Rapport d'information n° 89 (2019-2020) de MM. Daniel GREMILLET , Michel RAISON et Mme Anne-Catherine LOISIER , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 30 octobre 2019

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N° 89

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 octobre 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) dressant un bilan
du titre  I er de la
loi Egalim un an après sa promulgation ,

Par MM. Daniel GREMILLET, Michel RAISON et Mme Anne-Catherine LOISIER,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Agnès Constant, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi  Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, M. Jean-Claude Tissot .

AVANT-PROPOS

Au lendemain de la promulgation de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi Egalim », la commission des affaires économiques du Sénat s'est dotée d'un groupe de suivi des effets de la loi Egalim, présidé par Daniel Gremillet et dont les rapporteurs sont Michel Raison et Anne-Catherine Loisier, rapporteurs au Sénat de la loi Egalim.

L'objectif du groupe de suivi est moins de faire un énième rapport parlementaire que de réaliser une veille effective tout au long de la mise en oeuvre de la loi. Ce dispositif innovant de contrôle de l'application d'une loi témoigne d'une volonté particulière de la commission de veiller à ce que cette loi, qui a suscité tant d'espérances dans nos campagnes, atteigne bien les objectifs poursuivis. Il s'agit non seulement de vérifier que « la montagne n'accouche pas d'une souris », mais également de s'assurer sur le terrain que la loi n'ajoute pas plus de difficultés qu'elle n'en résorbe dans des filières agricoles qui n'ont pas besoin qu'on alourdisse leurs contraintes.

Le groupe sénatorial assure donc un suivi de la mise en oeuvre de la loi d'un point de vue juridique, notamment en veillant au respect du calendrier de publication des textes d'application, et d'un point de vue économique, en mesurant ses effets sur l'ensemble des acteurs, les citoyens, les consommateurs, les distributeurs, les industriels mais aussi et surtout, les agriculteurs.

Son travail a porté, dans un premier temps, en priorité sur le titre Ier de la loi, à savoir celui portant sur les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, dans la mesure où l'applicabilité de ce dernier était presque directe. Le groupe de suivi mesurera, à compter de 2020, les effets du titre II de la loi. Ce travail est indispensable afin d'évaluer les charges supplémentaires que l'ensemble des articles votés représentera pour nos agriculteurs.

En moins d'un an, le groupe de suivi a organisé différents types de travaux.

Il a sollicité l'organisation de quatre réunions de commissions plénières : trois réunions pour que les producteurs, industriels et distributeurs puissent rendre compte de leur appréciation de la loi Egalim en janvier et février dernier, et une table ronde réunissant tous les acteurs en juin.

La commission a également reçu la ministre Agnès Pannier-Runacher afin qu'elle présente les résultats des négociations commerciales 2019.

Le groupe de suivi a également mené en parallèle plus de 20 auditions, tant d'acteurs institutionnels que d'entreprises individuelles, dont l'identité demeure secrète pour des raisons évidentes de secret commercial, afin de disposer des avis les plus proches du terrain.

Ce rapport vise à synthétiser l'ensemble des informations recueillies durant cette année.

Le point de départ du groupe de suivi a été le constat que, dans les campagnes, ce texte a suscité une vague d'espérance, la loi proposée incarnant une sorte de remède à l'ensemble des maux dont souffre l'agriculture française.

Est-il besoin de les rappeler ?

L'agriculture et l'alimentation représentaient près de 12 % de l'emploi total en 1980 contre 5,5 % aujourd'hui.

Depuis 1988, le nombre d'exploitations a reculé d'environ 1,1 million à un peu plus de 400 000 1 ( * ) . Mais ce mouvement s'explique bien au-delà de la concentration des activités. La surface agricole dédiée à l'agriculture a chuté en France de - 17 % depuis 1961, soit près de - 60 000 km², c'est-à-dire l'équivalent de la région Grand-Est.

Après avoir fortement progressé entre 1960 et 2000, la production agricole française stagne depuis la fin des années 1990, et recule dans certains secteurs, notamment en viandes bovines. Les rendements plafonnent en grande culture et on assiste à une décapitalisation du cheptel bovin.

L'excédent commercial français a ainsi été divisé par deux depuis 2011, la France accusant même un déficit commercial avec ses voisins européens. Les produits alimentaires importés représentent une part croissante et significative de ce qui se trouve dans les assiettes de nos consommateurs. Comment ne pas regretter qu'un fruit et légume sur deux consommés en France est aujourd'hui importé ?

Cette situation est très préoccupante. Les agriculteurs ploient sous les charges et sous les normes alors que leurs concurrents internationaux en sont exonérés.

Cet état de l'agriculture a été résumé dans un récent rapport d'information sénatorial 2 ( * ) . Il faut toujours garder en mémoire ces éléments pour comprendre le désarroi du monde agricole.

Pour répondre aux attentes des agriculteurs, l'urgence est de faire du revenu agricole une grande cause nationale.

En effet, comment peut-on, au XXI e siècle, assurer le renouvellement des générations en agriculture quand la promesse de revenus à venir est insuffisante ? C'est, en effet, un défi immense pour la France qui va voir un tiers de ses exploitants partir à la retraite avant 2030.

Force est de constater qu'une exploitation de 200 hectares en grande culture ne suffit plus à elle seule à fournir un revenu suffisant, en procurant au chef d'exploitation un revenu moyen aux alentours de 400 euros par mois dans certains départements. Les chiffres de la mutualité sociale agricole le rappellent chaque année : un tiers des agriculteurs touchent moins de 350 euros par mois.

Pour répondre à l'ensemble de ces maux, une seule loi travaillant sur les relations commerciales entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs ne suffira pas. De ce point de vue, la loi Egalim ne pourra répondre à elle-seule à cet enjeu majeur. Et c'est là le grand malentendu issu de cette loi. Car elle ne vise, en effet, qu'une petite partie de ce qui constitue le revenu des exploitants.

Selon l'Observatoire de la formation des prix et des marges, les recettes d'un agriculteur aujourd'hui sont composées à 36 % de la consommation alimentaire, à 27 % des subventions publiques, notamment par le biais de la politique agricole commune (PAC), et à 30 % de l'export.

Déduction faite de la part de la restauration collective dans le budget alimentation des ménages français 3 ( * ) , et considérant que la grande distribution représente près de 70% des ventes directes de produits alimentaires 4 ( * ) , le titre Ier de la loi Egalim entend agir, au mieux, sur moins d'un cinquième des recettes des agriculteurs.

Il faut ajouter qu'à court terme la loi vise plus particulièrement les filières où la contractualisation est récurrente, à savoir principalement la filière laitière .

Comment pourrait-elle dès lors apparaître comme la solution naturelle au problème plus global du revenu agricole en n'agissant que sur une partie aussi infime de ce qui le constitue ? L'affirmer, c'est mentir aux agriculteurs et susciter des espoirs qui seront nécessairement déçus.

Là est sûrement la source du malentendu autour de cette loi qui nourrit, encore aujourd'hui, un sentiment d'abandon du monde paysan lequel se manifeste par le désarroi croissant des agriculteurs et, avec une fréquence accrue, dans des mouvements de contestation partout en France.

Le plus inquiétant est qu'en parallèle, les autres instruments disponibles pour agir de façon certaine et automatique sur les revenus agricoles sont abandonnés par le Gouvernement.

Le budget de la politique agricole commune risque d'être amputé de 15 % en euros constants sur la prochaine programmation, sans que la France n'ait pu infléchir le mouvement depuis deux ans. En coulisses, d'autres pays membres aux intérêts différents profitent de ce silence des autorités gouvernementales françaises pour imposer à nos agriculteurs une cure d'austérité.

La France perd, en outre, des parts de marché sur les marchés internationaux, réduisant ainsi l'effet des exportations dans les comptes de résultat des exploitations agricoles. Notre pays est désormais la troisième puissance agricole européenne sur les marchés internationaux, derrière l'Allemagne et les Pays-Bas.

Surtout, la loi Egalim a prétendu sauver le revenu des agriculteurs en n'agissant qu'hypothétiquement sur une petite partie de recettes, sans jamais s'interroger sur les charges subies par les exploitants. Au contraire, cette même loi a sans doute considérablement alourdi les coûts d'exploitation dans son titre II.

Le groupe de suivi souligne que les débats autour de la loi se focalisent uniquement sur la hausse des tarifs accordés par la grande distribution aux industriels, sans jamais s'interroger sur les modifications des cahiers des charges qu'elle exige en contrepartie.

Seule une action concertée pour augmenter l'ensemble des sources des recettes des agriculteurs tout en diminuant leurs charges, c'est-à-dire, finalement, une politique visant à s'occuper des deux colonnes des comptes de résultat de nos agriculteurs, est de nature à avoir des résultats.

Ainsi, même si la loi Egalim avait des effets positifs pour quelques filières, ce qu'il faut ardemment souhaiter, il faut garder en mémoire que les montants de quelques revalorisations en grandes surfaces ne vont pas résoudre le problème plus global du revenu agricole en France.

Cela étant dit, le groupe de travail a souhaité étudier les effets de cette loi sur l'ensemble de la chaîne alimentaire, de souligner ce qui fonctionne et a des résultats positifs pour nos agriculteurs et de repérer les effets pervers qu'elle pourrait avoir afin, au besoin, de proposer des ajustements.

C'est cette démarche constructive pour consolider le titre Ier d'une loi qui avait presque fait consensus sur le mécanisme qu'elle entendait mettre en place qu'a voulu suivre le groupe de suivi tout au long de son travail.

En résumé, analyser à froid et à moyen terme les effets de la loi afin de tout mettre en oeuvre pour qu'elle soit une réussite, au besoin en modifiant son contenu.

I. UNE AUGMENTATION DES PRIX POUR LE CONSOMMATEUR QUI NE SE RETROUVE PAS DANS LES REVENUS DES AGRICULTEURS

A. LA LOI EGALIM : APRÈS LA CASCADE, LE RUISSELLEMENT

L'encadrement des promotions et le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) pour les denrées alimentaires destinées à la revente en l'état aux consommateurs sont deux des engagements phares des États généraux de l'alimentation destinés à redonner une marge de rémunération suffisante aux producteurs.

Ces deux mesures entendent à la fois éviter que les produits alimentaires ne soient bradés dans le cadre de campagnes promotionnelles agressives, dans le but de leur redonner une valeur aux yeux des consommateurs, et augmenter la marge financière lors de la revente de certains produits par le distributeur, afin qu'elle permette à ce dernier de mieux rétribuer son fournisseur par péréquation des marges.

La grande distribution vend un produit à son prix d'achat effectif, à savoir ce qu'on appelle le « seuil de revente à perte » en deçà duquel elle ne peut aller, afin d'en faire un produit d'appel sur lequel elle accepte de perdre de l'argent compte tenu de ses frais fixes mais qui lui permet de proposer au consommateur d'autres produits plus margés.

Prise sur le fondement de l'article 15 de la loi Egalim, l'ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires a, par son article 2, affecté d'un coefficient de 1,10 le prix d'achat effectif des denrées alimentaires et les produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie revendus en l'état au consommateur.

Ce relèvement du seuil de revente à perte de 10 % ne signifie pas que la grande distribution va devenir bénéficiaire nette sur ces produits unitaires. En pratique, un produit est rentable pour la grande distribution dès lors qu'il couvre à la fois le prix d'achat effectif (ou seuil de revente à perte) et les frais de mise en distribution (logistique, stockage, mise en rayon...) qui sont estimés entre 20 et 30 % du prix d'achat effectif selon les distributeurs. Le relever de 10 % ne permet donc pas de couvrir l'ensemble des coûts de ces produits phares.

L'esprit de la loi Egalim était de permettre une meilleure redistribution vers les fournisseurs et, partant, les producteurs en incitant les distributeurs à réaliser une péréquation des marges.

En appliquant un SRP majoré de 10 % sur les produits d'appel dont l'élasticité-prix est plus faible que sur d'autres produits, la grande distribution bénéficie d'un surcroît de marges sur ces produits où elle avait l'habitude d'en perdre grâce à une légère inflation imposée au consommateur. Il serait donc moins nécessaire pour elle de dégager de la marge sur d'autres produits alimentaires (MDD et produits de PME notamment). Elle pourrait donc réduire sa marge sur ces derniers afin d'augmenter le prix d'achat de ces produits à ses fournisseurs qui pourraient, in fine , augmenter le retour aux agriculteurs.

Lors des débats, cet effet de « ruissellement » attendu allait de pair avec une construction du prix en « cascade ». Les prix des contrats agricoles passés entre un fournisseur et un producteur devaient tenir compte d'indicateurs de prix de marché et de coûts de production et être indiqués dans les contrats entre un fournisseur et un distributeur.

Si le distributeur ne prend pas suffisamment en compte les indicateurs mentionnés, sa responsabilité pour « prix abusivement bas » peut être engagée. L'ordonnance n° 2019-358 du 24 avril 2019 relative à l'action en responsabilité pour prix abusivement bas, prise sur le fondement de l'article 17 de la loi Egalim, a par ailleurs systématiser la faculté pour un fournisseur de produits agricoles ou de denrées alimentaires d'engager la responsabilité de l'acheteur s'il impose un tel prix. Auparavant, cette option n'était possible que dans des « situations de crise conjoncturelle 5 ( * ) ». En outre, le juge pourra fonder son jugement sur les indicateurs de coûts de production mentionnés dans l'ensemble des contrats.

Toutefois, le mécanisme n'assure pas en lui-même une obligation de prise en compte ou de couverture des coûts de production. D'une part, la construction des formules de prix demeurent, fort heureusement, du ressort de la pleine liberté contractuelle et l'équilibre d'un contrat s'apprécie au regard de toutes ses composantes. D'autre part, le rapport de force demeurant en faveur de la grande distribution et, sur certains produits, de certaines très grandes marques, la probabilité de porter à l'appréciation du juge la construction du prix dans un contrat est très faible, notamment compte tenu des risques de représailles commerciales.

En résumé : la loi Egalim ne garantit en rien à l'agriculteur un revenu couvrant au minimum son coût de revient.

Sur cet engagement, la seule garantie de la loi Egalim, c'est de proposer de conserver l'esprit des États généraux de l'alimentation où l'ensemble des acteurs s'étaient engagés à traiter la question du revenu agricole au regard du coût de revient.

Certains auditionnés ont fait état d'un état d'esprit qui pouvait perdurer, dans une vision optimiste, dans quelques filières mais qui pourrait avoir disparu dans d'autres.

Dans une vision plus pessimiste, certaines personnes entendues par le groupe de suivi regrettent que l'état d'esprit EGA n'ait pu être qu'un voile dissimulant la réelle ambition du mécanisme proposé dans la loi : donner de l'air à une grande distribution confrontée à une déconsommation tendancielle et résoudre des tensions concurrentielles entre grands distributeurs. Dans cette hypothèse, la question de la couverture du coût de revient de l'agriculteur apparaît lointaine.

Synthèse du mécanisme de péréquation selon le Gouvernement

Source : Autorité de la concurrence

Le seuil de revente à perte (SRP)

Depuis l'article 1 er de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 de finances pour l'année 1963, la revente à perte est interdite en France. Un commerçant ne peut donc pas revendre ou annoncer la revente d'un produit à un prix inférieur à son prix d'achat effectif.

Cette mesure est au coeur de la protection des petits commerces face aux pratiques concurrentielles des grandes surfaces en contraignant leur faculté à recourir à des prix d'appel très bas sur certains produits pour faire entrer la clientèle dans leur magasin, ce qu'un petit commerçant ne peut se permettre de faire. Elle contribue aussi à protéger les producteurs dans la mesure où chaque distributeur exerce une pression à la baisse sur les prix payés à son fournisseur afin qu'il puisse aligner ses prix de vente sur ceux du distributeur vendant à perte.

Le prix d'achat effectif constituant le seuil de revente à perte (SRP) en deçà duquel le commerçant n'est pas autorisé à fixer un prix de vente au consommateur, sa définition a fait l'objet de nombreuses discussions pour éviter toutes manoeuvres de contournement des grandes surfaces.

Le seuil de revente à perte (SRP) est aujourd'hui défini à l'article L. 442-5 du code de commerce comme le prix unitaire net figurant sur la facture d'achat minoré du montant des autres avantages financiers consentis par le vendeurs et majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport.

Les « avantages financiers consentis par les vendeurs » correspondent aux « marges arrières », à savoir un système de remises différées versées par le fournisseur au distributeur pour services rendus ou pour de la coopération commerciale.

La loi n° 96-588 du 1 er juillet 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, dite loi « Galland », avait exclu les rabais, remises, ristournes et autres avantages financiers de la définition du SRP. Cette interdiction avait eu un double effet sur les marges des distributeurs, dans la mesure où elle empêchait les prix de baisser tout en offrant aux distributeurs la possibilité de bénéficier de marges arrière. Dans le sillage de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, dite « Dutreil », qui donnait la possibilité aux distributeurs d'intégrer dans le seuil de revente à perte une partie des « marges arrières », la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite loi « Chatel », a intégré l'intégralité des « autres avantages financiers consentis par le vendeur » au SRP.

L'article L. 442-5 (ancien L. 442-2) du code de commerce sanctionne le fait pour tout commerçant de revendre un produit à un prix inférieur au seuil de revente à perte tel que défini à ce même article d'une amende de 75 000 euros, voire à la moitié du montant de l'annonce publicitaire ayant servi de support à la communication d'un prix de vente inférieur au prix d'achat effectif.

Une personne morale méconnaissant cet article encourt les sanctions prévues à l'article 131-39 du code pénal, notamment la dissolution et la fermeture définitive des établissements concernés.

L'article L. 442-5 du code de commerce mentionne toutefois sept exceptions :

- les ventes motivées par la cessation ou le changement d'une activité commerciale ;

- les produits saisonniers pendant la période terminale de la saison des ventes et dans l'intervalle compris entre deux saisons de vente ;

- les produits qui sont obsolètes techniquement ou démodés ;

- les produits, aux caractéristiques identiques, dont le réapprovisionnement s'est effectué à un prix plus bas ;

- les produits alimentaires si dans une même zone d'activité un autre commerçant pratique des prix plus bas légalement ;

- les produits dont la date de péremption expire prochainement ;

- les produits soldés.

Une autre exception existe pour les grossistes qui distribuent des produits à des professionnels indépendants puisqu'ils se voient appliquer un coefficient particulier de 0,9 au seuil de revente à perte normalement défini.

B. L'EFFET DU SEUIL DE REVENTE À PERTE EST LÉGÈREMENT INFLATIONNISTE À CE STADE POUR LE CONSOMMATEUR

De 2013 à 2018, la déflation des plus grandes marques a atteint
- 15 % en cumulé selon l'institut Nielsen 6 ( * ) . La déflation qui concernait surtout les produits de grandes marques tiraient ainsi la baisse globale des prix des produits alimentaires.

Compte tenu de la revalorisation du SRP et de l'encadrement des promotions, 2019 marque le retour à l'inflation sur les produits vendus en grande surface en renchérissant particulièrement les prix des grandes marques ainsi que ceux des produits « premiers prix » sous marques de distributeurs.

L'évolution des prix par type de marque depuis 2007

Source : IRI, IRI Vision le prix, septembre 2019

Les panelistes traduisent une même tendance même si leurs chiffres diffèrent.

L'institut Nielsen estime que « l'inflation des produits de grande consommation, des rayons alimentaire, hygiène-beauté et entretien, a été globalement contenue à 0,3 %. Les produits frais, eux, ont augmenté de 1,2 %. 7 ( * ) »

Pour l'IRI, en septembre, l'inflation moyenne mensuelle en 2019 serait de + 0,83 % tous produits. Elle serait plus marquée sur un panel « produits EGA » qui serait de + 1,14 % 8 ( * ) .

Si tous les types de marques affichent une hausse des prix en 2019, ce sont avant tout ces marques majeures qui sont concernées compte tenu de la hausse du SRP. Des références peuvent ainsi avoir vu leur prix augmenter d'environ 10 % depuis février.

Parmi elles, les alcools sont particulièrement concernés. L'IRI évalue par exemple l'inflation à + 6,8 % apéritifs anisés et à + 5,2 % pour les whiskies 9 ( * ) alors que Nielsen évalue cette inflation à + 4 % 10 ( * ) . Certaines bouteilles de marques très identifiées par le consommateur connaissent des hausses de prix entre 8,5 et 9 %.

Le calcul du SRP pour les produits spiritueux :
les droits d'accises sont-ils considérés comme des taxes afférentes à la vente ?

Sur ces produits spiritueux fortement taxés (70 % en moyenne du prix dont 40 % d'accises et 20 % de TVA), une question se pose sur l'intégration des droits d'accises dans la catégorie des « taxes afférentes à la vente » à inclure dans le calcul du prix d'achat effectif en-deçà duquel il est interdit de vendre au sens de l'article L. 442-5 du code de commerce.

Ce point doit impérativement être éclairé par les autorités de contrôle puisque si ce n'était pas le cas, la revalorisation du seuil de revente à perte de 10% n'aurait pas, sur une bouteille vendue autour de 20 euros, + 2 € d'effets sur certains produits alcoolisés mais plutôt un effet de l'ordre de + 1 €.

D'autres produits alimentaires sont concernés par cette inflation particulièrement marquée, notamment les produits frais à base de matières premières peu transformées comme les beurres (+ 6 % selon l'IRI) ou la purée de pommes de terre déshydratées (+ 5 % selon l'IRI) mais aussi les fruits de mer, les poissons et les produits carnés vendus en libre-service.

Cette inflation touche directement le portefeuille des ménages français qui la perçoivent directement : « 7 Français sur 10 déclarent désormais percevoir une hausse des prix dans l'alimentaire (soit huit points de plus qu'en 2018) » selon Nielsen.

Il importe de conserver à l'esprit que la question du pouvoir d'achat est une préoccupation majeure des consommateurs français, sans toutefois nier que la revalorisation du revenu des agriculteurs ne peut que passer par une contribution à tous les niveaux, y compris celui du consommateur.

En revanche, les panelistes constatent une déflation sur les produits des rayons droguerie, parfumerie et produits d'hygiène : - 6 % pour les assouplissants, - 4 % pour les brosses à dents, - 3 % pour les lessives généralistes et - 3 % pour le gel douche.

Cet effet vient compenser l'effet inflationniste sur certains produits alimentaires particulièrement concernés par la hausse du SRP.

C. DES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES TOUJOURS DIFFICILES ET EN DÉFLATION

Si le consommateur a ressenti la hausse des prix en grande surface, se retrouve-t-elle pour autant dans le revenu des agriculteurs en bout de chaîne ?

Si les prix de vente au consommateur importent, l'objectif est bien d'observer l'évolution des prix d'achat aux fournisseurs par la grande distribution et, dans un second temps, les prix d'achat des fournisseurs aux producteurs agricoles.

Or, alors que l'application de l'encadrement des promotions et du relèvement du SRP était connue depuis le début des négociations commerciales annuelles entre les industriels et les distributeurs, a été constatée la poursuite d'une déflation générale des prix d'achat aux fournisseurs en 2019 de - 0,4 % selon l'observatoire des négociations commerciales.

La secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et les services de la DGCCRF font état d'une déflation de - 0,27 % avec une revalorisation des produits commercialisés par les PME (+ 0,7 %) ainsi que des produits frais (+ 0,9 %) sur la base de 300 contrôles qui ont été menés sur l'ensemble du territoire et qui ont visé 150 PME, 115 entreprises de taille intermédiaire (ETI) et plus d'une vingtaine de très grandes entreprises - ayant plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires - et ce dans toutes les régions de métropole 11 ( * ) .

Ce chiffre diffère selon les filières. Les produits frais laitiers et les oeufs semblent avoir tiré leur épingle du jeu avec des tarifs passés en inflation pour environ + 1,4 %. Il en va de même pour les produits surgelés (+ 0,2 %), surtout dans le surgelé salé. Le reste des filières connaît la déflation : - 0,8 % pour l'épicerie salée, - 0,9 % pour l'épicerie sucrée, - 0,7 % sur les produits frais non laitiers comme la viande, la charcuterie et la saucisserie. Le rayon boissons a été touché par des tarifs accordés entre - 0,3 % et - 1,2 % par rapport à l'année précédente.

Quelques contrats emblématiques ont été signés entre les industriels laitiers et quelques grands distributeurs prévoyant une hausse des tarifs, qui ne couvrent toutefois pas encore le coût de production calculé au niveau interprofessionnel.

