II. LES INÉGALITÉS ENTRE FOOTBALLEURS ET FOOTBALLEUSES, REFLET DES INÉGALITÉS ENTRE HOMMES ET FEMMES À L'oeUVRE DANS LA SOCIÉTÉ

Les témoignages recueillis par la délégation pour conduire ce travail illustrent et confortent le constat établi par Mélissa Plaza, ancienne joueuse professionnelle internationale : « Le football n'est que le miroir grossissant de toutes les inégalités et discriminations qu'on observe dans la société » 33 ( * ) .

Qu'il s'agisse des inégalités de revenu et de statut, des préjugés qui persistent à reléguer les joueuses derrière leurs homologues masculins ou de la gouvernance de ce sport, la délégation a retrouvé, en préparant ce rapport, des thèmes dont elle est familière.

Le football ne saurait d'ailleurs être à l'abri des difficultés auxquelles les femmes sont confrontées dans d'autres activités - inégalités professionnelles, freins à l'accès aux responsabilités ou stéréotypes sexistes contribuant à mettre en cause leur légitimité.

Les inégalités à l'oeuvre dans le sport, et plus particulièrement dans le football, reflètent donc celles que la délégation observe et dénonce dans notre société.

A. JOUEUSES DE HAUT NIVEAU : DES RÉMUNÉRATIONS ET UN STATUT TRÈS EN RETRAIT

1. Les revenus des footballeuses sans commune mesure avec ceux des joueurs

Les inégalités de revenus entre femmes et hommes dans le sport avaient été relevées, qu'il s'agisse des salaires ou des primes, par le précédent rapport de la délégation Égalité des femmes et des hommes dans le sport , qui faisait observer en 2011 combien « les rémunérations des sportives de haut niveau se [situaient], à de rares exceptions près, très en dessous de celles que peuvent espérer leurs homologues masculins » 34 ( * ) . Le football ne fait pas exception à ce constat, qui demeure valable huit ans après la publication de ce travail.

a) La question des salaires

Selon Audrey Keysers, co-auteure de Football féminin. La femme est l'avenir du foot , auditionnée par la délégation le 5 février 2019, l'écart entre les rémunérations des joueuses et celles des footballeurs s'élèverait à 96 %, soit une différence beaucoup plus sensible que celle qui caractérise les inégalités de salaire en France 35 ( * ) .

Dans son ouvrage, Audrey Keysers s'interroge : « Si les stars du football gagnent tant, n'est-ce pas à l'image des autres hommes qui, dans le monde professionnel, gagnent plus que leurs homologues féminines ? ».

Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de football professionnel, auditionnée le 4 avril 2019, indique que « la joueuse la mieux payée en D1 gagne environ cent fois moins que son homologue masculin ». Elle fait observer que « Le salaire moyen des joueuses oscille entre 1 500 et 3 000 euros, contre en moyenne 75 000 euros par an pour les joueurs qui évoluent en Ligue 1 ».

Or les écarts constatés en France dans le domaine du football affectent la disponibilité quotidienne des sportives pour leur entraînement.

En effet, à l'exception de clubs comme le Paris-Saint Germain ou l'OL, qui comprennent des équipes féminines importantes et où les footballeuses de haut niveau perçoivent un salaire leur permettant de vivre de leur pratique sportive, la plupart des joueuses ne peuvent se consacrer à plein temps à leur entraînement et, contrairement à la plupart de leurs homologues masculins, sont contraintes d'exercer un emploi pour assurer leur subsistance. Ce constat n'est pas sans conséquence sur les difficultés à reconnaître aux joueuses un statut professionnel : ce rapport reviendra ultérieurement sur ce point.

Par ailleurs, l'écart entre footballeurs et footballeuses se creuse si l'on considère les rémunérations des champions les plus reconnus. En 2018, la joueuse la mieux payée était Ada Hegerberg, de l' Olympique Lyonnais . Jusqu'en 2021, elle disposera d'un salaire annuel compris entre 400 000 et 500 000 euros. Il s'agit là, certes, de montants considérables, qui toutefois restent sans commune mesure avec les revenus d'un footballeur comme Lionel Messi, joueur au FC Barcelone, dont le revenu annuel - particulièrement élevé - atteint 126 millions d'euros.

