TRAVAUX DE LA COMMISSION

___________

I. AUDITIONS

Audition de M. Gérald Darmanin,
ministre de l'action et des comptes publics

Réunie le mercredi 26 juin 2019, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission entend M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, sur l'application de la LFSS pour 2018 et sur la situation et les perspectives des comptes sociaux.

M. Alain Milon , président . - Nous recevons cet après-midi M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le ministre, la commission souhaiterait vous entendre, quelques semaines avant le débat d'orientation des finances publiques, afin de faire un point sur la situation des comptes de la sécurité sociale. À cet égard, le dernier rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale a fait apparaître une réelle amélioration du solde en 2018 tout en insistant sur les facteurs qui, dès l'année en cours, risquent de faire replonger les comptes dans le rouge.

D'autre part, nous n'avons pas eu l'occasion de débattre avec vous de l'avenir des relations financières entre l'État et la sécurité sociale depuis que vous nous avez remis le rapport du Gouvernement sur la question. Or il s'agit clairement d'un sujet politique qui mérite à nos yeux un vrai débat.

Enfin, la réforme constitutionnelle pourrait peut-être revenir à l'ordre du jour du Parlement, sans doute expurgée de ses dispositions relations relatives à l'examen des lois de financement de la sécurité sociale - vous pourrez peut-être nous le confirmer. Néanmoins, vous pourriez aussi nous préciser si, à vos yeux, avec ou sans réforme constitutionnelle, des évolutions du cadre organique régissant les lois de financement vous semblent souhaitables.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je suis très heureux de vous voir, d'abord parce que cela me change des discussions sur le budget de l'État qui m'occupent beaucoup en ce moment... mais surtout car cela nous permet d'exposer aux sénateurs ce que nous avons dit sur l'année 2018 devant la commission des comptes de la sécurité sociale.

Il s'agit donc d'un moment de vérité pour le Gouvernement que cette année 2018 qui été exécutée dans la première année de l'exercice plein du mandat du Gouvernement auquel Mme Buzyn et moi appartenons. L'examen du projet de loi de règlement qui va arriver très bientôt nous permettra peut-être aussi de travailler sur le projet de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année prochaine, puisque nous avons commencé hier soir les premières discussions budgétaires avec la ministre de la Santé et des solidarités.

Si le projet de loi constitutionnelle devait revenir, il n'y aurait pas de remise en cause du PLFSS. Le ministre des Comptes publics avait même fait la proposition de créer un troisième texte qui aurait été un projet de loi de finances pour les collectivités locales - mais cela n'a pas été retenu. Le président de la commission des finances de votre assemblée travaille avec le rapporteur général sur ces questions. On peut se plaindre que les dépenses et les recettes publiques soient ainsi séparées dans deux textes, alors que pour les Français, les choses ne sont pas déconnectées. Ils sont sans doute très attachés au système de sécurité sociale et au rôle des organismes professionnels ou des syndicats, mais les prélèvements obligatoires sont des prélèvements obligatoires et les dépenses des dépenses. Si les travaux du Gouvernement ou plus encore des parlementaires pouvaient améliorer la lisibilité de la décision, nous aurions bien travaillé pour la démocratie et pour la République.

La relation entre l'État et la sécurité sociale est une ténébreuse affaire : depuis très longtemps, nous avons créé des tuyaux un peu partout, qui sont difficilement compréhensibles. Nous avons demandé à des spécialistes de travailler d'après les très nombreux travaux parlementaires sur cette question et nous vous avons rendu le rapport qui avait été commandé.

La commission des comptes a évoqué la question de la défiscalisation des heures supplémentaires qui, sous Nicolas Sarkozy, avait été compensée par l'État. Le choix inverse a été fait cette fois. On peut aussi parler du transfert d'agences régaliennes mais qui ont un lien évident avec la sécurité sociale et les médicaments ; d'autres questions se poseront en cas de réforme systémique des retraites, qui sera importante aussi pour comprendre qui paye quoi, et notamment qui décide quoi. Le principe général « chacun chez soi » - si je veux caricaturer en une formule le rapport - me semble de bonne politique : celui qui paye décide et qui décide paie, cela évite de faire des économies sur les poches des autres.

Nous pouvons effectivement nous féliciter d'un redressement des comptes sociaux. Si les recettes supplémentaires du premier semestre 2018 nous ont aidés, le redressement a été consolidé au deuxième semestre malgré les difficultés que la France a connues. Les comptes sociaux sont désormais proches de l'équilibre, même si la question se posera effectivement pour l'année 2019, à cause des décisions prises postérieurement au mouvement des « gilets jaunes » et au grand débat national, comme l'abaissement de la CSG pour une partie des retraités ou la ré-indexation d'une partie des pensions. Nous avons voulu financer les mesures de pouvoir d'achat en faveur des actifs. Mais nous sommes dans la meilleure situation depuis 2001. Il faut saluer pour cela les mesures courageuses et parfois impopulaires qui ont été prises par les deux gouvernements qui se sont succédé, ayant permis de rétablir les comptes. Nous le devons aussi à la bonne tenue de notre économie, singulièrement pendant 2018, mais également les mesures d'économies prises par tous les gouvernements pour la branche familles et la santé.

Nous continuerons les mesures de soutien au pouvoir d'achat décidées par le Président de la République et soutenues notamment par le Sénat, la baisse des cotisations salariales, chômage et maladie de 3,15 points notamment. Nous pouvons à la fois améliorer le pouvoir d'achat de nos concitoyens et rétablir les comptes en profitant de la conjoncture, mais pas seulement. Comme l'ont indiqué les rapports parlementaires ou de la Cour des comptes, c'est un grand acquis de ce gouvernement que de parler de chiffres qui correspondent vraiment à la réalité.

Le solde du régime de sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'établit à moins 1,2 milliard d'euros en 2018, soit une amélioration de quasiment 4 milliards par rapport à 2017. La branche maladie et la branche vieillesse restent déficitaires ; mais la branche AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles) demeure excédentaire et la branche famille le redevient après quinze années de déficit. Ces résultats sont conformes aux prévisions que vous avez votées d'ailleurs en loi de financement - ce qui devrait rassurer le rapporteur général, qui pose des questions bien légitimes sur la sincérité des inscriptions budgétaires - puisque celle-ci prévoyait un déficit d'à peu près un milliard d'euros. Pour entrer plus dans le détail, le solde de la branche famille est proche de la prévision, celui de la branche maladie est meilleur qu'attendu, les deux autres sont un peu dégradés. La Cour des comptes a relevé notre effort de sincérisation : l'Ondam (objectif national de dépenses d'assurance maladie) a été tenu à 2,3 % pour la deuxième année successive, ce qui n'est pas si facile pour une masse de 200 milliards d'euros. Nous avons pu rendre 300 millions d'euros aux hôpitaux, ce qui a permis de baisser leur l'endettement pour une partie d'entre eux, même si cette question reste compliquée.

Vous m'interrogez sur la compensation des mesures d'urgence que la majorité sénatoriale a choisi de soutenir - et je vous en remercie. Elles ont permis un vrai gain de pouvoir d'achat pour nos concitoyens : je suis en mesure de vous livrer les premiers chiffres. La majorité sénatoriale s'est opposée à la réduction des plafonds de la prime à la naissance et de l'allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant. Il y aura des questions de méthode à trancher lors du débat du PLFSS. Vous avez souhaité également un retour à l'équilibre des comptes sociaux mais en même temps - je le dis sans provocation inutile, monsieur le président - la somme des diminutions de recettes occasionnés par les amendements de la majorité sénatoriale - pas toujours soutenus par le rapporteur général...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Rarement soutenus !

M. Gérald Darmanin, ministre. - ...ni par le président, il est vrai - était de l'ordre de 14 milliards d'euros. Mais l'Assemblée nationale n'est pas exempte de ce genre de tentations, pas plus que le Gouvernement lui-même...

L'équilibre des comptes reste un objectif pour 2022 que le Premier ministre a rappelé dans son discours de politique générale. Malgré les accidents de la fin d'année dernière et du début de cette année, la masse salariale continue à augmenter et l'activité économique reste élevée : les recettes de TVA, de CSG et de cotisations devraient permettre la résorption de la dette détenue par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) en 2024 et l'équilibre des comptes en 2022. Cet objectif sera présenté dans le débat d'orientation des finances publiques que nous aurons à la mi-juillet.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général. - Je me réjouis évidemment comme vous-même et comme le président du retour à l'équilibre ou à un quasi-équilibre des comptes de la sécurité sociale en 2018. Mais je me pose quand même des questions sur 2019. Si nous écoutons le secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale, le solde du régime général auquel on ajoute le FSV se dégraderait même si les mesures d'urgence étaient compensées. On parle d'un trou de l'ordre de trois milliards d'euros, qui efface donc les gains de l'année précédente. Comment allez-vous faire pour rééquilibrer les comptes sans mettre en cause le principe de compensation ?

Avez-vous pu mesurer les effets en 2018 des mesures de pouvoir d'achat de la loi de financement - suppression de cotisations et contributions des salariés compensée par une hausse de la CSG - en distinguant, en particulier, les salariés et les retraités ? Disposez-vous de premiers éléments sur les effets économiques de l'année exceptionnelle pour les entreprises qu'est l'année 2019, pendant laquelle se cumulent la dernière annuité du crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) et la baisse de cotisations et contributions patronales qui compense sa disparition ?

Je suis partisan, comme un grand nombre de collègues, du maintien du principe de compensation, que je considère comme un outil de responsabilisation de l'État décideur vis-à-vis de la sécurité sociale et qui évite que d'autres lois autres que la loi de financement comportent des diminutions de recettes non compensées. Les profils comparés de la CSG et de l'impôt sur le revenu devraient nous inciter à la réflexion.

Le maintien d'un tel principe n'empêche pas l'adoption de nouvelles exceptions, comme celles que le Sénat a votées dans la loi de financement pour 2019. Mais le Parlement doit pouvoir arbitrer.

Il convient de toute façon de simplifier les relations financières entre l'État et la sécurité sociale en limitant le nombre de « tuyaux » - nous sommes d'accord sur ce principe. L'évolution des flux doit être compréhensible ; or ce n'est pas le cas avec la diminution programmée des flux de TVA, qui ne fait rien d'autre que de préempter des excédents encore très hypothétiques, voire illusoires. Cette trajectoire sera-t-elle révisée en conséquence dès la prochaine session budgétaire ?

L'exécution de la loi de financement pour 2018 illustre bien le danger pour la sécurité sociale qu'il y a à faire peser sur elle le risque en dernier ressort de baisse de contributions hors sécurité sociale. Dès la première année, sur une masse financière encore relativement limitée, on relève une perte sèche de 103 millions d'euros pour les différentes branches puisque la diminution de contributions chômage remboursée à l'Unedic s'est élevée à 9,630 milliards d'euros tandis que la part de TVA affectée en compensation à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) n'a atteint que - si l'on peut dire - 9,527 milliards d'euros.

Ce mécanisme, qui s'étendra dès cette année aux contributions patronales chômage et de retraite complémentaire, pourrait provoquer de vrais déséquilibres qui n'auront pas été arbitrés par le Parlement - c'est un vrai problème. Comment le Gouvernement évitera-t-il cela ?

M. Jean-Noël Cardoux , président de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss). - Je reviendrai sur la Cades. Vous nous dites que le déficit devrait être en 2018 de l'ordre de 1,2 milliard d'euros. Mais quid des diminutions de recettes adoptées en fin d'année - il est vrai avec l'accord du Sénat - non compensées pour trois ou quatre milliards ? Si l'on y ajoute le stock de dette logé au sein de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) non transférée à la Cades, à savoir 15 milliards d'euros - le directeur de l'Acoss, que la Mecss recevra en audition la semaine dernière pourra nous en dire plus - nous nous approchons de 20 milliards d'euros !

Vous nous dites que le Gouvernement conserve son objectif d'un retour à l'équilibre pour la sécurité sociale en 2022 et d'une extinction de la dette de la Cades en 2024 ; pensez-vous que l'accélération économique à laquelle vous avez fait allusion pourrait absorber d'ici 2022 ce déficit cumulé, ou, sinon, comment envisagez-vous de le transférer à la Cades ? Dans ce cas, comment respecterez-vous la prévision d'extinction de cette-ci en 2024 ? Nous sommes en situation économique d'accélération, mais cela pourrait changer. S'il reste en 2024 un stock de dette à l'Acoss, quel scénario envisagez-vous pour éviter de prolonger la durée de vie de la Cades ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Le Gouvernement aura sans doute des réponses plus complètes lors de la présentation du PLFSS avec la ministre de la santé et des solidarités. Sans remettre en cause les trajectoires que nous avons évoquées, nous pourrons les actualiser. Nous pensons que la baisse des impôts que le Gouvernement a choisi de proposer au Parlement et aux Français à la demande du Président de la République est une forme de relance. À ceux qui disent que le président, qui était très libéral, serait devenu keynésien, je répondrai qu'à part la prime d'activité qui est une vraie dépense publique mais qui n'est pas une prestation sociale puisque elle est dans le budget général, la relance ne se fait pas par un accroissement de la dépense. Le Président de la République n'a pas choisi d'augmenter les retraites, le SMIC, le RSA, il a choisi de proposer aux Français, conformément à son programme électoral, de répondre aux « gilets jaunes » et au grand débat national en continuant la baisse d'impôts. Après une première partie de quinquennat axée plutôt, hormis la suppression de la taxe d'habitation, sur la taxation du capital et de l'entreprise, il favorise les ménages avec l'impôt sur le revenu, la taxe d'habitation, la défiscalisation des heures supplémentaires et des primes.

Avons-nous les moyens de ces baisses d'impôt, comme nous l'a demandé le président de la commission des finances de l'Assemblée Eric Woerth ? Nous pensons que oui. Nous le verrons dans le projet de loi de finances que je présenterai avec un déficit qui continuera à baisser. La Cour des comptes ce matin n'a pas dit que c'était impossible, elle s'est interrogée sur la capacité de notre République à être autour de 2 % de déficits publics toutes administrations publiques confondues pour 2019 et à 1,5 % l'année suivante. Quand je suis arrivé aux responsabilités, nous étions à 3,4 % de déficit ; si nous passons à 2 %, nous aurons réalisé 28 milliards de baisses de déficit public grâce à la sécurité sociale et, en partie, aux collectivités locales, même si les choses sont un peu différentes.

Nous pensons que le pari économique et social du Président de la République va être tenu avec la masse de Français qui retrouveront un travail : la relance de l'activité économique générée par la baisse des prélèvements obligatoires permettra - et les chiffres le montrent - de tenir les trajectoires que nous avons évoquées.

Quelques chiffres : les mesures d'urgence ont coûté 2,7 milliards d'euros et non 3 milliards ; elles ont touché à peu près 3,8 millions de bénéficiaires ; 224 millions d'heures supplémentaires ont été déclarées pour 6,8 millions de personnes ; la prime a été versée à 2,2 millions de salariés pour un montant moyen de 401 euros ; la hausse de la CSG ne concerne plus qu'un tiers des retraités.

La bascule du CICE que nous vivons en ce moment équivaut à un point de PIB de relance, soit 20 milliards d'euros, et la direction du Trésor nous indique que cela générera 0,2 points de croissance en plus pour à peu près 100 000 emplois créés ; le double compte de cette année assurera la continuité dans la baisse du chômage. La note du Trésor du 18 juin dernier prévoit une hausse de 1,4 % du pouvoir d'achat de l'ensemble des Français, salariés et retraités. C'est la plus grande augmentation de pouvoir d'achat depuis longtemps !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général. - Si vous aviez suivi le Sénat, vous auriez fait tout cela plus tôt !

M. Gérald Darmanin, ministre. - Quant aux relations entre l'État et la sécurité sociale, il est préférable que toute modification de prélèvements obligatoires, au profit de l'un ou de l'autre budget, soit faite en loi de finances ou de financement ; il est facile de décider des exonérations, mais quand on fait les comptes, les mêmes qui les ont demandées - y compris le Gouvernement - se plaignent du déficit. Nous devons faire encore le ménage, même si beaucoup choses ont été approuvées par le Parlement. Certes, la défiscalisation des heures supplémentaires ne correspond pas au principe « chacun chez soi » ; mais lorsque vous dites qu'il faut responsabiliser l'État, il faut se souvenir qu'il porte l'essentiel du déficit public : son déficit est en effet supérieur au déficit public, car il supporte des baisses de prélèvements obligatoires très largement supérieures à celles de la sphère sociale : baisse de l'impôt sur les sociétés, de la TVA, suppression de la taxe d'habitation, baisse de l'impôt sur le revenu... Qu'on soit pour ou qu'on soit contre, ces baisses d'impôts ont été compensées dans l'idée du président de la République, du Gouvernement, et donc du législateur qui approuvé ces mesures - ce n'est pas le cas de la majorité sénatoriale, j'en conviens - par l'augmentation de la CSG. Nous pourrions avoir un débat assez long sur la question de savoir si c'est un bon impôt, mais au moins il est proportionnel, tandis que la TVA est fondée sur la consommation.

Les relations entre l'État et la sécurité sociale ne peuvent se résumer aux exonérations de charges. Il semble normal qu'il les compense, c'est le principe du rapport que nous avons approuvé collectivement : chacun doit payer ce qu'il décide. Mais lorsqu'il y a d'énormes transferts décidés par la volonté du législateur, si ce n'est du peuple qui a voté pour un programme présidentiel, on pourrait revenir sur cette question. Oui, l'État doit de l'argent à la sécurité sociale et parfois à l'Unedic, même si c'est objectivement très compliqué de calculer à l'euro près combien. Mais lorsqu'il y a en même temps des mesures sociales ou de santé qui sont payées par l'État sans compensation par la sécurité sociale, lorsque l'État baisse les impôts des entreprises et supprime l'ISF, ce qui augmente l'emploi, il provoque une augmentation de recettes des organismes sociaux. C'est donc une question très compliquée. L'idée du « chacun pour soi » est une très bonne idée, et la question est très importante, mais moins prioritaire que le redressement des comptes. Concernant la Cades, la galanterie - mais aussi les arbitrages définitifs que le Gouvernement doit proposer au Parlement - m'invitent à ne pas vous répondre en l'absence de Mme Buzyn.

M. Yves Daudigny . - La sécurité sociale est un système assurantiel assurant la solidarité entre malades et bien portants et entre les générations, marqué par une gestion paritaire - même s'il en reste peu de chose aujourd'hui. Il faut qu'elle le reste. Nos compatriotes y sont très attachés. Elle a pour but de nous protéger contre les accidents de la vie - même s'il est difficile de considérer comme tel le fait d'avoir des enfants...

Le sujet de la compensation a déjà été largement évoquée, je n'y reviens pas longuement. J'ai pris parti à différentes occasions pour que la compensation soit effectuée selon la loi Veil de 1994. Je voudrais souligner un problème de forme, mais qui est plus que cela : les comptes du régime général de 2018 affichent un excédent de 500 millions d'euros et le budget de 2019 en prévoit un de 100 millions. Mais la sécurité sociale est néanmoins en déficit, à cause du FSV. Or le FSV n'est pas assurantiel, il a été créé pour assurer le financement du minimum vieillesse. C'est lui qui est responsable du déficit de 1,2 milliard d'euros en 2018 et du déficit prévu de 1,7 milliard en 2019.

Ce fait reflète bien l'évolution de la sécurité sociale d'aujourd'hui, qui n'a plus que des liens lointains avec celle de 1945, car elle n'est plus construite sur les mêmes bases philosophiques.

Mme Laurence Cohen . - Mes propos s'inscrivent dans le prolongement de ceux de M. Daudigny. Lorsque vous séparez de manière tranchée, dans votre présentation, le budget de l'État, d'un côté, et le budget de la sécurité sociale, de l'autre, vous instaurez une rupture avec la logique de compensation qui prévalait jusque-là. Vous avez répondu de manière très habile aux questions, mais la question qui vous est posée est bien celle de la compensation par l'État à la sécurité sociale des exonérations de charges ! Le groupe CRCE a l'habitude d'être minoritaire dans cette assemblée, mais la Cour des comptes souligne comme nous que l'amélioration des comptes de la sécurité sociale est conjoncturelle : elle résulte, au moins pour moitié, de la bonne tenue de l'économie française. Cela montre qu'il faut modifier la politique économique qui est menée aujourd'hui car elle ne relance pas l'emploi en dépit des cadeaux fiscaux et des exonérations de charges. Le CICE n'a pas entrainé de créations d'emplois. Ce n'est pas le constat d'un groupe minoritaire, c'est un fait !

Comme vous le dites très justement, l'hôpital vit une situation extrêmement difficile. Les petites mesures qui ont été annoncées ne sont pas suffisantes. Les hospitaliers réclament des créations d'emplois. Cela améliorerait d'ailleurs la situation de la sécurité sociale parce que cela ferait rentrer des cotisations supplémentaires. Mais ce n'est pas la voie que vous prenez.

