B. GARANTIR SUR LE LONG TERME LE FINANCEMENT DES INVESTISSEMENTS

Jusqu'à présent, les ressources perçues par la SNSM lui ont permis, au prix d'une charge excessive pesant sur les stations de sauvetage, de remplir sa mission avec succès et de lancer des programmes de formation des bénévoles et de renouvellement d'une partie de la flotte d'intervention.

Toutefois, les investissements réalisés restent à un niveau relativement modeste que l'on peut qualifier d' « amorçage », et inférieur aux besoins estimés par la SNSM.

L'accélération prévue du rythme des investissements pour les années à venir est conditionnée :

- par une augmentation des ressources qui n'est pas assurée à ce stade ;

- mais aussi par une amélioration de leur stabilité car la variabilité des dons, et plus encore des legs, introduit un aléa excessif face à des flux de décaissements programmés de façon quasi certaine.

Les efforts consentis sur la période récente par une partie des financeurs (subvention de l'État, des collectivités territoriales, dons et legs du public) ne suffisent pas à eux seuls, ce qui implique un nouvel effort additionnel et coordonné, à long terme.

La nécessité d'investir fait consensus en raison de l'obsolescence croissante de la flotte d'intervention actuellement en service, et de la nécessité de poursuite de la démarche de qualification des bénévoles (formation, cadre d'intervention...). La recherche de la meilleure adéquation entre le plan d'investissement prévisionnel et les ressources financières disponibles n'en demeure pas moins un enjeu pour les années à venir.

1. La programmation technique du renouvellement de la flotte doit s'accompagner d'une programmation financière

Les développements consacrés dans le présent rapport à la formation des sauveteurs et à la modernisation de la flotte, qui sont les deux principaux piliers de la pérennisation de notre modèle français de sauvetage en mer, ont un point commun : la SNSM a élaboré et enclenché, dans chacun de ces domaines, des plans stratégiques tout en reconnaissant que leur bouclage financier n'est pas assuré.

S'agissant du renouvellement de la flotte, le besoin total est évalué à 140 navires dans les dix ans. La moitié pourrait être couverte par le contrat conclu le 17 octobre 2019 entre la SNSM et l'entreprise Couach pour en produire 70, avec une commande ferme de 35 navires dans les cinq ans, et une possibilité de « doubler la mise » par la suite.

À condition que les navires issus de cette première commande donnent pleine satisfaction aux équipages des stations, la mission encourage vivement l'État à prendre le relai financier de cette opération , à hauteur de 25 millions d'euros pour la seconde tranche facultative du contrat en cours dans les dix ans qui viennent. Sur la base des tarifs proposés dans ce premier contrat, 50 millions d'euros supplémentaires sont également nécessaires pour conduire à son terme le renouvellement de la flotte, selon des modalités encore à définir .

Un tel investissement, d'ampleur exceptionnelle, serait particulièrement opportun pour le sauvetage en mer et aussi pour nos finances publiques :

- d'une part, on peut imaginer que l'État puisse conserver la propriété de la flotte qu'il finance, augmentant ainsi les actifs de la Nation, tout en les mettant à la disposition de la SNSM ;

- et, d'autre part, on ne peut que souligner l'importance des « dividendes » d'un tel placement ; en versant pendant 10 ans 7,5 millions d'euros chaque année pour renouveler la flotte, l'État consoliderait l'apport des bénévoles, qui correspond à une économie de dépenses de 44 millions d'euros par an.

2. L'État doit prendre toute sa part afin d'alléger la charge pesant sur les stations

Pour justifier le maintien de son soutien financier à un faible niveau, l'État met en avant l'argument selon lequel les conventions internationales demeurent le socle de la sauvegarde de la vie en mer et que ces accords, d'une valeur juridique supérieure à celle de la loi, mettent au premier plan la solidarité des gens de mer avec l'intervention du navire le plus proche.

• La mission d'information rappelle cependant que la convention internationale de Londres du 28 avril 1989 sur l'assistance en mer, qui modernise la convention de Bruxelles de 1910 :

- confirme la gratuité du secours aux personnes en mer ainsi que la possibilité de rémunérer l'assistance aux biens ;

- mais souligne l'obligation pour les États d'avoir un dispositif de recherche et de sauvetage des personnes en détresse en mer .

