B. ... DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT...

1. Une mise sous tension de l'appareil de recrutement des armées résultant tant de l'augmentation des cibles d'emploi que d'un manque d'attractivité

L'inflexion de trajectoire en 2015 a nécessité d'adapter le modèle de recrutement afin d'atteindre les cibles positives après plusieurs années de fortes réductions d'emplois. Les créations nettes d'emplois annuelles prévues pour l'ensemble du ministère des armées devraient d'ailleurs tripler d'ici à 2023, entrainant une mise sous tension accrue de l'appareil de recrutement.

Créations nettes d'emploi du ministère des armées prévues
par la loi de programmation militaire 2019-2025

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après l'article 6 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense

Du fait de la singularité du modèle RH militaire à flux (cf. supra , première partie) , le ministère recrute ainsi, depuis 2016, de l'ordre de 26 000 militaires et civils par an, soit un renouvellement d'environ 10 % de ses effectifs budgétaires. L'importance des flux d'entrées et de sorties est elle-même rendue possible par la part élevée des contractuels dans les forces armées (52,7 % des militaires servent sous contrat et ils sont 65,7 % hors gendarmerie) 20 ( * ) .

2016 a notamment été une année exceptionnelle en termes de recrutement de militaires du rang, compte tenu de la montée en puissance de la « force opérationnelle terrestre » de l'armée de terre. Cependant, le niveau des sorties définitives, qui s'est révélé supérieur aux prévisions initiales, n'a été compensé que partiellement. Le nombre croissant de départs subis, qu'il s'agisse de départs définitifs ou de départs vers des positions statutaires différentes (détachements, non-activité, etc.), s'explique notamment par la reprise économique de certains secteurs d'emplois et par la concurrence du secteur privé, mais aussi par une plus grande volatilité des nouveaux recrutés (nombre de dénonciation de contrat initial en hausse notamment pour les sous-officiers, les volontaires et les militaires du rang, cf. infra ).

Cette reprise est illustrée par la baisse continue du taux de chômage depuis 2015, année de renoncement à la déflation des effectifs.

Taux de chômage en France métropolitaine

Source : commission des finances du Sénat, d'après l'INSEE

Cette difficulté est également prégnante pour les autres armées européennes, comme en témoigne la volonté de la ministre de la défense de la République fédérale d'Allemagne d'ouvrir le recrutement militaire aux candidats étrangers 21 ( * ) .

Enfin, la montée en puissance de l'ensemble des métiers liés à la sécurité à la suite du nouveau contexte connu par la France depuis 2015 représente sans conteste un facteur élevé de concurrence pour les armées.

2. Des organisations du recrutement différentes, appelant une poursuite de la mutualisation et de la rationalisation des moyens interarmées

Pour assumer la mission de point d'entrée de la procédure de recrutement, les centres d'information et de recrutement des armées (CIRFA) ont été créés en 2007 afin de rassembler les bureaux de recrutement des trois armées présentes sur le territoire.

Les centres d'information et de recrutement des forces armées

Les centres d'information et de recrutement des armées (CIRFA) ont été créés par une charte du 3 juillet 2007, signée des directeurs des personnels militaires des trois armées dans un but de mise en commun et de rapprochement. Antérieurement, les bureaux « terre », « marine » et « air » étaient indépendants. Ils disposent d'un rôle en matière d'interventions auprès des lycées, collèges et des organismes d'orientation de type Pôle emploi, de mutualisation de certains moyens et enfin, de services rendus aux candidats en termes d'information et de conseil.

En 2017, 42 CIRFA métropolitains et 7 CIRFA ultra-marins forment un guichet unique des trois armées et sont pilotés par une armée. Les 57 autres CIRFA sont dits « monocolores » car ils sont tenus par l'armée de terre (55) et la marine (2).

Source : ministère des armées

Les trois armées disposent toutefois de leurs structures et processus de recrutement propres.

La mission de recrutement de l'armée de terre est confiée à la sous-direction du recrutement de la DRHAT. Cette dernière est répartie sur une centaine de sites et comporte un état-major central à Paris et cinq entités régionales.

Après un processus d'évaluation dépendant de la spécialité pour laquelle le candidat postule, le dossier est étudié par une commission d'affectation. Une fois le candidat retenu, au fil de l'eau au cours de l'année, le conseiller en recrutement lui délivre les informations nécessaires pour son incorporation. Les engagés de l'armée de terre signent leur contrat en CIRFA le jour même de leur départ pour leur régiment.

