B. L'ARTICULATION DES TRAVAUX DE LA FILIÈRE PEUT ÊTRE AMELIOREE

1. Les utilisateurs des filières aval pourraient être mieux associés aux travaux de la filière Mines et métallurgie

Enfin, votre rapporteure souhaite tout particulièrement insister sur l'amélioration nécessaire du dialogue entre la filière sidérurgique et les filières « aval » utilisatrices d'acier.

Celles-ci disposent de leur propre stratégie de filière : les industries aéronautiques, ferroviaire, automobile, de la construction, et nucléaire notamment, comptent chacune un CSF et ont signé des contrats de filière. À titre d'exemple, les projets structurants de la filière nucléaire mentionnent l'importance des « fabrications métallurgiques innovantes » et notamment de la « pièce forgée du futur » ; celui des industries de la construction évoque le recyclage des matières premières réincorporées dans les bâtiments ; et le contrat de la filière automobile insiste sur les besoins en aciers légers pour la conception du véhicule du futur.

Dans le cadre du CNI, les Comités stratégiques de filière échangent sur des thématiques communes, telles que la numérisation ou les compétences, mais le dialogue sur des points précis relatif à la mutation des besoins, par exemple, peut être amélioré.

Si l'on note par exemple qu'ArcelorMittal ou Riva sont associés au projet structurant « Économie circulaire » du contrat stratégique des industries de la construction, cela semble plutôt relever d'une coopération ponctuelle que d'une association systématique des acteurs amont. Ainsi, les principales fédérations des industries utilisatrices d'acier, reçues par votre rapporteure, ont souligné qu'elles ne menaient pas de travaux en commun avec la filière sidérurgique, alors même que les besoins en acier évoluent énormément. En matière de construction par exemple, l'acier souffre d'un déficit d'attractivité, lié en partie à une méconnaissance de ses caractéristiques, qui conduit à privilégier le béton, et des aciers courants au lieu d'aciers spéciaux français.

Pourtant, votre rapporteure rappelle que le rapport sénatorial d'information de M. Martial Bourquin précité avait déjà souligné qu'il convenait de « Veiller à éviter le fonctionnement cloisonné des filières et évaluer régulièrement les impacts de la politique des filières sur le développement industriel » . 49 ( * )

Le dialogue avec les filières aval utilisatrices d'acier figurait en bonne place dans le contrat de filière de 2014 : celui-ci faisant le constat d'un « manque parfois de synergie avec l'industrie aval » , et notait que : « Les liens avec les choix clients sont primordiaux, les besoins évolutifs impactant les choix stratégiques et technologiques des fournisseurs. Du fait de l'interdépendance de la performance se répercutant tout au long des chaînes de valeur avec les marchés applicatifs, une coordination avec les autres CSF est nécessaire afin d'assurer la cohérence des feuilles de route. C'est en particulier le cas avec les CSF relatifs aux filières de matériels de transport, de la filière nucléaire, des éco-industries et de la chimie ». 50 ( * ) Il mentionnait également le rôle de la R&D et de l'innovation, qui permettent de « faire pénétrer les innovations proposées par les secteurs amont au sein des secteurs avals utilisateurs ». Plus concrètement, le contrat proposait de mettre en place une médiation entre la filière et les entreprises aval, et de travailler à améliorer les relations clients-fournisseur.

En revanche, la coordination avec l'aval n'est pas mise en avant dans le nouveau contrat stratégique de filière. D'ailleurs, les représentants du CSF ont indiqué à votre rapporteure que la filière n'avait pas nécessairement vocation à s'immiscer dans le « business » ou dans la relation entre le sidérurgiste et le client, en remarquant que cette démarche incombe plutôt aux entreprises de manière bilatérale.

Si cela s'entend parfaitement sur une base individuelle, il semble tout de même que l'industrie française dans son ensemble bénéficierait d'une réflexion stratégique et globale sur la formation des chaînes de valeur et sur la capacité du secteur productif français à répondre aux besoins des filières aval. Il serait par exemple utile de créer un rendez-vous annuel dans le cadre du CSF Mines et métallurgie, en conviant les représentants des principales filières utilisatrices à faire part de leurs constats sur l'offre française d'acier. Cela pourrait contribuer à un meilleur appariement entre la production nationale et les besoins de l'industrie, en particulier dans un contexte de hausse des importations d'acier.

M. Dominique Richardot, président du Syndicat de l'industrie française du tube d'acier (SIFTA), a par exemple exprimé à votre rapporteure le souhait de mieux intégrer l'aval dans les travaux de la filière, voire d'en inverser la logique, c'est-à-dire de partir des besoins des industries aval pour remonter la chaîne de valeur. Il est d'ailleurs légitime de se demander si l'inclusion du secteur minier et extractif aux côtés de la sidérurgie au sein du CSF ne participe pas de cette marginalisation des enjeux de la filière aval. D'ailleurs, M. Richardot a indiqué à votre rapporteure que le secteur des tubes n'était pas inclus dans les travaux du comité stratégique de filière -bien qu'il fasse partie d'A3M -, ce qu'il y a lieu de regretter. 51 ( * )