La logique de construction du prix semble d'ailleurs, dans cette filière, ne pas correspondre à la lettre à l'esprit des EGA, les industriels tentant d'obtenir de meilleurs tarifs auprès des distributeurs afin, dans la mesure de ce qu'ils ont obtenu, de les répercuter ensuite aux producteurs. Les prix ne semblent donc pas encore construits en totale référence avec des coûts de production. Il faut également signaler que des organisations de producteurs regrettent le manque de transparence des industriels quant à la signature de leurs contrats avec les distributeurs.

Toutefois, ces contrats laitiers ne doivent pas être l'arbre qui cache la forêt.

D'une part, ils ne concernent qu'une part minoritaire du lait produit en France comme le rappelle Dominique Chargé, président de Coop de France : « pour le secteur laitier, la part du lait valorisé dans les réseaux de la grande distribution représente environ 50 % du lait produit, dont un tiers dans les produits à marques. 12 ( * ) »

D'autre part, l'inflation constatée sur les prix d'achat aux fournisseurs de produits laitiers correspond, également, à une hausse plus globale des cours du lait constatés sur les marchés mondiaux compte tenu de cours plus favorables sur la poudre de lait et malgré des tensions à la baisse sur le cours du beurre.

Il semblerait d'après certains observateurs qu'une moitié de la hausse des tarifs accordés aux producteurs s'expliquait par l'augmentation des cours sur le marché et que l'autre moitié provenait d'un « effet EGA » de redistribution des hausses de tarifs accordés par les distributeurs aux industriels.

Il est intéressant d'ajouter qu'une hausse particulièrement dynamique des charges a été constatée par les producteurs laitiers sur le premier semestre 2019, notamment au regard de l'évolution du coût de l'énergie et de l'alimentation pour environ + 3,5 % 13 ( * ) . La hausse des tarifs a ainsi pu traduire, de manière indirecte, la hausse des coûts de production.

En complément de l'effet médiatique attendu à la suite de l'adoption de la loi Egalim, les fondamentaux économiques peuvent donc aussi pleinement justifier la hausse des tarifs accordés aux industriels laitiers français par la grande distribution.

Il n'est donc nullement établi, y compris pour les quelques contrats laitiers emblématiques signés entre certains industriels et des distributeurs, que ces évolutions proviennent exclusivement de l'adoption de la loi Egalim, mettant fin brutalement à la déflation. Si ces contrats demeurent l'exemple à suivre, ils ne doivent pas donner un biais dans l'analyse globale des effets de la loi Egalim. Il en va de même de la revalorisation des achats dans la filière porcine, alors que le cours a gagné + 45 % depuis le début d'année compte tenu de la peste porcine africaine en Chine.

En parallèle, certaines dynamiques sont inquiétantes. Certaines enseignes ont par exemple proposé des bouteilles de lait bio sous marque de distributeur à 0,87 € le litre, soit un prix presque identique aux bouteilles de lait conventionnel. La guerre des prix pourrait simplement avoir été transférée sur ces produits plus qualitatifs sans toutefois qu'elle n'ait été ressentie, pour l'instant, dans le revenu de ces agriculteurs. Le Synabio a indiqué, lors de son audition, qu'il craignait un décalage de la guerre des prix sur ses adhérents, groupes industriels spécialisés dans les produits bio. Plusieurs indicateurs le font craindre. Ainsi, plus de 40 % de ses adhérents ne sont pas parvenus à passer des hausses de matières premières en 2019. Au total, 2/3 des produits bios interrogés par le Synabio ont subi, lors des dernières négociations commerciales, une déflation de leur tarif d'achat comprise entre - 1 et - 2 % 14 ( * ) . En outre, les distributeurs ayant leurs propres stratégies d'essor en bio par le biais de leurs produits MDD, la pression pourrait être beaucoup plus forte sur les prix dans les années à venir.

D. LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES 2020 SERONT LE JUGE DE PAIX

L'article 15 de la loi Egalim permet au Gouvernement de mettre en place un relèvement du SRP et de l'encadrement des promotions « sur une durée de deux ans ».

Il ne s'agit pas, dès à présent, de condamner la loi un an après son adoption, d'autant que les négociations précédentes n'ont pas été menées avec l'ensemble des outils à la disposition des acteurs, notamment les indicateurs de coût de revient. L'instabilité législative ne profite, en tout état de cause, jamais aux parties les plus faibles aux contrats. C'est pourquoi l'expérimentation du SRP doit se poursuivre jusqu'à son terme. Le rapport d'évaluation du dispositif prévu par le législateur constituera une étape importante.

Toutefois, force est de constater que les premiers résultats des négociations commerciales annuelles pour 2019 sont préoccupants.

Les négociations pour l'année 2020, qui s'achèveront fin février, seront donc décisives et permettront de juger de l'efficacité du dispositif tout comme de la bonne volonté des acteurs à se conformer à « l'esprit des États généraux de l'alimentation ». À défaut de négociations commerciales en inflation sur les produits alimentaires, le dispositif de hausse du SRP n'aura donc pas servi à revaloriser le revenu des agriculteurs.

Une attention particulière devra également être portée sur la conclusion des contrats relatifs aux produits sous marques de distributeur. Ces contrats ne relèvent pas du même cadre juridique. En conséquence, les résultats des négociations commerciales annuelles n'incluent pas un suivi de ces contrats alors qu'ils représentent plus d'un tiers des produits en rayon 15 ( * ) .

Un indicateur et des outils de suivi doivent être impérativement mis en place sur ces produits MDD pour assurer une totale transparence sur les effets de la loi.

L'hypothèse d'un durcissement des négociations n'est toutefois pas à écarter sur certains produits. L'Autorité de la concurrence a estimé, à cet égard, que « quelle que soit la configuration, le fournisseur directement concerné verra son profit diminuer » 16 ( * ) compte tenu de la hausse du seuil de revente à perte soit par une baisse des ventes de ses produits renchéris après la loi, soit par un durcissement des négociations commerciales pour que les distributeurs puissent limiter les effets de la hausse du SRP sur le consommateur. « En conclusion, le premier effet de la réforme sera de léser les fournisseurs des produits directement concernés par le relèvement du SRP ainsi que leurs consommateurs » 17 ( * ) .

E. UN RETOUR AUX AGRICULTEURS POUR L'INSTANT QUASI INEXISTANT

Côté producteurs, le titre Ier de la loi Egalim prévoit une révision de la mécanique des contrats.

D'une part, l'objectif était de développer le recours à la contractualisation, avec des contrats à l'initiative du producteur. Or force est de constater que le champ de la contractualisation n'a pas à ce stade considérablement évolué.

La contractualisation a été rendue obligatoire, avant l'adoption de la loi, dans plusieurs secteurs et principalement pour le lait de vache et de chèvre et les ovins de moins de 12 mois.

Le Gouvernement a en revanche récemment abrogé le décret rendant obligatoire la contractualisation dans la filière fruits et légumes, l'interprofession estimant que cette obligation n'était pas adaptée à la spécificité du secteur.

En effet, l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime imposait, avant la loi Egalim, au premier acheteur de fruits et légumes frais de proposer un contrat au producteur. Ce contrat type était d'une durée minimum obligatoire de 3 ans, durée qui ne correspond pas aux usages et aux spécificités des différents échanges au sein de la filière dans la mesure où de nombreuses transactions se font de gré à gré. Dès lors, peu de contrats étaient matériellement signés, les acheteurs se contentant de proposer un contrat refusé in fine par l'amont.

Pour plus de clarté, l'interprofession a émis le souhait de sortir du dispositif. Toutefois, la filière souhaite encourager la contractualisation en la rendant attractive pour les opérateurs, notamment par son adaptation à leurs modalités de vente. Dans son plan de filière, l'interprofession s'est engagée à contractualiser 30 % des volumes d'ici 2022. Un guide sur les relations contractuelles a été élaboré afin d'aider les opérateurs à rédiger des contrats adaptés.

D'autre part, la loi prévoit que les organisations interprofessionnelles deviennent responsables des indicateurs qu'elles mettent à la disposition des organisations de producteurs afin qu'ils s'y réfèrent dans leur contrat.

Ces indicateurs de référence sont relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à leur évolution, aux prix des produits et à leur évolution, ainsi que des indicateurs relatifs aux quantités, à la composition, à la qualité, à l'origine et à la traçabilité des produits ou au respect d'un cahier des charges.

Les interprofessions peuvent, « le cas échéant » aux termes de l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, s'appuyer sur l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Ce point avait fait l'objet de nombreux débats entre le rapporteur de l'Assemblée nationale et le Sénat, notamment au regard de l'opportunité de recourir à l'aide d'une instance indépendante reconnue pour son professionnalisme et sa connaissance du secteur et qui pourrait, en cas de blocage au sein des interprofessions, faire émerger des indicateurs incontestables.

En pratique, certaines interprofessions rencontrent les plus grandes difficultés à se mettre d'accord sur des indicateurs de coûts de production , bloquant ainsi l'ensemble du système permettant de contractualiser en s'appuyant sur des indicateurs.

C'est le cas des filières viandes dont certaines ont trouvé un accord sur la « méthodologie de calcul des indicateurs de prix de revient » pour certains produits, et non un accord formel sur un indicateur. En outre, les indicateurs ayant fait l'objet d'un accord sont, à ce stade, notifiés à la Commission européenne.

Une intervention de l'Observatoire de la formation des prix et des marges aurait pu, sans doute, débloquer le système.

Il convient de noter que la rédaction de l'ordonnance accorde une place particulière aux indicateurs produits par l'Observatoire, en prévoyant que le juge, pour caractériser un prix de cession abusivement bas, tient compte, « le cas échéant », des indicateurs disponibles « dont ceux établis par l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires » (article 1 er de l'ordonnance n° 2019-358 du 24 avril 2019 relative à l'action en responsabilité pour prix abusivement bas).

Cette mesure, qui donne en partie raison à la position défendue au Sénat lors de la loi Egalim, est une avancée qu'il faut saluer.

Rappelons enfin que la prise en compte des indicateurs de coût revient n'assure pas une couverture de ces derniers. Des accords-cadres dans le domaine du lait calculent, par exemple, entre 20 % et 30 % du prix du lait en référence à un indicateur de coût de production, lui-même largement inférieur à celui fixé au niveau interprofessionnel.

Enfin, l'article 96 de la loi Egalim prévoit que, dans les secteurs où la contractualisation est obligatoire, que :

- les accords-cadres conclus avant février 2019 soient mis en conformité avec le nouveau cadre contractuel avant mars 2019 ;

- les contrats conclus avant février 2019 soient mis en conformité avec le nouveau cadre contractuel avant avril 2019 ;

- les autres contrats soient mis en conformité avant novembre 2020.

Toutefois, à ce stade, très peu de contrats et accords-cadres ont été renouvelés pour se mettre en conformité avec le code rural et de la pêche maritime . Certains contrats prévoyaient déjà une prise en compte d'indicateurs de coûts de production et pourraient être considérés comme compatibles avec l'esprit de la loi. Toutefois, force est de constater que des accords-cadres n'ont toujours pas été signés avec certains industriels, malgré les propositions d'organisations de producteurs.

Les sanctions pour des industriels continuant de collecter le lait sans se conformer à la loi sont potentiellement lourdes mais elles ne paraissent pas, en l'espèce, suffisamment dissuasives pour inciter les industries à contracter.

Dès lors, le groupe de suivi appelle les autorités de contrôle compétentes à vérifier dans les plus brefs délais le respect de l'article 96 de la loi Egalim. .

Au-delà de ces aspects purement juridiques, le sentiment global recueilli par le groupe de suivi lors de ses auditions et lors de ses échanges plus informels avec les filières est que la revalorisation du revenu agricole promise n'est pas au rendez-vous.

C'est d'ailleurs en ces termes que le ministre de l'agriculture et de l'alimentation s'est exprimé lors du compte rendu du conseil des ministres le lundi 20 octobre : « aujourd'hui, il y a un maillon de la chaîne où le compte n'y est pas : c'est l'amont c'est-à-dire là celui qui concerne les agriculteurs. »

Aucun indicateur chiffré ne permet, à ce stade, de matérialiser ce sentiment. Il faudra attendre la publication du rapport de l'Observatoire des prix et des marges de l'année 2020 pour se faire une première idée précise de la situation.

Deux éléments peuvent d'ores et déjà être versés au débat afin d'apprécier « l'effet Egalim » à l'avenir.

D'une part, les cours des produits agricoles sur les marchés internationaux doivent être pris en compte et ont des effets indépendants de la mécanique proposée par la loi Egalim. Or, comme le rappelle l'Observatoire de la formation des prix et des marges dans son dernier rapport, ils sont en moyenne et pris globalement à la hausse depuis la fin du troisième trimestre 2018.

D'autre part, les coûts de production de leur côté connaissent une croissance continue.

Source : Observatoire de la formation des prix et des marges, rapport annuel 2019

Ainsi, il est nécessaire de garder à l'esprit qu'il sera difficile d'isoler un effet « Egalim » sur le revenu des agriculteurs, tout d'abord car les acteurs n'ont pas de prise sur les prix de marché et surtout car il importe de tenir compte de la hausse des coûts de production qui a, le plus souvent, été la condition à la revalorisation des prix dans les contrats.

Plusieurs acteurs ont fait état, notamment dans la filière laitière, d'un changement des cahiers des charges pour mettre en place des démarches visant à augmenter la durée du pâturage ou la mise en place de « lait d'animaux nourris sans OGM », qui se traduiront mécaniquement par une hausse des coûts pour les producteurs. Ces coûts supplémentaires dus à la modification des cahiers des charges devront donc être pris en compte afin de bien isoler l'effet sur le revenu de la loi Egalim.

En tout état de cause, il y a là le piège de la montée en gamme : imposer une hausse des charges aux producteurs supérieure à la hausse hypothétique de revenu accordée à la suite de la loi.

Cet effet devra être mesuré avec précision pour évaluer avec objectivité les effets de la loi sur le revenu agricole, si hausse il devait y avoir.

Pour quelques produits, la loi a d'ailleurs conduit, paradoxalement, à une baisse automatique des revenus. C'est le cas sur certains produits phares soumis à des prix psychologiques du consommateur comme la fraise.

Certains producteurs de fraise gariguette ont par exemple alerté le groupe de suivi de la loi Egalim que la revalorisation du SRP pouvait les pénaliser.

Chaque année, certains distributeurs utilisent ces fraises pour en faire un produit d'appel quand l'été approche. Ils les vendent alors au niveau du seuil de revente à perte, à savoir en moyenne à 1,99 euro la barquette.

Avec la revalorisation du seuil de revente à perte de 10 %, le distributeur aurait donc dû vendre cette même barquette 10 % plus chère, à savoir, pour poursuivre l'exemple, 2,19 euros cette année. Or le distributeur a souhaité maintenir son prix de vente au consommateur à 1,99 euro la barquette, comme l'année précédente, considérant que le prix psychologique déclenchant l'achat du consommateur en cette période était, en pratique, inférieur à 2 euros.

Le distributeur a donc décidé de maintenir ce prix de vente au consommateur qui intègre une revalorisation obligatoire de 10 %, conformément à la loi, en durcissant les négociations avec son fournisseur. En résumé : la hausse du SRP de 10 % s'est traduite, dans ce cas très précis, par une baisse de 10 % du prix d'achat aux producteurs.

Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), a reconnu que pour ces produits, l'application de la loi n'était pas optimale : « c'est l'un des cas où le SRP pose des difficultés techniques. Les fraises sont un produit météosensible, soumis à une compétition forte avec d'autres pays européens. »

Des problématiques identiques auraient été rencontrées sur certains melons.

*

II. LE TITRE IER DE LA LOI EGALIM A DAVANTAGE BOULEVERSÉ LES LINÉAIRES DES GRANDES SURFACES, AU DÉTRIMENT DES PRODUITS DES PME

Le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % a mécaniquement eu un effet inflationniste sur les produits alimentaires en grande surface.

Pour mesurer l'efficacité du ruissellement, il convient de s'interroger sur la destination de ce surcoût consenti par les consommateurs.

Selon Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E. Leclerc, « le ruissellement de notre marge supplémentaire est ainsi réparti : 70 % de celle-ci ont été redistribués aux industriels et transformateurs de l'agroalimentaire sous forme d'inflation ; 20 % aux consommateurs sous forme de baisse des prix des MDD non alimentaires, sans renégociation avec les fabricants ; 10 % à l'État via la TVA . »

Puisque, quantitativement, les agriculteurs n'ont pas ressenti l'effet sur leurs revenus, à ce stade, seuls quelques acteurs semblent considérer que la loi Egalim leur a été profitable. L'État semble même être le grand gagnant compte tenu des recettes supplémentaires de TVA.

S'arrêter à une analyse purement macroéconomique serait une erreur. Car si l'effet n'a pas été quantitatif à ce stade, il a surtout été qualitatif en provoquant un changement du linéaire en grandes surfaces induit par une évolution des stratégies des distributeurs.

A. LA HAUSSE DU SRP REVALORISE EN RAYON LES PRODUITS DES GRANDES MARQUES

Si l'effet du relèvement du seuil de revente à perte de 10 % touche avant tout les prix des produits de grandes marques, il a également des effets directs sur la valorisation de ces produits en rayons.

Depuis 2018, la part de marché des grands groupes dans les ventes de produits de grande consommation (PGC) en grandes surfaces a augmenté de 0,8 point 18 ( * ) .

Dans la mesure où le distributeur peut réaliser davantage de marges grâce à ces produits de grands groupes, il a tendance à les remettre en valeur dans ses linéaires, d'autant que, pour ces produits, compte tenu de leur image de marque, la hausse de prix ne se traduit pas, le plus souvent, par un recul des volumes vendus de ces produits équivalent.

B. DES MDD POUR SE DIFFÉRENCIER : VERS UN DÉPLACEMENT DE LA GUERRE DES PRIX SUR LES PRODUITS DES MARQUES DE DISTRIBUTEURS ?

Aux côtés de ces produits de grandes marques, les produits sous marques de distributeurs (MDD) sont revalorisés également en rayon depuis l'adoption de la loi Egalim.

Encore faut-il distinguer les produits MDD « premiers prix » des autres produits MDD car les produits MDD « premiers prix » sont, dans les faits, les produits les plus inflationnistes avec ceux des grandes marques, compte tenu de la revalorisation du SRP.

Avec la fin, cette année, de la déflation sur les produits des grandes marques, la différence de prix s'accroît entre les produits sous MDD et les produits des grands groupes. Retrouvant une forte compétitivité par rapport à leurs concurrents, les produits sous MDD gagnent, pour la première fois depuis 2012, des parts de marché après 7 années de baisse selon l'institut Nielsen . Pour la première fois depuis 2012, les MDD sont même plus dynamiques que les marques nationales.

Cette évolution se retrouve surtout dans les chiffres du nombre de référencements . Selon Nielsen, l'offre des grands groupes et surtout des produits MDD en rayon est en nette progression depuis le premier semestre 2019.

Source : Nielsen Scantrack P6 2019, transmis par la FEEF

Cette revalorisation des produits MDD aux yeux des consommateurs peut, durablement, modifier les stratégies des distributeurs qui vont rechercher à accroître leur différenciation non plus sur des produits de grandes marques par une baisse de prix ou des promotions mais en jouant sur la profondeur de gamme des produits MDD. Comme le précise Dominique Amirault, président de la FEEF devant la commission des affaires économiques le 5 juin 2019 : « pour les enseignes, il existe deux manières de se différencier : les marques PME et les MDD, fabriquées à 80 % par des PME. »

Cette différenciation pourrait aboutir à ce que la guerre des prix à l'achat se déplace sur ces produits.

C'est la crainte exprimée par M. Richard Panquiault, directeur de l'ILEC : « j'avais cru comprendre que le SRP majoré devait permettre de dégager une marge dont les distributeurs pouvaient faire un usage vertueux. Aujourd'hui, on a l'impression que cette mesure a été imposée et que la grande distribution essaye d'en aménager les effets en baissant les prix des MDD, de telle sorte qu'au final tout s'équilibre et que la manne supplémentaire, chiffrée à environ 600 millions d'euros, est réduite à néant. »

Ce mouvement a déjà eu lieu dès 2019. Il est assumé par certains distributeurs, comme le confirme Claude Genetay, directeur général d'Intermarché alimentaire international : « en janvier dernier, il nous a semblé que le cumul de la hausse du SRP, l'encadrement des promotions et les hausses de prix liées à l'acceptation des tarifs de tous les produits à forte composante agricole finissaient par faire beaucoup ! Nous avons donc voulu nous engager dans une baisse des prix des MDD pour les consommateurs à chaque fois que c'était possible. »

Dès janvier 2019, les principaux distributeurs ont eu recours à des pratiques dilatoires visant à diminuer les prix des MDD.

D'une part, certains d'entre eux ont annoncé des baisses de prix sur près de 5 000 références MDD en 2019.

D'autre part, des remises sont attribuées sur les cartes de fidélité pour les produits de grandes marques et des produits MDD, le plus souvent d'ailleurs avec un montant de « 10 % », ce qui rappelle étrangement le niveau de revalorisation du SRP.

Tout l'enjeu est de savoir si ces baisses de prix constatées en magasins sur de nombreuses références se retrouveront, dans les contrats passés avec les fournisseurs, par une baisse du prix d'achat. Si ces baisses de prix cette année ont pu être réalisées en partie sur les marges des distributeurs, il n'est pas certain que ce mouvement se pérennise.

Un facteur d'inquiétude, relayé à de nombreuses reprises lors des auditions du groupe de suivi, a porté sur le retard pris dans la négociation des contrats MDD concernés pour l'année 2019 . Certaines entreprises produisant des produits MDD pour la grande distribution n'ont pas encore conclu de contrat avec leur fournisseur pour... l'année 2019 ! Compte tenu d'un encadrement législatif moins contraignant sur les contrats MDD, il n'est à pas douter que ce retard pris dans les négociations constitue un moyen de pression fort qui pèsera sur le prix d'achat final.

C. DES PME, PRINCIPALES VICTIMES DU RELÈVEMENT DU SRP

La revalorisation des produits de grandes marques et des MDD dans les rayons font des PME les principales victimes de la loi Egalim.

Confrontées à des baisses de prix sur les MDD et à une revalorisation des produits des grandes marques en rayon, les PME sont considérablement concurrencées en termes de référencement.

Pour Dominique Amirault, président de la FEEF, le seuil de revente à perte, « permet un discernement en faveur des multinationales et des grandes marques, ce qui nuit aux marques PME. On observe ainsi un repli des ventes de celles-ci depuis le début de l'année. Après une croissance ininterrompue depuis cinq ans, les marques PME ont donc connu un coup d'arrêt ; c'est un effet pervers de cette mesure. 19 ( * ) »

S'ajoute à cet effet l'absence de soutien promotionnel pour ces produits, du fait des encadrements déterminés dans l'ordonnance, dont les effets seront analysés ultérieurement.

Nielsen estime ainsi que le rythme de croissance en valeur des PME a été divisé par plus de deux par rapport à l'année précédente comme le montre le graphique suivant.

Source : Nielsen Scantrack P6 2019, transmis par la FEEF

Cela se traduit de manière plus macroéconomique dans les chiffres de croissance agrégés de la grande distribution : alors qu'elles représentaient plus de 80 % de croissance de la grande distribution, les PME ne portent la croissance des ventes que pour 32,7 % 20 ( * ) .

Certaines catégories connaissent même une décroissance de leurs ventes.

Nielsen estime de son côté que ce sont surtout les TPE (- 0,3 point de parts de marché) et les ETI (- 0,5 points de part de marché) qui ont le plus souffert du changement de stratégie induit par le relèvement du SRP et l'encadrement des promotions 21 ( * ) .

Pour les ETI, la croissance en valeur passée de + 4,8 % en 2018 à + 0,3 % en 2019. Leur contribution à la croissance des ventes en grandes surfaces a chuté de 17 % à 2 % cette année !

Les PME ne semblent donc plus être au coeur des stratégies des distributeurs.

Elles ont perdu près de - 0,8 point de parts de marché en un an, au profit des grands groupes qui les ont récupérés 22 ( * ) , et qui contribuent mécaniquement davantage à la croissance en grande surface (35 % de contribution à la croissance en 2019 contre 25 % en 2018).

Chiffres indicatifs, uniquement à titre d'illustration

Si l'on ajoute que ce sont majoritairement des PME et ETI qui produisent les produits sous MDD, sur lesquels la guerre des prix a été déplacée, l'adoption des mesures « commerciales » de la loi Egalim aboutit donc à un paradoxe : ce sont les PME et ETI qui pâtissent majoritairement de la loi, alors que ce sont les entreprises des territoires les plus proches des agriculteurs français.