Si l'on peut saluer la hausse de l'Ondam, qui passe de 2,3 % à 2,5 %, celui-ci devrait toutefois s'établir à plus de 4 % pour simplement suivre l'augmentation du coût de la vie. Le décalage est donc énorme ! Vous n'anticipez pas. Vous gouvernez au jour le jour, en aggravant les comptes de la sécurité sociale et en rompant avec la logique de solidarité, sans régler les problèmes.

M. René-Paul Savary . - Le Gouvernement entend-il suivre les propositions du rapport de M. Aubert, en créant des sous-Ondam ou en régionalisant l'Ondam ? Ensuite, avez-vous tranché s'agissant de l'âge des retraites : le Gouvernement entend-il créer un âge pivot dans le cadre du futur système de retraite à points ou bien allez-vous prendre une mesure paramétrique pour modifier la durée de cotisation ?

Mme Nadine Grelet-Certenais . - Je visitais hier soir un service d'urgences dans mon département, la Sarthe. La situation est catastrophique à l'approche de l'été. Des services ferment. Les moyens humains et financiers manquent. Le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé apportera quelques réponses mais dans l'immédiat rien n'est résolu. La situation appelle des mesures exceptionnelles pour répondre à l'urgence.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Monsieur Daudigny, les temps ont changé depuis la création de la sécurité sociale ! Celle-ci était le fruit d'une alliance entre les gaullistes et les communistes. Elle a rendu de grands services aux Français, elle les a protégés à un moment où notre économie et notre démographie n'étaient pas tout à fait celles que nous connaissons aujourd'hui. Mais, depuis trente ans, la population vieillit, le chômage est important, le coût des soins augmente. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis les crises pétrolières ont été confrontés à ces déséquilibres. Notre système assurantiel s'essouffle, les déficits se sont creusés. Depuis que je suis enfant, j'entends parler de déficits ; c'est bien la preuve qu'il y a quelque chose qui ne va pas ! Je suis très attaché à notre système de sécurité sociale, mais il nous appartient désormais, comme l'a dit le Président de la République lors de la campagne présidentielle, de fixer le cadre d'un nouvel État-providence, qui ne serait pas fondé sur la capitalisation mais sur un régime universel, même si cela le rend moins assurantiel. Notre système, d'ailleurs, est déjà de moins en moins financé par des cotisations et de plus en plus par l'impôt. Les gouvernements que vous souteniez, Monsieur Daudigny, se sont inscrits dans cette logique aussi. Le montant de la CSG s'élève déjà quasiment à 100 milliards d'euros et ce n'est pas le fait d'Emmanuel Macron ! La réforme par points n'est rien d'autre qu'un système universel, qui se substituerait aux 42 régimes actuels, car les Français sont très attachés à l'égalité. Quel que soit le métier exercé, un euro cotisé doit donner les mêmes droits. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. La question est alors de choisir entre un système privé ou un système public. Je préfère un système public, garant de la solidarité nationale, sur le modèle de l'assurance chômage : on remplace les cotisations par de la CSG, ce qui donne aussi le droit à l'État de donner son point de vue. Votre constat est donc juste mais nous assumons nos choix et nos réformes ne sont pas faites en catimini.

Il est un peu facile de retirer le FSV du calcul, on l'a toujours compté ! Il est aisé de prétendre que les comptes sont excédentaires si l'on retire tous les éléments en déficit...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général. - On présentait les comptes du régime général plus ceux du FSV. De plus en plus, on les a amalgamés.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Le minimum vieillesse relève bien de la solidarité et il faut bien le payer.

Oui, Madame Cohen, la bonne tenue de notre économie explique en partie l'amélioration des recettes. Mais si notre économie résiste c'est bien parce que nous avons su prendre les mesures qu'il fallait en abaissant la fiscalité, en supprimant un impôt sur le capital et en améliorant les conditions de l'accès au marché du travail.

Pour le reste, je ne suis pas d'accord avec vous : la situation n'empire pas mais s'améliore. Le chômage baisse : 93 800 emplois ont ainsi été créés au cours du 1 er trimestre 2019 selon l'Insee. Cette baisse du chômage n'est pas le fruit du hasard et contribue, en effet, à améliorer les recettes. Selon vous, le CICE n'a pas entrainé de créations d'emplois. Ce n'est pas prouvé ! Et, surtout, c'est bien pour améliorer le dispositif et éviter les effets d'opportunité que nous l'avons transformé en une baisse de charges pérenne, afin de soutenir les créations d'emplois salariés.

Vous évoquez aussi l'Ondam. En 2017, sous un gouvernement que vous souteniez, l'Ondam était de 2,2 %. Nous l'avons porté à 2,3 %, puis à 2,5 %. Vous avez raison, pour suivre le coût de la vie, il devrait s'établir à 4 %, mais pourquoi ne pas l'avoir fait lorsque vous étiez aux responsabilités ?

Mme Laurence Cohen . - Ce n'était pas mon gouvernement !

M. Gérald Darmanin, ministre. - En tout cas, on ne peut pas nous reprocher de ne pas faire aujourd'hui ce que l'on n'a pas fait hier ! Je rappelle aussi qu'une hausse de 0,1 point de l'Ondam représente 200 millions d'euros pour les finances publiques. L'effort que nous réalisons est donc conséquent ! On peut aussi se demander si l'enveloppe budgétaire est bien utilisée. Les hôpitaux et la sécurité sociale ont fait de gros efforts mais il reste sans doute des marges de progrès. C'est pourquoi Agnès Buzyn a présenté son texte sur la santé.

Élu d'une ville particulièrement touchée par le chômage, je connais bien les urgences. Les urgentistes réclament sans doute plus de moyens, mais ils se plaignent surtout des conditions de travail, de l'accumulation des gardes et des heures de nuit, des problèmes de sécurité, du fait qu'un contractuel payé à la journée soit mieux payé qu'un titulaire - la ministre a d'ailleurs pris un décret sur ce sujet. Il faut continuer à renforcer la collaboration entre la médecine de ville et l'hôpital. Reconnaissons aussi que la population a évolué, que l'hôpital que nous connaissons n'est plus tout à fait celui d'hier. Le pouvoir politique doit s'efforcer de répondre aux attentes et celles-ci ne sont pas uniquement budgétaires. Les urgentistes que j'ai rencontrés m'ont beaucoup parlé de vocation, de conditions d'exercice et de sens du travail.

La régionalisation de l'Ondam ? La question se pose et Mme Buzyn aura l'occasion de s'exprimer sur ce sujet. Attention toutefois au risque d'une différenciation des tarifs entre les régions. En tout cas, je crois que le PLFSS pour 2020 ne sera pas construit sur ce principe.

Mme Cohen nous reproche de ne pas anticiper, mais la dépendance est incluse dans l'Ondam. Des crédits de santé sont utilisés pour financer la grande dépendance. Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient déjà évoqué la création d'une cinquième branche. Ils ne l'ont pas fait car cela coûte très cher et c'est très compliqué. Emmanuel Macron souhaite la création d'une enveloppe dédiée à la dépendance. Cela permettra de garantir que les crédits de santé vont bien à la santé et que les dépenses liées à la dépendance sont bien prises en charge. Les besoins sont considérables.

Michel Rocard disait que la réforme des retraites pouvait provoquer la chute de n'importe quel gouvernement. Tous les gouvernements ont ainsi affirmé qu'ils ne voulaient toucher à rien, tout en trouvant un moyen pour le faire quand même.

En effet, on ne peut pas maîtriser la dépense publique sans toucher aux dépenses sociales car elles représentent la moitié des dépenses publiques : l'Ondam représente 200 milliards d'euros ; les retraites, un engagement de 320 milliards d'euros, 14 % du PIB. Il serait donc illusoire de penser qu'un gouvernement puisse se désintéresser budgétairement de la question des retraites. La France est l'un des pays qui consacre le plus aux pensions, et c'est aussi l'un des pays où l'on part le plus tôt à la retraite.

Dans la réforme des retraites, il faut distinguer les mesures applicables avant 2025 et celles qui seront valables ensuite avec l'instauration d'un régime de retraite par points. Le Haut-commissaire rendra ses conclusions le 12 juillet au Premier ministre ; un projet de loi devrait être déposé à l'automne et nous aurons l'occasion sans doute de débattre longuement de ce magnifique projet de société, mais qui soulève beaucoup de questions puisque l'on fait 42 réformes en une.

En attendant, la question que vous posez est de savoir si nous allons procéder à une réforme paramétrique : modifiera-t-on l'âge légal de départ ? La réponse est non ! On pourrait aussi réfléchir à un système de décotes et de surcotes modifiant l'âge de départ effectif, ou alors à une accélération de la réforme Touraine en modifiant la durée de cotisation. Tels sont les scénarios. Le Gouvernement proposera, dans le cadre du PLFSS, des mesures en accord avec les annonces du Président de la République lors du grand débat national et du Premier ministre lors de son discours politique générale. Le Président de la République s'est engagé à ne pas revenir sur l'âge légal. Mais il faut constater aussi que les prévisions du Conseil d'orientation des retraites (COR) ont évolué depuis la campagne présidentielle. L'enjeu est que le travail paie plus pour pouvoir compenser les baisses d'impôts. Soit on augmente la durée hebdomadaire du travail au-delà de 35 heures - mais le Président de la République a déjà repoussé cette hypothèse -, soit on supprime des jours fériés, ce qui semble peu probable, soit on prend des mesures en attendant la réforme des retraites. Dans tous les cas, les mesures proposées devront être cohérentes avec la réforme par points que nous allons proposer ensuite. Si nous voulons que la réforme de 2025 soit durable et aboutisse à un régime pérenne, il faut que le budget des retraites en 2025 soit à l'équilibre. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Donc je n'ai pas encore de réponse précise à votre question mais je vous ai dressé les problématiques.

M. Daniel Chasseing . - Notre pays s'est fortement désindustrialisé. Alors qu'en 2000 la proportion de personnes travaillant dans l'industrie était similaire à celle de l'Allemagne, avec un taux de 18 %, aujourd'hui l'écart s'est creusé : il est à 26 % en Allemagne et à 11,5 % en France. Grâce au CICE et à la baisse des charges, on a rétabli l'équilibre avec le coût du travail en Allemagne. J'espère aussi que les mesures annoncées, lors de la crise des « gilets jaunes », sur les heures supplémentaires, la prime d'activité, la CSG, les baisses de cotisations sociales et les baisses d'impôts permettront d'augmenter le pouvoir d'achat et le nombre d'emplois.

Ainsi le produit des cotisations devrait augmenter, ce qui contribuera à équilibrer les comptes de la sécurité sociale et à réduire les déficits. J'espère que le Gouvernement gagnera son pari.

Vous avez dit que le financement de la dépendance pouvait reposer sur d'autres recettes ; en tout cas, les besoins sont énormes et la dépendance n'est pas suffisamment prise en charge dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Les besoins sont aussi importants dans les hôpitaux pour les urgences ou l'ambulatoire, qui réclame presque le même personnel qu'une hospitalisation classique. Il sera donc nécessaire à l'avenir d'augmenter l'Ondam.

M. Gérard Dériot . - Le Gouvernement a choisi de ne pas poursuivre la baisse des taux de cotisation de la branche AT-MP en 2019.

À l'inverse du FSV, cette branche est en excédent. Chaque année, elle reverse une certaine somme correspondant au coût estimé de la sous-déclaration des accidents du travail - près de 1 milliard d'euros - au régime général.

Malgré cela, la branche AT-MP dispose encore d'un excédent important. Pourrions-nous utiliser cet excédent pour permettre aux caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), de recruter des ingénieurs de prévention supplémentaires ?

La prévention est un élément majeur des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cepom). Or les Carsat manquent manifestement de personnel. L'amélioration de la prévention entraîne mécaniquement la baisse du nombre d'accidents du travail.

Je fais confiance à votre ministère pour trouver une formule comme lui seul en a le secret, c'est-à-dire une formule que personne ne comprendra sauf, peut-être, le service qui l'aura élaboré - ce qui n'est déjà pas si mal. Nous pourrions alors nous appuyer sur quelque chose de concret.

M. Olivier Henno . - Vous avez évoqué la question fondamentale du passage du système assurantiel au système universel. Mais ne s'agit-il pas d'un faux débat ?

Le système assurantiel reposait sur la taxation du travail. À partir du moment où l'on se donne comme objectif d'alléger les charges pesant sur le travail, on est contraints de renoncer en partie, sinon en totalité, au système assurantiel. Le vrai choix politique ne consiste-t-il pas à décider d'alléger les charges sur le travail, au moment où ce dernier se raréfie, et d'accepter alors de passer à un système universel ?

Nous vivons une époque particulière, avec des taux d'intérêt négatifs. Il s'agit d'une bonne nouvelle, les marchés estimant que la dette française est un placement sûr. Toutefois, ces taux négatifs peuvent également s'avérer dangereux s'ils entraînaient un relâchement de la maîtrise de la dette publique. Profitez-vous de cette période pour accélérer la mutation ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Les taux n'ont été négatifs que durant deux jours. La France emprunte ces dernières semaines à 0,11 %. Certains expliquent qu'un niveau aussi bas s'explique par l'action accommodante de la Banque centrale européenne ; selon d'autres, des taux aussi bas expriment une aversion au risque, ce qui est annonciateur d'une crise économique. Le général de Gaulle disait des économistes qu'ils expliquaient toujours pourquoi ce qu'ils avaient prévu n'était pas arrivé...

Les taux bas ne s'expliquent pas uniquement par la politique de la Banque centrale européenne : l'Italie emprunte à un taux de 2,42 %, avec la même banque centrale et la même monnaie. L'Allemagne, quant à elle, emprunte structurellement à des taux négatifs.

Si nous appliquions les taux italiens aux emprunts français, nous devrions payer 15 milliards d'euros d'intérêts de plus l'année prochaine. La France n'a pas les moyens de payer ces 15 milliards. Il nous faudrait donc soit diminuer de façon extrêmement marquée les dépenses publiques - et je ne suis pas certain que le ministre des comptes publics prendrait alors beaucoup de temps pour discuter avec les chambres et avec ses collègues face à cette urgence -, soit augmenter très fortement les impôts, et sans doute plus sûrement un peu des deux.

Je me réjouis donc de ces taux d'intérêts bas, non seulement parce que je n'ai pas à trouver 15 milliards d'euros supplémentaires, mais aussi parce que les marchés font plus confiance à la France qu'à l'Italie, par exemple, à niveau de dette à peu près similaire et avec des difficultés évidentes depuis quarante ans en matière de comptes publics.

Cela signifie que les réformes voulues par le Président de la République et que nous exposons à la Commission européenne, à la Cour des comptes, aux emprunteurs - la moitié des gens qui nous prêtent de l'argent ne sont pas européens - sont crédibles. Je peux faire jouer la fibre nationale avec les grandes banques françaises, c'est plus compliqué avec des prêteurs venus de l'autre bout du monde qui ne regardent que leur intérêt...

Toutes nos réformes - code du travail, fiscalité du capital, SNCF, assurance chômage, audiovisuel public, fonction publique... - portent leurs fruits auprès de ceux qui nous jugent - la Commission européenne -, qui nous notent - les agences de notation - ou qui nous prêtent. Nos chiffres ne sont peut-être pas excellents, mais nous faisons les réformes nécessaires pour transformer notre appareil économique.

Le montant de la dette n'est pas aussi dangereux que le risque d'un arrêt des réformes. Si nous interrompions ce cycle, soyez certain que les taux d'intérêt augmenteraient et qu'il faudrait faire du paramétrique dans tous les domaines ou augmenter les impôts, ce qui est arrivé à d'autres pays. Il est donc essentiel de tenir l'agenda des réformes.

Certains, enfin, proposent de profiter de ces taux bas pour emprunter davantage. Pour moi, ce serait l'équivalent d'une prise de morphine. La France empruntant en général à moins de dix ans, notre stock de dette se renouvelle assez vite. Supposons que les taux remontent en moins de six mois aux niveaux italiens, nous serions pris à la gorge.

Monsieur Mélenchon me dit régulièrement que la dette n'existe pas. Je caricature sa pensée, mais il estime que la France ne pourrait être mise en faillite, parce que c'est la France. D'autres poussent à emprunter parce que le moment leur semble bien choisi eu égard à la faiblesse des taux. Une telle politique se révélerait mortelle pour notre pays, car les taux finiront par remonter un jour.

Enfin, Monsieur Henno, même dans cette période, je préférerais tout de même être dans la position du ministre allemand des comptes publics qui doit répartir les excédents - il a d'ailleurs fait le choix de les redistribuer aux fonctionnaires, notamment aux enseignants - et non gérer les déficits. Mais pour arriver aux excédents, il a fallu à l'Allemagne vingt ans d'une gestion sans doute plus compliquée que celle que nous avons pu connaître sous quelque gouvernement que ce soit.

Le passage du système assurantiel au système universel s'inscrit dans la politique générale d'exonérations et d'allégements. Nous considérons que le coût du travail a handicapé notre économie et entraîné des délocalisations. Certains pourraient dire la même chose du coût de l'énergie et nous pourrions avoir le même débat sur l'énergie nucléaire. Je pense que le coût du travail était moins intéressant en France qu'ailleurs en Europe ou dans le monde. L'allégement général des cotisations, suivi par tous les gouvernements réformistes, y compris par ceux qui se disaient socialistes, a mis fin au système assurantiel, remplacé par l'impôt.

Michel Rocard n'y pensait peut-être pas au moment de créer la CSG, mais l'assiette de cet impôt s'étend aussi au capital, qui finance donc aussi le social, ce qui me semble assez juste. Lors de l'élection présidentielle, la question de savoir s'il fallait augmenter la TVA ou la CSG n'était pas un mauvais débat. Choisir la TVA, comme le fait souvent une partie de la majorité sénatoriale, n'est pas pareil qu'augmenter la CSG.

En ce qui concerne les Carsat, je ne suis pas certain qu'il faille toujours répondre aux problèmes par des dépenses supplémentaires. Dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion 2018-2022 que nous avons signée avec la ministre des solidarités et de la santé, nous avons doublé le montant des fonds de prévention dont les crédits devraient s'élever à une centaine de millions d'euros.

Vous n'avez pas l'air d'être convaincu, Monsieur Dériot, mais le montant du coût de la sous-déclaration des accidents du travail pour la branche maladie est évalué tous les trois ans par une commission indépendante présidée par un magistrat de la Cour des comptes. Je n'ai pas la capacité du rapporteur général pour évaluer la justesse du montant retenu, à une centaine de millions d'euros près.

Vous m'avez enfin demandé pourquoi nous n'avions pas choisi de fixer un Ondam plus élevé. Il a augmenté de 2,3 %, cette année, comme nous nous y étions engagés. L'année dernière, il avait augmenté de 2,5 % pour tenir compte des investissements nécessaires dans les hôpitaux ultramarins, notamment dans le centre hospitalier de Guadeloupe.

Encore une fois, nous avons tenu un Ondam à 2,3 %, exécuté à 2,1 %. Le Gouvernement a redonné aux hôpitaux le surplus. Il est très difficile de tenir un Ondam entre 2,1 et 2,3 % pour les raisons que vous avez évoquées.

Dans l'Ondam, on ne trouve pas que les dépenses de santé stricto sensu et les hôpitaux. Y figurent aussi les indemnités journalières, la médecine de ville, l'homéopathie... Certaines questions très importantes se posent, beaucoup de gouvernements et de parlementaires y ont réfléchi et ont parfois reculé devant l'obstacle. Mais l'Ondam n'étant pas qu'une dépense de santé, je ne suis pas sûr qu'il faille juger de l'efficacité de notre système de santé uniquement au regard de sa progression. Voilà un peu plus de dix ans, il atteignait 6 à 7 % et nous parlions déjà de crise dans les hôpitaux.

Le métier de soignant et d'aide-soignant est très difficile et souffre d'une concurrence très forte avec le privé, qui s'est spécialisé et qui a parfois attiré un certain nombre de praticiens hors du secteur public. La question du numerus clausus se pose aussi. Il ne s'agit donc pas que d'une question d'argent...

Audition de Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice de la sécurité sociale,
M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l'Acoss,
et M. Alain Griset, président de l'U2P

Réunie le mercredi 12 juin 2019, sous la présidence de M. Jean-Noël Cardoux, président, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale entend Mme Mathilde Lignot Leloup, directrice de la sécurité sociale, M. Yann Gaël Amghar, directeur de l'Acoss, et M. Alain Griset, président de l'U2P, sur les cotisations sociales des travailleurs indépendants et la gouvernance de leur protection sociale.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Notre réunion a pour objet de faire le point sur la suppression du régime social des indépendants (RSI), prévue par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 et effective le 1 er janvier 2020. Lors de l'examen de ce texte, le Sénat avait identifié cinq points de vigilance destinés à éviter une nouvelle « catastrophe industrielle », pour reprendre la formulation de la Cour des comptes pour qualifier la création du RSI. Ces points de vigilance sont les suivants : la mise en place d'un accueil dédié pour les travailleurs indépendants dans le régime général, la prise en compte des risques pesant sur les systèmes d'information - responsables de la « catastrophe industrielle » lors de la création du RSI - et sur les ressources humaines pendant la période de transition, la participation des indépendants à la gouvernance de leur protection sociale, le pilotage de la réforme et enfin la simplification attendue du calcul et du recouvrement des cotisations sociales.

