C. SI LE SOUTIEN PUBLIC À LA RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT RESTE INDISPENSABLE, SON RETOUR SUR INVESTISSEMENT N'EST À CE STADE PAS ASSURÉ

1. Les entreprises de la filière sidérurgique bénéficient d'un soutien public à la recherche et développement national et européen difficile à chiffrer

Le soutien public à la recherche et développement (R&D) est indispensable, en particulier dans le secteur industriel. Comme le souligne une récente étude 207 ( * ) , « dans les secteurs à haute intensité capitalistique, choisir un procédé bas-carbone plutôt que de réinvestir dans les procédés courants constitue un vrai pari - surtout quand leur viabilité technique et commerciale est incertaine. L'investissement dans les démonstrateurs et d'autres innovations a souvent des retours incertains. Ainsi, des soutiens publics puissants sont nécessaires » 208 ( * ) .

En outre, lorsque les besoins de trésorerie sont importants, les entreprises de la filière réduisent leurs investissements en R&D, les retours sur investissements n'étant notables qu'à moyen et long termes 209 ( * ) .

Les niveaux de dépenses R&D des principaux groupes sidérurgiques en témoignent.

Part du chiffre d'affaires consacrée aux dépenses de R&D

Tata Steel

ArcelorMittal

Eramet

Vallourec

0,2 %

0,4 %

1 %

1,2 %

Source : direction générale des entreprises

D'après A3M, 50 % des projets de R&D sont en relation avec l'environnement (réduction de CO 2 , recyclage, économies d'énergie, etc).

a) Le Crédit d'impôt recherche (CIR) : 64 millions d'euros de créance pour le secteur sidérurgique en 2015

Les entreprises du secteur sidérurgique bénéficient en France de nombreux outils fiscaux et budgétaires de soutien à l'innovation privée, au premier rang desquels figure le Crédit d'impôt recherche (CIR).

S'il existe depuis 1983, il a fait l'objet de plusieurs réformes - en 2004 et en 2008. Depuis le 1 er janvier 2008, il s'agit d'un crédit d'impôt de 30 % des dépenses de R&D jusqu'à 100 millions d'euros , et de 5 % au-delà de ce montant, le franchissement de ce seuil étant apprécié filiale par filiale pour les groupes.

De façon unanime, les interlocuteurs rencontrés par la rapporteure et par les membres de la mission ont souligné l'importance de ce dispositif dans le cadre du soutien à l'investissement des acteurs privés, en particulier industriels, dans la R&D.

La mission d'information s'est rendue à Maizières-Lès-Metz, où elle a visité le premier centre mondial de recherche du groupe ArcelorMittal, qui compte 800 des 1 300 personnes chargées de la recherche de ce groupe dans le monde. Au-delà de l'impulsion à l'innovation qu'il présente, le CIR constitue une incitation fiscale qui a très probablement joué un rôle important dans le choix fait par ArcelorMittal d'implanter son principal centre de recherche en France.

Selon les données communiquées par la direction générale de l'innovation et de la recherche 210 ( * ) , la créance de Crédit d'impôt recherche générée par les déclarations des entreprises du secteur sidérurgique s'élève à 64 millions d'euros en 2015 - dernière année disponible. Cette créance correspond à 214 millions d'euros de dépenses, qui sont essentiellement des dépenses de recherche 211 ( * ) .

Des défaillances de marché qui justifient l'intervention fiscale
en faveur de la R&D industrielle privée

Dans les pays industrialisés comme la France, qui ont depuis longtemps terminé leur phase de croissance de rattrapage, le progrès technique est indispensable à l'augmentation de la croissance potentielle de l'économie . Dans la mesure où celui-ci est alimenté par la recherche et développement (R&D) menée tant par les établissements publics (organismes de recherche, université) que par les acteurs privés, tous les pays à la frontière technologique cherchent à augmenter leur part de dépenses de R&D dans leur richesse nationale.

Les dépenses de R&D se caractérisent en effet par l'existence d'externalités positives : les innovations qui en résultent ne bénéficient pas uniquement à l'institution qui les a produites mais se diffusent à l'ensemble du système économique, améliorant la productivité globale des facteurs de production. En conséquence, le rendement économique de ces dépenses pour une entreprise privée donnée est inférieur à celui qu'il représente pour l'ensemble de la société : l'investissement privé en R&D risque donc d'être inférieur à son niveau optimal. Cette « défaillance de marché » justifie une intervention de l'État pour inciter les entreprises privées à investir dans la R&D et développer des innovations, en particulier des innovations de rupture.

