B. REMETTRE L'ADMINISTRATION AU CoeUR DES CONTRÔLES, EN PRIORISANT LES ANALYSES SUR LES PRODUITS LES PLUS SENSIBLES

Un autre étage de la procédure de contrôles n'a pas été efficace : les contrôles réalisés sous la responsabilité de FranceAgriMer.

Il importe de rappeler que l'État, en tant que fournisseur des denrées aux associations, qui ne jouent que le rôle de distributeurs, se doit d'être garant de la qualité des produits dont il se porte acquéreur au nom de l'Union européenne, c'est-à-dire, en réalité, du contribuable européen. Il ne le peut que par le biais de contrôles réguliers, fiables et impromptus déclenchant, en cas de non-conformité, des sanctions réellement dissuasives.

Or l'État et l'Union européenne s'emploient à multiplier les contrôles administratifs sur les associations davantage que les contrôles sanitaires sur les denrées distribuées.

Comme le rappelait le rapport d'information 15 ( * ) de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances du Sénat encore récemment, « FranceAgriMer doit pour chaque campagne d'achat de denrées vérifier 22 points de contrôle sur les 22 000 pièces justificatives générées chaque année par les livraisons (plus d'une trentaine de produits, livrés en plusieurs fois, à une centaine d'entrepôts), soit un chiffre d'1 million de points à contrôler. »

Un exemple parmi tant d'autres : la commission européenne impose le format A3 et non A4 des affiches avec le drapeau de l'Union européenne devant être exposées dans les centres de distribution, une non-conformité sur ce point pouvant entraîner le non remboursement de la dépense engagée par l'Union européenne.

Ainsi, le rapport conclut que le « niveau d'exigences est difficile à respecter pour un secteur associatif fondé sur le bénévolat souvent insuffisamment outillé pour y répondre et surtout un peu perdu par l'existence de tous ces contrôles, dont les règles frisent parfois l'absurde. »

Comme l'y invitent ses collègues, le rapporteur appelle urgemment à libérer les associations de très lourds contrôles administratifs pour recentrer les moyens vers davantage de contrôles sanitaires et de contrôles de composition des produits.

Il a d'ailleurs été confirmé au rapporteur lors de ses auditions que les contrôles effectués par FranceAgriMer envoient un signal aux fabricants des denrées FEAD. Ils exercent, par construction, un réel effet dissuasif sur les tentatives de fraudes ou les négligences au regard des considérations sanitaires.

Il est donc crucial, dès le prochain appel d'offres, d'annoncer un renforcement significatif des contrôles impromptus de FranceAgriMer, tant sur les sites des fabricants que par des prélèvements sur les produits stockés dans les entrepôts des associations caritatives.

Proposition : renforcer la fréquence et la régularité des contrôles impromptus de FranceAgriMer (prélèvements et contrôles sur place) sur les denrées FEAD tout au long de l'année

À rebours de ce réflexe de bon sens, le rapporteur a été étonné de constater que plusieurs procédures ont été rationnalisées ces dernières années, donnant l'impression aux opérateurs attributaires des marchés publics que les contrôles se relâchaient.

Selon les certains attributaires des marchés publics, FranceAgriMer réalisait par exemple des tests gustatifs sur des échantillons des produits de base lors des appels d'offres. Or la décision a été prise d'y mettre fin.

Si ces tests ne sont pas de nature à détecter une fraude manifeste, dans la mesure où les échantillons envoyés seront, sans doute, tout à fait exemplaires, leur rétablissement serait de nature à renforcer la crédibilité des contrôles ex ante et in situ des administrations.

En outre, comme pour les produits sensibles, FranceAgriMer pourrait ainsi vérifier lors des contrôles dans les entrepôts que les produits livrés sont, à la dégustation, de même nature que les échantillons dégustés lors de la remise de l'appel d'offres.

Proposition : mettre en place des contrôles gustatifs obligatoires pour tous les produits lors des appels d'offres et contrôler le maintien de la qualité des produits entre les échantillons et les produits effectivement livrés

Le plan de contrôles arrêté par FranceAgriMer pose également certaines questions.