La première table ronde de la matinée est consacrée au problème des cotisations sociales des travailleurs indépendants, dont la LFSS pour 2018 prévoit la simplification aussi bien dans le calcul que dans le recouvrement. C'est le noeud gordien me semble-t-il du problème de confiance des travailleurs indépendants vis-à-vis de leur protection sociale.

M. Alain Griset, président de l'Union des entreprises de proximité (U2P) . - L'U2P représente 208 000 entreprises pour qui la protection sociale et le RSI sont des enjeux majeurs. Lors de la campagne présidentielle de 2017, la suppression du RSI est devenue une priorité pour plusieurs candidats. Pourtant, lors de sa création en 2006, nous nous étions félicités de la création d'un interlocuteur unique pour les travailleurs indépendants. Les problèmes survenus dès le départ, et qui ont été qualifiés effectivement de « catastrophe industrielle », ne sont pas dus aux agents du RSI mais à des difficultés matérielles, en particulier des moyens financiers et informatiques qui n'ont pas été mis. La moitié des ressortissants se plaignait des services du RSI dès la première année.

La marque RSI étant durablement affectée, il convenait sans doute de changer le nom. Mais il est clair que les vrais sujets demeurent à savoir le service rendu aux entreprises et l'assiette des cotisations sociales des travailleurs indépendants.

Je rappelle que ces derniers payent leurs cotisations sur leurs bénéfices et non sur leurs revenus. Nous demandons donc un changement d'assiette pour les faire cotiser sur les revenus réellement perçus. Nous souhaiterions également que l'intégration du RSI dans le régime général ne se traduise pas par une dégradation de l'accueil des assurés. Ainsi, il nous paraît essentiel de ne pas revenir sur l'acquis de la réforme de 2006 et de maintenir un guichet unique aussi bien pour la maladie, la retraite que les cotisations. L'expérimentation lancée à Bordeaux avec la création d'un point de contact unique me paraît une bonne solution. Mais on est loin aujourd'hui d'avoir un interlocuteur unique de proximité.

Le RSI avait amélioré considérablement la qualité de son service. Si des erreurs persistent dans le recouvrement, nous n'avons pas reçu d'alertes quant à une dégradation de ce service depuis le 1 er janvier 2018.

Nous avons toutefois des inquiétudes quant au maintien d'un même montant d'action sociale, essentielle pour venir en aide aux entreprises en difficulté. Sera-t-elle maintenue au niveau actuel ? De même les décisions d'attribution des aides seront-elles toujours dévolues aux représentants des indépendants à travers les commissions de recours amiable ?

Nous attendons également des mesures fortes pour simplifier le calcul des cotisations, difficilement compréhensible pour nos collègues. Malgré la simplification apportée par la déclaration des cotisations sur les revenus de l'année N-1, il est toujours difficile de comprendre les montants appelés.

Enfin, la gouvernance du conseil national de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) ne fonctionne pas. Alors qu'elle est la première organisation représentative des travailleurs indépendants, l'U2P a été battue pour la présidence de l'assemblée générale. Je m'interroge toujours sur la décision du Gouvernement autorisant la Chambre nationale des professions libérales à siéger au sein du CPSTI alors que l'U2P représente les professionnels libéraux. L'U2P, se retrouvant sur un strapontin, a décidé de suspendre sa participation aux travaux du CPSTI au niveau national. Je regrette cette marginalisation.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Je retiens votre proposition de basculer l'assiette de cotisations sociales des travailleurs indépendants constituée actuellement des bénéfices vers les revenus. En comptabilité, les deux notions sont évidemment différentes. Un commerçant est tenu de laisser sur le compte bancaire de son entreprise des liquidités de trésorerie mais elles font l'objet de prélèvements sociaux. Cela me paraitrait plus juste de réduire l'assiette de cotisations aux seuls revenus. Nous avions soulevé cette question dans notre rapport de 2014 sur le RSI avec notre ancien collègue Jean-Pierre Godefrain.

M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). - Nous avons travaillé depuis la LFSS pour 2018 dans un souci de répondre aux alertes dont le président Cardoux a parlé. Le choix de la continuité a été fait pour l'outil informatique et il n'y aura pas de débranchement du système d'information actuel du RSI avant que les outils du régime général ne soient parfaitement opérationnels. Le « big bang » de 2006 ne se reproduira pas.

Ce choix de la continuité vaut aussi pour l'organisation. Dès 2017, le RSI et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) ont travaillé à mettre fin au découpage de l'activité du recouvrement entre ces deux acteurs qui avaient tendance à se renvoyer la balle lorsqu'un travailleur indépendant rencontrait une difficulté. Depuis 2017, la mise en place de la direction nationale du recouvrement commune aux deux organismes a permis de prendre en charge de bout en bout le recouvrement amiable et forcé des indépendants.

Depuis 2018, nous améliorons le service rendu aux entreprises en modernisant l'offre de service en ligne des Urssaf. Une application mobile a été créée pour déclarer et payer les cotisations, ce qui offre une grande liberté aux indépendants sans nécessiter des frais d'équipement particuliers : un smartphone et une carte bancaire suffisent désormais ! Cette application correspond également aux attentes des auto-entrepreneurs, dont le nombre a encore augmenté l'année dernière.

Concernant l'accueil dédié des indépendants dans le régime général, nous expérimentons à Bordeaux un accueil dit de « premier niveau » pour répondre aux besoins pour des motifs allant bien au-delà des demandes qui pouvaient être formulées actuellement dans les caisses du RSI. On constate en effet que les indépendants ont des demandes fortes relatives aux prestations servies par les caisses d'allocations familiales (Caf) mais aussi à leurs déclarations de revenus. Cette expérimentation permet donc de tester un socle d'accueil global pour les travailleurs indépendants.

Nous menons également une autre expérimentation d'un accueil spécifique aux créateurs d'entreprise, qui sont souvent les publics les plus démunis et les plus susceptibles de faire des erreurs et de se retrouver en difficulté vis-à-vis des Urssaf. Ces assurés, qui n'étaient pas demandeurs, semblent réceptifs à cette initiative et satisfaits d'avoir des agents identifiés pour répondre aux questions que l'on se pose quand on crée son entreprise : comment déclarer ses impôts ? Quelle sera ma retraite ? Cette prise en charge utile est néanmoins consommatrice en ressources supplémentaires.

Une troisième expérimentation est en cours : la modulation des cotisations sociales. Elle permet à l'artisan ou au commerçant, sans changer les règles de l'assiette sociale, d'adapter chaque trimestre, voire d'un mois sur l'autre, le montant des cotisations acquittées en fonction de ses revenus déclarés. Son échéancier est donc adapté en conséquence. Si les revenus sont stables, aucune modification n'est évidemment opérée. Nous sommes actuellement dans une phase de rodage du dispositif que nous avons construit directement avec les travailleurs indépendants en travaillant avec eux par exemple sur la maquette du site internet des Urssaf. Le service a été ouvert en début d'année à un échantillon volontairement réduit de 200 indépendants volontaires. Cette période de rodage a permis de relever des anomalies et d'améliorer le service. Il aurait été périlleux de le déployer plus largement. Actuellement, les premiers retours nous font penser que ce service va pouvoir concerner un échantillon plus large de quelques milliers de personnes dans les prochains mois. Le Gouvernement devrait disposer d'éléments pour faire un premier bilan à l'occasion de l'examen du PLFSS pour 2020.

Enfin, s'agissant des ressources humaines, le processus d'intégration est quasiment achevé. 90 % des personnels du RSI affectés au régime général ont accepté la proposition de poste et d'implantation géographique qui leur a été faite. Pour les 10 % restant, nous avons travaillé à une seconde proposition qui devrait convenir à la grande majorité. On estime entre 1 et 3 % la part des salariés du RSI qui n'auraient pas accepté leur mobilité. Je rappelle que le régime général intègrera dès le 1 er juillet les personnels informatiques du RSI afin de leur garantir leur situation et d'éviter les éventuelles déperditions. Ce sera le cas également des agents chargés de l'affiliation - qui est une tâche sensible.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Je vous remercie pour ce point d'étape. Je note notamment la possibilité de moduler mensuellement le montant des cotisations sociales, qui va plus loin que ce que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 avait prévu.

Je donne la parole à Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice de la sécurité sociale.

Mme Mathilde Lignot-Leloup , directrice de la sécurité sociale . - En 2017, la volonté du Gouvernement a été double : faire en sorte que les travailleurs indépendants disposent d'un système de protection sociale de qualité et en même temps plus simple et fluide afin que les questions d'affiliation ne soient pas un frein à leurs démarches. La grande majorité des travailleurs indépendants ont été salariés à un moment de leur carrière.

Cette réforme propose donc une simplification du recouvrement en tenant compte des erreurs commises lors de la mise en place de l'interlocuteur social unique (Isu). Elle simplifie également l'assurance maladie en permettant que le salarié devenant indépendant reste affilié dans sa caisse primaire d'assurance maladie (Cpam). Depuis le 1 er janvier dernier, c'est d'ailleurs déjà le cas pour les nouveaux travailleurs indépendants. De plus, le régime général liquidera désormais l'intégralité de la retraite de base des travailleurs indépendants, pour les droits acquis au titre de leur activité salarié mais aussi indépendante ainsi que la retraite complémentaire des indépendants.

La qualité de service s'est améliorée depuis janvier 2018 : le taux d'appel téléphonique pris en charge a augmenté de 12 % tandis que le taux de réclamation a, lui, diminué de 17 %. Le comité de surveillance, qui supervise le projet d'intégration pendant la période de transition de deux ans, a validé toutes les étapes et je peux dire que nous sommes en bonne voie pour être au rendez-vous du 1 er janvier 2020.

L'enjeu des ressources humaines était considérable puisqu'il consistait au transfert au régime général de 5 000 salariés du RSI et de 2 000 salariés des organismes conventionnés, qui assurent la gestion de l'assurance maladie des indépendants pour le compte du RSI. Or 90 % des salariés ont déjà accepté leur nouveau poste.

Sur la gouvernance, la LFSS pour 2018 confie bien aux représentants des travailleurs indépendants le pilotage de leur protection sociale et de la qualité de service. Ils sont chargés également du pilotage du régime complémentaire et des réserves ainsi que de l'action sociale spécifique aux travailleurs indépendants.

Le CPSTI a été installé en janvier dernier au niveau national avec l'assemblée générale et avec les quinze instances régionales de la protection sociale des travailleurs indépendants. Un médiateur est installé auprès de chacun de ces organes pour régler les difficultés des assurés. Un représentant du CPSTI siège également dans les conseils d'administration de toutes les caisses du régime général.

La composition des conseils aux niveaux national et régional s'est appuyée sur une enquête de représentativité des travailleurs indépendants. Au niveau national, un équilibre est à trouver entre les organisations représentatives pour qu'elles puissent toutes siéger, comme c'est le cas dans les instances régionales. Il est important que l'assemblée générale fonctionne, en particulier s'agissant de la gestion de l'action sociale des indépendants.

Nous avons été vigilants à conserver la possibilité d'un accueil dédié et global pour les travailleurs indépendants. Le site internet 26 ( * ) de la sécurité sociale des indépendants a également été renforcé. Certaines fonctionnalités ont été développées comme le paiement en ligne et par carte bancaire des cotisations sociales. Des accueils physiques globaux seront assurés dans vingt-huit points répartis sur le territoire national qui permettront de répondre aux questions de sécurité sociale mais aussi fiscales ou à celles liées aux Caf ou à Pôle emploi. Le dispositif expérimenté à Bordeaux devrait être étendu à la France entière à partir de 2020. Il permettra donc non seulement de conserver ce guichet unique mais également d'en élargir le champ de compétence.

Des parcours sont également testés pour les créateurs d'entreprises mais aussi pour les travailleurs indépendants qui rencontreraient des difficultés économiques afin d'avoir une appréhension globale de leurs besoins.

La principale difficulté dans les démarches déclaratives des cotisants réside dans le décalage entre la perception d'un revenu, la déclaration et le paiement des cotisations afférentes. Le téléservice de déclaration et de modulation des cotisations sociales, actuellement expérimenté, permet d'ajuster l'assiette des cotisations chaque mois et non plus seulement une fois par an. Ensuite, la LFSS pour 2019 a simplifié les modalités de calcul des cotisations en définissant une assiette sociale qui ne fait plus référence à l'assiette fiscale. L'assiette « nette » nécessaire au calcul des cotisations sociales constitue une difficulté pour le travailleur indépendant qui est obligé de pré-calculer le montant de ses cotisations sociales. Il convient de simplifier ce dispositif, ce que fait l'article 22 de la LFSS pour 2019. C'est une première étape. Le Gouvernement souhaite continuer à travailler sur cette simplification de l'assiette à l'occasion du prochain PLFSS. Une simplification des modalités déclaratives des travailleurs indépendants pourrait être proposée. Ils ont en effet trois déclarations à faire chaque année : deux déclarations fiscales, l'une au titre de son activité professionnelle et l'autre pour son impôt sur le revenu personnel et une déclaration sociale. Nous souhaitons unifier ces déclarations à partir de 2021 pour les revenus sur l'année 2020.

La réforme du RSI se met en place et produit des effets concrets pour les travailleurs indépendants. Elle s'ajoute à d'autres dispositifs mis en place ces dernières années pour ce public. Je pense à l'année « blanche » qui permet d'exonérer de cotisations sociales la première année d'activité du travailleur indépendant ainsi qu'à l'amélioration de la couverture en matière d'indemnités journalières maladie par la suppression de la condition d'être à jour de ses cotisations pour pouvoir en bénéficier. Je veux citer également l'amélioration de l'assurance maternité pour les travailleuses indépendantes qui a été alignée sur celle des salariées au régime général.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Je vous remercie pour ces éléments, dont je retiens principalement la volonté de fusionner les déclarations sociales et fiscales.

M. Michel Forissier . - L'intégration des travailleurs indépendants dans le régime général et l'alignement de leurs droits sur ceux des salariés de doivent pas faire perdre de vue la spécificité des besoins et des attentes des indépendants, qui ne font pas face aux mêmes risques.

Mme Frédérique Puissat . - J'observe que, depuis dix-huit mois, on ne parle plus de « catastrophe industrielle » à propos du RSI. Je me méfie cependant des silences : la presse peut demain pointer de nouveaux problèmes.

La gouvernance du nouveau système a évolué. Alors que, dans le RSI, la représentation reposait sur l'élection de pairs au niveau régional, les CPSTI résultent d'une élection au niveau national. Dispose-t-on déjà d'éléments d'évaluation de cette modification ?

Les réserves du RSI, destinées à assurer la retraite complémentaire des indépendants, étaient évaluées à 17 milliards d'euros. Quel est aujourd'hui le montant de ces réserves ? Sont-elles sanctuarisées ?

S'agissant enfin de la gestion des ressources humaines dans l'intégration du RSI au régime général, vous nous indiquez qu'un premier accord a pu être trouvé, qui ne laisse aujourd'hui que 3 % de situations litigieuses. Comment la période de transition se déroulera-t-elle ? Faut-il s'attendre à des déplacements de postes en région ?

Mme Michelle Gréaume . - La fusion entre le RSI et le régime général se traduit par une réaffectation des personnels. Vous nous indiquez que 5 % d'entre eux se sont vu refuser une affectation, et que 9 % sont en attente d'une solution. Quelles solutions de reclassement envisagez-vous pour ne laisser aucun agent sur le bord ?

Mme Pascale Gruny . - L'ensemble des situations problématiques antérieures à la fusion ont-elles été réglées ? Je dois dire que, en tant que parlementaire, je suis désormais moins sollicitée à ce titre.

Vous nous indiquez que les travailleuses indépendantes bénéficient désormais des mêmes droits que les salariées au titre de la maternité : pouvez-vous nous préciser ce point ? Il ne me semble pas que cette évolution se soit traduite par la mise en place de cotisations supplémentaires.

D'une manière générale, je crois qu'il reste à conduire un effort de pédagogie important autour du montant des cotisations dues et des droits qui leur sont associés. Les bénéficiaires du RSI ont le sentiment de régler des cotisations très élevées, qui leur ouvrent cependant des prestations plus faibles que celles dont bénéficient les salariés, notamment pour la retraite. Nous devons mieux expliquer le mécanisme de la part « employeur » et de la part « salarié ».

Mme Jocelyne Guidez . - Alors que les femmes médecins touchent un avantage financier supplémentaire au titre de la maternité, ce n'est pas le cas des professionnelles paramédicales. Envisagez-vous des évolutions sur ce point ?

M. René-Paul Savary . - Je m'interroge sur la mise en oeuvre de la réforme de la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse des professions libérales (Cipav). La LFSS pour 2018 a restreint le nombre de professions libérales non réglementées obligatoirement affiliées à cette caisse et a ouvert, pour les assurés actuels de la Cipav, un droit d'option pour ceux souhaitant rejoindre le régime général. Les assurés peuvent-ils désormais s'en prévaloir, en sachant que les dispositions réglementaires d'application de cette mesure ont enfin été publiées ?

La future compétence de la Cnav en matière de retraite des travailleurs indépendants nécessitera des échanges informatiques entre les Urssaf et les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) pour contrôler le paiement des cotisations - puisque la protection sociale des indépendants est régie par le principe « pas de prestations sans cotisations ». Ces échanges informatiques sont-ils prêts à ce jour ?

Lors de l'examen du PLFSS pour 2019, le Gouvernement avait évoqué la possibilité de modifier l'assiette de prélèvement des cotisations sociales des indépendants pour la faire basculer d'une assiette nette vers une assiette brute. Cette piste avait été écartée par un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des finances (IGF) en 2016. Est-elle toujours d'actualité, et correspond-elle aux demandes des travailleurs indépendants ?

Enfin, qu'en est-il de la mise en oeuvre de l'article 22 de la LFSS pour 2019, qui proposait une formule censée simplifier le calcul des cotisations sociales des indépendants, mais qui était inopérante ?

Mme Mathilde Lignot-Leloup . - S'agissant tout d'abord de la gouvernance du nouveau système, nous sommes passés à un dispositif analogue à celui qui existe dans le régime général, c'est-à-dire un mécanisme de représentation par des organismes représentatifs. Nous avons pour ce faire conduit une enquête de représentativité et mis en place le nouveau dispositif en janvier 2019. Nous sommes donc actuellement dans une phase de mise en place, et ne pourrons tirer les leçons de ce nouveau fonctionnement qu'après un à deux ans de mise en oeuvre.

S'agissant des réserves du RSI, elles ont en effet été sanctuarisées au bénéfice des régimes complémentaires de retraite.

Sur la question des ressources humaines, les ministres s'étaient engagés à ce que n'intervienne aucun licenciement, ni aucune mobilité géographique forcée. C'est sur cette base que nous avons conclu et signé des accords. D'ici fin juin, tous les salariés du RSI auront une visibilité sur les postes où ils pourront exercer.

La réforme du congé de maternité des indépendantes, prévue par la LFSS pour 2019, a consisté en un alignement de sa durée sur celle dont bénéficient les salariées. Cette réforme a en effet été opérée sans augmentation du niveau des cotisations.

Je rejoins la remarque formulée sur la nécessité de déployer davantage de pédagogie quant au niveau des prélèvements dus par les indépendants. En réalité, ces prélèvements ne sont pas plus importants que ceux dus par les salariés ; mais nous devons mieux expliquer les prestations auxquelles ils donnent droit. La réforme mise en place n'a entraîné aucune hausse de prélèvements : au contraire, nous avons déployé des mesures en faveur du pouvoir d'achat.

Le mode de calcul des cotisations a été clarifié, d'un point de vue juridique, par l'article 22 de la LFSS pour 2019. Un téléservice de l'Acoss sera par ailleurs mis en place en juillet 2019 afin de rendre le calcul des cotisations plus lisible et plus prévisible. Nous souhaitons par ailleurs développer une approche pragmatique et permettre aux cotisants de moduler chaque mois le montant de leurs versements.

M. Yann-Gaël Amghar. - Quelques précisions tout d'abord sur les réserves : les équipes en charge de leur gestion seront conservées et nous veillerons à garantir l'étanchéité entre ces réserves et le régime général. Leur montant s'élève à 17 milliards d'euros.

Sur les questions relatives au ressources humaines, je souligne que les organismes vers lesquels nous transférons la gestion du régime sont plutôt moins concentrés que le RSI. Cela n'aboutira donc pas à une perte en termes de proximité. Nous appliquons cependant le principe selon lequel il n'y aura pas de mobilité géographique non choisie. Le processus d'accompagnement est le suivant : une première offre a été faite sur la base des voeux exprimés ; des entretiens se sont tenus sur ces bases au cours du premier trimestre. 90 % des personnels ont accepté cette première offre ; pour les autres, un deuxième entretien a été conduit. Ceux qui n'auront accepté aucune de ces deux offres se verront affectés d'office ; mais cette solution ne concernera que très peu de personnes. Nous avons par ailleurs mis en place des formations visant à faire connaître aux salariés leur futur environnement de travail : cela passera notamment par des journées portes ouvertes, des visites ou encore des parrainages.

