C. UN MARCHÉ DU TRAVAIL ENCORE INSUFFISAMMENT INCLUSIF

Si l'augmentation du taux d'activité encouragé par les pouvoirs publics depuis deux décennies a permis une hausse marquée du taux d'emploi des seniors, dans des conditions qui ne font pas apparaître de précarité spécifique, des progrès substantiels doivent encore être réalisés.

1. Des accidents du travail moins fréquents mais plus graves et des arrêts de travail plus longs

Une étude de Santé Publique France portant sur les années 2011 et 2012 29 ( * ) a montré que le seniors étaient globalement moins fréquemment victimes d'accidents du travail, mais que ces accidents étaient plus graves. Ainsi, on recensait en 2012 30,5 accidents du travail avec arrêt pour 1 000 équivalents temps plein (ETP) parmi les salariés de plus de 50 ans contre 40 pour l'ensemble des salariés. La proportion d'accidents graves, c'est-à-dire d'accidents entrainant l'incapacité permanente était de 12,4 % pour les plus de 50 ans contre 6,7 % pour l'ensemble des salariés.

Une étude de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) 30 ( * ) portant sur les données de 2010 montre également une évolution inverse avec l'âge de la fréquence et de la gravité des accidents de travail.

Les maladies professionnelles, qui mettent généralement plusieurs années à se manifester touchent par ailleurs plus fréquemment les salariés âgés, en raison de leurs expositions passées davantage que de leurs conditions de travail.

Source : Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS)

Le rapport remis au premier ministre par M. Jean-Luc Bérard, Stéphane Oustric et Stéphane Seiller en janvier 2019 31 ( * ) a mis en évidence que la durée moyenne des arrêts de travail progresse avec l'âge, cette tendance s'accentuant nettement à partir de 60 ans.

Source : Commission des affaires sociales d'après le rapport Bérard Oustric Seiller

Ainsi, les plus de 50 ans ont bénéficié en 2017 de 29 % des arrêts de travail mais de 41 % du montant total des indemnités journalières.

Source : Commission des affaires sociales d'après le rapport Bérard-Oustric-Seiller

2. Des perspectives de retour à l'emploi qui diminuent fortement avec l'âge

Le taux de chômage plus faible des actifs les plus âgés s'accompagne de difficultés spécifiques à retrouver un emploi stable qui conduisent à une forte segmentation du marché du travail des seniors.

a) Des sorties du chômage plus difficiles et un chômage de longue durée plus important

Les perspectives de reprise d'emploi diminuent fortement avec l'âge. Cette réalité peut être objectivée au travers des statistiques de Pôle emploi. Le taux mensuel de sortie des listes de demandeurs d'emploi vers l'emploi s'élevait ainsi en 2016 à 1,6 % pour les plus de 50 ans, contre 3,8 % pour les 25-49 ans 32 ( * ) . Sur longue période, on remarque que cet écart ne se réduit pas (voir graphique ci-après) .

Source : Dares, enquête Sortants

Cette difficulté à sortir du chômage se traduit par une plus forte proportion de chômeurs de longue durée. En 2018, 37,8 % des demandeurs d'emploi de 50 ans ou plus l'étaient depuis plus de 2 ans, contre 22,3 % de l'ensemble des demandeurs d'emploi.

b) Une exclusion de l'emploi souvent définitive

De plus, les transitions du chômage vers son halo sont plus fréquentes pour les chômeurs considérés comme seniors que pour ceux des autres catégories d'âge (voir le tableau ci-dessous).

Transitions depuis le chômage par tranche d'âge (en pourcentage)
entre le 2 ème trimestre 2016 et le 1 er trimestre 2017

Transition vers

L'emploi

L'inactivité
(hors halo du chômage)

Le halo
du chômage

Le chômage

15-24 ans

25,8 %

11,9 %

10,6 %

51,7 %

25-49 ans

21,1 %

5,1 %

13,9 %

59,9 %

50-64 ans

12,9 %

9,7 %

14,9 %

62,5 %

Source : France Stratégie, p. 36, d'après les données des enquêtes emploi 2016 et 2017 de l'Insee

c) Des embauches en contrats précaires plus fréquentes

Si les seniors en emploi sont plus fréquemment en CDI, la progression de l'emploi temporaire constatée pour l'ensemble de la population touche également les salariés les plus âgés. La part des emplois à durée limitée est ainsi passée entre 2007 et 2017 de 5,1 % à 6,7 % pour les 55-59 ans et de 7,2 % à 9,1 % pour les 60-64 ans alors qu'elle passait dans le même temps de 10,6 % à 13,1 % pour les 25-49 ans.

Surtout, en termes de flux, la surreprésentation des embauches en contrats courts se vérifie particulièrement pour les seniors. Une étude de la Dares publiée en 2018 33 ( * ) montre en effet que la part des CDD parmi les embauches atteignait en 2014, 88 % pour les 55-59 ans et 90 % pour les 60-64 ans contre 83 % pour les 40-44 ans.

3. Un nombre important de seniors sont en inactivité subie

Si les retraités constituent la majorité des seniors qui n'occupent ni ne recherchent un emploi, la part des personnes inactives qui ne sont pas à la retraite croît jusqu'à l'âge légal de la retraite. Ainsi près d'une personne non-retraitée de 61 ans sur quatre est en situation d'inactivité.

Source : Commission des affaires sociales d'après Dares

Selon une note du Conseil d'analyse économique de 2016 34 ( * ) , la baisse de 17 points du taux d'emploi entre 55 et 59 ans (de 77 % à 60 %) s'explique à hauteur de 7,2 points par les départs en retraite anticipés et de 1,1 point par les régimes résiduels de pré-retraites.

