B. L'IMPORTANCE DU CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN POUR LA JORDANIE

La question palestinienne est, depuis 1948, au coeur de la vie de la Jordanie. Dès la création de l'État d'Israël, en 1948, la Jordanie a annexé la rive ouest du Jourdain (Cisjordanie). De ce fait, elle a incorporé une importante population palestinienne. Mais surtout, la défaite des armées arabes et la survie d'Israël ont conduit à un exode important de réfugiés palestiniens, qui se sont installés dans les pays voisins, et en premier lieu en Jordanie.

Il s'ensuit que la moitié des habitants de l'actuelle Jordanie serait d'origine palestinienne . Cette proportion était même selon toute vraisemblance sensiblement plus importante tant que la Jordanie contrôlait la Cisjordanie, c'est-à-dire jusqu'à la guerre des Six Jours (1967).

Aujourd'hui, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) recense en Jordanie plus de 2 millions de personnes ayant le statut de réfugiés palestiniens , dont 17 % vivent encore dans 10 camps répartis sur le territoire.

La délégation s'est rendue à Husn, près d'Irbid, où elle a pu visiter un groupe scolaire géré par l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Elle a pu à cette occasion rencontrer des responsables de l'UNRWA, des représentants de la communauté palestinienne de Husn et de jeunes élèves.

École du camp de Husn

Naturellement, la situation de ces réfugiés palestiniens, et en particulier des plus jeunes d'entre eux, est rendue très difficile par l'arrêt du financement américain de cette agence des Nations unies. Votre commission a, du reste, dénoncé l'an passé cette décision américaine, qui ne peut qu'ajouter de la tension et de l'instabilité dans la région 1 ( * ) .

Si l'afflux des réfugiés palestiniens a contribué à augmenter considérablement la population jordanienne, il a naturellement constitué aussi un défi d'intégration très important . Aujourd'hui, la majorité de ces habitants d'origine palestinienne sont tout à fait intégrés au pays, ce que reflète symboliquement le fait que la reine soit elle-même d'origine palestinienne.

Toutefois, l'importance de la population palestinienne a pu être perçue comme une menace pour le pays, notamment au début des années 1970 , lorsque le roi Hussein avait décidé de réagir à l'organisation depuis et sur le sol jordanien d'opérations terroristes palestiniennes. Cette épée de Damoclès est réapparue récemment sous une forme nouvelle, non pas du fait d'un activisme des Jordaniens d'origine palestinienne, mais du fait de l'affaiblissement de la perspective d'une paix à deux Etats dans le conflit israélo-palestinien.

En effet, le refus des autorités israéliennes actuelles, soutenues par les États-Unis, d'envisager la création d'un État palestinien conduit certains à imaginer d'autres solutions. Il semble que, dans l'esprit de certains responsables israéliens et américains, pourrait être imaginée une solution à deux Etats dans laquelle l'État palestinien correspondrait en réalité à la Jordanie actuelle. Naturellement, cette hypothèse paraît à la fois fantaisiste et redoutablement dangereuse pour la région. Outre le fait qu'elle ferait fi du droit des Palestiniens à vivre en Palestine, reconnu par le droit international et en particulier par plusieurs résolutions des Nations unies, cette conception conduirait vraisemblablement au chaos en Jordanie, ce qui aurait des conséquences désastreuses à la fois pour la population jordanienne, mais aussi pour tous les pays voisins.

Il importe d'évoquer ce point, car la résolution ou, plus exactement, l'absence de résolution du conflit israélo-palestinien constitue une menace existentielle pour la Jordanie . Plusieurs des interlocuteurs jordaniens rencontrés par la délégation ont insisté sur les conséquences permanentes et délétères de ce conflit pour lequel les perspectives de paix semblent malheureusement s'éloigner.

Comme cela a été souligné lors de certaines auditions, le refus de la solution à deux Etats n'est appuyé sur aucune contre-proposition claire précisant ce que pourrait être, dans la conception des autorités israéliennes ou américaines actuelles, une solution autre. Vos rapporteurs souhaitent du moins affirmer avec force que toute idée de faire de la Jordanie le futur Etat des Palestiniens serait aussi chimérique que dangereuse .

Par ailleurs, l'absence de résolution du conflit complique également la relation israélo-jordanienne . En 1994, la Jordanie a signé la paix avec Israël, devenant le deuxième pays arabe à le faire après l'Égypte. Dans ce moment de normalisation, de grands projets de développement avaient pu être imaginés, et en particulier celui du canal mer Rouge-mer Morte. Ce projet a pour objectif d'acheminer, vers le nord du pays, de grandes quantités d'eau de mer depuis le golfe d'Aqaba sur la mer Rouge, de la dessaliniser et de rejeter les saumures dans la mer Morte. En effet, l'essentiel de la population jordanienne est concentré au nord du pays, avec 90 % de la population vivant en zone urbaine et en particulier dans trois villes : la capitale Amman (2,5 millions d'habitants), Zarqa et Irbid. Toutefois, ce projet pharaonique, d'un coût estimé de 1 milliard d'euros, suppose, dans sa définition actuelle, l'accord d'Israël.

A défaut d'accord israélien, les autorités jordaniennes envisagent un plan alternatif. Mais celui-ci paraît très aléatoire, dans la mesure où il supposerait sans doute un rejet des saumures dans la mer Rouge, ce qui aurait des conséquences environnementales qui ne seraient vraisemblablement acceptées ni par Israël ni par les bailleurs internationaux.

Pourtant, la Jordanie manque cruellement d'eau , plus encore que ses voisins. C'est en effet le quatrième pays le plus pauvre en eau du monde . Il semble donc, même si votre délégation n'a pu recueillir la position israélienne sur ce dossier dans le cadre de cette mission, que ce projet soit indirectement victime de l'absence de perspectives de paix et de développement dans la zone frontalière entre Israël, la Cisjordanie et la Jordanie.


* 1 Cf le communiqué de presse de la commission : http://www.senat.fr/presse/cp20180308.html

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