H. AUDITION DE MM. STÉPHANE ROY, DIRECTEUR DES ACTIONS TERRITORIALES, ET PIERRE PANNET, DIRECTEUR RÉGIONAL HAUTS-DE-FRANCE, DU BUREAU DE RECHERCHES GÉOLOGIQUES ET MINIÈRES (BRGM) - JEUDI 4 AVRIL 2019

M. Michel Vaspart , président . - Nous reprenons les auditions de notre mission d'information consacrée aux risques climatiques.

Nous recevons tout d'abord M. Stéphane Roy, directeur des actions territoriales, et M. Pierre Pannet, directeur régional Hauts-de-France, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Merci à vous deux d'avoir accepté notre invitation.

Je rappelle que le BRGM est un établissement public d'État, qui constitue le service géologique national. À ce titre, il assure des missions de recherche scientifique en matière de sols, mais également d'appui aux politiques publiques.

Nous avons souhaité vous entendre compte tenu du lien étroit qui existe entre les questions géologiques et les phénomènes climatiques, en particulier en matière de sécheresse et de retrait-gonflement des argiles. Le BRGM mène également des travaux sur les risques côtiers, qui intéressent notre mission d'information en raison des effets du changement climatique - en particulier l'élévation du niveau des océans - sur ces phénomènes.

M. Stéphane Roy , directeur des actions territoriales du Bureau de recherches géologiques et minières . - Merci de votre accueil, nous sommes très honorés d'être invités à participer aujourd'hui à cet échange. Le BRGM est un établissement public à caractère industriel et commercial sous triple tutelle - du ministère de la recherche, du ministère de l'environnement et du ministère de l'économie - dont la vocation scientifique est de comprendre les mécanismes géologiques. La géologie ne recouvre toutefois qu'une partie de nos activités. Avec environ mille collaborateurs, le bureau compte en son sein des mathématiciens, des géographes, des géologues, des chimistes, des physiciens entre autres, et il est présent dans tous les territoires, en métropole et outre-mer, y compris en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, avec au total vingt-cinq antennes. Nous avons donc une approche concrète des sujets et de la situation des territoires.

La connaissance du sous-sol fait bien sûr partie de nos compétences intrinsèques, avec la mise à disposition de données, la gestion intégrée et durable des sols ainsi que des ressources en eau. Nous traitons également de la question des risques, du recyclage et de l'économie circulaire, ainsi que de la transition énergétique, avec, notamment, la géothermie, une source d'énergie renouvelable qui représente un potentiel important, notamment en métropole. La question des risques représente à peu près 20 % de l'activité de l'établissement, soit une part très significative.

M. Pierre Pannet , directeur régional Hauts-de-France du Bureau de recherches géologiques et minières . - Quels sont les risques géologiques et côtiers ? Il s'agit principalement des inondations, avec les débordements de cours d'eau, le ruissellement, les coulées de boue, qui sont en lien avec le contexte géologique particulier, et la remontée de nappe, mais aussi du retrait-gonflement des argiles lié à la sécheresse - la France étant peu confrontée au gonflement -, du recul du trait de côte, une question prégnante, notamment dans le contexte du changement climatique et de montée du niveau marin, de l'affaissement ou de l'effondrement lié à la présence de cavités souterraines, et enfin des mouvements gravitaires - glissements de terrain ou de blocs -, des mouvements certes ponctuels, mais qui peuvent être très violents. Ces risques ont, de près ou de loin, un lien avec le climat, et donc avec le changement climatique. Le dernier risque géologique, le risque sismique, est, quant à lui, inhérent aux forces internes de la planète.

Les inondations et le retrait-gonflement des argiles lié à la sécheresse constituent pour moitié les phénomènes causant des dommages, l'autre moitié étant due aux tempêtes, à la grêle et à la neige. Le phénomène du retrait-gonflement des argiles est évidemment ponctuel : depuis la fin des années 1980, les dommages liés à ce phénomène se chiffrent à 11 milliards d'euros, avec un pic à 1,6 milliard en 2003.

