COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

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Audition commune de cadrage épidémiologique et biologique
de la borréliose de Lyme

Pr Benoît Jaulhac, directeur du Centre national de référence des Borrelia,
Mmes Alexandra Septfons et Julie Figoni,
épidémiologistes à Santé publique France,
Pr Céline Cazorla, infectiologue, vice-présidente de la commission spécialisée maladies infectieuses et émergentes
du Haut Conseil de la santé publique,
Mme Muriel Vayssier-Taussat, microbiologiste, cheffe du département « Santé animale » de l'Institut national de recherche agronomique,
M. Pascal Boireau, directeur du laboratoire de santé animale
de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation,
de l'environnement et du travail

M. Alain Milon , président . - Nous démarrons, conformément au programme de travail défini par le bureau de notre commission, un cycle de tables rondes consacrées à la maladie de Lyme. Il n'est pas fréquent que nous nous penchions sur une maladie en particulier et ce cas de figure doit rester exceptionnel. Il ne ressort, en effet, pas de notre rôle de déterminer ce que doit être le diagnostic ou la prise en charge de telle ou telle pathologie. Notre objectif est de comprendre comment se construit le processus de prise en charge, comment se forge le consensus et comment il se diffuse auprès des médecins au bénéfice des patients.

Le cas d'espèce est intéressant puisque, pour la maladie de Lyme, le processus n'a pas totalement abouti. La conférence de consensus de 2006 avait dessiné un premier cadre diagnostique et thérapeutique de cette maladie considérée, à l'époque, comme émergente en France. Depuis, la population des tiques vectrices des souches de la Borrelia a augmenté et l'incidence de la maladie progressé. Dans le même temps, la remise en question de la fiabilité des tests sérologiques et l'insuffisante sensibilisation des professionnels à la prise en charge de cette maladie complexe compliquent son diagnostic.

S'ouvre alors un parcours de soins semé d'obstacles pour des patients dont l'infection n'a pas été détectée ou ne l'a été que tardivement. Face à un risque d'errance diagnostique et thérapeutique, les pouvoirs publics ont décidé de se mobiliser. Le Gouvernement a lancé, fin 2016, un plan national de prévention et de lutte contre la maladie de Lyme et la Haute Autorité de santé (HAS) a réuni un groupe de travail pluridisciplinaire avec l'objectif de réactualiser les lignes directrices du consensus de 2006. Publiée en juin 2018, la recommandation de bonne pratique de la HAS propose un cadre de prise en charge diagnostique et thérapeutique rénové. Elle n'a cependant pas emporté le consensus de la communauté médicale. Certaines questions, dont l'existence éventuelle d'une forme chronique de Lyme et la durée pertinente des traitements antibiotiques, continuent de cristalliser les tensions.

Dans ce contexte, le bureau de notre commission a souhaité approfondir le débat en conviant des spécialistes de ce problème de santé publique autour de quatre tables rondes. La première doit poser un cadrage épidémiologique et biologique de la maladie. La deuxième portera sur les outils d'aide au diagnostic. La troisième se penchera sur la stratégie thérapeutique et la quatrième nous permettra de faire le point sur les enseignements tirés de ces rencontres avec les représentants des autorités sanitaires, en présence d'un membre de l'équivalent britannique de la HAS. Au risque de décevoir, nous n'avons pas vocation à trancher : nous ne sommes pas les arbitres d'une controverse scientifique et médicale. Nous n'avons pas davantage de parti pris : la constitution des tables rondes est le produit d'une volonté d'équilibre, mais aussi de la disponibilité des uns et des autres. Nous souhaitons simplement comprendre, avec un objectif partagé : l'intérêt du patient et sa confiance dans le système de santé alors que cette dernière n'est plus forcément évidente.

Pour dresser un état des lieux épidémiologique et nous éclairer sur les caractéristiques biologiques de la transmission de cette pathologie, nous accueillons le professeur Benoît Jaulhac, directeur du centre national de référence (CNR) des Borrelia , la professeure Céline Cazorla, infectiologue et vice-présidente de la commission spécialisée maladies infectieuses et émergentes du Haut Conseil de la santé publique, Mmes Alexandra Septfons et Julie Figoni, épidémiologistes à Santé publique France, Mme Muriel Vayssier Taussat, microbiologiste et cheffe de département à l'Institut national de recherche agronomique (INRA) et M. Pascal Boireau, directeur de laboratoire à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

M. Benoît Jaulhac, professeur, directeur du Centre national de référence (CNR) des Borrelia . - Je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter les aspects microbiologiques de la borréliose de Lyme. Le CNR des Borrelia , créé en 2002 et localisé à l'Institut Pasteur à Paris avant de s'établir à Strasbourg, exerce différentes missions, notamment la surveillance vectorielle. À ce titre, nous avons analysé plus de 23 000 tiques entre 2002 et 2011, puis, depuis 2012, plus de 17 000 nymphes, stade auquel l'animal transmet la pathologie à l'homme, en provenance de dix-sept départements français. Nos travaux ont montré une hétérogénéité géographique de la densité des tiques, avec un maximum dans la Meuse et un minimum dans les Landes, et une hétérogénéité saisonnière, avec un pic lors des mois de mai et de juin. Nous n'avons, en revanche, pas observé de tendance statistiquement significative à la hausse ou à la baisse sur les sites suivis sur la période. Une méta-analyse européenne réalisée dans vingt-trois pays, publiée il y a deux ans, montre également une stabilité du phénomène entre 2002 et 2013. Le taux d'infection des nymphes par une Borrelia varie entre 4 % et 20 % selon les régions françaises, avec une moyenne de 10 % environ sur le territoire national.