La plupart des dossiers compliqués se sont à ce jour réglés, ce qui n'exclut pas qu'il reste des situations difficiles. Nous observons par ailleurs une amélioration de l'indicateur du taux de recouvrement, ce qui traduit une amélioration générale des relations avec les services.

Les échanges informatiques entre caisses ont mis du temps à se mettre en place, mais ils fonctionnent aujourd'hui. Nous avons lancé depuis plusieurs moins un programme permettant une intégration des informations dans le système du répertoire de gestion des carrières unique (RGCU), afin de permettre un suivi de la carrière commun à l'ensemble des régimes. Nous avons aujourd'hui une continuité des outils existants, avec un outil RSI retraites qui fonctionne, et nous avons engagé des travaux pour développer les échanges avec la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).

Je voudrais également mentionner l'important sujet de l'action sociale à destination des cotisants en difficulté économique : leur prise en charge partielle ou totale peut être assurée par un fonds d'action sociale du RSI, qui sera prochainement absorbé par le régime général et géré par les Urssaf. Ce dispositif est maintenu dans ses principes et ses montants. Un des principaux enjeux est celui du recours : les travailleurs indépendants doivent avoir connaissance de cette offre d'action sociale.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Il s'agissait en effet d'une volonté très forte de Gérard Quévillon, l'ancien président du RSI.

M. Pierre Burban, directeur général de l'U2P . - En complément à cette mention du fonds social des indépendants, je souhaite insister sur les problèmes de trésorerie que rencontrent fréquemment les travailleurs indépendants et l'importance que peut alors revêtir cette action sociale, gérée de manière entièrement paritaire. Il s'agit souvent de très petites entreprises, qui n'auront pas toujours le réflexe de prévenir l'Urssaf en cas de défaut de liquidité. L'Urssaf devra alors adopter une démarche proactive.

Un autre important sujet concerne l'assiette des cotisations, dont la taille commande plus ou moins la qualité juridique de l'entreprise. Si vous me permettez la trivialité de l'expression, en France plus l'assiette est petite et plus les prélèvements y sont disproportionnés par rapport à la réalité des revenus ! Les travailleurs indépendants sont ainsi incités, dès que leur taille le leur permet, à passer du régime de l'entreprise unipersonnelle à l'entreprise individuelle puis à la société.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Je suis parfaitement d'accord avec ce qui vient d'être dit. Selon moi, il conviendrait de clairement distinguer, pour les travailleurs indépendants, la rémunération et l'autofinancement et de ne faire porter l'effort de cotisation que sur la première. Il est parfaitement absurde de faire payer des cotisations sociales sur des revenus qu'on se contente de qualifier de « disponibles ».

Je vous remercie de votre éclairage.

Audition de M. Renaud Villard, directeur de la Cnav,
M. Philippe Renard, directeur général de la Caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants,
et Mme Aurélie Combas-Richard, directrice de la mission de pilotage
de l'intégration du RSI à la Cnam.

Réunie le mercredi 12 juin 2019, sous la présidence de M. Jean-Noël Cardoux, président, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale entend M. Renaud Villard, directeur de la Cnav, M. Philippe Renard, directeur général de la Caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, et Mme Aurélie Combas-Richard, directrice de la mission de pilotage de l'intégration du RSI à la Cnam, sur l'intégration du régime social des indépendants au sein du régime général de la sécurité sociale.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Nous entamons la seconde table ronde consacrée à la mise en oeuvre de l'intégration du régime social des indépendants (RSI) dans les caisses du régime général. Nous recevons M. Renaud Villard, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), très attendue au tournant car les Carsat vont devoir liquider à la fois les retraites de base mais aussi complémentaires des indépendants, M. Philippe Renard, directeur général de la caisse nationale déléguée de sécurité sociale des travailleurs indépendants, qui a pris le relais de la caisse nationale du RSI pendant les deux ans de la transition, et Mme Aurélie Combas-Richard, directrice du projet d'intégration du RSI à la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).

M. Philippe Renard, directeur général de la caisse nationale déléguée . - Je suis effectivement chargé du pilotage de cette période transitoire de deux ans, mais qui pourra à plusieurs égards s'étendre au-delà. Mon principal objectif fut de maintenir la qualité de service rendu aux usagers, avec l'ambition de rendre une forme de fierté et de motivation aux 5 000 salariés du régime, partiellement mise à mal par les campagnes de presse pas toujours bienveillantes qu'a subies le RSI durant les trois dernières années. À ce titre, je souhaiterais préciser que, contrairement à ce que l'on entend fréquemment, il ne s'agit pas à proprement parler d'une fusion du RSI et du régime général, mais d'une absorption éclatée du premier dans le second. Les 5 000 salariés du régime seront répartis dans une centaine d'organismes différents. Par ailleurs, plusieurs mesures de rapprochement et d'harmonisation avaient déjà été entamées depuis 2015 et la décision d'absorption prise en 2018 par le législateur est venue entériner une dynamique déjà lancée.

Il a été essentiel de remettre les équipes de direction au centre de la transformation. Je rappelle en effet que pendant ces deux ans de transition, l'activité et la relation aux assurés ont continué d'être assurées par les ex-caisses du RSI, actuelles caisses déléguées - à l'exception de leur affiliation à l'assurance-maladie et, depuis le 1 er janvier 2019, de l'affiliation générale des créateurs d'entreprises, reprises par le régime général. Ainsi, le maintien de caisses spécifiques au cours de cette période transitoire a rendu nécessaire la tenue d'un dialogue social très étayé, au cours duquel la caisse nationale déléguée a pris tout son rôle. L'absorption du RSI par le régime général a en effet interrompu la dynamique préalablement entamée de rapprochement des vingt-neuf différentes caisses des travailleurs indépendants : cette inflexion stratégique a dû se faire avec la délicatesse requise.

Je souhaiterais vous faire part d'un enjeu de plus long terme : le transfert des systèmes d'information. En la matière, la transition réelle se prolongera certainement sur quatre ou cinq ans. Ce qu'on appelle un peu techniquement le « décommissionnement des applicatifs » du RSI ne pourra se faire qu'à la condition d'un chaînage strict avec le régime général. Pour ce faire, un groupement d'intérêt économique (GIE) sera mis en place à partir du 1 er juillet prochain et poursuivra son travail au-delà du terme de la disparition des caisses déléguées.

Ensuite, l'action sociale en faveur des indépendants restera fondamentale. Même si les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) en assureront effectivement la gestion, les orientations resteront déterminées par les organes régionaux du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI). Je confirme les propos avancés au cours de la première table ronde sur le maintien des montants consolidés, qui, à l'identique de ce que prévoyait la convention d'objectifs et de gestion (COG) pour 2016-2019, se chiffreront à 104 millions d'euros.

Nous aurons aussi à gérer le sujet de la transmission du patrimoine mobilier et immobilier. Une partie du transfert se fera de la caisse nationale déléguée au CPSTI. L'immobilier de service sera pour sa part cédé aux Urssaf, aux caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) et aux caisses primaires d'assurance maladie (Cpam). Dans les mêmes locaux, cohabiteront ainsi des services de caisses et d'unions de recouvrement. Tout sera organisé pour qu'en janvier 2020, la suppression définitive des caisses déléguées entérine convenablement la fin de la période transitoire.

Vous me permettrez, pour conclure mon propos liminaire, de rappeler l'enjeu stratégique de ce rapprochement. Les parcours professionnels ayant vocation à être de plus en plus diversifiés - on peut commencer comme autoentrepreneur et on peut ensuite être amené à alterner entre salariat et travail indépendant - l'intérêt d'un interlocuteur unique du travailleur et l'importance de réussir cette transition sont particulièrement cruciaux.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Merci pour vos précisions Monsieur Renard.

Monsieur Villard, je vais vous donner la parole en souhaitant que vous nous éclairiez, en particulier, sur les questions suivantes : comment l'intégration du RSI s'effectue-t-elle au sein de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) ? Comment sera organisé l'accueil dédié ? Comment la nouvelle activité de la retraite complémentaire sera-t-elle opérationnelle dès janvier prochain ?

M. Renaud Villard, directeur de la caisse nationale d'assurance vieillesse . -Du point de vue de l'assuré, la réforme de la retraite repose sur la mise en place d'un guichet unique. Tous les assurés du RSI étaient déjà, à quelques exceptions près, assurés du régime général et pouvaient donc, pour leur carrière et leur retraite, s'adresser à deux guichets. Au 1 er janvier 2020, ils s'adresseront désormais à un seul guichet. L'avantage de cette simplification s'est amplifié par la multiplication des points d'accueil de ce guichet unique. Hier, le RSI comptait une trentaine de points d'accueil. Aujourd'hui 250 agences retraite sont à la disposition des assurés. Nous avons privilégié, dans la mise en oeuvre de cette réforme, une approche pragmatique afin d'assurer un meilleur service pour l'assuré.

Nous avons également veillé à élargir le champ de l'offre de services à partir d'effets d'échelle. Le régime général couvre 90 % des retraités, avec 14 millions de pensionnés, et a donc développé un bouquet de services plus large. Compte tenu de ses deux millions de retraités, le RSI disposait de fait d'une capacité d'action plus limitée. Notre engagement a été très rapidement de diversifier l'offre de services, par une série de victoires symboliques : dès 2018, nous avons mis en oeuvre des outils de simulation pour les rachats dits « Madelin » et les rachats d'années incomplètes, enjeux majeurs pour les travailleurs indépendants qui parfois n'ont pas leurs quatre trimestres et découvrent plus tard que l'absence de trimestres cotisés est préjudiciable à des retraites déjà modestes. De même, nous sommes en cours de déploiement d'une offre de services numériques, opérationnelle pour juillet 2019, destinée à identifier spécifiquement des parcours pour les travailleurs indépendants.

Mais le diable reste dans le détail, notamment en ce qui concerne les régimes complémentaires. La grande inconnue de cette réforme est, pour nous, de gérer un régime de retraite complémentaire. Nous gérons plusieurs régimes de base dont les règles du jeu ont été fixées par le législateur. Un régime complémentaire requiert une gouvernance spécifique, une propriété juridique des réserves et des paramètres fixés par le régime.

Nous nous préparons bien entendu à cet enjeu. Nous n'avons pas d'inquiétude sur la reprise et la continuité de services au 1 er janvier 2020. En revanche, c'est sur le volet de la reprise de la retraite complémentaire que nous aurons besoin de plus de temps. Le maintien des outils et processus actuels du RSI, sans doute jusqu'en 2022, nous permettra d'éviter un « big bang » non maîtrisé en 2022 qui pourrait provoquer une nouvelle « catastrophe industrielle ».

Notre ambition est de nous inscrire dans un pragmatisme de bon aloi, au plus près du terrain et par le biais d'expérimentations qui autorisent la prudence nécessaire, pour éviter toute rupture dans la continuité de service. Dès le mois de mai 2018, nous avons expérimenté le calcul des pensions du RSI à partir de notre outil « retraite » dans trois régions pour cinquante dossiers. Trois mois après, toutes les régions ont emboîté le pas pour gérer un total de 5 000 dossiers. Une généralisation est envisageable au 1 er janvier 2020 et 85 % des retraites du RSI seront calculées à partir de cet outil.

Je voudrais également saluer, en ma qualité de président du comité exécutif de l'Union des caisses nationales de sécurité sociale (Ucanss), le travail collectif qui été mené en matière de dialogue social : il a été nourri et fécond entre la caisse nationale déléguée et son réseau mais également entre les organisations syndicales du régime général et les organisations syndicales du RSI. Le climat est dorénavant beaucoup plus apaisé, les réassurances apportées par la centaine d'employeurs ont porté leurs fruits.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Je cède la parole à Mme Combas-Richard. Madame, pourriez-vous nous préciser l'état des relations avec les organismes conventionnés qui ont vocation à disparaître ?

Mme Aurélie Combas-Richard, directrice de la mission de pilotage de l'intégration du RSI à la caisse nationale de l'assurance maladie . - Du côté de l'assurance maladie, la réforme se met en place en trois temps.

Au 1 er janvier 2018, est passée inaperçue la reprise par la Cnam du pilotage de la branche « santé » du RSI et de la délégation de gestion accordée aux organismes conventionnés. Au sein du RSI, le remboursement des frais de santé et le versement des indemnités journalières n'étaient pas traités par les caisses locales mais par des organismes conventionnés. Il existe, à ce jour, dix-huit organismes conventionnés mutualistes avec vingt-cinq employeurs, et un organisme d'assurance privé.

En janvier 2019, nous avons repris en gestion les nouveaux travailleurs indépendants, qui restent la plupart du temps affiliés à leur caisse primaire. Sur ces 225 000 travailleurs indépendants, plus de quatre sur cinq étaient déjà gérés par leur caisse primaire, avec de vrais progrès en termes de simplification. Cette simplification se traduit ainsi aussi dans les conditions d'accès aux agences d'accueil : ils n'ont plus qu'un seul interlocuteur qui est la Cpam. Tous les flux d'information entre les Urssaf et les Cpam se sont déroulés sans problème.

En janvier 2020, l'assurance maladie intègrera les 4,5 millions de travailleurs indépendants. Le premier défi est celui des systèmes d'information : c'est une étape inédite, l'assurance maladie n'ayant jamais intégré d'un coup autant d'assurés dans ses bases. En application du principe de prudence, nous avons échelonné cette bascule informatique en trois phases, en fonction des centres informatiques des organismes conventionnés. La première bascule, qui interviendra le 18 janvier 2020, représente 60 % du stock des travailleurs indépendants. La deuxième bascule se déroulera le 1 er février 2020 pour 15 % des organismes conventionnés et la dernière bascule concernera, à compter du 15 février 2020, les 25 % restants.

Le second défi porte sur les ressources humaines. Ce défi est double : il comporte un volet « RSI » et un volet « organismes conventionnés ». Nous sommes allés à la rencontre des vingt-six employeurs d'organismes conventionnés afin de négocier des accords de transition. À ce jour, nous avons mené vingt-deux négociations sur les vingt-six prévues, avec l'objectif d'organiser en douceur l'atterrissage conventionnel des salariés de ces organismes. Elles devraient s'achever à la fin du mois de juin.

L'assurance maladie intègre également d'autres régimes tels que les étudiants et certains régimes de fonctionnaires. Nous avons pris le parti de ne pas spécialiser des équipes sur la gestion de ces différents régimes. Nous devrons donc former à nouveau une partie de nos collaborateurs afin qu'ils puissent gérer tous les publics. Cet effort de formation concerne 23 500 salariés pour un budget de dix millions d'euros. La conduite du changement doit permettre de créer un collectif de travail entre des salariés issus d'entités différentes.

Mme Corinne Imbert . - Les Carsat vont devoir liquider les pensions complémentaires des travailleurs indépendants : comment cette nouvelle activité est-elle appréhendée par vos services ?

Les travailleurs indépendants disposeront-ils d'un accès dédié aux services des caisses d'assurance maladie pour les prestations en espèces ?

Une des difficultés soulevées par le transfert du RSI vers le régime général est liée aussi à la différence des rémunérations : comment cet enjeu a-t-il été pris en compte dans les négociations ?

Mme Frédérique Puissat . - J'ai retenu qu'environ 5 000 salariés allaient être répartis entre une centaine d'organismes. Vous avez mis, au niveau du RSI, les équipes de direction au centre de ces nouvelles organisations afin de redonner confiance aux agents. À force de décrier le RSI, on a en effet souvent oublié les agents qui travaillent pour cet organisme.

L'expérimentation de Bordeaux est plutôt intéressante, notamment en ce qui concerne l'interlocuteur unique - on recrée le RSI, si je puis dire - de même que l'expérimentation relative à la modulation des cotisations sur un rythme pouvant même être mensuel. Dans votre réorganisation, les équipes de direction ont-elles été associées à l'expérimentation de Bordeaux ? A-t-on pu préfigurer une organisation qui pourrait être généralisée ?

M. Olivier Henno . - Les changements structurels que vous évoquiez ont-ils induit des évolutions dans les comportements en matière de rachats de trimestres ? Est-il possible d'évaluer ces rachats en nombre et en volume et d'en avoir une vision prospective ?

Mme Michelle Gréaume . - J'ai bien compris que la situation serait réglée pour les salariés au 30 juin, date à laquelle ils pourront se retourner vers la Cpam pour leur affiliation. Cependant, les indépendants intégrés au régime général conserveront des règles propres pour le calcul de leurs cotisations. Ne risque-t-on pas de créer un régime à deux vitesses ?

Mme Michelle Meunier . - Je vous remercie pour vos interventions qui nous apprennent beaucoup depuis le début de la matinée. Lors de notre première table ronde, on nous a indiqué qu'il y avait quinze antennes et vingt-huit points d'accroches pour les travailleurs indépendants. L'accent est également mis sur les outils numériques et l'accompagnement. Plus concrètement, comment les travailleurs indépendants ont-ils accès aux services et où peuvent-ils être accueillis ?

Mme Pascale Gruny . - La réforme de l'assurance chômage pour les indépendants était une promesse de campagne d'Emmanuel Macron. Elle est très attendue mais on n'en entend plus parler ! Auriez-vous des informations à nous communiquer ?

M. Jean-Marie Morisset . - Concernant le patrimoine, la Cpam de mon département a des locaux neufs depuis deux ans ; le RSI de la région Poitou-Charentes a construit des locaux neufs il y a trois ou quatre ans. On nous a expliqué qu'il y aurait des transferts de personnels donc on peut supposer que les locaux du RSI vont être vendus. Comment est donc géré le patrimoine à l'occasion de ces regroupements ? Et quelles sont les conséquences pour les usagers en termes d'implantation des guichets ?

M. Renaud Villard. - Pour la gestion des pensions complémentaires, le choix a été fait d'utiliser pour l'instant les compétences et les outils informatiques qui étaient liés au RSI. Il y a donc une intégration des équipes et de leurs outils de gestion. La migration vers des outils communs interviendra en 2022, à la fin du processus. Il s'agit là d'un phasage pragmatique pour éviter de réviser plusieurs fois les outils de gestion, alors qu'une réforme des systèmes de retraites est en préparation.

Sur les rachats de trimestres, les chiffres sont très faibles car ces rachats s'effectuent au coût actuariel, ce qui est très coûteux. Ces faibles chiffres s'expliquent aussi par le fait que l'accompagnement global du travailleur indépendant n'est pas aussi poussé qu'il pourrait l'être. L'idéal serait de pouvoir accompagner le travailleur indépendant en temps réel mais aujourd'hui ces mécanismes sont peu connus et peu utilisés.

Sur le taux de cotisation adapté, c'est effectivement un débat qui traverse la protection sociale. Juridiquement, un travailleur indépendant, qui est son propre employeur, devrait payer toutes les cotisations salariales et patronales. Pour la retraite, un salarié verse près de 30 % de sa rémunération en cotisations d'assurance vieillesse. C'est beaucoup moins pour un travailleur indépendant mais son alignement sur les taux applicables aux salariés serait délicat pour son pouvoir d'achat. Le régime complémentaire des travailleurs indépendants est faible en termes de cotisations : peu de points sont donc acquis et le montant de retraite complémentaire est assez faible par rapport à celui des salariés.

Sur l'assurance chômage, je renvoie la question aux pouvoirs publics compétents.

Mme Pascale Gruny . - Mais en entendez-vous parler ?

M. Renaud Villard. - Ce sujet concerne Pôle emploi. Nous réformons déjà en profondeur l'organisation de la sécurité sociale pour les travailleurs indépendants. Pour l'assurance chômage, des concertations sont en cours et les pouvoirs publics ont récemment repris la main. C'est hors du champ de mes compétences. On n'en entend pas parler mais cela ne veut pas dire que rien n'est fait.

Ensuite, Monsieur Morisset a évoqué la question du patrimoine. Historiquement, le RSI a acquis un patrimoine assez important. Nous procédons au cas par cas pour la gestion de ce patrimoine avec des maintiens ou des cessions selon la situation. Un plan d'optimisation du patrimoine a été élaboré pour éviter d'effectuer des cessions trop rapides ou de mauvais aloi. Nous cédons d'abord le patrimoine en location, pour ne pas garder des baux inutiles. La programmation a été bien mise en oeuvre et nous avons également des plans d'accueil pour l'arrivée des personnels transférés dans de nouveaux locaux. La sécurité sociale dispose d'une surface par agent au-dessus de la moyenne dans l'immobilier de bureau, car les effectifs ont évolué sans que les locaux ne soient modifiés. Pour la branche retraite, nous sommes à 13,5 m 2 par agent. Ces transferts permettent donc d'optimiser l'occupation des surfaces existantes.

