comme un résidu par l'industrie forestière, était en réalité une « mine verte ».

Après avoir récolté le bois, la première transformation qui consiste à séparer la fibre et le bois d'oeuvre génère un certain nombre de résidus. Les copeaux et les fibres sont agglomérés pour faire des panneaux. En revanche, on ne sait pas quoi faire des écorces. En 2011, un investissement a été engagé dans la biomasse énergie, ce qui consistait à produire de l'énergie électrique en brûlant cette biomasse. Il faut savoir que l'énergie électrique reste peu chère au Québec, car l'eau y est abondante. De mon côté, je m'étais concentrée dans mes recherches sur l'écorce, qui est la partie la plus riche du bois en termes de chimie. Ce sont les écorces qui contiennent les teneurs en extraits, en antioxydants, en anti-inflammatoires et en antibactériens les plus élevées, car l'écorce est la peau de l'arbre. C'est elle qui le protège des agressions environnementales extérieures (UV, insectes, termites, etc. ).

J'ai alors proposé au gouvernement québécois de développer une filière transversale, verticale, implantée en marge de la combustion pour l'électricité, en dérivant les écorces vers une usine d'extraction. J'ai choisi la cosmétique au moment du lancement de ma start-up , en 2013, car les consommateurs exigent de l'industrie cosmétique qu'elle soit de plus en plus verte.

Ces ingrédients peuvent aussi s'appliquer à de nombreux autres marchés (le marché pharmaceutique, l'alimentation animale, etc. ). En s'implantant dans un site de cogénération qui existe déjà, on peut non seulement recycler nos déchets après l'extraction pour les brûler et produire de l'énergie, mais aussi utiliser cette énergie pour faire tourner l'usine d'extraction. Il s'agit alors d'une double économie circulaire.

Depuis, ma compagnie a été rachetée par une compagnie multinationale. Il a d'abord été difficile de leur faire comprendre mon projet. Leurs représentants ne le comprenaient pas, tant vis-à-vis de la chimie que de la cosmétique. À la tête des empires cosmétiques, étonnamment, on trouve surtout des hommes. J'ai dû commencer par collaborer avec des scieurs, qui m'ont donné leurs déchets avant de s'y intéresser. J'ai même montré que j'étais capable de payer dix fois le prix que ce qu'ils leur rapportaient pour la biomasse énergie.

Transformer cette matière, l'écorce, n'était pas facile. Aucune filière sur place n'était capable au départ de sécher, broyer ou tamiser la matière première, d'autant qu'il fallait calibrer les écorces, pour ne pas les mélanger. J'ai dû trouver des scieries qui respectaient un cycle de production bien particulier, pour des espèces bien particulières, car mon marché demande un certain niveau de standardisation et un certain niveau de qualité.

Par ailleurs, la filière d'extraction n'existait pas. J'ai dû trouver une façon de préconditionner mes écorces et de les mettre sur un bateau pour les envoyer en France, qui affiche une avance de trente ans en matière d'extraction végétale, avant de lancer ma première gamme d'extraits, en 2016. J'ai fait le tour du monde pour vendre ce concept. J'ai monté la filière de la ressource jusqu'au marché, jusqu'aux produits finis.

Arrivée sur le marché de la commercialisation, j'ai dû gérer de nouveaux défis, comme la couleur ou l'odeur des extraits. La cosmétique n'était en effet pas habituée à ce type de matériaux, considérés au départ comme des déchets. Il a fallu militer et raconter l'histoire des arbres, pour finalement rappeler qu'ils recyclent notre air. C'est ainsi que j'ai reçu des prix et que j'ai pu intéresser les grands groupes.

Aujourd'hui, je tiens à exporter ce modèle en Guyane, à une plus large échelle. J'ai refusé pour cela de travailler pour les grands groupes. Je veux faire comprendre combien les ressources en Guyane sont incroyables ! Je mène des actions de lobbying sur place depuis 2014. Je rencontre des entrepreneurs qui travaillent déjà à proximité de la ressource naturelle, pour leur expliquer qu'il s'agit d'une chaîne de valeur. Il est impossible de tout faire seul. On ne peut pas être à la fois agriculteur, transformateur, chimiste, biologiste, formulateur, commercialisateur et distributeur. Il faut créer des collaborations. Dans chaque corps de métier, des emplois peuvent être créés, chez les collecteurs, les transformateurs de matières premières qui peuvent être présents sur des marchés de négoce de plantes, des producteurs d'ingrédients naturels qui peuvent toucher les nutraceutiques, les cosmétiques, les adhésifs ou les anticorrosifs. Je pourrais vous citer de nombreux autres marchés.

Il y a aussi les fabricants de produits finis, qui formulent ces ingrédients dans leur marché d'application et qui s'adressent à des consommateurs. Telles sont les notions que j'ai voulu apporter en Guyane en créant la société Bio Stratège Guyane et en implantant un laboratoire de services. Ce dernier a pour mission d'aider ces entrepreneurs dans différents secteurs de la chaîne de valeur, pour leur faire comprendre où ils sont situés et les spécialiser dans leur corps de métier. Tel est mon objectif. J'irai jusqu'au bout !

Je vous remercie.

[Applaudissements.]

TROISIÈME TABLE RONDE

AUDACE ET INNOVATION : LE RÔLE MOTEUR
DES TALENTS FÉMININS

(c) Emmanuelle Sablé - Le Comptoir Mélissa

PROPOS INTRODUCTIF


Nassimah DINDAR

Sénatrice de La Réunion

Je serai très brève. Les femmes sont innovantes et audacieuses. Ce n'est pas très nouveau. Un romancier français, Alphonse Karr 5 ( * ) , rappelait il y a plusieurs décennies que la femme, dans le paradis terrestre, avait mordu le fruit de l'arbre de la connaissance dix minutes avant l'homme et avait, depuis, conservé son avance. La ténacité exprimée dans les projets qui nous ont été exposés jusqu'à présent ne démentira pas cette remarque.

Au-delà de cette boutade, que mes amis masculins me pardonneront, il est patent que les femmes ont dû faire preuve d'audace et d'innovation de manière spécifique dans les outre-mer, pour s'imposer dans le domaine économique. Je ne reviendrai pas sur les témoignages que nous avons reçus.

Il faut donc faire preuve d'audace, car nos sociétés matriarcales avaient tendance à cantonner principalement les femmes dans leur rôle d'épouse ou de femme. Je tiens donc à mettre en avant le terme d'innovation quand je m'adresse au Président du Sénat, Gérard Larcher, qui a parrainé l'organisation de cet événement, mais aussi aux présidents des délégations des outre-mer et de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances.

L'intitulé même de cette troisième table ronde, « audace et innovation », montre bien le rôle moteur des talents féminins.

Je m'arrêterai sur trois points.

D'abord, le mot « moteur ». Le moteur est ce qui enclenche. On ne s'est pas limité à l'audace et à l'innovation dans chaque table ronde. Cette notion d'enclenchement, ce rôle moteur est fondamental et doit nous amener au progrès social dans nos territoires. Au fond, le rôle qui nous a été dévolu et que nous avons gardé dans les territoires ultramarins, celui qui véhicule les valeurs au sein de la famille, celui de la femme, de l'épouse, de la compagne, que nous avons gardé, quelles que soient les époques, a donné à nos territoires des valeurs qui ont été préservées. Dans ces valeurs, on retrouve aussi la ténacité, l'envie d'aboutir et l'envie d'être des moteurs de ce qui va conditionner la vie de nos territoires et leur avenir, pour nos enfants et les générations suivantes, dans tous les domaines de la vie : économique, environnemental, politique et aussi social. C'est ce qui fonde la richesse de nos sociétés ultramarines.

Le second point sur lequel je souhaitais insister est l'objet même de cette belle rencontre. Les femmes ont également besoin de figures inspirantes dans les territoires ultramarins, dans tous les domaines, que ce soit dans le domaine politique, économique ou environnemental. Elles ont besoin de regarder des figures féminines qui représentent aussi cette capacité à aller de l'avant, à être des modèles, pour ne pas s'éloigner de ce que représente aussi le monde féminin dans nos territoires. On parle souvent de nous en évoquant l'exotisme, le soleil ou la joie de vivre. Nous sommes tout cela, mais pas seulement. Ce n'est pas seulement une société matriarcale. Ce ne sont pas seulement des valeurs de la famille ou de la transmission, mais de la transmission de savoir-être, que nous préservons, mais qu'il faut aujourd'hui dépasser avec les nouvelles générations. Ainsi, nous montrerons toutes les capacités qui existent. Je laisse tout de suite la parole à celles, jeunes et moins jeunes, qui vont témoigner devant nous de ce qu'elles ont réussi à accomplir à force de combativité et de ténacité. Conservons ces valeurs de solidarité et de pugnacité.

Je remercie les ministres présents aujourd'hui parmi nous, et tout particulièrement Ericka Bareigts, une ministre qui, comme moi, croit au droit à l'expérimentation dans nos territoires. Je remercie nos collègues, tous territoires confondus, et nos deux présidents de délégation.