En France, le crédit d'impôt recherche (CIR) est désormais de très loin le principal dispositif de soutien à l'investissement des acteurs privés dans la R&D. Il constitue un atout considérable pour maintenir et attirer sur le territoire français les centres de recherche, en particulier ceux des grands groupes mondialisés qui peuvent facilement les déplacer sur d'autres territoires.

Source : Rapport d'information n° 551 (2017-2018) de Martial Bourquin fait au nom de la mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays déposé le 6 juin 2018

Des études récentes ont été synthétisées par l'Observatoire française des conjonctures économiques (OFCE) en avril 2017, et concluent à l'effet positif du CIR sur les dépenses de recherche des entreprises, notamment industrielles - il aurait ainsi permis de stabiliser l'effort de recherche en France ces dernières années.

S'il y a lieu de regretter que les montants de CIR dont bénéficient les principales entreprises du secteur sidérurgique implantées en France n'aient pas pu être transmis à la mission, étant couverts par le secret fiscal , il apparaît, comme l'a rappelé Martial Bourquin dans un récent rapport sur la stratégie industrielle française 212 ( * ) que « les grandes entreprises bénéficient d'une dépense fiscale coûteuse pour l'État, alors même que l'effet incitatif est parfois réduit par rapport aux petites et moyennes entreprises, au vu des montants en jeu ».

Le soutien public à la R&D reste néanmoins important, afin de donner l'impulsion aux nombreux projets d'amélioration des hauts-fourneaux précités, dont les coûts sont très élevés.

Comme l'avait recommandé la mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays, la rapporteure propose de sanctuariser le crédit d'impôt recherche dans son périmètre actuel, tout en conditionnant son bénéfice à un maintien d'activité sur le territoire national pendant au moins cinq ans.

Proposition n° 10 : Sanctuariser le crédit d'impôt recherche dans son périmètre actuel, tout en conditionnant son bénéfice à un maintien d'activité sur le territoire national pendant au moins cinq ans afin de mettre un terme à des comportements de pure optimisation fiscale menés par certains groupes, notamment étrangers.

b) Les programmes d'investissement d'avenir contribuent au financement de l'innovation dans le secteur sidérurgique

Comme en témoignent les plans de financement des projets d'amélioration des hauts-fourneaux précités ou les projets d'innovation de rupture dans la production d'acier, le financement de l'innovation dans le secteur industriel résulte également des programmes d'investissements d'avenir (PIA) , dont les outils financiers sont mobilisés en fonction du stade de maturation (depuis la recherche en laboratoire - public ou privé - jusqu'à l'industrialisation d'un produit par l'entreprise) et du profil de risque du projet.

De nombreux secteurs bénéficient de financements via les PIA, en particulier le PIA 3, y compris dans l'industrie. Le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) participe d'ailleurs aux réunions des conseils stratégiques de filières, étant membre du Conseil national de l'industrie.

Deux outils des PIA concernent en particulier la filière sidérurgique :

- l'Institut de Recherche Technologique (IRT) , opéré par l'Agence nationale de la recherche (ANR), lauréat de l'appel à projet 2010 Matériaux, Métallurgie et Procédés ( M2P basé à Metz), qui emploie désormais plus de 70 personnes ;

- les appels à projets dans le cadre des « Démonstrateurs » de la transition écologique et énergétique opérés par l'ADEME. Cette action a notamment financé le projet ULCOS, déjà présenté, en Lorraine ainsi que des projets sur le recyclage de gaz de haut fourneau et les procédés de recirculation des fumées en agglomération de minerai de fer à Fos sur Mer.

Alors que les « prêts verts » soutenaient le verdissement des procédés industriels, le PIA 3 n'a pas reconduit le dispositif. Deux entreprises de la filière ont été financées en 2018, pour un montant de 2,4 millions d'euros.

La direction générale des entreprises estime au total que si les grands groupes sidérurgiques ont en France des structures de recherche étoffées (Metafensch à Hagondange, etc), participent à des grands projets de R&D européens notamment « bas-carbone » (3D par exemple) et utilisent les financements européens (cf. infra ) , ils sont peu présents dans les programmes de R&D nationaux.

La mise en place d'un prêt « Transition énergétique » pourrait être envisagée, afin de financer les investissements immatériels et une partie des investissements corporels à faible valeur de gage.