Juridiquement, on voit donc mal comment l'État pourrait se désintéresser du financement du renouvellement de la flotte de sauvetage en mer tout en respectant ses obligations conventionnelles. C'est également sur l'État que pèse le risque d'explosion des dépenses de sauvetage qui résulterait d'un affaiblissement ou d'une extinction du bénévolat, c'est-à-dire du « moteur » de notre système.

• Sur le terrain, la mission a constaté que pour écarter le risque de découragement du bénévolat, il est absolument nécessaire de faciliter la vie des sauveteurs bénévoles en adoptant un certain nombre de mesures concrètes, tout en consolidant la trajectoire financière du renouvellement d'une flotte vieillissante.

Elle conclut, sur la base des réunions de terrain avec l'ensemble des acteurs du sauvetage en mer, que l'État doit prendre toute sa part dans ce processus. En effet, le bon sens économique, social et financier consisterait à :

- garantir l'investissement dans les navires, dont la durée de vie avoisine 30 ans, par des ressources stables d'État, car le renouvellement de la flotte ne peut pas raisonnablement rester soumis aux aléas et à la forte variabilité des dons ;

- et permettre aux autres contributeurs, la plupart du temps proches du terrain, de se concentrer sur les dépenses de fonctionnement et les besoins recensés par les stations.

• L'État, en prenant ainsi une plus grande part dans l'équipement des stations, permettrait à celles-ci de consacrer plus de moyens à l'amélioration de leur fonctionnement et des conditions de vie des bénévoles :

- avec les dons qu'elles collectent ;

- et les subventions que les collectivités territoriales souhaitent leur allouer.

La mission d'information estime en effet urgent de faire diminuer la « pression » qui pèse lourdement sur les stations locales en les exonérant :

- du financement systématique de l'investissement qu'elles assurent aujourd'hui à hauteur de 25 % grâce à un effort considérable de collecte des dons tout en minimisant autant que possible leurs frais de fonctionnement ;

- et du gros entretien des navires, qui absorbe souvent plusieurs dizaines de milliers d'euros, alors même que les stations peinent à s'alimenter en carburant pour assurer les sorties en mer.

Dans un tel schéma, à supposer que l'État conserve la propriété des navires qu'il finance, tout en les mettant à la disposition de la SNSM, solution que ne préconise pas la mission d'information, il augmenterait la valeur de ses actifs et pourrait mesurer aisément les retombées positives de cet investissement, qui génère des recettes pour la SNSM, sous forme d'interventions rémunérées, et surtout de considérables économies de dépenses en préservant le bénévolat des sauveteurs en mer.

3. L'ensemble des usagers de la mer doit participer au financement du sauvetage en mer
a) L'affectation de taxes existantes à la SNSM

• Depuis plusieurs dizaines d'années, l'État semble avoir fondé sa politique de restriction budgétaire à l'égard de la SNSM sur une certaine surestimation des gisements de générosité du public.

Une telle approche comporte une dimension paradoxale car, selon les études conduites dans différents pays, l'élan donateur du public semble très influencé par le niveau de pression fiscale, le pouvoir d'achat et aussi par la conception de l'« État-Providence ». Or, pendant bien des années, tout en regrettant le faible niveau de la générosité du public, l'État en a quelque peu sapé les ressorts profonds en portant la fiscalité à un niveau difficilement acceptable pour la société française, en réduisant le pouvoir d'achat des classes moyennes et en entretenant un peu trop le réflexe de s'en remettre à la puissance publique, ce qui explique qu'un nombre important d'usagers de la mer pensent encore à tort que les sauveteurs bénévoles sont rémunérés.

• Dans un tel contexte, la mission d'information n'a pas souhaité proposer la création d'une nouvelle taxe.

Elle ne reprend donc pas à son compte l'idée de la création d'une « contribution-sauvetage » applicable aux plaisanciers et aux usagers des loisirs nautiques. Une telle initiative a été suggérée en 2016 par notre collègue députée Chantal Guittet dans son rapport au Premier ministre sur la pérennisation du modèle de la SNSM.

Elle écarte également l'idée d'un paiement du service d'immatriculation des navires de plaisance, jusqu'ici effectué gratuitement pour les petits navires non soumis au droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) et qui représentent 60 % des immatriculations. La facturation de ce service serait susceptible de rapporter, selon Chantal Guittet, environ 2 millions d'euros par an.