[Applaudissements.]

Shirley BILLOT

Présidente fondatrice de Kadalys

(Martinique)


« L'innovation et l'économie de la connaissance, des leviers de croissance
pour les outre-mer »

Bonjour. Kadalys est la première marque de cosmétologie naturelle aux actifs brevetés de banane. Je suis martiniquaise. Je suis aussi spiritaine. Il y a quelques années, j'ai décidé de valoriser les coproduits générés par la filière banane, ce que j'appelle les « bananes moches » ou les « célibataires », celles qui sont écartées des circuits de distribution. Je travaillais aux Antilles en 2009, pendant les grèves, et j'ai été assez marquée par ce mouvement, qui a réveillé en moi un engagement très fort pour le développement économique de mon île et, surtout, pour envisager, un peu comme Mariana Royer, la transformation économique et industrielle de nos départements.

Au départ, il y a ma mère, qui est dans la salle aujourd'hui, et qui est venue spécialement de la Martinique. C'est une femme très engagée, qui m'a beaucoup inspirée et donné cette envie de l'engagement citoyen. Je voulais d'abord partager avec vous ma vision de la beauté, qui va vous permettre de comprendre mon engagement. Je crois que la vraie beauté est cosmopolite et inclusive. Je suis métisse. Je suis originaire des outre-mer. Je suis pour une beauté non stéréotypée, pour une beauté qui parle à tout le monde parce que nous sommes avant tout des êtres humains, et les cosmétiques, que je sache, conviennent à tous les types de peau, peaux sèches, peaux grasses, quel que soit leur phénotype.

Je crois beaucoup aussi que la beauté efficace est une beauté qui réconcilie la nature et la science, l'innovation et la pharmacopée traditionnelle. En cinq ans de recherches, nous avons étudié tous les coproduits générés par la filière banane : la hampe, la tige, la fleur, la banane, la peau et la pulpe. Nous avons déposé trois brevets sur les vertus anti-âge, les vertus dépigmentantes et les vertus apaisantes du bananier. Pour vous donner un exemple, nous lançons cette année un actif issu de la banane rose. Notre particularité réside dans le fait que nous développons des actifs huileux (issus des corps gras de la banane), que nous sommes les seuls au monde à produire. Or notre actif de banane rose dispose d'un pouvoir antioxydant qui est 4 500 fois supérieur à celui de l'huile d'argan. Nous faisons partie du « top 3 » mondial des ingrédients antioxydants. À partir d'une banane, on peut produire un actif extrêmement ciblé et extrêmement efficace pour la beauté !

Je crois enfin que la beauté doit être bienveillante. On veut se faire du bien à soi, mais c'est aussi important de faire du bien aux autres et à la nature. Comment ces engagements s'illustrent et se retranscrivent dans Kadalys ? D'abord, nous nous inscrivons dans une économie circulaire, car nous recyclons les déchets. De plus, notre modèle s'inspire de la chimie verte, puisque nos extractions sont vertes et respectent l'environnement. Nos ingrédients sont bio. Nos formulations sont biologiques, vegan et clean .

Enfin, j'ai développé et mis en place un modèle économique assez unique, qui repose sur l'économie participative. C'est en quelque sorte un modèle de « capitalisme inclusif », car je suis favorable à l'intégration des différents acteurs dans les projets. Ainsi, 100 % des planteurs de bananes de Martinique sont entrés dans mon capital. Nous ne devons pas être concurrents entre nous. Nos concurrents, ce n'est pas non plus la France. Nos concurrents, c'est le monde entier. Si nous ne sommes pas forts ensemble, nous ne pourrons pas nous développer à l'international.

À l'heure actuelle, les marchés locaux ne permettent pas aux entreprises de survivre. Une ambition beaucoup plus grande est une nécessité. Kadalys est aujourd'hui distribuée en Asie : en Australie, au Japon et en Corée. Cette année, nous allons nous lancer sur le marché chinois et sur le marché américain.

Personnellement, je me suis tout de suite lancée dans l'exportation en France, d'abord parce que la France ne nous attend pas. Il est difficile pour les ultramarins, en particulier quand on travaille sur la banane et la beauté, de se lancer sur le marché français, parce qu'il existe encore beaucoup de stéréotypes avec les ultramarins en ce qui concerne la peau et la cosmétique. J'ai entendu plusieurs fois des personnes me dire : « Je ne peux pas mettre vos crèmes, parce que je ne suis pas créole et que j'ai la peau blanche ». Je précise que nous appartenons tous au genre humain. De nombreuses idées préconçues doivent encore être combattues en France. Un produit cosmétique ne peut pas connaître l'intensité de votre mélanine. À l'international, je n'ai jamais entendu ce genre de questions. Nous sommes parvenus à entrer sur des marchés très difficiles comme la Corée, le Japon ou l'Australie.

Nos produits ont reçu plusieurs prix et récompenses, cinq Victoires de la beauté et une dizaine de récompenses par l'Observatoire des cosmétiques, ainsi que des prix de marque émergente ou des prix sur nos travaux de recherche. Nous avons par exemple fait une thèse en biochimie. De plus, Kadalys est incubé depuis quelques mois le groupe L'Oréal. Nous avons été distingués après avoir participé aux sélections mondiales pour être mentorés pendant plusieurs mois, notamment sur le marketing. Je précise que je ne viens ni de la science ni du marketing. Je suis diplômée en finance internationale et en logistique. J'ai suivi un programme Executive Education à HEC. J'ai exercé des activités de conseil. J'ai dirigé des entreprises aux Antilles, en Guadeloupe et en Martinique, dans l'importation. J'ai créé ma compagnie en étant au chômage, en levant mes droits, sans aucun budget. N'ayant pas de terre ou de fortune personnelle, j'ai constaté qu'il existait une vraie opportunité dans le recyclage des déchets. Je me suis immédiatement tournée vers la filière banane, qui a accepté de m'accompagner dans ce projet avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), qui est un centre de recherche, pour trouver un moyen de donner une seconde vie à ces déchets. Sachez que l'on jette presque 40 000 tonnes de bananes chaque année, juste à cause de leur aspect extérieur.

Hormis le développement de la marque et de nouveaux ingrédients toujours brevetés, nous travaillons en ce moment sur un site de transformation en Martinique. Il s'agit pour nous de transformer sur place ces déchets et ces coproduits et de lancer une activité d'ingrédients. C'est également dans ce dessein que nous sommes accompagnés, notamment par le groupe L'Oréal.

Je suis aussi très engagée, notamment dans l'entrepreneuriat des outre-mer et des femmes. À ce titre, je préside également une association qui s'appelle Les Jeudis de la stratégie , où nous avons la chance de compter des patrons du CAC 40 à la retraite qui nous forment à la stratégie d'entreprise. Nous organisons par ailleurs des ateliers chaque mois. Nous attribuons chaque année une bourse à un des participants pour qu'il étudie à HEC. En outre, je co-anime gratuitement, avec Daniel Hierso, le président d' Outre-mer Network , un programme de la Station F, qui est le plus gros incubateur de start-up au monde. Nous sommes le seul programme autogéré par des entrepreneurs, soutenu d'ailleurs par les collectivités. Notre objectif est de servir de pont entre l'outre-mer et la métropole, pour accélérer et faire connaître des start-up .

Je tiens enfin à remercier la collectivité territoriale de Martinique qui suit et soutient mon projet depuis le début. Je participerai également au Salon de l'agriculture, sur le stand de la banane, comme chaque année. J'espère vous y retrouver pour vous parler de beauté.

Je vous remercie.

[Applaudissements.]

Ludmila LUREL

Gérante de la SARL Punch Mabi

Guadeloupe


« Architecte ambitieuse ou productrice de punchs haut de gamme :
deux occasions de confrontation à des univers masculins »

[Un powerpoint est projeté pendant l'intervention.]

Bonjour à toutes et à tous. J'ai 38 ans. Je suis née en Guadeloupe.

Je suis architecte de formation. Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours voulu être architecte. Passionnée par l'art mais aussi très intéressée par la sociologie, la maison est pour moi le symbole de l'unification de la famille et du partage. Ce sont des valeurs très chères à mon coeur.

En 1999, je suis partie en métropole faire mes études d'architecture.

Lors d'un séjour que j'ai effectué en Guadeloupe en 2003, ma mère nous a fait part de son projet d'entreprendre.

Elle voulait produire un punch traditionnel. Elle souhaitait proposer un produit plus qualitatif que ce que l'on trouvait à l'époque. Elle avait noté que lorsqu'on voulait offrir une bonne bouteille, une belle bouteille, on offrait du vin ou du champagne. Pourquoi pas, mais ce n'était pas une production locale, et elle pensait être en mesure de valoriser notre savoir-faire antillais et d'y ajouter une valeur esthétique.

Nous avons été très enthousiasmées par son projet et nous l'avons encouragée.