Nous ne disposons pas encore des chiffres pour l'année 2018, mais les coûts devraient avoisiner ceux de 2003. Nous travaillons en lien avec les caisses d'assurance, et ces chiffres nous sont d'ailleurs fournis par l'Association française de l'assurance. À l'horizon de 2050, le coût des dommages pourrait augmenter de 50 %.

Pour ce qui concerne la prévention des risques, le BRGM a trois missions. Premièrement, la connaissance, la recherche et développement (R&D), avec l'analyse et la description des processus de mise en place des phénomènes de risques naturels, le développement de méthodes et d'outils d'acquisition de données et d'analyses, les modélisations et la mise au point de méthodologies permettant la prévention la plus précise possible en fonction de l'avancement des technologies. Le rapport coût-bénéfice de la prévention est nettement positif sur le long terme. Deuxièmement, l'appui aux politiques publiques, en matière de gestion des catastrophes naturelles et de prévention, avec un développement méthodologique pour les services de l'État, dans le cadre de l'établissement de plans de prévention des risques (PPR). Troisièmement, enfin, l'information à destination du grand public ou des élus, via deux sites en particulier : www.infoterre.brgm.fr et www.georisque.gouv.fr.

La connaissance est fondamentale dans la prévention des risques. À cet égard, je prendrai l'exemple de la gestion du risque lié aux cavités souterraines en milieu urbain. Jusqu'à présent, les inventaires nous permettaient d'avoir des informations partielles pour cibler les zones les plus à risques. Le milieu urbain étant très complexe - de nombreux bâtiments, de nombreux réseaux, une impossibilité de condamner une rue ou un quartier -, nous n'étions pas capables d'entrer dans le détail. Aussi, il nous a paru nécessaire de développer des méthodes adaptées qui soient non destructives, non sensibles à la présence de réseaux, non impactées par la présence de bâtiments et spatialement « intéressantes », c'est-à-dire capables de traiter des quartiers entiers en un temps assez court.

Dans la ville de Reims, le BRGM a pu faire une échographie du sous-sol pour imager les anomalies. Le développement de modèles de correction a permis de modéliser le milieu urbain, la masse ou le déficit de masse, donc les cavités. Nous avons donc une image du sous-sol sans l'impact des bâtiments. Dans le même temps, grâce à l'acquisition de la 3D de haute précision, des diagnostics de stabilité très précis ont été réalisés ; on voit ainsi les vides souterrains sur le graphique qui vous est présenté.

M. Michel Vaspart , président . - Les souterrains naturels ?

M. Pierre Pannet. - Il peut y avoir des souterrains naturels dans les villes, mais la plupart d'entre eux ont été creusés par l'homme à un moment ou à un autre.

Nous n'avions alors qu'une connaissance des vides existants selon les endroits de l'ordre de 20 à 50 %. Avec cette nouvelle méthode, nous pouvons retrouver les zones de vide, les quantifier en trois dimensions - 400 crayères sont utilisées par les maisons de champagne, alors qu'on en a recensé 2 000 - et nous avons développé des modèles de correction pour calculer l'effet théorique de ces vides. Nous pouvons donc traiter de manière exhaustive le risque lié à la présence de cavités souterraines en milieu urbain.

Notre mission est de faire de la recherche pour être le plus précis possible dans la prévention des risques. Auparavant, en cas de suspicion de cavités, soit on ne faisait rien, et on faisait prendre des risques à la population, soit on condamnait des quartiers complets, ce qui faisait perdre de la surface et diminuait la valeur des biens immobiliers. Aujourd'hui, à l'intérieur d'une même parcelle, on sait définir les différents aléas. C'est une grande avancée dans la prévention.