La marine nationale dispose pour sa part du service de recrutement de la marine (SRM) qui s'appuie sur 47 bureaux marine et antennes des CIRFA en métropole et 5 bureaux marine de recrutement outre-mer. Au regard des dossiers complets et valides reçus des CIRFA, le chef du SRM décide au niveau central des admissions.

L'armée de l'air réalise également son recrutement annuel en flux continu, excepté pour les sous-officiers 22 ( * ) .

De manière générale, votre rapporteur spécial relève que les délais de recrutement des militaires du rang sont longs . En 2016, ils atteignaient 154 jours dans l'armée de terre et 165 jours dans la marine. L'armée de l'air, quant à elle, est parvenue à diminuer le délai moyen de 223 jours en 2014 à 67 jours en 2016, en centralisant le recrutement des militaires techniciens de l'air. La question des délais de recrutement est centrale, les nouvelles générations étant de plus en plus impatientes et en prise avec la « société de l'instantanéité » 23 ( * ) ; la diminution de sa durée doit donc constituer un objectif pour les trois armées.

En outre, les différents travaux menés ont pu montrer le caractère inégal du fonctionnement des CIRFA, qui apparaît encore comme une juxtaposition des bureaux des trois armées sans relation organique ou hiérarchique entre eux. Les CIRFA pratiquent la mutualisation de certains moyens (accueil, secrétariat...) et la coopération pour les actions d'information et de promotion. Toutefois, l'organisation matérielle de chaque bureau, certains moyens logistiques (bus d'information, supports de communication...) ainsi que le suivi des entretiens et des recrutements relèvent encore de chaque armée.

De même, votre rapporteur spécial a pu relever, lors de son déplacement à Brest, que certaines régions n'avaient fourni aucune recrue au centre d'instruction naval, ce qui suggère que le maillage territorial de l'effort de recrutement est encore perfectible .

Recommandation n° 3 : afin d'améliorer le fonctionnement des CIRFA, poursuivre la mutualisation de leurs moyens et l'optimisation de leur maillage territorial.

3. Des objectifs atteints sur le plan quantitatif...

Les différentes auditions menées par votre rapporteur spécial ont montré que la réalisation des cibles de recrutement ne pose, au niveau général, pas de difficulté majeure . Ceci est par ailleurs corroboré par la réalisation des cibles de recrutement des militaires du rang ces cinq dernières années.

Recrutement de militaires du rang depuis 2014

2014

2015

2016

2017

TOTAL effectifs réalisés

8 890

13 487

17 225

15 375

TOTAL cibles

9 268

13 256

17 147

15 219

Écart entre la cible et le réalisé

-378

231

78

156

Source : DRH-MD

Sur le plan quantitatif, les viviers de recrutement ne devraient pas faire l'objet de préoccupation dans les années à venir, contrairement à d'autres pays européens . Comme le relève le Haut conseil d'évaluation de la condition militaire (HCECM), « les projections démographiques concernant le vivier n'identifient aucune évolution significative à l'horizon 2015-2025. » 24 ( * ) . Ainsi, « aucun élément démographique n'atteste l'hypothèse d'une contraction du vivier des armées, même si les services de recrutement enregistrent une contraction du vivier utile capté par l'institution ».

4. ... mais des résultats plus contrastés sur le plan qualitatif : une baisse de la sélectivité et des viviers de recrutement fragiles

Les résultats apparaissent toutefois plus fragiles sur le plan qualitatif.

La sélectivité permet d'illustrer la marge de manoeuvre dont disposent les armées pour choisir leurs recrues. Cette dernière, qui peut s'apprécier en rapportant le nombre de candidats par poste proposé, tend à s'éroder depuis 2015. Elle s'élève ainsi, pour les emplois d'officier, à 16,5 candidats pour un emploi en 2017 (18,2 en 2016), tandis qu'elle a baissé à 2,6 (contre 3,3 en 2016) pour les emplois de sous-officier.

La sélectivité pour les emplois de militaire du rang est globalement stable en 2016 et 2017 (1,6 en 2017, soit - 0,1 point par rapport à 2016) mais en retrait de 0,6 point par rapport à 2015, sans atteindre encore les seuils bas du début des années 2000.

Évolution de la sélectivité des emplois de sous-officiers,
de militaires du rang et de volontaires dans les armées

(en nombre de candidat par poste proposé)

Source : commission des finances, d'après le HCECM

La sélectivité varie fortement en fonction des métiers proposés. Si certaines unités continuent d'attirer de très nombreux candidats, de nombreuses spécialités restent régulièrement déficitaires. Au sein de l'armée de terre, les spécialistes des systèmes d'information et de communication (SIC) restent ainsi recherchés. Certaines spécialités affichent des déficits importants, comme celle de cuisinier, de mécanicien, ou encore de pilote d'engin blindé.