Le CNR surveille également l'infection par Anaplasma , un autre agent pathogène transmis par les tiques. Le taux d'infection des nymphes à cette bactérie s'établit à 1 % en moyenne en France, avec une variation entre 0 % et 2 % selon les régions. S'agissant des espèces de Borrelia , nous suivons particulièrement les régions Alsace et Bretagne, le Nord de la France étant davantage infesté que le Sud. Par ordre décroissant, les espèces détectées sur le territoire national sont les Borrelia afzelii , garinii , burgdorferi stricto sensu , lusitaniae et valaisiana . Les deux premières sont prédominantes dans les tiques surveillées ; elles sont responsables de 50 % à 70 % des cas de borréliose de Lyme en France. Dans les vingt-trois pays européens ayant fait l'objet de la méta-analyse précitée, cette proportion est en moyenne supérieure à 70 %, hormis dans les pays de la péninsule ibérique. Plusieurs Borrelia peuvent être simultanément observées dans une tique. Depuis quelques années, une espèce initialement isolée au Japon, la Borrelia miyamotoi , est observée dans environ 2 % des tiques en France comme en Europe, avec une variation entre 1,2 % et 3,7 %.

Le CNR a mis en place à un réseau de surveillance, par des cliniciens, des différentes espèces de Borrelia chez l'homme. Les prélèvements, analysés avec le consentement du patient, proviennent de biopsies réalisées dans le cadre du diagnostic ou du protocole de soins ou des liquides de ponctions articulaires. Sur les 2 200 prélèvements humains ainsi analysés, 221 étaient positifs. La majorité d'entre eux sont des prélèvements de la lésion, qui représente la porte d'entrée des bactéries ou des virus inoculés par la tique lors de sa piqûre. Cette étude nous permet de mieux connaître les micro-organismes injectés par la tique et capables de s'implanter chez l'homme. Il est apparu que 70 % des 221 échantillons positifs l'étaient à la Borrelia afzelii , 16 % à la Borrelia burgdorferi stricto sensu et 12 % à la Borrelia garinii . Aucun échantillon humain n'a, à ce jour, concerné une autre espèce. Les autres CNR européens - notre CNR travaille en collège au sein d'une société savante européenne - obtiennent des résultats identiques : les trois espèces précitées représentent la majorité des agents pathogènes isolés par culture ou par biologie moléculaire chez l'homme. Notez que la Borrelia valaisiana identifiée par les Suisses, présente dans 10 % à 15 % des tiques, n'a été détectée dans aucun prélèvement humain depuis plus de quinze ans en Europe.

Nous avons également étudié des cas de co-infection humaine par certains de ces agents pathogènes. Depuis 2012, un seul cas de co-infection par deux espèces de Borrelia a été observé, ainsi qu'un cas impliquant une Borrelia et le tick born encephalitis virus ou virus TBE et un cas de co-infection avec Borrelia et Anaplasma. Nos collègues européens obtiennent des résultats similaires et, aux États-Unis, où le virus TBE n'existe pas, des cas de co-infection par la Borrelia valaisiana ont été rapportés.

Mme Julie Figoni, épidémiologiste à Santé publique France. - Santé publique France est notamment en charge de la surveillance de l'état de santé des populations. À ce titre, notre agence pilote la surveillance de la borréliose de Lyme en lien avec le réseau Sentinelle, placé sous la tutelle de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et le CNR. Nous participons également au développement de la prévention, via notamment l'élaboration d'outils à destination de différents publics. Par ailleurs, l'agence est impliquée, depuis 2016, dans la réalisation des objectifs définis par le plan national de lutte contre la borréliose de Lyme et les maladies transmises par les tiques.

Mme Alexandra Septfons, épidémiologiste à Santé publique France . - La borréliose de Lyme représente la principale infection transmise par les tiques, en France comme en Europe. Sa principale manifestation clinique, l'érythème migrant, est cutanée. Plus rarement, l'agent pathogène à l'origine de l'infection peut provoquer des formes disséminées plus sévères, incluant des manifestations neurologiques, articulaires et, dans une moindre mesure, cardiaques et ophtalmiques.

Le système de surveillance épidémiologique que nous pilotons depuis 2009 repose sur des médecins généralistes volontaires de France métropolitaine, qui déclarent le nombre de patients vus en consultation pour une borréliose de Lyme. Le nombre total de personnes ayant consulté en médecine générale pour cette pathologie est ensuite estimé par extrapolation. Des définitions standardisées et reconnue internationalement sont utilisées dans le cadre de la surveillance. Le système permet des estimations fiables : depuis 2009, le nombre de cas a varié de 25 000 à 55 000 selon les années ; il s'est établi à 45 000 en 2017. En épidémiologie, nous calculons un taux d'incidence, c'est-à-dire le nombre de cas rapportés à la population, permettant d'effectuer des comparaisons géographiques et temporelles. Ainsi, nous observons, depuis 2009, une fluctuation des incidences annuelles, dont une augmentation en 2016 qui ne s'est pas reproduite en 2017, sans tendance à la hausse sur la période.