Pour rappel, l'étude d'impact de la loi Egalim affirmait que « le relèvement du SRP vise à renforcer l'équilibre général de la négociation au profit des entreprises de taille petite ou moyenne, grâce à une meilleure péréquation entre produits ».

Du point de vue des PME, la loi Egalim a été un échec.

Une personne auditionnée devant le groupe de suivi a formulé le sentiment de nombreux chefs de petites et moyennes entreprises : alors que les surcapacités de la grande distribution devraient mener, dans un contexte de déconsommation, à un plan social sur ce secteur, le seuil de revente à perte aura, au mieux, eu l'effet d'une morphine pour la grande distribution, au pire décalé l'inéluctable plan social vers les PME agroalimentaires.

À l'inverse, les produits des grandes marques, alors que les groupes auxquels elles appartiennent peuvent plus facilement s'approvisionner aux quatre coins du monde, sortent renforcés du relèvement du SRP.

L'inflation consentie par le consommateur français pourrait donc bien se retrouver, in fine , dans la poche de producteurs, étrangers cette fois.

D. LES ENTREPRISES DU RAYON DROGUERIE, PARFUMERIE, HYGIÈNE, VICTIMES COLLATÉRALES DE LA LOI

Le relèvement du SRP et l'encadrement des promotions ne concernent que les denrées alimentaires et les produits pour animaux de compagnie. Par conséquent, les produits du rayon « droguerie, parfumerie et produits d'hygiène » ne sont pas concernés par ces mesures.

Mécaniquement, la distribution a revalorisé leur place dans les catalogues pour en faire des produits d'appel et compensé, au mieux, l'effet des hausses des prix mécaniques induites par la loi sur les produits alimentaires.

Les prix connaissent une déflation en magasin de - 1,1 % depuis un an, particulièrement marquée sur les produits d'entretien 23 ( * ) .

Ces évolutions font peser sur les fournisseurs concernés le fardeau de la guerre des prix, qui devraient tendre considérablement en 2020 les négociations commerciales portant sur les conditions tarifaires de leur collaboration avec la distribution.

III. UN ENCADREMENT DES PROMOTIONS QUI NUIT À COURT TERME À CERTAINES PME FRANÇAISES

A. UN ENCADREMENT DES PROMOTIONS DE 34 % EN VALEUR ET DE 25 % EN VOLUME ANNUEL

L'article 3 de l'ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires, prise sur la base de l'article 15 de la loi Egalim, prévoit que les avantages promotionnés cumulés par produit ne peuvent être :

- Supérieurs, de manière cumulative, à 34 % du « prix de vente au consommateur » ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente : ce dispositif encadre les réductions chiffrées (« moins 30 % »), les quantités offerts (« 2 achetés, 1 offert »), le cagnottage affecté à un produit (« remise de 10 % du prix du produit sur carte de fidélité ») et les bons de réduction sur un produit déterminé (« 1 euro remboursé en caisse ou valable sur le prochain achat ») ;

- Supérieurs à 25 % du « chiffre d'affaires prévisionnel » 24 ( * ) du contrat : une dérogation est prévue pour les « produits périssables et menacés d'altération rapide » 25 ( * ) à la condition qu'aucune publicité ou annonce ne soit effectuée à l'extérieur du point de vente sur les promotions sur ces produits.

Les lignes directrices de la DGGCRF indiquent que l'appréciation de l'altération rapide des produits sera faite par le distributeur qui devra en rapporter lors des contrôles par tout moyen à sa disposition.

Toutefois, au regard de la jurisprudence 26 ( * ) , il n'est pas évident d'en conclure que l'ensemble des fruits et légumes sortiraient du dispositif. Ce flou place les professionnels du secteur fruits et légumes dans une situation inconfortable. Une clarification dans les lignes directrices de la DGCCRF est nécessaire sur ce point.

Il convient de rappeler que les produits périssables font l'objet, en outre, d'un encadrement spécifique de certaines promotions.

L'article 106 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique 27 ( * ) a en effet plafonné les avantages promotionnels consentis par le biais de contrats de mandat à 30 % de la valeur du barème des prix unitaires (frais de gestion compris) pour les produits ciblés par l'article L. 441-2-1 du code de commerce (fruits et légumes destinés à être vendus à l'état frais au consommateur à l'exception des pommes de terre de conservation, viandes de volaille ou de lapin, oeufs et miel), ainsi que pour le lait et les produits laitiers.

Selon l'Autorité de la concurrence 28 ( * ) , l'encadrement des promotions concerne 43 % des marques alimentaires en 2019 et plus particulièrement 11 % d'entre elles qui dépassent les deux seuils aujourd'hui. Les grandes marques devraient être plus concernées que les PME puisque près d'un produit sur deux vendu en promotion est un produit d'une grande marque alors que les grandes marques représentent seulement 40 % des ventes totales.

B. UNE BAISSE DU POIDS DES PROMOTIONS EN GRANDE SURFACE

Mécaniquement, le taux de produits vendus sous promotions a été réduit dans la grande distribution depuis l'adoption de la loi. Cela provient avant tout d'un recul du taux moyen des promotions reculant de deux points sur les produits alimentaires 29 ( * ) . De même, le poids des ventes sous promotions des produits alimentaires a baissé à 18,5 % selon Nielsen, soit - 0,9 point par rapport à 2018.

Sur les produits du rayon droguerie, parfumerie, hygiène, où l'encadrement ne s'applique pas, le taux de générosité a augmenté, même si le poids du chiffre d'affaires sous promotion n'a pas fondamentalement évolué. Nul doute que lors des prochaines négociations commerciales, ces produits étant devenus des produits d'appel, cette tendance devrait être modifiée.

C. UN TEXTE TROP RIGIDE POUR DE NOMBREUX ACTEURS ÉCONOMIQUES

L'objectif de la mesure était de mettre fin à la guerre des prix et de redonner une « valeur » aux produits, aux yeux du consommateur.

Toutefois, cette mesure doit aussi se confronter aux réalités économiques du commerce et ne doit pas être préjudiciable à des acteurs territoriaux bien implantés. Un encadrement trop strict des promotions applicable sans période de transition est certes une mesure symboliquement forte mais qui peut, par excès de rigidité, aboutir à déstabiliser des filières agricoles françaises.

Cette position avait été défendue au Sénat lors des débats sur la loi Egalim. À l'initiative du rapporteur de la loi, M. Michel Raison, le Sénat avait tenté d'assouplir le régime en excluant de l'encadrement les promotions qui ont pour seul objet l'écoulement des marchandises en stock, ainsi que celles portant sur des denrées dont le caractère saisonnier ou périssable est particulièrement marqué et dont la liste aurait été fixée par décret.

Cette mesure n'a toutefois pas été retenue par l'Assemblée nationale. Il en est résulté un encadrement qui, bien qu'ayant été consensuel au moment des États généraux, se révèle au mieux problématique pour de nombreuses entreprises françaises, voire en totale contrariété pour certains produits avec l'esprit de la loi Egalim. Ce phénomène s'explique uniquement par cet excès de rigidité qui avait été anticipé lors des travaux parlementaires.

1. Un taux plafond devenu taux plancher pour les fournisseurs qui ne nécessitaient pas de taux élevés de promotions avant la loi

L'encadrement des promotions a, tout d'abord, eu l'effet d'une rigidification par le haut . Le « plafond » de promotions s'est transformé en « plancher », forçant toutes les entreprises, y compris les plus vertueuses qui vivaient très bien avec moins de promotions que la moyenne avant l'adoption de la loi, à augmenter considérablement leurs taux de promotion.

Ainsi, le taux de rabais est-il passé de 22 % à 28 % pour les fruits au sirop entre le premier semestre 2018 et le premier semestre 2019, selon l'IRI.

Les normes de 25 % de promotions en volume et de 34 % de promotions en valeur sont ainsi devenues les seuils de base à atteindre lors des négociations commerciales.

C'est ce que confirme M. Dominique Amirault, président de la FEEF : « en ce qui concerne l'encadrement des promotions, plusieurs fournisseurs nous ont alertés sur le fait que les seuils promotionnels à ne pas dépasser étaient progressivement devenus la norme. Cette dérive est inquiétante. »

Pour ces entreprises, l'encadrement des promotions aura été totalement à contre-courant de l'esprit des États généraux : non seulement, elles ont dû augmenter leur taux de promotions alors même que la mesure entendait le réduire ; mais, surtout, la hausse de leur taux de promotions est devenue une charge pour les entreprises dans la mesure où en pratique ce sont les producteurs qui les financent.

2. Une mesure posant de graves difficultés pour les fournisseurs de produits saisonniers

L'encadrement des promotions a également, pour les entreprises proposant des taux de promotions plus élevés que les plafonds définis dans l'ordonnance, exercé une rigidification par le bas qui pose de graves difficultés à plusieurs entreprises françaises, surtout des PME et ETI.

Les produits saisonniers sont les plus exposés à l'encadrement des promotions en volume.

Pour certains produits, le chiffre d'affaires se réalise très majoritairement en promotions. C'est le cas pour le foie gras (68 % du chiffre d'affaires sous promotion), les galettes des rois ou les bûches (61 %), les chocolats (58 %) notamment à la période de Pâques, les champagnes, les saucissons ou le pain d'épices 30 ( * ) .

Pour les entreprises produisant ces denrées, modifier radicalement leur modèle de vente en moins d'un an n'était matériellement pas possible.

D'autant que, pour ces produits, le consommateur agit par le biais d'« achats impulsifs ». À défaut de promotion, le consommateur diminue ses achats et pénalise ainsi certaines filières.

Certes, une solution pour ces opérateurs serait de proposer un « prix choc » en baissant le prix unitaire d'achat. Toutefois, les premières expérimentations de cette nouvelle pratique commerciale depuis le début d'année font état d'un recul significatif du chiffre d'affaires des entreprises concernées.

Lors de ses auditions, le groupe de suivi a constaté la détresse de plusieurs dirigeants des entreprises des filières concernées qui ont subi une chute de leur chiffre d'affaires sur le début d'année. Ils craignent, en l'absence de promotions pour les fêtes de fin d'année, un recul encore plus important de leur activité dans les mois à venir.

Pour la filière foie gras, dont près des 2/3 des ventes se réalisent lors des fêtes de fin d'année sous promotions, les chiffres depuis le début d'année font état d'un recul des ventes de près de 25 % en volume depuis le début d'année. Or la grande distribution représente une part très importante des débouchés de la filière. Certaines entreprises auditionnées projettent un recul de 50 % de leur chiffre d'affaires sur l'année. Après deux années de crise de production, des producteurs pourraient ne pas s'en relever. En outre, compte tenu des difficultés d'écoulement en volume, les entreprises se livrent une véritable guerre des prix sur les marchés résiduels de foie gras, notamment à l'export, mais aussi sur d'autres produits. La loi Egalim aurait donc, pour certaines filières comme le foie gras, paradoxalement renforcé... la guerre des prix.

Il en va de même pour la filière champagne. Une bouteille sur deux est vendue en promotion. Sur les six premiers mois, les volumes de ventes de champagne ont été réduits de 21 %.

D'autres produits comme le saumon fumé ou les chocolats pourraient être impactés de la même manière.

Une question particulière peut être posée pour la filière porcine qui, chaque année, est confrontée à un besoin d'écoulement de ces produits en janvier après les fêtes de fin d'année.

Un problème particulier :
les promotions des produits porcins aux mois de janvier et septembre

Si des opérations promotionnelles sur les produits alimentaires périssables sont susceptibles de désorganiser les marchés, l'article L. 443-1 31 ( * ) du code de commerce dispose qu'un arrêté interministériel ou à défaut préfectoral peut encadrer la périodicité et la durée de ces opérations.

Les ministres chargés de l'agriculture et de l'économie ont sur ce fondement pris, dans un contexte de crise porcine, depuis 2015, des arrêtés, d'une durée d'un an, pour encadrer les opérations promotionnelles de la viande porcine fraîche.

Aux termes de l'arrêté du 27 novembre 2017, en dehors des périodes des fêtes de début d'année et de la sortie de l'été où les opérations sont utiles pour désengorger le marché, aucune opération promotionnelle mettant en avant des prix inférieurs à 40 % du prix moyen hors promotion du mois précédent ne pouvait être prise.

Cet encadrement des promotions par arrêté, lorsque celles-ci sont susceptibles de désorganiser le marché, utilisé depuis 2015 pour la viande fraîche de porc, devra désormais respecter les seuils définis dans l'ordonnance, notamment 34 % en valeur. C'est d'ailleurs pourquoi, à la connaissance du groupe de suivi, aucun arrêté sur la viande fraîche de porc n'a été pris pour réglementer spécifiquement les promotions sur ces produits en 2019.

Toutefois, cela peut poser des difficultés particulières pour les mois de janvier et de septembre, quand les producteurs porcins ont besoin d'écouler leurs produits.

Si cette situation ne sera pas problématique cette année compte tenu de la situation particulière du marché du porc, les producteurs français tournant, sans doute, leur production vers l'export, le besoin de dégagement pourrait se faire sentir de nouveau dans les années à venir.

3. L'encadrement pose des difficultés en matière de concurrence en ajoutant des boulets aux pieds des PME contre les grandes marques

Enfin, l'encadrement des promotions pose des difficultés pour certaines PME positionnées sur des marchés dominés par des grands groupes.

Ces PME n'ont pas toutes les moyens de réserver un espace publicitaire en « prime time » à la télévision, d'imprimer une double page publicitaire dans un grand quotidien ou de passer dans les matinales à la radio.

Le seul moyen pour exister aux yeux des consommateurs face à des firmes multinationales ayant un budget publicitaire très important, ce sont les promotions en rayon.

C'est pourquoi certaines d'entre elles réalisent une part significative de leur chiffre d'affaires sous promotion en grande surface, avec parfois une part supérieure à 50 %.

Avec l'encadrement des promotions imposé par la loi Egalim à 25 % sur leur volume d'affaires, les PME ne peuvent plus utiliser cet outil marketing et ne sont donc plus concurrentielles face aux budgets publicitaires des grandes marques.

Claude Genetay, directeur général d'Intermarché et de Netto, l'a confirmé devant la commission des affaires économiques du Sénat lors de son audition le 5 juin 2019 : « des PME, qui ne peuvent pas se payer de force de vente et de publicité, ont un business model basé sur les promotions. Certaines dépassaient allégrement le taux de 25 % : on leur a retiré leur levier principal pour exister . »

Les dernières données de Nielsen démontrent, au reste, que ce sont les PME qui ont le plus dû reculer leur poids des ventes sous promotion depuis le début d'année.

Source : Nielsen Scantrack P6 2019, transmis par la FEEF

Perdant en attractivité, ces PME voient leur chiffre d'affaires reculer : depuis la promulgation de la loi Egalim, certaines entreprises ont perdu en moins d'un an un tiers de leur chiffre d'affaires dans la grande distribution.

L'encadrement des promotions, en ce sens, contribue à renforcer les grandes marques dans les linéaires en grande distribution, au détriment des PME.

Cette analyse est d'ailleurs partagée par l'Autorité de la concurrence 32 ( * ) qui estime que l'encadrement des promotions induit un biais en faveur des grandes marques ayant une plus grande profondeur de marques . Ces dernières pourront augmenter les promotions en volume sur certains produits et compenser par de moindres promotions sur d'autres produits tandis que les PME ne pourront jouer sur cet effet de péréquation ayant le plus souvent qu'un très faible nombre de références. De même, cet encadrement renforce les barrières à l'entrée du côté des fournisseurs car les promotions permettent à un fournisseur entrant sur un marché d'accroître sa notoriété.

4. Une mesure déjà contournée

Cet encadrement des promotions pose donc de sérieuses difficultés pour les PME et ETI alors même qu'il est totalement contourné par de nombreuses marques.

En effet, dans les grandes surfaces, tous les consommateurs ont déjà constaté de nouvelles pratiques promotionnelles qui contournent totalement l'esprit de la loi.

Trois d'entre elles doivent être mises en avant :

- la première consiste à réaliser un cagnottage sans l'affecter à un produit. Cela se traduit non plus par une remise sur carte de fidélité si le montant total d'achat d'un produit d'une marque est supérieur à un seuil mais plutôt à une remise sur carte de fidélité si le montant total d'achat dans le rayon par exemple est supérieur à un seuil. Cela pourrait se traduire par les promotions du type : « 10 euros de remise sur carte de fidélité si le montant total des produits du rayon est supérieur à 100 euros » ;

- la seconde revient à baisser simplement le prix de vente en annonçant un « prix choc ». Plutôt que d'annoncer un prix avant et après promotions, pour inciter les consommateurs à inclure le produit dans leur panier, les enseignes insistent sur l'événement que constitue la vente de ces produits à un prix cassé ;

- enfin, la troisième rassemble l'ensemble des « ventes avec primes » du type : « un lot de yaourt offert pour un pot de miel acheté ».

L'objectif de l'encadrement en promotions était, symboliquement, d'interdire les promotions du type « 1 produit acheté, 1 produit offert » pour les limiter à la promotion « 2 produits achetés, 1 produit offert ». Dès lors que ce sont les mêmes produits qui sont proposés, aller au-delà de ces 34 % de promotions en valeur est interdit.

Or cela ne semble pas être le cas si les produits sont différents. Il est possible d'imaginer une promotion du type « une boîte de foie gras achetée, une boîte de confit de canard offerte ». Le principe d'une dévalorisation des produits agricoles aux yeux des consommateurs demeure.

Un exemple plus caricatural encore pourrait être imaginé et consister à proposer « une bouteille de champagne brut achetée, une bouteille de champagne demi-sec offerte » pour contourner l'encadrement en promotions en valeur.

Certes, ces exemples ne sont pas majoritaires mais traduisent la facilité qu'ont les distributeurs à imaginer des systèmes s'éloignant de l'esprit de la loi. Il est possible que ces contournements ne bénéficient qu'aux produits de grandes marques, les plus concernés par les promotions, notamment en catalogue, et accroissent encore le désavantage subi par les PME et ETI.

Enfin, il convient de rappeler que l'Autorité de la concurrence estime que ces mesures pourraient ne pas s'appliquer aux distributeurs implantés à l'étranger. Elle rappelle à cet égard que le Sénat avait tenté d'introduire un article 10 bis A qui visait à conférer aux dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce la qualité de « loi de police » selon les règles du droit international privé. Cela aurait eu pour effet de rendre applicables l'encadrement à tout contrat qui a pour objet l'approvisionnement d'un acheteur de produits destinés à la revente sur le territoire français.

5. Des premières corrections apportées par le Gouvernement, dont la robustesse juridique est limitée

La DGCCRF a publié des « lignes directrices » en mars 2019 pour préciser l'interprétation qui présidera l'action des services de contrôles sur l'encadrement des promotions. La DGCCRF se réserve une possibilité de tenir compte « dans certains cas de la situation particulière du fournisseur du fournisseur au regard de l'impact de l'encadrement en volume des avantages promotionnels. La nécessité d'une telle prise en compte sera appréciée au cas par cas et à la lumière d'éléments objectifs relatifs à la situation financière du fournisseur, ainsi qu'à celle de son exploitation et de la continuité de cette dernière. »

La DGCCRF se réserve donc le droit d'exonérer du respect du dispositif d'encadrement des promotions en volume des entreprises au cas par cas , preuve que le Gouvernement semble conscient des effets de bord du dispositif. Des dérogations de ce type ont déjà été accordées. Or ces exonérations se font sans base juridique claire et pourraient donc être fragiles en cas de contestation devant le juge.

*

IV. DES RENÉGOCIATIONS COMMERCIALES EN COURS D'ANNÉE TROP PEU SOLLICITÉES

A. LA LOI EGALIM A LÉGÈREMENT ASSOUPLI LA CLAUSE DE RENÉGOCIATION

Depuis la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, la plupart des contrats portant sur des denrées alimentaires entre un fournisseur et un distributeur doivent contenir une clause de renégociation afin de mieux répercuter les variations de prix des matières premières sur les prix de vente dans un contexte où les prix agricoles sont de plus en plus volatils.

Constatant une faible application dans les faits, l'article 9 de la loi Egalim a entendu faciliter le recours à la renégociation du contrat en cours d'année en :

- intégrant la prise en compte de la fluctuation des coûts de l'énergie dans la clause ;

- réduisant le délai de la négociation de 2 à 1 mois ;

- prévoyant le recours à une médiation obligatoire préalablement à une saisine du juge en cas d'échec de la renégociation.

B. PASSER DANS CERTAINS CAS D'UNE CLAUSE DE RENÉGOCIATION DES PRIX À UNE CLAUSE DE RÉVISION DES PRIX APPARAÎT SOUHAITABLE

L'article 9 de la loi Egalim entendait moderniser la clause de renégociation pour la rendre plus opérationnelle et plus facilement mobilisable par les acteurs.

Toutefois, cela n'a pas suffi. Pour quelles raisons ?

La mesure elle-même ne paraît pas assez incitative puisqu'elle oblige à négocier sans garantir une quelconque obtention d'un résultat.

Or ce manque d'efficacité est aggravé par des blocages provenant, aux termes de certains auditionnés, de la « lourdeur procédurale » inhérente à l'activation de la clause .

Plusieurs semaines, voire mois, se déroulent avant d'officialiser la demande de renégociation auprès du distributeur. La renégociation en tant que telle dure un mois. Si elle n'aboutit pas, et qu'une partie souhaite poursuivre la négociation, une médiation préalable à toute saisine du juge est obligatoire. En comptant les délais d'instruction, les conclusions de la médiation peuvent apparaître près de 6 mois après la hausse des prix supportée par le fournisseur... soit pour les produits concernés au début des négociations commerciales annuelles suivantes.

Compte tenu de ces délais, les acteurs préfèrent ne pas jouer le jeu.

Enfin, la clause de renégociation entraîne la réouverture de l'ensemble des points du contrat et place le fournisseur, qui entendait obtenir une simple révision à la hausse de ses tarifs pour compenser un coût de revient plus élevé, dans une situation déséquilibrée face à son distributeur qui peut exiger de lui de nombreuses contreparties.

La clause de renégociation n'est donc, en pratique, pas du tout opérationnelle . Cet état de fait est d'autant plus regrettable qu'elle pénalise les filières les plus concernées par une évolution du coût de la matière première.

Pour ces produits, la non-revalorisation en cours d'année et lors des négociations annuelles se traduit directement par une contraction des marges qui réduit les capacités d'investir et d'innover et, partant, la compétitivité des industries concernées.

L'exemple des pâtes alimentaires

Le prix de revient d'une pâte alimentaire de qualité supérieure est constitué à 75 % du prix du blé dur.

Selon le Syndicat des Industriels Fabricants de Pâtes Alimentaires de France, alors que le cours du blé dur a augmenté de plus de 50 % depuis 20 ans, le prix de la coquillette en grande surface n'a pas évolué : il est toujours à 0,75 euro le kilogramme.

Les industriels ont financé cette hausse non compensée du coût de leur matière première sans pouvoir répercuter celle-ci dans leur prix de vente.

Cette contraction de leurs marges, qui a réduit leur capacité d'investir, a, sans doute, contribué à l'érosion de la compétitivité de ces industries alimentaires françaises.

Alors qu'il y avait 200 fabricants de pâtes en France dans les années 1960, il n'y en a plus que 7 aujourd'hui.

En 20 ans, la France a considérablement accru ses importations de pâtes alimentaires, puisqu'elle importe 2/3 de sa consommation de pâtes contre environ 1/3 en 2000.

La mesure apparaît donc insuffisante pour certains acteurs (charcuterie, fabricants de pâtes alimentaires notamment) et mériterait de prendre en compte, a minima , la situation des produits finis dont le coût de revient est principalement constitué du coût d'une matière première dont le cours est public.

Le Sénat, par l'intermédiaire de son rapporteur, avait défendu cette position lors de la loi Egalim en proposant, pour ces produits, d'introduire une clause de révision des prix obligatoire s'activant en cas de choc conjoncturel sur les matières premières.

Cette clause n'avait pas vocation à être radicalement asymétrique. Certes, elle prévoyait un déclenchement uniquement en cas de hausse significative du cours de la matière première, au-delà d'un seuil déterminé en avance.

Le fait de ne pas le retenir à la baisse se justifiait par le fait que le distributeur pouvait alors déclencher la clause de renégociation lui-même, dans un contexte où le rapport de force lui était favorable.

Toutefois, cette solution n'avait pas été retenue à l'Assemblée nationale.

