B. DÉVELOPPER UNE TARIFICATION SOLIDAIRE ADAPTÉE

Les conditions d'une mise en oeuvre réussie de la gratuité d'un réseau de transports sont nombreuses et certaines situations semblent davantage s'y prêter que d'autres. En outre, comme le soulignait la maire de Paris dans un entretien à Libération en janvier 2019, « la gratuité ne peut pas être l'alpha et l'oméga d'une politique de transport » 115 ( * ) .

En revanche, de nombreux réseaux font le choix d'une tarification solidaire , qui permet un ciblage plus fin que la gratuité totale. Christophe Najdovski, adjoint à la maire de Paris, en charge des transports, de la voirie, des déplacements et de l'espace public, a ainsi résumé l'aboutissement des réflexions concernant la ville de Paris : « Nous considérons que la gratuité des transports doit s'appliquer en fonction du contexte de chaque territoire. Toutefois, nous avons estimé que des mesures de gratuité ciblées, partielles sont pertinentes ».

La politique tarifaire du Sytral

Le Syndicat Mixte des transports pour le Rhône et l'agglomération lyonnaise a mis en place une gamme tarifaire solidaire : 100 000 abonnés bénéficient aujourd'hui d'un tarif social, ce qui représente 30 % des abonnés du réseau et une progression de 60 % depuis 2001.

A ces tarifs sociaux s'ajoutent d'une part une gamme de tarifs spécifiques pour les scolaires et les jeunes et d'autre part des tarifs réduits pour la mobilité des salariés. Des tarifs qui visent à favoriser l'intermodalité sont également prévus.

Source : SYTRAL, 2018

Ainsi, les mesures de gratuité partielle et les tarifs préférentiels se développent, à l'image de la ville de Paris, comme il a été précisé précédemment.

Martine Aubry, maire de Lille et vice-présidente de la métropole européenne de Lille, a à la fois mis en avant la « nécessité de mettre en oeuvre une gratuité progressive des transports publics » , souligné l'importance de la perte de recettes qu'engendrerait « un passage immédiat et intégral » et précisé « qu'il faut d'abord cibler les publics prioritaires pour bénéficier d'une première étape de la gratuité » 116 ( * ) . Cette première étape consisterait à faire bénéficier les jeunes de moins de 18 ans, les étudiants et lycéens de plus de 18 ans, les personnes en situation de handicap et les retraités à faibles revenus de la gratuité des transports publics. Elle a également proposé la mise en oeuvre de la gratuité les jours de pics de pollution.

De son côté, Johanna Rolland, maire de Nantes, a annoncé vouloir mettre en oeuvre la gratuité des transports collectifs le week-end si elle est réélue aux élections municipales de 2020.

Au total, il est clair que la mise en place de la gratuité doit se faire par étapes avec une analyse et un suivi de ses effets. Cela a été le cas à Châteauroux : l'instauration de la gratuité puis l'augmentation de l'offre décalée dans le temps ont permis de mesurer l'impact de chacune sur la fréquentation. C'est également le cas à Dunkerque avec dans un premier temps une mise en place de la gratuité quelques week-ends puis tous les week-ends puis tous les jours.

L'exemple de la métropole Aix-Marseille-Provence : une nouvelle tarification
plutôt que la gratuité

Au printemps 2019, la métropole Aix-Marseille-Provence a mené une étude sur la gratuité des transports en commun sur son territoire. Sa démarche a d'abord consisté à identifier les effets « globalement positifs » qui résulteraient du passage à la gratuité totale sur l'ensemble des 13 réseaux de transport des 6 intercommunalités qui la composent.

L'étude menée par un cabinet indépendant cite, par ordre décroissant d'importance :

- une hausse de la fréquentation des transports en commun ;

- une redistribution du pouvoir d'achat et un appui au dynamisme économique ;

- une autonomie accrue des jeunes et donc potentiellement une évolution des comportements de mobilité ;

- une levée de certains freins à la mobilité, notamment en termes d'accessibilité ;

- une amélioration de l'image des transports en commun et de l'attractivité.