La problématique est la même pour ce qui concerne le littoral. L'éboulement majeur qui s'est produit récemment à Dieppe a détruit une habitation. On a alors découvert un contexte géologique peu connu, mais particulièrement impactant, qui pourrait se reproduire dans les zones fortement urbanisées. Grâce à la R&D, les méthodologies ont été adaptées pour mesurer le risque avec précision à différents termes - dix, trente et cent ans -, lequel est aujourd'hui inclus dans la carte réglementaire.

M. Stéphane Roy . - Cette évaluation des risques est extrêmement éclairante en termes d'aménagement du territoire.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Avez-vous réalisé cette évaluation pour toutes les côtes ?

M. Pierre Pannet. - Nous l'avons fait pour quelques communes, notamment celles qui rencontrent des problèmes.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Pourquoi ?

M. Pierre Pannet. - La prévention est un investissement en soi. Cette étude a coûté entre 300 et 400 000 euros à la ville de Dieppe. Toutefois, cela correspond à peu près au prix de la maison qui s'est effondrée. Sur le long terme, cet investissement est donc positif.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - La demande émanait de la ville ?

M. Pierre Pannet. - C'était une demande de la direction départementale des territoires (DDT).

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Vous pourriez donc analyser toutes les côtes pour évaluer les risques à plus ou moins long terme ?

M. Pierre Pannet. -Tout à fait. Techniquement, nous sommes capables de le faire sur les côtes rocheuses et les côtes sableuses pour l'ensemble de la France.

M. Michel Vaspart , président . - L'avez-vous fait en Gironde et dans les Landes ?

M. Pierre Pannet. - Nous avons analysé une bonne partie de la côte aquitaine, quelques communes de la Méditerranée, ainsi que d'autres territoires, comme la commune d'Ault dans la Somme, par exemple.

Mme Nelly Tocqueville . - Lacanau également ?

M. Pierre Pannet. - Je pense que oui.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - À combien d'années ?

M. Pierre Pannet. - Le PPR fixe une prévision à cent ans ; mais nous sommes capables de prévoir le risque à différents termes : dans un terme imminent, à dix ans, cinquante ans, cent ans. Plus on s'éloigne dans le temps et plus les projections sont évidemment soumises à des variables climatiques.

M. Didier Mandelli . - J'ai cru comprendre que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) réalisait le même type d'études, à la demande du Gouvernement.

M. Pierre Pannet. - Le Cerema peut réaliser ce type d'études dans certains cas. Ce que le Gouvernement lui a demandé est un état des lieux entre 1950 et aujourd'hui, en vue de définir les zones dans lesquelles on voit poindre des risques supérieurs à d'autres.

M. Michel Vaspart , président . - Pour compléter les propos de Didier Mandelli, il nous semble que le Cerema a été chargé de faire davantage qu'un simple état des lieux. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

M. Stéphane Roy . - Avec le Cerema, nous travaillons plutôt dans un continuum . Les méthodologies que nous vous présentons sont en cours d'élaboration, et nous les testons sur le terrain. Le Cerema, qui est un établissement public administratif, oeuvre en aval, en appui aux collectivités. L'approche entre les deux organismes est commune ; nous sommes très rarement en concurrence.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Je vous remercie pour cet exposé. Je me réjouis que le BRGM soit présent dans tous les territoires. Compte tenu de votre méthodologie et de vos implantations locales, pourquoi ne contribuez-vous pas aux études lors de la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ? Je suis élue de Charente, territoire victime de la sécheresse depuis plusieurs années. Les sinistrés ne comprennent pas que telle commune ne soit pas reconnue en état de catastrophe naturelle, alors que telle autre l'est. La commission interministérielle s'appuie, pour rendre son avis, sur l'outil SIM, une méthode de modélisation utilisée par Météo France que je ne conteste pas, mais qui est très peu intelligible. D'autant plus que le Cerema nous a indiqué qu'il n'y avait pas de dossier technique produit pour la reconnaissance des sécheresses. Pourquoi le BRGM n'est-il pas plus impliqué ?

