AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs

Le contrat de concession du Stade de France a 24 ans et échoit en 2025. D'ici là, l'enceinte doit encore accueillir deux grandes compétitions internationales : la coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques en 2024.

C'est pourquoi deux questions sont aujourd'hui posées.

Dans quelles conditions ces deux évènements seront-ils organisés dans une enceinte toujours concédée ? Au terme de la concession, quel sera le modèle d'exploitation future du stade ?

De nombreux rapports sont déjà intervenus sur le contrat de concession du Stade de France. Ils s'accordent à souligner son déséquilibre, au détriment des intérêts publics.

Un modèle différent, protecteur des finances publiques, doit être rapidement défini, sans tabous.

La spécificité d'une propriété publique, sans pareille en Europe, peine à trouver des justifications. Au contraire, le dynamisme de l'économie du sport confère aux fédérations françaises de football et de rugby, utilisatrices du stade, des marges de manoeuvre dont elles ne disposaient pas en 1995.

C'est avec un engagement et une responsabilisation des fédérations que l'avenir du Stade de France s'écrira.

I. LES CONDITIONS SONT RÉUNIES POUR MENER LE CONTRAT DE CONCESSION À SON TERME

A. UN CONTRAT DE CONCESSION DÉSÉQUILIBRÉ, AYANT EXPOSÉ L'ÉTAT À DES RISQUES JURIDIQUES, FINANCIERS ET PATRIMONIAUX

1. Un contrat précipité, au détriment des intérêts publics

C'est dans une enceinte bâtie pour l'occasion que Zinédine Zidane a inscrit ses deux coups de tête victorieux permettant à l'équipe de France de football de décrocher son premier titre mondial le 12 juillet 1998.

À l'image de l'épopée des Bleus, la construction de l'enceinte mit toutefois du temps à se dessiner . Après l'attribution de la compétition à la France par la fédération internationale de football association (FIFA) le 2 juillet 1992, une certaine inertie a prévalu pour le choix du lieu d'implantation du grand stade prévu dans le dossier de candidature et la signature effective du contrat.

Le choix de Saint-Denis ayant finalement été arrêté en octobre 1993, la loi du 31 décembre 1993 1 ( * ) autorise l'État à concéder la construction et l'exploitation de l'ouvrage, ce qu'il fait seize mois plus tard. Le contrat est conclu le 29 avril 1995, entre les deux tours de l'élection présidentielle, pour une durée de trente ans , entre l'État et le consortium du Stade de France, filiale des groupes Vinci et Bouygues 2 ( * ) .

À bien des égards, le projet de grand stade tenait du pari.

Sur le plan architectural, la toiture flottante défie la gravité ; sur le plan de l'aménagement du territoire, le Stade de France, érigé sur une friche industrielle durablement polluée 3 ( * ) , a participé de la redynamisation de la Seine-Saint-Denis.

C'est cependant du point de vue économique que le pari était le plus risqué. Certes, dans la mesure où le Stade de France était le premier stade multifonctionnel au monde, aucune comparaison dans l'exploitation d'une telle enceinte n'était possible.

Toutefois, les risques relatifs à l'exploitation de l'enceinte n'ont guère été maîtrisés. Aucune étude sur la rentabilité de l'exploitation de l'enceinte après la coupe du monde de football de 1998 n'a ainsi été diligentée 4 ( * ) , alors même qu'un choix de prestige a prévalu , avec une capacité fixée à 80 000 places, soit la fourchette haute du cahier des charges de la FIFA 5 ( * ) . Une telle jauge accentuait l'incertitude de l'exploitation ultérieure de l'enceinte.

Surtout, compte tenu du retard initialement pris dans le lancement du projet, l'État s'est trouvé affaibli dans la négociation du contrat afin de tenir les délais. Compte tenu des exigences du seul créancier ayant accepté de soutenir le consortium, l'État a dû consentir à garantir le concessionnaire contre la quasi-totalité des risques d'exploitation.

Ces garanties ont de surcroît été accordées sur la base d'un modèle d'exploitation « pour partie virtuel » selon la Cour des comptes 6 ( * ) , reposant en particulier sur l'hypothèse « chimérique » d'établissement ultérieur d'un club résident.