Ce dernier, qui détermine les établissements produisant les denrées FEAD faisant l'objet d'un contrôle au terme d'une analyse de risques, est censé couvrir 60 % des volumes livrés chaque année aux associations.

Comment expliquer pour autant l'absence de l'industriel polonais Biernacki dans le plan de contrôles 2018 au regard de ses antécédents ?

Le rapporteur s'est fait confirmer que l'industriel polonais a rencontré plusieurs problèmes ces dernières années.

Il y a 5 ans, la DGCCRF avait réalisé des analyses sur des produits fabriqués par Biernacki prélevés lors d'un contrôle. Ces dernières avaient montré des non-conformités, mais cette fois non généralisées. Une notification « Food Fraud » avait été adressée aux autorités polonaises qui avaient assuré avoir pris les mesures nécessaires.

Les Restos du Coeur avaient signalé en 2015 que des lots de steaks hachés, produits par Biernacki, présentaient des non-conformités sanitaires ayant provoqué des cas d'intoxications dans plusieurs départements français. Les lots restants avaient été détruits, à hauteur de plusieurs centaines de tonnes.

La presse s'est également faite le relai de rappels de produits de l'industriel Biernacki en 2019 pour cause de problèmes sanitaires, sans toutefois que ces éléments aient été confirmés au rapporteur.

Compte tenu de la multiplication de ces alertes pesant sur un même industriel, il est anormal que l'attribution du marché public ait bénéficié, in fine, à Biernacki. Il est d'autant plus anormal que cet industriel n'ait pas fait l'objet de contrôles renforcés.

Malgré la multiplication de ces alertes, le rapporteur s'étonne surtout que Biernacki n'ait pas fait l'objet de contrôle sur place par les équipes de FranceAgriMer depuis 2013 alors qu'il a été un producteur régulier pour des marchés publics sur les steaks hachés (en 2013, 2014, 2017 et 2018).

Lors de ses auditions, les sociétés concernées par le marché public ont affirmé au rapporteur n'avoir pas été informées d'un quelconque contrôle sur place de FranceAgriMer depuis qu'ils travaillent avec l'industriel, à savoir plusieurs années, ce qu'a finalement confirmé FranceAgriMer.

La succession de ces anomalies sur un seul producteur qui a déjà posé des problèmes dans le passé laisse présager d'autres situations où les contrôles ne seraient pas suffisants.

Le plan de contrôles actuel est incontestablement défaillant.

Pour FranceAgriMer, la redéfinition d'un plan de contrôles orienté vers les produits les plus risqués est une priorité absolue.

Les produits les plus sensibles sont les plus exposés et, quelle que soit l'appréciation de FranceAgriMer, il est indéniable que les steaks hachés en font partie au regard de la facilité à en modifier la composition.

Pour les fabricants de ces produits, les visites sur place pourraient être rendues systématiques chaque année.

Proposition : renforcer l'efficacité des plans de contrôles en les priorisant sur les produits les plus sensibles (dont les steaks hachés et les produits carnés ou les poissons), notamment en rendant systématiques des visites sur place chez les fabricants de ces produits sensibles

Enfin, le rapporteur s'interroge sur le recours aux contrôles sur pièces de FranceAgriMer lors de la crise que les associations caritatives ont vécue.

Certes, la DGCS comme FranceAgriMer ont alerté les services déconcentrés compétents. Cette pratique doit être préservée car elle permet de créer un lien direct entre la réalité du terrain et l'administration centrale.

Toutefois, comment expliquer le retard inouï des contrôles réalisés par FranceAgriMer sur des lots qui ont fait l'objet d'une alerte ?

Les analyses menées par les associations ont décelé dès la fin du mois de mars les anomalies, ce qui a permis d'arrêter la distribution des lots à compter de début avril.

FranceAgriMer, qui a pourtant contracté spécifiquement avec le laboratoire Mérieux NutriSciences pour la réalisation de composition des produits sur les denrées FEAD, a reçu les résultats des analyses plus de trois mois après les associations et une fois que les résultats de la DGCCRF étaient connus.

Selon les informations recueillies par le rapporteur, les bons de commandes relatifs aux analyses des steaks hachés n'ont été formalisés que fin mai, d'où des résultats transmis par le laboratoire fin juin.