M. Pierre Pannet . - Dans les années 2000, l'État nous a demandé de réaliser la carte nationale des aléas à l'échelle 1/50 000 e . On connaît donc les zones à risques. Pour qu'un territoire soit reconnu en état de catastrophe naturelle, l'État prend en compte, à juste titre ou non - il ne nous appartient pas de nous prononcer sur ce point - les critères météo au travers de l'outil SIM. La France est découpée en mailles de huit kilomètres de côté, avec quatre différenciations possibles d'un point de vue météo, le couperet étant la récurrence de vingt-cinq ans, ce qui est énorme, surtout dans le contexte actuel de changement climatique.

M. Stéphane Roy . - Il devient de plus en plus contraignant.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Les sinistrés ne comprennent pas. La sécheresse de 2016 a été plus forte que les précédentes, mais elle n'a pas été reconnue.

M. Pierre Pannet . - Si la sécheresse de 2003 se produisait aujourd'hui, moins de communes seraient reconnues en état de catastrophe naturelle du fait des statistiques. Précisons qu'en 2050 une telle sécheresse serait récurrente une fois tous les trois à cinq ans, ce qui est considérable.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Tout à fait.

M. Stéphane Roy . - La carte de la France disponible sur le site www.georisques.gouv.fr présente à l'échelle 1/50 000 e les aléas liés au retrait-gonflement des argiles. Dans la Charente, par exemple, les aléas sont moyens et forts.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Cet outil ne pourrait-il pas être mieux utilisé dans le cadre de la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ?

M. Pierre Pannet . - On peut affiner cette étude, mais, pour être clair, il s'agit davantage d'une question politique que scientifique. Aujourd'hui, la majorité des sinistres ne sont pas reconnus en état de catastrophe naturelle. Pourtant, même sans récurrence de vingt-cinq ans de sécheresse, les dégâts peuvent être considérables. C'est tout ce que je peux dire d'un point de vue scientifique.

M. Stéphane Roy . - Ce sont les critères qui sont appliqués pour classer un territoire en état de catastrophe naturelle. Vu l'évolution du changement climatique, il conviendrait peut-être de les modifier.

M. Pierre Pannet . - Les simulations montrent que, à l'horizon de 2050, les coûts liés à la sécheresse seront supérieurs de deux fois ou deux fois et demie à ce qu'ils sont aujourd'hui.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Si l'on change les critères, ce sera pire.

M. Pierre Pannet . - La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan), modifie les modalités de prévention de ce risque, en fixant des prescriptions en matière de construction. Cette mesure va dans le bon sens pour la prévention des risques.

M. Guillaume Gontard . - Intervenez-vous dans les secteurs de montagne ? Les évolutions que connaissent les glaciers ont des conséquences en chaîne. Quels liens avez-vous avec les services de restauration des terrains de montagne (RTM) ?

M. Pierre Pannet . - À ma connaissance, nous intervenons assez peu en montagne, pour ne pas être en concurrence avec les services de RTM. Dans ces zones, nous travaillons principalement sur les problématiques de chutes de blocs ou de coulées de boues.

M. Guillaume Gontard . - Travaillez-vous en liaison avec ces services ?

M. Stéphane Roy . - Nous menons des travaux en commun, mais nous évitons de travailler sur les mêmes sujets. Nous apportons des compétences complémentaires en cas de besoin.

Mme Nelly Tocqueville . - Je ne reviendrai pas sur l'exemple de Dieppe, mais la Normandie compte de nombreuses marnières. J'ai interrogé le ministre à cet égard. Ces données sont prises en compte dans le cadre du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI). Un constat : la situation est difficile à gérer pour les élus. Certains d'entre eux veulent revitaliser leur territoire, mais ne peuvent pas construire.

Vous avez pris le cas de Reims. Quand vous découvrez des cavités vides, comment cela se passe-t-il avec les élus locaux, qui doivent - une nécessité raisonnable -reconstruire la ville sur la ville ? Intervenez-vous pour leur interdire de reconstruire ?