C'est ainsi que la grande aventure du Punch Mabi allait voir le jour et nous allions bientôt être propulsés dans le milieu de la transformation agroalimentaire, qui nous était totalement inconnu jusqu'alors. Ma soeur faisant des études d'esthétique, ma mère commerciale d'une compagnie aérienne et moi poursuivant mes études d'architecture.

Tout s'est enchaîné très rapidement. En août 2003, nous validions l'idée de ma mère. Août 2004, nous créions la SARL Mabi . Août 2005, nous présentions nos produits au grand public.

Pour ma part, j'ai poursuivi mes études d'architecture et j'ai été diplômée en 2006. Durant toute cette période, j'ai participé dès que j'en avais la possibilité au développement de notre jeune SARL familiale.

Dès l'obtention de mon diplôme, j'ai décidé de rentrer en Guadeloupe et en seulement quelques jours j'ai trouvé du travail en agence.

L'expérience promettait d'être très enrichissante. D'ailleurs, à mon arrivée en agence, j'ai vite été mise en avant. J'avais un poste avec beaucoup de responsabilités. Pour une femme comme moi qui aime relever les défis, je me trouvais a priori dans des conditions très épanouissantes. Mais des tensions et des rivalités ont commencé à se faire sentir avec certains de mes confrères. Certains me harcelaient quotidiennement.

Enthousiaste, optimiste et combative, je pensais pouvoir faire face à cet environnement machiste et réussir à m'imposer grâce à la qualité de mon travail.

C'est une agression physique sur mon lieu de travail qui m'a définitivement poussée à quitter l'agence. Mon optimisme et ma combativité venaient de trouver leurs limites.

Après cette mésaventure, j'ai quand même voulu me mettre à mon compte. J'ai été confrontée à d'autres obstacles.

L'architecture est un métier de prestations intellectuelles. Basiquement, les gens ont du mal à payer ce genre de prestations, mais alors quand ils doivent payer pour le conseil venant d'une jeune femme de 28 ans, c'était très difficile. J'ai été confrontée au manque de discipline, de respect et d'autorité hiérarchique.

Malgré la violence du contexte dans lequel je me suis trouvée, j'ai quand même pu saisir de belles opportunités et conduire de très beaux projets.

Cependant, mes expériences passées m'ont poussée à m'organiser différemment et à tenter d'élargir mon horizon. J'ai donc rejoint une amie et consoeur en métropole et nous avons tenté l'aventure à deux. Malgré de beaux projets, des relations différentes avec nos collaborateurs et clients, ça n'a pas été suffisant pour atteindre les objectifs financiers que nous nous étions donnés. Ma consoeur a donc choisi de se retirer du projet.

En parallèle, l'entreprise familiale faisait son bout de chemin. En 2005, nous avions 3 000 bouteilles, en 2010, 7 000 bouteilles, en 2014, 15 000 bouteilles, pour atteindre 30 000 bouteilles aujourd'hui.

Mon cabinet d'architecte tournant au ralenti, je m'engageais toujours un peu plus dans l'entreprise familiale où je pouvais exercer tout mon sens artistique. J'avais aussi un rapport au client différent : mon produit parlait de lui-même.

Le tournant a eu lieu en 2016. La naissance de ma fille a complètement bouleversé ma perception de la vie. J'ai ressenti un grand besoin de stabilité, mais je savais que j'avais aussi besoin de continuer à relever de grands défis.

Il m'a semblé que c'était le moment propice pour m'investir totalement dans l'entreprise, afin de mettre tout mon potentiel au service du développement des punchs Mabi qui, je l'espère, feront partie de l'héritage de ma fille.

Ces derniers temps, je me suis attelée à faire connaître l'histoire des punchs Mabi , à travailler le marketing et toute la communication autour du produit. Un nouveau contrat de distribution nous a ouvert les portes de nouveaux commerces et a accru la notoriété du produit. Nous avons aussi obtenu plusieurs médailles et récompenses, qui ont aussi aidé à la renommée du produit.

Nous constatons aussi l'influence que nous avons eue sur nos concurrents. En 2004, nous étions les seuls à présenter ce type de produits. Les grandes marques de rhum utilisent aujourd'hui le même procédé que celui des punchs Mabi , à savoir de la macération de fruits, connus ou peu connus, dans une belle bouteille, avec un bouchon en bois. Nous utilisons tous les fruits de notre verger : mangue, abricots pays, coco, etc. Pour les autres, nous sillonnons la Guadeloupe à la recherche de fruits sauvages ou nous travaillons avec des agriculteurs. Nous avons pour projet de construire une unité de production, pour automatiser certaines étapes.

Parmi nos objectifs à court et long terme, nous visons à présenter notre nouveau produit, à augmenter la gamme de punchs à 50 000 cols et produire 80 % de notre matière première.

Mabi suscite de l'intérêt à travers le monde entier. Nous avons pu nous en rendre compte lors des salons auxquels nous avons participé aux États-Unis, au Canada, au Japon ou en Europe. Malheureusement, la distribution à l'échelle mondiale est une difficulté que nous n'avons pas encore réussi à résoudre. Nous sommes taxés deux fois plus cher que le rhum, alors que le titrage alcoométrique est inférieur et que nous n'utilisons rien d'autre que le rhum comme alcool de base.

Nous avons conscience que nous mettons les pieds sur un terrain qui a priori pourrait être hostile à notre égard. Nous proposons un produit de luxe, haut de gamme, exclusivement présenté par des femmes autodidactes, alors que le milieu de l'excellence « rhumière » est essentiellement dirigé par des dynasties d'hommes blancs. Mais nous sommes confiantes en notre produit et en notre capacité à lui faire une place au sommet.

Pour être totalement franche, je n'ai pas à ce jour eu l'occasion de ressentir dans mon milieu professionnel actuel le niveau de pression machiste auquel j'ai pu être confrontée lorsque j'étais architecte. Bien sûr, je reste sur mes gardes, mais je suis épanouie professionnellement.

Enfin, j'aimerais en quelques mots vous parler d'un projet qui me tient très à coeur et dans lequel je me suis lancée depuis début 2018.

Je suis à l'origine, avec un groupe d'amis, de l'association Guadeloupe Label , qui a pour but la promotion de la Guadeloupe, de sa culture et de ses femmes ambitieuses. L'une des activités principales était de reprendre l'organisation de Miss Guadeloupe pour Miss France, ce que nous avons d'ailleurs fait avec grand succès, puisque notre miss est arrivée première dauphine cette année, lors de la dernière élection.

Mais nous souhaitons aller bien plus loin. Nous sommes huit femmes, dont cinq entrepreneures. Nous sommes belles, indépendantes et audacieuses, et nous souhaitons entre autres accompagner et offrir notre expertise et notre expérience à celles qui veulent se lancer dans l'entrepreneuriat, se valoriser ou s'épanouir simplement en tant que femmes.

En tant que femme bien dans ma peau aujourd'hui, j'ai dû faire face à des situations pour le moins désagréables quand j'étais architecte. Ces situations peuvent démotiver. Elles peuvent briser des carrières et des rêves. Nous faisons donc la promotion de la beauté et des compétences. Nous poussons les jeunes Guadeloupéennes à être fières de ce qu'elles sont. Nous les aidons à se réaliser, et c'est une mission que nous adorons mener. Nous croyons pouvoir contribuer à l'évolution des regards des femmes sur ce monde.

Je vous remercie.

[Applaudissements.]

Christine CHUNG

Associée fondatrice de Guyacom

(Guyane)


« Audace, persévérance et innovation : un cocktail nécessaire.
Sont-ils également des critères suffisants ? »

Intervention prononcée par Francette Florimond

J'ai la responsabilité de parler au nom de Christine Chung, cheffe d'entreprise originaire de Guyane, dont le vol pour Paris a été annulé.

C'est une sacrée femme et je suis fière de lui prêter ma voix ! Je la connais depuis un certain temps : j'ai suivi son épopée de près.

[Un powerpoint est projeté pendant cette intervention.]

Elle est née à Saint-Laurent du Maroni. Elle est d'origine asiatique, mais elle est une Guyanaise pure souche. Elle a dû quitter Saint-Laurent du Maroni, du fait de l'insuffisance des structures éducatives. Il ne s'y trouve que trois lycées et très peu d'écoles primaires. Encore aujourd'hui, 1 500 enfants de moins de huit ans de la ville ne sont pas scolarisés.

Après de belles études, elle rentre chez Ernst & Young , ce grand cabinet de conseil, avant de devenir chef de produit international chez RCI Banque, filiale de Renault-Nissan.

Elle a décidé en 2010 de revenir en Guyane, avec pour projet de devenir un opérateur télécoms. Elle a décidé de s'attaquer à un projet auquel aucun opérateur n'aurait osé s'attaquer, à savoir connecter les territoires de l'intérieur. Pour cela, elle s'est tournée vers le plus gros opérateur brésilien, Oi, qui avait de son côté besoin de mieux couvrir le Nord du Brésil.