Le modèle d'exploitation future du stade reposait sur l'utilisation par les fédérations françaises de football et de rugby, qui ont conclu des conventions d'utilisation pour une durée de 15 ans, et l'organisation d'évènements - concerts, séminaires. L'enceinte a ainsi accueilli de nombreux évènements sportifs et culturels prestigieux 7 ( * ) . Le schéma ci-après illustre les conditions d'exploitation de l'enceinte.

Schéma de l'exploitation du Stade de France

NB : La garantie de l'État en cas d'absence de club résident a été suspendue en 2013 (avenant n° 4 au contrat de concession). Les acronymes FFF et FFR désignent les fédérations françaises, respectivement, de football et de rugby.

Source : commission des finances du Sénat.

Trois garanties doivent être relevées :

- la première constitue une garantie générale contre les aléas de fréquentation ou de commercialisation, exorbitante du droit commun puisqu'elle s'entend au-delà même de circonstances imprévisibles , en cas de « déséquilibre financier non imputable à l'insuffisance fautive du concessionnaire » 8 ( * ) , ce qui a été jugé illégal par le juge administratif (cf. infra ) ;

- la deuxième vise l'absence de club résident et la non tenue des matchs réservés sur lesquels les fédérations sportives sont engagées par convention conclue avec le consortium ;

- la troisième porte sur le non-renouvellement , ou leur renouvellement dans des conditions économiquement moins avantageuses que celles conclues en 1995, des conventions passées entre le consortium et les deux fédérations sportives pour une durée décorrélée de celle de la concession (15 ans contre 30 ans).

Pour préserver le choix d'une concession et éviter un investissement initial massif, l'État a fait le choix, selon la direction des sports, de « signer un contrat qui pouvait mettre en péril [son] intérêt à long terme » 9 ( * ) .

De fait, si les deux premiers paris ont été relevés, en particulier grâce au savoir-faire du concessionnaire, le troisième a été perdu par l'État, au détriment des finances publiques. Comme l'indique la Cour des comptes en 2001, « l'on doit regretter que la réalisation de cet équipement, théâtre d'un grand succès sportif et populaire, ait été menée dans des conditions qui pèseront durablement sur la dépense publique en faveur du sport » 10 ( * ) .

Quel est le coût du Stade de France pour les finances publiques ?

Évaluer le coût du Stade de France doit conduire à distinguer l'investissement initial, imputable à la fois à l'enceinte proprement dite et aux abords et transports, et les dépenses complémentaires à raison des indemnités versées au consortium au titre de l'exploitation.

Le coût initial de l'enceinte s'est élevé à 365,8 millions d'euros , dont 191,2 millions d'euros de subvention d'équipement versée par l'État (soit 52 %), le reste ayant été apporté par le consortium - 29,7 millions d'euros sur fonds propres et 144,9 millions d'euros par emprunts bancaires.

En ajoutant les indemnités nettes versées par l'État, d'environ 120 millions d'euros, le coût total du stade peut être estimé à 502 millions d'euros, dont les deux tiers de financements publics .

Au-delà de l'enceinte, les investissements associés sont évalués par la Cour des comptes à 449,1 millions d'euros, intégralement supportés par des fonds publics - 189,9 millions d'euros pour l'État, 190,6 millions d'euros pour les collectivités territoriales et 68,6 millions d'euros pour les opérateurs publics.

L'ensemble des coûts directs et indirects associés au Stade de France approche donc le milliard d'euros, dont près de 80 % de financements publics.

Source : commission des finances du Sénat, à partir d'un tableau de la Cour des comptes

2. Un contrat déséquilibré, ayant exposé les finances publiques

Au lendemain de la coupe du monde, le modèle économique virtuel de l'enceinte s'est rapidement heurté à la réalité d'une absence durable de club résident. Compte tenu de la taille de l'enceinte ou de sa localisation, aucun club ne pouvait ni ne voulait rejoindre le Stade de France.

Conformément au contrat de concession, l'État a donc été redevable, chaque année jusqu'en 2013 11 ( * ) , d'une indemnité pour absence de club résident, pour un montant cumulé de près de 207 millions d'euros . Cette indemnité, portée par le programme 219 « Sport », a durablement affecté le soutien public au mouvement sportif.