M. Pierre Pannet . - Je connais bien le phénomène des marnières pour avoir été ingénieur risques en Normandie, spécialiste des marnières. Ces cavités sont le cas le plus compliqué. Un projet méthodologique a été tout récemment validé par la DDT de Seine-Maritime, en collaboration avec la chambre d'agriculture et quelques services urbains, pour définir des méthodes d'échographie du sous-sol, en vue de détecter la localisation précise des marnières. Cela constituerait une énorme avancée, car ce sont des parcelles entières qui sont aujourd'hui condamnées au regard de la prévention des risques. La solution passe par la R&D. La Seine-Maritime et l'Eure comptent 150 000 marnières, soit 15 marnières au kilomètre carré.

Le cas de Reims est très intéressant parce que l'on est hors du cadre réglementaire. Parfois, les collectivités ne souhaitent pas mettre en place des actions de prévention, pour éviter de faire peur à la population ou d'entraîner une dévaluation importante des biens. L'effondrement qu'a connu Reims en 2016 a été très marquant pour la population. Dans le cadre des travaux de réaménagement urbain, cette ville a engagé des actions de prévention. Le coût de la prévention est certes élevé, mais il correspond au coût induit par un seul accident matériel. Le rapport coût-bénéfice est donc, je le répète, nettement positif. La cavité n'interdit pas de construire : il convient de bien pieuter la maison, de construire sur radier ou, si nécessaire, de combler le vide. De plus, dans le contexte du changement climatique et de transition énergétique, la recherche montre que les tampons thermiques permettent d'améliorer le bilan thermique des maisons construites au-dessus de ces cavités.

Le fait de connaître le risque conduit à prévoir des solutions de réaménagement, pour ne pas prendre de risques sur le long terme, car une cavité finira toujours par s'effondrer.

M. Stéphane Roy . - Dès lors que l'on connaît le terrain, on peut l'aménager en conséquence. Certes, cela aura un coût, mais c'est indispensable pour éviter la catastrophe.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Les constructeurs sont-ils suffisamment informés et formés ?

M. Stéphane Roy . - Ils le sont partiellement selon les cas. Pour l'heure, les données scientifiques en matière de risques ne sont pas exhaustives.

M. Pierre Pannet . - La méthode que je vous ai présentée précédemment date de moins d'un an. Nous recommandons aujourd'hui faire des efforts sur la prévention.

M. Stéphane Roy . - La culture du risque est très différente en outre-mer parce que les habitants ont malheureusement l'habitude de subir des phénomènes climatiques beaucoup plus forts. Nous avons beaucoup à apprendre dans ces territoires. Par exemple, des exercices d'évacuation sont prévus annuellement dès l'entrée en crèche et tout au long de la scolarité. L'éducation à l'appréhension du risque et à la réactivité est une piste sur laquelle il convient de réfléchir.

M. Pierre Pannet . - En France, le suraccident lié à la méconnaissance et au mauvais comportement en cas de catastrophe est à l'origine d'un grand nombre de victimes supplémentaires. Au Japon, un enfant de quatre ans sait exactement comment réagir en cas de séisme. Alors que la force des séismes possibles dans la région de Nice, par exemple, sera cent fois inférieure à celle des séismes au Japon, ceux-ci feront des victimes à cause de l'habitat et de l'absence totale de culture du risque parmi les élus, les enseignants, la population.

L'éducation et la prévention sont donc deux sujets majeurs. Si des efforts sont réalisés en la matière, la France sera beaucoup mieux armée dans une dizaine d'années.

M. Stéphane Roy . - Et la population ne doit pas être surprise de l'occurrence de ces phénomènes. Chaque Français doit être conscient qu'il peut être soumis à tel ou tel risque dans la région dans laquelle il habite. Alors qu'il n'y a eu aucun dégât, le séisme qui a eu lieu dans la région de Bordeaux la semaine dernière a créé un grand émoi au sein de la population.