La délégation observe par ailleurs que, même dans des pays où le football féminin est particulièrement bien ancré et jouit d'une grande visibilité, il existe de réelles inégalités de rémunération entre les joueurs et les joueuses. Ainsi, les footballeuses américaines , parmi les meilleures au monde, ont récemment attaqué leur fédération pour discrimination en matière de salaires et de condition de travail par rapport à leurs homologues masculins 36 ( * ) .

LES ÉTATS-UNIS, UNE RÉFÉRENCE EN MATIÈRE DE FOOTBALL FÉMININ ?

Le football ( Soccer ) est à ce jour considéré aux États-Unis comme un sport féminin , les garçons étant davantage attirés vers le basket ou le football américain.

Il a connu une très forte croissance au cours des trente dernières années, à la faveur d'une intense mobilisation qui, après l'adoption en 1972 d'une loi fédérale prohibant toute « discrimination basée sur le sexe » dans les programmes ou activités éducatives, a contraint les établissements d'enseignement primaire, secondaire et supérieur à proposer du soccer en plus du football américain. Le football ou soccer est aujourd'hui le quatrième sport le plus pratiqué par les lycéennes , le troisième par les étudiantes .

L'équipe de football féminin des États-Unis est considérée comme une référence. Elle cumule les titres : triple championne du monde et première au classement de la FIFA .

Le système du sport universitaire américain , qui permet de sélectionner les talents et de bénéficier d'infrastructures de qualité, contribue à ces succès.

Malgré des atouts incontestables et une avance évidente, le football féminin n'est pas à l'abri d' inégalités comparables à celles que l'on constate encore dans le football français. Ainsi, le 8 mars 2019, 28 joueuses américaines ont déposé, à l'encontre de leur fédération, une plainte pour discrimination liée au genre .

Elles contestent non seulement des écarts salariaux importants - une footballeuse de haut niveau toucherait au mieux 38 % de ce que gagne son homologue masculin, pourtant moins bien placés dans le classement de la FIFA -, mais aussi des différences de traitement concernant notamment les lieux des matchs et des entraînements.

Source : ambassade de France en Argentine

Ces différences sensibles de rémunération contrastent avec la situation en Nouvelle-Zélande et en Norvège , où footballeurs et footballeuses des équipes nationales perçoivent la même rémunération 37 ( * ) .

b) Des primes dix fois moins élevées en moyenne que celles des joueurs

S'agissant des primes, qui dans le football sont importantes au même titre que les salaires, on observe là encore de très fortes disparités entre footballeurs et footballeuses, puisque les primes des femmes sont environ dix fois moins élevées que celles des hommes .

En 2018, la France, championne du monde, a perçu 38 millions de dollars (environ 31,6 millions d'euros) au total ; en 2019, la fédération gagnante recevra 4 millions de dollars (environ 3,5 millions d'euros) 38 ( * ) . Ce décalage, reflet des dotations attribuées par la FIFA aux coupes du monde masculines et féminines, se passe de commentaire même si la Coupe du monde féminine de 2019 semble avoir fait l'objet d'un effort sensible par rapport à la précédente compétition de 2015 (1,7 million d'euros pour l'équipe américaine, gagnante de ce tournoi).

En conséquence, la prime reçue par chacun des Bleus (ainsi que par les membres de l'équipe technique) en 2018 s'est élevée à 350 000 euros 39 ( * ) . Les joueuses de l'équipe qui remportera la Coupe du monde féminine de 2019 percevront quant à elles une prime de 38 000 euros 40 ( * ) .

Ces différences avaient déjà été observées lors des précédentes coupes du monde. Audrey Keysers, co-auteure de Football féminin. La femme est l'avenir du foot , a fait valoir lors de son audition par la délégation, le 5 février 2019, que si l'équipe de France féminine avait remporté la Coupe du Monde de 2015, chaque joueuse aurait perçu une prime de 30 000 euros de la part de la fédération, chiffre à rapprocher des récompenses de 300 000 à 400 000 euros qui auraient été attribuées aux joueurs de l'équipe de France masculine en cas de victoire à la Coupe du monde de 2014.