Parmi les patients diagnostiqués par les médecins généralistes, 95 % présentent un érythème migrant et 5 % des formes disséminées. Pour les patients appartenant à cette seconde catégorie qui ne consultent pas un médecin généraliste en première intention, nous avons mis en place une surveillance des cas hospitalisés basée sur les données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI). Les données stables et exhaustives ainsi fournies permettent d'estimer les variations géographiques et temporelles des hospitalisations pour borréliose. Depuis 2005, 800 patients sont, en moyenne, hospitalisés chaque année, pour des manifestations neurologiques comme pour les consultations de médecine générale. L'incidence des hospitalisations pour borréliose varie chaque année, mais sans que ne puisse être observée une tendance statistiquement significative à la hausse ou à la baisse. Les groupes d'âge les plus fréquemment touchés sont les enfants âgés de 5 à 10 ans et les personnes de plus 60 ans. Par ailleurs, les cas sont souvent diagnostiqués entre les mois d'avril et d'octobre, correspondant à la période d'activité de la tique et de fréquentation plus importante des forêts. En termes de répartition géographique, les résultats montrent une forte hétérogénéité : certaines zones comme l'Alsace, la Lorraine, le Limousin et l'ancienne région Rhône-Alpes affichent les taux d'incidence élevés, tandis que les territoires bénéficiant d'un climat méditerranéen semblent moins touchés. En effet, la végétation, le climat et la faune influent sur la densité de tiques et sur leur taux d'infection. La borréliose de Lyme n'a jamais été documentée en Outre-mer, les conditions climatiques étant peu propices aux vecteurs de la maladie. Les variations géographiques ont été confirmées par l'enquête nationale Baromètre santé de 2016. Pilotée par Santé publique France, elle aborde les comportements, opinions et perceptions en matière de santé. En 2016, 4 % de la population française ont été piqués par une tique dans les douze derniers mois, cette proportion étant plus élevée dans les régions de haute ou de moyenne incidence. Ce résultat ne reflète toutefois que l'exposition aux piqûres de tiques, indépendamment du nombre de cas de borréliose. En effet, après une piqûre, le risque de borréliose est inférieur à 5 %, même en zone de forte endémie.

Selon cette enquête, seule la moitié des personnes procède à la recherche et au retrait de tiques après une exposition à risque, comme une promenade en forêt. Or, il s'agit d'un moyen de prévention essentiel. Il apparait donc nécessaire de renforcer l'information, comme le prévoit le plan national lancé en 2016. Dans les pays européens frontaliers, la surveillance de la borréliose repose sur le même type de méthodes basées sur des réseaux de médecins sentinelles. Les taux d'incidence en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse apparaissent proches de nos estimations pour les régions françaises limitrophes. Si notre système de surveillance ne capte pas les malades qui n'ont pas recours au système de soins ou qui se trouvent en errance diagnostique, il permet néanmoins de dresser chaque année un état épidémiologique de la borréliose et d'en suivre les tendances dans le temps et l'espace. Avec 45 000 cas recensés en 2017, la borréliose de Lyme demeure la maladie transmise par les tiques la plus fréquente en France, avec une répartition géographique hétérogène. Malgré l'augmentation du nombre de cas constatée en 2016, aucune augmentation significative et persistante de maladie ne peut être établie.

Mme Céline Cazorla, professeur, infectiologue, vice-présidente de la commission spécialisée maladies infectieuses et émergentes du Haut Conseil de la santé publique . - En 2009, le Haut Conseil de la santé publique a travaillé sur la prévention de la borréliose de Lyme. Son avis, hélas, n'a pas eu une diffusion aussi importante qu'espéré. Avec l'émergence de la problématique au sein de la population, il nous a été demandé, en 2014, de travailler à une nouvelle étude en nous appuyant sur la littérature existante concernant la prévention, le diagnostic et la prise en charge des patients qui souffrent de symptômes après une piqûre de tique. En 2016, année où la HAS a établi un plan national pour la borréliose de Lyme, le Haut Conseil s'est penché sur les risques de transmission de la maladie par la voie materno-foetale ou via les produits sanguins, les dons d'organes et l'allaitement. Notre avis a dû être réactualisé l'année suivante, à la suite de la publication d'un article faisant état d'une transmission de la maladie par les produits sanguins chez la souris immunodéprimée. Une telle transmission n'a jamais été prouvée chez l'homme.

Comme médecin clinicienne au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne, je reçois régulièrement des patients adressés pour une suspicion de borréliose de Lyme, car atteints d'un érythème migrant. Très souvent, ils n'ont pas connaissance d'avoir été piqués par une tique. De fait, une nymphe de quelques millimètres peut s'avérer très virulente et, une fois suffisamment nourrie, elle tombe. Il est également possible d'être malade sans développer d'érythème migrant, ce qui peut compliquer le diagnostic. Si les manifestations neurologiques peuvent aisément être identifiées par le patient, les symptomatologies articulaires paraissent moins évidemment consécutives de la maladie.

Mme Muriel Vayssier-Taussat, microbiologiste, cheffe du département « Santé animale » de l'Institut national de recherche agronomique (INRA) . - L'INRA réalise des travaux de recherche sur les tiques, sur les maladies qu'elles transmettent et sur les agents pathogènes qui y sont associés. Nous avons publié, en 2018, un fascicule récapitulatif de nos publications. Nous travaillons plus particulièrement sur les tiques pour identifier les espèces présentes dans les différentes forêts et pour surveiller l'évolution de leur densité en fonction de la faune et du climat. Nous avons également un projet de science participative : les citoyens sont invités à récolter les tiques et à les signaler via une application ou les envoyer à un laboratoire dédié. Nous travaillons également sur les agents pathogènes transmis par les tiques : bactéries, virus et parasites, tous des véhicules potentiels de maladie pour l'homme ou les animaux. Selon nos études, 50 % des tiques sont, en France, infectées par un agent pathogène et la moitié le sont par plusieurs agents.

