B. LE RAPPORTEUR GÉNÉRAL ALBÉRIC DE MONTGOLFIER RECOMMANDE DE TRANSFORMER RADICALEMENT L'IFI POUR EN FAIRE UN « IMPÔT SUR LA FORTUNE IMPRODUCTIVE »

Pour le rapporteur général, le retour de l'ISF n'apparaît pas souhaitable .

Dans un contexte de concurrence fiscale accrue, il s'agissait d'une singularité française problématique , dès lors qu'elle se superposait à une forte imposition des revenus du capital et des successions. Malgré la réforme, la France reste d'ailleurs le pays de l'OCDE au sein duquel le poids des impôts sur le patrimoine dans la richesse nationale est le plus élevé .

Combinant une assiette mitée avec des taux marginaux élevés au regard de l'évolution du rendement des placements sans risque, l'ISF poussait de nombreux entrepreneurs désireux de revendre leur société à s'exiler , pénalisant ainsi la croissance française.

L'annonce de sa suppression a sans surprise permis d'enrayer le flux des expatriations fiscales , qui a été divisé par deux en 2017, après avoir connu une très forte augmentation sous la précédente majorité.

Si l'ISF constitue un véritable « totem politique », sa transformation en IFI n'a finalement pesé que de façon marginale sur les inégalités, compte tenu de son faible poids à l'échelle de l'appareil redistributif . En effet, la contribution de l'ISF à la réduction des inégalités permise par ce dernier était limitée à 2 %, ainsi que cela a été précédemment appelé. À l'issue de la réforme, l'Insee estime que sa transformation en IFI a conduit à augmenter de 0,002 point l'indice de Gini 240 ( * ) , qui s'élève en France à 0,29, ce qui représente une hausse de 0,7 % environ.

Surtout, l'effet réel de la réforme sur les inégalités dépendra in fine de ses « effets de retour » par la macroéconomie . En effet, comme cela a pu être démontré dans de précédents rapports, la croissance constitue la seule véritable source de pouvoir d'achat à long terme 241 ( * ) .

De ce point de vue, si la suppression de l'ISF a déjà permis d'enrayer les expatriations fiscales, dont il a été démontré que les conséquences pour la croissance peuvent être particulièrement néfastes 242 ( * ) , la mise en place de l'IFI risque de se révéler décevante, au risque de miner l'acceptabilité sociale de la réforme.

En effet, l'assiette de l'impôt sur la fortune immobilière, composée des actifs immobiliers non affectés à l'activité professionnelle de leur propriétaire, apparaît incohérente économiquement .

D'une part, la « pierre-papier » et l'investissement locatif sont inclus dans le périmètre de l'IFI , alors même qu'il s'agit indéniablement de placements productifs qui contribuent au dynamisme de l'économie française, tout en répondant aux besoins des ménages et des entreprises. De ce point de vue, il est faux de considérer l'immobilier comme une « rente » 243 ( * ) .

D'autre part, l'IFI exclut de son assiette des actifs qui ne contribuent manifestement pas à l'« économie réelle » . En effet, le choix de circonscrire le périmètre du nouvel impôt aux seuls actifs immobiliers conduit à exonérer des éléments du patrimoine tels que les liquidités et des biens de consommation, qui représentaient une part substantielle de l'assiette de l'ISF et pouvaient difficilement être qualifiés de « productifs ».

Paradoxalement, une stratégie indubitablement « anti-économique », consistant à vendre un appartement aujourd'hui loué à titre non professionnel pour laisser le produit de la vente sur son compte courant ou acheter un yatch permet d'échapper à l'IFI. Le « malaise » suscité par l'assiette du nouvel impôt au sein même de la majorité présidentielle avait d'ailleurs conduit les députés à prendre dans la précipitation certaines mesures de rendement, dont le présent rapport a confirmé le caractère symbolique.

Aussi, l'impôt sur la fortune immobilière pourrait être remplacé par un impôt sur la fortune improductive, afin de renforcer la contribution de la suppression de l'ISF au financement de l'économie . Une telle transformation de l'IFI rejoint d'ailleurs l'intention initialement affichée par Emmanuel Macron dans le cadre de la campagne présidentielle 244 ( * ) .

Contrairement à l'impôt sur la fortune immobilière, qui constitue un « impôt de rendement » 245 ( * ) au sens de la jurisprudence constitutionnelle 246 ( * ) , l'impôt sur la fortune improductive constituerait une disposition fiscale incitative. Cela impliquerait que le Conseil constitutionnel vérifie si le critère retenu pour en déterminer l'assiette est « suffisamment large pour avoir l'effet que le législateur veut promouvoir » 247 ( * ) .