Avec l'entreprise qu'elle dirige, Guyacom, elle a décidé de régler le problème du manque de connectivité du côté de la Guyane française, tout en demandant à Oi d'intervenir au Brésil. Elle a relié par un câble les trois territoires que sont le Suriname, la Guyane française et le Brésil. Je précise qu'Oi est l'un des plus gros opérateurs historiques du Brésil. Il réalise dix milliards d'euros de chiffre d'affaires et compte 37 millions d'abonnés.

Les services du ministère des Affaires étrangères et Bercy n'ont pas cru au projet. Ils lui ont longuement demandé de montrer patte blanche. Elle a pourtant réussi. C'est la seule entreprise privée à avoir émargé au programme opérationnel « Amazonie » par l'Europe 6 ( * ) . Après de nombreuses difficultés, elle a pu recevoir quelques subventions pour mettre en place ce projet. Aujourd'hui, ce câble est une réalité.

À l'heure actuelle, l'entreprise de Christine est fragilisée, pour une raison qui m'attriste. Elle a refusé de verser des pots-de-vin lors de la dernière élection et sa délégation de service public obtenue de haute lutte ne lui a pas été renouvelée. Sa délégation de service public a depuis été confiée à une filiale du CNES, qui proposait auparavant du Wifi en haute mer et qui ne connaît rien à l'Amérique du Sud ou à la forêt.

L'entreprise de Christine était pourtant en phase de développement. Elle avait de surcroît fait preuve de créativité. Face à une population qui ne parlait pas nécessairement français, elle avait créé des abonnements en créole, pour que les clients comprennent ce qu'ils achetaient. L'entreprise se retrouve aujourd'hui en grandes difficultés. On continue pourtant à faire appel à elle pour connecter l'intérieur, car la filiale du CNES n'est toujours pas installée sur le territoire. C'est particulièrement triste face à un travail aussi remarquable. Ses salariés sont passés de cinquante à dix. On dit que le suicide des Amérindiens se développe. Or apporter davantage de connectivité est un moyen d'éviter ces tragédies. Il arrive parfois que nos entreprises souffrent du comportement d'hommes politiques qui ne sont pas totalement vertueux.

Je vous remercie pour elle.

[Applaudissements.]

Anne-Marie FARRO

Associée gérante d'Opuss Amo
(Assistance à la maîtrise d'ouvrage dans le bâtiment)

(La Réunion)


« Entre audace et préjugés »

[Un powerpoint est projeté pendant l'intervention.]

Bonjour à tous, merci de m'avoir invitée. Je ne me sens pas particulièrement audacieuse, alors j'ai étudié la définition exacte du terme. L'audace consiste à aller au-delà des limites de la convenance. Or mon parcours s'en rapproche. J'ai aussi fait face à des préjugés internes dans le développement de ma société ou dans mon développement interne.

En août 2007, mon bac en poche, j'ai été confrontée à un départ important : j'ai quitté ma famille, à La Réunion, pour des études d'ingénieur en génie civil. La métropole était un saut dans l'inconnu. J'ai eu l'opportunité de travailler au Maroc en cursus de fin d'études. C'était un pays qui m'était inconnu lui aussi. Un projet intéressant m'y attendait. J'ai pris contact avec un agent immobilier qui, pour réserver mon appartement, m'a demandé un virement par Western Union , ce que tout le monde m'a déconseillé de faire, craignant une arnaque. Or, il est lui-même venu me chercher à l'aéroport et m'a trouvé le plus bel appartement de Casablanca. Cette expérience fut très enrichissante, aussi bien sur le plan personnel que professionnel. C'est aujourd'hui l'occasion pour moi de les remercier.

Je suis ensuite retournée en métropole, d'abord en Alsace, où le climat ne m'a pas convenu. Je suis alors partie dans le Sud. Je suis devenue assistante à maîtrise d'ouvrage sur la Côte d'Azur, où j'ai pris la direction opérationnelle de la société qui m'a embauchée. Je me suis installée sur place, où j'ai acheté un appartement. Néanmoins, j'ai finalement eu envie de rejoindre mes proches à La Réunion, sans trop savoir ce qui m'attendrait professionnellement.

Après quinze jours d'hésitations et de discussions avec mon conjoint, j'ai décidé de rentrer. J'ai donné ma démission et je suis partie. J'ai pu retrouver un CDI avant même de rentrer, puis j'ai été prise d'une envie d'entreprendre, ce qui était incertain dans le contexte économique difficile du moment, et en tant que jeune femme sans réseau.

J'ai par ailleurs posé ma démission durant ma période d'essai, ce qui m'a empêché de toucher la moindre indemnité chômage. Avec mes économies, j'ai monté ma société, Opuss Amo , en assistance à maîtrise d'ouvrage, métier qui reste mal connu à La Réunion. C'est à ce moment-là que j'ai répondu à un appel à candidatures qui récompense des entrepreneures au féminin. Au moment de l'envoyer, j'ai été prise d'un moment de doute. J'ai finalement décidé de le soumettre. Jusqu'à l'annonce des résultats, j'étais persuadée d'avoir perdu.

J'ai finalement remporté le premier prix, ce qui fut un grand moment de bonheur et une certaine reconnaissance ainsi qu'un gage de crédibilité pour mon projet. C'est grâce à ce prix que je suis là aujourd'hui. J'avais envie d'apporter ma touche personnelle au monde du bâtiment, qui n'est en réalité pas fermé aux femmes. Ma société n'a certes qu'un an, mais j'ai de grandes ambitions. Je tiens à montrer aux femmes qu'elles peuvent y arriver en se donnant les moyens de réussir, même sans fortune personnelle. Je tiens donc à dire aux jeunes femmes de ne pas hésiter à oser !

Je vous remercie.

[Applaudissements.]

Pati GUYOT-TOLÈDE

Créatrice du logo St Barth French West Indies et de la marque Pati de St Barth

(Saint-Barthélemy)


« L'influence d'une marque sur la reconnaissance internationale d'une île »

Bonjour. Je suis arrivée à Saint-Barthélemy avec un pinceau et une boîte d'aquarelle. Le pinceau et la boîte d'aquarelle sont devenus une entreprise à rayonnement international et je vais vous raconter comment.

[Un film est projeté.]

Saint-Barthélemy est une petite île de 21 kilomètres carrés, située dans la mer des Caraïbes, qui pratique l'art d'être une île. C'est cette manière d'être si particulière qui est à la fois le point de départ et la philosophie des vêtements que je crée. Quand je suis arrivée à Saint-Barth, dans les années 1980 après un voyage autour du monde, tout s'enchaînait. Tout était facile. J'avais trouvé l'endroit où poser ma vie. Quand on est loin de tout, on a un énorme handicap, mais aussi une très grande force. On est centré sur les ambiances, les couleurs, l'air qui vibre dans la chaleur, la peau nue chauffée au soleil, le tissu qui respire, ou pas... Et quand on vit sous les tropiques, on a envie d'un vêtement léger comme un souffle et qui respire au même rythme. Chose particulière à Saint-Barthélemy, habitants, touristes et célébrités se retrouvent tous dans la même quête de confort décontracté. Les gens se côtoient, se retrouvent sur les plages, au bar du coin. Il fait chaud, les uniformes tombent. Pas besoin de paraître, parce qu'ici on peut enfin être soi-même. C'est cet état d'esprit convivial et décontracté qui a influencé le style de vie à Saint-Barth et m'a inspiré. J'ai eu envie de peindre des vêtements légers, de « l'art à porter », né du mariage de ma passion pour le dessin et de l'ambiance de l'île.

De l'aquarelle, je suis passée à l'aérographe. Je peignais des tee-shirts que j'avais découpés et qui ont tout de suite connu un franc succès. J'ai ensuite commencé à imprimer, avec une machine à sérigraphier. De là, une identité a émergé, avec les logos que je créais pour répondre à une demande, en m'amenant à réfléchir à des slogans et aussi à des noms de marques. Les conditions de fabrication étaient très rudimentaires. J'empruntais par exemple le four du boulanger pour fixer les couleurs - pas vraiment pratique - et puis la mode du noir est arrivée. Je faisais venir le coton d'Haïti, je le teignais, en ayant loué toutes les machines de la laverie du coin, mais je n'arrivais jamais à faire un véritable noir. J'obtenais un gris profond, irrégulier selon les teintures. En fait, c'est ça qui a plu et c'est ainsi que ce « noir Saint-Barth » est né. Les New-Yorkais ont adoré ce concept de pièces uniques. Ils venaient jusque dans mon « atelier garage » pour être sûrs d'en avoir, parfois à l'aube.

En 1989, quand j'ai créé le logo Saint Barth West French Indies , j'essayais de trouver un symbole, un signe d'appartenance à Saint-Barth, car ceux qui viennent sont marqués à jamais par cet endroit unique et ont envie de le faire savoir, comme une grande tribu portant le même signe de reconnaissance, un tatouage amovible. Dès sa diffusion, le succès a été immédiat. Les commandes affluaient. J'ai trouvé de l'aide. On imprimait jour et nuit. Il fallait se développer. J'ai fait appel à des imprimeurs aux États-Unis. On a commencé à exporter partout dans le monde.