Cette indemnité a contribué aux résultats positifs enregistrés par le consortium au cours de « l'âge d'or » de la concession 12 ( * ) entre 1998 et 2010, représentant 15 % du chiffre d'affaires . Au cours de cette période, le consortium a enregistré des résultats avant redevances versées à l'État et impôts quatre fois supérieurs à la simulation financière de référence ayant été établie lors de la signature.

Compte tenu des redevances dues par le consortium à l'État au titre de ces résultats, le montant net versé par l'État a toutefois été réduit à 121,6 millions d'euros , comme l'illustre le graphique ci-après.

Évolution de l'indemnité pour absence de club résident nette
entre 1998 et 2013

(en millions d'euros)

NB : il s'agit du montant net de l'indemnité versée par l'État au consortium du Stade de France, une fois déduit le montant de la redevance due par ce dernier à raison des résultats enregistrés dans l'exploitation de l'enceinte.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données transmises par la direction des sports

Le déséquilibre du contrat dans l'exploitation du stade, renforcé par l'essor de l'économie du sport, a conduit les fédérations françaises de football et de rugby à remettre en cause les termes des conventions qui leur avaient été imposées en 1995 par l'État et à envisager de ne pas les reconduire.

Ces dernières ont estimé que la répartition de la valeur s'opérait à leur détriment , alors même qu'elles détiennent la propriété du droit d'exploitation des manifestations sportives qu'elles organisent 13 ( * ) . Les conventions conclues en 1995 conduisaient en effet à attribuer une part majoritaire des résultats des manifestations, évaluée à 62 % pour le consortium et 38 % pour la fédération française de football, et 53 % pour le consortium et 47 % pour la fédération française de rugby.

Compte tenu de la garantie que l'État avait octroyée au concessionnaire en cas de non reconduction de ces conventions et du découplage opéré entre la durée de la concession et celle des conventions conclues entre le consortium et les fédérations, il en résultait un risque budgétaire majeur, estimé à 30 millions d'euros par an environ. Ce montant représentait l'équivalent de 15 % des crédits du programme 219 « Sport ».

C'est dans ce contexte que la fédération française de rugby a sérieusement envisagé la construction de son propre stade dans l'Essonne , avant d'y renoncer en 2017. Ce projet exposait l'État à un double risque budgétaire, évalué à 23 millions d'euros par an 14 ( * ) , et patrimonial , compte tenu de la dépréciation que l'exil définitif du rugby du Stade de France aurait entraînée.

Surtout, ce déséquilibre a alimenté une tension profonde dans les relations entre les différentes parties , se prolongeant devant les tribunaux et accentuant la fragilisation juridique du contrat.

3. Un contrat juridiquement fragilisé

La chronique juridique du contrat de concession associe différents chapitres, au titre du contrat lui-même 15 ( * ) et, à titre subsidiaire, dans les relations entre le consortium et les deux fédérations utilisatrices.

Avant même que le stade ne soit inauguré, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du Premier ministre de signer le contrat de concession à la demande de candidats évincés, par une décision du 2 juillet 1996 devenue définitive. Cette annulation s'est fondée, en droit, sur l'inclusion dans le contrat des clauses de garantie d'équilibre financier d'exploitation non prévues par le règlement de la consultation.

Toutefois, une loi de validation du contrat de concession a été adoptée le 11 décembre 1996 , dans l'objectif d'assurer la livraison à temps de l'enceinte. Cette même loi a ensuite été abrogée par le Conseil constitutionnel le 12 février 2011 dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité 16 ( * ) posée à l'occasion d'un contentieux commercial opposant le consortium à un revendeur de billets.

Par ailleurs, les fédérations françaises de football et de rugby ont porté leurs différends respectifs avec le consortium à raison de l'équilibre des concessions les liant au consortium devant la justice 17 ( * ) . Prenant appui sur différents fondements juridiques, ces recours ont tous exposé l'État à un risque financier élevé du fait de la garantie accordée au concessionnaire en cas de non-tenue des matchs réservés des équipes de France de football et de rugby.


* 1 Loi n° 93-1435 du 31 décembre 1993 relative à la réalisation d'un grand stade à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en vue de la coupe du monde de football de 1998.