Dès lors, pourraient être inclus dans l'assiette de cet impôt :

- les résidences principales et secondaires , ainsi que les logements laissés vacants ;

- les immeubles non bâtis (ex : terrains constructibles), lorsqu'ils ne sont pas affectés à une activité économique ;

- les liquidités et placements financiers assimilés (compte courant, livrets, fonds monétaires, etc .) ;

- les biens meubles corporels (objets précieux, voitures, yachts , avions, meubles meublants, etc .) ;

- les droits de la propriétaire littéraire, artistique et industrielle , lorsque le redevable n'en est ni l'auteur, ni l'inventeur.

Avec cette assiette, les incitations économiques seraient conformes à l'objectif d'encourager l'investissement productif . À titre d'exemple :

- un contribuable qui déciderait d'investir dans une PME serait mieux traité fiscalement qu'un redevable qui choisirait de placer son épargne sur un livret ou un fonds monétaire, ce qui n'est pas le cas avec l'IFI ;

- un particulier qui déciderait de mobiliser un terrain constructible pour réaliser un investissement locatif serait exonéré d'impôt au titre du logement mis en location, ce qui n'est pas le cas avec l'IFI.

Par rapport à l'IFI actuel, le seuil d'assujettissement serait relevé , afin de ne pas imposer les ménages disposant de revenus qui les rattachent à la classe moyenne supérieure.

Les enjeux économiques d'une telle réforme sont loin d'être négligeables : à titre d'illustration, les liquidités représentaient 12 % du patrimoine taxable des redevables de l'ISF 2017 déposant une déclaration, soit 75 milliards d'euros susceptibles de « ruisseler » vers les entreprises (voir tableau ci-après).

Décomposition de l'assiette taxable des redevables à l'ISF dont le patrimoine net taxable excède 2,57 millions d'euros

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Montant

% de l'actif brut

Résidence principale

51,5

8,5

Autres immeubles

122,1

20,1

Bois, forêts et parts de groupements forestiers

0,6

0,1

Biens ruraux loués à long terme

0,1

0,0

Biens ruraux loués à long terme hors limite

0,6

0,1

Parts de groupements fonciers agricoles et de groupements agricoles fonciers

0,0

0,0

Parts de groupements fonciers agricoles et de groupements agricoles fonciers hors limite

0,3

0,1

Autres biens

3,5

0,6

Parts ou actions détenues par les salariés et mandataires sociaux

6,1

1,0

Parts ou actions de sociétés avec engagement de conservation de 6 ans minimum

9,7

1,6

Droits sociaux de sociétés dans lesquelles le redevable exerce une fonction ou une activité

28,2

4,6

Autres valeurs mobilières

167,4

27,5

Liquidités

74,8

12,3

Autres biens meubles

143,8

23,6

...dont : contrats d'assurance vie

85,7

14,1

Forfait mobilier

0,3

0,0

Total de l'actif brut

609,1

-

Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses transmises par le Gouvernement)


* 240 Contribution de l'Insee au premier rapport du comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital, annexe 11, p. 301.

* 241 Voir sur ce point le rapport général n° 147 (2018-2019) d'Albéric de Montgolfier (tome 1), fait au nom de la commission des finances et déposé le 22 novembre 2018, pp. 42-53.

* 242 Coe-Rexecode, « Les conséquences économiques des expatriations dues aux écarts de fiscalité entre la France et les autres pays », document de travail n° 63, juillet 2017.

* 243 Pour une analyse détaillée, le lecteur est invité à se reporter à : « La "rente immobilière" : mythe et réalités », rapport d'information n° 75 (2017-2018) d'Albéric de Montgolfier, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances et déposé le 8 novembre 2017.

* 244 Ainsi que cela a été précédemment rappelé, le programme présidentiel d'Emmanuel Macron indiquait que « l'allègement d'impôt sera d'autant plus fort que le foyer investit une part importante de son patrimoine dans le capital productif des entreprises » et le candidat avait déclaré vouloir exonérer du nouvel impôt « tout ce qui finance l'économie réelle ».

* 245 Observations du Gouvernement préalables à la décision n° 2017-758 DC du 28 décembre 2017.

* 246 Conseil constitutionnel, décision n° 2017-758 DC du 28 décembre 2017, cons. 41.

* 247 Commentaire de la décision précitée, p. 18.

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