III. ... MAIS DEVRA S'ADAPTER AUX SPÉCIFICITÉS D'UN SECTEUR CONCENTRÉ ET CONCURRENTIEL

Plus généralement, et en dépit de l'investissement des partenaires de la filière au sein des travaux du CSF, se pose la question de la pertinence de l'organisation en filière pour le secteur sidérurgique. Si l'application du modèle des filières à divers secteurs est gage de lisibilité de l'action des pouvoirs publics, ce modèle devra s'adapter aux spécificités de tous les pans de l'industrie française.

A. UN MODÈLE QUI DEVRA S'ADAPTER À UN SECTEUR DIVERSIFIÉ, HORIZONTAL ET DOMINÉ PAR DE GRANDS GROUPES

1. Le secteur sidérurgique est organisé de manière horizontale, et de manière moins intégrée que d'autres filières du CNI

La sidérurgie française se caractérise par une organisation relativement horizontale, c'est-à-dire la juxtaposition d'entreprises individuelles, concentrées sur un segment de marché, et qui élaborent leur stratégie en fonction de leurs clients. En cela, le secteur se distingue, par exemple, de la filière automobile, beaucoup plus verticale, où la chaîne de valeur s'étend du sous-traitant au constructeur, en passant par les fournisseurs et les équipementiers.

Tandis que, dans le cas d'une organisation verticale, la filière met directement en relation les clients de rang supérieur avec les fournisseurs, la plupart des utilisateurs d'acier ne font pas partie de la branche Mines et métallurgie, et à ce titre, ne sont pas présent autour de la table du CSF. À l'inverse, les entreprises sidérurgiques, si elles partagent certains grands enjeux, comme le coût du carbone ou les difficultés d'investissement, font face à des situations différentes en fonction de leur positionnement dans le marché. Ce constat peut expliquer la difficulté déjà relevée d'identifier des projets structurants propres à la sidérurgie , qui pourraient emporter l'adhésion de toutes les entreprises.

De plus, le caractère fortement concurrentiel du secteur sidérurgique, couplé à la dominance de très grands groupes, disposant de leurs propres centres de recherche et développement, tend à concentrer les moyens et l'innovation sur un petit nombre d'acteurs, peut-être moins enclins à mettre en oeuvre des projets mutualisés. À l'inverse, et malgré la concentration du secteur, la présidente du CSF, Mme Christel Bories, a indiqué que : « Il y a peu de grands leaders et surtout quasiment plus de grand leader français. Il n'existe pas d'équivalent d'Airbus ou de PSA, qui peuvent fédérer une série de sous-traitants et leur dire sur quel projet se mobiliser. Beaucoup se sont en conséquence interrogés sur la pertinence d'un CSF pour ce secteur. » 44 ( * )

Le contrat stratégique, pourtant « résultat d'un long travail de concertation entre les industriels, les syndicats et l'État » , est selon elle le fruit d'un « accouchement dans la douleur » . 45 ( * ) Pour autant, le CSF a indiqué à votre rapporteure que les acteurs de la filière ont accepté de jouer le jeu et de participer aux travaux, une partie d'entre eux s'y étant reconnue. Les appels à contribution lancés dans le cadre des groupes de travail ont ainsi généré de l'intérêt, malgré la difficulté à mobiliser les plus petites entreprises.

2. La concentration du secteur français tend à limiter la représentation des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire au sein de la filière

Les grands acteurs de la sidérurgie française, qui font preuve d'un positionnement globalisé et d'un haut niveau technologique, exercent une forte influence au sein de l'organisation en filière.

Ainsi, la gouvernance de la fédération A3M, qui rassemble environ 350 entreprises du secteur des mines et de la métallurgie, est dominée par de grandes entreprises telles qu'Eramet ou ArcelorMittal. D'ailleurs, votre rapporteure remarque que le pilotage de la filière, par le biais du Comité stratégique de filière (CSF), est le fait d'un petit nombre de représentants issus de ces mêmes entreprises. On peut s'interroger sur la relative confusion qui peut en résulter, à la fois dans l'élaboration de la stratégie de filière, et pour ses interlocuteurs.

Bien entendu, le poids prépondérant des grandes entreprises dans l'organisation en filière est une conséquence naturelle de leur importance économique. ArcelorMittal, par exemple, fournit seul deux tiers des emplois sidérurgiques en France, et consacre environ 123 millions d'euros chaque année à la recherche et développement dans le pays. On ne peut évidemment pas déplorer l'investissement des grands groupes dans la construction d'une stratégie de filière, ni l'impulsion, y compris financière, qu'ils y apportent .