La particularité de la marque Saint Barth French West Indies est de coexister à côté des grandes marques de luxe qui font la renommée du shopping de l'île, mais tout en ayant une place à part, une identité propre et unique. Sa force, c'est aussi sa capacité à créer du lien entre les différentes nationalités, en n'excluant personne, car on peut y trouver son compte, quel que soit son portefeuille. Aujourd'hui, c'est de plus une marque écoresponsable qui participe aux actions artistiques et environnementales de l'île.

Il existe une mode qui ne se trouve qu'à Saint-Barth. Elle incarne la manière d'y vivre et dit comment on y vit, initiée avec notre logo mais dans le sillage de laquelle d'autres marques se sont ensuite inscrites. Saint-Barth est en effet maintenant associée à une identité très forte, devenue une marque, que les vêtements permettent de porter littéralement. Vivre le moment présent est devenu la quête ultime que Saint-Barth illustre parfaitement. Dans ce monde en perpétuel changement, le lâcher-prise est devenu le luxe suprême, c'est ce que nous essayons d'insuffler par nos vêtements. Notre devoir consiste à garder la qualité de vie qui fait le succès de Saint-Barth, car de cela dépend la pérennité de notre entreprise, mais aussi notre bonheur de vivre sur cette île magnifique. Merci.

[Applaudissements.]

Myriam FAUGLAS et Laure LISABOIS

Artisans coiffeuses à Saint-Pierre-et-Miquelon


« Femmes, coiffeuses, gérantes d'entreprise »

[Myriam Fauglas et Laure Lisabois s'adressent au public du colloque par vidéo.]

Myriam Fauglas . - Cosmét'île , société créée il y a trois ans, est à la fois une entreprise de prestations de coiffure et grossiste auprès de professionnels de la coiffure et de l'esthétique sur l'archipel. Nous sommes également centre de formation.

Laure Lisabois . - Nous avons choisi cette profession, tout d'abord pour apporter du bien-être à nos clients, mais aussi pour développer un métier relationnel. Personnellement, j'ai également fait ce choix pour gagner ma vie rapidement en optant pour la voie de l'apprentissage.

Myriam Fauglas . - Pour ma part, c'est un métier qui m'a attiré pour son volet créatif. C'est aussi un travail qui repose sur un savoir-faire manuel. C'est également un métier de proximité, que l'on peut pratiquer sur son entourage.

Laure Lisabois . - 90 % des coiffeurs sont des femmes. Comme vous le savez, c'est un métier prenant qui empiète sur notre vie privée : en travaillant 50 heures par semaine, de 9 heures à 19 heures, il est difficile de concilier vie professionnelle et vie privée. Nous avons donc fait le choix de travailler autrement, en respectant le biorythme de chacun et en chevauchant les emplois du temps.

Myriam Fauglas . - Notre local est aménagé de telle sorte à ce que nous puissions respecter les pauses méridiennes. Nous avons pu observer, lors de nos expériences passées en tant que salariées, que plus le salon de coiffure était grand, et plus petit était le local pour déjeuner. Dans notre propre entreprise, nous souhaitons prêter une attention particulière à ces temps de pause car nous pensons que de bonnes conditions de travail contribuent au bien-être.

Laure Lisabois . - Lors de nos expériences professionnelles antérieures, nos formations avaient toujours lieu sur nos temps de repos. Avec notre co-entreprise, nous avons fait le choix de proposer des formations sur le temps de travail. Celles-ci sont proposées à tous les employés et leur permettent de se perfectionner, de revoir les fondamentaux ou de créer un événement. Ce temps de formation représente une moyenne de trois heures d'ateliers par mois.

Myriam Fauglas . - D'expérience, nous avons constaté que les coiffeurs souffraient souvent de troubles musculo-squelettiques en raison de gestes répétitifs, de locaux de travail inadaptés ou encore de l'utilisation de produits nocifs.

Laure Lisabois . - En créant Cosmét'île , nous avons souhaité prévenir ces risques. Par exemple, nous demandons qu'un masque soit porté lors de l'application de colorations chimiques. Parallèlement, nous recherchons en permanence de nouveaux produits, moins nocifs, en particulier les colorations végétales. Grâce au centre de formation que nous avons créé, nous avons d'ailleurs pu amener la coloration végétale sur l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Myriam Fauglas . - Nous avons également proposé des formations à la coloration végétale à d'autres salons de coiffure. Quatre autres salons de l'archipel ont ainsi suivi notre formation. Adopter cette nouvelle méthode, c'est à la fois respecter les salariés en minimisant les risques professionnels mais aussi respecter nos clients et l'environnement.

Dans le milieu professionnel de la coiffure, les évolutions de carrière sont rares, car ce sont des métiers peu rémunérés et très majoritairement féminins. À poste équivalent, l'écart moyen de rémunération entre les hommes et les femmes est de 30 %. Avec Cosmét'île , nous veillons à ce que la fiche de poste des employés soit conforme aux missions confiées et que le niveau de rémunération proposé leur permette de vivre de leur travail. Notre objectif est de valoriser les compétences de chaque personne.

Laure Lisabois . - Nous veillons à valoriser l'ensemble des compétences professionnelles : la coiffure bien sûr, mais aussi l'aménagement du salon, la transmission des savoirs, les compétences de communication. Tous ces domaines de compétences sont à prendre en compte pour faire évoluer une carrière.

[Applaudissements.]

Aline BESSIÈRES

Co-Fondatrice et Présidente du Tahiti Women's Forum

(Polynésie française)


« L'entrepreneuriat féminin, levier de cohésion et de progrès social
en Polynésie française »

Madame la Ministre,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs les organisateurs,

Bonsoir et merci pour l'organisation de ce colloque sur l'entrepreneuriat au féminin et d'y associer la Polynésie française.

Je souhaiterais en guise d'introduction compléter quelques éléments chiffrés qui ont été communiqués lors de la première table ronde par Yvette Temauri.

En Polynésie, en moyenne, ce sont environ 2 000 entreprises qui sont créées chaque année, quel que soit le statut juridique, en patenté, ce qui correspond au statut d'auto-entrepreneur en métropole, en statut EURL ou SARL. Sur ces 2 000 entreprises, 45 % d'entre elles sont créées par des femmes. À lui seul, ce dernier chiffre est tout à fait révélateur du dynamisme de l'entrepreneuriat féminin en Polynésie, mais il appelle cependant une double lecture, à mon sens, que je souhaiterais partager avec vous et qui va peut-être générer des questionnements ou des réflexions parmi vous.

Cet entrepreneuriat est d'abord une nécessité économique, mais aussi un levier de performance et de progrès social. En termes de nécessité économique, il faut savoir qu'en Polynésie française, le marché de l'emploi salarié est particulièrement étroit et qu'il n'y a pas de système d'assurance-chômage. De fait, une personne sans emploi ne bénéficie d'aucune aide et n'a pas de revenus. Ce point affecte particulièrement les femmes, et notamment des femmes qui ont été en situation de déscolarisation ou qui sont éloignées de l'emploi depuis un certain temps. Elles n'ont alors d'autre solution que de s'engager dans l'entrepreneuriat.

Ce sont des femmes de quartier, qui ont des responsabilités familiales et qui, par leur démarche et par leur audace pour sortir de leur zone de confort, pour aller parfois au-delà de la pression culturelle qui existe dans leur milieu, vont apporter une cohésion d'abord familiale, puisqu'elles vont générer des revenus complémentaires, voire apporter à elles seules les uniques revenus de la famille. Elles vont aussi être source de cohésion sociale, dans la mesure où leurs activités sont généralement des activités traditionnelles, dans l'alimentation, l'artisanat ou la couture. Ces femmes réinjectent ainsi de l'activité économique dans les quartiers difficiles ou éloignés de l'agglomération de Papeete où résident généralement des familles en situation de précarité. J'insiste de façon assez particulière sur l'importance, pour ces femmes, de réinjecter de l'activité économique qui dans une certaine mesure permet de canaliser certains phénomènes qui sont malheureusement prégnants en Polynésie, tels que la délinquance, la déscolarisation, la drogue et l'alcoolisme.

Yvette Temauri a rappelé que la Polynésie se répartit sur cinq archipels. Le problème majeur pour la Polynésie consiste à maintenir l'activité économique dans les archipels autres que ceux de la Société, et notamment l'île de Tahiti, qui est sursaturée en termes d'urbanisme et de population. Dans les différents archipels, de par leur audace, les femmes reprennent les activités familiales, voire créent aussi leurs propres sources de revenus. Elles vont alors généralement intervenir plutôt dans les secteurs primaires, dans l'artisanat ou dans les activités touristiques. L'enjeu ici consiste à maintenir une activité économique dans les îles éloignées, voire favoriser un retour des femmes, et de fait de leur famille, dans leur île d'origine, de manière aussi à maintenir une forme de cohésion sociale.