* 2 Le consortium du Stade de France est une société anonyme dont le capital est détenu par Vinci Concession SAS à hauteur de 66,7 % et Bouygues Constructions SA à hauteur de 33,3 %.

* 3 L'État a supporté le coût de la dépollution initiale du terrain, pour un montant de 23 millions d'euros, et finance chaque année l'entretien et le fonctionnement du système de captage des émanations gazeuses, à raison de 100 000 euros.

* 4 Voir l'insertion sur l'organisation de la coupe du monde de football 1998 dans le rapport public annuel de la Cour des comptes sur l'exercice 2000, janvier 2001, p. 275 : « l'État a perdu [...] un temps précieux, ce qui l'a ensuite singulièrement affaibli dans les négociations qu'il a dû mener avec le groupement d'entreprises choisi. [...] On ne peut que regretter que ces décisions n'aient pas été précédées d'une étude sur la rentabilité de cette exploitation après la coupe du monde. Faute d'avoir entrepris cette étude préalable, l'État s'est privé des éléments objectifs permettant d'apprécier la portée des engagements qu'il a pris, en signant le traité de concession ».

* 5 La FIFA exigeait une enceinte comprise entre 60 000 et 80 000 places.

* 6 Voir le référé de la Cour des comptes sur le contrat de concession et le devenir du Stade de France, septembre 2018.

* 7 Citons, par exemple, la coupe du monde de football en 1998, les championnats du monde d'athlétisme en 2003, la coupe du monde de rugby en 2007, deux finales de Ligue des champions en 2000 et 2006, une finale de Hcup en 2010, l'Euro 2016, des concerts des Rolling Stones, d'AC/DC, de Madonna, de Johnny Hallyday, et de U2.

* 8 Article 39.2.3 du contrat de concession.

* 9 Réponse de la direction des sports au questionnaire de votre rapporteur spécial.

* 10 Voir l'insertion au rapport précité, p. 281.

* 11 Comme cela sera détaillé par la suite, dans le cadre de l'avenant n° 4 au contrat de concession conclu entre l'État et le concessionnaire le 9 septembre 2013, l'indemnité a été supprimée à compter de cette date, de sorte qu'aucune indemnité n'a été versée à compter de l'exercice 2014.

* 12 Selon l'expression de la Cour des comptes dans le relevé d'observations définitives sur le contrat de concession du Stade de France, septembre 2018.

* 13 Conformément aux dispositions de l'article L. 333-1 du code du sport.

* 14 Voir le référé de la Cour des comptes sur l'impact budgétaire et patrimonial pour l'État du projet de construction d'un stade fédéral de rugby par la fédération française de rugby (FFR), décembre 2015.

* 15 Mentionnons, pour mémoire, la procédure parallèle initiée par la Commission européenne. En avril 1997, cette dernière avait émis un avis motivé à l'encontre de la France à raison de manquements aux règles communautaires en matière de marchés publics à l'occasion du contrat de concession. À la suite de discussions approfondies avec la France - qui s'était engagée à indemniser le candidat évincé et à revoir les règles de concession de service public -, la Commission a finalement renoncé à saisir le juge de Luxembourg et a clôturé l'affaire en avril 1998.

* 16 Le juge constitutionnel ayant considéré que « le législateur, en s'abstenant d'indiquer le motif précis d'illégalité dont il entendait purger l'acte contesté, avait méconnu le principe de la séparation des pouvoirs et le droit à un recours juridictionnel effectif, qui découlent de la Déclaration de 1789 » (Décision n° 2010-100 QPC du 11 février 2011, cons. 5).

* 17 S'agissant de la FFF, citons les recours engagés à son initiative devant le tribunal administratif de Paris contre l'État tendant à la résiliation du contrat de concession, dont elle s'est désistée fin 2016, et devant le tribunal de grande instance de Paris à l'encontre du consortium pour nullité de la convention de 2010, dont elle s'est également désistée en septembre 2017. S'agissant de la FFR, mentionnons le recours devant l'Autorité de la concurrence dont elle a été déboutée en décembre 2012, devant la juridiction administrative pour annulation de plusieurs articles du contrat de concession.

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