Un tel écart n'est pas spécifique aux coupes du monde : 19 millions d'euros pour la Ligue des Champions 41 ( * ) , 250 000 euros pour la « Ligue des championnes » ou Women's champion League 42 ( * ) , comme cela a été précédemment relevé. La récompense attribuée aux équipes masculines dans ce cadre est donc 76 fois plus importante .

Ces différences sensibles soulignent le décalage :

- entre le football et le tennis , si l'on considère, comme l'a indiqué Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de football professionnel, lors de son audition, le 4 avril 2019, que les dirigeants du Grand Chelem de tennis ont établi la parité entre les prix offerts aux vainqueurs féminins et masculins depuis 2007 ;

- entre le football et les Jeux olympiques , cadre dans lequel les primes versées aux athlètes sont identiques pour les hommes et les femmes . Cette remarque vaut également pour le handisport .

Ces disparités importantes sont, s'agissant du football, le reflet d'un modèle économique centré sur les clubs masculins , a fortiori pour les clubs de haut niveau, qui bénéficient à la fois des retombées économiques des transferts de joueurs, des revenus liés aux ventes diverses (notamment de maillots au nom des joueurs), ainsi que des droits télévisés acquittés par les chaînes pour diffuser les matchs.

La question des droits télévisés , qui accentuent les différences de moyens entre les équipes masculines et féminines de football, sera évoquée ci-après.

c) Des joueuses en situation de précarité ?

À l'exception des joueuses relevant de clubs qui, comme l'OL, rétribuent correctement les footballeuses, la plupart d'entre elles sont contraintes d'avoir une activité rémunérée parallèlement à leur entraînement, comme cela a été mentionné plus haut.

À titre d'exemple, en octobre 2011, Laëticia Tonazzi, footballeuse internationale française sélectionnée à plusieurs reprises en équipe de France, a dévoilé son budget au média en ligne Rue89 43 ( * ) : c'est en réalité son emploi de fonctionnaire territoriale de catégorie C qui assure 90 % de ses revenus : « Le foot ne lui permet pas de vivre, même si l'on pourrait arguer que son activité de footballeuse a sans doute facilité son embauche », observe le journaliste.

Dans son livre-témoignage Pas pour les filles ? , paru en mai 2019, Mélissa Plaza confirme cette nécessité de travailler parallèlement à l'entraînement, à propos de l'équipe de l'EAG (En avant Guingamp) : « la plupart d'entre nous exercent une activité professionnelle à côté du football. Les plus privilégiées ont signé des contrats fédéraux, mais la majorité n'est pas payée, sous-payée, ou est simplement dédommagée en frais de déplacement » 44 ( * ) .

De surcroît, lors de son audition, le 11 avril 2019, Marianne Gazeau, présidente de Foot d'Elles , média en ligne dédié au football féminin, a attiré l'attention de la délégation sur le fait que « la plupart des footballeuses se trouvent dans une situation très précaire ». Selon elle, si l'on fait exception des quelques footballeuses qui reçoivent de « bons salaires », « les joueuses ont des conditions de vie difficiles ». Le salaire que certaines reçoivent de leur club pour un mi-temps est « défini sur la base d'un SMIC », auquel s'ajoutent les primes de match : « elles sont souvent "en galère" », a-t-elle conclu sur ce point.

Le témoignage de Mélissa Plaza confirme ce qui précède. Dans une interview donnée au site Festival Foot Espoirs 45 ( * ) , l'ancienne championne fait part des grandes difficultés auxquelles sont confrontées de trop nombreuses joueuses : « Aujourd'hui, on donne à voir le strass et les paillettes comme à Lyon, Paris ou Montpellier, c'est super. Mais ailleurs, ça ne se passe pas comme ça et ce ne sont pas les clubs les plus enclins à évoquer les conditions qu'ils font à leurs filles. Ce n'est pas très glorieux. Dans beaucoup de clubs, les filles sont dans des conditions abominables. Elles ne se rebellent pas car elles savent que de toute façon, elles peuvent être balayées d'un revers de main la saison suivante donc quand la place est précaire, on est prête à tout accepter pour que l'on puisse jouer. C'est triste, mais c'est la réalité ».