Toutefois, cette forte influence des grands groupes tend à limiter la participation des entreprises de taille plus réduite aux travaux du CSF. Parmi les dirigeants d'ETI sidérurgiques rencontrés lors de ses déplacements, la mission a d'ailleurs constaté que plusieurs d'entre eux déploraient le peu de représentation des petites structures, alors même que, selon les chiffres fournis par A3M, les PME et ETI représentent 92 % de leurs adhérents. Pourtant, les enjeux auxquels font face les sites de taille plus modeste diffèrent de ceux des grands groupes, et mériteraient d'être pleinement pris en compte par la stratégie de filière.

Votre rapporteure s'interroge ainsi sur la pertinence des projets structurants pour les plus petites entreprises sidérurgiques : il n'est pas certain que ceux-ci soient réellement partagés par les ETI. Certains dirigeants d'entreprises entendus ont même indiqué n'avoir jamais été sollicités ni n'avoir été informés de l'élaboration d'un contrat de stratégique de filière. 46 ( * )

Il semble donc pertinent d'engager une réflexion sur la manière dont les préoccupations spécifiques des entreprises de taille plus modeste, moins intégrées au sein de grands groupes, pourraient être prises en compte de manière spécifique au sein du comité stratégique de filière.

Néanmoins, comme l'ont souligné les représentants du CSF, les PME et ETI ne disposent souvent pas des moyens techniques et pratiques pour s'investir pleinement dans les travaux du comité : il est par exemple moins facile pour un dirigeant de petite entreprise de quitter son usine pour participer aux réunions. Mme Christel Bories a ainsi indiqué aux membres de la mission d'information que : « Nous avons beaucoup de difficultés à mobiliser les entreprises de taille moyenne et les PME sur ces enjeux, qui conditionnent pourtant leur avenir. Focalisées sur leur survie au quotidien, elles peinent à dégager des ressources financières et humaines pour ces projets. » 47 ( * )

Proposition n° 1 : Améliorer l'échange d'information entre les entreprises de la filière sidérurgique et le comité stratégique de la filière (CSF) Mines et métallurgie, afin de mieux prendre en compte les spécificités des PME et des ETI du secteur dans les travaux du CSF.

Votre rapporteure note que le rapport sénatorial d'information de M. Martial Bourquin « Faire gagner la France dans la compétition industrielle mondiale » suggérait déjà en 2018 de « Veiller à mieux intégrer les PME ainsi que les pôles de compétitivité aux travaux du CNI et des comités stratégiques des filières afin de prendre en considération l'ensemble des acteurs des filières, en amont comme en aval » . 48 ( * )

3. La multiplication des forums et des instances peut nuire à la lisibilité et à l'efficacité des travaux

Votre rapporteure s'interroge également sur la multiplicité des instances associées à la politique de filière.

Celle-ci couple une approche horizontale, sous l'égide du Conseil national de l'Industrie, et une approche verticale et sectorielle, représentée par les 18 Comités stratégiques de filière.

Au sein du CNI, il existe des sections thématiques , temporaires ou permanentes, qui se penchent sur des enjeux transversaux touchant les différentes filières industrielles. Actuellement, trois sections existent, dédiées respectivement à l'Emploi et aux compétences, à l'Économie circulaire et à la Règlementation et simplification. D'autre part, des missions thématiques peuvent être lancées sur des sujets ponctuels, de même que des groupes de travail. À titre d'exemple, un groupe de travail « Trajectoire carbone 2050 » a été constitué en mai 2019 afin de se pencher sur l'objectif de neutralité carbone. Au sein même des Comités stratégiques de filière, des groupes de travail sont aussi mis en place.

Si cette architecture complexe permet de traiter certains sujets précis dans des formats plus réduits, votre rapporteure souligne qu'elle est également source de complexité . Les entreprises de taille plus limitée, notamment, ne disposent pas nécessairement des ressources disponibles pour s'investir. Le risque de doublon, et donc de moindre efficacité, est également accru. Les représentants du CSF ont d'ailleurs mis en garde votre rapporteure contre la surcharge administrative que représenterait la multiplication des instances de travail.

Architecture du pilotage de la stratégie de filière

Conseil national de l'Industrie (CNI)

Sections thématiques transverses (ST)

Comité stratégique de filière Mines et métallurgie

Groupes de travail (GT)

17 Comités stratégiques de filière (CSF)

Groupes de travail (GT)

Source : Mission d'information


* 44 Audition du 25 juin 2019 par la mission d'information.

* 45 Ibid.

* 46 Par exemple lors de l'audition de Metal'Valley par la mission d'information le 19 juin 2019.

* 47 Audition du 25 juin 2019 par la mission d'information.

* 48 Rapport d'information du Sénat n° 551 de M. Martial Bourquin, « Faire gagner la France dans la compétition industrielle mondiale » du 6 juin 2018.

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