Depuis, le médiateur des relations commerciales agricoles a pris officiellement position en faveur d'une clause de révision des prix pour certains produits, notamment au regard de la hausse des cours du porc sur le marché mondial.

Entre janvier et juin 2019, le cours du porc a augmenté de + 23 % en France (et plus généralement partout en Europe) en raison de la peste porcine africaine qui décime une part importante du bétail chinois.

Conformément à l'article L. 441-8 du code de commerce, les industriels charcutiers, dont le coût de revient est composé à plus de 70 % par le coût de la matière première, ont demandé une renégociation des prix aux distributeurs mais... sans activer la clause !

2/3 des demandes ont abouti. Parmi elles, seules 15 % des hausses couvrent intégralement la hausse des cours, contre 85 % de revalorisation partielle comprise entre 40 et 95 % de la hausse du coût de revient.

Il n'en demeure pas moins que trois mois après la hausse des cours, 1/3 des demandes n'ont pas reçu de réponses.

Constatant ces délais, qui viennent rapidement télescoper le début d'autres négociations, le médiateur des relations commerciales agricoles a préconisé, dans un avis du 1 er juillet 2019, « d'introduire une clause de révision du prix d'achat dans leurs contrats de fourniture de produits à marques propres et leurs contrats à marque distributeurs. Cette clause librement négociée entre les parties prévoirait les modalités d'un ajustement automatique du prix d'achat contractuel, qui devrait fonctionner à la hausse comme à la baisse par référence à un ou des indicateurs de marché. »

Auditionné par le groupe de suivi de la loi Egalim, le médiateur a réaffirmé son soutien à une clause de révision des prix dans les contrats entre fournisseurs et distributeurs. Loin d'une clause d'indexation des prix sur le cours des matières premières, une telle clause permettrait, selon lui, dans l'esprit de la loi Egalim, de réduire l'importance du facteur « prix » dans les négociations annuelles pour le recentrer sur les autres points du contrat, davantage créateurs de valeur.

Certes, plusieurs difficultés techniques restent à lever selon lui. Faut-il retenir des prix de marché ou des indicateurs de coûts de production ? Comment articuler la clause de révision des prix avec la clause de renégociation ? Comment retenir un coût matière fiable et simple ? Dans le cas du porc, doit-on par exemple retenir le coût de la pièce ou le cours du porc ?

Au-delà de ces questions, il convient d'ores et déjà de rappeler que ces clauses peuvent d'ores et déjà être mises en place par les filières.

La biscuiterie a par exemple déjà eu recours à de telles clauses lors de la crise du fipronil ou du beurre. De même, certains produits sous marque distributeur comme des lardons sont généralement soumis à une telle clause.

Toutefois, ces exemples sont trop rares. Se pose dès lors la question de l'opportunité de l'intervention du législateur afin de favoriser le développement de ces clauses, dont les caractéristiques seraient précisées par voie réglementaire.

Pour garantir l'efficacité d'une telle mesure, deux conditions seront à respecter :

- que la lisibilité de la clause soit assurée et que la mécanique demeure simple ;

- qu'elle ne trouve à s'appliquer, au départ, qu'à un nombre limité de produits finis, sélectionnés en fonction de la dépendance de leur coût de revient au cours public d'une matière première.

*

V. L'ORDONNANCE SUR LA COOPÉRATION AGRICOLE OU COMMENT OUTREPASSER LE PARLEMENT

A. UNE ORDONNANCE VISANT PRINCIPALEMENT À RENFORCER L'INFORMATION DES ASSOCIÉS COOPÉRATEURS

Pris en application de l'article 11 de la loi Egalim, l'ordonnance n° 2019-362 du 24 avril 2019 relative à la coopération agricole modifie le titre II du livre V du code rural et de la pêche maritime relatif au cadre juridique régissant les coopérations agricoles, notamment pour renforcer les informations transmises aux coopérateurs.

1. Un renforcement des obligations d'informations des associés coopérateurs

Le premier objectif de l'ordonnance est, aux termes du rapport au Président de la République relatif à celle-ci, « d'améliorer l'information des associés coopérateurs pour leur permettre de bénéficier des avancées de la contractualisation rénovée ».

Son article 1 er prévoit de nouvelles obligations d'informations des associés-coopérateurs :

- au moment de leur adhésion, ils recevront une information sur les valeurs et les principes coopératifs ;

- une meilleure publicité des modalités de retrait en les incluant dans le document unique récapitulant l'engagement de l'associé-coopérateur ;

- la publication d'informations relatives à la rémunération globale des associés-coopérateurs par l'élaboration par l'organe chargé de l'administration de la coopérative de documents en trois temps :

• avant l'assemblée générale, un document présentant la part des résultats de la société coopérative qu'il propose de reverser aux associés coopérateurs à titre de rémunération du capital social et de ristournes ainsi que la part des résultats des filiales destinée à la société coopérative, en expliquant les éléments pris en compte pour les déterminer ;

• lors de l'assemblée générale, un document donnant des informations sur l'écart entre les prévisions de prix des apports et les prix effectivement payés ainsi que sur l'écart entre ces prix et les indicateurs de coûts de production et de prix de marché figurant dans le règlement intérieur ;

• après l'assemblée générale, dans un délai d'un mois, un document récapitulant la rémunération définitive globale des apports pour chaque associé coopérateur ;

- une information spécifique sur les modalités de gouvernance d'entreprise dans le rapport de l'organe chargé de l'administration à l'assemblée générale ;

- une communication aux associés-coopérateurs du nom des filiales, des administrateurs et des rapports des commissaires aux comptes de ces filiales.

Il définit également le contenu des règlements intérieurs des coopératives en le précisant au niveau de la loi.

Ils devront contenir :

- les règles de composition, de représentation et de remplacement des membres, de quorum, les modalités de convocation, d'adoption et de constatation des délibérations de l'organe chargé de l'administration et le cas échéant des autres instances, statutaires ou non statutaires, mises en place par la coopérative ;

- les critères et modalités de détermination et de révision du prix des apports, comprenant, le cas échéant, les modalités de prise en compte des indicateurs choisis pour calculer ce prix ;

- les modalités de détermination du prix des services ou des cessions d'approvisionnement ;

- les modalités pratiques de retrait de l'associé coopérateur ;

- les modalités du remboursement des parts sociales qui intervient de droit dans le délai maximal prévu par les statuts ;

- les conditions dans lesquelles il peut être recouru à la médiation et, le cas échéant, à tout autre mode de règlement des litiges.

2. Une proportionnalité de l'indemnité de départ en fonction des pertes induites pour la coopérative et la mise en place d'une date d'échéance unique pour tous les engagements du coopérateur

En outre, l'indemnité de départ d'un coopérateur en cas de retrait anticipé devra être proportionné en fonction des pertes induites pour la coopérative et de la durée restant à courir jusqu'à la fin de son engagement.

En cas de changement de mode de production, et si la coopérative ne démontre pas qu'elle rémunère la valeur supplémentaire générée par cette modification, le délai et l'indemnité sont réduits. Ces possibilités sont permises assez largement en cas de passage au label « agriculture biologique », à une « AO, IGP, spécialité traditionnelle garantie », au « label rouge » ou l'obtention de la mention « exploitation de haute valeur environnementale » (troisième niveau ou HVE3).

Enfin, l'ordonnance prévoit la mise en place d'une date d'échéance unique pour tous les engagements de l'associé-coopérateur (coordination entre le bulletin d'adhésion et le contrat d'apport)

3. Un Haut conseil de la coopération agricole aux missions mieux définies

Le Haut conseil de la coopération agricole (HCCA) est chargé de la publication d'un guide sur les bonnes pratiques de gouvernance des sociétés coopératives qu'il actualise chaque année.

Ses pouvoirs de contrôle sont précisés.

Toute modification des statuts d'une coopérative et tout rapport de révision constatant un non-respect des principes coopératifs non suivi par la mise en place de mesures correctives devront être portés à la connaissance du HCCA. S'il reçoit un rapport de révision constatant des non conformités, il en informe le ministre chargé de l'agriculture. Il ordonne la convocation d'une assemblée générale, au besoin aux frais de la coopérative. Sans rétablissement du fonctionnement normal de la coopérative, il demande au juge d'enjoindre les organes de direction de se conformer aux règles.

Le HCCA peut diligenter un contrôle de révision s'il l'estime nécessaire, s'il est saisi par 1/5 ème des membres, si les documents obligatoires ne sont pas transmis aux associés-coopérateurs ou s'il est saisi par des agents chargés des contrôles ou le commissaire aux comptes.

Les agents chargés des contrôles peuvent demander au HCCA de leur rendre un avis sur le fait que les statuts ou le règlement intérieur de la coopérative comportent des dispositions produisant des effets similaires aux clauses minimales des contrats agricoles.

Une commission consultative composée de représentants des syndicats agricoles, des sociétés coopératives et des personnalités qualifiées est adjointe au comité directeur du HCCA. La commission consultative pourra être convoquée à la demande de ses membres ou sur sollicitation du comité dicteur.

Elle rend des avis sur toute question relative à l'application du droit coopératif et au fonctionnement des sociétés coopératives (cas individuels ou fonctionnement global).

4. Vers la fin du rôle du médiateur de la coopération agricole ?

Le médiateur de la coopération agricole ne sera plus nommé par le HCCA mais par le ministre, sur avis simple du comité directeur du HCCA.

Contrairement au projet précédent, ses missions et leur articulation avec celles du médiateur des relations commerciales agricoles ne sont pas tranchées par ordonnance mais seront fixées par décret en Conseil d'État.

Le groupe de suivi estime que prendre une ordonnance pour définir ce point finalement par décret aura probablement fait perdre plus d'un an dans la mise en oeuvre de cette réforme.

Pour rappel, aujourd'hui, le médiateur de la coopération agricole est pleinement compétent sur ces questions si elles concernent un conflit entre un associé coopérateur et sa coopérative. Il doit simplement « tenir compte » des avis et recommandations publiques du médiateur des relations commerciales agricoles.

La volonté du Gouvernement serait de dessaisir le médiateur de la coopération agricole des conflits liés aux prix et aux indemnités de départ pour les transférer au médiateur des relations commerciales agricoles. Or ces conflits couvrent sans doute une très grande majorité des conflits entre un associé-coopérateur et sa coopérative. Ce dessaisissement reviendrait donc à supprimer le médiateur de la coopération agricole.

B. EN SOUMETTANT LES COOPÉRATIVES À LA RESPONSABILITÉ POUR « PRIX ABUSIVEMENT BAS », LE GOUVERNEMENT N'A PAS RESPECTÉ LA VOLONTÉ DU PARLEMENT

1. Des coopératives pouvant voir engagée leur responsabilité pour le fait de fixer une rémunération des apports abusivement basse

Surtout, l'article 1 er soumet les coopératives au mécanisme des prix abusivement bas .

La responsabilité de la coopérative serait engagée pour le fait « de fixer une rémunération des apports abusivement basse » par rapport aux indicateurs. Cela transpose la notion de prix abusivement bas issue du code de commerce au droit coopératif.

En pratique, la partie lésée pourra saisir le juge après une médiation tout comme le ministre chargé de l'économie après avis motivé du ministre de l'agriculture et du HCCA.

La sanction pourra s'élever à 5 millions d'euros ou à 5 % du chiffre d'affaires réalisé par l'auteur. Les pénalités dues par la coopérative pénaliseront, mécaniquement, les autres coopérateurs. La décision de justice serait publiée, diffusée et affichée.

L'adjonction selon laquelle le juge doit « tenir compte des spécificités des contrats coopératifs » risque de ne pas apporter de solides garanties aux coopératives.

2. Un élément dont il n'a pas été question lors des débats parlementaires

Cet article pose tant des problèmes de fond que de forme.

L'ordonnance assimile une relation entre un associé coopérateur et sa coopérative à une relation commerciale entre un client et un acteur privé. Or les coopératives opèrent dans un cadre différent : les apports des coopérateurs ne sont pas des ventes (la coopérative a d'ailleurs l'obligation de prendre tous les apports et ne peut, sauf exception limitée, se fournir auprès de tiers), la coopérative appartient à ses coopérateurs (les coopérateurs prennent des décisions en assemblée générale et il est impossible d'évincer un coopérateur avant la fin de la durée d'engagement sauf sanction).

C'est au reste l'ensemble de la rémunération qu'il convient de prendre en compte (d'autant qu'elle est décidée, in fine , en assemblée générale par l'ensemble des coopérateurs) et non la rémunération des apports, qui n'inclut pas les ristournes et compléments de prix qui constituent un élément important et typique du statut de la coopération agricole.

Les pénalités dues par la coopérative à un coopérateur qui s'en plaindrait semblent disproportionnées et pénaliseront, mécaniquement, les autres coopérateurs. Cela remettra en cause le principe de solidarité entre les associés coopérateurs, quel que soit le volume de leur production, qui est au coeur du modèle coopératif.

Au-delà du fond de la mesure, qui mériterait un débat apaisé, c'est le passage en force du Gouvernement face au Parlement au détour d'une ordonnance sur un sujet aussi important pour nos territoires qui doit être dénoncé.

Cette mesure n'a pas été prise sur le fondement de l'habilitation de l'article 11 de la loi Egalim mais sur celui de l'habilitation de l'article 17 qui entend réformer le code de commerce .

L'article 17 habilite le Gouvernement à prendre « toute mesure relevant du domaine de la loi nécessaire pour mettre en cohérence les dispositions de tout code avec celles prises par voie d'ordonnance » en matière de réforme du code de commerce. L'article ayant modifié le régime des prix abusivement bas du code de commerce, le Gouvernement estime qu'il est habilité à l'étendre à d'autres sociétés dont les statuts doivent respecter des dispositions d'un autre code, en l'espèce le code rural et de la pêche maritime.

Or l'application d'un nouveau régime déjà existant dans le code de commerce aux coopératives semble aller bien au-delà de la simple mise en cohérence.

Lors des débats sur la loi Egalim, le Sénat avait pourtant obtenu, après une lecture intégrale d'un amendement de compromis en commission mixte paritaire par un des rapporteurs du Sénat, un encadrement du champ de l'habilitation qui avait été finalement porté en nouvelle lecture par le rapporteur de l'Assemblée nationale.

L'objectif était de ne pas donner un blanc-seing au Gouvernement pour réformer le droit coopératif sans intervention du législateur.

C'est sans doute cet encadrement qui a contraint le Gouvernement à s'appuyer sur une autre habilitation de la loi Egalim pour justifier sa proposition de réforme.

Un contentieux est en cours devant le juge administratif pour connaître de la légalité de l'ordonnance, notamment au regard du respect du champ d'habilitation déterminé par le législateur.

Le juge administratif tranchera et s'appuiera, dans ses analyses, sur les débats parlementaires pour comprendre les intentions du législateur sur ce point.

Vos rapporteurs, pour leur part, estiment que la sortie du champ est manifeste et délibérée. À aucun moment des débats parlementaires n'a été évoquée ou délibérée et acceptée comme telle l'hypothèse d'une assimilation des coopératives à des sociétés commerciales au regard de l'applicabilité de la responsabilité pour prix abusivement bas.

L'hypothèse d'une sortie du champ de l'habilitation est partagée par le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Jean-Baptiste Moreau, lequel affirme dans un rapport d'information sur l'application de la loi Egalim que « lors des débats parlementaires relatifs aux articles 17 et 11, il n'a pas été question de réformer les coopératives agricoles sur d'autres aspects que celui de la transparence et du contrôle de informations données à l'associé-coopérateur 33 ( * ) . »

Le Gouvernement a présenté fin juin en conseil des ministres un projet de loi de ratification de l'ordonnance en l'inscrivant à l'ordre du jour pour mi-juillet selon la procédure accélérée.

Ce traitement fort inhabituel pour une ratification d'ordonnance (qui n'est pas exigée pour que l'ordonnance entre en vigueur) laisse songer que les risques que l'ordonnance se fasse retoquer par le juge administratif ne sont pas négligeables. En effet, une ratification de l'ordonnance par le législateur revient à lui conférer une valeur législative : l'adoption du projet de loi de ratification d'une ordonnance valide a posteriori le contenu ou le champ d'habilitation de l'ordonnance. Dans la mesure où sa ratification lui donne une valeur législative, le Conseil d'État n'a plus le pouvoir de l'annuler.

Lors des débats pour préparer l'examen du projet de loi en commission, une solution de compromis semblait avoir été trouvée entre le rapporteur de l'Assemblée nationale, soutenu par son groupe, pour réduire les effets de bord de la mesure proposée par le Gouvernement dans son ordonnance.

Or cette solution de compromis n'a pas pu être examinée dans la mesure où le Gouvernement a subitement retiré le projet de loi de l'ordre du jour. Ce retrait de l'ordre du jour est sans doute expliqué par un rejet par le Gouvernement de la position du rapporteur et du groupe majoritaire. Pourrait-on assimiler ce refus de débattre d'une telle position en séance publique à l'Assemblée nationale par un nouveau passage en force après le non-respect du champ d'habilitation de l'ordonnance initiale ?

*

VI. 3 MESURES D'URGENCE POUR CORRIGER LES EFFETS LES PLUS NÉFASTES DE LA LOI EGALIM

Même s'il est trop tôt pour en tirer un bilan exhaustif, la loi Egalim a déjà des effets clairement établis dans le secteur alimentaire. Mais ils ne sont sans doute pas ceux qui étaient attendus.

En affaiblissant la dynamique des PME en grande surface, en déplaçant la guerre des prix des produits des grandes marques vers les produits MDD, le plus souvent issus de PME et ETI françaises et en déstabilisant toutes les coopératives agricoles de nos territoires ruraux pour prétendre résoudre quelques problèmes rencontrés dans certaines d'entre elles, la loi Egalim pénalise, paradoxalement, les acteurs les plus proches des agriculteurs français et qui, souvent, sont les plus créateurs d'emplois.

À court terme, l'application trop rigide de la loi Egalim pourrait aboutir, avant la fin de l'expérimentation, à ce que des entreprises ferment ou à ce que des filières agricoles connaissent de nouvelles difficultés. Ces éléments vont biaiser mécaniquement les effets de la loi à terme.

Ces éléments étant déjà clairement identifiés après un an d'application, il est nécessaire de les prendre en compte et d'oeuvrer pour apporter les aménagements nécessaires, au profit de l'efficacité de la loi.

C'est pourquoi le groupe de suivi a décidé à l'unanimité de déposer une proposition de loi comportant des mesures d'urgence visant à corriger la loi Egalim de certains de ses effets pervers. Ne nous y trompons pas : ce n'est pas une manoeuvre destinée à condamner la loi moins d'un an après son adoption.

L'objectif du groupe de suivi, au contraire, est de modifier à la marge la loi Egalim pour sauver l'esprit des États généraux de l'alimentation.

La proposition de loi qui sera déposée pourrait comporter plusieurs mesures visant à :

- sortir de l'encadrement des promotions en volume les produits les plus saisonniers , tout en les soumettant toujours à l'encadrement en valeur ;

- sécuriser juridiquement la possibilité pour la DGCCRF d'exonérer certaines entreprises, compte tenu de critères définis par le législateur, de l'application de l'ordonnance sur l'encadrement des promotions ;

- expérimenter une clause de révision automatique des prix , à la hausse comme à la baisse, pour les filières où cela est le plus nécessaire, notamment le porc ;

- rRevenir à la volonté initiale du législateur concernant l'ordonnance sur les coopératives agricoles en supprimant la possibilité pour le juge de sanctionner financièrement les coopératives ayant pratiqué une rémunération des apports abusivement basse.

Ces mesures d'urgence sont nécessaires pour limiter les effets de bord de la loi Egalim et, finalement, en améliorer le bilan.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 29 janvier 2019

- Fédération du négoce agricole.

-  COOP de France.

Mardi 4 juin 2019

- GEfel et Interfel : MM. Louis ORENGA , directeur général Interfel, Daniel SAUVAITRE , secrétaire général de l'association nationale Pommes Poires pour Interfel, François LAFITTE , président de GEfel.

- FICT : M. Fabien CASTANIER , délégué général, Mme Stéphanie FUIRET , responsable des affaires économiques / responsable communication, M. Jean-Christophe GRALL , avocat conseil.

Mardi 23 juillet 2019

Cinq PME.

Mercredi 24 juillet 2019

Deux PME.

- UFC - Que choisir : M. Olivier ANDRAULT , chargé de mission alimentation agriculture.

- Syndicat national de la restauration collective : M. Philippe PONT-NOURAT , président, Mmes Sophie LEYMERIGIE , présidente de la commission sûreté alimentaire, Cerise DUCOS , responsable des affaires réglementaires.

- Restau'Co : Mme Sylvie DAURIAT , présidente.

- Association des maires de France : Mme Isabelle MAINCION , vice-présidente, maire de la Ville-aux-Clercs, MM. Quentin VERMERIE , conseiller juridique, Robin PLASSERAUD , conseiller développement durable, Mme Charlotte DE FONTAINES, chargée des relations avec le Parlement.

Mercredi 9 octobre 2019

- DGCCRF : Mmes Virginie BEAUMEUNIER , directrice générale, Joanna GHORAYEB, sous-directeur « affaires juridiques, politiques de la concurrence et de la consommation ».

- Ministère de l'agriculture et de l'alimentation : M. Francis AMAND , médiateur des relations commerciales agricoles, Mme Julie ESCLASSE, médiateur délégué des relations commerciales agricoles.

Jeudi 10 octobre 2019

Deux PME.

- Ministère de l'agriculture et de l'alimentation : Mme Nathalie BARBE, conseillère en charge des filières animales, de la forêt et de la performance économique des entreprises agricoles et agroalimentaires.

- Synabio : MM. Jean-Marc LÉVÊQUE, président, Charles PERNIN, délégué général.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- ANIA

- Cniel

- Confédération paysanne

- COOP de France

- Coordination rurale

- Fédération du commerce et de la distribution

- Fédération française des spiritueux

- FEEF

- FNSEA

- Jeunes agriculteurs

- ILEC

- Inaporc

- Interfel

COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DE LA COMMISSION

Table ronde sur le thème : « Les effets du titre Ier de la loi Egalim
du 30 octobre 2018 sur les négociations commerciales en cours »,
autour de M. Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA, Mme Véronique Le Floc'h, secrétaire générale de la Coordination rurale, M. Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne et M. Baptiste Gatouillat, vice-président de Jeunes agriculteurs
(Mercredi 23 janvier 2019)

Mme Sophie Primas , présidente. - Mes chers collègues, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi Egalim », dont nous avons beaucoup débattu lors de la précédente session, a été promulguée le 30 octobre 2018. Après la phase législative, notre commission s'y intéresse cette fois dans ses fonctions de contrôle.

Elle veillera avant tout à ce que les textes d'application prévus par la loi soient bien pris et que les ordonnances respectent bien le champ d'habilitation donné par le Parlement au Gouvernement. Ce sera le cas lors des débats à venir sur le bilan d'application des lois et lors de la ratification des ordonnances prévues par ladite loi. Mais, et cela est plus novateur, notre commission s'attachera également à suivre les effets de la loi sur les agriculteurs et les industries de l'agroalimentaire d'une part, et, d'autre part, sur l'ensemble des citoyens, qu'ils soient consommateurs, industriels, commerçants, négociants, élus d'une collectivité territoriale ou gérants de restauration collective.

Il paraît essentiel de s'assurer que les mesures adoptées se traduisent effectivement et rapidement par une amélioration du revenu des agriculteurs. La situation est urgente, et aucun droit à l'erreur n'est permis, d'autant que des inquiétudes ont été émises par le Sénat lors des débats sur l'applicabilité de certaines dispositions, sur les contournements potentiels de quelques dispositifs ou sur le bilan global d'une loi sur l'équilibre des exploitations agricoles, notamment au regard des charges induites.

Le titre Ier de la loi est très attendu par le monde agricole et entre progressivement en vigueur.

La première ordonnance sur le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % et l'encadrement des promotions a été publiée. Si l'encadrement des promotions en valeur à 34 % est effectif depuis le 1 er janvier, la hausse du seuil de revente à perte (SRP) et l'encadrement des promotions en volume pour la majorité des contrats devraient intervenir respectivement le 1er février et le 1er mars d'après le Gouvernement.

L'ordonnance sur la réforme du code de commerce, et notamment les prix abusivement bas, est en cours de finalisation.

Enfin, les contrats entre les producteurs et leurs acheteurs, principalement dans les secteurs où la contractualisation est obligatoire, sont en cours de renégociation pour répondre à l'ensemble des nouvelles dispositions exigées par la loi. Une grande partie d'entre eux, notamment dans les secteurs où la contractualisation est obligatoire, devront être redéfinis avant le 1er avril.