La délégation ne peut que déplorer les inégalités aux dépens des joueuses qui persistent dans le football féminin, s'agissant plus particulièrement du statut et des revenus des footballeuses de haut niveau. Cette situation n'est pas propre au football : elle reflète les inégalités professionnelles persistantes dont elle fait régulièrement le constat dans d'autres sphères d'activité.

La délégation appelle donc les clubs où existent des équipes féminines à assurer aux footballeuses de haut niveau des revenus leur permettant de vivre de leur pratique, à l'instar des avancées permises à l'OL ou au PSG.

2. Le statut des joueuses en question
a) Une réelle diversité de profils

Le paradoxe du football féminin est que les joueuses dont le niveau serait qualifié de professionnel dans une équipe masculine ne sont pas considérées comme telles sur le plan juridique. De ce fait, elles relèvent non pas de la Ligue de football professionnel mais de la FFF, comme les joueurs de pratique amateur.

À cet égard, Brigitte Henriques, vice-présidente déléguée de la FFF et vice-présidente du Comité d'organisation de la Coupe du monde féminine de la FIFA, a observé, au cours de son audition, le 7 mai 2019 : « Si la gouvernance du football féminin n'est pas rattachée à la Ligue de football professionnel, c'est tout simplement parce que le football féminin n'est pas professionnel ! ».

Ce rapport désignera donc, pour plus de clarté, ces joueuses par le terme de « footballeuses de haut niveau ».

Laura Georges, ancienne footballeuse devenue secrétaire générale de la FFF, a rappelé ce point à la délégation le 28 mars 2019 en faisant observer que « le championnat de football féminin est amateur, mais les joueuses s'entraînent comme des professionnelles » .

Frédérique Jossinet, directrice du football féminin et de la féminisation à la FFF, a précisé lors de son audition, le 21 mars 2019, la diversité des profils de clubs qui accueillent des équipes féminines dans le cadre de la D1, « championnat phare » selon elle de la fédération :

- certains clubs dépendent d'une société anonyme sportive professionnelle (SASP), comme le PSG ou l'OL ;

- d'autres dépendent de l'association du club de l'équipe de garçons à laquelle ils sont adossés, ce qui est le cas des Féminines Paris Football Club (PFC) visité à Orly par la délégation le 21 février 2019 ;

- d'autres encore sont à 100 % féminins, ce qui était le cas du FCF Juvisy avant sa fusion avec le PFC.

Ces profils ne sont pas sans influence sur la situation des joueuses, car « tous les clubs n'ont pas les mêmes moyens », ainsi que l'a souligné Frédérique Jossinet.

Quant aux contrats souscrits avec les footballeuses, ils sont au nombre de 120 aujourd'hui selon Frédérique Jossinet. Il s'agit, dans 80 % des cas, de contrats à plein temps et non plus à mi-temps.

L'évolution est donc favorable, si l'on considère que l'on ne recensait que trente contrats à mi-temps il y a cinq ans.

b) Des joueuses qui doivent s'effacer devant leurs homologues masculins

Au cours des travaux de la délégation, plusieurs exemples ont illustré le statut secondaire accordé aux footballeuses de haut niveau par rapport à leurs homologues masculins.

Dans son livre témoignage Pas pour les filles ? , paru en mai 2019, l'ancienne joueuse internationale Mélissa Plaza fait écho à cette difficulté, en évoquant son club En avant Guingamp : « Le terrain sur lequel nous nous entraînons est éloigné du club et de celui des garçons, puisqu'ils sont à Guingamp et nous à Saint-Brieuc. [...] Et surtout, nous peinons à obtenir des créneaux sur un terrain où nous ne sommes pas prioritaires. Il n'est pas rare que nous nous fassions virer du carré vert par les U17 départementaux au motif qu'ils sont ?réservé le créneau?. Difficile dans ces conditions d'avoir le sentiment de jouer au plus haut niveau ou de faire partie intégrante du club de l'EAG » 46 ( * ) .