Le projet OH ! Ticks, que je coordonne, a pour objectif d'étudier les symptômes des patients piqués par une tique pour identifier les agents, connus ou non, véhiculés par l'animal. Nous avons, en effet, d'une part des tiques infectées par des agents pathogènes et, d'autre part, des personnes pensant être malades après une piqûre, dont certaines demeurent séronégatives pour la maladie de Lyme et se trouvent alors en errance thérapeutique. Le projet, lancé en 2017 pour quatre ans, est au stade pilote : dans un premier temps, une centaine de patients seulement sera analysée. Il implique des équipes de l'INRA, des hôpitaux de Saint-Étienne, Besançon, Garches et Saint-Antoine à Paris, et de l'Institut Pasteur. Nous espérons, d'ici 2021, obtenir des résultats qui mettront en évidence des agents pathogènes impliqués dans l'apparition des symptômes chez des malades piqués par des tiques. L'objectif est ensuite d'améliorer le diagnostic en proposant de nouveaux outils.

M. Pascal Boireau, directeur du laboratoire de santé animale de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) . - Pourquoi le laboratoire de santé animale de l'Anses s'est-il impliqué sur les maladies transmises par les tiques ? La réponse est simple : les tiques représentent les premiers vecteurs en matière d'infectiologie animale. Elles constituent un intermédiaire privilégié des agents zoonotiques, c'est-à-dire des agents pathogènes que l'homme partage avec les vertébrés de la faune sauvage.

L'Anses assure des missions de veille, d'expertise et de recherche sur la santé humaine, la santé animale et l'environnement. Elle délivre également des autorisations de mise sur le marché pour les pesticides, les biocides et les médicaments vétérinaires. Enfin, elle coordonne neuf laboratoires, dont le laboratoire de santé animale et le laboratoire de la faune sauvage basé à Nancy. Une mission d'expertise sur les vecteurs existe depuis 2018. Un avis récemment rendu porte sur le rapport commis par le Congrès américain sur la maladie de Lyme. Il en ressort que la réponse aux maladies et agents pathogènes transmis par les tiques nécessite une approche globale en matière de recherche et développement. Comme en France, la surveillance des tiques aux États-Unis n'est cependant pas formalisée au niveau national.

Le laboratoire de santé animale de l'Anses constitue le premier laboratoire d'infectiologie créé en Europe pour lutter contre les maladies du troupeau. Les tiques ont été identifiées à la fin des années 1990 comme vecteur principal de maladies animales pluri-espèces, dans un contexte de réduction de la biodiversité qui influe considérablement sur la transmission d'agents pathogènes. L'expansion des cervidés en France contribue également au développement des tiques. Notre laboratoire développe, en partenariat avec l'INRA et l'école nationale vétérinaire d'Alfort, des outils de surveillance des agents pathogènes Nous travaillons également sur l'interface entre la tique et son hôte, afin de développer une approche vaccinale. Il convient, à cet effet, de comprendre l'interaction des agents pathogènes et des agents symbiotiques à l'intérieur de la tique. Notre laboratoire participe enfin au projet de science citoyenne précédemment évoqué. L'harmonisation de la collecte des tiques et leur détection représentent effectivement un enjeu important. Il y a également urgence à mettre en place un dispositif de surveillance national avec des cartes à risque et de renforcer le soutien financier à la recherche et au développement sur les maladies transmises par les tiques.

Mme Élisabeth Doineau . - Je vous remercie pour la qualité de vos exposés. Il est vrai que notre démarche peut interpeller, mais nous sommes souvent interrogés par des concitoyens, des médecins ou des associations sur la prise en charge de la borréliose de Lyme. Il ne nous revient évidemment de décider à la place des experts. Nous souhaitons comprendre les enjeux de cette maladie et connaitre les bactéries responsables des infections. Elles semblent, d'après vos travaux, différer d'une région à l'autre. Vous avez également évoqué les pays européens ; des comparaisons avec les États-Unis ont-elles aussi été réalisées ? En France, le nombre de cas a augmenté jusqu'en 2016, puis s'est stabilisé. Est-ce, selon vous, grâce aux actions de prévention menées, notamment à la campagne de sensibilisation lancée en 2017 ? Le Center for disease control and prevention (CDC), l'agence sanitaire américaine, a estimé à 300 000 le nombre de cas annuels aux États-Unis en recoupant les résultats des tests biologiques et les examens cliniques effectués par les médecins. Un tel recensement serait-il possible en France ? Existe-t-il, par ailleurs, un registre de suivi des cas confirmés de maladie de Lyme ? Est-il, à défaut, prévu de le créer dans le cadre du plan national de lutte contre la maladie lancé par la HAS ? L'INRA a développé une application de signalement des tiques. Est-il, sur son fondement, possible de prédire les zones présentant le plus grand risque d'infection selon les périodes de l'année ?

M. Benoît Jaulhac . - Les mêmes espèces de Borrelia se retrouvent sur l'ensemble du territoire français, mais l'importance de chacune varie selon les régions. Trois espèces - les Borrelia afzelii , garinii et burgdorferi stricto sensu - ont été identifiées dans la quasi-totalité des 221 prélèvements humains réalisés ces dix dernières années. La moins fréquemment observée, la Borrelia burgdorferi stricto sensu , est davantage impliquée dans la survenue d'arthrite. Les bactéries semblent donc posséder un tropisme pour certaines pathologies. Aux États-Unis, la principale espèce est la Borrelia burgdorferi stricto sensu . Dans une unique région du territoire américain, la Borrelia mayonii a été détectée. Les CNR européens n'en ont, à ce jour, trouvé aucune trace.