Le deuxième commentaire que je souhaitais partager avec vous rejoint de façon plus notoire le sujet de cette table ronde : l'entrepreneuriat au féminin est un levier de progrès social. Les Polynésiennes sont largement engagées dans des projets d'innovation liés aux enjeux majeurs que le Territoire rencontre à l'heure actuelle. Je citerai entre autres les questions liées à l'économie bleue, les problématiques de lutte contre le changement climatique et toutes les questions de résilience autour du changement climatique, les enjeux liés à la gestion des déchets, les problématiques de santé publique lourdes de conséquences pour la Polynésie telles que l'obésité et le diabète, ou l'absence ou la quasi-absence de prise en charge des populations seniors (il n'y a à l'heure actuelle que très peu de structures permettant d'accueillir les personnes âgées). Les Polynésiennes sont également engagées sur des questions alignées avec des problématiques plus métropolitaines, comme l'économie numérique.

Chaque année, PRISM , un incubateur rattaché à la CCISM, accompagne de jeunes porteurs de projets, quel que soit le secteur d'activité. À l'issue de la promotion incubée, ce sont deux à trois femmes qui sont primées. Elles vont avoir la possibilité de développer leur activité, dans des projets particulièrement innovants. À titre d'exemple, je citerai le projet d'une psychologue qui a mis en place Family Psy , une plate-forme accompagnant les familles dans leur quotidien ou la résolution de leurs difficultés relationnelles avec leurs enfants adolescents, via du tutorat ou du coaching en ligne.

Je citerai également, sur la problématique de la gestion des déchets, une entreprise ou plus exactement un commerce, Eco Vrac , dont le nom commence à essaimer sur l'ensemble de l'île de Tahiti, proposant des produits à acheter en l'absence de tout emballage. Le consommateur arrive avec son propre emballage, achète ses aliments et repart en ayant oeuvré à diminuer la problématique de la gestion des déchets sur le territoire.

Je pourrais citer à l'infini d'autres exemples. L'important reste de montrer que l'ensemble de ces femmes, par les projets qu'elles portent ou qu'elles ont déjà mis en action, sont alignées et accompagnent la vision du Pays, en matière de développement économique et social.

Lorsque je me suis installée en Polynésie, en 2015, j'ai été particulièrement frappée par le dynamisme de ces jeunes entrepreneuses, mais j'ai également constaté un manquement. Toutes ces femmes qui souhaitent s'inscrire dans cette démarche et qui sortent des sentiers battus, qui osent prendre des risques, n'étaient pas connectées entre elles. Elles n'avaient aucun espace pour réseauter, échanger des bonnes pratiques, s'accompagner, partager des « boîtes à outils » permettant de développer un business plan ou rechercher des financements, et plus largement s'inscrire dans les problématiques socio-économiques de la Polynésie d'aujourd'hui.

C'est sur la base de ce constat que le Tahiti Women's Forum a été fondé. Cette association est toute jeune : elle a à peine trois ans. Malgré cette jeunesse, elle reçoit le soutien du Fonds Pacifique, de l'Agence française de développement, dans la mesure où elle oeuvre de façon quasiment complète sur la thématique de l'autonomisation des femmes en Polynésie. Sans oublier la vice-présidence de la Polynésie française et les grands acteurs privés du Territoire.

Les moyens d'action développés par l'association sont d'abord un événement annuel, qui va convier l'ensemble des femmes entrepreneuses, porteuses de projets ou en questionnement par rapport à une démarche, pour échanger sur des thématiques particulières liées à l'entrepreneuriat. C'est aussi l'occasion de nouer des liens au niveau local mais aussi régional, dans la mesure où chaque édition accueille des intervenantes du Pacifique insulaire (Nouvelle-Zélande, Australie, Nouvelle Calédonie, ...). Ainsi s'instaure une dynamique orientée vers l'entreprenariat et l'innovation, socle du premier réseau de femmes actives du Pacifique insulaire.

Notre second levier passe par notre intervention dans le milieu de l'enseignement. À mon sens, l'entrepreneuriat nécessite toujours des démarches de sensibilisation. Nous visons ici un public essentiellement composé d'étudiants, pour faire en sorte d'ancrer l'entrepreneuriat dans la conception d'un projet professionnel.

Enfin, le troisième levier consiste à donner des séances de coaching ou de mentoring à ces femmes porteuses de projets, pour pouvoir entrer dans le détail de leur business plan. Pour les femmes déjà installées, et plus particulièrement pour celles qui interviennent dans les quartiers défavorisés, il s'agit de créer une sorte de mixité - je ne dirais peut-être pas sociale ou professionnelle - mais en tout cas de bénéficier de coaching ou de mentoring de la part de femmes cadres dirigeants ou qui ont déjà créé leur entreprise, afin de s'engager dans une dynamique de confiance, en les accompagnant pour sortir des sentiers battus et, dans la mesure du possible, pour rendre leurs projets pérennes. Merci beaucoup !

[Applaudissements.]

Maymounati AHAMADI

Directrice de BGE Mayotte


« Mayotte, terre d'audace où tout demeure innovant »

[Un powerpoint est projeté.]

Mayotte, une île au féminin, une société matriarcale où la femme joue un rôle majeur et déterminant dans les activités éducatives, politiques, sociales et économiques du territoire. La femme a une place reconnue dans la société, mais doit néanmoins prouver au quotidien sa légitimité dans certaines activités. C'est aujourd'hui une autre lutte que les Mahoraises ont entrepris en se battant maintenant pour leur capacité de réflexion et d'action dans tous secteurs confondus.

Mayotte est une terre d'audace où tout demeure innovant ! L'une des caractéristiques audacieuses de la société mahoraise est la tendance des femmes créatrices d'activités. En effet, en 2018, plus de 54 % des entrepreneurs sont des femmes contre 39 % au niveau national. Ce qui veut dire que quasiment six entreprises sur dix sont le fait de femmes, qui créent majoritairement des entreprises individuelles concentrées principalement dans les « activités pour la santé humaine et action sociale » et dans le « commerce de détail ». À l'inverse, les hommes prédominent largement parmi les créateurs d'entreprises dans l'industrie et la construction ainsi que dans les activités scientifiques et techniques.

Pour l'immense majorité de ces femmes, il s'agit d'assurer leur subsistance et celle de leur famille. En effet dans l'économie mahoraise, la situation économique des femmes est particulièrement vulnérable par rapport à celle des hommes.

Les principaux obstacles pour se lancer puis développer leur activité étant la confiance en soi en premier lieu, la prise de risque, des infrastructures inexistantes voire inadaptées au besoin d'un territoire en développement, le manque de formation digitale (en cours grâce au plan formation) et la difficulté pour trouver et mobiliser des financements et accéder aux prêts d'envergure.

En 2018, BGE Mayotte , structure d'accompagnement à la création et au développement des entreprises, a vécu une année riche d'initiatives et d'innovations, mais également chargée de défis.

De par son métier, BGE Mayotte ouvre des perspectives, sécurise le parcours des entrepreneurs et crée des solutions pérennes pour l'emploi et le développement local. Nous continuons à répondre au besoin de nos dirigeants locaux pour une montée en compétence, mais également pour le maintien des entreprises existantes et la création de richesse.

Transmettre les compétences entrepreneuriales, c'est créer de la valeur sur le territoire. En effet, au regard des enjeux de l'internationalisation des entreprises, nous accompagnons nos TPE pour leur permettre de participer au développement de l'emploi et de devenir une vitrine de Mayotte dans le monde. BGE Mayotte poursuit son rôle de leader , à travers la formalisation de partenariats avec des acteurs clés du développement local.

Au-delà de nos réflexions sur notre modèle économique et la recherche de nouveaux publics, nous poursuivons notre engagement pour le développement des agriculteurs locaux. Implantées sur tous le territoire, ces agriculteurs constituent un gisement de richesses et d'emplois. Au-delà des simplifications administratives, il importe de les accompagner dans leur développement. BGE Mayotte met son expérience de plus d'un millier de parcours d'accompagnement sur vingt ans au service de cette mutation.

L'enjeu n'est pas seulement individuel, il est collectif. Alors que la population mahoraise se caractérise par un taux d'emploi plus faible que la moyenne nationale, elle se distingue aussi par sa jeunesse et sa vitalité économique, démontrée chaque année par une hausse soutenue du nombre de création d'entreprises. Les Mahorais peuvent compter sur le travail de BGE pour participer à l'émergence de filières d'avenir et porteuses d'emplois.

De ce constat et grâce au Soutien de l'Union Européenne et de la Délégation Régionale des droits des femmes, est né le Salon de l'entrepreneuriat au féminin. Organisé durant la semaine de l'égalité professionnelle, le salon en était, en 2018, à sa deuxième édition. Il est organisé sous forme de conférences-débats, de témoignages de femmes entrepreneures et d'ateliers pour « innover et faire émerger une start-up », « se développer à l'international » ou sur le « numérique, accélérateur de business ».

Un mot sur le Salon de l'entrepreneuriat au féminin.

Le Salon de l'entrepreneuriat au féminin a pour vocation de faire partager l'expérience des femmes entrepreneurs de par la création, puis par la croissance de leurs entreprises.

