B. LA FRAGMENTATION DES CHAÎNES DE RECOUVREMENT EST SOURCE DE DIFFICULTÉS POUR SES ACTEURS ET POUR LES DÉBITEURS

1. Une difficulté pour les acteurs du recouvrement

Un système aussi fragmenté, avec des rouages aussi nombreux, ne peut bien fonctionner que si tout s'emboite et communique parfaitement. Or, vos rapporteurs spéciaux ont pu constater que ce n'était pas toujours le cas. Chacun des acteurs impliqués dans les deux chaînes de recouvrement a dû modifier une partie de son mode de fonctionnement pour mieux intégrer les autres, ce qui n'a pas été sans susciter de frictions .

L'Antai a par exemple ouvert un espace sur son site internet afin que chaque collectivité puisse y réaliser l'ensemble de ses démarches de façon dématérialisée. Elle a leur a dédié un numéro de support téléphonique, ainsi qu'une plateforme d'échanges en instantané pour que les prestataires des collectivités et leurs équipes techniques puissent bénéficier d'un soutien immédiat des équipes de l'Antai. L'Antai laisse également un délai de dix jours aux collectivités territoriales en convention de cycle complet avant l'émission d'un titre exécutoire de forfait de post-stationnement majoré, afin qu'elles puissent lui signaler tout recours administratif préalable obligatoire (RAPO) qui aurait mené à l'annulation du FPS.

Pour autant, les relations sont parfois moins fluides avec les trésoreries , la transition entre la phase 1 du recouvrement (paiement « amiable ») et la phase 2 (poursuites) n'étant pas toujours aisée. En effet, c'est l'Antai qui « alimente » les trésoreries : elle leur transmet, par l'intermédiaire de l'application AMD, les produits dus par les automobilistes et les éventuelles annulations. C'est sur ce dernier point qu'il a pu y avoir des crispations : alors que la collectivité a signalé à l'Antai qu'elle devait annuler un forfait de post-stationnement, l'Antai ne le prend pas en compte suffisamment tôt pour éviter que le FPS ne soit majoré et que les trésoreries ne lancent les procédures de recouvrement forcé . Les trésoreries doivent alors faire face à des automobilistes à la fois agacés et décontenancés, la collectivité les ayant informés qu'ils n'étaient plus redevables d'aucun produit. La DGFiP suit avec attention ces difficultés, afin d'y mettre un terme.

Pour que le système fonctionne, la communication et la vigilance sont cruciales. Lorsque des changements de situation sont signalés, que ce soit par l'Antai ou par les collectivités territoriales, il n'y a pas de système d'alerte automatique pour les autres parties prenantes au recouvrement : les éditeurs doivent tenir compte par eux-mêmes des changements de statut. De même, c'est aux collectivités de s'assurer que les décisions de la Commission du contentieux du stationnement payant relatives à une annulation de FPS ou de FPS majoré sont correctement transmises à l'Antai.

Vos rapporteurs spéciaux considèrent que cette fragmentation nuit à la bonne efficacité du recouvrement : à qui les collectivités territoriales et les tiers peuvent-ils s'adresser en cas de question, de réclamation ou de recommandation ? La mission interministérielle de décentralisation du stationnement (MIDS), conduite par le préfet Stéphane Rouvé, créée pour accompagner les parties prenantes dans la mise en place de la réforme du stationnement payant, a ainsi disparu avec son entrée en vigueur. Elle assurait pourtant un véritable lien entre tous les acteurs, avec un équilibre entre administrations centrales et collectivités. La coordination est aujourd'hui assurée, en tant que besoin, par la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer du ministère de la Transition écologique et solidaire.

Vos rapporteurs spéciaux regrettent ainsi que l'ensemble des acteurs impliqués dans la mission du recouvrement ne bénéficient plus d'un interlocuteur unique . À qui s'adresser aujourd'hui ? Au ministère de l'action et des comptes publics? au ministère en charge des transports ? au ministère de la justice ? au ministère de l'intérieur ? au ministère en charge des relations avec les collectivités territoriales ? C'est pour cette raison que vos rapporteurs spéciaux jugent prioritaire de réinstaurer un point de contact unique pour tout ce qui concerne le recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de post-stationnement. Ce point d'entrée unique pourrait être assuré par un préfet coordonnateur, qui pourrait faire la liaison entre les collectivités territoriales, compétentes sur les forfaits de post-stationnement, la délégation à la sécurité routière, qui relève de l'autorité du ministère de l'intérieur et qui a sous son autorité plusieurs acteurs impliqués dans les amendes de circulation, et les autres administrations centrales en charge du recouvrement.