L'objectif de ce prêt serait de favoriser l'intégration dans l'entreprise d'équipements ou de technologies permettant par exemple de réduire la consommation d'énergie ou de matières premières non renouvelables, de mettre sur le marché des produits ou des services en matière de protection de l'environnement et de réduction de la consommation d'énergie. La présence de Bpifrance générerait un effet d'entraînement des banques privées.

D'après Bpifrance 213 ( * ) , à l'appui de 60 millions d'euros de dotations publiques, ce seraient près de 700 millions d'euros de financements qui pourraient être entraînés vers les PME et ETI françaises.

Il serait opportun de prévoir que ce prêt soit accessible à des taux préférentiels.

Proposition n° 11 : Mettre en place un prêt « Transition énergétique » porté par Bpifrance afin de faciliter le financement d'investissements immatériels voire des investissements corporels dans le secteur industriel, en particulier dans la filière sidérurgique.

c) Des outils de soutien au niveau ministériel

D'après les informations fournies par la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), de 2012 à 2018, l'Agence nationale de recherches a financé des projets, pour un montant d'aide global de 15,3 millions d'euros, qui peuvent être regroupés en trois grandes thématiques principales :

- Sidérurgie et procédés (4,3 millions d'euros) ;

- Métallurgie des aciers et alliages haute entropie (5,6 millions d'euros ;

- Alliages à base Titane (5,4 millions d'euros).

En ce qui concerne les partenariats avec les industriels, sur les 28 projets financés de 2012 à 2018, 15 présentent un consortium impliquant au moins un industriel, avec une participation d'ArcelorMittal dans plusieurs projets mise en évidence.

L'utilisation de certains outils de la politique contractuelle du Gouvernement, comme les contrats de transition écologique , pourrait également être envisagée, comme l'a indiqué Christelle Touzelet, représentante syndicale nationale CFDT d'ArcelorMittal, aux membres de la mission. Ainsi, « pour répondre à l'urgence environnementale et sanitaire, la CFDT a rédigé une proposition de contrat de transition écologique pour le bassin de Fos-sur-Mer » 214 ( * ) .

Ce projet envisage de lancer sur le site d'ArcelorMittal un projet de capture et d'utilisation du CO 2 , « CCU », pour le transformer en carburant synthétique ou en matériaux plastiques. Pour soutenir l'émergence d'une filière sidérurgique décarbonée, la CFDT propose d'engager une première étape de la conversion écologique en lançant un projet bas carbone de type « ULCOS » par réinjection des gaz de hauts-fourneaux, comme l'a récemment annoncé ArcelorMittal sur le site de Dunkerque avec le projet de réduction de gaz réducteur dans un haut-fourneau sidérurgique, « IGAR ».

À plus longue échéance, un objectif de création d'une filière hydrogène serait visé, pour réaliser la réduction du minerai de fer avec ce gaz plutôt qu'avec du coke. L'avantage de ce procédé réside dans l'émission d'eau plutôt que de CO 2 . Le projet de contrat de transition écologique que nous avons élaboré contient d'autres propositions concernant les flux logistiques ou encore l'accompagnement des salariés vers la transition.

Source : audition de Mme Christelle Touzelet, Représentante syndicale nationale CFDT d'ArcelorMittal

d) L'Union européenne a également mis en place des programmes de soutien financier à la mise au point de technologies à faible intensité de carbone, y compris dans le secteur industriel

Le 28 novembre 2018, à la veille du sommet des Nations unies sur le climat (COP24), organisé à Katowice, la Commission européenne a présenté une stratégie en faveur d'une Europe neutre pour le climat d'ici à 2050 215 ( * ) , conformément à l'accord de Paris de 2015 signé au titre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Cette stratégie reprend la feuille de route pour une économie bas-carbone présentée en mars 2011, qui prévoyait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 % d'ici à 2050 par rapport à leur niveau de 1990.

La Commission retient huit scenarii possibles, allant de la baisse de 80 % des émissions à la neutralité carbone - soit l'équilibre entre les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre. Parmi les axes de travail retenus par cette nouvelle stratégie figure le captage et le stockage du carbone 216 ( * ) .

« De nombreuses émissions dues à des procédés industriels seront très difficiles à éliminer. Des options existent néanmoins pour les réduire. Le CO 2 peut être capté, stocké et réutilisé. L'hydrogène vert et la biomasse durable peuvent constituer, au lieu des énergies fossiles, la matière première de nombreux procédés industriels, en particulier dans la production d'acier et de produits chimiques ».