C'est pour analyser dès à présent les réussites et les échecs liés à la mise en place de ces mesures, ainsi que les premiers effets constatés, notamment sur les négociations commerciales en cours, que notre commission organise trois tables rondes avec des représentants des producteurs, des transformateurs et des distributeurs.

Nous recevons aujourd'hui les représentants des quatre principaux syndicats agricoles. Qu'il me soit permis de les remercier tous les quatre d'avoir accepté notre invitation en cette période chargée du fait du calendrier électoral syndical.

Ma question sera finalement assez simple : où en sommes-nous de la mise en place de la loi Egalim, et quels sont les premiers effets de cette loi sur les négociations entre les producteurs et leurs acheteurs ?

M. Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA. - J'insisterai en introduction sur la nécessité de changer les règles mises en place par la grande distribution, qui considère que les prix doivent être les plus bas possible afin de profiter aux consommateurs. On a vu où cela a mené le monde agricole. Selon l'Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM), les coûts de production ne sont plus couverts depuis plusieurs années dans certains secteurs. Sur 100 euros que paye le consommateur, seuls six euros reviennent à l'agriculteur. Il y a donc urgence à réagir.

Notre projet s'articule autour de deux axes. Certaines de nos propositions ont été suivies par le Gouvernement, mais pas toutes. Nous avons souhaité partir des coûts de production pour permettre d'équilibrer les comptes dans les exploitations et stopper toute incitation à la guerre des prix, comme l'encadrement des promotions ou le SRP.

Si la loi est votée, les ordonnances ne sont pas encore entrées en application, notamment concernant les sanctions. En effet, les engagements de la grande distribution ne valent rien s'ils ne sont pas contrôlés par la loi. On ne peut pas dire que les chartes signées par les distributeurs ont été respectées, tant s'en faut. Sans encadrement fort de la réglementation, les distributeurs ne tiendront malheureusement pas leurs promesses.

Les choses évoluent malgré tout dans le bon sens, comme on le voit dans la publicité de certains distributeurs. Cela fait écho à ce que désire la société, qui considère qu'il n'est pas normal que les agriculteurs ne vivent pas de leur métier. Toutefois, nous ne participons toujours pas aux boxes de négociation.

Nous attendons donc avec impatience la mise en oeuvre des dernières ordonnances. Deux d'entre elles sont essentielles pour que le dispositif entre en application, celle du SRP et des promotions et celle concernant les prix abusivement bas, qui est très importante pour nous. Si l'on veut que le producteur détienne un levier de négociation voire de recours vis-à-vis de son acheteur, il est essentiel qu'il puisse attaquer ce dernier pour prix abusivement bas.

Nous comptons beaucoup sur cette ordonnance car elle permet d'écrire ce que la loi aurait dû prescrire sur la fixation des indicateurs de coût de production. Nous avions beaucoup milité pour que ceux-ci soient neutres et indépendants, c'est-à-dire arrêtés par les interprofessions ou, à défaut, par l'OFPM en cas de blocage. Les députés après l'avoir accepté comme le Sénat l'ont refusé en nouvelle lecture. L'OFPM a donc disparu de la rédaction finale. Nous nous en étions fortement émus et avions raison, certaines interprofessions, trois mois après la promulgation de la loi, ayant été incapables de produire des indicateurs de coût de production.

Dans le cas d'Interbev, par exemple, c'est la grande distribution qui refuse des indicateurs permettant de prendre en compte le salaire de l'agriculteur. L'ordonnance est essentielle car nous voulons refaire le match en quelque sorte, à savoir qu'un agriculteur puisse se servir d'indicateurs neutres et indépendants issus de l'OFPM pour attaquer un prix abusivement bas. C'est pourquoi cette dernière ordonnance est pour nous très importante.

Mme Véronique Le Floc'h, secrétaire générale de la Coordination rurale. - En ouvrant les États généraux de l'alimentation, le Président de la République annonçait vouloir améliorer le revenu des agriculteurs, chose difficile à obtenir. Comment résoudre cette problématique avec des solutions uniquement françaises, alors que nos prix font référence à des prix mondiaux ?

Nous nous félicitons que la loi prévoie de tenir compte d'indicateurs de coûts de production et d'inverser la formation des prix. Nous sommes en effet le seul secteur économique dans lequel le vendeur ne décide pas des prix de ses produits.

La seule façon d'y répondre réside dans la contractualisation. Outre le fait que les contrats ne concernent pas tous les producteurs, l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime exclut la référence aux indicateurs de coût de production pour les sociétés coopératives agricoles (SCA). Cela soulève toute une série de questions pour les producteurs de la Coordination rurale, les contrats doubles, bipartites ou tripartites n'ayant pas été mis en avant. Les choses sont compliquées, les productions étant très différentes les unes des autres.

Dans le secteur laitier, les références au coût de production publiées par le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) suivent la méthode COUPROD, définie par l'Institut de l'élevage (IDELE). Celle-ci aboutit à un prix de 396 euros pour 1 000 litres, ce qui, ramené sur les cinq dernières années, donne un coût de production de 422 euros les 1 000 litres. Or ce prix n'apparaît dans les négociations que pour la part concernant les produits de grande consommation français. Cela pèse pour 40 % ou 50 %, voire pour 11 % seulement dans certaines formules. La couverture des coûts de production n'est donc pas encore garantie.

Les producteurs verront-ils leurs revenus augmenter grâce à des déclarations de bonnes intentions qui pourraient venir des industriels et des distributeurs par rapport au relèvement du SRP, sachant que cela ne concerne pas les marques de distributeurs (MDD) ? La question se pose par rapport à l'encadrement des promotions dans le marché tel qu'il est aujourd'hui, puisque le marché favorise la surproduction de certaines marchandises, laquelle à son tour favorise les promotions.

Nous constatons des blocages de la part de l'aval une fois les indicateurs validés par les interprofessions, qui peuvent établir des guides d'utilisation sur la manière de prendre en compte les indicateurs pour la détermination, la révision et la renégociation des prix. En pratique, l'interprofession peut publier des recommandations, mais tout le monde peut les ignorer, y compris ses membres. Il eût, là encore, été judicieux de tenir compte des indicateurs de l'OFPM. Nous sommes en outre limités par le droit de la concurrence.

Nous entendons également mieux rémunérer les agriculteurs. Il faut partager la valeur. C'est une notion à laquelle tient la Coordination rurale : le producteur génère de la valeur, celle-ci étant évidemment définie à partir de son coût de production, le transformateur y apportant une valeur ajoutée qui lui est propre.

S'agissant des prix abusivement bas, il aurait été selon nous judicieux que ceux-ci se rapprochent le plus possible des coûts de production définis par chacune des interprofessions. Nous avons aussi la possibilité, dans chacune de ces interprofessions, de réaliser des courbes de Gauss dans lesquelles on classe les producteurs suivant leurs coûts de production et non par seuils de rupture. Ces derniers sont des chiffres utilisés par les chambres d'agriculture qui constituent des coûts pour lesquels la rémunération du producteur est déduite des prélèvements. Or il faut prendre les coûts de production en y ajoutant une vraie rémunération. On pourrait peut-être ensuite fixer pour chacune des productions la barre à 70 % du coût de production moyen.

Enfin, la Coordination rurale a toujours été en faveur de l'exception « agriculturelle » pour sortir de cette situation où les marchés européens doivent être régulés et protégés.

M. Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne. - Il nous semble que l'appropriation du nouveau mécanisme de contractualisation inversé est difficile dans les secteurs où la contractualisation n'a pas été rendue obligatoire. C'est un premier point de blocage. Dans ce cas, la contractualisation n'est pas véritablement effective et est déléguée de fait à l'acheteur.

En ce qui concerne le lait, où la contractualisation est obligatoire, nous pointons du doigt la formation verticale des organisations de producteurs (OP), c'est-à-dire des OP liées à un acheteur. Nous avons toujours revendiqué le fait qu'il fallait inciter à l'apparition d'organisations de producteurs transversales, par bassin, par territoire, qui permettraient d'être moins dépendant d'un seul acheteur, avec qui la discussion est forcément faussée. Dans certaines organisations professionnelles, un salarié de l'acheteur est même mis à disposition. Le rapport de force est donc compliqué dans ces conditions.

Nous avons par ailleurs toujours soutenu la rémunération de la montée en gamme. Nous regrettons de constater qu'elle est peu pilotée par les producteurs, même dans les interprofessions. Énormément d'initiatives privées de transformateurs ou de distributeurs se mettent en place avec un cachet certifiant le bien-être animal, un lait équitable ou un lait à l'herbe, mais celles-ci ne viennent pas de l'interprofession. L'appropriation de la montée en gamme se fait par des marques ou des entreprises. Ceci confirme nos doutes quant au risque de retomber dans le même système qu'aujourd'hui.

Cette segmentation privée, au lieu de constituer un moyen d'obtenir de nouvelles parts de marché, devrait plutôt servir à mieux payer les producteurs. C'était l'objectif de la loi. On risque d'avancer encore un peu plus vers une dualité de l'agriculture et de l'alimentation : certaines marques et certains consommateurs auront le choix d'une alimentation de qualité et certains producteurs pourront être sauvés, mais pas sur certains territoires ou dans certaines productions.

Concernant l'élaboration des indicateurs, on constate, notamment chez Interbev, des points de blocage par rapport à la distribution, qui ne veut pas rémunérer le travail des paysans, alors que la revendication se situe à hauteur de deux SMICs. Ceci est inacceptable. L'intervention du médiateur des relations commerciales agricoles n'est pas suffisante. C'est une revendication que nous avions dès le début, un arbitrage public étant nécessaire.

Nous ne constatons pas de changement de mentalité dans les négociations commerciales. Les démarches vertueuses sont relativement minoritaires en nombre et en volume. Une grosse pression s'exerce sur l'agriculture biologique, alors que celle-ci devrait permettre de mieux rémunérer les éleveurs et les paysans. Ceci risque de tirer la totalité du marché vers le bas : une fois les marges de l'agriculture biologique rognées, elles le seront ailleurs !

Selon nous, les effets de la loi risquent d'être quasiment nuls pour les producteurs. Il est bien beau d'instaurer un code de la route mais, sans gendarmes, les distributeurs et les transformateurs ne seront pas suffisamment vertueux. La notion de prix abusivement bas nous paraissait très importante et pouvait être centrale. Le fait qu'elle figure dans une simple ordonnance et qu'il paraisse long et difficile de faire aboutir ces démarches pour des producteurs ou des organisations de producteurs en dit beaucoup.

Nous aurions souhaité que le politique reprenne la main sur l'économique, notamment en matière de transparence. Il faut connaître la valeur de la matière première dans les transactions commerciales entre transformateurs et distributeurs pour pouvoir négocier. La valeur ajoutée de la transformation doit porter sur les capacités de transformation et de marketing, et non servir à exercer une pression sur les producteurs.

S'agissant de la transparence, nous menons en ce moment des actions par rapport à la société Lactalis, prédateur par excellence dans ce domaine. Je possède un certificat de non-dépôt des comptes annuels pour l'exercice clos le 31 décembre 2017 donnés par le tribunal de commerce de Paris pour la société Besnier SA datant du 10 janvier 2019. Il nous semble donc également nécessaire d'avancer de ce point de vue.

M. Baptiste Gatouillat, vice-président de Jeunes agriculteurs. - Notre première démarche, s'agissant de la loi Egalim, était de redonner du revenu aux agriculteurs de tous les secteurs - maraîchers, arboriculteurs, céréaliers, éleveurs... - afin d'encadrer l'ensemble des démarches commerciales agricoles. La volonté de notre syndicat a toujours été de pouvoir aider des jeunes à s'installer. Pour ce faire, il faut des prix rémunérateurs et les traiter comme il se doit.

Nous sommes en capacité, sur nos exploitations, d'offrir une alimentation saine, sûre et durable, objectif de la loi que l'on avait déjà atteint avant la parution de la loi. Seuls manquaient des prix rémunérateurs.

La loi ne va pas permettre de dégager demain 15 % de revenus de plus. On a réussi à inverser une logique vieille de 50 ans, dans laquelle les agriculteurs servaient de variable d'ajustement. Y être parvenu après un an et demi de discussions paraît déjà une bonne chose, tout comme le fait que les producteurs reprennent la main sur la construction des prix à travers les interprofessions, même si ce n'est pas parfait. On peut déplorer ce qui n'avance pas, mais il faut aussi mettre en valeur ce qui progresse.

L'objectif de cette loi est aussi de recréer le lien avec le consommateur. Les ordonnances vont entrer en application. On discute de la dernière concernant le prix de cession abusivement bas. Il faut que tous les agriculteurs soient concernés, qu'il s'agisse de transformateurs, de coopératives ou d'intervenants privés. Nos quatre syndicats sont d'accord et ont défendu ardemment ce point de vue ces derniers jours et nous continuerons à le faire.

Le titre I va également avoir un impact sur nos exploitations, mais on ne peut détacher le titre I du titre II, qui permet de valoriser nos productions en respectant certains critères de qualité et de protection de l'environnement. Nous travaillons encore sur ce sujet. Nous avons accepté quelques contraintes supplémentaires à condition que nos prix soient revalorisés.

Une fois que la loi sera appliquée, il est nécessaire que l'État et les industriels respectent leurs engagements et que nous soyons mieux rémunérés. On a donc besoin de contrôles dans les grandes surfaces et chez les transformateurs.

L'importation des matières premières qui ne respecteraient pas les normes européennes figure également dans la loi. On a déjà « mis un pied dans la porte » pour interdire la vente de produits qui n'appliqueraient pas les normes et les standards de production européens. L'ensemble des produits monteront ainsi en gamme. Si on est sur un marché mondial avec un même standard, on peut avoir de la concurrence. Sauf qu'aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Dans la loi, la distorsion de concurrence a été mise en valeur. Nous serons vigilants à ce qu'elle soit appliquée.

Mme Sophie Primas , présidente. - La parole est aux rapporteurs, puis au président du groupe de suivi des États généraux de l'alimentation.

M. Michel Raison , rapporteur. - On peut se féliciter que les syndicats agricoles soient des syndicats constructifs. Tous évoquent des propositions et réclament un suivi.

C'est peut-être la première fois que l'on trouve dans le monde agricole un premier point d'accord entre les syndicats concernant la construction du prix de revient, que tous ont revendiquée, l'OFPM devant prendre le relais en cas d'impossibilité des interprofessions de se mettre d'accord.

L'Assemblée nationale l'a voté en première lecture, le Sénat a voté conforme et, pour la première fois peut-être sous la Ve République, sur ordre du Gouvernement, l'Assemblée nationale a fait échouer la CMP en revenant sur sa parole ! Je tenais à souligner la gravité de cet événement !

Par ailleurs, n'oublions jamais qu'un revenu résulte de la différence entre les charges et les produits. C'est une lapalissade. On ne pourra jamais régler le problème du revenu agricole en parlant seulement du prix. Le prix varie en effet en fonction des quantités, très variables selon les années et une partie des produits proviennent de la PAC.

Nicolas Girod a dit qu'on ne constatait aucun changement de mentalité dans la grande distribution. Chaque année on modifie la loi, mais le problème est moral. Il existe déjà des contournements de la règle en matière d'encadrement des promotions et de SRP grâce aux nouveaux instruments promotionnels (NIP) ou autres systèmes.

Même si vous nous l'avez déjà dit, pensez-vous que l'on ressente une amélioration en matière de prix agricoles ? Vous n'avez pas abordé la question du prix abusivement bas, les ordonnances n'étant pas encore prises. Comment imaginez-vous la façon dont vont être prises ces ordonnances ? Quelles vont en être les conséquences pour les paysans ?

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure. - On sentait bien, lors des débats autour de cette loi, qu'on allait rencontrer un certain nombre de difficultés s'agissant de sa mise en oeuvre. Notre commission s'est très rapidement engagée dans une stratégie de suivi, avec constitution d'un groupe. Nous sommes ici pleinement dans notre rôle de contrôle de l'application de la loi : ceci permettra peut-être de lutter contre la défiance à laquelle nous sommes confrontés en ce moment.

Un des socles de cette démarche me semble résider dans la constitution d'indicateurs de coût de production. Nous avions trouvé un accord en première lecture. L'Assemblée nationale est revenue dessus à notre grande surprise. Les modalités d'élaboration des indicateurs ne peuvent plus s'appuyer sur une intervention de l'OFPM à défaut d'accord interprofessionnel.

Où en sont précisément les négociations ? Certaines interprofessions sont-elles parvenues à élaborer des indicateurs ? Sont-ils bien pris en compte dans les contrats et les formules de prix ? À défaut, comment les producteurs vont-ils construire leur prix à l'avenir ?

M. Daniel Gremillet , président du groupe de suivi des États généraux de l'alimentation. - Notre commission a considéré à l'unanimité qu'il était essentiel de mettre en place un groupe de suivi. On se rend en effet bien compte qu'on est au bout des textes qu'on a pu mettre en oeuvre, sans que cela ne débouche jamais sur une réponse concrète au sujet de l'équilibre nécessaire ou de la reconnaissance de la place du producteur en matière de formation des prix.

On voit que les règles sont déjà contournées, mais on assiste surtout à une confiscation complète de la montée en gamme au bénéfice des distributeurs, les enseignes exigeant des conditions qui n'ont rien de réglementaire et qui imposent aux producteurs des charges supplémentaires. Il faudra donc que le groupe de suivi soit habilité à aller au fond des choses, car certaines pratiques ne vont pas dans le sens de la loi.

Avez-vous aujourd'hui connaissance du nombre de contrats qui ont été signés ? Si c'est le cas, quel est le niveau d'augmentation des prix d'achat ? Pouvez-vous nous en indiquer la répartition dans le chiffre d'affaires ? En effet, n'oublions pas qu'il y a les négociations sur les marques et les négociations sur les marques de distributeur (MDD) qui se déroulent toute l'année. Or parfois les MDD représentent parfois 50 % pour certaines entreprises.

Le groupe de suivi devra faire le point une fois les négociations terminées, mais également durant l'année, compte tenu de l'impact des MDD dans le mix-produit qui permet de rémunérer les producteurs.

Mme Sophie Primas , présidente. - Je confirme que l'objectif du groupe de travail est de perdurer et de suivre les choses dans le temps.

M. Jean-Marie Janssens . - En décembre dernier, deux ordonnances venaient compléter la loi sur l'alimentation du 30 octobre 2018. Leur objet : le relèvement du seuil de revente à perte des produits alimentaires et l'encadrement des promotions des produits alimentaires dans les grandes surfaces. Ces deux ordonnances seront, à en croire le Gouvernement, appliquées en février et mars 2019.

Ces ordonnances tardives et la date confuse de leur application traduisent selon moi deux réalités regrettables. Tout d'abord, la loi sur l'alimentation marque des avancées du point de vue des consommateurs mais semble limitée en ce qui concerne nos agriculteurs, éleveurs et producteurs eux-mêmes, qui ne voient pas leur situation véritablement évoluer.

En second lieu, l'incertitude qui plane autour de l'application de ces ordonnances prouve que la question du juste revenu de nos professionnels agricoles n'est pas traitée à sa juste mesure en France. L'enjeu est pourtant majeur : aujourd'hui nos éleveurs sont plus que dépendants de la PAC. Les aides européennes versées à la filière bovins-viande sont même supérieures à la rémunération des ventes.

La question est simple : comment feront nos éleveurs le jour où la PAC ne sera plus aussi favorable ? Tout au long de cette année, les négociations pour la période 2021-2027 vont faire l'objet de débats intenses. Il est du devoir de la France d'anticiper une évolution de la PAC et de préparer dès aujourd'hui les conditions durables d'une meilleure rémunération de nos éleveurs.

Il est urgent que les acteurs de l'aval paient la viande à un prix de revient qui assure aux éleveurs une rémunération décente. En pleine élection des chambres d'agriculture, je souhaite connaître la position des principaux syndicats sur ce sujet de première importance.

M. Daniel Dubois . - Certes, la rémunération des agriculteurs dépend en très grande partie du coût de production, mais le problème réside avant tout dans la compétitivité du monde agricole. Si le monde agricole n'est aujourd'hui pas plus compétitif, qu'il subit des normes excessives par rapport à ses concurrents sur un marché mondial, je ne vois pas comment il peut obtenir des prix rémunérateurs.

En huit ans, on a connu trois lois différentes - loi de modernisation, loi d'avenir, loi Egalim - qui ont à peine effleuré le sujet de la compétitivité et ne l'ont jamais améliorée.

Le deuxième enjeu, c'est le débat sociétal : on ne peut affirmer d'un côté qu'il ne faut plus manger de viande et préserver les pâtures pour résoudre les problèmes d'écoulement des eaux sur le territoire ! Cohérence et compétitivité face à l'excès des normes constituent un enjeu majeur. Êtes-vous aujourd'hui capables, face à ce débat sociétal, d'avoir le même discours, de vous battre sur vos valeurs et de communiquer à ce sujet ?

Mme Cécile Cukierman . - Je salue l'initiative qui a permis d'organiser cette table ronde sur le suivi de l'application de la loi Egalim.

Selon vous, la loi suffit-elle ? Laisse-t-on la place à la négociation et à l'inversion des mentalités ? Peut-on vraiment tendre vers la construction d'un juste prix ? La loi peut faire beaucoup, mais elle ne règle pas tout...

Par ailleurs, de quels moyens avez-vous besoin - agents de l'État, contrôle de l'évolution législative - pour répondre à la question du pouvoir d'achat dans le monde agricole ?

M. Joël Labbé . - Je salue également la mise en place du groupe de suivi. C'est un souhait que je formule depuis longtemps.

J'espère que nous entendrons l'ensemble de la représentation syndicale lorsque nous travaillerons sur les orientations budgétaires, quel que soit le résultat des prochaines élections.

La loi Egalim nous laisse aux uns et aux autres un goût d'inachevé. Elle a été « torpillée » par le Conseil constitutionnel, il faut le rappeler, celui-ci ayant complètement dépassé son rôle. Il convient de le dénoncer !

Le Parlement, à l'unanimité, avait soulevé la question de l'intervention de la puissance publique en évoquant le recours à l'OFPM, dans l'intérêt de nos producteurs. L'idée de rémunérer le travail paysan à deux fois le SMIC est une bonne chose. C'est une base sur laquelle on devrait travailler.

Pour ce qui est de la transparence, il convient d'afficher le revenu du producteur de base afin que le consommateur puisse en avoir connaissance.

La Coordination rurale demande une régulation des productions pour éviter la surproduction : ceci va devenir une nécessité. La compétitivité, qui entraîne la surproduction mondiale, ne pourra pas durer. Je crois beaucoup à la relocalisation de l'alimentation. Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont intéressants de ce point de vue.

L'exception « agriculturelle » deviendra une nécessité planétaire, sur laquelle nous sommes un certain nombre à travailler, tout comme le paiement des services environnementaux, qui reconnaît le travail des paysans au-delà des produits qu'ils fournissent pour l'alimentation.

M. Franck Menonville . - Pourriez-vous nous détailler la situation dans laquelle se déroulent les négociations commerciales, notamment dans les grandes filières ? Où en est l'avancement des négociations en matière d'indicateurs par filière ? Quels sont les blocages et les limites rencontrées ?

Enfin, on ne peut que déplorer l'absence d'ambition de cette loi en matière de compétitivité. Il faudra que notre commission et le groupe de suivi s'attaquent à ce levier essentiel du revenu de nos agriculteurs.

M. Franck Montaugé . - Les exploitations de polyculture-élevage connaissent souvent des difficultés, les revenus tirés de la PAC constituant parfois l'essentiel du résultat - lorsqu'il est positif.

Comment anticipez-vous les évolutions de la PAC ? On nous annonce des réductions de budget de 12 % à 15 % en euros constants. Peut-on penser que les effets de la loi Egalim, qu'on souhaite tous positifs, puissent compenser de telles pertes, alors que les résultats actuels des exploitations sont parfois très faibles ?

Par ailleurs, ne craignez-vous pas que, s'il devait y avoir une remontée de la valeur en faveur des producteurs, une partie ne soit captée par les fournisseurs de matériels et par les prestataires de services ? Le sujet n'a pu être abordé lors des discussions.

Enfin, l'un de vous a estimé que vous aviez des difficultés à identifier la formation de la valeur tout au long de la chaîne, du producteur jusqu'au consommateur. Des technologies de type blockchain permettraient parfaitement de suivre cette répartition de la valeur et son évolution. Ne pensez-vous pas qu'il faut aller vers ce type de technique ?