Dans le même registre, la délégation déplore vivement le fait que, une semaine à peine avant le début de la Coupe du monde et pendant cette période décisive de leur préparation, les Bleues aient été contraintes de quitter leurs chambres de Clairefontaine pour laisser la place à l'équipe de France masculine , au motif que les joueurs devaient préparer un match amical contre la Bolivie prévu le 2 juin 2019. Certes, les joueuses se sont accommodées avec élégance de la situation et ont relativisé l'incident, car elles bénéficient des infrastructures de Clairefontaine pour leur entraînement. Il n'en demeure pas moins que cette décision témoigne d'un manque de considération très regrettable pour une équipe qui est en train d'écrire une page de l'histoire du football et du sport féminin. Il s'agit d'une incompréhension flagrante de la portée de l'événement que constitue la Coupe du monde de 2019.

À l'inverse, la délégation ne peut que saluer la démarche du Paris Football Club , qui vient d'inaugurer un nouveau centre d'entraînement et de formation à Orly, que les co-rapporteures ont eu l'occasion de visiter le 21 février dernier. Cette structure accueillera joueuses et joueurs dans un lieu unique, formule exemplaire dont il faut espérer qu'elle suscite des émules .

Brigitte Henriques, vice-présidente déléguée de la FFF et vice-présidente du Comité d'organisation de la Coupe du monde féminine de la FIFA, entendue le 7 mai 2019 par la délégation, approuve cet engagement favorable à la mixité , estimant que ce type de projet contribue à faire progresser l'égalité femme-homme dans le football : « Par ailleurs, je vais inaugurer tout à l'heure le nouveau centre d'entraînement du Paris Football Club (PFC) : pour la première fois, joueurs et joueuses se côtoieront dans la même structure, dans un même lieu de vie. C'est cela, la solution ».

c) Vers la professionnalisation du football féminin ?

La délégation a découvert avec beaucoup d'étonnement ce système dans lequel les joueuses de haut niveau relèvent de la même structure que les sportives amateures, alors que leurs homologues masculins sont reconnus comme professionnels à part entière .

À cet égard, les interlocuteurs du Paris Football Club , rencontrés par les co-rapporteures en février 2019, ont fait remarquer que l'absence de contrat professionnel pour les joueuses avait pour corollaire l'inexistence d'une convention collective , dont bénéficient pourtant les footballeurs professionnels.

Il s'agit là d'une situation que la délégation ne saurait considérer comme satisfaisante sur le long terme : tout comme il existe une convention collective dans le football professionnel masculin, le football féminin de haut niveau devrait bel et bien être doté d'un tel instrument.

Pour la délégation, l'objectif doit tendre, dans le domaine du football comme dans tout autre secteur d'activité, à la disparition des inégalités. Il convient donc d'avoir pour ambition de faire évoluer les footballeuses vers un statut juridique de professionnelles .

Selon Frédérique Jossinet, auditionnée le 21 mars 2019, « Le football féminin est un produit nouveau. Nous sommes encore très loin du développement et de la structuration du football masculin. Nous avions quarante ans de retard, nous en avons rattrapé la moitié, mais du chemin reste à faire ».

La Conférence permanente du sport créée par la loi n° 2017-261 du 1 er mars 2017 visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs, précédemment citée, encourage d'ailleurs la professionnalisation des sportives .

Cette professionnalisation passe-t-elle par la création d'une Ligue professionnelle dédiée au football féminin ou par le rattachement du football féminin de haut niveau à la Ligue de football professionnel , si l'on se réfère à la question posée à la directrice du football féminin et de la féminisation à la FFF le 21 mars 2019 par notre collègue Michel Savin, président du groupe d'études « Pratiques sportives et grands événements sportifs » ?

Un consensus s'est exprimé de la part des expertes entendues par la délégation sur la nécessité d'évoluer de manière progressive vers la professionnalisation du football féminin et sur la pertinence du rattachement à la Ligue de football professionnel.

Sur ce point, Brigitte Henriques, vice-présidente déléguée de la FFF et vice-présidente du Comité d'organisation de la Coupe du monde féminine de la FIFA, a présenté les arguments justifiant selon elle un rattachement à la LFP plutôt que la création d'une ligue féminine autonome : « Le président Le Graët et moi ne sommes pas favorables à la création d'une ligue féminine, car cela empêcherait la mutualisation des services et des compétences. De plus, la création d'une ligue féminine reviendrait à mettre le sport féminin à part du sport , donc à l'isoler. Pour autant, confier la gouvernance du football féminin à la Ligue de football professionnel ne posera aucun problème à partir du moment où l'ensemble des structures accueillant les équipes de D1 féminines seront dans les clubs professionnels et que l'économie du football féminin permettra à toutes les joueuses d'être professionnelles ».