En dehors de ces sorties du marché du travail choisies, ou du moins permises par les règles en vigueur, l'invalidité expliquait 2 points de baisse du taux d'emploi et l'augmentation du nombre d'allocataires de l'assurance chômage 2,2 points.

Le solde, soit 4,5 points, est qualifié par le rapport du Conseil économique social et environnemental sur l'emploi des seniors 35 ( * ) de « boîte noire » et correspondrait en partie à une inactivité choisie, notamment dans le cadre des pré-retraites d'entreprises qui existent encore et en partie à une inactivité subie.

Eurostat recense les principales raisons évoquées par les personnes inactives ne recherchant pas d'emploi. Près d'un cinquièmes d'entre elles (18,8 %) évoquent comme raison principale la maladie ou l'incapacité de travailler.

Source : Commission des affaires sociales d'après Eurostat

Le halo du chômage correspond aux personnes désirant travailler mais qui n'entrent pas dans la définition du chômage au sens de l'Organisation internationale du travail (OIT), soit parce qu'elles ne sont pas disponibles sous deux semaines soit parce qu'elles ne recherchent pas activement un emploi. Selon la Dares, 2,6 % des 55-64 ans faisaient partie du halo du chômage en 2018.

Ce chiffre est cohérent avec les donnes d'Eurostat évoquées plus haut, qui font apparaître que 3,7 % des inactifs de 55 à 64 ans ne cherchent pas de travail parce qu'ils ne pensent pas être en mesure d'en trouver.

4. Des comparaisons européennes défavorables à la France, surtout pour la catégorie 60-64 ans
a) Un taux d'activité relativement faible en France, notamment en raison du nombre de retraités

Les catégories les plus âgées affichent des taux d'activité et d'emploi plus faibles dans l'ensemble des pays européens. Certains de nos voisins présentent toutefois des résultats substantiellement meilleurs.

Le taux d'activité des 55-64 ans en France (56 %) est inférieur à la moyenne de l'Union européenne (62 %). Cet écart est principalement dû à la catégorie des 60-64 ans, pour laquelle les règles du système de retraite ont un fort impact (voir infra ).

A l'inverse, le taux d'activité des 55-59 ans en France dépasse la moyenne européenne, même s'il reste nettement inférieur à celui qui est observé chez certains de nos voisins. Le taux d'activité des 55-59 ans dépasse en effet 80 % chez 9 de nos voisins et atteint même 89,3 % en Suède, soit 12 points de plus qu'en France.

Source : Commission des affaires sociales d'après Eurostat

En ce qui concerne l'écart entre le taux d'activité des seniors et celui du coeur de la population active (25-54 ans), la France (10,5 points) se situe à un niveau à peu près médian mais supérieur à la moyenne européenne (10,1 points) et, là encore, nettement éloigné de celui des pays connaissant les meilleurs résultats (moins de 5 points dans les pays nordiques ainsi qu'en Allemagne ou en Tchéquie).

Source : Commission des affaires sociales d'après Eurostat

b) Une évolution du taux d'emploi qui suit celle du taux d'activité

Des constats similaires peuvent être faits s'agissant du taux d'emploi des seniors en France. Il est aujourd'hui supérieur à la moyenne européenne pour les 55-59 ans mais nettement inférieur pour les 60-64 ans, dont une part importante est à la retraite.

Source : Commission des affaires sociales d'après Eurostat

c) Un taux de chômage élevé qui reflète la situation du marché du travail français

La France fait partie des sept pays européens connaissant un taux de chômage des 55-64 ans supérieur à 6 %. Toutefois, ce taux élevé pour les seniors doit d'une part être relativisé par les effets d'éviction vers l'inactivité, qui ne jouent pas nécessairement de la même manière dans tous les pays et d'autre part être mis en relation avec le taux de chômage global, qui est également relativement élevé en France.

Le taux de chômage élevé des seniors français, s'il peut s'expliquer par des difficultés spécifiques, est donc également le reflet de la situation du marché du travail dans notre pays.

Source : Eurostat

Lecture : Données classées par ordre décroissant de taux de chômage des 55-64 ans. Pour des raisons de lisibilité, la Grèce (15,3 %) et l'Espagne (13,8 %) ne sont pas représentées.


* 29 Santé publique France, Accidents du travail et de trajet des salariés seniors en France , avril 2018.

* 30 Claire Tissot et Jean-Claude Bastide, Hygiène et sécurité du travail, 2012/229 (INRS), Accidents du travail quelles particularités chez les seniors ? Quatrième trimestre 2012.

* 31 Plus de prévention, d'efficacité, d'équité et de maîtrise des arrêts de travail. Neuf constats, vingt propositions, rapport établi à la demande du Premier ministre par MM. Jean-Luc Bérard, Stéphane Oustric et Stéphane Seiller, janvier 2019.

* 32 Source : France stratégie, rapport sur l'emploi des seniors, p. 36, d'après Dares , Les sortants des listes de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi en 2016 .

* 33 Dares, Document d'étude n° 223, Les mouvements de main-d'oeuvre des seniors entre 2001 et 2014 : des sorties moins nombreuses et plus tardives, des embauches encore plus rares, Pierre Marioni, juillet 2018.

* 34 L'emploi des seniors : un choix à éclairer et à personnaliser, note du conseil d'analyse économique n° 32, Pierre Cahuc, Jean-Olivier Hairault, Corinne Prost, mai 2016.

* 35 Op. cit.

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