Mme Françoise Férat . - Malgré l'optimisme du Gouvernement, force est de constater que la mise en oeuvre de la loi semble pour le moins avoir du mal à voir le jour - vous me corrigerez si je me trompe. Les contrôles manquent, ainsi que les moyens. Il convient que chacun des partenaires respecte ses engagements. C'est le fondement même de cette loi.

Il me semble que le constat que nous effectuons ce matin constitue une étape importante. Qu'envisagez-vous pour le faire partager ? Je rejoins en cela la conclusion de mon collègue Daniel Dubois.

M. Henri Cabanel . - Je suis bien sûr très satisfait de l'exercice auquel nous nous livrons ce matin, même s'il arrive un peu tôt. Il me semble qu'un certain recul aurait été nécessaire.

M. Bénézit a mis l'accent sur le fait que lorsqu'un consommateur achète un produit, seulement 6 % du prix revient à l'agriculteur. L'inversion des indicateurs aura-t-elle une incidence sur ces 6 %, même si le revenu de l'agriculteur n'est pas uniquement lié au prix ?

Par ailleurs, toutes les filières sont-elles capables de s'intégrer dans cette nouvelle loi ? Comment les agriculteurs qui ne font pas partie d'une organisation de producteurs arrivent-ils à fixer leurs prix ?

Enfin, l'un de vous a rappelé qu'il fallait recréer le lien entre l'agriculteur et le consommateur au-delà de la communication, qu'il convient d'améliorer. Quelle est la solution pour y parvenir ?

M. Pierre Louault . - Ne craignez-vous pas que, même si on aboutit à un relèvement des prix prenant en compte les coûts de production, ce travail soit mis à mal par la concurrence internationale du fait du manque de normes sur les produits de qualité ? Le poulet français n'occupe aujourd'hui que 60 % du marché français, concurrencé par des produits de plus faible qualité. Quand le maïs français est trop cher, on va chercher du maïs ukrainien produit selon d'autres normes de qualité...

Mme Sophie Primas , présidente. - J'y ajouterai trois questions. Quels moyens avez-vous instaurés pour suivre la mise en place de cette loi ?

Par ailleurs, avez-vous des indications sur ce qui se passe dans des secteurs hors grande distribution comme la restauration ?

Enfin, je suis assez préoccupée par ce qu'a dit M. Girod concernant le risque de baisse des prix sur les produits à valeur ajoutée car c'est un risque que nous avons touché du doigt souvent lors de nos débats sur la loi. Cela fait-il de votre part l'objet d'un suivi particulier ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis ? Cela peut soulever des difficultés importantes, que nous n'avons pas manqué de pointer durant les débats

M. Michel Bénézit. - Beaucoup de vos questions ont porté sur le fait de savoir si une loi était nécessaire par rapport au contexte économique global. Oui, une loi est nécessaire. Si on en est là, c'est parce que des lois ont donné la main aux acheteurs. Nous avions souhaité des amendements renforçant les sanctions sur les regroupements à l'achat. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont saisi l'Autorité de la concurrence à ce sujet. Certains regroupements peuvent en effet représenter jusqu'à 34 % du volume vendu.

Il est donc nécessaire de passer par la réglementation, les contrôles, les sanctions pour que les choses changent. C'est pourquoi le débat que nous avons est quelque peu prématuré. Ce sont dorénavant les producteurs ou leur organisation qui fournissent directement le prix, et non plus l'acheteur, d'où l'importance de ce premier acte, que toutes les organisations de producteurs et les coopératives doivent bien intégrer.

Si une organisation de producteurs ne propose pas à son acheteur un coût de production, la loi et les ordonnances ne peuvent s'appliquer. Ainsi, l'indicateur interprofessionnel a été validé à 396 euros la tonne de lait conventionnel : si l'organisation de producteurs propose 350 euros la tonne, il sera difficile de saisir un juge pour prix abusivement bas. À l'inverse, si l'on propose 396 euros la tonne, que l'acheteur refuse, propose un prix de 300 euros la tonne et que la négociation se finit à 350 euros, celle-ci sera en défaveur du coût de production, et un recours pourra alors s'exercer.

Je ne suis pas sûr que toutes les organisations de producteurs et tous les commerciaux l'aient demandé. Nous ne disposons pas de l'intégralité des retours. En tant que producteurs, nous ne participons pas aux boxes de négociation, comme les industriels ou nos organisations de producteurs. Nous aurons donc un travail à mener avec nos organisations et nos coopératives pour que le prix proposé soit le bon.

La FNSEA a saisi la DGCCRF pour contrôler les enseignes réalisant des promotions supérieures à 34 % en valeur. Depuis le 1er janvier, certains rechignent en effet à appliquer la loi, d'où l'importance des sanctions. On peut regretter ce manque de respect, mais certaines lois ont donné la main à la grande distribution, qui en a abusé.

La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont par ailleurs manifesté au printemps contre les importations créant des distorsions de concurrence
- huile de palme, accords commerciaux avec le Canada et l'Amérique du Sud. Certains produits importés sont interdits de production en France. Un amendement a été adopté par le Sénat à ce sujet pour interdire les importations de produits phytosanitaires, vétérinaires, pharmaceutiques, alimentaires, etc. Le Gouvernement l'a accepté. Nous en sommes extrêmement satisfaits. Aujourd'hui, l'importation de 200 000 tonnes de viande en provenance d'Amérique du Sud est illégale. Il serait curieux qu'aucun contrôle ne l'interdise.

Enfin, toute la logique que nous avons développée sur les coûts de production est valable pour toute la montée en gamme. Le prix du lait bio est fixé à 500 euros la tonne. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont demandé à l'OFPM de produire des indicateurs fiables et indépendants, qu'il s'agisse de produits bio ou autres. Ce qui se passe chez Carrefour, qui propose un lait bio à 87 centimes d'euros est catastrophique, car ce distributeur utilise le bio comme produit d'appel.

Avec le SRP, la grande distribution ne pourra plus descendre aussi bas, mais il est surtout nécessaire que les producteurs de lait bio aient demain les moyens d'attaquer Carrefour pour prix abusivement bas.

Il nous reste très peu de temps pour agir, car le monde agricole ne tiendra pas très longtemps. Plusieurs combats sont à mener. Il y a effectivement les charges et nous avons obtenu récemment le maintien de l'exonération totale du gazole non routier (GNR) et de la mesure concernant les travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TO-DE) à laquelle vous avez participé. Il faut continuer sur les charges. Il y a aussi la PAC, bien sûr. D'ailleurs, quand on parle d'un lait à 396 euros la tonne, ou à 464 euros la tonne, nous tenons bien sûr compte des 10 milliards d'euros de la PAC. Nous souhaitons enfin engager un véritable travail avec nos organisations de producteurs afin que chacune d'entre elles veille à faire respecter le coût de production.

Mme Véronique Le Floc'h. - Monsieur Gremillet, la montée en gamme a toujours existé : il n'est qu'à considérer la marque Label rouge. Dans ce cadre, le producteur de porc est payé 15 centimes de plus au kilo de porc, cela lui en coûte 10 centimes de plus. À la suite de rendez-vous avec Système U, le prix dans la grande distribution est de 3 euros du kilo. Même par rapport au kilo par carcasse, avec les pertes et les frais de tueries, le rapport est disproportionné.

Quant au non-OGM, il a été développé en Allemagne depuis 2008, avec une compensation de 10 euros pour 1 000 litres. Ceci ne s'est pas répercuté sur le prix moyen payé au producteur et ne couvre pas le surcoût.

Nous avons interpellé Carrefour au sujet du prix abusivement bas du lait bio. Naïvement ou volontairement, ils ont ignoré que ce prix était compris entre 512 euros la tonne et 533 euros la tonne, selon la méthode COUPROD. Pour eux, le coût de production du lait bio est de 460 euros la tonne aux termes de leur contrat tripartite avec la Laiterie de Saint-Denis-de-l'Hôtel (LSDH) et les producteurs. Aux Pays-Bas, les prix sont bien plus élevés. Par ailleurs, par rapport à la loi, on verra les MDD se développer pour être exclues des ordonnances afin de les soustraire au seuil de revente à perte.

Monsieur Janssens, la PAC représente un coût de 9 milliards d'euros. D'autres secteurs de l'économie, comme le tabac ou l'alcool, présentent des coûts totaux de 25 milliards d'euros, soit un coût net de 19 milliards d'euros ! Il existe cependant des voies pour compenser la PAC, comme la valorisation en viande bovine - cinquième quartier, abats, peau. Il y a là de la marge à récupérer dont personne ne parle.

Monsieur Dubois, la Coordination rurale est défavorable aux aides captées par le para-agricole, en amont ou en aval. Si l'on considère les aides aux protéagineux, les semences ont pris 1 euro du kilo. C'est la même chose pour les subventions du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAEA).

Les coûts dans le domaine des bâtiments ou du matériel ont été multipliés par un facteur 3 entre les années 2000 et aujourd'hui. Lorsque j'étais banquière et que je finançais les bâtiments, dans les années 2000, la place-vache revenait à 2 500 euros. Aujourd'hui, elle coûte de 6 500 euros à 10 000 euros. Pour le porc, on a multiplié les coûts par trois. Quelqu'un posait une question sur la compétitivité : le retard de compétitivité est entre autres dû à toutes ces augmentations, notamment celle des bâtiments.

En Bretagne, dans le secteur laitier, 60 % des investissements annuels concernent le matériel, 30 % concernent le bâtiment et 10 % vont à la trésorerie.

Madame Cukierman, s'agissant de l'augmentation de la marge brute et la rentabilité des industriels, j'ai écrit un rapport très illustré qui décrit l'activité laitière au plan mondial, européen et français, en détaillant les retards que nous accumulons en termes d'investissements. J'y décris la très bonne santé financière de nos industriels laitiers. Je m'appuie entre autres sur le rapport de l'OFPM : entre 2001 et 2016, la marge brute de nos industriels a augmenté de 50 %.

J'ai effectué un calcul avec un seuil de rupture de valorisation de la tonne à 800 euros, alors qu'elle est passée d'environ 1 900 euros à 1 350 euros en 2016, pour rechuter un peu en 2017. La valorisation de la France est supérieure à 1 200 euros la tonne, alors qu'en Allemagne, elle est à 750 euros la tonne, entre 700 euros à 750 euros la tonne au Danemark, les Pays-Bas étant à 1 000 euros la tonne.

En 2017, la marge brute des industriels était de 30 %. Elle a augmenté de 50 %. En tenant compte d'une valorisation du seuil de rupture à 880 euros la tonne, on a dix centimes à récupérer sur la marge brute. Ces dix centimes, ajoutés à notre prix de vente, pourraient nous permettre d'obtenir 450 euros la tonne. L'Observatoire financier du Crédit agricole nous montre fort bien la classification des entreprises par rapport à leur diversification et à leur chiffre d'affaires.

Que pourrait-on demander à l'État ? La Coordination rurale, lors de sa conférence de presse de rentrée, il y a quinze jours, a présenté une nouvelle démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) afin que le fournisseur de matières premières agricoles soit pris en compte. Nous allons présenter au salon de l'agriculture les critères qui seront retenus, et nos premiers résultats concernant des entreprises seront publiés au mois d'octobre.

Monsieur Labbé, je ferai un parallèle entre l'exception « agriculturelle » et l'exception culturelle française dans le domaine du cinéma. L'an passé, nous présentions six films aux États-Unis.

S'agissant du programme Prévention santé environnement (PSE), la Coordination rurale considère que les producteurs font déjà leur maximum. Si on veut inclure de nouveaux services, qu'il s'agisse de haies, de talus, ou d'entretien des rivières, on peut récupérer de l'argent sur le budget du ministère de la transition écologique et solidaire, réinsérer des gens de l'économie sociale et solidaire et recréer ce lien social. Les producteurs n'en ont pas le temps. On pourrait aussi prendre sur le budget des agences de l'eau, mais 150 millions d'euros à l'année pour tous les services environnementaux ramenés à chacun des agriculteurs représenteraient seulement deux jours de travail.

L'absence d'augmentation de compétitivité est liée aux investissements. Comment anticiper la baisse de la PAC ? Je rappelle qu'elle représente 25 euros à 30 euros par hectare. On peut quand même espérer pouvoir les récupérer dans le prix du lait ou des céréales.

S'agissant des 6 %, ce chiffre représente la valeur ajoutée. On constate que 30 % reviennent à des produits d'importation. Grâce à la TVA sociale, ces produits pourraient contribuer à financer notre système social.

En novembre 2017, à Lorient, nous dénoncions les importations de soja traité au Roundup et leur impact sur la santé. Dans un de mes rapports, je préconise la sortie de l'OMC, d'étudier le cas de la Norvège et son système de protection, et de s'intéresser, sur le plan local, aux projets alimentaires territoriaux et aux coopératives parties à l'international au lieu de rester chez nous.

M. Nicolas Girod. - Michel Raison a dénoncé le problème moral que constitue la notion de prix bas, alors que certains d'entre vous sont revenus sur la notion de compétitivité. Je pense que nous avons tous une responsabilité en la matière - paysans, consommateurs, citoyens, élus. On ne considère que le prix dans la compétitivité. À ce jeu-là, la France ne sera pas compétitive par rapport au blé ukrainien, à la viande argentine, à du soja, à du mouton néo-zélandais ou à du lait irlandais. Soit l'on continue à chercher à abaisser nos charges à tout prix pour parvenir à un prix qui ne nous rémunérera pas, soit on recherche une compétitivité plus globale, qui pourrait permettre de sortir du cercle infernal des prix bas et répondre aux attentes sociétales en matière environnementale, d'aménagement territorial ou de changement climatique.

Le prix ne peut pas constituer la seule base de la compétitivité. Nos produits ont une valeur parce qu'ils répondent à une attente citoyenne en matière environnementale, climatique ou territoriale. S'ils n'y répondent pas, les consommateurs vont s'en détourner. Je produis du lait pour le Comté AOP. Cette appellation n'est pas forcément compétitive en termes de prix, mais répond à un souci d'aménagement territorial, d'environnement, de montée en gamme.

Vous nous avez interrogés sur la dépréciation qui pourrait porter sur les prix à forte valeur ajoutée. Il en va aussi de notre responsabilité : l'interprofession est-elle capable de chercher à tirer tout le monde vers le haut, sans recherche minimaliste ? Les contraintes sont-elles des atouts pour le futur ? C'est à cette question qu'il nous semble important de répondre pour avancer vers une compétitivité globale répondant mieux aux enjeux sociétaux.

La PAC doit aussi nous servir à répondre à ces enjeux. Pour la Confédération paysanne, la PAC ne doit pas être considérée comme un tiroir-caisse, mais comme un levier de changement et de transition agricole. Si l'on arrive à avancer vers des systèmes plus performants sur le plan environnemental, territorial et social, qui emploient de nombreux paysans, on arrivera à répondre aux attentes citoyennes. Il faut alors espérer que nos productions seront plus attractives pour le consommateur, qui ne cherchera pas à s'en détourner.

On ne peut faire à la fois le choix des volumes et celui de la valeur ajoutée, jouer sur les deux tableaux. La Confédération paysanne défend une dégressivité des aides et un plafonnement, comme les aides à l'actif et aux petites fermes, sur les premiers hectares, ainsi que des aides à la transition agricole, comme les contrats territoriaux d'exploitation (CTE) dans les années 2000. Les CTE étaient un bon moyen d'avancer vers une transition agricole.

Il va de soi qu'on a aussi besoin de la régulation des volumes, que la Confédération paysanne a toujours mise en avant, ainsi que de la répartition, qui nous permettront de compter sur des paysannes et des paysans nombreux. La politique européenne doit aller dans ce sens.

Pour ce qui est des indicateurs interprofessionnels, on demandait, dès le début des État généraux de l'alimentation - ce qui bloque encore aujourd'hui - que les indicateurs de production soit prépondérants par rapport aux indicateurs de marché. C'est aussi un moyen pour les distributeurs et les industriels de passer outre la construction des coûts de production. Le ministère a expliqué à Interbev qu'il pourrait les minorer par des indicateurs de coût de marché. On retombe dès lors dans une gestion du rapport de force entre acheteurs et vendeurs, que nous n'avons pas réussi à atténuer.

S'agissant des contrôles, nous avons entamé un cycle d'actions vis-à-vis de la grande distribution pour marquer notre refus de prix plus bas. On avait également lancé, courant 2015, des plaintes face à l'extorsion des grands industriels laitiers. L'une d'elle est toujours active dans le Finistère concernant Lactalis. Elle a été réactivée la semaine dernière, ainsi que je l'ai déjà dit.

Le pouvoir politique a la responsabilité de remettre sur le devant de la scène ce besoin de transparence, qui n'est pas destiné à mettre à mal l'industrie agroalimentaire française, mais qui traduit un besoin de comprendre les mécanismes et la construction de la valeur ajoutée afin de mieux avancer en matière de répartition. C'est ce qu'on n'arrive pas à faire et qu'on a essayé de nous vendre au cours des États généraux de l'alimentation.

Je fais personnellement mon mea culpa par rapport à ce qui s'est dit durant cette période. Nous avons beaucoup mis la filière Comté en avant : à y regarder de plus près, la filière comporte cependant des régulations des volumes qui n'existent nulle part ailleurs. Il faut donc retravailler là-dessus. Dans la filière Comté, la coopération est encore aux mains des paysans, ce qu'on ne retrouve pas dans d'autres secteurs. Notre cahier est contraignant, mais possède des atouts, et aucun gros industriel ne bloque la négociation. On peut ainsi avancer en toute transparence. On connaît approximativement la quantité de Comté et le prix auquel il est vendu par nos affineurs. La négociation peut s'engager à partir de là.

C'est en cela qu'il faut contraindre le modèle agro-industriel à avancer sur cette nécessaire transparence, afin de pouvoir répartir la valeur qui doit revenir aux paysans.

M. Baptiste Gatouillat. - J'aimerais revenir sur les questions concernant les négociations commerciales.

Nous avons demandé à être invités dans les boxes de négociation pour aider l'ensemble des distributeurs à mieux nous rémunérer. Nous avons essuyé un refus poli au motif que le droit de la concurrence et le code du commerce ne permettaient pas à des représentants syndicaux ou à des producteurs d'être présents. La loi fait parfois bien les choses... En ce sens, les États généraux de l'alimentation devront bien nous servir.

Certains transformateurs nous disent que les négociations commerciales sont plus faciles, mais on ne peut pas exactement dire comment elles se déroulent. Les contrats sont un peu plus avancés que l'année dernière. Un plus grand nombre a été signé par rapport à l'année précédente. Comportent-ils une revalorisation du prix ? Nous l'espérons. Étant donné la communication des grandes surfaces, on peut au moins espérer une négociation à la hausse.

Dans une économie, il existe deux façons d'obtenir des prix : soit on administre et on réglemente, soit on entretient une relation de confiance. Avec les producteurs, cette confiance a disparu progressivement depuis 50 ans. On ne va pas la rétablir d'un seul coup. Nous serons cependant vigilants.

Nous ne sommes pas favorables à une agriculture administrée ni à des prix administrés, mais nous voulons travailler en confiance. On y arrive au niveau local ou avec certains transformateurs et on doit pouvoir faire de même avec les grands marchés sur le plan local, la restauration hors domicile ou l'exportation. La France est un grand pays agricole. Elle a des produits à valoriser au niveau international, avec des standards de qualité qui sont appréciés dans le monde entier. Le savoir-faire français est reconnu, et on doit pouvoir créer de la valeur à l'exportation. C'est là qu'on gagnera en compétitivité.

Nous avons accompli des efforts dans ce domaine mais nous sommes sûrement parvenus au bout. Nous sommes arrivés à produire une alimentation saine, sûre, durable et peu chère, mais on nous demande de faire en sorte qu'elle soit encore plus sûre et encore plus durable. Le prix augmentera donc forcément et pas simplement pour couvrir les charges. C'est cette logique qu'il nous faut arriver à faire entrer dans les boxes de négociation.

Par ailleurs, les ordonnances concernent toute l'alimentation, qu'il s'agisse des grandes marques ou des marques de distributeurs.

Concernant le débat sociétal, les modes alimentaires changent. Il ne faut pas les imposer à tout le monde. Chacun a le droit de manger ce dont il a envie - conventionnel, raisonné, bio, Label rouge. Notre objectif est de fournir une alimentation de qualité qui rémunère le producteur. C'est à nous de la valoriser en termes de communication et de faire en sorte que la valeur ne soit pas accaparée par les industriels. On a « saigné » le conventionnel et on s'attaque maintenant au bio. Le but d'un industriel, d'une grande ou moyenne surface (GMS), une fois que les gens achètent, est de récupérer ses marges. On va ainsi emmener peu à peu la filière bio dans le mur.

Servons-nous de ce que nous avons appris pour éviter de mettre à plat les exploitations bio. Le marché existe. Il faut pouvoir l'approvisionner, le développer dans certains cas. On doit être capable de s'adapter mais on ne peut le faire en six mois. Il faut trois ans minimum pour passer au bio. Il faut ensuite pérenniser les choses. Ne cassons pas cette dynamique !

Pour ce qui est de la PAC, nous n'avons pas envie qu'elle baisse. Nous préférons croire qu'elle doit augmenter afin d'aider l'agriculture. Peut-être est-ce utopique : c'est certainement parce que nous sommes jeunes ! Si l'on doit rendre des services environnementaux et favoriser la biodiversité, on ne pourra pas le faire avec l'argent de la PAC, qui sert à nous garantir un revenu.

Les Jeunes agriculteurs veulent aller de l'avant. Si l'on veut que la PAC soit plus verte, cela relève de l'environnement et de l'écologie. Nous sommes les seuls à favoriser la biodiversité. Ce n'est pas sur les toits de Paris qu'on va planter des haies, ou sur une rocade, mais bien sur des terres agricoles qui servent à produire des aliments de qualité. Si on perd de la production, il faut la remplacer. Nous souscrivons donc tout à fait au paiement des services environnementaux.

En termes de régulation de production, on sait que le système des quotas fonctionne plutôt bien. Les interprofessions doivent être capables d'anticiper les demandes et de réguler elles-mêmes la production. Cela se fait dans certains cas. Je suis planteur de betteraves : je signe un contrat en volume. Si je réalise plus de volume, je n'ai aucune garantie sur le prix. Il faut donc que j'ajuste au mieux ma production. Ce sont des choses qui doivent se développer. C'est ce que nous avons toujours prôné et ce vers quoi on se dirige. Cela prendra du temps, mais on y parviendra.

Pour ce qui est de la captation de valeur, 6 %, c'est le pourcentage qui nous permet de vivre à peu près. Je fais un parallèle avec le monde de la mode : on est capable de faire fabriquer en Chine un t-shirt à un euro, mais on est également capable de le faire fabriquer en France à 100 euros pour une certaine catégorie de la population. L'agriculture française doit pouvoir répondre à celui qui ne peut payer qu'un euro comme à celui qui est capable de dépenser 100 euros. Il s'agit d'une relation de confiance.

C'est ce qui se passe pour la restauration hors foyer ou les circuits courts. Certains parents acceptent de payer la cantine 4 euros au lieu de 3 euros. Chez soi, à ce prix-là, c'est moins évident.

Les collectivités territoriales, l'État, les foyers ont leur part à prendre dans ce marché. Localement, on arrive à faire des efforts. C'est grâce à cela que le lien avec les consommateurs se rétablit. Si le circuit fonctionne bien, on doit pouvoir en tirer de la valeur. La loi est là pour encadrer la démarche. Il sera peut-être nécessaire, dans deux ans, de voter une nouvelle loi pour ajuster les choses.

Certains industriels, comme Métro, qui ont de gros débouchés, commencent à sentir que les choses changent, par exemple en matière de produits sans OGM. Les filières végétales et animales travaillent ensemble pour aller en ce sens et répondre aux objectifs de la loi.

M. Daniel Gremillet . - Quel est l'état des discussions s'agissant du prix réel payé aux producteurs ? Selon la loi, les entreprises ont dû annoncer le prix payé aux producteurs depuis le début de l'année...

Il sera très important, lors de notre prochaine réunion, de connaître la situation par rapport à celle de nos concurrents européens.

M. Patrick Bénézit. - Je répète que nous ne sommes pas dans les boxes de négociation. Nous aimerions d'ailleurs bien y participer en tant qu'organisations professionnelles.