Frédérique Jossinet, directrice du football féminin et de la féminisation à la FFF, a par ailleurs estimé, le 21 mars 2019, que « Si on voulait à tout prix professionnaliser le football féminin, on irait certainement trop vite. Beaucoup de chemin reste à faire pour rendre une ligue professionnelle viable, avec des ressources économiques propres ». La question des ressources économiques serait donc, pour le moment du moins, un obstacle à la création d'une ligue professionnelle féminine.

Pour autant, Audrey Keysers, entendue le 5 février 2019, considère que cet argument « était peut-être vrai en 2011, mais aujourd'hui, vu le nombre de licenciées et la médiatisation, pourquoi ne pas profiter de la dynamique du Mondial pour passer à la vitesse supérieure ? Comme d'autres sports comme le basket ou le handball ou d'autres pays tels que l'Allemagne, la création d'une ligue professionnelle de foot féminin pourrait s'inscrire dans la suite logique du plan de féminisation de la FFF ».

La délégation a entendu l'argument de prudence selon lequel, en matière de professionnalisation, il convient d'attendre le renforcement de l'économie du football féminin, comme l'ont fait observer Brigitte Henriques et Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de football professionnel. Selon cette dernière, auditionnée le 4 avril 2019 : « il faudra entre cinq et dix ans pour que les joueuses puissent enfin bien vivre de leur métier ».

Toutefois, le cas de l'Argentine, où la professionnalisation a été annoncée le 9 mars 2019 par le président de la fédération de football à l'échéance de 2023 (voir l'encadré ci-après), semble montrer qu'une telle évolution est envisageable .

L'ARGENTINE ET LA PROFESSIONNALISATION ANNONCÉE DU FOOTBALL FÉMININ :
UN EXEMPLE À SUIVRE ?

Les inégalités constatées à ce jour en Argentine entre footballeuses et footballeurs rejoignent dans une certaine mesure les constats relatifs à la situation en France.

En ce qui concerne les infrastructures , les footballeuses ne jouent pas dans le même stade que les équipes masculines. On observe un décalage sensible non seulement en termes de prestige (les joueuses sont couramment reléguées dans des stades secondaires), mais aussi s'agissant des conditions d'entraînement (vestiaires, gazon synthétique...).

Sur le plan financier , l'écart entre footballeurs et footballeuses se manifeste non seulement par le montant très inférieur des moyens alloués par les clubs , mais aussi par l' absence de salaire pour les joueuses, conséquence de leur statut non professionnel .

En 2017, une grève des footballeuses argentines a été motivée par les revendications suivantes : amélioration des infrastructures (vestiaires, gazon naturel...), meilleure coordination du calendrier des matchs et des déplacements, augmentation des indemnités de déplacement attribuées lors de matchs à l'extérieur.

Par ailleurs, le fait que le maillot de la sélection féminine pour la saison 2018 ait été présenté non pas par une footballeuse, mais par un mannequin (au contraire du maillot masculin, présenté par un joueur) a suscité une polémique et un débat sur le traitement médiatique du football féminin argentin .

Des évolutions favorables semblent toutefois désormais en cours :

- des sections féminines devront être créées par tous les clubs participant à la Copa Libertadores (l'équivalent de la Ligue des Champion en Europe), comme l'a décidé la Fédération sud-américaine ou Conmebol , qui équivaut à l'UEFA ;

- le développement du football féminin devrait être encouragé par la candidature de l'Argentine à la prochaine Coupe du monde féminine de 2023 ;

- ces progrès devraient être renforcés par la professionnalisation du football féminin , annoncée le 9 mars 2019, à l'échéance de 2023 , par le président de la Fédération argentine de football, Claudio Tapia.

Source : ambassade de France en Argentine.

La délégation a entendu l'argument de prudence concernant l'évolution du football féminin vers la professionnalisation, en l'absence d'un modèle économique véritablement consolidé.

Cependant, elle estime que l'on ne saurait s'accommoder plus longtemps d'une organisation dans laquelle la structure compétente en matière de pratique amateure, c'est-à-dire la Fédération française de football, gère également le football féminin de haut niveau.