Mme Alexandra Septfons . - Grâce au réseau Sentinelle, nous disposons de données fiables permettant de comparer les incidences d'une année à l'autre. Hormis le pic observé en 2016, lié peut-être à une modification de l'écologie des tiques ou au climat, l'incidence de la maladie de Lyme est demeurée stable en France entre 2001 et 2017. Dès lors, il semble difficile de considérer que les mesures de prévention ont eu un impact véritable. La nouvelle enquête Baromètre santé de 2019 comprend néanmoins des questions sur les pratiques de prévention et sur l'information relative à la maladie de Lyme. Il sera intéressant de comparer ses résultats à ceux de 2009 pour constater ou non une amélioration de la sensibilisation du public sur les risques induits par les piqûres de tiques.

Mme Julie Figoni . - Les outils de la surveillance sont nombreux, parmi lesquels des registres de suivi de la borréliose et des cartes d'incidence de la maladie de Lyme. Ces dernières sont élaborées par territoire ; le réseau Sentinelle publie des données régionales : elles sont à prendre avec précaution car elles manquent de précision, néanmoins elles fournissent une bonne indication sur les tendances dans le temps, qui sont stables. Les études de surveillance menées en Alsace ou en Bourgogne-Franche-Comté confirment les ordres de grandeur. Elles sont consultables sur le site de Santé publique France.

Mme Muriel Vayssier-Taussat . - Un bilan des signalements de tiques est opéré tous les trois mois. Les signalements sont plus nombreux au printemps et à l'automne, on le sait depuis longtemps, mais les bilans nous ont aussi appris, par exemple, que le risque de piqûre n'est pas limité à la forêt, car 30 % des personnes qui effectuent un signalement ont été piquées dans leur jardin.

Les tiques peuvent être envoyées en laboratoire pour analyse par les particuliers. Celles qui sont employées pour la détection des agents pathogènes sont récoltées en forêt : elles ne sont pas attachés aux animaux ni aux hommes mais sont dites « à l'affût » dans la nature, et elles révèlent une moindre prévalence d'agents pathogènes que celles envoyées pour analyse par les personnes privées. On essaie de comprendre pourquoi. Une hypothèse est que plus la tique est infectée, plus elle est agressive. Il y a d'autres hypothèses, que nous étudions actuellement.

Nous sommes en relation avec des laboratoires aux Pays-Bas, pays qui dispose comme le nôtre d'une application (elles sont rares en Europe). Nous cherchons à améliorer mutuellement nos systèmes. Nous avons également été contactés par la Norvège, la Russie, qui souhaitent mettre en place de tels outils.

M. Pascal Boireau . - Le groupe vecteur l'a souligné lorsqu'il a analysé le document américain sur le plan Lyme : le recensement, la cartographie sont lacunaires -en France aussi. Un projet européen a soutenu la recherche sur la diffusion en Europe des virus transmis par les tiques. Quelques mots des résultats : l'analyse a été menée non sur une carte mais sur une ligne qui vient de Suède, traverse la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, jusqu'en France... Elle traverse plusieurs écosystèmes et zones climatiques - on peut ensuite extrapoler. L'étude a permis d'analyser un nouveau virus, présent sur 0,5 % des tiques de cette ligne. Elle a été menée en partenariat par un laboratoire et l'INRA, l'École vétérinaire, l'Institut Pasteur ; elle a montré qu'il y a un passage vers les souris avec un tropisme au niveau cérébral. La vectorisation des virus n'est pas impossible : elle nécessite une investigation approfondie.

Mme Élisabeth Doineau . - Nous avons tout à apprendre des pays qui ont été touchés avant nous par la borréliose. Il importe de développer nos échanges notamment avec les pays du nord de l'Europe, où les systèmes de prévention fonctionnent très bien. En Suède, il existe ainsi un document disponible sur les vaccinations.

Mme Corinne Imbert . - La moitié des tiques sont multi-infectées, avez-vous dit, et trois espèces principalement induisent une pathologie humaine. Plus précisément, quel est le pourcentage de présence de la souche porteuse de la maladie de Lyme dans la population globale des tiques ? Quelle est la probabilité de co-infections ? La borréliose de Lyme est-elle la plus fréquemment transmise à l'homme ?

Écarte-t-on aujourd'hui la transmission par d'autres vecteurs, puces ou taons, transfusion sanguine, transmission de la mère au foetus, transmission par voie sexuelle ? Enfin, quelle est la spécificité du travail du CNR par rapport à celui conduit par l'INRA ?

M. Yves Daudigny . - Le réchauffement climatique, les hivers plus cléments, expliquent-ils l'augmentation des populations de tiques porteuses de Lyme ? De nouvelles espèces de tiques porteuses, de nouvelles souches de la borréliose peuvent-elles être introduites par des oiseaux migrateurs ?

La Borrelia miyamotoi a été découverte au Japon. Au Canada, où une étude a été menée, une chercheuse indique que cette bactérie se développe de façon exponentielle. Elle se transmet de la mère au petit chez les animaux : y a-t-il un risque pour l'homme ?

Est-il scientifiquement prouvé que le risque est proportionnel à la durée du contact entre la tique et la peau ? Si la tique est retirée avant vingt-quatre heures, le risque de transmission est-il nul ?

Mme Brigitte Micouleau . - Beaucoup de critiques ont été émises au sujet des tests : Elisa serait inefficace, dit-on, le résultat de ce test pourrait être négatif même en présence de symptômes d'infection. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les piqûres de tique sont le vecteur numéro un d'autres maladies infectieuses. J'ai retiré ce week-end des tiques sur le museau de mes chiens... Les tiques qui provoquent la piroplasmose sont-elles les mêmes que celles qui provoquent la maladie de Lyme ?