Recommandation n°1 : répondre à la fragmentation des acteurs impliqués dans la mission recouvrement en réinstaurant un point de contact unique pour l'ensemble des parties prenantes. Ce point d'entrée serait assuré par un préfet coordonnateur, chargé d'assurer la liaison entre les collectivités territoriales, la délégation à la sécurité routière et les administrations centrales. La mission dirigée par le préfet aurait ensuite à charge de contacter les directions impliquées dans le recouvrement.

La fragmentation des acteurs du recouvrement est également géographique. Vos rapporteurs spéciaux ont appris avec surprise que s'appliquait encore, pour le recouvrement des amendes de circulation, une compétence ratione loci : le comptable public compétent est celui du lieu de l'infraction . Concrètement, cela signifie que si un automobiliste commet trois infractions dans trois villes différentes, ce seront trois comptables qui seront chargés de le poursuivre. Toutefois, les inconvénients d'un tel principe étant désormais identifiés, la règle qui vaut désormais pour chaque nouveau produit, dont le FPS, est celle du domicile du débiteur.

Recommandation n°2 : regrouper les poursuites à l'encontre d'un même débiteur en donnant compétence au comptable public du domicile de la personne concernée. Ce principe, en vigueur pour les nouveaux produits, nécessite, en parallèle, une évolution du système informatique. Il s'articule donc au projet de renouvellement du logiciel de recouvrement des amendes et des forfaits de post-stationnement, aujourd'hui en phase d'étude.

2. Une difficulté pour les redevables...

Vos rapporteurs spéciaux ont pu mesurer, lors de leurs auditions et de leurs déplacements, à quel point il pouvait être difficile pour les redevables de bien comprendre les circuits empruntés par les amendes de circulation et par les forfaits de post-stationnement , même si certaines procédures ont été dématérialisées.

Prenons l'exemple d'un résident parisien, parti quelques jours à Marseille. De retour à Paris, il constate qu'il a reçu par courrier deux avis de paiement, pour une amende pour excès de vitesse et pour un forfait de post-stationnement (FPS). S'engage alors un véritable « jeu de piste ». Pour contester son FPS, envoyé par l'Antai, située à Rennes, il doit exercer son recours administratif préalable obligatoire à Marseille et, éventuellement, contester la décision devant la Commission du contentieux du stationnement payant, installée à Limoges. S'il veut payer en argent liquide, il doit se rendre dans une trésorerie parisienne. De là, l'encaissement est signalé à la DRFiP de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine, qui recalculera ensuite les sommes à reverser à la ville de Marseille. S'il ne paye pas, l'Antai transformera son FPS en FPS majoré, qu'il pourra contester à Limoges et payer à Paris. La partie majorée ira à l'État. Si, dans le même temps, il souhaite contester son amende pour excès de vitesse, il doit le faire devant les officiers du ministère public du centre national de traitement (CNT) de Rennes, le cas échéant devant ceux de Marseille, si besoin est d'une analyse au fond. Si le cas est porté devant le juge judiciaire, le tribunal de police de Marseille sera compétent.

Ainsi, non seulement la plupart des citoyens ne connaissent pas l'ensemble des acteurs impliqués dans le recouvrement de ces deux produits, mais ils ne perçoivent pas immédiatement leur rôle dans la chaîne de recouvrement. Cela conduit à une situation très difficile, dans laquelle les débiteurs ne savent pas à qui s'adresser en cas de réclamation, de demande d'information ou tout simplement pour payer . Par exemple, les trésoreries, premier point de contact « physique » dans beaucoup de territoires, reçoivent un nombre significatif de personnes leur signalant des difficultés intervenues à d'autres endroits de la chaîne (paiement du FPS non pris en compte, changement du titulaire du certificat d'immatriculation non vérifié...). L'Antai, qui notifie les avis de paiement pour les amendes de circulation et pour une partie des FPS, poursuit actuellement ses efforts pour améliorer la clarté et la lisibilité de l'information : à qui s'adresser, pour quelle action, auprès de qui, selon quelles démarches et procédures...