La délégation préconise donc le rattachement, à terme, du championnat de football féminin à la Ligue de football professionnel, au même titre que le championnat masculin. Elle a jugé cette formule plus pertinente que la création d'une ligue féminine autonome, qui selon elle isolerait le football féminin et serait en contradiction avec l'objectif de mixité qu'elle défend.

3. La difficile conciliation de la pratique sportive et des engagements scolaires et professionnels
a) Le « double projet » et la reconversion des joueuses : une exigence

Les joueuses du Paris Football Club , rencontrées le 21 février 2019 par les co-rapporteures, sont nombreuses à poursuivre un « double projet » conciliant pratique sportive et orientation professionnelle .

Ainsi, parallèlement aux entraînements quotidiens, Camille Catala est professeure des écoles à temps partiel, Gaëtane Thiney exerce les fonctions de conseillère technique nationale à la FFF et Élisa de Almeida, étudiante, bénéficie d'un statut particulier en tant que sportive de haut niveau. Les horaires d'entraînement du club sont conçus en cohérence avec les contraintes d'organisation des joueuses.

Ce « double projet », universitaire ou professionnel, est essentiel dans la perspective de la reconversion des joueuses . À cet égard, les cursus observés lors de la visite du le 21 février 2019, ont paru très positifs à la délégation et devraient servir selon elle d'exemples à d'autres clubs.

Dans un registre comparable, Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de football professionnel, entendue le 4 avril 2019, a insisté sur la nécessité d'une formation permettant de préparer en amont la reconversion des joueuses, dans le cadre d'un double diplôme . Selon elle, « ce projet éducatif et sportif permettrait de montrer aux jeunes filles que le football est une étape dans la carrière et qu'il existe d'autres façons de s'accomplir professionnellement ».

Elle a en effet a exprimé la préoccupation, dans le processus de professionnalisation du football féminin, d'éviter de « former trop de joueuses qui ne pourront pas vivre de leur pratique » . Se référant aux données propres au football masculin, elle a fait valoir que « seuls 10 % des joueurs deviennent professionnels. Les autres verront leur avenir compromis, car ils ne pourront pas vivre du football professionnel, alors qu'ils y auront consacré plusieurs années de leur vie durant la période clé de l'adolescence ». Elle a donc plaidé pour la prudence à l'égard de l'évolution du football féminin. « Nous avons une responsabilité en la matière », a-t-elle noté.

Toutefois, même s'il est destiné à garantir l'avenir des footballeuses, ce « double projet » comporte des difficultés importantes .

D'une part, il alourdit les contraintes pesant sur les joueuses en termes d'emploi du temps . Selon Laura Georges, secrétaire générale de la FFF, auditionnée par la délégation le 28 mars 2019, la question du « double projet » alliant éducation scolaire ou activité professionnelle et pratique du sport « constitue l'un des éléments les plus compliqués pour les joueuses de très haut niveau », même si dans son cas « le football a été un passeport pour financer (des) études ».

Florence Audouin, co-entraîneure de l'équipe de D2 féminine de La Roche ESOF et co-directrice de la Ligue des Pays de la Loire, rencontrée lors de la table ronde en Vendée, le 18 mars 2019, estime que le cumul des études et d'un entraînement à haut niveau dans un contexte amateur demeure difficile. Santana Sahraoui, joueuse à La Roche ESOF, a corroboré ses propos : elle poursuit ses études en en parallèle de son investissement comme joueuse et mène de front un service civique de 24 heures par semaine. Il lui est ainsi très compliqué de concilier ses différentes obligations.

D'autre part, le « double projet » se heurte à certaines réticences de la part d'organismes de formation . Laura Georges a fait valoir, le 28 mars 2019, que « certains établissements [refusaient] d'accueillir des sportives qui sont régulièrement absentes. Le milieu scolaire peut avoir une image du footballeur ou de la footballeuse comme étant un sportif qui ne veut que gagner de l'argent. Certaines de mes coéquipières m'ont fait part de réactions négatives de la part de directeurs d'établissement en raison de leurs absences répétées » 47 ( * ) .