D'après les premiers retours, notamment par rapport au lait, les négociations, sur le marché français - l'exportation n'étant pas concernée, il faut le rappeler - tendent à aller dans le sens du coût de production. Nous ne savons toutefois pas sur quel pourcentage cela va s'appliquer. Le vrai danger est qu'un distributeur respecte les coûts de production à hauteur de 20 % et fasse comme d'habitude pour les 80 % restants. On a quelques bons contrats, comme entre Danone et Leclerc, mais on ne connaît pas le poids que cela peut représenter par rapport au volume total acheté par cette enseigne. Il faut demeurer extrêmement prudent. Il faudra dresser le bilan à la fin des négociations.

M. Daniel Gremillet . - Je l'ai dit, on ne peut faire le bilan des négociations entre distributeurs et entreprises de vente de produits agroalimentaires, les négociations se terminant fin février et concernant moins de 45 % de ce qui est vendu.

Nous sommes le 23 janvier 2019. Selon la loi, les entreprises doivent indiquer les prix auxquels elles vont rémunérer les producteurs en janvier. A-t-on déjà une idée ?

Mme Véronique Le Floc'h. - En matière de production laitière, dans les négociations entre Sodiaal, Savencia et Bel avec des distributeurs comme Intermarché, le chiffre est de 375 euros les 1 000 litres. Il entre dans la constitution du prix uniquement pour la part des produits de grande consommation France. Le prix payé au producteur tourne autour des 330 euros pour le mois de janvier. Si la moyenne des cinq dernières années avait été plus faible que 396 euros la tonne, c'est celle-ci qu'on aurait retenue.

M. Patrick Bénézit. - Ce sont des chiffres partiels. Les négociations ont lieu filière par filière, et nous ne disposons pas de tous les éléments. On connaît seulement les plus belles annonces.

M. Nicolas Girod. - Les prix annoncés pour l'instant restent encore en dessous des coûts de revient. Pour l'instant, la remontée des prix n'est pas effective.

M. Baptiste Gatouillat. - La tendance est à la hausse, mais on est incapable d'en préciser le chiffre. C'est peut-être sur le lait qu'elle sera la plus significative, parce qu'on en parle beaucoup. Pour ce qui est des céréales, les blés remontent un peu sur le marché mondial, l'orge va baisser, et les betteraves vont sûrement remonter. Dans le secteur végétal, les signaux du marché laissent penser que l'année 2019 sera meilleure.

M. Michel Raison , rapporteur. - Un parlementaire qui vote une loi doit la suivre. On verra avec vous si la légère remontée des prix que l'on souhaite est liée à la loi Egalim ou au cours traditionnel du lait. On devra également comparer avec l'Allemagne.

Mme Sophie Primas , présidente. - Merci pour cette première rencontre. Nous nous retrouverons probablement à la fin du premier semestre pour une deuxième réunion.

Je souhaite à chacun de belles élections professionnelles.

Table ronde sur le thème : « Les effets du titre Ier de la loi Egalim
du 30 octobre 2018 sur les négociations commerciales en cours »,
autour de MM. Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), Dominique Amirault, président de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF), Dominique Chargé, président de Coop de France, et Richard Panquiault, directeur général de l'Institut de liaison et d'études des industries de consommation (ILEC)
(Mercredi 6 février 2019)

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions portant sur les effets du titre Ier de la loi EGALIM également appelée « Loi Alimentation ». Cette loi a été l'origine d'écarts de vue entre le Sénat et l'Assemblée nationale et, comme vous le savez, la commission mixte paritaire à laquelle son examen a donné lieu n'a pas abouti.

Désormais, au titre des fonctions de contrôle du Sénat, il nous faut comprendre les conséquences de l'application de cette loi. Ses effets sur les territoires sont-ils en phase avec les objectifs qui en étaient attendus, notamment en matière de rémunération des agriculteurs ? Telle est la question dont s'est emparée notre commission, à travers notamment les activités de son comité de suivi présidé par notre collègue Daniel Gremillet.

Il y a un certain nombre d'ordonnances, prévues par la loi, qui sont progressivement mises en oeuvre. Depuis le 1 er février dernier, le relèvement du seuil de vente à perte à 10 % est entré en vigueur. Cette mesure a fait couler beaucoup d'encre, dans un contexte où le pouvoir d'achat de nos concitoyens est au coeur des débats. D'autres mesures de la loi EGALIM font l'objet d'une mise en oeuvre progressive et conduisent à redéfinir, à court terme, le renouvellement de nombreux contrats entre producteurs et acheteurs. Cet arsenal de mesures a un objectif défini par la loi : augmenter le revenu des agriculteurs.

Nous aurons également l'occasion de parler d'une autre ordonnance sur les coopératives qui est en cours d'examen entre les différents acteurs de la filière. Quelles en sont les perspectives ?

Enfin, nous aurons à coeur de savoir quelles sont les conséquences sur les négociations commerciales en cours de l'application de l'encadrement des promotions en volume et en valeur.

Afin d'envisager l'ensemble de ces questions, nous recevons aujourd'hui MM. Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF), Dominique Chargé, président de Coop de France, ainsi que Richard Panquiault, directeur général de l'Institut de liaison et d'études des industries de consommation (ILEC).

Vous avez participé aux États généraux de l'alimentation et serez à même de nous dire si les premiers résultats de l'application de la loi EGALIM et des négociations commerciales en cours vont dans le sens souhaité. À l'issue de vos présentations respectives, le débat s'ouvrira avec les questions de nos rapporteurs et du président du groupe de suivi des États généraux de l'alimentation.

M. Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) . - Je débuterai mon propos en saluant l'initiative de la réunion des États généraux de l'alimentation (EGA) à laquelle ont participé, durant cinq mois, 860 personnes issues de nombreuses associations et entreprises. Avant toute critique, je souhaite rendre avant tout hommage au travail que ces personnes ont effectué en commun et à ce qui a été l'esprit des EGA.

Toutefois, nous ne sommes pas satisfaits des résultats de la loi EGALIM qui n'est pas allée au bout, qui n'a pas permis d'aller au terme des impératifs des uns et des autres et de répondre collectivement aux défis des EGA. Deux mesures principales concernaient l'aval : avec une hausse de 10 % du seuil de revente à perte (SRP), la volonté affichée des EGA était d'assurer le ruissellement vers l'amont. À ce stade, seuls le marché du lait et certaines niches, comme la pomme de terre, y sont parvenus. Mais les conditions n'ont pas été réunies ailleurs pour créer de nouveau un esprit de filière, ce qui était l'objectif des EGA.

L'ANIA promeut la structuration de la filière céréale entre l'amont et l'aval, c'est-à-dire jusqu'à la distribution. La démarche est ainsi enclenchée avec les meuniers qui sont le levier intermédiaire entre le monde céréalier et la distribution.

Notre insatisfaction relative à la loi EGALIM s'explique par le fait que nous sommes toujours dans une démarche déflationniste, qu'il s'agisse des grands groupes, des PME et des ETI. Cette déflation, qui a déjà atteint sept milliards d'euros de déflation en cinq ans, devrait s'intensifier. L'ANIA a créé un Observatoire des négociations : 80 % des 450 remontées viennent des PME et font état de 1,5 à 4 % de demandes de déflation des distributeurs qui ont déjà, de leur côté, bénéficié des 10 % de SRP au 1 er février. À l'aune des résultats des centrales nationales, les résultats du ruissellement se font manifestement attendre ! Et je ne prends cependant pas en compte le phénomène des centrales internationales qui sont des sociétés beaucoup plus structurées au niveau européen.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je souhaite lever une ambiguïté : si le Sénat s'est opposé à ce texte, pour des motifs précis, il souhaite désormais le succès de ses mécanismes. L'objet de l'audition n'est pas de faire un procès de la loi mais bien un point d'étape. Les désaccords sont derrière nous.

M. Richard Girardot . - Nous soutenons également la loi EGALIM et je parlais bien de la position de l'ANIA. Je ne me serais pas permis de parler de la position du Sénat.

M. Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF) . - Notre fédération représente les fournisseurs PME de la grande distribution, soit 20 000 entreprises, dont 80 % sont dans l'alimentaire. Nos PME sont enracinées dans nos territoires. Travaillant avec les agriculteurs, elles sont à l'origine de la création de 80 % des emplois.

Les négociations commerciales de cette année sont encore difficiles mais ce n'est pas étonnant. Nous avons soutenu la proposition des EGA en faveur de la nouvelle répartition de la valeur. Mais les mesures retenues ne vont pas dans le bon sens. Si on veut soigner le malade, il faut s'attaquer aux causes. On n'a pas attaqué la véritable cause de la destruction de la valeur car nous ne nous sommes pas emparés du déséquilibre entre un amont atomisé et un aval extrêmement concentré. On a préféré agir sur les symptômes et prendre des mesures administrées peu compatibles avec l'économie de marché.

Premièrement, le relèvement du SRP de 10 %, du fait de l'effet masse qu'il induit sur la marge, est certainement favorable aux grands groupes, mais dessert les PME qui perdent l'accès au linéaire. Cette situation se fait aux dépens des attentes des consommateurs puisque les PME contribuent à la différenciation et à la valorisation des enseignes. N'oublions pas que 80 % de la croissance des hypermarchés et supermarchés proviennent des marques PME ! Vouloir les fragiliser alors qu'elles ont été autant de facteurs d'activation de la croissance depuis cinq ans ne va pas dans le bon sens.

Deuxièmement, l'encadrement des promotions est totalement déconnecté des réalités du marché. La limitation en valeur s'entend. En revanche, vouloir les limiter en volume est une erreur ! Les promotions peuvent faire structurellement partie du commerce, comme les produits saisonniers le démontrent ! C'est une aberration et une idiotie de vouloir les limiter en volume. D'autant que cette démarche réduit la croissance des secteurs concernés.

Enfin, l'inversion de la formation des prix va dans le bon sens, à la condition que les industriels, les PME et les agriculteurs soient en mesure de facturer leurs produits aux distributeurs afin d'améliorer leur rémunération. Aujourd'hui, la maîtrise des tarifs, c'est-à-dire in fine du positionnement stratégique d'une marque, est nécessaire. Au producteur de fixer son tarif et au distributeur, ensuite, de référencer ou non ces produits. Ce n'est qu'à une phase ultérieure que doivent débuter les négociations sur les modalités de la relation contractuelle. Il ne faut plus considérer les tarifs comme initialement négociables. Ce qui est négociable, ce sont les autres éléments du plan d'affaires. Cette confusion est destructrice de valeur !

M. Dominique Chargé, président de Coop de France . - Les EGA ont été une première à laquelle la coopération a participé avec confiance et espoir. Au-delà de la revalorisation de leurs revenus, les agriculteurs attendaient la reconnaissance de leur métier. Arrêtons de les vilipender en permanence ! Les agriculteurs font très bien leur métier et sont conscients de l'importance de la transition écologique.

En ce qui concerne les résultats de la loi EGALIM, une chose est sûre : l'augmentation du seuil de revente à perte de 10 % occasionne une rente de situation pour les distributeurs. Il y a bien une contrainte dans le commerce avec ce seuil de revente à perte. Or, il n'y a absolument pas de contrainte pour organiser le ruissellement vers les agriculteurs.

Ce seuil concerne des produits avec lesquels les distributeurs se livrent une guerre des prix. Un faible nombre de ces produits sont issus de la matière première agricole issue de nos territoires. Ces derniers étaient plutôt surmargés afin de compenser les produits sur lesquels portait cette guerre des prix. La hausse du seuil de revente à perte devait permettre une amélioration de la situation pour les produits issus de nos territoires par ruissellement.

À ce stade, la théorie du ruissellement ne fonctionne pas malgré l'engagement des EGA. La filière laitière tire cependant son épingle du jeu, le prix du lait étant le thermomètre de l'ambiance agricole française. Mais cette filière ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt ! D'autres filières, comme celles de la viande, sont dans une situation plus difficile et ont encore connu, dans un passé récent, des demandes de déflation. L'entrée par le prix, et non par la qualité du produit ou l'excellence de la filière de la production, demeure. Je plaide ainsi en faveur de l'intensification des contrôles de la DGCCRF qui présentent de réels effets vertueux.

Les produits à marques sont concernés par les négociations annuelles. Or, un autre volet de négociations concerne les produits sous marque de distributeurs (MDD), qui, pour leur part, sont des produits qui présentent un lien avec la production agricole française. Pour ces produits, certaines enseignes ont annoncé des baisses de prix. Enfin, les enseignes se sont déjà organisées pour contourner les effets de l'augmentation du SRP et la tendance est plutôt à faire bénéficier le consommateur de ce nouveau taux de marges par le biais des opérations de crédits sur carte. Il s'agit d'un contournement du processus proposé par EGALIM !

Enfin, l'objectif d'alignement des taux de promotions est contourné par des opérations nouvelles de trade marketing ou de cagnottage qui prennent d'autres formes que la promotion classique.

De ce fait, si nous sommes favorables à ce dispositif de la loi EGALIM, nous reconnaissons cependant que sa mise en oeuvre présente néanmoins de réels problèmes.

M. Richard Panquiault, directeur général de l'Institut de liaison et d'études des industries de consommation (ILEC) . - Nous estimons le montant des négociations de nos entreprises adhérentes, qui représentent quelque 19 milliards d'euros et concernent 150 000 agriculteurs.

Le constat qui est partagé est que les EGA ont eu un impact sur la filière laitière. Toutes catégories agroalimentaires confondues, les taux de signature ne dépassent pas 25 % et les seuls accords réellement signés portent sur le lait. Au-delà du coup médiatique, les accords signés dans le secteur laitier en décembre ont été une première.

Aujourd'hui, c'est bel et bien l'arbre qui cache la forêt : il ne s'est rien passé dans d'autres filières agricoles, comme les céréales, les fruits et légumes, ou encore la viande. La démarche mise en oeuvre pour la filière du lait devrait être étendue aux autres filières. Les produits alimentaires non liés à des filières agricoles et les produits non-alimentaires connaissent, quant à eux, une déflation systématique, parfois à des niveaux aberrants. Ce n'est malheureusement pas une surprise !

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) aura un rôle à jouer pour réduire les cas de déséquilibres significatifs qui seront nombreux. On ne peut pas d'un côté demander de baisser le tarif et d'un autre côté annoncer que le plan d'affaires va être en baisse significative car les assortiments ont été revus à la baisse.

Le relèvement du seuil de vente à perte (SRP), établi depuis deux jours, a conduit à de nouvelles mesures de péréquation consistant notamment en des remises sous forme de crédits sur des cartes de fidélité. Des baisses ont également été annoncées sur les prix des marques des distributeurs (MDD). On discute encore de l'ampleur de la masse financière liée à la hausse du SRP. Ce qui est clair aujourd'hui, c'est qu'une partie de cette masse financière est réinjectée en baisse de prix, par des baisses de prix des produits MDD et par des remises créditée sur cartes de fidélité pour les marques qui font l'objet du relèvement du SRP de 10 %.

Pour les promotions, je rejoins ce qui a été dit. La circulaire de la DGCCRF, mise en ligne hier, en ce qu'elle clarifie les règles en vigueur depuis le 1 er janvier dernier pour l'ensemble des acteurs, doit être saluée. Cette circulaire devrait permettre d'éviter les agissements de certains acteurs, industriels et distributeurs, qui entendent contourner ce dispositif car ils n'ont pas envie que cela réussisse. Par ailleurs, les promotions représentent un sujet important dans les négociations et certains distributeurs cherchent actuellement à saturer les seuils de 34%. Il faudra être très vigilant sur l'application effective de ce seuil et sur la clarification des règles du jeu entre les acteurs.

M. Daniel Gremillet , président du groupe de suivi de l'application de la Loi EGALIM . - Le Sénat a beaucoup travaillé pour améliorer ce texte, sans pour autant avoir été suivi par l'Assemblée nationale. Il importe de faire le point sur les actuelles négociations et la prise en compte des indicateurs. Dans le secteur laitier, l'indicateur de coût de production de 396 euros la tonne est-il bien en vigueur ? De nombreux engagements ont été pris à l'égard du secteur de la production et du monde paysan. Il ne faut pas que les accords soient la source d'une nouvelle tromperie.

La répartition de la valeur résulte d'un mix entre leurs prix et ceux des marques. Par ailleurs, la loi EGALIM permet aux distributeurs d'améliorer leurs marges sur leurs marques. Est-ce un avantage donné aux grandes marques au détriment des PME ?

Comment se situe, enfin, la négociation par rapport à nos concurrents européens ? Au-delà des aspects nationaux, il semble nécessaire d'examiner le rapport de forces qui peut s'exercer à l'échelle internationale.

Dans le texte, nous avons supprimé la gratuité. Or, celle-ci semble avoir été remplacée par des produits offerts. Cette disposition aurait alors pour unique conséquence d'entraîner des pertes pour les sociétés du secteur de l'emballage ! Tout va décidément très vite !

Mme Sophie Primas , présidente - Je me souviens de cette discussion dans l'hémicycle.

M. Michel Raison . - Quelles sont les conséquences de l'application d'EGALIM sur les producteurs de lait ? Vous nous dites qu'il y a déjà un système de retour des mesures de l'ordonnance au profit du consommateur par le biais des cartes de fidélité. Or, pour redistribuer de la valeur il ne faut pas en détruire ! Cela interroge sur le ruissellement. Ceux qui habitent les montagnes savent déjà qu'il n'a jamais été facile de faire ruisseler de l'aval à l'amont, sauf au prix d'une énergie folle avec des pompes de relevage. Sur ces contrats laitiers, dans ce contexte, quelles sont les retombées pour ces producteurs ? Le prix défini par l'interprofession, qui approche les 400 euros de la tonne, a-t-il été repris lors des négociations ? Sur quels types de produits laitiers ces contrats portent-ils ? J'ai peur que les résultats annoncés ne soient pas que des effets de communication. Il incombe aux parlementaires que nous sommes d'évaluer les conséquences de l'application de la loi. Avec un tel déséquilibre entre la concentration de ceux qui achètent et la dispersion de ceux qui offrent, comment interrompre la guerre des prix ?

Mme Anne-Catherine Loisier . - Le Sénat avait une position claire sur l'élaboration des indicateurs, en donnant la priorité aux interprofessions et à l'Observatoire de la formation des prix et des marges. Cette position n'a pas été retenue. Où en sont donc les négociations sur ces indicateurs ? Certaines interprofessions sont-elles parvenues à élaborer des indicateurs ? Quelle garantie va offrir la nouvelle définition des prix abusivement bas par rapport aux nouveaux indicateurs des coûts de production ? Est-elle applicable en l'état par les coopératives dont le fonctionnement n'est pas assimilable au fonctionnement d'une société commerciale ? Enfin, disposez-vous d'éléments chiffrés sur les cas de déséquilibre significatifs ?

M. Dominique Chargé . - Les indicateurs, qui doivent être publiés par les interprofessions, font référence aux coûts de production, mais aussi aux indicateurs de marché. La question est celle de notre compétitivité à l'échelle européenne, du fait de l'interconnexion des marchés agricoles. Certaines mesures ont été prises dans le cadre de cette loi EGALIM, mais il faut tenir compte de ce contexte économique.

Pour le secteur laitier, la part du lait valorisé dans les réseaux de la grande distribution représente environ 50 % du lait produit, dont un tiers dans les produits à marques. Les contrats, dont vous avez eu écho dans la presse, représentent donc une part faible par rapport à cet ensemble. Néanmoins, cette situation est inédite et la filière laitière connaît une réelle évolution plus favorable. C'est l'arbre qui cache la forêt des autres filières. Coop de France a soutenu la démarche de définition d'indicateurs avec les autres interprofessions. Ce travail n'est pas abouti dans toutes les filières. Sur le lait, le prix avancé n'a pas encore fait l'objet d'une publication interprofessionnelle, mais est issu d'une méthode de calcul qui a permis de déterminer le prix de revient.

Sur les ordonnances qui portent sur la coopérative et les prêts abusivement bas, les coopératives ont dénoncé les conséquences d'une transposition d'une disposition du code de commerce au sein du code rural et de la pêche maritime rendue applicable aux coopératives. En effet, cette démarche détruit la nature même de la relation entre un adhérent et la coopérative. La coopérative est la propriété de chacun des associés-coopérateurs. Nous ne sommes pas dans une relation fournisseurs et actionnaires, mais dans une relation entre associés et adhérents. La vente se fait à la sortie de la coopérative, qui est le prolongement de nos exploitations et la relation avec l'adhérent n'est pas commerciale, mais c'est une relation de cession. Dès lors, l'application d'une disposition du code de commerce au fonctionnement coopératif est absolument inappropriée. L'initiative individuelle des producteurs, comme dans les fruitières productrices du Comté, qui ont mis en commun leur outil de production, a permis de maintenir, dans nos territoires, des filières de production. Il ne s'agit pas de nous dédouaner de nos responsabilités de construction des prix ou de rémunération de nos adhérents, mais il n'est pas question de laisser assimiler notre relation entre adhérents et coopératives à une relation commerciale classique.

M. Richard Girardot . - La filière laitière a été à l'initiative de la création des EGA. Il faut être vigilant. Une centrale peut s'engager dans une filière lait pour sa crème fraîche à marque distributeur. Ce produit résultait, jusqu'à 2018, de la transformation du lait français en crème. Avec le schéma qui vient de vous être décrit, un appel d'offres, tombé fin 2018, a demandé que la crème soit d'origine européenne. Une telle démarche se révèle contraire à l'esprit des EGA ! Tout n'est pas simple et il faut absolument vous informer de ce type de situation, ainsi que la DGCCRF ! Les produits laitiers, dont on a parlé dans la presse, peuvent se révéler marginaux, à l'instar des laits bio. En effet, proposer une brique de lait bio à moins de 80 centimes oblige à ne pas rémunérer l'ensemble des maillons de la chaîne de production !

M. Richard Panquiault . - Le déséquilibre significatif doit être évalué. La situation est très hétérogène par enseigne et catégorie de produits ; pour l'heure, certains acteurs, y compris dans le secteur laitier, n'ont signé aucun accord. Nous ne disposons pas de banques de données qui nous permettent d'évaluer ces déséquilibres significatifs. Il faudra que la DGCCRF se prononce sur les éventuelles assignations pour déséquilibre significatif ; cette notion juridique peut s'appliquer à tous les maillons de la chaîne de production, forte d'une jurisprudence solide, notamment issue de la Cour de cassation. C'est là un élément très structurant du droit, sur lequel il va nous falloir nous appuyer, avec la DGCCRF. L'inflation générée par la majoration du seuil de vente à perte représente de la marge pour le distributeur. Elle devrait générer soit des baisses de prix de vente ou une augmentation des rémunérations à l'achat. Dans un an, nous aurons assez de recul pour évaluer les conséquences de ce dispositif qui reste, pour l'heure, expérimental. Si les chiffres avancés sur l'impact inflationniste ont été aberrants, certains acteurs entendent mettre l'accent sur les baisses de prix au détriment de la rémunération des achats.

Mme Sophie Primas . - C'est la raison pour laquelle notre groupe de travail suivra cette situation durant toute l'année prochaine avec attention.

M. Jean-Marie Janssens . - La loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole, entrée en vigueur le 1 er février, recouvre plusieurs objectifs, parmi lesquels une meilleure rémunération des producteurs. Cela passe notamment par l'encadrement des promotions des produits alimentaires dans les grandes surfaces et le relèvement du seuil de revente à perte des produits alimentaires. Ainsi, les distributeurs ont désormais pour obligation de vendre les produits avec une marge de 10 % minimum. Ces mesures, a priori positives, posent pourtant deux questions. Elles induisent tout d'abord la hausse du prix de centaines de produits en rayons, touchant directement le porte-monnaie des consommateurs. Dans un climat social tendu, je m'interroge sur le nouvel effort demandé aux consommateurs français. D'autre part, la marge de 10 % n'oblige pas les distributeurs à mieux rémunérer les producteurs. Seule la répression des fraudes pourra s'assurer de la cohérence des prix. Aussi, comment s'assurer que les distributeurs ne trouvent pas de nouveaux moyens de contourner la loi et de la détourner de son esprit ?

M. Laurent Duplomb . - Cette loi peut être comparée au « péché par envie » qu'incluait le théologien Saint Thomas d'Aquin parmi les sept péchés capitaux. En effet, il s'agit d'un péché de convoitise et d'émotion éprouvée par ceux qui désirent posséder. Nous n'aurons donc pas les résultats escomptés. Les agriculteurs espéraient un rendez-vous avec la Nation éprouvant de la fierté pour son agriculture. Tel était leur péché par envie !