Les difficultés vécues par les redevables sont particulièrement saillantes en matière de stationnement . Ainsi, peu de contribuables savent ce qu'est un recours administratif préalable obligatoire ou comment mener à bien leurs démarches devant la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP). Souvent, ils s'adressent au mauvais interlocuteur, en particulier à l'Antai. Lors de leur déplacement à Limoges, vos rapporteurs spéciaux ont appris des responsables du greffe que la très grande majorité des requérants qui souhaitent contester leurs titres exécutoires devant la CCSP sont souvent mal informés des procédures qu'ils doivent suivre et des documents qu'ils doivent joindre à leur requête, ce qui conduit à un taux d'irrecevabilité très important. Malgré les demandes adressées par la CCSP pour compléter les dossiers, entre 15 et 20 % des requérants ne donnent pas suite. Il y a ainsi plus de 2 000 renonciations par mois .

Conséquence d'un afflux massif de demandes, les acteurs du recouvrement ne disposent pas des effectifs ou du temps nécessaire pour bien informer les usagers . La CCSP reçoit environ 2 500 appels par mois et 1 500 courriels , dont une partie conséquente devrait plutôt être adressée aux collectivités ou aux prestataires privés. Elle n'est pas en mesure de répondre à tous les justiciables, même en y consacrant deux agents deux jours et demi par semaine ( environ 80 prises de contact sont traitées par demi-journée ). Vos rapporteurs spéciaux font le même constat pour les trésoreries . Celle de 2 ème division de Paris reçoit environ 30 000 appels par mois, dont seulement 20 % sont traités , ce qui décourage une partie des débiteurs. Le taux de réponse par mail est, en revanche, quasiment de 100 %, la trésorerie ayant dû privilégier un mode de communication.

Recommandation n°3 : clarifier les informations données aux usagers, que ce soit par l'intermédiaire des sites internet de chacun des acteurs impliqués dans le recouvrement ou sur les avis de paiement envoyés.

3. ...malgré quelques éléments d'amélioration

L'objectif de la DGFiP est, à terme, de totalement modifier son approche du recouvrement forcé et de passer, pour reprendre les termes utilisés devant vos rapporteurs spéciaux, d'une approche « métier » à une approche « débiteur ». C'est une transformation ambitieuse qui permettrait au comptable public de gérer et de recouvrer l'ensemble des créances d'un même redevable, des impôts aux amendes. C'est pour cette raison que les amendes de circulation et les forfaits de post-stationnement font partie du champ de la mission confiée par M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, et par Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, à M. Alexandre Gardette sur la simplification du recouvrement fiscal et social, qui pourrait mener à la création d'une agence unique de recouvrement 2 ( * ) .

À cet égard, des expérimentations ont été conduites dans plusieurs départements afin d'évaluer en « conditions réelles » la mutualisation du recouvrement des amendes, des impôts ou encore des produits locaux. Bien que la DGFiP ait estimé qu'il était encore trop tôt pour en tirer un bilan, les premiers résultats sont encourageants et vos rapporteurs spéciaux ne peuvent que se montrer favorables à de telles expérimentations, qui pourraient simplifier les démarches de nos concitoyens .

A côté de ce volet « organisationnel », un progrès est à relever sur le plan juridique : la saisie administrative à tiers détenteur (SATD). Procédure juridique entrée en vigueur le 1 er janvier 2019, elle couvre tous les produits. Elle permet de saisir entre les mains d'un tiers (établissement bancaire, employeur...) les sommes dues par un débiteur dans un délai de 30 jours. C'est un premier remède à la fragmentation des acteurs du recouvrement et des produits. La SATD se substitue ainsi aux procédures de saisie spécifiques aux produits fiscaux (avis à tiers détenteur), aux produits locaux (opposition à tiers détenteur), aux amendes (opposition administrative) ou encore aux recettes non fiscales (saisie à tiers détenteur). La SATD semble avoir eu un effet bénéfique sur le volume des poursuites engagées puisque 2,5 millions de SATD ont été engagées entre le 1 er janvier et le 31 mai 2019, contre 2,3 millions d'oppositions administratives sur la même période en 2018.


* 2 Alexandre Gardette a été auditionné sur ce sujet par la commission des finances du Sénat le mercredi 6 février 2019. Lien vers le compte-rendu de l'audition : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20190204/fin.html

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