Mme Julie Figoni . - Les études menées dans les pays scandinaves révèlent un nombre croissant de cas de borréliose de Lyme. Sur le continent américain, on constate la même évolution au nord. Notons que la densité des tiques est plutôt stable, chez nous, dans les sites surveillés par le CNR. Dans le bassin méditerranéen, plus chaud et sec, on recense beaucoup moins de cas que dans le reste de la France.

Mme Muriel Vayssier-Taussat . - Il n'est pas certain que le pourcentage de tiques infectées ait grand sens. Dans la forêt de Sénart, on a récolté des tiques tous les mois pendant cinq ans et analysé les agents pathogènes véhiculés. Le résultat change d'un mois sur l'autre, d'une année sur l'autre, et l'on observe dans la forêt de Clermont-Ferrand la même variation, liée également aux animaux présents, au type de végétation, aux phénomènes climatiques...

On ne dispose pas de données sur la probabilité de transmission par les tiques de plusieurs agents pathogènes. Le projet OH ! Ticks nous fournira ce genre d'informations. Quant à la transmission par d'autres vecteurs, en Europe on ne connaît que l'ixodes ricinus qui transmette certaines espèces de Borrelia . Des études seraient nécessaires pour répondre à la question - car détecter un microbe dans un vecteur ne suffit pas pour conclure que celui-ci le transmettra, il faut que l'arthropode soit capable de le transmettre.

Le réchauffement climatique n'explique pas tout. Il y a en revanche de plus en plus de surfaces de forêt en Europe, et de plus en plus de cervidés, le garde-manger des tiques !

Il a été montré que le risque de transmission augmente avec la durée d'attachement de la tique, mais le risque n'est jamais nul, quelle que soit la durée.

M. Pascal Boireau . - Le laboratoire a surveillé pendant trente ans la piroplasmose équine, proche de la piroplasmose du chien. Avant le milieu des années quatre-vingt, on ne la trouvait pas au nord de la Loire, mais depuis, le bassin normand est atteint.

C'est une maladie équine majeure, transmise par les mêmes tiques qui peuvent transmettre d'autres agents pathogènes zoonotiques qui passent des vertébrés à l'homme.

Le réchauffement climatique intervient de façon complexe ; il a un impact sur les végétaux, donc sur la forêt, qui devient de plus en plus propice à la multiplication des cervidés. L'empereur du Japon au début du siècle dernier avait offert à la France des cerfs qui ont été placés dans un parc dans l'est du pays. Ils étaient porteurs d'un parasite que l'on retrouve aujourd'hui à l'ouest. Les cervidés se déplacent... Leur population a rien moins que décuplé depuis les années soixante-dix ! Cette densité est favorable à la propagation des tiques et à l'amplification locale.

M. Benoît Jaulhac . - La nature du sol, également, influe sur la désagrégation des feuilles d'arbre, l'humidité, donc la population des tiques. Le phénomène climatique est effectivement complexe, les facteurs nombreux - il n'y a pas seulement la température ou la présence des animaux.

La Borrelia miyamotoi qui se développe au Canada est responsable d'un autre type manifestation clinique que la borréliose de Lyme : l'agent de fièvre récurrente a été décrit par exemple en Russie ; on a observé ponctuellement des cas d'attaques neurologiques sévères sur des patients immuno-déprimés. Le CNR surveille cela chez les patients qui développent une fièvre après une piqûre de tique. L'intérêt de notre travail est aussi de corréler ce qui se passe dans la tique et ce qui se passe chez le patient, en fonction de la zone géographique de piqûre. Sur 575 patients qui ont eu une fièvre après piqûre de tique, aucune ne provenait de la Borrelia miyamotoi mais il convient de rester vigilant.

Mme Céline Cazorla . - Le Haut Conseil de la santé publique s'est penché à deux reprises sur la question, à propos des produits sanguins. S'agissant de la transmission mère-enfant, dès lors qu'elle a été observée chez les animaux, elle pourrait se produire chez les humains. Avant 1990, il n'y avait pas véritablement d'étude, la Borrelia a du reste été découverte seulement dans les années soixante-dix. Des cas étaient observés, depuis la fin du XIX e siècle, mais on ne parvenait pas à dire qu'il s'agissait d'une même maladie... C'est qu'elle est complexe du point de vue des symptômes. On a détecté la présence de Borrelia dans un foetus présentant une malformation cardiaque, la mère étant infectée par une Borrelia . On a alors pensé à la possibilité de transmission materno-foetale, avec des répercussions pouvant aller jusqu'à l'avortement. On a retrouvé parfois des traces de la bactérie dans des tissus - mais il faudrait d'autres signes, infection en particulier ; et entre différents agents bactériens présents, comment dire lequel est responsable des problèmes survenus ?

Des études séro-épidémiologiques ont ensuite été menées aux États-Unis, dans des régions de forte infestation par la Borrelia , or on n'a pas mis en évidence un lien entre la présence de celle-ci et les problèmes de santé foetale, qui ne sont pas plus nombreux qu'ailleurs. Bien entendu, le principe de précaution s'impose et une femme enceinte doit être traitée convenablement si elle développe la maladie de Lyme. Le seul cas avéré de transmission est celui d'une femme qui n'a pas été traitée pour la maladie, contractée en fin de grossesse. S'agissant du lait maternel, aucun résultat n'a été dégagé. Quant aux produits sanguins, la plus lointaine étude, sujette à caution, concernait un don de sang de personne à personne, spontané, en Afrique, qui avait entraîné des fièvres récurrentes. Tous les établissements de transfusion se penchent régulièrement sur la question -ils sont très précautionneux, depuis 1985... Dans l'entretien préalable, on demande toujours aux donneurs s'ils ont été piqués par une tique dans le mois précédent. Un diagnostic de Borrelia , un érythème migrant, sont des contre-indications au don de sang. On n'a pas relevé de cas de transmission par transfusion.