Elle a ensuite identifié des effets négatifs de la gratuité :

- un report modal plus important depuis les modes actifs (vélo, marche, etc.) que l'automobile ;

- des enjeux financiers importants compte tenu de la perte des recettes commerciales tirées de la vente de billets et d'abonnements ;

- un renchérissement des coûts de gestion du transport public lié à l'augmentation nécessaire de la capacité du réseau ;

- en cas de non-développement de l'offre, une dégradation de la qualité de service limitant à moyen terme la hausse de la fréquentation et le report modal ;

- un bénéfice limité pour les ménages les plus modestes.

Au total, la métropole a estimé qu'il « apparaît clairement que la mise en place de la gratuité ne répondrait à aucun des enjeux clés de la mobilité pour la Métropole AMP », ces objectifs étant notamment le report modal depuis l'automobile vers les transports en commun et l'équité sociale et territoriale. Plus encore, les auteurs de l'étude ont estimé que « la mise en place de la gratuité n'apparaît pas comme une mesure souhaitable pour la métropole AMP », en particulier en raison de son coût annuel minimum net de 200 millions d'euros.

Dans la réponse qu'elle a faite au questionnaire de la mission, la métropole a expliqué envisager une nouvelle tarification plus lisible, juste, adaptée aux besoins de déplacement et attractive qu'aujourd'hui.

Source : contribution écrite de la métropole Aix-Marseille-Provence à la mission d'information sur la gratuité des transports collectifs, septembre 2019.

La tarification des transports doit également veiller à assurer la solidarité des territoires. C'était d'ailleurs le sens de l'article 7 de la loi relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier des personnes (n° 2016-1920 du 29 décembre 2016, dite « loi Grandguillaume »). Introduite à l'initiative du Sénat, cette disposition visait « à permettre le développement d'une offre de transport au bénéfice des familles en situation de précarité ou d'isolement et l'encadre strictement pour éviter toute interaction avec l'offre concurrentielle » 117 ( * ) . Le troisième comité interministériel aux ruralités du 20 mai 2016 avait été l'occasion de rappeler qu'« agir pour la ruralité, c'est d'abord relever le défi de l'égalité. C'est assurer aux Français qui vivent et font vivre ces territoires un accès facilité aux services publics, aux réseaux essentiels à la vie ».

On ne peut qu'approuver les motivations des membres du groupe du RDSE auteurs de l'amendement : « la mobilité est en effet un enjeu essentiel en milieu rural où l'offre de transport collectif est souvent inexistante. Les habitants ne disposent pas tous de véhicules et n'ont pas toujours les moyens de financer un transport à la demande ».

Le décret pris pour l'application de cet article est paru le 20 août 2019 118 ( * ) . Il précise les conditions dans lesquelles les associations ont la possibilité d'organiser des services de transport « au bénéfice des personnes dont l'accès aux transports publics collectifs ou particulier est limité 119 ( * ) » qui résideraient dans une commune rurale ou une aire urbaine de moins de 12 000 habitants ou qui bénéficieraient de certaines aides sociales. Le transport d'utilité sociale concerne uniquement des trajets d'une distance inférieure ou égale à 100 kilomètres.


* 115 https://www.liberation.fr/france/2019/01/09/anne-hidalgo-la-gratuite-ne-peut-pas-etre-l-alpha-et-l-omega-d-une-politique-de-transport_1701909 .

* 116 Lettre de Martine Aubry, maire de Lille et vice-présidente de la métropole européenne de Lille à Damien Castelain, président de la métropole européenne de Lille, 31 août 2019.

* 117 http://www.senat.fr/seances/s201611/s20161102/s20161102013.html

* 118 Décret n° 2019-850 du 20 août 2019 relatif aux services de transport d'utilité sociale.

* 119 Article R. 3133-1 du code des transports.

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