Enfin, Mme Christel Bories a déploré l'inefficacité de l'articulation des travaux de la filière avec les acteurs du recyclage : « Le groupe de travail du CSF sur le recyclage a des difficultés considérables à travailler avec les collecteurs, tels Véolia, les fabricants et les entreprises d'approvisionnement de matières premières car, même si nous avons le même horizon, les intérêts divergent. » 52 ( * ) FEDEREC, la fédération des entreprises du recyclage, a abondé dans le même sens, rappelant que celles-ci disposent par ailleurs de leur propre organisation de filière « Transformation et valorisation des déchets ». Bien que Mme Marie-Pierre Mescam ait salué « les liens très étroits avec les consommateurs, par le biais d'A3M notamment » , elle a toutefois noté que « la coopération entre les filières est malheureusement insuffisante » . 53 ( * ) Pourtant, avec la prise en compte croissante des enjeux d'économie circulaire, et les enjeux liés à l'approvisionnement des entreprises sidérurgiques en ferraille, ceux-ci seront amenés à jouer un rôle de plus en plus significatif de maillon d'articulation entre production d'acier et besoin des utilisateurs. Votre rapporteure estime donc qu'il est nécessaire de mieux intégrer les acteurs du recyclage aux travaux du CSF « Mines et métallurgie ».

Proposition n° 2 : Veiller à mieux intégrer les filières utilisatrices d'acier et la filière de recyclage de l'acier aux travaux du comité stratégique de filière Mines et métallurgie, afin d'anticiper l'évolution des besoins et d'améliorer l'articulation de la chaîne de valeur industrielle de l'amont à l'aval.

2. La stratégie de filière n'a pas d'équivalent au niveau européen

Les auditions menées par la mission d'information ont mis en évidence la forte intégration du secteur français de l'acier dans le marché européen. Ainsi, votre rapporteure s'est interrogée sur l'articulation de la stratégie de filière française avec la politique industrielle européenne, et sur l'opportunité d'un travail de structuration de la filière à l'échelle européenne.

Au niveau européen, il n'existe pas d'équivalent du Conseil national de l'industrie, c'est-à-dire d'instance publique dédiée à l'industrie, fortement liée au pouvoir exécutif européen. Ainsi, votre rapporteure a interrogé la Direction Générale Marché intérieur, Industrie, Entrepreneuriat et PME de la Commission européenne, chargée de la politique industrielle. Celle-ci a indiqué mener les réflexions relatives à l'industrie, et notamment la sidérurgie au sein de groupes de travail de haut niveau, auxquels sont conviés les industriels. La transition vers une industrie bas carbone, par exemple, fait l'objet de travaux spécifiques. Toutefois, il n'existe pas au niveau européen de transposition de la logique de filière, comme composante de la politique industrielle.

Comme l'a indiqué la DG Marché intérieur, ce qui semble s'en rapprocher le plus est la notion de « chaînes de valeur stratégiques de l'Union européenne ». Celle-ci apparaît notamment dans la déclaration conjointe de 20 pays, dont la France et l'Allemagne, datée du 18 décembre 2018. Cette approche s'identifie toutefois davantage à un ciblage sur des secteurs et des technologies stratégiques qui bénéficieront d'un soutien particulier, plutôt qu'à une approche de dialogue entre, d'une part, tous les acteurs de la filière, d'autre part, entre les industriels et l'État. Selon les éléments recueillis auprès de la DG Marché intérieur, 6 chaînes stratégiques seraient actuellement en cours d'examen et devraient être annoncées d'ici le mois de juillet 2019.

Certes, la sidérurgie européenne dispose d'un outil de représentation efficace au niveau européen : l'Association européenne de l'Acier, EUROFER. Créée en 1976, elle rassemble aussi bien les entreprises individuelles du secteur de l'acier, que les diverses fédérations nationales. Elle joue le rôle de relais des positions de la filière auprès des institutions de l'Union européenne : par exemple, EUROFER est extrêmement active auprès de la Commission européenne dans le cadre du déclenchement et du suivi d'enquêtes antidumping. L'association contribue aussi largement aux travaux conduits par les directions de la Commission, notamment en fournissant des propositions et des données relatives au secteur sidérurgique.

Néanmoins, votre rapporteure se demande si l'absence de stratégie de filière au niveau européen ne contribue pas à limiter l'efficacité de la politique industrielle de l'Union européenne, en privilégiant une approche transversale à une réflexion sectorielle. Cela pose également la question de l'articulation entre la politique industrielle nationale et la politique industrielle européenne, lorsque celles-ci se fondent sur des interlocuteurs et des logiques différentes.

Dans un contexte d'élaboration des budgets pluriannuels de l'Union européenne (InvestEU, Horizon 2020...), il sera pourtant nécessaire de disposer rapidement de feuilles de route claires, de forums d'échanges réguliers et de projets concrets pouvant rapidement être déployés de manière industrielle. Le dialogue avec les institutions européennes mérite encore d'être étoffé et de gagner en substance.

Proposition n° 3 : Valoriser au niveau européen l'approche française des filières et des projets structurants, afin d'encourager leur prise en compte et leur intégration par les politiques de l'Union européenne.


* 49 Précité.

* 50 Contrat de filière « Industries extractives et première transformation », 2014.

* 51 Audition du 28 mai 2019 par la mission d'information.

* 52 Audition du 25 juin 2019 par la mission d'information.

* 53 Audition du 29 mai 2019 par la mission d'information.

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