Des journées sont totalement dédiées à l'entrepreneuriat au féminin, pour accompagner les femmes dans leurs projets entrepreneuriaux et encourager le partage d'expériences.

Il est l'occasion, pour les participantes :

• de faire avancer leur projet de création ou de développement d'entreprise en échangeant avec les autres créatrices d'activités et réseaux d'accompagnement à la création d'entreprise ;

• de profiter des conseils et retours d'expériences d'entrepreneures, c'est-à-dire entrer dans la réalité de la création et du développement d'entreprise grâce à un certain nombre de grands témoins : entrepreneurs et professionnels de la création d'entreprise et experts, grâce aux conférences dédiées aux échanges débats ;

• de développer le réseau professionnel en rencontrant d'autres entrepreneures et partenaires ;

• de faire partager l'expertise des professionnels de l'accompagnement sur cet esprit d'entreprendre, un écosystème qui a considérablement évolué et changé véritablement la donne pour les entrepreneurs.

À Dembéni et Tsimkoura les 7 et 8 octobre 2017, BGE Mayotte a organisé le premier Salon de l'entreprenariat au féminin. Il a réuni plus de 500 visiteurs, majoritairement des femmes ; quinze stands de femmes entrepreneures, huit témoignages de femmes entrepreneurs et six stands des principaux acteurs de l'écosystème entrepreneurial mahorais.

La deuxième édition du Salon de l'entrepreneuriat au féminin avait pour ambition d'initier à l'internationalisation des compétences et savoir-faire. En ce sens, BGE Mayotte a fait appel à deux start-up venant de l'océan Indien (soit La Réunion et Madagascar), afin de partager leurs expériences dans l'internationalisation de leur entreprise. Les partenaires et acteurs locaux du développement économique ce sont mobilisés massivement afin de transmettre leurs expertises et de donner une chance aux entrepreneures de réussir, et également de sensibiliser les institutions financières qui soutiennent au mieux l'entrepreneuriat de ces femmes mahoraises. Ces institutions se transforment en coach privé le temps de ce salon.

Notre vocation est de faire en sorte que les Mahoraises considèrent l'entreprise comme une forme d'évidence et de nécessité. Et nous sommes en train de gagner cette bataille à travers les chiffres de 2017, qui démontrent que les femmes - qui pendant longtemps ont été écartées, directement ou indirectement, de la possibilité de créer leur propre entreprise - font face en augmentant les actions pouvant contribuer à la diminution du taux de chômage. Nous partons de très loin, mais avançons vite !

Nous estimons que le regard des Mahoraises est en train de se transformer, nous espérons un résultat bien meilleur sur la perception de l'entreprise et de l'innovation de ces femmes. Sur deux jours, des créateurs et dirigeants d'entreprises ont été attendus pour faire le plein de solutions concrètes afin d'accélérer leur projet. Si l'accompagnement des créateurs d'entreprises reste prépondérant, le salon met également l'accent sur le développement des entreprises en leur permettant de « passer ce cap ».

Voici le témoignage d'une femme ayant créé une start-up : « Sans prise de risque, il n'y aurait pas de stylo Bic, de voiture, de téléphone ... Ceux qui ont pris le risque ont transformé notre pays en renforçant la capacité à produire et en créant de la richesse ».

D'autres projets à la suite de ce salon sont en cours, notamment le Club de femmes entrepreneurs calqués sur le model du BGE Club (Club des entrepreneurs de BGE), qui permettra à toutes ces femmes de faire une continuité de ce salon. C'est structurer un réseau grâce au numérique mais également à des rencontres physiques. En effet, ces entrepreneures ont exprimé leur souhait de se rencontrer mensuellement et d'échanger sur divers thématiques pour ne pas se sentir seules, s'isoler dans les difficultés mais plutôt s'entraider pour mieux réussir et surtout de rester connectées.

Nous sensibilisons également les Mahorais à l'excellence au féminin, des portraits d'entrepreneures diffusés sur les réseaux sociaux mais également sur Mayotte 1 ère , surtout durant toute la semaine de l'égalité professionnelle, et rediffusés tout au long de l'année. Le but étant de promouvoir divers secteurs porteurs tel que l'industrie, d'être davantage dans la production et la transformation locale et pourquoi pas l'export, de s'internationaliser. Les femmes mahoraises restent encore assez timides dans l'investissement de société d'envergure, et pourtant elles y ont toute leur place. Les pousser également à penser développement d'activité, embauche, transformation de leur TPE en PME, qu'elles soient ambitieuses en tout temps, quelles que soient les problématiques rencontrées dans leur environnement respectif.

La valorisation de ces femmes se fait également à travers le concours Talent de la création d'entreprise , créé par le Réseau BGE et qui valorise le travail accompli par ces petites structures. À Mayotte, nous y avons intégré le Prix de la femme entrepreneure grâce au soutien de l'État, à travers la Délégation régionale aux droits des femmes.

En conclusion, l'entrepreneuriat féminin à Mayotte est pour BGE Mayotte un exemple pour toutes les femmes que nous sommes. Toutefois, il est essentiel que l'on accompagne ces femmes en facilitant leur accès à la formation et au financement, en développant les infrastructures adaptées aux économies d'échelles et en les sensibilisant à la devise « Je crée mon emploi, mais aussi celui des autres » pour une vision stratégique lointaine leur permettant d'avoir un poids financier sur l'écosystème local.

Il est plus qu'urgent, compte tenu de la composition de notre tissu économique local à Mayotte (95 % des entreprises sont des TPE), de penser à une stratégie de développement de ces entreprises, surtout celles dirigées par des femmes. BGE Mayotte souhaite que les financeurs s'interrogent sur les solutions possibles et, pourquoi pas, incuber dix entreprises créées par des femmes ayant un fort taux de développement, en les poussant à ce que dans trois ou cinq ans ces entreprises deviennent des PME et ainsi, qu'elles puissent au minimum employer 200 personnes en longue durée. Ces femmes ont besoin de soutien et notamment d'un soutien financier, qui pourrait être dégressif par exemple. Les femmes mahoraises n'ont plus à prouver leur dynamisme mais plutôt à consolider et à développer leur activité.

[Applaudissements]

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

Francette Florimond, modératrice

Les témoignages d'aujourd'hui ont été exceptionnels !

Faute de temps, nous ne pouvons prendre que deux questions.

Mirella Dijoux

J'ai vu des femmes qui entreprennent, mais aucun banquier ! Il aurait été utile de convier des banquiers et des financiers à ce colloque.

Francette Florimond

Votre intervention constitue davantage une observation qu'une question. Nous ne sommes effectivement pas des banquières, mais des banquières se lancent aussi dans la création d'entreprises.

Alexia de Saint John's

Je ne sais comment me présenter. Vous avez évoqué les speakerines que l'on voit parfois à la télévision. C'est un point qui m'interroge, quand on découvre de rares journalistes originaires d'outre-mer. Les populations d'outre-mer restent trop souvent invisibles. Cela me peine, de la même manière seules la France hexagonale ou la Corse sont citées quand on nous présente la météo.

Aujourd'hui, je suis très émue de voir toutes ces femmes debout, qui entreprennent et qui réussissent. Il a été question de produits de beauté bio, qui utilisent notamment des bananes. Or le chlordécone 7 ( * ) empoisonne le sol jusqu'à sept générations. Comment est-il possible de faire du bio dans les départements d'outre-mer ?

Shirley Billot

Merci pour votre intervention et votre question. Sachez que toutes les terres n'ont pas été atteintes en Guadeloupe et en Martinique. Celles qui l'ont été sont très surveillées. Ainsi, un planteur qui s'installe doit réaliser des prélèvements pour savoir s'il peut planter telle ou telle espèce. Il ne pourra pas planter de l'igname sur des terres contaminées, mais il pourra en revanche planter de la banane. Les fibres de banane filtrent les polluants. On ne retrouve pas du tout de chlordécone dans les parties aériennes. On n'en retrouve ni dans le tronc, ni dans les feuilles, ni dans les hampes, ni dans la fleur, ni dans la peau, ni dans le fruit. Nous avons mené des recherches pendant cinq ans. Nous avons systématiquement étudié le chlordécone, dont le dosage n'est pas demandé en cosmétique. Ces tests sont publiés sur la page Facebook de Kadalys dès que nous produisons un nouvel extrait. Je tenais à vous rassurer sur ce point.

Francette Florimond

Nous nous sommes interrogés à cet égard dans la rédaction d' InterEntreprises , car ce sujet de contamination des sols est très sérieux. Or notre numéro d'octobre explique précisément ce que vient de dire Shirley. Beaucoup de plantations sont possibles. Il existe des possibilités de reconversion. C'est un sujet important, mais tout n'est pas sombre !