Mme Pascale Bories . - La catastrophe de l'Aude a eu lieu en pleine nuit. Comment informer la population ? L'élu doit réfléchir à la manière d'informer en urgence selon le phénomène.

Je suis arrivée au moment où vous parliez de la loi Elan et des dispositions visant les constructions neuves. J'aimerais revenir sur les critères très techniques retenus pour évaluer l'état de catastrophe naturelle. J'ai du mal à comprendre pour quelles raisons des collectivités très proches les unes des autres ont été pour certaines déclarées en état de catastrophe naturelle et d'autres non, même si les poches argileuses sont parfois de petite taille.

M. Pierre Pannet . - Ce sujet a été évoqué précédemment. Vous abordez la question des petites poches argileuses. Le BRGM a réalisé la carte d'aléas à l'échelle nationale, département par département. Dans certains cas, vu l'échelle de la carte, on est peut-être passé à côté de certaines poches. Ce problème pourrait être réglé par les collectivités. Quant au problème des critères météo, ils sont effectivement très restrictifs.

M. Stéphane Roy . - C'est un verrou.

M. Pierre Pannet . - Vous l'avez dit, la loi Elan comporte de bonnes mesures pour l'avenir ; la situation est plus problématique pour l'habitat ancien. À cet égard, je mentionnerai les modulations de franchises. Sans PPR, comme le prévoit la loi Elan, chaque fois qu'une commune subira une catastrophe naturelle, la franchise augmentera. Elle augmentera tous les ans et pourra atteindre cinq fois le montant de la franchise initiale, ce qui correspond grosso modo au coût moyen du dégât.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) nous a indiqué travailler sur de nouveaux critères pour ce qui concerne la sécheresse, en prenant en compte les niveaux de pluviométrie, la température globale, le niveau des nappes phréatiques, le niveau de rivière, l'évaporation des végétaux. Êtes-vous associés à ce travail ?

M. Pierre Pannet . - L'un de nos spécialistes est consulté dans le cadre de la réflexion en cours sur ce sujet. Dans l'idéal, il faudrait tenir compte du type d'argile et, surtout, de l'environnement. Si l'ensemble de l'argile se rétracte de manière uniforme, la maison ne bougera pas ou presque ; il en va autrement pour les maisons construites à moitié sur des argiles et des sables. De plus, s'il y a des arbres près de la maison, ils vont assécher les argiles et, donc, un seul côté de la maison. Il faut donc prendre en compte un grand nombre de critères.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Pas seulement les critères météorologiques donc ?

M. Pierre Pannet . - Non. En fait, les critères d'aménagement du territoire sont presque aussi importants que les critères météorologiques pour l'ensemble des risques que nous avons évoqués. Sur le littoral, par exemple, on constate que l'accélération des phénomènes d'érosion tient plus aux aménagements qu'aux phénomènes de changement climatique.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Ne pourrait-on pas dès lors prévoir des critères nationaux mais aussi territoriaux ?

M. Pierre Pannet . - Ce serait plus juste, mais cela a un coût et, il faut en avoir conscience, le coût des assurances dommages risque d'exploser.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Nous sommes là pour répondre au mieux et au plus juste en cas de dommages.

M. Stéphane Roy . - Les effets de mouvements se situent entre 5 et 10 millimètres, et ils suffisent pour casser une maison en deux.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Un chercheur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) nous a indiqué que nous connaîtrions dans un avenir proche une sécheresse tous les deux ans.

M. Pierre Pannet . - Les simulations montrent que nous allons connaître une sécheresse telle que celle de l'année 2003 tous les trois ans à l'horizon de 2030-2050.