M. Philippe Renard. - Sur les différences de rémunérations, le maintien du salaire brut annuel a été négocié à l'occasion du transfert. Ce qui complique toutefois les choses en visibilité c'est qu'on a deux conventions collectives et deux classifications différentes, même si elles se ressemblent. Il faut donc gérer le maintien de la rémunération avec des classifications qui peuvent changer. Compte tenu des organisations et des emplois repères dans le régime général, il y a eu des transferts au régime général avec un niveau inférieur, ce qui n'a pas été très bien ressenti. Presque autant de salariés sont transférés à un niveau supérieur. Le sujet des classifications est donc complexe à gérer.

Concernant l'accueil, nous expliquons depuis ce matin que,  compte tenu de la vie professionnelle qui est multiple, il peut être plus simple d'avoir affaire à une seule structure, la Carsat ou la Cpam. Cependant, dans certaines situations, il faut que différents acteurs travaillent en commun pour répondre à des situations qui concernent plusieurs branches. D'où l'expérimentation du guichet unique qui existe à Bordeaux. On constate que ce guichet unique accueille beaucoup de micro-entrepreneurs ; il traite beaucoup de démarches liées à la création de l'entreprise, de sujets qui associent des problèmes de santé et de cotisations, et de sujets de reconstitution de la carrière et de liquidation de la retraite. Avec la mise en place de l'interlocuteur social unique, il y a eu des dysfonctionnements qui, au moment de la liquidation de la retraite, doivent être régularisés. Le guichet commun concerne donc des populations ciblées et à des moments de vie particuliers. On n'ira pas au guichet commun pour toutes les situations. D'où l'importance d'en implanter dans les vingt-neuf caisses existantes aujourd'hui. Ce sont au sein de ces locaux que les guichets communs devraient être installés car les usagers ont l'habitude de s'y rendre. Certains travailleurs indépendants ont encore l'habitude de venir au guichet donc il faut les conserver. On voit bien l'intérêt de la fusion avec le régime général et l'utilité de conserver en même temps un guichet unique.

Mme Aurélie Combas-Richard. - L'intégration au régime général est un plus en termes de proximité puisque les travailleurs indépendants peuvent se rendre dans les points d'accueil de l'assurance maladie et dans ceux de l'assurance retraite. Pour l'assurance maladie, il n'y aura pas d'accueil spécialisé pour les travailleurs indépendants. Nous avons néanmoins travaillé sur des offres de services dédiés à certains segments de travailleurs indépendants ou pour des temps spécifiques de leur activité.

Nous avons par exemple constaté que le renoncement aux soins était important chez les travailleurs indépendants car ils ne prennent pas toujours le temps de se soigner. Nous développons donc une offre de services pour les accompagner vers un meilleur recours aux soins. Nous travaillons aussi sur la prévention des risques professionnels par type d'activité, et nous développons cette année des dispositifs pour les professions de garagiste et de boucher.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Je vous remercie.

Audition de MM. Jean-Claude Barboul, président,
et François-Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc-Arrco

Réunie le mardi 25 juin 2019, sous la présidence de M. Jean-Noël Cardoux, président, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale entend MM. Jean-Claude Barboul, président, et François-Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc-Arrco, sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Nous accueillons MM. Jean-Claude Barboul et François-Xavier Selleret, respectivement président et directeur général de l'Agirc-Arrco, qui gère désormais un régime unique depuis le 1 er janvier 2019.

Votre venue permettra, je l'espère, d'éclairer la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur les conditions de mise en oeuvre de cette fusion, ainsi que sur la situation financière des régimes à la fin de l'année 2018.

Nous souhaitons que vous nous éclairiez sur les perspectives financières du groupement d'intérêt économique (GIE) Agirc-Arrco, notamment au vu des montants de pensions distribuées par le groupement, de l'ordre de 80 milliards d'euros auprès de 16 millions de pensionnés.

Nous souhaitons vous entendre sur les conditions dans lesquelles s'est déroulée la fusion des régimes Agirc et Arrco depuis le 1 er janvier 2019. Comment cette fusion s'est-elle traduite en termes de droits et de cotisations pour les différentes catégories d'assurés de votre régime désormais unique ? Comment a-t-elle été gérée en interne, notamment en matière de systèmes d'information et de ressources humaines ?

M. Jean-Claude Barboul, président de l'Agirc-Arrco . - Les régimes Agirc et Arrco ont fusionné au 1 er janvier 2019, ce qui est un non-événement si l'on considère que l'accord de 2015, puis celui du 30 novembre 2017 avaient créé l'intégralité du corpus de droit et de règlements concernant la fusion de ces régimes, qui couvrent 96 % de la population. Les droits à la retraite des salariés ont été convertis et les retraités touchent leur pension : c'est un satisfecit pour une fusion qui représente 80 milliards d'euros, soit 3,5 points de PIB et 25 % des retraites du pays.

L'accord du 10 mai 2019 fixe le pilotage stratégique du régime sur quinze ans, en prévoyant une réserve financière à hauteur de 50 % des allocations versées. Nous avons aussi fixé un cadre pour définir la valeur d'achat du point d'Agirc-Arrco et la valeur de service qui garantit le maintien du pouvoir d'achat des retraités. Cet accord a été largement approuvé par les organisations syndicales et patronales. La valeur du point d'achat a été fixée à la hauteur moyenne des salaires, alors qu'elle était surindexée dans la période précédente. Pour la valeur de service, nous indexerons les montants des retraites sur l'inflation pour les cinq années à venir. Ce pilotage tactique complète les règles mises en place en 2015 et en 2017.

En 2018, les charges ont été légèrement supérieures aux ressources ; elles se sont élevées à 81,7 milliards d'euros, pour 79,7 milliards d'euros de ressources, soit un déficit technique de 2 milliards d'euros, à comparer avec les 2,9 milliards d'euros de l'année précédente. Ce résultat est en avance sur les prévisions de 2015, ce qui laisse augurer un retour à l'équilibre en 2020, après douze ans de déficit. Le résultat financier global s'établit à - 1,4 milliard d'euros. Il est à signaler, en particulier, que l'an dernier nous avons enregistré dans notre comptabilité une plus-value exceptionnelle de 900 millions d'euros grâce au groupe Action Logement qui nous a dévolu son patrimoine.

S'agissant des retraites en général, le système doit évoluer. C'est l'objet de la concertation de Jean-Paul Delevoye sur le passage à un régime universel. Le Parlement examinera le projet de loi à l'automne. Les régimes Agirc et Arrco, complémentaires et à points, pourront servir de modèle grâce à leur soixante-dix ans d'existence et à leur expérience d'une fusion réussie.

En matière de systèmes d'information, nous avons fusionné une quarantaine de plateformes informatiques en dix ans, de sorte que nous disposons désormais d'un système d'information unique pour calculer les droits et payer les allocations de nos retraités. Ce système, performant, est calibré pour 12,6 millions de retraités et 18 millions de cotisants. Il a été fortement investi par les partenaires sociaux, tant pour son aspect financier que pour son architecture.

Dans le domaine des ressources humaines, nous avons réduit les coûts de gestion, en 2013 et en 2015. Ils devraient passer de 1,9 à 1,5 milliard d'euros d'ici à 2022. La somme économisée sera réattribuée à la gestion technique. Ces économies de 600 millions d'euros ont été réalisées sans difficulté particulière, sinon des redéploiements ou des changements de mission bien préparés.

Notre conseil d'administration se réunira demain pour valider les comptes, et l'assemblée générale enregistrera cette validation. Il nous faudra aussi valider la préconisation formulée en 2015 de pouvoir gérer l'ensemble des réserves de l'Agirc-Arrco en investissements socialement responsables. C'est le choix qu'ont fait les partenaires sociaux. Nous deviendrons ainsi l'un des premiers partenaires institutionnels à contribuer à ce type de fonds.

M. François Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc-Arrco . - Au moment de la fusion, un journal titrait : « Un big bang qui ne dit pas son nom ? » La fusion est effectivement venue consacrer un processus de rapprochement et de convergence en matière de réglementation, de systèmes d'information et d'organisation. D'ordinaire, le mouvement se fait à l'inverse. C'est sans doute grâce à cela que, au début de 2019, on a bien plus entendu parler du prélèvement à la source ou des allégements généraux que de la fusion. Pour la quasi-totalité des parties prenantes, la fusion a été un événement parfaitement transparent. Rappelons que nous avons procédé à 49 fusions en vingt-cinq ans. Nous avons l'expérience.

C'est comme en matière de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC). Plus le cap est donné tôt, plus la fusion se fait de manière opérationnelle sans que personne n'en entende parler et sans anxiété. Par exemple, la valeur du point retenue a été celle du point Arrco, car 90 % de nos concitoyens en détiennent. C'était du bon sens.

Depuis plus de dix ans, nous sommes impliqués dans le répertoire de gestion des carrières unique (RGCU). Nous développons des travaux « métiers » autour des guichets uniques dans les territoires, notamment à Lille et à Amiens.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Merci pour cet exposé. Il est vrai que depuis dix-huit mois, nous n'avons rien entendu sur cette fusion. C'est signe qu'elle s'est bien passée.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - L'Agirc-Arrco agit en quelque sorte à contretemps par rapport à l'État en matière d'indexation des pensions. Alors que la part complémentaire était désindexée depuis plusieurs années, elle est réindexée depuis le début de cette année.

Pourriez-vous nous dresser le bilan de la désindexation, tant pour vous que pour les pensionnés des différents régimes, ainsi que les conséquences financières de la réindexation des retraites complémentaires sur l'inflation ?

Pourriez-vous nous préciser comment fonctionne le mécanisme de compensation des contributions à la retraite complémentaire au sein des allégements généraux ? Ce dispositif fonctionne-t-il bien depuis le début de l'année, notamment dans vos relations avec l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) ? Ce nouveau mode de financement a-t-il des conséquences sur la gestion du régime ?

Pourriez-vous nous faire un point sur l'état des discussions avec le Haut-Commissaire sur la réforme des retraites annoncée par le Gouvernement, notamment sur la question des réserves du régime ?

Enfin, l'action sociale de l'Agirc-Arrco a fait l'objet d'un jugement relativement sévère par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de février 2019. La Cour relevait notamment une dispersion de ces aides, un coût de gestion, des réserves très excédentaires et la faiblesse du suivi par l'Agirc-Arrco. Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste l'action sociale de la fédération et nous indiquer les actions qui seront mises en place en réponse aux observations de la Cour des comptes ?

M. Jean-Claude Barboul . - Nous avons creusé notre déficit jusqu'à plus de 5 milliards d'euros en 2009. En conséquence, nous avons « brûlé » 25 milliards d'euros entre 2009 et 2019, en prenant sur les réserves que nous avions accumulées, selon les règles de pilotage définies par les partenaires sociaux, afin de pouvoir lisser les efforts sur une période plus longue. Dans la construction du futur régime universel, il faudra penser au rôle de ces réserves, qui ne sont pas des provisions, mais servent à répartir l'effort dans la durée.

Nous avons fourni les efforts nécessaires, en augmentant de manière importante les cotisations, au 1 er janvier. Si l'on surindexe la valeur d'achat du point, cela pèse sur les générations les plus jeunes, alors que notre régime par répartition repose sur la confiance entre les générations. Les partenaires sociaux sont très attentifs à cet équilibre intergénérationnel. Nous avons aussi désindexé les retraites versées sur l'inflation, durant certaines périodes. Même si l'inflation a été contenue, ces dernières années, le pouvoir d'achat des retraités a été écorné. Les partenaires sociaux ont fait des choix, en ayant pour souci constant de trouver un équilibre entre les salariés, les retraités et les entreprises. C'est la marque de fabrique de notre régime.

Nous ne sommes pas déconnectés de la réalité économique. En cas de grand choc économique, il faudra que les partenaires sociaux ajustent et partagent au mieux les efforts à fournir.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Nous saluons régulièrement au Sénat l'esprit de responsabilité de l'Agirc-Arrco.

M. François-Xavier Selleret . - Tout a été possible grâce à l'existence de la réserve et à la prohibition de la dette.

Les allégements généraux représentent 5,3 à 5,4 milliards d'euros en année pleine. Tous les mois, nous fixons un échéancier avec l'Acoss, qui verse à peu près 440 millions d'euros. Nous suivons de près ce que les entreprises déclarent. Toutes n'étaient pas prêtes en termes de logiciel de paie, en début d'année. Mais globalement, les premiers mois de l'exercice 2019 se sont bien passés.

En matière de recouvrement, nous avons bâti avec l'Acoss le même type de relation complémentaire qu'avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). Notre coeur de métier est de calculer les droits, tous les mois, en fonction des cotisations, et de régulariser les situations déséquilibrées. Nous sommes en conformité avec la LFSS pour 2019. Nous disposons désormais de six mois de recul.

Des concertations sont en cours avec les partenaires sociaux au sujet de la réforme du système des retraites, qu'il s'agisse de la définition du modèle cible, de la période de transition, de la gouvernance, du devenir des réserves, ou de la cristallisation des droits. Des éléments devraient bientôt être rendus publics. En ce qui concerne les réserves, l'enjeu est de savoir où sont les engagements. Les réserves ont permis aux partenaires sociaux de faire face aux chocs démographiques et économiques. Il faut savoir qui porte les engagements pour tous les droits acquis, et comment chacun contribue en fonction de ces engagements.

Nous menons des travaux avec la CNAV, sous l'égide de la sécurité sociale, sur la dimension opérationnelle de la période de transition, afin de préparer les outils, l'organisation et le processus qui mèneront au nouveau système. Par exemple, on ne pourra pas cristalliser les droits et mettre à jour les carrières sans mettre en place un guichet de déclaration unique dématérialisé pour nos concitoyens. Certes, le calendrier sera arrêté par le Parlement et c'est bien normal. Mais si l'on veut que la fusion se passe bien et ne soit pas anxiogène, il faut l'anticiper au maximum. Cet élément est déterminant pour la réussite de la bascule dans un nouveau système.

M. Jean-Claude Barboul . - La Cour des comptes se penche régulièrement sur l'activité des régimes obligatoires et interprofessionnels. Les régimes Agirc et Arrco ont toujours développé une politique d'action sociale à côté des versements des prestations classiques.

Dans les années cinquante, ils s'étaient focalisés sur le départ en vacances des retraités. Dans les années soixante-dix, l'action s'est davantage centrée sur la prévention, et désormais nous privilégions quatre sujets : l'aide au retour à l'emploi, la prévention du bien vieillir, les aidants familiaux et l'hébergement des personnes âgées. Nous avons l'obligation de consacrer 80 % de notre dotation à ces quatre priorités.

Nous affichons un excédent comptable de 1,5 milliard d'euros en matière d'action sociale. Nous avons cependant beaucoup d'engagements, et les décaissements prennent en moyenne trois ans, de sorte que cette provision correspond à nos engagements, avec un excédent de 400 millions d'euros. Nous diminuerons la dotation de 2 % par an. Le conseil d'administration décidera de l'affectation de ces 400 millions d'euros.

Les partenaires sociaux ont toujours voulu développer l'action sociale. L'Agirc-Arrco y fait preuve d'une volonté d'innovation qui doit opérer en complémentarité. Nous travaillons en interrégime, mais aussi avec la CNAV et la Mutualité sociale agricole (MSA). Notre action sociale doit aussi être exemplaire, pour faire émerger des solutions testées, validées, puis transférées à ceux qui en ont besoin. À la rentrée, le conseil d'administration se saisira d'un règlement sur les ajustements à opérer en matière d'action sociale. La Cour des comptes pourra vérifier que nous avons suivi ses recommandations.

Mme Michelle Gréaume . - La cotisation de retraite complémentaire de la plupart des salariés du secteur privé a augmenté à la suite de la fusion. Quant à l'âge de départ à la retraite, il sera reporté d'un an du fait du bonus-malus. Enfin, le niveau des pensions d'une partie des salariés qui ne sont plus en activité a diminué.

Le PLFSS de 2018 a acté la fusion des régimes Agirc et Arrco et entraîné un changement de règles de fonctionnement du système. Les nouvelles règles sont particulièrement injustes pour les femmes, qui liquident leurs droits à retraite huit mois après les hommes et qui perçoivent des pensions amputées de 40 % au titre de l'Arrco et de 60 % au titre de l'Agirc, par rapport aux hommes. Le syndicat des cadres UGICT-CGT a ainsi refusé de signer l'accord modifiant le régime de retraite des cadres et dénoncé le risque d'aggravation des inégalités entre les femmes et les hommes. Pouvez-vous nous indiquer le montant de la pension moyenne perçue par les cadres, en fonction de leur sexe, avant et depuis le 1 er janvier 2019 ?

M. René-Paul Savary . - Comment envisagez-vous le passage au nouveau système et la réduction de huit à trois plafonds annuels de la sécurité sociale du montant maximal des rémunérations donnant lieu à cotisations entre l'actuel régime Agirc-Arrco et le futur régime universel ? Combien de personnes seront-elles laissées de côté ? Et que deviendront les engagements déjà pris à l'égard de ces cotisants dans le futur système ? Comment les cotisations seront-elles harmonisées, s'agissant des indépendants ? Comment envisagez-vous la gouvernance entre l'État et les partenaires sociaux ? Un régime unique est-il prévu ? Régime universel ne veut pas dire régime unique...

M. François-Xavier Selleret . - On parle de règles uniques, non de régime unique. À terme, les régimes complémentaires seront supprimés.

M. Jean-Claude Barboul . - Madame Gréaume, notre régime est complémentaire du régime général. Nous versons en général 30 % de la retraite d'un non-cadre et 50 % de la retraite d'un cadre. Les règles du régime général se répercutent dans le régime complémentaire. Je n'ai pas parlé des coefficients de solidarité et de ce que vous appelez le « bonus-malus », mais d'efforts partagés. L'augmentation de cotisations touche les salariés et les entreprises.

Quant aux retraités nés à compter du 1 er janvier 1957 et ayant pris leur retraite après le 1 er janvier 2019, ils peuvent connaître une baisse de leur pension, laquelle peut atteindre 10 % de la pension complémentaire, soit 3 % de la pension générale pour un non-cadre et 5 % pour un cadre. Les partenaires sociaux ont toutefois souhaité que soient exonérés de cette contribution les demandeurs d'emploi ayant perçu une allocation de solidarité.

J'en viens aux différences entre les femmes et les hommes. La retraite est le reflet de la carrière : de façon symétrique, les différences de salaire expliquent les différences de retraite. Notre régime étant purement contributif, il accentue ces différences. Un certain nombre d'éléments de solidarité permettent de les réduire. Nous prenons ainsi à notre charge les bonifications de majoration de durée d'assurance sur les trimestres. C'est ce qu'on appelle la solidarité intragénérationnelle. Nous prenons également en charge les périodes de chômage, de maladie ou d'invalidité en octroyant des points gratuits. Cela étant, des dispositifs de rattrapage assez puissants existent dans le régime général.

Nous ferons parvenir les montants moyens des pensions pour 2017 à la Mecss, je ne les ai pas en tête.

M. François-Xavier Selleret . - Il faut toutefois noter que l'écart entre les retraites des hommes et des femmes se réduit, même s'il n'est pas négligeable. Les femmes qui quittent aujourd'hui le marché du travail, contrairement à celles de la génération précédente, ont plus fréquemment fait des carrières complètes.

Pour le régime, la durée de versement compte également. En moyenne, les femmes perçoivent une retraite cinq ou six ans de plus que les hommes. Il faut également prendre en compte la pension de réversion. Dans 90 % des cas, ce sont les femmes qui la touchent. Ces éléments doivent être pris en compte dans le rendement de la cotisation.

M. Jean-Claude Barboul . - Monsieur Savary, vous l'avez dit, l'Agirc-Arrco prévoit une cotisation sur les rémunérations jusqu'à un montant de huit plafonds annuels de la sécurité sociale, quand le Haut-Commissaire en prévoit trois dans le nouveau régime. Aujourd'hui, 200 000 personnes cotisent sur des rémunérations comprises entre 120 000 et 360 000 euros annuels en tant que salariés. Dans un régime universel, les droits acquis seront conservés, sur la base des cotisations. Nous avons attiré l'attention du Haut-Commissariat à la réforme des retraites sur cette question particulière.

La question des indépendants est au coeur des discussions, mais nous ne disposons pas d'informations particulières. Une solution sur-mesure pourrait être envisagée.

M. François-Xavier Selleret . - Quelqu'un qui cotise moins a moins de droits. Ensuite, il s'agit de paramétrer des dispositifs de solidarité, comme le minimum contributif.

M. René-Paul Savary . - Les réserves peuvent-elles servir d'amortisseur, comme cela a été annoncé ?

M. François-Xavier Selleret . - Elles ne peuvent être utilisées que de manière ponctuelle. Une solution pérenne est nécessaire.

M. Jean-Claude Barboul . - J'en viens à la gouvernance. L'Agirc-Arrco n'est pas sous la tutelle de l'État. Dans un régime universel, nous devrions pouvoir nous inspirer des éléments de gestion performants des partenaires sociaux et capitaliser sur ce qui est positif. Nous vendons un « bout de modèle ».