De manière générale, les gestionnaires auditionnés par votre rapporteur spécial, notamment les représentants de la DRHAT, ont indiqué qu'ils faisaient face à une certaine baisse de la qualité des viviers , tant sur le plan de la réussite aux tests écrits que sportifs. Comme le souligne le HCECM dans son 11 e rapport, « le niveau d'aptitude physique du vivier de recrutement se dégrade. Sans tomber aux niveaux que certaines armées occidentales peuvent connaître, le taux d'inaptitude temporaire ou définitive au recrutement a augmenté ». Cet aspect est particulièrement sensible pour l'armée de terre : la proportion d'inaptes définitifs parmi les candidats ayant effectué les épreuves de sélection est passée de 4,6 % à 5,6 % entre 2011 et 2016 ; celle des inaptes temporaires de 14,2 % à 18,4 %. Au total, la proportion des candidats au recrutement immédiatement aptes est passée de 83 % à 76,3 % entre 2011 et 2016.

De même, une augmentation de la proportion de candidats ayant des antécédents judiciaires est également observée 25 ( * ) .

Enfin, la baisse qualitative du recrutement se manifeste par l'existence d'une forte « déperdition » des candidats . Cette dernière intervient à tous les stades du processus du recrutement : entre le premier contact et l'ouverture formelle d'un dossier de recrutement, puis lors du passage en commission d'examen jusqu'à l'incorporation en unité. Ainsi, l'armée de l'air enregistre un taux d'attrition après convocation en sélection de l'ordre de 38,3 % en 2017 (10,5 % d'absences, 21,7 % d'inaptitudes médicales définitives ou temporaires et 6,1 % de désistement en cours d'évaluation 26 ( * ) ).

Après l'engagement, les armées sont également confrontées à un taux de dénonciation du contrat pendant la période probatoire 27 ( * ) élevé pour les militaires du rang. Ce dernier connaît une hausse significative depuis 2014.

Taux de dénonciation 28 ( * ) du contrat pendant la période probatoire
pour les militaires du rang

(en %)

Source : commission des finances, d'après les données de la Cour des comptes et de la DRH-MD

La nécessité de recruter de façon pérenne et dans une relative urgence complique en effet l'adéquation entre le poste et les attentes du recruté en même temps qu'elle pèse de façon durable sur les conditions de formation initiale, moins bonnes du fait d'un taux d'encadrement plus faible. L'armée de terre souligne par ailleurs que ce taux de déperdition est à relativiser au regard de métiers comparables, dans leur nature, leur pénibilité et/ou dans la population recrutée (jeune, souvent peu qualifiée) comme ceux de la sécurité privée ou du BTP.

Ainsi, l'analyse des processus de recrutement et de l'évolution des publics, qui nécessite une plus grande attention des armées, incite à la plus grande prudence. De fait, le maintien d'une importante déperdition, avant et après la signature du contrat, dans un contexte de tensions importantes sur les effectifs, requiert de la part des armées une vigilance accrue en matière de recrutement, qui, pour être réussie, doit répondre à trois exigences complémentaires : continuer de remplir les objectifs annuels, y compris dans les spécialités déjà déficitaires, réduire le taux de déperdition des effectifs (dénonciation, résiliation, désertion) et fidéliser les recrutés .

Le DRH-AT a ainsi résumé la situation devant votre rapporteur spécial : « Nous avons remporté la bataille des effectifs. La question porte maintenant sur notre capacité à tenir dans la durée et à fidéliser les compétences. »


* 20 Haut comité d'évaluation de la condition militaire, 12 e rapport, revue annuelle de la condition militaire, 2019.

* 21 Entretien de madame Ursula von der Leyen dans le Rheinische Post, 27 septembre 2018.

* 22 Le recrutement des sous-officiers s'effectue par des commissions de sélection ad hoc, dans le cadre du plan de mise en formation (par type de spécialités).

* 23 Haut conseil d'évaluation de la condition militaire, 11 e rapport, 2017.

* 24 Haut conseil d'évaluation de la condition militaire, 11 e rapport, 2017.

* 25 HCECM, 11 e rapport annuel, 2017.

* 26 Données transmises par le ministère des armées.

* 27 Cette période est, en règle générale, de six mois et peut-être renouvelée une ou deux fois, selon les armées.

* 28 Environ 60 % des dénonciations sont le fait du militaire recruté.

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