Cette absence de réactivité va bien au-delà de la négligence : c'est une faute qui n'est pas comprise par les associations, les plus démunis et les observateurs.

Dans le cadre de la mise en place d'une procédure de crise, ces contrôles de FranceAgriMer pourraient être systématisés en cas d'alerte des associations 16 ( * ) . Dès la première alerte, FranceAgriMer aurait pu lancer des contrôles « flash » sur des échantillons afin de lever le voile sur cette affaire. Les tests des laboratoires prennent en général entre 2 et 3 semaines. Cela aurait permis aux associations d'interrompre plus rapidement la livraison de manière coordonnée sur la base d'une expertise reconnue.

Les facultés de contrôles de FranceAgriMer doivent être à l'avenir davantage mobilisées en cas d'alerte effectuée par une association.

Proposition : mobiliser plus rapidement les facultés d'analyses de prélèvements à la main de FranceAgriMer en cas d'alerte sur des produits émise par des associations

Ces mesures nécessiteront, probablement, d'octroyer plus de moyens afin que FranceAgriMer puisse renforcer ses contrôles.

FranceAgriMer consacre chaque année 3 équivalents temps plein (ETP) à la réalisation et à l'analyse des contrôles en entrepôts et en entreprises. En complément du marché pluriannuel passé avec un laboratoire réalisant des analyses pour son compte, l'opérateur dépense environ 300 000 euros par an pour contrôler les 85 millions d'euros alloués au titre de l'aide alimentaire, soit 0,3 % du budget total.

Ces moyens sont clairement insuffisants.

À des fins d'efficience, les contrôles pourraient être renforcés sur les produits les plus sensibles, dont font manifestement partie les steaks hachés.

Toutefois, le rapporteur appelle à la vigilance. Il ne faudrait pas, en effet, que ce que l'on gagne d'un côté en ciblant des contrôles sur les produits les plus sensibles et en les mobilisant plus rapidement en cas de crise soit perdu en matière de régularité des contrôles impromptus. Les deux types de contrôles sont nécessaires pour garantir la fiabilité du dispositif.

Proposition : s'assurer que les moyens accordés par FranceAgriMer aux contrôles sur les denrées FEAD soient accrus lors du prochain appel d'offres

Enfin, les conclusions que l'on peut tirer des dysfonctionnements ayant abouti à l'apparition de l'affaire des steaks hachés laissent entendre qu'un travail important est à mener pour revoir l'ensemble de la procédure de passation des marchés publics et des contrôles sur les denrées acquises par le biais du FEAD.

Si rien n'est fait, il n'est pas garanti qu'une crise, sans doute plus grave, n'apparaisse pas à moyen terme. D'autres produits pourraient être concernés par des problèmes de qualité voire des problèmes sanitaires.

Ce travail de fond doit permettre en outre d'avoir les idées claires d'une part, sur la qualité des produits, sur leur traçabilité (en identifiant les pays d'origine de matières premières), sur les mécanismes financiers entre les attributaires des marchés publics, les intermédiaires et leurs fournisseurs et, d'autre part, sur l'efficacité des contrôles à mener, dans l'objectif de recentrer ces derniers sur les contrôles sanitaires et de libérer les associations du carcan des contrôles administratifs.

Au regard de la nature de la crise induite, qui aurait pu être plus grave, le Gouvernement a la responsabilité de rendre des comptes au Parlement sur la manière dont il pilote le fonds FEAD.

Un rapport des corps d'inspection compétents pourrait, utilement, éclairer le Parlement sur ces éléments en étudiant l'ensemble des denrées visées par des lots lors du dernier appel d'offres FEAD.

Proposition : demander au Gouvernement la remise d'un rapport au Parlement dans un délai de six mois sur la gestion du FEAD en France évaluant la qualité et la traçabilité des denrées, mesurant le degré de transparence de la passation des marchés publics et garantissant l'efficacité des contrôles en analysant l'ensemble des lots soumis à appels d'offres pour une année donnée


* 15 Rapport d'information n° 34 (2018-2019) de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances - « Aide alimentaire : un dispositif vital, un financement menacé ? Un modèle associatif fondé sur le bénévolat à préserver ».

* 16 Cf partie III. de ce rapport

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