M. François-Xavier Selleret . - Il faut réfléchir à une distinction entre le pilotage tactique et le pilotage stratégique, à ce qui relève du conseil d'administration et des partenaires sociaux et ce qui relève du Parlement et des pouvoirs publics.

Par ailleurs, on dit souvent dans notre pays que le dialogue social ne fonctionne pas. Or l'un des rares endroits où fonctionne une cogestion à l'allemande, c'est à l'Agirc-Arrco. Pour le bien commun, il faut donc préserver le dialogue social, surtout quand il a produit des résultats. Les partenaires sociaux ont su articuler le court terme et le moyen terme, l'équilibre entre les générations, notamment vis-à-vis des plus jeunes. À cet égard, les réserves sont un élément de confiance dans le système pour les jeunes générations. Elles incarnent de manière concrète et tangible la promesse d'une retraite par répartition.

On peut penser que notre expérience, nos résultats et notre « bout de modèle » ont de la valeur pour notre pays et nos concitoyens.

Audition de Mme Patricia Ferrand, présidente,
MM. Éric Le Jaouen, premier vice-président,
et Vincent Destival, directeur général de l'Unédic

Réunie le mardi 25 juin 2019, sous la présidence de M. Jean-Noël Cardoux, président, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale entend Mme Patricia Ferrand, présidente, M. Éric Le Jaouen, premier vice-président, et M. Vincent Destival, directeur général de l'Unédic, sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Nous accueillons à présent Mme Patricia Ferrand, présidente, MM. Eric Le Jaouen, premier vice-président, Vincent Destival, directeur général, et Pierre Cavard, directeur des études et analyses de l'Unédic.

Je vous rappelle qu'il s'agit aujourd'hui d'une audition de la Mecss sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018. En conséquence, nous attendons de vous non pas que vous nous parliez de la réforme en cours et de la manière dont vous allez l'aborder, mais que vous dressiez le bilan de l'exercice 2018 de l'Unédic, que vous précisiez ses perspectives financières et son niveau d'endettement.

Mme Patricia Ferrand, présidente de l'Unédic . - Merci de nous recevoir pour ce qui constitue pour nous un premier exercice.

Je parlerai évidemment non pas de la réforme de l'assurance chômage, mais des évolutions réglementaires qui ont touché le financement de l'assurance chômage ces dernières années et qui ont considérablement modifié la nature de ses ressources.

L'année 2018 a été marquée par la mise en oeuvre de l'exonération partielle, puis totale, de la part salariale des contributions d'assurance chômage, intégralement compensée par de la TVA en 2018 et par de la CSG à compter de 2019. À compter de 2019, la cotisation des salariés a été définitivement supprimée.

Les ressources du régime ont donc une double origine : d'une part, les contributions versées par les employeurs et, d'autre part, la part de CSG qui lui est affectée. Je précise également que les cotisations dues par les employeurs font l'objet d'exonérations générales et spécifiques. En 2020, en année pleine, la part de CSG représentera 37,5 % des ressources de l'assurance chômage et les impositions compensent les contributions patronales exonérées 10 % du total. Plus de 47 % des recettes de l'assurance chômage ne proviendront donc pas des contributions.

Dans le cadre de ces évolutions réglementaires, l'objectif de l'Unédic a été de sécuriser le financement du régime afin de pouvoir verser les allocations. En 2018, un mécanisme de compensation financière de l'exonération de la part salariale par l'Acoss a été mis en oeuvre, à hauteur de 1,45 point, puis de 2,40 points.

Cela a représenté 9,6 milliards d'euros. Cette compensation a été bien organisée et n'a pas posé de problème majeur. En 2019, l'objectif est la maîtrise des recettes. Le PLFSS pour 2019 prévoyait initialement l'affectation à l'Unédic de 1,45 % de CSG, ce taux ayant ensuite été porté à 1,47 % afin de compenser intégralement les 14,260 milliards d'euros de pertes de recettes induites par la suppression de la part salariale.

Une fois le dispositif sécurisé, toutes les conventions financières avec les opérateurs ont été mises en place, ainsi que des processus réguliers de suivi et de régularisation.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit de nouvelles exonérations de contributions patronales, lesquelles induiront une perte de recettes de 3,7 milliards d'euros en année pleine et seront compensées intégralement par l'Acoss. En 2019, compte tenu de la montée en charge progressive du dispositif, l'effet financier est évalué à 1,3 milliard d'euros. À ce jour, les dispositifs conventionnels fonctionnent plutôt bien entre les opérateurs.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit l'extension aux contributions d'assurance chômage d'exonérations spécifiques - pour l'outre-mer, les travailleurs occasionnels du secteur agricole, les aides à domicile et l'armement maritime. Les compensations, de l'ordre de 300 millions d'euros, sont organisées avec les différents opérateurs, soit un total de 4 milliards d'euros entre allégements généraux et spécifiques en année pleine.

Notre objectif pour 2020 est de nous assurer de l'encaissement des sommes attendues, mais aussi d'ancrer le principe de compensation et de veiller à la correcte détermination du taux de CSG dans le prochain PLFSS.

M. Eric Le Jaouen, premier vice-président de l'Unédic . - Nous avons l'impression depuis quelques mois d'assister à une forme de nationalisation du régime d'assurance chômage. Mais il faut souligner que ce n'est pas du tout le cas en matière de financement : 86 % des recettes de l'Unédic proviendront en 2020 des entreprises et des salariés du secteur privé, qui payent de la CSG sur leur rémunération. Le financement reste bien l'affaire des entreprises et des salariés du secteur privé.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - On peut présenter les choses de cette manière, mais il n'en demeure pas moins que le financement de l'Unédic n'est plus majoritairement assuré par ceux qui bénéficient du système. Un financement par la CSG, c'est un financement par l'impôt déguisé, qui pèse aussi sur ceux qui ne sont pas forcément bénéficiaires de l'Unédic. C'est là une pente dangereuse...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Cela a été dit, le financement de l'assurance chômage évolue : 14 milliards d'euros proviennent de l'impôt. C'est un basculement qui pose problème, en termes de gestion pour l'Unédic, mais aussi pour les salariés. Est-ce que cela aura des conséquences sur la gouvernance de l'Unédic ?

Considérez-vous que la dette de l'Unédic doive être entièrement prise en charge par le régime lui-même, par des mesures comme celles qui ont été annoncées la semaine dernière ? Ou bien serait-il justifié que l'État ou la sécurité sociale en prenne à titre exceptionnel une partie à leur charge afin de remettre les compteurs à zéro ? Il apparaissait dans de précédentes auditions que le remboursement d'environ un tiers de la dette serait problématique...

Mme Patricia Ferrand . - La question de la dette relève autant des partenaires sociaux que des responsables gestionnaires de l'Unédic. Le régime de l'assurance chômage était bénéficiaire en 2007. Mais la crise qui a suivi a été longue et les partenaires sociaux ont accepté que l'Unédic s'endette pour jouer un rôle d'amortisseur social et économique. Inversement, la convention signée en 2017 prévoyait une réduction des dépenses de l'ordre de 960 millions d'euros par an, afin de revenir à l'équilibre à l'horizon de cinq ou sept ans et de réduire l'endettement si le cycle économique ne se dégradait pas.

L'Unédic contribue aussi à hauteur de 3,5 milliards d'euros au financement de Pôle emploi, soit 10 % de ses ressources, comme le prévoit la loi. Cela représente l'équivalent de son déficit annuel ! Les partenaires sociaux ne remettent pas en cause ce financement, mais ils souhaitent un rééquilibrage entre l'État et l'Unédic. Actuellement, l'État contribue à hauteur d'un tiers et l'Unédic des deux tiers ; les partenaires sociaux souhaiteraient un financement à parts égales. De même, l'estimation, réalisée en 2008, des dépenses actives à 10 % des recettes semble très supérieure aux sommes effectivement dépensées, le financement de Pôle emploi entraînant de ce fait un surcoût pour l'Unédic. Enfin, il faut aussi évoquer la question récurrente des travailleurs transfrontaliers : l'Unédic perd environ 600 millions d'euros chaque année depuis dix ans de ce fait. On espérait une solution, mais le Parlement européen n'a pu se prononcer avant la fin de la session parlementaire.

Ainsi les partenaires sociaux réfléchissent à la dette, à son origine. Ils font preuve de responsabilité et sont attachés à la pérennité du régime et à son équilibre. La crise économique a été particulièrement longue. La convention de 2017 devait rétablir l'équilibre, mais le Gouvernement a fait un autre choix...

M. Éric Le Jaouen . - Je partage ce qui vient d'être dit. Lorsque les partenaires sociaux sont aux manettes, ils agissent avec responsabilité et efficacité, comme ils l'ont montré dans le dossier des retraites complémentaires. Chef d'entreprise, je ne me satisfais pas de l'endettement actuel, mais nous assumons collectivement la décision, prise il y a dix ans, de ne pas aggraver la situation des Français les plus en difficulté. Il est vrai, d'un autre côté, que nous devons aussi assumer certaines dépenses que nous n'avons pas nécessairement acceptées et sur lesquelles nous n'avons pas de levier d'action... L'endettement est élevé, mais il est maîtrisé, et le coût de la dette reste modéré. Les partenaires sociaux gèrent ce régime depuis soixante ans.

Nous avions élaboré un plan de désendettement l'an dernier. La difficulté est que les décisions de gestion sont déconnectées des décisions politiques et que la durée des cycles économiques n'est pas toujours alignée sur celle des mandats. Le choix de l'endettement correspondait à la volonté politique de mener une action contracyclique, avec l'idée implicite de se désendetter en cas de retour à meilleure fortune. C'était le sens du projet nous avions élaboré l'an dernier, qui visait à réduire la dette de plus de moitié...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - En somme, la situation appellerait d'autres questions, d'ordre politique cette fois !

Mme Michelle Gréaume . - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a exonéré totalement la part salariale des contributions d'assurance chômage. Le Gouvernement s'était engagé à compenser l'Unédic intégralement, mais il est revenu sur ce principe dans le PLFSS pour 2019. L'État a-t-il respecté ses engagements en matière de compensation en 2019 ? D'après nos estimations, le coût s'élève à 200 millions d'euros. Avez-vous la garantie que l'État compensera intégralement la perte pour l'Unédic en 2020 ? Sinon, allez-vous réduire certaines dépenses pour compenser ?

Mme Patricia Ferrand . - Pour 2019, le financement de l'exonération semble assuré, avec sans doute une compensation totale. La question se posera l'an prochain, car nous n'avons pas encore reçu l'engagement d'une compensation intégrale en 2020.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - C'est une situation qui concerne plus globalement toute la sécurité sociale.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Les mêmes causes produisent les mêmes effets !

Je vous remercie.

Audition M. Yann-Gaël Amghar, directeur,
et Alain Gubian, directeur financier
de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss)

Réunie le mardi 2 juillet 2019, sous la présidence de M. Jean-Noël Cardoux, président, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale entend M. Yann-Gaël Amghar, directeur, et Alain Gubian, directeur financier de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Je tiens à remercier nos interlocuteurs, MM. Aghmar et Gubian, respectivement directeur et directeur financier l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Dans le cadre du contrôle de l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018, nous souhaiterions savoir comment ont évolué les recettes des organismes de sécurité sociale. Peut-être pourrez-vous, messieurs, nous indiquer comment l'Acoss a appris un nouveau métier, à savoir la compensation à l'Unédic de la diminution puis de la disparition des contributions des salariés à l'assurance chômage.

Enfin, de manière plus prospective, les 3 milliards d'euros de cadeaux consentis dans le cadre de la crise des gilets jaunes seront-ils compensés ? Si tel n'est pas le cas, le déficit de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pourrait s'élever en 2019 non pas à 1,7 milliard d'euros comme annoncé, mais à plus de 4 milliards d'euros.

L'Acoss avait déjà 15 milliards d'euros de déficit non transférable à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Est-elle en mesure d'absorber 3 ou 4 milliards de déficit supplémentaires ? Cela pourrait-il remettre en cause l'extinction de la Cades prévue pour 2024 ?

M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale . - La LFSS pour 2018 nous a effectivement confié pour nouvelle mission de verser à l'Unédic les contributions salariales exonérées. En contrepartie, nous avons reçu une fraction de TVA à hauteur de 5,59 %.

La prise en charge de cette nouvelle mission n'a présenté aucune difficulté sur le plan technique. Une convention a permis de déterminer avec l'Unédic les modalités de versement de nos recettes désormais exonérées.

La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) et la commission des affaires sociales du Sénat nous avaient interrogés sur la cohérence entre la privation de recettes de cotisations salariales compensées par l'Acoss et l'Unédic et la recette de TVA affectée à l'Acoss.

En réponse, je vous indique qu'en 2018, 9,63 milliards d'euros de cotisations salariales exonérées ont été versés directement à l'Unédic. La recette de TVA qui nous a été imputée s'est élevée à 9,527 milliards d'euros. Le déficit de 103 millions a été imputé à l'Acoss et réparti dans les comptes des différentes branches du régime général.

Par ailleurs, la LFSS pour 2019 prévoyait que l'excédent généré par la sécurité sociale serait affecté à hauteur de 10 milliards d'euros à la Cades et que le reste serait réparti entre l'État et le régime général pour éponger ses déficits. Ainsi, la dette portée par l'Acoss aurait pu passer en dessous de 5 milliards d'euros, soit un niveau plus faible que ses variations de trésorerie au cours de l'année.

Cette trajectoire est aujourd'hui remise en cause du fait de la révision de la prévision de croissance à 1,4 % pour 2019-2022 au lieu de 1,7 %.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - La prévision n'a-t-elle pas récemment été portée à 1,2 % ?

M. Alain Gubian, directeur financier de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale . - La prévision du programme de stabilité, qui sert de référence, est toujours à 1,4 %, mais certains organismes ont effectivement revu leur prévision à la baisse.

M. Yann-Gaël Amghar . - De même, les prévisions d'accroissement de la masse salariale ont été revues à 3,1 % en 2019-2020 puis entre 3,1 % et 3,4 % pour les années suivantes alors qu'elles s'élevaient respectivement à 3,5 et 3,8 %.

Cette trajectoire économique moins favorable affecte mécaniquement la position des comptes pour 2019, la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) prévoit désormais un déficit de 1,7 milliard d'euros alors que la LFSS prévoyait un excédent de 100 millions.

Ce solde ne tient pas compte de l'impact des dispositions de la loi portant mesures d'urgence économique et sociale (MUES). En effet, le rapport de la CCSS considère par convention que celles-ci sont compensées. Or leur coût s'élève à 2,7 milliards d'euros : 1,5 milliard au titre de l'annulation de l'augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG), et 1,2 milliard au titre de l'anticipation de l'exonération des heures supplémentaires. Je ne dispose pas d'information nouvelle quant à la compensation éventuelle de ces recettes.

Concernant la dette de la sécurité sociale, je rappelle que la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'autorise de transfert de ressources du régime général vers la Cades qu'à la condition que le régime général soit excédentaire. Le contexte actuel nous amène donc à réinterroger les conditions du transfert de dette tel qu'il était prévu par la LFSS pour 2019, mais je ne dispose pas d'information sur les intentions du Gouvernement.

Sur le plan strictement technique, je peux néanmoins vous répondre que le portage de cette dette ne pose pas de difficulté.

Nous devrions finir l'année 2019 avec un découvert de 22 milliards d'euros, avec un emprunt brut de 27 milliards. Nous avons connu des emprunts nettement plus élevés dans le passé.

Le contexte des marchés financiers est actuellement très favorable. Les taux d'intérêt étant négatifs, cette dette nous rapporte. Par ailleurs, les incertitudes pesant sur le contexte international incitent les investisseurs à privilégier les émetteurs publics que nous sommes. Nous n'avons donc de difficulté ni de prix ni de profondeur du marché. Dans les conditions actuelles, nous pourrions absorber un déficit de 1,7 milliard d'euros en 2019.

M. Yves Daudigny . - Vous avez dit que le transfert du régime général à la Cades devait s'élever à 10 milliards d'euros d'ici à 2022. N'est-ce pas plutôt 15 milliards ?

M. Yann-Gaël Amghar . - Oui, tout à fait, j'ai commis un lapsus !

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Vous avez parlé d'un découvert de 22 milliards d'euros en fin d'année. Quel est le montant du cumul des déficits ?

M. Alain Gubian . - La grille de passage entre la situation de trésorerie et l'accumulation du déficit est en général actualisée à l'automne.

Le solde net du compte Acoss est d'environ 15 à 16 milliards d'euros. Les excédents anticipés par la dernière LFSS et la reprise de dette de 15 milliards d'euros auraient permis de porter la dette de l'Acoss à 1 ou 2 milliards d'euros. Elle s'élèvera finalement plutôt à 3 ou 4 milliards d'euros.

Le financement de cette dette est un lourd travail, mais il ne pose pas de difficulté car les marchés financiers sont prêts à se positionner sur un émetteur français reconnu de qualité. Les taux d'intérêt auxquels nous empruntons sont d'ailleurs toujours plutôt plus bas que ceux du marché.

M. Jean-Noël Cardoux , président . - Il y a toutefois une double inconnue : l'accélération économique anticipée par le Gouvernement pourrait ne pas se produire, et les taux pourraient redevenir positifs...

M. Alain Gubian . - On ne fait pas de prévision à moyen terme, mais il est aujourd'hui possible d'emprunter aux taux actuels à horizon de deux ans, ce qui est plutôt rassurant.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-président . - N'y a-t-il pas un risque que le Gouvernement demande à l'Acoss de compenser également la contribution des cotisations patronales aux retraites complémentaires et à l'assurance chômage ?

Pourriez-vous nous dresser le bilan chiffré des mesures de pouvoir d'achat adoptées dans le cadre de la LFSS pour 2018 et dans le cadre de la loi MUES ? Dans l'idéal, il conviendrait de distinguer les différentes catégories de contributeurs, notamment les actifs et les retraités.

Mme Buzyn et M. Darmanin ont confié à M. Alexandre Gardette un rapport sur la possible unification de la mission de recouvrement des prélèvements obligatoires.

Savez-vous quand ce rapport sera rendu et quelles sont ses premières orientations ? L'Acoss perdurera-t-elle dans sa forme actuelle, ou bien aura-t-elle vocation à se fondre dans une « super-agence » chargée de la collecte des prélèvements obligatoires de toute nature ? A minima, dans la sphère sociale, sur quel périmètre et selon quel calendrier une telle unification pourrait-elle se faire ?

M. Yann-Gaël Amghar . - Les baisses de cotisations sociales et les mesures équivalentes prises pour le secteur public ont coûté 17,2 milliards d'euros dont 14,5 milliards pour les salariés du régime général, 900 millions pour les agents de la fonction publique et 1,8 milliard pour les travailleurs indépendants.

La hausse de la CSG représentait dès le départ un montant considéré comme supérieur à celui des baisses de cotisations en 2018 car, s'agissant des actifs, une partie des mesures étaient différées au 1 er octobre, entraînant un effet report d'environ 5 milliards d'euros.

Les chiffres finaux sont en ligne avec les prévisions : la hausse de la CSG a représenté 22,8 milliards d'euros dont 16 milliards sur les revenus d'activité, 4,3 milliards sur les revenus de remplacement et 2,4 milliards sur les revenus du capital.

En 2020, le solde sera de l'ordre de 6 milliards d'euros pour les actifs, et pour les retraités, les nouvelles mesures prises sur la CSG réduiront l'impact de 1,5 milliard d'euros. Ces chiffres ne tiennent pas compte des mesures de la loi MUES.

Le dispositif conçu pour la compensation des allégements généraux des cotisations patronales est conceptuellement le même que celui qui a été retenu en 2018 pour la suppression des contributions des salariés à l'assurance chômage : la perte de recettes est compensée à l'euro près pour l'Unédic et l'Agirc-Arrco par l'Acoss, et l'Acoss reçoit en contrepartie une recette de TVA calibrée pour être d'un montant équivalent à ce qu'elle reverse à ces organismes. Si toutefois un écart se réalise, celui-ci sera réparti entre l'ensemble des branches.

Je ne suis pas en mesure de vous dire à quelle date le rapport de M. Gardette sera remis. À ce stade, et sans préjuger des décisions que prendra le Gouvernement, il me semble qu'il fait le constat de la richesse du paysage des collecteurs publics actuels - on compte une trentaine de collecteurs sociaux et environ autant de collecteurs fiscaux - et évalue l'intérêt qu'il peut y avoir à faire un certain nombre de regroupements.

Concernant le rapprochement entre sphère sociale et sphère fiscale, les travaux de M. Gardette montrent qu'il n'est pas forcément pertinent de rapprocher des impôts qui ont des faits générateurs et des rythmes de recouvrement complètement différents. Au sein des entreprises ce sont souvent des services différents qui gèrent les cotisations et les impôts commerciaux. De plus, les fusions de grande ampleur entraînent des risques et des coûts importants.

Par ailleurs, M. Gardette approfondit trois sujets.