Source : Communication de la commission européenne au Parlement « A Clean Planet for all ; a European strategic long-term vision for a prosperous, modern, competitive and climate neutral economy », COM(2018) 773, 28 novembre 2018 - traduction du Sénat

L'atteinte de ces objectifs ambitieux nécessite un cadre favorable à la R&D au niveau européen.

L'Union européenne soutient ainsi la recherche et le développement via Horizon 2020, le programme-cadre pour la recherche et l'innovation. Doté de 79 milliards d'euros pour la période de 2014-2020. Les financements du programme Horizon 2020 sont appelés à être relayés par le programme InvestEU à compter de 2021.

Dans le cadre de la stratégie Horizon 2020, des appels ont été lancés dans le cadre du partenariat public-privé « SPIRE » ( sustainable process industry through resource and energy efficiency - technologies durables et économes dans les entreprises de transformation), et ont concerné la filière sidérurgique. L'objectif de ce programme est de favoriser le développement de procédés à moindre intensité énergétique tout au long de la chaîne de valeur.

La Commission européenne en 2013 indiquait dans une communication relative au « Plan d'action pour une industrie sidérurgique compétitive et durable en Europe » que « les projets de l'industrie sidérurgique présentant un profil de risque faible peuvent souvent prétendre à un financement à long terme auprès de la Banque européenne d'investissement ». Selon la direction générale des entreprises (DGE), ArcelorMittal bénéficie sur la période 2017-2020 d'un financement de la banque européenne d'investissement (BEI) de 350 millions d'euros.

Il existe également un « Fonds de recherche sur le charbon et l'acier », qui finance, sur la période 2014-2020, des projets de recherche à hauteur de 280 millions d'euros. Il s'agit d'un programme de recherche technique sur l'acier et le charbon et sur son utilisation dans l'industrie, qui délivre des subventions complétant les actions entreprises dans les États membres et dans le cadre des programmes de recherche européens existants.

En outre, le programme NER300 soutient des projets de démonstration innovants dans le domaine des énergies à faibles émissions de carbone (comme le captage et le stockage du carbone ou encore les technologies liées aux énergies renouvelables).

Le fonds pour l'innovation lui succédera lors de la phase 4 du SEQE, à partir de 2020 et soutiendra des activités de démonstration de technologies bas-carbone innovantes dans l'industrie , et les innovations de rupture, notamment le captage et stockage du CO 2 - il sera notamment financé par le système d'enchères du SEQE et le reliquat des fonds du programme NER300.

Les travaux menés par l'Union européenne sur les chaînes de valeur stratégiques concernent aussi le secteur sidérurgique. Neuf chaînes de valeur stratégiques ont été choisies à ce jour, dont l'une est l'industrie bas-carbone 217 ( * ) . Il s'agit de diminuer les émissions de gaz à effet de serre des industries énergo-intensives (principalement l'acier, le ciment et la chimie) via notamment l'efficacité énergétique et les économies d'énergie, les matières premières alternatives (hydrogène bas carbone, biomasse, déchets), des procédés intégrés, l'électrification des procédés et de la chaleur, le captage et le stockage du carbone, voire sa réutilisation, et l'économie circulaire.

Ces moyens ont ainsi permis d'alimenter les travaux relatifs à l'utilisation de l'hydrogène ou à la réduction directe de minerai de fer. Cependant, plusieurs interlocuteurs ont indiqué à votre rapporteur que ces financements ont eu de faibles résultats, en partie en raison d'une trop faible conditionnalité des financements concédés aux industriels, voire que l'Union avait « raté le coche ».

2. La sécurisation du retour sur investissement de ce soutien n'est pas garantie

L'exploitation des résultats de recherches, lorsqu'elles sont soutenues financièrement soit au niveau européen, soit au niveau national, doit faire l'objet d'une attention particulière, afin d'éviter des phénomènes de transfert de technologies.

En décembre 2018, Tata Steel a annoncé transférer la réalisation des prochains tests du procédé de fabrication d'acier HIsarna des Pays-Bas en Inde.

HIsarna est une nouvelle technologie de production d'acier. Il s'agit d'un réacteur dans lequel le minerai de fer est injecté par le sommet. Le minerai est liquéfié dans un cyclone à haute température et s'égoutte vers le fond du réacteur où de la poudre de charbon est injectée. Le charbon en poudre réagit avec le minerai en fusion pour produire du fer liquide qui est le matériau de base pour produire un acier de haute qualité. Les gaz qui sortent du réacteur HIsarna sont du CO 2 concentré.