Tous les travaux sont effectués sur les animaux, en particulier les souris, car les tiques aiment aussi les rongeurs. La souris est un hôte favorisant, peut-être, pour la Borrelia . Il faut préciser que les souris sont « trafiquées » pour les expériences, immuno-déprimées, car on veut être certain de la réponse lorsqu'on leur inocule la bactérie... De même les produits sanguins chez l'animal ne sont pas étudiés avec les mêmes moyens de conservation et de protection que l'on utilise pour le sang humain, parfois conservé longtemps avant d'être donné. Il faut donc toujours considérer avec un bémol les résultats des études chez l'animal. La dernière fois que l'on nous a demandé de réactualiser nos recherches, c'est au vu d'une étude sur la Borrelia miyamotoi chez la souris, car on avait utilisé les produits sanguins selon les standards appliqués aux humains, ou presque. Mais l'étude ne concerne que la souris : la transmission à l'homme par transfusion n'a jamais été montrée, sans doute en raison du tri rigoureux opéré avant le don du sang.

M. Benoît Jaulhac . - Une précision : les établissements sanguins contactent le CNR pour analyser le reliquat qu'ils conservent systématiquement pour pouvoir comprendre ce qui se passe après transfusion. Or nous n'avons jamais mis en évidence la présence de Borrelia ni de fièvres récurrentes dans ces stocks.

Mme Victoire Jasmin . - Des travaux ont été menés par l'INRA et les chambres d'agriculture sur les tiques sénégalaises, dans le passé, sur les cheptels de bovins. Les tests à l'époque n'étaient pas suffisamment pertinents pour le diagnostic biologique. Les prélèvements étaient envoyés au centre de référence. Selon les médecins, certains recherchaient, d'autres non, la borréliose. En raison de la diversité d'agents menant aux mêmes symptômes, le diagnostic ne s'orientait pas forcément vers la borréliose de Lyme. Aujourd'hui, les tests sont sans doute plus pertinents. Avez-vous fait des recherches sur ce point ?

M. Daniel Chasseing . - J'ai compris pourquoi, dans le Limousin, il y a beaucoup de tiques, car c'est une région très boisée qui abrite beaucoup de cervidés...

Si l'on voit des rougeurs, un érythème migrant, ou une tique, on prescrit un traitement. Mais dans la phase secondaire, un infectiologue et un rhumatologue auront des avis différents sur le choix de traiter ou non. Quelle est la fiabilité des tests diagnostics, Elisa ou autre ? Dans le doute, car il n'y a pas forcément d'érythème, ne faut-il pas traiter largement, les femmes enceintes notamment, par des antibiotiques.

Mme Michelle Gréaume . - Quelles sont les conséquences d'une maladie de Lyme non traitée, car on entend parler de paralysie, de démence ? Pourquoi le collège national des généralistes enseignants a-t-il recommandé aux médecins de ne pas tenir compte des instructions officielles dans le traitement de la maladie de Lyme ?

M. Michel Amiel . - Existe-t-il d'autres facteurs de gravité des formes disséminées de la maladie, à côté de l'immuno-déficience, en fonction du type de borréliose et des autres facteurs épidémiologiques ?

Dans mon cabinet, situé dans le Midi méditerranéen, j'ai vu des rickettsioses, des fièvres boutonneuses méditerranéennes, mais jamais je n'ai vu un cas de Borrelia ... ou alors je suis passé à côté !

Mme Laurence Cohen . - Les départements ne sont pas toujours armés pour répondre aux interrogations sur la maladie de Lyme. Dans vos recherches très pointues, vous avez sans doute analysé la fiabilité des tests : les associations nous interrogent sur ces questions... Quelles mesures de prévention adopter ? Faut-il ne jamais se promener en forêt, ne jamais descendre dans son jardin ?

M. Benoît Jaulhac . - Les tiques sénégalaises sont une autre espèce d'ornithodore. Elles ne transmettent pas la Borrelia - mais les fièvres récurrentes, oui. Des personnes sont revenues du Sénégal avec une forte fièvre. Il convient de sensibiliser les médecins : toutes les tiques ne sont pas identiques, toutes les Borrelia non plus et il n'y a pas lieu de se focaliser sur l'une d'elles en particulier.

Pour les tiques sénégalaises, ce n'est pas un test sérologique qu'il convient de faire mais de la biologie moléculaire, faites circuler l'information !

Dans les régions méditerranéennes, il y a plus de fièvres boutonneuses que de Lyme. Les CHU, dans ces zones, voient des borrélioses lorsque des personnes reviennent de vacances dans l'ouest ou le nord de la France. Mais j'ai tout de même rapporté de Corse une tique porteuse de Borrelia ! La grande majorité des manifestations cliniques de la Borrelia , 85 %, sont des érythèmes migrants, des infections locales : la réponse immunitaire n'est pas la bonne, il ne faut pas se fonder sur la sérologie. Les recommandations françaises et européennes, pour la neuroborréliose, incluent la ponction lombaire, invasive mais qui fournit beaucoup d'informations. Si le patient la refuse, il est possible de lui prescrire un traitement large, de précaution. Mais il est important de pouvoir poser un diagnostic avec certitude, si ensuite le patient ne répond pas au traitement.