Le premier est la rationalisation du recouvrement au sein de chaque sphère. L'intégration du régime social des indépendants (RSI) au régime général constituait déjà une rationalisation. Le transfert de la collecte des contributions au titre de la formation professionnelle et de l'apprentissage à horizon 2021 est le prochain chantier. D'autres collectes nous seront transférées d'ici à 2021, comme celle des cotisations des artistes-auteurs ou des marins.

M. Gardette travaille sur les modalités d'un éventuel transfert aux Urssaf des autres collectes sociales : les quelques régimes spéciaux de salariés qui ne sont pas encore collectés par les Urssaf, les douze caisses de retraite des professions libérales et l'Agirc-Arco. Un des enjeux de la mission de M. Gardette est d'évaluer le coût et les bénéfices qui peuvent être attendus de ces opérations et d'établir un calendrier.

Le deuxième sujet a trait aux synergies possibles entre la sphère fiscale et la sphère sociale. Des services conjoints, tel un portail commun, permettraient aux entreprises ou à leurs tiers déclarants d'avoir une vision globale de leur situation.

Enfin, le troisième sujet de travail de M. Gardette porte sur les possibilités de mutualisation de certaines activités.

M. Yves Daudigny . - Sur l'exercice 2018 vous avez indiqué que le différentiel entre l'excédent de recettes dû à l'augmentation de la CSG et aux compensations de cotisations s'élevait à 5 milliards d'euros. Que sont-ils devenus ? Un tel excédent n'apparaît pas à la fin de l'exercice 2018. Ce point avait été souligné au moment de l'examen de la LFSS.

Par ailleurs, le déficit du fonds de solidarité vieillesse (FSV) est-il géré par l'Acoss ?

Mme Michelle Meunier . - La Cades est l'objet de toutes les attentions et de toutes les hypothèses pour la fin d'année. On parlait d'apurement de la dette sociale à l'horizon 2024-2025. Est-ce remis en cause ?

M. Yann-Gaël Amghar. - Ces 5 milliards d'euros d'excédent n'apparaissent qu'en 2018. Ils sont venus en réduction du déficit public.

Concernant le FSV, ses déficits cumulés sont bien portés par l'Acoss en trésorerie commune.

Enfin, s'agissant de la Cades, à ce stade, il n'y a aucune remise en cause de l'horizon 2024-2025. Le Gouvernement ne pourrait en tout état de cause le proposer au Parlement que via un projet de loi organique. Ce qui pose question, aujourd'hui, c'est la faisabilité des transferts prévus de l'Acoss vers la Cades, compte tenu de la trajectoire actuelle des finances publiques.

Audition de M. Denis Morin,
président de la 6ème chambre de la Cour des comptes

Réunie le mercredi 3 juillet 2019, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission des affaires sociales entend M. Denis Morin, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes, sur la certification des comptes de la sécurité sociale pour 2018 et sur la situation financière de la sécurité sociale en 2018.

M. Alain Milon , président . - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Denis Morin, président de la 6 ème chambre de la Cour des comptes, accompagné de MM. David Appia, conseiller maître et Stéphane Guéné, conseiller maître en service extraordinaire, pour la présentation de deux rapports sur la sécurité sociale.

Le premier, que je pourrais qualifier de saisonnier à pareille époque, est le rapport de la Cour sur la certification des comptes de la sécurité sociale pour 2018, publié le 23 mai dernier. Le second, une nouveauté, présente l'analyse des comptes de la sécurité sociale afin de « permettre au Parlement de disposer désormais avant l'été d'une appréciation sur la situation financière des différentes administrations publiques pour l'année écoulée. »

Je voudrais saluer tout particulièrement la décision de la Cour d'avancer avant l'été la publication de ses analyses sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année écoulée. Cela correspond à une demande réitérée - pour reprendre le vocabulaire de la Cour - depuis plusieurs années par notre commission qui, à l'initiative de son rapporteur général, procède chaque année depuis cinq ans à ce travail lors du débat d'orientation des finances publiques. Je me réjouis tout particulièrement que cette demande ait pu être satisfaite.

M. Denis Morin, président de la 6 ème chambre de la Cour des comptes . - Merci de nous donner l'occasion de présenter nos travaux devant votre commission - c'est toujours un plaisir ! Le deuxième rapport que je vous présenterai, plus modeste que les autres publications, porte sur l'analyse de la Cour sur les comptes de la Sécurité sociale. Ce rapport, annexé à celui sur la situation et les perspectives des finances publiques n'épuise pas nos observations, que nous reprendrons en particulier dans le prochain rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) qui sera publié en octobre.

Quelques mots sur le contexte de ce 13 ème exercice de certification. En 2018, les comptes sont proches de l'équilibre ; ils n'y sont pas tout à fait, en dépit de la communication sur ce sujet : il y a encore un signe moins ! Mais par rapport aux 30 milliards de déficit en 2010, la situation s'est clairement améliorée. La branche famille renoue pour la première fois depuis dix ans avec l'excédent - peut-être par contrecoup de la baisse des naissances, ce qui n'est pas forcément une bonne nouvelle.

Ces comptes sont ceux d'une nouvelle génération de conventions d'objectifs et de gestion (COG), qui régissent pluri-annuellement les relations entre l'État et les différentes caisses et constituent un mode de gestion moderne et efficace. Dans ceux-ci, l'accent a été mis plus vigoureusement sur la nécessité d'améliorer la maitrise des risques, la cartographie des risques et le contrôle interne pour s'assurer que l'argent public va bien là où il doit aller.

Autre élément de contexte, la consolidation de deux grandes réformes systémiques : la déclaration sociale nominative (DSN), qui continue à se déployer - nous y consacrons un chapitre dans le dernier Ralfss - et la LURA (liquidation unique des régimes alignés de retraite), sans parler de l'intégration du régime social des indépendants (RSI) dans le régime général. Enfin, l'article 25 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) fait évoluer les responsabilités du comptable public en identifiant bien le contrôle interne dans ses missions.

Sans beaucoup d'hésitations, après tous les filtres collégiaux, nous proposons pour la sixième année consécutive, de certifier les neuf jeux de comptes du régime général avec un nombre de réserves comparable à celui de l'année précédente, puisqu'il y en a 29 au lieu de 28 - cette petite augmentation traduisant moins une dégradation de la fiabilité des comptes qu'un changement dans l'agencement de nos remarques. Nous nous situons donc plutôt sous le régime de la stagnation - que j'espère non séculaire....

Nous certifions ainsi 576 milliards d'euros de prélèvements obligatoires et 473 milliards d'euros de charges - la différence s'explique par le fait que le réseau collecte des ressources pour le compte de tiers. L'ensemble des dépenses publiques est de l'ordre de 1 200 milliards d'euros : le périmètre de certification en représente donc un peu plus du tiers.

Si nous faisons une réserve de plus, nous avons plutôt allégé, dans notre dialogue habituel avec les caisses, un certain nombre d'entre elles, en levant 28 points d'audit - ce n'est pas mal. L'année dernière, nous en avions levé 46. Les progrès sont toujours plus difficiles à faire à la marge.

Je ferai deux observations majeures, la première concernant la sincérité des comptes. À l'inverse de l'année dernière, nous n'avons pas identifié d'écritures qui la fausseraient, même à la marge. Le ministère des comptes publics souhaite « resincériser » les comptes, si vous me permettez cet affreux néologisme. Il y avait des marges de progrès - c'est le moins qu'on puisse dire ! C'est plutôt une réussite : les chiffres ne sont pas frappés d'aléas comme précédemment. C'est d'autant plus appréciable que quand on est à 30 milliards de déficit, un ou deux milliards d'écritures pas tout à fait conformes ne changent pas l'apparence des comptes ; mais lorsque le solde est proche de l'équilibre, la tentation peut être forte de donner un petit coup de pouce... Nous pouvons attester de la sincérité des écritures et saluer le résultat de la « resincérisation ». Peut-être y a-t-il, dans ce domaine, un cycle électoral : la vertu qui s'exprime dans les premières années du mandat tend à s'épuiser à l'approche des élections... Vous pouvez compter sur la Cour pour s'assurer qu'elle ne faiblit pas.

La réserve supplémentaire que nous constatons concerne la façon dont un certain nombre d'éléments de passifs sont retracés dans les comptes des caisses nationales ou des caisses primaires.

Le certificateur, en vertu du principe de l'image fidèle, doit s'assurer que le passif est retracé là où est retracé l'actif qui lui correspond. Il est anormal que les provisions sur des actifs des caisses primaires figurent au passif des caisses nationales. Cela ne change rien à la certification des comptes consolidés, mais comme nous certifions les comptes des caisses nationales, mais pas ceux des caisses primaires, cela donne un résultat bancal. Les caisses nationales ont pris habitude de comptabiliser ces provisions globalement pour aller plus vite dans la production des comptes - objectif louable. Mais cela peut susciter des tentations... La bonne méthode consisterait à les retracer dans les comptes des caisses primaires. Cette démarche globalisatrice de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) est ancienne. Nous ne l'avions jamais sanctionnée, car l'agent comptable avait pris l'engagement d'y mettre bon ordre. Or les comptes de cette année accusent une divergence pour 1,8 milliards d'euros, contre 1 milliard seulement l'année dernière. Nous avons donc voulu pousser la Cnam à y mettre bon ordre. Mais nous comprenons bien qu'il est compliqué de faire appliquer des règles prudentielles identiques à la centaine de caisses primaires.

Note deuxième observation nous préoccupe davantage : elle rejoint la doctrine ancienne de la 6 ème chambre de la Cour concernant le paiement à bon droit des prestations. Nous touchons là à des notions très concrètes, prouvant que la certification n'est pas un exercice théorique. Nous parlons là de la fraude, par exemple. Nous avions travaillé sur le sujet de la fraude aux prestations famille, retraite et maladie pendant un an - pensant produire un rapport public thématique à la fin de l'année - lorsque nous avons appris que le Premier ministre avait confié un rapport sur le même sujet à deux parlementaires. Nous mettrons bien évidemment à leur disposition les informations collectées, dont ils feront ce qu'ils veulent...

Nous parlons des erreurs de liquidation, ou du non-recours : des allocataires ne comprennent pas la complexité de la législation et ne bénéficient pas de prestations auxquelles ils auraient eu droit. Pour certaines d'entre elles, le taux de non-recours approche parfois 50 % ! Avant la prime d'activité, le non-recours au RSA-activité était de plus d'un tiers. La réforme avait notamment pour objectif d'attaquer ce point - je ne suis pas sûr qu'on l'ait atteint.

Pour s'assurer du paiement à bon droit des prestations, le certificateur doit s'assurer que tous les dispositifs de contrôle interne fonctionnent. Or nous constatons, dans notre dialogue avec les caisses, que les indicateurs de risque résiduel ne s'améliorent pas depuis trois ans : une pension liquidée sur sept est frappée d'inexactitude, que cela soit au bénéfice ou au détriment du bénéficiaire. Les ministres nous répondent que les erreurs sont d'un petit montant. Ce n'en est pas moins inacceptable. Dans les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) outre-mer, c'est une pension sur trois !

L'indicateur de risque résiduel est une méthode statistique ex-post, consistant pour les services de contrôle interne à vérifier a posteriori un volant de dossiers représentatifs. Grâce à ces contrôles, nous constatons qu'une prestation de RSA sur six est inexacte, comme une prime d'activité sur quatre. Je ne dis pas que les inexactitudes portent sur des montants énormes. Mais ce n'est pas négligeable, sachant que le nombre d'allocataires de la prime d'activité s'accroit. Cela peut jeter le trouble chez les bénéficiaires, les obliger à prendre contact par internet, par téléphone, voire prendre un rendez-vous. Cela impose plus de complexité à nos concitoyens dans l'exercice d'un droit déterminé par des lois que vous avez votées. Il serait tout à fait essentiel que cette situation s'améliore. Or, dans ce domaine, nous sommes confrontés à la stagnation.

Nous faisons cependant la part des choses. La situation est plus préoccupante pour la branche vieillesse que pour la branche famille, car cette dernière gère beaucoup d'allocations relevant de l'État et est confrontée à des évolutions - je ne dirai pas excessives mais rapides - de la législation et de la règlementation. Lorsque le réseau voit évoluer en quelques jours la prime d'activité et doit soudainement gérer 1,2 million d'allocataires en plus, sa priorité est la production... Les erreurs sont compréhensibles pour le RSA ou les autres allocations différentielles, c'est-à-dire prenant en compte d'autres éléments de revenus : cela signifie que la situation de chaque allocataire peut changer au cours de l'année, ce qui nécessite une liquidation de droits différente à chaque fois. Grace à la DSN, cette liquidation pourra se faire à partir de données de revenus actualisées, ce qui règlera le problème des indus, dont on parle depuis quarante ans.

Nous savons que dans certaines circonstances, les contraintes de la production l'emportent. Mais l'action des caisses doit néanmoins s'inscrire dans les COG, lesquelles mettent l'accent sur le contrôle interne. Nous ne pouvons pas admettre qu'il y ait, en rythme de croisière, un arbitrage entre production et certification. Imagine-t-on un industriel qui arbitrerait pour la production au détriment de la sécurité ?

Tout cela peut sembler se relier à un référentiel lointain - celui des commissaires aux comptes. Le rapport reste donc difficile à lire, même si nous avons essayé de le rendre plus clair en intercalant des notices. Nous sommes malgré tout tenus par des normes professionnelles. Pourtant, les constats renvoient à des choses concrètes, qui parlent à tous nos concitoyens.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Je voudrais tout d'abord faire part de mon incompréhension concernant la fraude, vous nous dites que le rapport est prêt mais vous ne le publiez pas. Il aurait été intéressant de comparer les deux démarches lors de la publication du rapport des parlementaires en mission. La commission a publié un rapport sur la fraude à l'inscription de la sécurité sociale - question différente de la fraude à la prestation.

Ce que vous dites est frappant : une pension sur sept est inexacte, ou une prestation de RSA sur six... Vous nous dites que les montants ne sont pas forcément énormes, mais avez-vous une idée du montant total de ces erreurs ou fraudes par secteur ?

Quelles seraient vos recommandations ? J'ai pu constater, lors des rencontres avec les différents organismes prestataires, qu'un gros effort avait été fait depuis une dizaine d'années pour resserrer les mailles du filet sur la fraude à l'inscription. Avez-vous constaté la même chose ?

M. Alain Milon , président . - Je le dirai de manière moins policée que M. Vanlerenberghe, la commission des affaires sociales n'a pas du tout apprécié le fait pour le Gouvernement de couper l'herbe sous le pied à des travaux en cours.

M. Jean-Noël Cardoux , président de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) . - Concernant le décalage dans l'inscription des provisions et des créances qui s'y rapportent, j'ai eu le sentiment en vous écoutant que vous le signaliez parce que, n'ayant pas grand-chose à dire de nouveau par rapport à l'année dernière, vous signaliez un aspect technique que vous n'aviez pas eu l'occasion de signaler les années précédentes.

La globalisation des provisions pourrait-elle camoufler certains défauts de transparence dans les comptes de certaines caisses primaires ?

M. Denis Morin . - Les montants globaux de ces inexactitudes sont évalués grâce aux indicateurs de risque résiduel. Pour la branche famille, les erreurs seraient de 4,9 milliards d'euros d'enjeu, contre 4,3 l'année dernière. En retranchant les indus récupérés, la perte serait de 2,9 milliards d'euros. Ce n'est pas marginal !

Pour la branche vieillesse, les erreurs sur la durée de service représenteraient 815 millions d'euros, contre 700 millions l'année précédente. Pour le recouvrement, nous n'avons pas d'indicateur de risque résiduel. Nous débattons à ce sujet avec le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et la direction de la sécurité sociale. Nous en débattons aussi, concernant la branche maladie, avec la Cnam, qui, compte tenu de la faiblesse de ses effectifs, a pris l'habitude de retenir des échantillons de faible dimension, et produit donc des indicateurs erratiques. Si 7 000 dossiers sont ainsi examinés a posteriori chaque année pour la vieillesse, c'est beaucoup moins pour la maladie, ce qui n'est pas satisfaisant. La Cnam nous indique en effet un enjeu d'1 milliard en 2016, de 2 milliards en 2017, de 500 millions en 2018... La méthodologie mériterait donc d'être renforcée.

La globalisation des provisions dans les comptes de la caisse nationale nous inquiéterait davantage si elle devait porter sur un montant plus important que 1,8 milliard d'euros ou être étendue à d'autres branches ; or l'article 25 de la LFSS pouvait laisser croire que la direction de la sécurité sociale (DSS) eût envie de développer cette méthodologie pour accélérer la reddition des comptes. C'est un objectif valable, mais nous certifions les comptes consolidés et ceux de la tête de réseau, et non ceux des caisses primaires. Pour les comptes consolidés, cela ne change pas d'un iota. Mais nous certifions les caisses nationales, et si les provisions ne sont pas là où elles doivent l'être, les normes comptables ne sont pas respectées et nous ne pouvons certifier que leurs comptes donnent une image fidèle.

La DSS a décidé de ne pas pousser les caisses nationales autres que la Cnam à comptabiliser les provisions et de continuer le dialogue avec les caisses primaires pour qu'elles retracent les provisions comme il convient, la Cnam corrigeant les errements progressivement. Cela nous convient. Cela perturbe-t-il les comptes des caisses primaires ? Oui, car si l'actif de l'une d'entre elles est grevé d'une créance irrécouvrable, le fait que la provision qui la couvre soit au compte de la caisse nationale peut perturber la gestion.

Accélérer la production des comptes est un objectif louable. Je comprends que les commissions des finances et des affaires sociales souhaitent accélérer la reddition des comptes. Je comprends que certains aimeraient ouvrir ainsi une séquence consacrée à l'évaluation des politiques publiques... Mais cela ne doit pas être au prix d'accommodements avec les règles comptables et les normes professionnelles que nous devons appliquer.

M. René-Paul Savary . - Je n'ai pas compris en quoi consistait l'écart de 100 milliards d'euros entre dépenses et recettes. Le montant des dépenses que vous citez comporte-t-il toutes les pensions ?

M. Denis Morin . - Non. L'ensemble des dépenses sociales, tous comptes publics confondus, représente 680 milliards d'euros. Les dépenses dont nous parlons sont celles payées par les organismes de sécurité sociale. L'écart correspond aux recettes collectées par la branche recouvrement pour compte de tiers.

M. René-Paul Savary . - Et le RSA, dont une partie est payée par les départements ?

M. Denis Morin . - Le RSA géré par la CAF est dans le périmètre de la certification.

M. René-Paul Savary . - Dans votre rapport de synthèse, un chapitre important est consacré à l'objectif national de dépense d'assurance maladie (Ondam), qui n'a pas dépassé 2,5 %, mais vous regrettez que tout n'y soit pas compté. Avec Catherine Deroche, nous travaillons sur ce sujet en ce moment. Pensez-vous que l'Ondam devrait être pluriannuel ; pensez-vous qu'il pourrait être intéressant d'avoir un Ondam régional ? Pensez-vous qu'il faudrait plus de fongibilité entre la part de l'hôpital et la part de la médecine de ville ? Que pensez-vous des remarques du rapport de Jean-Marc Aubert ?

Mme Michelle Gréaume . - Le 1 er juillet 2017, devait se mettre en place le régime général des carrières uniques pour compiler l'ensemble des régimes et des complémentaires, mais le dossier a pris du retard. Les suppressions de postes du COG en sont-elles en partie responsables ?

Mme Victoire Jasmin . - Vous nous dites qu'une pension sur trois outre-mer est liquidée avec un montant faux : cela ne m'étonne pas ; j'ai souvent évoqué ici les difficultés des retraités ultramarins, qu'ils soient anciens salariés ou indépendants.

Les dirigeants de la sécurité sociale avaient évoqué des problèmes de comptabilité entre des logiciels, qui auraient causé les erreurs. Avez-vous des pistes d'amélioration ? Comment faire pour sortir de ce décalage ? Une liquidation fautive sur trois au lieu d'une sur sept, c'est préoccupant !

M. Guillaume Arnell . - Dans votre synthèse, vous indiquez que le solde des régimes de base autres que le régime général s'était dégradé, passant d'un excédent de 0,3 milliard d'euros à un déficit de 0,2. Cela serait dû à la forte dégradation de la situation financière de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), qui accuse un déficit de 0,6 milliard d'euros en 2018 alors qu'elle était en équilibre en 2017. Pourriez-vous nous en dire plus ?

M. Denis Morin . - Nous certifions le bon fonctionnement de la branche famille, même lorsqu'elle liquide des prestations pour le compte de l'État. C'est d'ailleurs précisément sur ces dernières prestations que nous constatons les plus grandes difficultés de gestion.

Sur l'Ondam, nous avons déjà eu un échange avec M. Savary qui m'a auditionné avec Mme Deroche... La Cour regrette régulièrement que des dépenses ne soient pas comptées dans l'Ondam. C'est un débat récurrent avec la DSS, qui veut exclure les dépenses sur lesquelles il n'existe pas de dispositif de régulation. Comme l'Ondam est géré quasi budgétairement, il serait absurde, selon elle, d'y mettre des dépenses impossibles à réguler. Mais nous répétons qu'il doit être le plus exhaustif possible... Nous avons du mal à avancer sur ces sujets.