Cette technologie supprime un certain nombre d'étapes de prétraitement et exige des conditions moins strictes sur la qualité des matières premières utilisées. Cela se traduit par des gains d'efficacité énormes. Il réduit l'utilisation d'énergie et les émissions de CO 2 de 20 % et réduit les émissions de particules fines, de dioxyde de soufre et d'oxydes d'azote de 60 %à 80 %.

Étant donné que l'installation HIsarna produit du CO 2 hautement concentré, elle convient parfaitement au captage et au stockage de carbone (CCS) ou à l'utilisation (CCU), sans nécessiter d'étape coûteuse de séparation des gaz. La combinaison d'HIsarna avec le stockage pourrait permettre une économie totale de CO 2 de 80 % du processus de production d'acier.

Source : https://www.tatasteeleurope.com/en/sustainability/hisarna

Selon Tata Steel, le pilote installé actuellement aux Pays-Bas a une capacité de production de 60 000 tonnes de fer liquide par an. Avant d'atteindre une production d'1 million de tonne de fer liquide par an, Tata Steel entend réaliser une étape intermédiaire de production de 400 000 tonnes par an en Inde 218 ( * ) .

Or, le procédé HIsarna a bénéficié de 7,4 millions d'euros de financements européens dans le cadre d'Horizon 2020 (sur un budget total de 14,9 millions d'euros), pour le projet LoCO2Fe 219 ( * ) .

Cet exemple illustre ce qu'il convient d'appeler un transfert de technologie à l'étranger, susceptible d'entraîner une perte de compétitivité des entreprises sidérurgiques européennes.

En effet, rien ne garantit que ce procédé innovant soit à terme exploité d'abord au sein d'aciéries européennes. Autrement dit, une innovation technologique rendue possible par un soutien financier européen pourrait devoir être achetée par des groupes européens pour son exploitation industrielle, à des stades de maturité technologique plus élevés.

Votre rapporteure estime qu'il est indispensable de se prémunir de futurs transferts de technologie à l'étranger cofinancés par des programmes de R&D européens et de s'assurer que ces investissements stratégiques favorisent en premier lieu la compétitivité des entreprises européennes dans leur transition bas carbone . Il en va de la crédibilité des programmes de R&D européens et de l'impératif de bonne utilisation des deniers du contribuable européen.

Ainsi, les garanties en termes d'exploitation et de diffusion des résultats de recherche visant à éviter des transferts d'innovation financées par des fonds européens devront être renforcées.

La Commission a publié en juin 2018 une proposition de règlement concernant le programme Horizon Europe dans la future programmation financière 2021-2027 220 ( * ) , dont l'enveloppe devrait s'élever à 100 milliards d'euros sur la période 221 ( * ) .

Plusieurs articles de cette proposition de règlement, actuellement en négociation entre le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen, concernent l'exploitation et la diffusion des résultats des recherches - notamment les articles 35 à 37 -, mais paraissent peu contraignants.

Article 35 « Exploitation et diffusion » de la proposition de règlement

« Les bénéficiaires ayant reçu un financement de l'Union mettent tout en oeuvre pour exploiter leurs résultats, en particulier dans l'Union (...).

Si, malgré tous les efforts déployés par un bénéficiaire pour exploiter directement ou indirectement ses résultats, aucune exploitation n'a lieu dans un délai donné, spécifié dans la convention de subvention, le bénéficiaire utilise une plateforme en ligne appropriée, désignée dans la convention de subvention, pour trouver des parties intéressées pour exploiter ces résultats. Si une demande du bénéficiaire le justifie, il peut être dérogé à cette obligation ».

Il pourrait être intéressant de s'inspirer de la législation américaine : l' Energy Innovation Programme comprend des dispositions explicites prévoyant que les technologies financées par des fonds fédéraux doivent être déployées aux États-Unis.

Dans le cadre des prochaines négociations sur le programme Horizon Europe, il serait opportun de prévoir explicitement que l'exploitation des résultats de recherches financées en partie par des fonds européens soient bien exploitées au sein de l'Union européenne.

Proposition n° 12: Défendre, dans le cadre des prochaines négociations sur le programme Horizon Europe, une position visant à prévoir explicitement que les résultats des recherches financées en partie par des fonds européens soient bien exploités au sein de l'Union européenne.