Plusieurs pistes sont en revanche envisageables :

- la mise à l'étude d'un prélèvement par les ports de plaisance sur les contrats d'amarrage à flot, sur les places à sec ou sur les amarrages en mouillage organisés au profit de la SNSM ;

- la création d'une contribution volontaire à l'achat de navires neufs et d'engins et matériels nautiques (paddle, kitesurf, kayak de mer, planche à voile, équipement de plongée, etc .), dont le montant serait progressif en fonction du coût de l'équipement.

Ainsi que le soulignait devant la mission M. Serge Pallares, Président de la Fédération des ports de plaisance, « une telle contribution ne serait pas indécente : elle pourrait conduire, par exemple, à ajouter 100 euros pour la SNSM au prix d'un bateau à 200 000 euros, 30 euros au prix d'une planche à voile à 4 000 euros ou au prix du matériel de plongée, qui est parfois élevé. Sur de telles sommes, ces participations minimes ne me choqueraient pas et elles ont leur place, à mon sens, dans la réflexion que nous devons mener .»;

• Cependant, la mission estime qu'au regard de la situation qui prévaut dans d'autres pays européens, la SNSM ne parait pas, en dépit des progrès enregistrés depuis trois ans, suffisamment aidée par nos concitoyens et, en particulier par ses bénéficiaires, c'est-à-dire par l'ensemble de ceux qui prennent leurs vacances sur le littoral. Peu d'entre eux, par exemple, lorsqu'ils passent leur permis de conduire maritime ou achètent un bateau, ont le réflexe d'aider la SNSM par un don.

Pour améliorer la stabilité du financement du sauvetage en mer, et en dehors de la création d'une taxe nouvelle, plusieurs prélèvements existants pourraient voir une partie de leur produit être affecté à la SNSM.

- C'est par exemple le cas de la fiscalité des permis plaisance qui rapporte chaque année 10 millions d'euros à l'État sous forme de timbres fiscaux.

- Une part des redevances de l'État sur l'occupation du domaine public maritime pourrait également être affectée à la SNSM, comme celle sur les mouillages, qui lui rapporte chaque année 3,3 millions d'euros.

- Enfin, la mission note que même si le sujet avait été évoqué lors du vote de la loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l'économie bleue, la taxe sur les jeux à bord des navires à passagers, dont une partie du produit était supposé revenir à la SNSM, n'a pour l'heure pas été mise en place.

b) Le développement du recours à l'assurance

La mission d'information s'est également interrogée sur la faible couverture assurantielle du secteur de la plaisance et des loisirs nautiques. Il convient de rappeler qu'il n'existe pas, dans le droit en vigueur, d'obligation légale d'assurance pour la navigation de plaisance, et, comme l'a indiqué la Fédération française des sociétés d'assurances, 90%des plaisanciers ne sont pas assurés.

La non assurance constitue un risque s'agissant du remboursement des frais exposés lors des interventions de la SNSM, les personnes en cause n'ayant parfois pas les moyens financiers d'y faire face. En outre, comme elles ne disposent pas de moyens légaux de contrainte, les stations ont peu de prise sur les mauvais payeurs. L'exemple a été donné à la mission de deux propriétaires de kayaks venus les récupérer dans une station après leur remorquage et refusant de payer la somme de 150 euros.

La responsabilité de la situation est également celle de certains assureurs qui écartent de leurs contrats d'assurance des navires, par des clauses que les assurés ne prennent pas la peine de consulter en détail, la prise en charge du remorquage ou des pannes d'essence ou des incidents intervenus à moins de six milles des côtes. Il a été signalé aussi à la mission que certaines compagnies d'assurances avaient pour habitude d'adresser le remboursement des frais de remorquage non pas à la station mais à la personne remorquée.

La mission est donc favorable à la mise en place de deux mesures dans le domaine de l'assurance des navires et des engins nautiques :

• le principe d'une assurance remorquage obligatoire qui devra figurer dans tous les contrats d'assurance des navires, en écartant les clauses restrictives qui excluent de la garantie la bande côtière où l'accidentologie est la plus élevée ;

• l'insertion dans tous les contrats responsabilité civile d'une option explicite proposée aux assurés pour couvrir les dommages causés par les navires et engins nautiques.

La mission souhaite également que soit mise à l'étude la généralisation à tous les navires et engins de plage d'une assurance obligatoire.

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