L'Ondam est en grande partie déjà pluriannuel. La prévision affichée est-elle autre chose que l'ombre portée d'une perspective financière ? Clairement non, mais il peut y avoir des éléments d'affichage, comme lorsque le Gouvernement annonce 2,5 % au lieu de 2,3 % - il veut que l'on sache qu'il veut desserrer l'Ondam.

Je suis donc plutôt favorable à la pluri-annualité si c'est le résultat d'une démarche financière. Certains dispositifs de régulation en médecine de ville ne peuvent être actionnés que de manière pluriannuelle. Le très bon accord avec les laboratoires, reconduit depuis 2014, repose sur un effet prix-volume : le chiffre d'affaires du secteur est capé à la suite d'une négociation et lorsqu'il dépasse un certain niveau, les prix doivent diminuer. Mais lorsqu'il y a un dépassement, il est difficile de le rattraper sur l'année en cours ; il est donc préférable de le constater en fin d'année et de faire ajustement l'année suivante. Nous avons travaillé sur des dispositifs de régulation de l'Ondam dans la partie médecine de ville - ce n'est pas la partie la plus facile, puisque c'est contre ce sujet que la réforme d'Alain Juppé en 1996 a buté. Nous serons amenés à proposer une vision pluriannuelle.

Faut-il un Ondam régional ? Vu l'évolution des agences régionales de santé (ARS) et du paysage territorial de l'État, cette question ne se pose plus. Il est probablement plus important de s'assurer que les dépenses listées dans l'Ondam sont affectées au mieux pour les patients et qu'elles soient versées à bon droit. Personne au sein de l'État, de toute façon, ne porterait une telle régionalisation : la DSS s'y est toujours opposée. Ou alors il faudrait changer totalement de système de santé, et adopter un système régionalisé, et où l'État se contente de faire de la péréquation - comme en Espagne, par exemple.

Pourtant, de grandes divergences entre régions sont révélées par les Ordam, les objectifs régionaux, qui sont des constructions totalement statistiques ; elles doivent nous conduire à nous interroger. Ces divergences seraient dues à une part de l'hôpital bien plus faible dans les déserts médicaux.

Le Fonds d'intervention régional (FIR) à disposition des ARS assure en théorie une fongibilité asymétrique de l'hôpital vers la ville, le médico-social et la prévention. C'est justifié en théorie, car notre système est trop hospitalo-centré. Mais je ne suis pas convaincu qu'il soit une illustration très convaincante de la fongibilité. Il faudrait analyser les déports indépendamment de la conception de l'Ondam et connaître l'ampleur des dépenses de ville qui sont prescrites à l'hôpital et réciproquement. La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques ( Drees ) y travaille et nous pourrions y travailler davantage si vous nous y invitez.

Madame Gréaume, dans le prochain Ralfss, nous travaillons sur l'impact du numérique sur les caisses. Il représente une amélioration décisive du service, même si la fracture numérique territoriale et générationnelle rend indispensable un accompagnement. Nous constatons que les réductions d'effectifs ont beaucoup porté sur la relation physique avec les assurés sociaux, sans que cela porte atteinte à la qualité de service. Le développement du numérique a dégagé de la productivité. Un jour viendra où nous aurons tous notre dossier médical partagé (DMP) sur nos smartphones.

Madame Jasmin, nous n'avons pas de solution miracle à vous proposer. Dans certains endroits des outre-mer, les contraintes de la production sont extrêmes. Je pense à la Guyane, qui doit gérer beaucoup de dossiers d'aide médicale d'État, avec l'afflux de migrants. L'ordre des contraintes n'est pas le même qu'en métropole. Nous ne pointons les défaillances dans la maitrise des risques que pour pousser à l'amélioration. Nous mesurons pleinement les contraintes de la production : nous savons qu'il peut être difficile d'intégrer 1,2 million de bénéficiaires de la prime d'activité d'un coup. Notre art bien français de faire évoluer législation et règlementation sans cesse crée clairement des contraintes à la production.

En effet, monsieur Arnell, nous avons souligné la dégradation de la situation de la CNRACL. Nous avons observé sans pouvoir l'expliquer un très fort ralentissement de la croissance de la masse salariale des collectivités territoriales et de l'hôpital : moins d'1 %, ce qui représente une très grande modération, par rapport aux 2 % observés pour l'État. Il faut maîtriser l'emploi public, bien sûr, mais moins de cotisants, cela représente moins de cotisations. Ce phénomène a été d'une ampleur étonnante en 2018.

M. Yves Daudigny . - Vous annoncez 700 milliards de dépenses de solidarités sur 1 200 : la différence entre les deux sommes représente donc les dépenses de l'État et des collectivités. Les dépenses de RSA des départements sont-elles comptées deux fois ?

M. Denis Morin . - Il s'agit d'une décomposition fonctionnelle, par nature de dépense : lorsque je parle de 680 milliards de dépenses sociales, je parle de dépenses sociales telles que retracées par l'OCDE, y compris si elles sont versées par l'État et les départements.

Mme Frédérique Puissat . - La Cour des comptes vérifie que l'argent public aille bien là où il doit aller. Le budget de la sécurité sociale est lié à celui de l'assurance chômage, puisqu'une partie de la fraction de la TVA affectée à l'assurance maladie doit revenir à l'Unédic via l'Acoss. Or on constate un différentiel entre les contributions manquantes et la ressource censée les compenser. Comment expliquez-vous cela ? Avez-vous une vision globale sur les autres budgets, y compris celui de l'Unédic, dans votre périmètre d'intervention ?

M. Denis Morin . - L'Unédic n'appartient pas au champ de la sécurité sociale, le chômage étant traité par la 5 ème chambre. Je ne peux donc pas vous répondre sur ce point. Mais nous pourrions travailler conjointement sur le budget des administrations de sécurité sociale (ASSO) pour vous faire une présentation commune.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Ce serait une très bonne idée.

M. Denis Morin . - La 6 ème chambre traite du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), un champ assez réduit. Par ailleurs, nous travaillons en comptabilité en droits constatés et non en comptabilité nationale.

Nous suivons les décisions du Gouvernement sur le financement de la sécurité sociale et réfléchissons sur la fiscalisation croissante de la sécurité sociale, depuis la création de la contribution sociale généralisée (CSG) il y a trente ans, et qui s'est accélérée récemment, en dépassant le champ des régimes de bases. Nous avons un débat légitime entre la logique professionnelle, assurancielle, reposant sur les cotisations, et la logique de solidarité, qui repose sur l'impôt. Le régime de base a dépassé cette approche, et dans le régime assuranciel actuel, le régime complémentaire vieillesse et le régime chômage seront financés par l'impôt.

M. Michel Forissier . - À chaque fois que j'ai interrogé des intervenants sur la dette de l'assurance chômage, ils m'ont répondu : pas d'inquiétude, même si la dette atteint 39 milliards d'euros, c'est un système assuranciel... Or ce n'est pas le cas, et ce n'est pas bon d'avoir un système, même assuranciel, toujours dans le rouge... Tant que le débat n'est pas tranché sur l'Unédic, cela reste inquiétant pour la maîtrise des dépenses publiques.

M. Alain Milon , président . - Nous passons à l'examen de la situation financière de la sécurité sociale en 2018.

M. Denis Morin . - Le premier président de la Cour des comptes s'est engagé, le 18 juin 2018, à transmettre au Parlement l'ensemble de nos analyses sur les comptes N-1, avant l'été. Pour la sécurité sociale, nous le faisions précédemment dans le premier chapitre du Ralfss, au moment où le Gouvernement présente la LFSS. Il n'y a pas de loi de règlement de la sécurité sociale, et rarement des collectifs budgétaires. Comme je vous l'indiquais, nous travaillons en comptabilité en droits constatés et non en comptabilité nationale, contrairement à une partie des ASSO. À vous de nous dire si vous souhaitez des études complémentaires.

Nous faisons trois constats : la sécurité sociale se rapproche de l'équilibre en 2018, avec un excédent de 0,5 milliard d'euros du régime général seul, un déficit de 1,2 milliard du régime général et du FSV, et un déficit de 1,5 milliard de l'ensemble des régimes et du FSV. Nous pourrions nous féliciter si la situation ne se dégradait pas en 2019 ; comme dans un mauvais film, nous repartons en arrière...

Tous les éléments de la déclaration du Gouvernement sur la trajectoire des finances publiques, et notamment des finances sociales, sur l'équilibre de la sécurité sociale et l'apurement de la dette sociale d'ici 2024, restent à reconstruire. Le Gouvernement présentera sa nouvelle trajectoire lors de la présentation du PLFSS.

En 2018, nous avions une photo positive, qui a bien évolué depuis les 30 milliards d'euros de déficit de 2010. Nous avons tutoyé l'équilibre avant de repartir à la hausse. Il sera difficile de maintenir le cap du suréquilibre des comptes sociaux.

La Cour des comptes, selon certains commentateurs, est un « père fouettard », qui fustige l'accélération de la progression des dépenses sociales. Mais ces dépassements connaissent une accélération inquiétante - 1,7 % en 2016, 2 % en 2017 et 2,4 % en 2018 - d'autant plus que nous devrons faire des ajustements structurels pour respecter notamment le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) ; Nous devons appliquer ces bonnes règles financières.

Mme Laurence Cohen . - Cela dépend...

M. Denis Morin . - Malgré une évolution des dépenses sociales modérée, nous n'arriverons pas à l'équilibre structurel des comptes publics, prévu lors de l'adoption du TSCG en 2012, sous deux majorités différentes.

Cette hausse est due à une accélération des dépenses, notamment de la branche vieillesse, par un effet de génération. Malgré le relèvement de l'âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans et des mesures en faveur des carrières longues, les assurés sociaux finissent par prendre leur retraite, et c'est un élément structurel. Cela nous interroge sur l'évolution future des régimes de retraite, qui vont se dégrader. Le Gouvernement présentera bientôt sa réforme systémique.

Pour la neuvième année consécutive, l'Ondam est respecté, à 2,2 % au lieu des 2,3 % annoncés. Les dépenses de ville, hors médicaments, croissent beaucoup plus vite que celles de l'hôpital, de plus de 3 % par an. C'est dû notamment à la croissance des soins infirmiers et paramédicaux.

À l'inverse, les dépenses hospitalières sont plus modérées, en raison d'un très fort ralentissement de l'activité de l'hôpital public - 2,8 à 3 % en moyenne. L'Ondam hospitalier progresse un peu moins rapidement que l'Ondam de ville - médicaments inclus. Comme il faut le réduire à 2 %, les tarifs baissent, sans compter les ratios prudentiels. Du coup, certaines délégations de crédits sont débloquées durant les derniers jours de gestion.

En 2018, il y a eu des points communs avec 2017 : l'activité hospitalière a continué à évoluer moins vite, de 1,5 à 1,7 % - mais les données ne seront pas consolidées avant l'automne. Ce tassement n'est pas totalement expliqué. Le Gouvernement a donc dégelé tous les tarifs et les dotations, et a fait du « surdégel » en accordant 300 millions d'euros de délégations de crédits durant les derniers jours de la gestion. Cela ressemble un peu à du pilotage à vue... Ces difficultés perdureront tant que nous n'aurons pas identifié la cause du ralentissement de l'activité hospitalière. Or respecter l'Ondam mais creuser en même temps la dette n'est pas faire preuve de bonne gestion...

En 2018, l'Ondam a été respecté et la situation des hôpitaux publics s'est plutôt améliorée. Le déficit de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) s'approchera de 150 millions d'euros, au lieu de 180 millions d'euros prévus, et celui de l'ensemble des déficits hospitaliers de 600 millions d'euros au lieu de 900 millions d'euros. Cette situation est due à la très grande modération de la masse salariale, qui n'augmente que de 1 %. L'emploi n'était pas très dynamique en 2018.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Merci de ces éléments importants à mi-parcours de la réalisation des comptes. Lorsque nous avions ces informations au moment de l'examen du PLFSS, nous nous penchions moins sur les résultats antérieurs.

Les raisons - méconnues - du ralentissement de l'activité hospitalière m'inquiètent. Ce n'est pas seulement une question de flux financiers. Nous entendons beaucoup parler des urgences saturées - certes, pas partout - qui sont un facteur d'inquiétude. Nous devons impérativement savoir pourquoi cette activité ralentit, la Cour des comptes devrait se pencher sur ce sujet.

L'amélioration du solde de la sécurité sociale, conjoncturel, est tirée par les recettes, car la conjoncture et les mesures annoncées à la fin de l'année dernière altèreront les résultats de 2019. Pouvez-vous évaluer la sensibilité à l'activité économique des recettes du régime général, notamment les produits plus élevés sur les revenus patrimoniaux et le tabac ? Les 400 à 500 millions d'euros supplémentaires seront-ils conjoncturels ou pérennes ?

La croissance continue de la part des impositions de toute nature dans le financement de la sécurité sociale concerne aussi l'Acoss et l'Unédic. La LFSS pour 2018 a créé un système de solidarité de fait entre l'Unedic et le régime général, ce dernier ayant supporté un écart de 103 millions d'euros entre la baisse des cotisations chômage des salariés et la fraction de TVA qui devait la compenser. Cela concernera l'Acoss et l'Unédic en 2019 avec la baisse des cotisations patronales. Cela justifie-t-il l'inclusion de l'assurance chômage et retraite complémentaire dans le périmètre de la loi de financement de la sécurité sociale ?

Sur la certification des comptes, quel est votre avis, à la fois en tant que certificateur et analyste des comptes de la sécurité sociale, sur les risques financiers ? Il peut y avoir des effets pernicieux sur les indemnités journalières. Ils sont compliqués à mesurer, et l'assurance maladie ne les maîtrise pas totalement. C'est un sujet sensible et inquiétant pouvant susciter des dérapages incontrôlés. Ne faut-il pas que ces organismes revoient leur culture afin de prévoir des moyens supplémentaires de contrôle de leurs comptes et de leurs prestations ?

Mme Catherine Deroche . - La progression plus faible de l'activité hospitalière est connue depuis plusieurs années et s'est confirmée en 2018, permettant le dégel des mises en réserve. Mais le déficit demeure de 660 millions d'euros. Cela a-t-il conduit à un décrochage des tarifs hospitaliers par rapport à la réalité des besoins ? M. Alain Milon l'avait rappelé lors de la loi santé : il est difficile d'obtenir un financement correspondant à la réalité des besoins, notamment pour les urgences, certains établissements hospitaliers, les innovations thérapeutiques ou la dépendance.

Mme Laurence Cohen . - Merci pour ces informations importantes. Vous avez qualifié la progression des comptes de 2 à 2,5 % d'« assez modeste », mais vous parlez toutefois d'« accélération ». Certes, il y a une légère évolution, mais le terme d'accélération ne semble pas correspondre à votre terminologie habituelle, plus prudente...

La progression de l'Ondam est insuffisante pour le secteur hospitalier. La Fédération hospitalière de France a évalué à 4 % la progression nécessaire pour faire face à ses besoins. Vous examinez le respect de la comptabilité, mais derrière, il y a des implications en termes d'offre de soins ou de ressources humaines...

Vous vous interrogez sur les raisons de l'affaissement de l'activité hospitalière en 2017 et en 2018. Ne sortons pas les chiffres de leur contexte ; il y a un faisceau de raisons, notamment les conséquences de l'ambulatoire et la fixation des tarifs. Le Gouvernement a manqué d'anticipation, et continue d'utiliser les mêmes recettes sans tirer tous les enseignements de la situation.

Vous pointez la chute de l'emploi de personnel non médical. Oui, certains services sont externalisés, sans que la qualité en soit améliorée, notamment sur des tâches ouvrières.

Quel est l'avis de la Cour des comptes sur les locaux hospitaliers et leur entretien ? Ils expliquent en partie le déficit des hôpitaux, or cela nous semble très injuste.

M. René-Paul Savary . - Le Gouvernement devrait faire preuve de plus d'humilité dans son approche des comptes sociaux, car on constate une dégradation. L'activité des hôpitaux est en train de reprendre, donc nous allons rencontrer un sérieux problème en 2019, surtout que s'annoncent la réforme de la dépendance et l'effet des mesures paramétriques sur les retraites.

Pensez-vous que le seul allongement de la durée de travail, sans toucher à l'âge légal de la retraite, sera suffisant ? Si nous passons à un système par points, il faudra recalculer toutes les carrières. N'allons-nous pas casser la confiance de nos concitoyens dans notre système de protection sociale ?

M. Denis Morin . - Monsieur Savary, je ne suis pas au courant d'une reprise de l'activité des hôpitaux en 2019. S'agissant du ralentissement de l'activité que nous avons en revanche pu observer ces dernières années, j'y vois l'effet du développement de la prise en charge ambulatoire par l'hôpital public, qui était à la traîne du privé en la matière. Des réticences culturelles ont sauté, des adaptations organisationnelles ont été entreprises, et nous avons assisté à une réduction du séjour moyen à l'hôpital public. C'est la première explication qui me vient à l'esprit.

Mais nous avions assisté à une forte progression au tournant des années 2010, les investissements importants effectués dès 2007 ayant fait revenir les patients vers l'hôpital public. Par ailleurs, dans les cliniques privées que nous contrôlons - 16 contrôles l'an dernier et 19 cette année - nous avons mis au jour une pratique massive des dépassements d'honoraires, ce qui oriente nombre de nos concitoyens vers l'hôpital public. Tous ces facteurs jouent ensemble, mais je ne saurais dire exactement dans quelle mesure.

L'amélioration du solde des comptes sociaux renvoie à l'amélioration de la conjoncture. Néanmoins, le déficit repart très fort, sur une pente de 4,5 milliards d'euros pour 2019. N'oubliez pas que nous étions à 30 milliards d'euros en 2010... On peut dire que, dès que la conjoncture redevient difficile, le déficit repart très fort. Il y a une sensibilité conjoncturelle très importante des comptes sociaux. Aussi, il me semble que nous aurions dû faire mieux l'année dernière pour anticiper un éventuel retournement conjoncturel.

Sur le tabac, je déplore une insuffisance de l'action des pouvoirs publics. L'augmentation des prix a certes rapporté 500 millions d'euros, mais elle n'a pas les effets escomptés en matière de santé publique. Il y a notamment une prévalence très forte des cancers du poumon dus au tabac chez les femmes.

Mme Catherine Deroche . - Le tabac coûte plus qu'il ne rapporte.

M. Denis Morin . - Il faut par ailleurs savoir que la progression des produits sur le capital, sur laquelle vous m'avez interrogé, résulte de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique ou flat tax.

La fiscalisation croissante du financement de la sécurité sociale pose la question de l'extension du périmètre des LFSS mais, pour certains, elle pose aussi la question du regroupement des lois financières. M. Migaud avait poussé en ce sens, notamment pour les parties de ces textes relatives aux recettes. La question est à mon sens légitime.

Madame Deroche, vous m'avez interrogé sur l'évolution des tarifs à l'hôpital, me demandant quelles étaient, selon moi, les conditions optimales de son financement. Autrement dit, entre la tarification globale et la tarification à l'activité (T2A), quel est le meilleur point d'équilibre ? Nous menons une réflexion sur cette question. Il faut certainement trouver des convergences.

La principale préoccupation reste la recherche d'une meilleure adéquation entre les tarifs et les coûts de production. C'est une question très complexe. Nous essayons de mener ce travail d'objectivation. Il s'agit de mettre fin aux rentes de situation, comme les dialyses, quand certains soins sont sous-financés.

Madame Cohen, le terme d'accélération est peut-être excessif, mais le fait est que le déficit augmente. Parlons d'accélération modeste, si vous préférez... En augmentant l'Ondam de 4 %, on aurait moins de tensions à l'hôpital, c'est certain. Reste qu'il y a réellement un problème avec la carte hospitalière. Certains établissements ont une activité vraiment très faible. De toute façon, une telle hausse de l'Ondam n'est pas finançable, sauf à creuser encore la dette sociale, qui est déjà de 280 milliards d'euros.

Mme Laurence Cohen . - Nous avons d'autres propositions.

M. Denis Morin . - Nous avons été très étonnés de la modération salariale hors État. Je l'explique par une modération de l'emploi infirmier.

Enfin, je veux dire que le déficit de l'hôpital public n'est pas le déficit de tous les hôpitaux publics. Beaucoup d'entre eux se portent très bien et un certain nombre de CHU sont à l'équilibre.

Le déficit se concentre surtout à l'AP-HP, dans les outre-mer, et dans quelques établissements en situation difficile, comme le CHU de Caen. Il y a ainsi de gros déficits dans un nombre réduit d'établissements, ce qui amène à relativiser les diagnostics.

Monsieur Savary, je ne peux pas commenter la réforme des retraites, vous le comprenez. Ce qui est sûr, c'est que la période de transition sera longue. En tout cas, nous restons préoccupés par la situation financière de nos régimes de retraite.


* 26 www.secu-independants.fr

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page