La décarbonation de la filière sidérurgique, et plus largement, du secteur industriel, est un enjeu central pour les décennies à venir . Toutefois, les investissements consentis par les entreprises de la filière dans ce domaine ne porteront leurs fruits qu'à condition d'être soutenus par un coût de l'énergie compétitif. C'est d'ailleurs le message délivré aux membres de la mission par M. Philippe Darmayan : « il faut bien avoir à l'esprit que toutes les mesures mises en oeuvre pour produire de l'acier décarboné conduisent à une augmentation de la consommation électrique (...) : nous aurons besoin d'une puissante industrie électrique de base, que l'énergie soit produite par le nucléaire ou par les énergies renouvelables. De notre côté, nous ne pouvons pas développer nos process sans disposer d'une électricité compétitive. Dans le cas contraire, tous nos efforts de recherche seront réduits à néant . »

Ainsi, les projets précités entraîneraient une hausse du besoin en électricité de la filière intégrée, par la conjugaison de la hausse de la consommation d'électricité (production d'hydrogène, production d'oxygène, etc.) et de la baisse de l'auto-production d'électricité à base de gaz sidérurgiques. A3M indique ainsi que « si un tiers de la capacité de fonte française était remplacée par le procédé Siderwin, le besoin en électricité augmenterait de l'ordre de 1 600 MW, soit l'équivalent de 1 réacteur nucléaire de type EPR ou 1 000 éoliennes offshore 222 ( * ) . Ce qui nécessite une électricité décarbonée et compétitive » 223 ( * ) .


* . 207 Material Economics (2019). Industrial Transformation 2050 - Pathways to Net-Zero Emissions from EU Heavy Industry.

* 208 « In capital-intensive sectors, choosing a low- CO 2 solution instead of reinvesting in current facilities can amount to a `bet the company' decision - especially when future technical and commercial viability is uncertain. In- vestment in demonstration and other innovation often has highly uncertain returns. For all these reasons, strong policy support will therefore be needed in the near term ».

* 209 « between 2009 and 2014 steelmaking companies invested much less in R&D than they did in 1997-2002. This is interesting as R&D investment can be an important driver of productivity growth and is important for the steel industry to move towards increased energy efficiency and environmental performance in the future (IEA, 2015). It is however important to note that, during downturns when short-term cash needs are more pressing, firms may decide to reduce investments into R&D, notably if the returns on such investments (e.g. gains in efficiency or cost reductions) are only accrued over the longer run », Evaluating the financial health of the steel industry, Directorate for science, technology and innovation steel committee, OECD, 2015.

* 210 Réponses de la DGRI au questionnaire de la rapporteure.

* 211 « Ces données concernent les entreprises qui ont déclaré des dépenses au crédit d'impôt recherche et dont l'activité principale relève de la « Métallurgie - métaux ferreux », qui comprend la sidérurgie (24.1), la fabrication de tubes, tuyaux, profilés creux et accessoires correspondants en acier (24.2), la fabrication d'autres produits de première transformation de l'acier (24.3) et la fonderie de fonte (24.51) et d'acier (24.52) ».

* 212 Rapport d'information n° 551 (2017-2018) de Martial Bourquin fait au nom de la mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays déposé le 6 juin 2018.

* 213 Réponses de Bpifrance au questionnaire de la rapporteure.

* 214 Audition du 18 juin 2019 par la mission d'information.

* 215 Communication de la commission européenne au Parlement « A Clean Planet for all ; a European strategic long-term vision for a prosperous, modern, competitive and climate neutral economy », COM(2018) 773, 28 novembre 2018.

* 216 Les six autres axes sont l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, la mobilité propre, l'économie circulaire, les infrastructures et interconnexions, la bio-économie et les puits de carbone naturels.

* 217 Les autres chaines de valeur identifiées sont : Véhicule autonome, propre et connecté, Smart Santé, Technologies et systèmes de l'hydrogène, Internet of Things, Cybersécurité, Batteries, Calcul haute Performance, et Microélectroniques.

* 218 https://www.processcontrol.nl/tata-steel-hisarna-naar-india-ipv-ijmuiden/

* 219 Development of a Low CO 2 Iron and Steelmaking Integrated Process Route for a Sustainable European Steel Industry.

* 220 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon Europe » définissant ses règles de participation et de diffusion, COM(2018) 435, 7 juin 2018.

* 221 La dotation budgétaire proposée de 100 milliards d'euros pour 2021-2027 comprend une enveloppe de 97,6 milliards d'euros pour Horizon Europe (dont 3,5 milliards d'euros octroyés au titre du Fonds InvestEU) et une enveloppe de 2,4 milliards d'euros pour le programme Euratom de recherche et de formation.

* 222 Tenant compte d'un facteur de charge de 34 % et d'une capacité installée par éolienne de 5 MW

* 223 Contribution d'A3M.

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