M. Michel Vaspart , président . - Le Gouvernement fait une différence entre les catastrophes naturelles, imprévisibles, telles que les inondations, la sécheresse, la submersion marine, et les phénomènes dits prévisibles comme le recul du trait de côte. Dans le cadre de la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique défendue par la députée Pascale Got, que j'avais souhaité reprendre dans la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux, nous avions suggéré des évolutions à ce sujet. A titre personnel, j'estime qu'il y a un lien direct avec la montée des eaux et les phénomènes climatiques violents, qui vont nécessairement amplifier le recul du trait de côte. Comment distinguer clairement les phénomènes imprévisibles de ceux qui sont prévisibles ? Nous avons le sentiment que le Gouvernement veut se retourner vers les collectivités territoriales au motif que l'aménagement du territoire fait partie de leurs responsabilités. Estimez-vous ces distinctions pertinentes ?

M. Pierre Pannet . - Nous avons travaillé sur ce sujet pour le compte de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), et le rapport n'apporte pas de conclusion tranchée sur cette question.

Le recul du trait de côte est prévisible, tout comme le sont les mouvements de terrain en milieu continental. Cet argument vaut pour toutes les catastrophes naturelles en France.

M. Michel Vaspart , président . - Pas les inondations.

M. Pierre Pannet . - Je vous l'accorde ; je parlais des phénomènes d'érosion.

Que ce soit sur les côtes sableuses ou rocheuses ou à l'intérieur des terres, les aléas naturels sont liés, d'une part, au climat pour l'élément déclencheur et, d'autre part, au contexte géologique. À nos yeux, le recul du trait de côte est un risque naturel. La seule différence, c'est que le phénomène peut être réversible pour les côtes sableuses, selon les conditions de la mer, de la houle.

La succession de tempêtes en 2004 a créé des reculs de trait de côte de vingt mètres sur les communes touchées comme Lacanau ou Biscarosse. Mais les reculs majeurs n'excèdent pas vingt mètres, à l'exception de Dieppe avec quarante mètres. Les événements de référence font apparaître des reculs similaires, avec une soudaineté similaire. En termes de sinistralité, on ne peut donc pas établir de différenciation.

Notre conclusion : cette question est plus politique que scientifique.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Disposez-vous de moyens suffisants ?

M. Stéphane Roy . - Les effectifs sont constants, mais avec des compétences et des tâches élargies.

M. Michel Vaspart , président . - Avez-vous aujourd'hui les moyens de mettre en place une prévention sur l'ensemble du territoire pour permettre à tous les élus locaux de s'emparer pleinement de ces sujets ?

M. Stéphane Roy . - Je suis moi-même élu local dans une petite commune. Même si le BRGM n'a pas cette capacité ni en termes de temps ni en termes budgétaires, l'action doit être transversale. Pour mailler le territoire, plusieurs organismes doivent porter le message pour qu'il soit plus impactant. Il faut montrer aux élus locaux des cas concrets sur le terrain.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Il faut que l'État se donne les moyens de le faire.

M. Stéphane Roy . - Nous pouvons coordonner ces actions, mais nous ne pouvons agir seuls.

M. Pierre Pannet . - Je le redis, c'est certes un investissement, mais c'est un investissement pour l'avenir. Pour ce qui concerne les coulées de boues, à l'échelle de cinquante communes, le coût de toute la procédure s'élève à 150 000 euros, soit 3 000 euros par commune. Mais une coulée de boue sur l'une de ces communes représente des dégâts de l'ordre de 150 000 euros a minima . Actuellement, il y a une coulée de boue tous les dix à vingt ans dans le nord de la France ; à l'horizon de 2030-2050, trois coulées de boue auront lieu tous les dix ans. À court terme, le bénéfice net est de plusieurs centaines de milliers d'euros.

M. Michel Vaspart , président . - Sans parler des drames humains.

M. Pierre Pannet . - En effet. Ni de l'impact environnemental sur les rivières, par exemple. Il faut communiquer auprès des élus locaux pour que ceux-ci investissent dans la prévention.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Les associations d'élus n'interviennent-elles pas ?

M. Stéphane Roy . - Nous sommes en relation avec un certain nombre d'associations, notamment Régions de France. Mais si l'on veut être efficace, il faut aller sur le terrain.

M. Michel Vaspart , président . - Merci beaucoup de votre participation à cette audition.

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