Elle a donc insisté sur la nécessité d' « accompagner les joueuses dans leur projet professionnel au sein de chaque club féminin », citant les bonnes pratiques observées en Allemagne où les footballeuses peuvent recourir au e-learning afin de concilier au mieux leur entraînement et leur cursus de formation. Plus généralement, Laura Georges a plaidé pour un rapprochement entre les clubs féminins et les universités pour faciliter ce type de parcours .

Par ailleurs, l'objectif consistant à encourager les joueuses à suivre la formation d'entraîneur , évoqué par Frédérique Jossinet, directrice du football féminin et de la féminisation à la FFF le 21 mars 2019, constitue selon la délégation une piste d'autant plus intéressante que cette évolution contribue à la mixité du football , comme le montre l'exemple de Corinne Diacre, qui a été la première femme à entraîner une équipe masculine de D1 .

Dans cette logique, la délégation ne peut que saluer la démarche entreprise par la FFF pour faciliter l'accès des joueuses au diplôme d'entraîneur .

b) L'importance des sections sport-études dans la construction du parcours des footballeuses

La FFF s'attache à développer les sections sport-études au sein des collèges et des lycées. L'objectif affiché est de compter plus de 90 sections, soit une section par district, comme l'a rappelé Frédérique Jossinet le 21 mars 2019.

En 2017, la FFF a créé une « team espoirs » afin de préparer les meilleures joueuses de 14 ans aux concours d'accès aux huit pôles régionaux et au pôle France. Il y a dix ans, les joueuses concouraient seulement pour le pôle France.

D'ici deux ans, la fédération entend créer deux pôles régionaux supplémentaires afin d'accompagner et de former davantage de jeunes joueuses.

Les sections sport-études permettent aux jeunes joueuses de bénéficier d'un emploi du temps adapté et d'un encadrement particulier pour préparer les concours. Il est donc essentiel d'en promouvoir le développement sur tout le territoire.

La délégation souhaite que le « double projet », qu'il soit universitaire ou professionnel, soit porteur pour l'avenir des footballeuses et s'inscrive dans un véritable projet professionnel. Il est donc nécessaire que les clubs, à travers la mise en place de ces « doubles projets », aient de l'ambition pour leurs joueuses afin de les accompagner dans les meilleures conditions vers une éventuelle reconversion, en lien avec les universités et la FFF.


* 33 Ségolène Forgar, « Le football, un sport sexiste ? L'ancienne joueuse professionnelle Mélissa Plaza raconte », Madame Figaro , 15 mai 2019.

* 34 Page 147.

* 35 À poste et à compétences égales, le différentiel de salaire considéré comme « inexpliqué » est de 9 à 10 %.

* 36 Source : application Le Monde , rubrique sport, articlé publié le 9 mars 2019 à 8h15.

* 37 Philippe Jallon, « La sportive de haut niveau peut-elle devenir une femme-sandwich plus nourrissante ? », Foot d'elles , 22 novembre 2018.

* 38 https://www.lepoint.fr/sport/mondial-2019-quelle-prime-pour-les-bleues-en-cas-de-victoire-04-06-2019-2316930_26.php

* 39 Ces primes sont calculées sur la base de 30 % du montant perçu par la fédération du pays gagnant à partir du budget alloué à la compétition par la FIFA.

* 40 https://www.lepoint.fr/sport/mondial-2019-quelle-prime-pour-les-bleues-en-cas-de-victoire-04-06-2019-2316930_26.php

* 41 Ligue des champions de l'UEFA : compétition annuelle de football organisée par l'Union des associations européennes de football, regroupant les meilleurs clubs d'Europe.

* 42 Ligue des champions féminine de l'UEFA, coupe féminine de l'UEFA. Cette compétition annuelle existe depuis 2001. Le club le plus titré est l' Olympique lyonnais (six titres).

* 43 Yann Bouchez, « Laëtitia, footballeuse et fonctionnaire territoriale, 1 893 € », https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-votre-porte-monnaie-au-rayon-x/20111031.RUE5364/laetitia-footballeuse-et-fonctionnaire-territoriale-1893.html

* 44 Page 208.

* 45 https://festival-foot-espoirs.com/ladies/detail_actualite.php?id=3962

* 46 Page 209.

* 47 Voir le compte rendu du 28 mars 2019.

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