Mme Alexandra Septfons . - Je confirme à M. Amiel que la région méditerranéenne se caractérise par une faible incidence de la maladie.

Mme Julie Figoni . - La prévention primaire est individuelle, port de vêtements longs, à manches longues, clairs, pour mieux distinguer les tiques ; pantalons rentrés dans les chaussettes ou guêtres ; casquette pour les jeunes enfants, qui sont à la hauteur des grandes herbes où se tiennent les tiques - lesquelles ne tombent pas des arbres !

Il y a aussi les répulsifs, cutanés ou pulvérisés sur les vêtements (on y travaille à l'Anses). Et l'inspection corporelle est de mise au retour de la promenade ! Les tiques aiment les plis, les endroits humides, le cuir chevelu, le dos... Il faut répéter l'inspection, car les tiques les plus petites deviennent plus visibles lorsqu'elles se sont gorgées de sang.

Quant à la prévention secondaire, il faut retirer au plus vite la tique, au moyen d'un tire-tique, en tournant jusqu'à la détacher de la peau, d'une pince fine, d'une pince à épiler. Il est ennuyeux de laisser une partie sur la peau, mais il n'a pas été démontré que laisser la tête piqueuse comportait un risque, car les glandes salivaires sont dans le corps. Il faut bien sûr désinfecter...

Pour l'information de la population, Santé publique France a développé des outils, affiches qui peuvent être apposées en bordure de forêt, dépliants pour les adultes et pour les enfants. Le site de « Repères pour votre pratique » fournit beaucoup d'informations sur la prise en charge par les médecins. Santé publique France a développé des spots audio qui ont été diffusés en 2016, et les dépliants sont distribués chaque année avant le printemps, et fournis à la demande.

Les centres nationaux de référence sont mandatés par Santé publique France pour une durée de cinq ans, avec des missions en santé humaine. Il s'agit de surveiller des souches pathogènes et de Borrelia retrouvées chez l'homme, d'alerter en cas de détection d'un phénomène inhabituel ou grave (sur l'homme également), de rechercher et d'évaluer les tests diagnostics, enfin de participer à la surveillance vectorielle de sites très spécifiques.

Mme Céline Cazorla . - Au stade d'érythème migrant, en cas de doute, il est recommandé de prescrire des antibiotiques et dans la très grande majorité des cas, il n'y a pas de suites. La sérologie n'a pas de raison d'être à ce stade. Parfois cependant, des personnes n'ont pas fait d'érythème ou celui-ci a spontanément régressé se plaignent plus tard de problèmes neurologiques. Une maladie de Lyme non traitée peut entraîner des paralysies, rares, et au stade très avancé, de la démence - après un certain nombre d'années. Alors, les neurologues recherchent une maladie de Lyme, systématiquement, cela fait partie du bilan de démence. À l'hôpital, on se fie au CNR, qui dit quels tests sérologiques sont fiables.

En cas de douleurs multiples articulaires ou musculaires, un test sérologique positif (qui signale non une maladie active, mais la présence d'anticorps) aboutit à un soupçon de Lyme. Dans la Loire, beaucoup de patients ont une sérologie positive, en raison d'une forte endémie de Borrelia , et s'ils se plaignent de douleurs, on ne sait pas si elles relèvent d'une maladie réellement à rattacher à la Borrelia . Dans le doute, la combinaison des douleurs et de la sérologie positive commande un traitement antibiotique. Le HCSP le rappelle dans son rapport 2014. Le traitement doit être réévalué après un mois. Toutefois on peut faire remarquer que plus on prescrit d'antibiotiques, moins ceux-ci seront efficaces, par exemple pour les infections urinaires, beaucoup plus fréquentes... Il faut administrer les antibiotiques uniquement en cas de cohérence entre la biologie et la clinique.

La babésiose - la piroplasmose chez l'homme - ne provoque une maladie que chez les sujets qui ont des problèmes immunitaires, par exemple ceux qui n'ont plus de rate. Cela est donc rare.

La fréquence de la Borrelia dans notre pays, le degré d'infestation des tiques, ne justifient pas de donner un antibiotique après une piqûre de tique. Cela n'est pas conseillé, sauf pour les femmes enceintes - et encore, tout dépend du type d'antibiotiques - et pour les enfants s'ils sont piqués par plusieurs tiques.

Mme Vayssier-Taussat . - La tique qui transmet chez le chien la piroplasmose n'est pas la même qui transmet la maladie de Lyme.

En Guadeloupe et en Martinique, nous avons fait il y a deux ans avec le Cirad et l'Anses une étude sur la tique sénégalaise, fléau en santé animale, surtout pour les ruminants. Les résultats viennent d'être publiés, je vous enverrai les articles publiés il y a quelques mois.

M. Pascal Boireau . - Une évaluation a été conduite sur les produits répulsifs, dans le cadre de la réglementation biocides : l'efficacité de deux d'entre eux a été reconnue, ils ont reçu une AMM ; d'autres sont encore en phase de test mais n'ont pas encore obtenu l'AMM. Les insecticides favoris contre les puces sont sans effet sur les tiques. Celles-ci ont une digestion extracorporelle, elles doivent demeurer au même endroit plusieurs jours pour digérer les nutriments : c'est pourquoi il y a tout intérêt à les éliminer avec des systèmes développés.

M. Alain Milon , président . - Merci de vos propos très précis et instructifs. Nous pourrons enfin répondre à tous ceux qui se plaignent que rien n'est fait contre la maladie de Lyme : manifestement, beaucoup de personnes font beaucoup, et bien !

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