Shirley Billot

Je tiens aussi à rappeler que le chlordécone a été utilisé pour la culture de la pomme de terre. Pourtant, personne ne s'interroge en France sur ce qu'il y a dans la pomme de terre. Dans l'esprit du Français de métropole, nos îles souffrent d'une mauvaise image, car la banane est systématiquement utilisée pour illustrer le problème des pesticides aux Antilles. Même si ce scandale est une réalité, il faut aussi savoir relativiser. Les Antilles ne sont pas les seules concernées. Ce scandale est bien plus grand et on ne prête pas assez d'attention aux autres produits agricoles. Il faudrait appliquer à toutes les filières ce qui s'observe dans les Antilles.

Tara Soultana

Vous m'avez donné une énorme bouffée d'énergie. Ce colloque était très enrichissant et encourageant. Je suis originaire des outre-mer, mais je viens d'une autre île, l'Ile-de-France...

J'ai vécu mon enfance et mon adolescence à Madagascar et mes amis sont actuellement installés à La Réunion. J'ai vécu dans le vivre-ensemble et le respect des autres, de toute origine et religion. Je pense que si tout le monde en métropole agissait comme les habitants d'outre-mer, nous aurions moins de souci !

Je me suis rendue à La Réunion pour écrire un livre, intitulé De Pondichéry à Madagascar , qui parle de migrations, car nous sommes tous des enfants de migrants. Je compte continuer mes voyages dans les DOM-TOM pour rencontrer les populations et poursuivre mon travail d'écrivain.

Francette Florimond

Merci pour votre témoignage.

CLÔTURE

Michel MAGRAS

Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Nous voilà parvenus au terme d'un après-midi d'une grande richesse, qui nous a fait parcourir l'ensemble des territoires ultramarins des trois océans. C'est en soi une performance ! Cette performance, je tiens à l'attribuer aussi à Francette Florimond qui a été notre pilote talentueuse.

Une fois n'est pas coutume, je tiens à formuler quelques coups de coeur personnels. Tout d'abord, le professeur de sciences de la vie et de la terre que je fus, passionné de flore en particulier, a été tout spécialement heureux aujourd'hui de vous écouter, vous toutes Mesdames, qui êtes capables d'aller chercher dans les plantes et les végétaux les parties considérées comme perdues, pour montrer la richesse qu'elles contiennent. Je suis profondément convaincu que l'avenir de l'humanité passe par ce type d'action. C'est bien plus efficace d'aller chercher dans la peau de la banane ou dans l'écorce de l'arbre la richesse qu'elles contiennent et les solutions pour demain, que de militer pour l'écologie sans nécessairement comprendre comment fonctionne tout cela !

Je tiens aussi à formuler un coup de coeur pour Pati, pour ce qu'elle a dit de Saint-Barthélemy. Cela me fait plaisir de voir mon île présentée autrement que par des sujets « bling-bling », que l'on voit sur des chaînes de télévision dont je tairai le nom. Ce qu'elle vous a présenté et ce qu'elle représente à mes yeux, c'est l'authenticité du territoire. Je l'en remercie.

Enfin, je souhaite aller dans le sens de ce qu'a dit Thani Mohamed Soilihi. Je préside cette délégation depuis cinq ans. Agnès Moulin, sa responsable de secrétariat, était déjà administratrice à la commission des Lois quand elle a participé en 2009 à la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer, avec Serge Larcher 8 ( * ) et Éric Doligé 9 ( * ) , mission qui a donné lieu, à l'initiative de son président, à un volumineux rapport du Sénat. Cette mission a ensuite suscité la mise en place d'un comité de suivi, dont Agnès Moulin était bien évidemment l'administratrice.

Cette prémisse est ensuite devenue une délégation du Sénat sous la présidence de Jean-Pierre Bel, alors président du Sénat. Elle est devenue une institution du Sénat, d'abord inscrite dans le règlement du Sénat, puis en 2017 dans la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer 10 ( * ) . De ce fait la délégation ne pourrait être mise en cause que par la loi. Agnès Moulin en a toujours été le « potomitan » 11 ( * ) . Elle part aujourd'hui diriger les ressources humaines du Sénat, mais je sais qu'elle n'oubliera pas notre délégation. Je tiens à la remercier, en votre nom à tous !

La Délégation sénatoriale aux outre-mer, c'est aussi toute une équipe. Tous les sénateurs qui en font partie en sont fiers. Des sénateurs hexagonaux rêvent d'en faire partie eux aussi, pour notre plus grande fierté. Personnellement, je suis satisfait d'avoir eu la chance de piloter cette délégation pendant quelques années. J'arrive à la fin de mon mandat, mais il me reste encore un peu de chemin à parcourir.

Je souhaite aussi dire quelques mots de façon un peu plus formelle. Dans la tradition comme dans la modernité, les femmes sont les coeurs intelligents de nos territoires : sans abandonner la sphère familiale où elles excellent et tiennent la place centrale - et d'ailleurs une place de plus en plus importante puisqu'elles sont cheffes de famille de la très grande majorité des cellules monoparentales -, les femmes ont investi vaillamment et brillamment la sphère publique, en particulier la sphère économique, pour le plus grand profit de nos territoires.

Le florilège de témoignages de cet après-midi illustre magistralement leur capacité à tenir la barre - je préfère employer ce mot, car la barre commande au gouvernail et parce que c'est celui qui tient la barre qui décide du cap, de le conserver ou d'en changer, quand le besoin s'en fait sentir -, leur capacité à inventer, à innover, à construire, et à ouvrir de nouvelles voies pour l'épanouissement de nos territoires.

Je me félicite que nos délégations aient uni leurs volontés pour réaliser l'événement d'aujourd'hui. Ce fut un grand plaisir pour moi.

À un monde en perte de repères où renfermement et intolérance prospèrent, notre rencontre oppose intelligence collective, regards croisés et enrichissement mutuel. Encore une fois aujourd'hui, au travers des talents féminins qui se sont exprimés et incarnent fièrement les tempéraments de nos territoires, notre pays doit s'enorgueillir de ses trésors de diversité. C'est cette représentation du monde que nous entendons défendre et promouvoir. C'est aussi pour cela que notre délégation s'est emparée du sujet crucial de la présence de nos outre-mer sur les ondes publiques et je vous invite à participer à notre consultation en ligne sur ce sujet d'importance.

Merci à toutes et à tous pour cette belle journée de partage !

[Applaudissements]

Je cède la parole à ma collègue Annick Billon.

Annick BILLON,

Présidente de la Délégation aux droits des femmes

Je ne reprendrai pas les propos qui viennent d'être formulés avec brio par mon collègue et que je partage. Je remercie le public, qui est venu nombreux, ainsi que nos intervenantes.

Ces exposés ont été une bouffée d'oxygène. Le Sénat a pour ADN de représenter les territoires : il était aujourd'hui la capitale des collectivités d'outre-mer, puisque vous étiez tous représentés.

Je peux vous dire, Mesdames, qui êtes venues aujourd'hui porter les paroles des outre-mer, que vos territoires sont bien représentés par vos sénateurs, qui vous défendent au quotidien.

Je les remercie de faire vibrer le Sénat de toutes les couleurs et de tous les pastels des outre-mer. Je suis très heureuse d'avoir pu organiser ce colloque avec Michel Magras. Comme tu l'as fait, cher Michel, pour le secrétariat de la Délégation aux outre-mer, je voudrais saluer le travail de celui de la Délégation aux droits des femmes, très apprécié de tous ses membres.

Vous avez évoqué les entreprises, l'innovation ou l'agriculture. Nous avons passé en revue aujourd'hui, grâce à vos témoignages, un grand nombre de sujets. Nous aurions aimé partager encore davantage avec la salle, mais nous avons été contraints par le temps. Merci pour votre participation et pour l'audace dont vous faites preuve! Vous donnez une belle image de ces territoires lointains. Merci aussi aux hommes qui étaient présents aujourd'hui pour vous entendre.

[Applaudissements]

PROGRAMME DU COLLOQUE


* 1 Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire.

* 2 « Mayotte, les combattantes », documentaire de Claire Perdrix projeté le mercredi 21 février 2019 au Palais du Luxembourg.

* 3 http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/53467_1

* 4 Linda Bedouet : « Néo-paysannes, dix femmes engagées témoignent  - Du métro aux récoltes sauvages, rencontre avec dix femmes libres et innovantes » - Rustica , 2019.

* 5 Alphonse Karr, 1808-1890, romancier et journaliste français, auteur notamment de feuilletons parus dans La presse et Le siècle .

* 6 Approuvé par la Commission européenne en 2008, le programme opérationnel « Amazonie » d'intervention communautaire du Fonds européen de développement régional (FEDER) associe à la France deux partenaires : le Brésil et le Suriname.

* 7 Pesticide utilisé pour le traitement des bananiers.

* 8 Ancien sénateur de la Martinique, Serge Larcher présida la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer en 2009 et fut par la suite le premier président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer.

* 9 Ancien sénateur, il fut rapporteur de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer en 2009.

* 10 Loi n o 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ; article 99 (devenu l'article 6 decies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblements parlementaires).

* 11 Expression créole désignant le poteau central d'une construction et, par extension, le soutien ou pilier de la famille, le centre du foyer, généralement la mère.

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