Néanmoins, le pouvoir d'achat, dans notre pays, est un élément incontournable de la politique de chaque gouvernement et les produits alimentaires continuent à servir d'outils d'ajustement. Un directeur de coopérative de mon département m'avait alerté sur les incidences de la fin de la taxe farine sur les meuniers qui représentait un montant de 63 millions d'euros de taxes. Loin de garantir à la filière meunière une rentabilité accrue, la suppression de cette taxe a d'ores et déjà induit l'effet inverse du ruissellement prévu. En effet, les grands meuniers ont lâché les 15 euros économisés par tonne au bénéfice de l'industrie, laquelle, à son tour, fait de même vis-à-vis de la grande distribution, en répercutant leur manque à gagner, au final, sur les boulangers artisanaux. Cet exemple me paraît malheureusement emblématique des conséquences de l'application de la loi EGALIM.

En outre, en tant que producteur laitier, ma coopérative m'annonce un prix de base de 330 euros la tonne, au lieu des 396 euros évoqués !

Croire au ruissellement, c'est enfin ignorer les pratiques de la grande distribution qui, depuis trente ans, n'ont jamais été respectueuses de ses fournisseurs !

M. Franck Montaugé . - Je partage le constat selon lequel l'actuel rapport de forces est la conséquence d'une concentration de l'aval et de l'éclatement de l'amont. La situation serait pire sans la coopération agricole et son modèle spécifique. Hier, lors des questions au Gouvernement, nous avons interrogé le ministre sur l'ordonnance relative à la coopération. La réponse ministérielle nous laisse comprendre que le médiateur des relations commerciales agricoles ne devrait plus intervenir. Est-ce bien le cas ? Comment les acteurs de la coopération se sont-ils emparés du problème posé par les prix abusivement bas ? Enfin, grâce au Sénat et aux acteurs de la coopération, le débat est ré-ouvert avec le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Aussi, n'est-il pas opportun de renforcer le modèle coopératif français afin de garantir son efficience dans ses relations commerciales avec l'aval ?

M. Alain Chatillon . - La France a une propension à sur-réglementer par rapport à ses voisins européens tout en adoptant avec retard la réglementation européenne. Cette tendance est particulièrement prégnante pour les produits à forte valeur ajoutée, comme les compléments alimentaires ou les produits diététiques, qui nous permettent de valoriser nos produits agricoles et protéger notre marché national. Notre retard accumulé dans la conformité avec la réglementation européenne nous fait perdre une grande partie de nos marchés. Enfin, les montants de ladite « taxe farine », qui représentait 27 % de la marge des meuniers, ont enregistré une baisse de 35 %, tout simplement parce que les producteurs italiens et espagnols nous ont supplantés sur le marché d'Afrique du Nord.

M. Xavier Iacovelli . - Comment comptez-vous agir pour éviter le contournement de l'interdiction des remises supérieures à 34 % des distributeurs, via l'utilisation accrue des promotions dites de cagnottage ?

M. Serge Babary . - La nouvelle circulaire de la DGCCRF permet-elle de répondre efficacement aux risques de contournement de la réglementation relative aux promotions ?

M. Franck Menonville . - Nous sommes tous animés par l'esprit des EGA. Comment éviter les contournements de l'encadrement que la loi EGALIM mettait en oeuvre ? La faiblesse de cette loi me paraît avant tout de ne pas assez prendre en compte l'organisation économique et les rapports de forces qui s'y font jour. En effet, les centrales d'achat sont de plus en plus concentrées et organisées. D'ailleurs, la relative réussite dans le secteur laitier n'est-elle pas plutôt due à une meilleure structuration de la filière qu'au dispositif de la loi EGALIM ?

M. Jean-Claude Tissot . - Le diable se cache dans les détails. On ne peut attendre un an pour que les bénéfices de cette loi EGALIM et ses ordonnances afférentes soient reversés aux producteurs. C'est là une urgence !

M. Joël Labbé . - Nous avions souhaité en vain que le médiateur des relations commerciales agricoles soit saisi en cas de désaccord. Le nouveau scandale d'importation de viandes bovines en provenance de Pologne a mis au jour un nouveau dysfonctionnement. En effet, seul un quart de la production agricole française est exporté et les viandes importées sont employées, en grande quantité, par la restauration collective. Faut-il continuer ainsi en achetant ce qu'on désigne, dans la filière, comme du minerai ? En tant qu'entreprises responsables et défenseurs de notre patrimoine français, quelles sont les réponses que vous pouvez apporter à une telle situation ?

M. Daniel Dubois . - La théorie du ruissellement me laisse perplexe. Le médiateur a un rôle majeur à jouer lorsque les filières ne sont pas suffisamment organisées. Les agriculteurs ont besoin d'être reconnus. Néanmoins, améliorer la compétitivité de notre agriculture implique de résoudre les problèmes générés par la sur-normalisation et l'implantation des surfaces commerciales.

M. Jean-Pierre Moga . - .Aujourd'hui, il y a 2 600 coopératives en France. Vous craignez que les ordonnances ne mettent en péril ces structures du fait de l'assimilation de leurs relations avec leurs adhérents à des contrats commerciaux. Le Lot-et-Garonne est devenu, grâce au monde coopératif, le premier territoire producteur de noisettes et de noix en Europe. Quel est, selon vous, l'avenir du secteur et de l'esprit coopératifs ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Il est en effet inacceptable d'assimiler les relations entre un coopérateur et sa coopérative à des relations commerciales. C'est là un problème d'ordre institutionnel ! Comment le Gouvernement peut-il bafouer, en recourant à la voie réglementaire, jusqu'aux principes fondamentaux du fonctionnement des coopératives et remettre en cause l'esprit même de la législation ? C'est là une contradiction stratégique analogue à ce qui est survenu avec les SCOP, tandis que l'Union européenne a elle-même reconnu la spécificité des coopératives au motif qu'elles ne pouvaient solliciter les capitaux du marché. En outre, les Français n'accepteront pas l'augmentation du prix de certains produits si les agriculteurs n'en sont pas les bénéficiaires ! Il faut donc nous en assurer de manière indubitable ! Enfin, quel est le poids de la commande publique pour influer sur les prix ? La part de la viande d'origine étrangère utilisée par la restauration collective, dans un pays agricole comme le nôtre, est révoltante ! Quelle pourrait-être la stratégie de prix dans les commandes publiques susceptible d'améliorer le revenu des agriculteurs ?

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous démontrons que le bon sens est partagé au-delà des clivages politiques. Je suis étonnée qu'en février 2019, nous soyons à ce niveau de point mort, malgré la signature des chartes de bonne conduite à la fin de 2017. Les premiers retours que j'ai obtenus sur l'action de la DGCCRF m'inquiètent : en effet, il semble que les mécanismes prévus par la loi et les ordonnances ne soient pas, pour l'heure, maîtrisés, au risque de susciter, à terme, de la jurisprudence. L'effet, à compter du 1 er janvier 2019, de l'ordonnance relative à la promotion est difficilement contrôlable, surtout lorsque des opérations promotionnelles étaient en cours à cette date. Avez-vous mis en oeuvre des actions de contrôle dans les magasins ? En outre, la protection du pouvoir d'achat des Français induit une baisse du prix des marques des PME et des parts de linéaire. Cependant, la descente de prix qui vous est demandée sur les marques distributeurs induit-elle une baisse de leurs marges ou, au contraire, des efforts de productivité ? Enfin, disposez-vous d'informations sur la situation des autres filières hors grande distribution, notamment dans la restauration collective ?

M. Richard Panquiault . - Le pouvoir d'achat est un sujet sociétal sensible. Si l'impact inflationniste de la majoration du SRP n'est pas encore connu, il est en revanche possible de tirer les leçons du passé. Les prix des produits concernés par ce relèvement, soit 1 500 références, ont baissé de 15 à 20 % au cours des quatre dernières années. Il s'agit ainsi d'augmenter de 10 % des produits dont les prix ont enregistré une baisse continue à moyen terme. Si l'impact inflationniste est estimé à 600 millions d'euros, la déflation est quant à elle estimée, sur ces quatre dernières années, à un milliard d'euros. Comme les marques nationales ont baissé de 15 à 20 %, tandis que les autres marques baissaient de 8 à 10 %, dans le même temps, les MDD ont vu leurs prix augmenter. Il ne serait donc pas anormal d'assurer une péréquation entre les marques dont le coût remonte et celles dont le coût baisse. Il est encore prématuré d'anticiper le prochain équilibre entre les marques nationales et celles des PME.

La récente circulaire de la DGCCRF précise les conditions du cagnottage. Sont ainsi inclus dans le champ d'application de cette dernière les opérations de fidélisation ou de cagnottage affectées à un produit. L'achat d'un produit précis donne ainsi droit à l'obtention d'un montant déterminé et chiffré, cumulé sur une carte de fidélité et faisant l'objet d'un bon de réduction. Ces dispositions ont ainsi le mérite de la clarté. Certes, l'ordonnance présente également d'autres points présentant, selon nous, des possibilités de contournement. Notre objectif, c'est que le dispositif fonctionne ! D'ailleurs, dès l'application du nouveau SRP, certains adhérents nous ont fait remonter des opérations de promotion spécifiques. En outre, il faut aider au succès des contrôles conduits par la DGCCRF. S'agissant du rapport de forces entre amont et aval, il nous faut consolider l'aval. Néanmoins, l'amont, c'est-à-dire la distribution et les centrales d'achat, pose également problème. Vous aviez saisi l'Autorité de la concurrence pour obtenir une évaluation de l'impact des premières alliances sur le marché. L'Autorité s'est d'ailleurs autosaisie à la suite du renouvellement des alliances intervenu il y a quelques mois pour évaluer l'impact de la concentration sur le marché. Il faut être vigilant puisque les alliances internationales interfèrent de plus en plus avec les négociations en France au point de remettre en cause les EGA.

M. Richard Girardot . - Toutes les lois ont été contournées par le passé. Nous avons en face de nous cinq clients contre cinq mille entreprises qui pèsent en grandes et moyennes surfaces (GMS) et au total près de 17 000 PME. Le rapport de forces est là. La distribution française est d'ailleurs devenue le premier fournisseur partenaire des marchands de vaisselle chinois ! Il ne faut pas hésiter à faire notre autocritique sur notre outil de production, quel que soit le statut des entreprises concernées. Nous sommes à vingt-cinq jours de la fin des négociations. La loi a été votée pour deux ans et cette première année prend valeur de test. Faisons en sorte que les EGA démontrent leur efficacité !

M. Dominique Amirault . - On ne saurait discuter un tarif ; c'est là une question d'éthique. Il faut bien distinguer la répercussion des coûts de la création de valeur. Autant il est possible de négocier les coûts dans nos sociétés, autant la création de valeur est liée au savoir-faire qui ne peut être aisément dupliqué.

Mme Sophie Primas . - Dans la première table ronde que nous avons organisée avec les professions agricoles, le tarif a été évoqué comme faisant l'objet de négociations. Ce point est ainsi contraire à l'esprit même de la loi EGALIM qui a prévu des mécanismes pour limiter les marges de négociations sur le prix.

M. Dominique Chargé . - Sur la question des tarifs, un des points de désaccord constants évoqués lors des débats de toutes les lois agricoles successives porte sur la négociabilité des tarifs. Dans l'interprétation, la négociation s'opère sur le tarif affiché par le fournisseur mais les baisses de tarifs sont expliquées par le plan d'affaires qui comprend un certain nombre de compensations. Or, pour un grand nombre de distributeurs, la négociation commence sur le tarif lui-même avant tout autre forme de procédure. C'est là un dysfonctionnement de la loi EGALIM, mais le ver est dans le fruit depuis la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008.

Les coopératives rendront évidemment la valeur créée sur le prix de la rémunération des producteurs qui pourront, le cas échéant, décider de développer un nouvel outil au sein de leur coopérative afin d'améliorer leur productivité. C'est là une autre manière de créer ultérieurement de la valeur.

Des craintes quant à la compétitivité de la filière agricole ont été exprimées. Le modèle agricole français est spécifique, notamment dans ses réponses aux attentes des consommateurs et des citoyens. Les charges engagées pour répondre à ces attentes devront avoir comme contrepartie la revalorisation des prix de la production agricole. Pour autant, nous fonctionnons dans un marché ouvert avec des acteurs internationaux qui participent à nos « mix clients ».

La rémunération du producteur en coopérative se fait sur l'addition et la moyenne des prix rencontrés sur ces différents marchés. Les 390 euros affichés dans certains accords médiatisés ne représentent donc qu'une partie de la rémunération du producteur.

La filière viande bovine est vouée à être au centre de nos préoccupations. Son marché est en difficulté et les mécanismes, qui lui assurent encore un certain niveau de revenus, doivent être réexaminés.

Enfin, je défends aujourd'hui des valeurs associées au modèle économique incarné par la coopérative : la liberté d'entreprendre grâce à des valeurs associatives fondées sur le mutualisme et la solidarité. Notre rôle est de faire traverser l'époque à ce modèle en l'adaptant, sans trahir ses valeurs, qui sont, à l'inverse, bafouées par l'ordonnance dont nous avons parlé !

M. Laurent Duplomb . - La politique agricole commune a été faite pour jouer sur ce tarif et le principe de compensation légitimant les aides était de compenser la différence entre le coût réel et le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Dès lors, ne parler qu'en partant des tarifs, comme nous le faisons actuellement avec la loi EGALIM, nous détourne de la défense de nos intérêts au niveau européen, alors que se négocie la nouvelle politique agricole commune. Faute d'aboutir sur la loi EGALIM, nous écoperons alors d'une double peine !

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous vous remercions de votre participation. Ce n'était qu'un premier rendez-vous et nous aurons l'occasion de vous demander de revenir d'ici quelques mois pour dresser un premier bilan de l'application de la loi EGALIM. Notre commission auditionnera la semaine prochaine les représentants de la grande distribution, avant peut-être, dans le cadre d'une audition élargie, de vous accueillir tous ensemble, afin de confronter vos différents points de vue.

Table ronde sur le thème : « Les effets du titre Ier de la loi Egalim
du 30 octobre 2018 sur les négociations commerciales en cours »,
autour de MM. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E.Leclerc, Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires
(Mercredi 13 février 2019)

Mme Sophie Primas , présidente . - Dans le cadre de notre cycle d'auditions portant sur les effets de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), et notamment de son titre I er , nous recevons des représentants de la distribution, après des représentants des producteurs agricoles et des industries agroalimentaires.

L'objectif de ces tables rondes est de réaliser, le plus en amont possible, un point d'étape sur la mise en application des mesures de la loi Egalim. Je pense évidemment à la hausse du seuil de revente à perte (SRP) de 10 % depuis le 1 er février ainsi qu'à l'encadrement des promotions en volume et en valeur pour les denrées alimentaires. Cela concerne aussi l'encadrement des pratiques commerciales de la distribution.

Sur le volet « distribution », malgré certaines réussites de la loi comme les annonces dans la filière lait, certaines mesures pouvaient poser des difficultés.

Les premières critiques proviennent des consommateurs car ces mesures pourraient impacter directement les prix de plusieurs produits alimentaires au détriment potentiel du pouvoir d'achat d'un grand nombre de ces consommateurs.

Les secondes ont trait aux négociations commerciales actuelles qui pourraient se révéler encore très dures pour les industriels de l'agroalimentaire. Selon les premiers chiffres disponibles, on observe entre 1,5 et 4 % de déflation par rapport à 2018 - année où les négociations avaient déjà abouti à une baisse des prix.

Certes, tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne, si vous me permettez l'expression. Mais pour reprendre les propos de Dominique Chargé, président de Coop de France, qui a le sens de la formule, « il ne faudrait pas que le lait soit l'arbre qui cache la forêt ».

Cette audition sera l'occasion de faire un point sur les grandes tendances des négociations commerciales par filière, sans trahir le secret des affaires. Mais nous, parlementaires, devons bien mesurer l'impact des dispositions adoptées sur ces négociations.

Enfin, la troisième source de scepticisme sur les effets de la loi provient de l'adaptation des pratiques commerciales de la distribution aux mesures de la loi Egalim. Certains ont par exemple constaté un recours croissant aux remises sur carte de fidélité via des pratiques de « cagnottage », tandis que certaines enseignes se sont engagées à baisser les prix des produits sous marque de distributeur (MDD). Or ces marques ont, en général, davantage d'impact direct sur les revenus des agriculteurs français que les produits des grandes marques internationales.

Les personnes auditionnées lors des précédentes tables rondes considèrent que ces pratiques contournent l'esprit de la loi Egalim qui était d'améliorer, in fine , le revenu des agriculteurs.

Dans ses fonctions de contrôle, notre commission entend vérifier que les mesures de la loi Egalim atteignent leur objectif - même si le Sénat avait quelques réserves sur cette loi...

C'est pourquoi il nous a paru essentiel d'accueillir des représentants de la grande distribution : Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) ; Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E.Leclerc ; Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires, que je remercie de leur présence. Nous pourrons recevoir ultérieurement d'autres groupes de distribution qui ont souhaité être entendus.

Comment avez-vous mis en oeuvre les mesures de la loi Egalim entrées en vigueur ? Quels sont les premiers effets de cette loi sur les négociations commerciales en cours, qui se termineront le 28 février prochain ? Dans quelle mesure pensez-vous que la loi Egalim permettra in fine de trouver un équilibre entre l'augmentation recherchée du revenu des agriculteurs et le développement de vos activités ?

M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). - Cet après-midi, nous rencontrerons justement les ministres Didier Guillaume et Bruno Le Maire avec tous les distributeurs pour faire le point sur les négociations en cours au sein du comité de suivi. La FCD comprenant de nombreuses enseignes, le droit de la concurrence m'interdit de citer certains éléments.

Gardons en tête les fondamentaux : la consommation de produits de grande consommation est en légère baisse depuis deux ans, ce qui a un impact fort sur les négociations. La consommation des produits « grand frais » comme la viande, les fruits et légumes, les poissons, les produits laitiers - très peu concernés par les négociations, mais sujet majeur des États généraux de l'alimentation (EGA) - est en forte diminution. La déflation observée ces dernières années est globalement terminée ; les prix sont restés stables en 2018.

Désormais, les consommateurs achètent moins, mais des produits de meilleure qualité, même plus chers. Cette valorisation sensible atteint entre 1,5 à 2 % par an. Nous voulons satisfaire cette demande. On observe aussi un déport des grandes marques nationales vers les marques PME, notamment pour les produits de l'agriculture biologique, ceux sans gluten ou locaux, avec de petites séries. Celles-ci représentent plus des deux tiers de la croissance.

La loi Egalim prévoit différentes mesures. L'inversion des négociations, a priori , n'a pas été suivie d'effets ; nous n'avons que peu d'indications sur les négociations en amont dans le cadre des propositions de conditions générales de vente (CGV). Nous n'avons aucune transparence sur un éventuel retour au producteur après signature des accords.

Sur la prise en compte des coûts de production, les débats sur les indicateurs se déroulent dans le cadre interprofessionnel et sont difficiles. Nous sommes passés d'un indicateur de constat à un indicateur d'objectif de rémunération à 2 SMIC de l'ensemble des producteurs agricoles. Cet objectif n'est pas atteint aujourd'hui. Tout le monde considère que c'est un objectif légitime, mais ce n'est pas un indicateur, c'est un objectif. Les négociations ont avancé dans le secteur bovin : Interbev a défini un indicateur. La loi se met en place progressivement, mais pas encore totalement.

Hier soir, une étude de Nielsen a confirmé que la hausse du seuil de revente à perte était effective, avec notamment le relèvement des prix des produits de grandes marques, sans surprise.

Il persiste quelques inquiétudes sur le mécanisme des promotions. Après des négociations avec le Gouvernement et la publication de lignes directrices très précises dans une circulaire la semaine dernière, ce mécanisme s'applique et est contrôlé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Dans les négociations en cours, nous avons trois priorités : les producteurs agricoles, qui doivent vivre de leur métier ; les consommateurs ; et les PME, en prenant en compte le prix des matières premières.

Faites attention aux sondages partiels, qui ne prennent en compte, par exemple, que 450 entreprises agroalimentaires sur 17 000, faisant fi des règles déontologiques en la matière et donnant des résultats éloignés de la réalité. Nous avons mis en place un observatoire exhaustif, enseigne par enseigne. Nous plaidons en faveur d'un tel observatoire officiel, général, des résultats des négociations.

Ce qui nous a été envoyé dans l'ensemble des augmentations de tarifs est en moyenne à + 4 %, selon les chiffres reçus de nos adhérents, mais avec de grandes différences selon les produits. Certaines hausses demandées sont déconnectées de l'augmentation du prix des matières premières, comme pour le sucre, le café, le jus d'orange ou l'huile... Ces mauvaises pratiques concernent aussi des produits industriels à faible composante en matières premières.

Nous observons déjà de nombreuses signatures de contrats. Entre 15 et 40 % des contrats sont déjà signés avec les PME ; ces contrats prennent en compte le prix des matières premières et la priorité que nous accordons aux PME. Mais il est difficile de savoir ce qui aura un effet sur le prix. Entre 20 à 30 % des contrats sont signés avec les grandes marques, dans toutes les catégories mais représentent jusqu'à 40 % des volumes.

Pour les secteurs sensibles, de très nombreux contrats ont été signés dans le secteur laitier cette année, avec la quasi-totalité des industriels, mais sans une transparence suffisante. Les cours de la viande sont orientés à la hausse. Nous avons quelques difficultés avec certaines entreprises, qui ont parfois l'habitude de signer au dernier moment. Nous avons reçu des propositions de tarifs la semaine dernière, notamment en raison de la publication tardive des textes.

Cette année, les choses se présentent mieux que l'année dernière, avec des contrats significatifs respectant tant la lettre que l'esprit de la loi Egalim.

M. Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires. - Intermarché est un modèle particulier : nous sommes à la fois producteur et commerçant. Avec 62 outils de production, 4 milliards d'euros produits, nous sommes le quatrième industriel français. Nous négocions en direct avec 20 000 agriculteurs au travers de nos usines. Un produit sur deux que nous vendons provient de nos usines. Nous sommes en contact quotidien avec 1,5 million de Français venant dans nos enseignes et qui nous rappellent que le pouvoir d'achat est un sujet important en France.

Nous avons une conviction : n'opposons pas une meilleure rémunération des agriculteurs et le pouvoir d'achat.

La loi Egalim est une formidable opportunité pour mieux rémunérer les agriculteurs. Nous avons donné des signes volontaristes : le 6 décembre, nous avons été la première enseigne à signer un accord avec le laitier Bel, puis avec Savencia et Sodiaal.

Certains industriels ont joué le jeu de la transparence cette année. En matière économique, je n'ai pas de religion mais j'ai du mal à croire à la théorie du ruissellement - parlons plutôt de transmission de valeur. Nous avons un niveau de transparence suffisant pour que l'augmentation des tarifs bénéficie aux agriculteurs et non au compte d'exploitation de l'entreprise. Le syndicat du lait évoquait un prix cible de 390 à 400 euros les mille litres - à atteindre progressivement. Nous avons signé pour 375 euros les mille litres.

Second combat, la défense du pouvoir d'achat est dans l'ADN d'Intermarché, pour lutter contre la vie chère. Nous avons une position commerciale assumée : par rapport à une hausse des prix de parfois 10 %, nous baissons les prix des produits de nos marques ; il est plus simple pour nous de faire baisser les prix de 5 500 produits dont nous maîtrisons les conditions de production, mais 1 350 produits augmentent en moyenne de 5 %. C'est le prix à payer pour mieux rémunérer le monde agricole - on parle de 40 euros, avant la péréquation et les baisses sur nos propres marques. Le pouvoir d'achat devrait être préservé.

Une fois le contrat signé avec l'industriel, il est appliqué chez nous. Nous avons signé un accord avec l'organisation des producteurs de lait (OPL) de notre laiterie Saint-Père pour la marque Pâturages sur la base de 375 euros les mille litres. Nous avons dû faire preuve de discernement. Le monde agricole bénéficie d'une plus grande transparence et de meilleures garanties. C'est une révolution dans la distribution : nous avons donné comme consigne à nos acheteurs d'acheter plus cher les produits. Nous faisons preuve de discernement avec les PME travaillant avec les agriculteurs. Certaines multinationales travaillent avec les agriculteurs, tandis que d'autres nous demandent des augmentations significatives inacceptables et ne jouent pas le jeu : certains alcooliers exigent des hausses de 14,4 %, de 9,2 % ou de 11,5 % ! Nous avons un peu plus d'accords signés que la FCD : 50 % en général, et 80 % avec les PME, dans tous les périmètres, soit une amélioration par rapport à l'année dernière à cette date.

M. Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E.Leclerc. - Représentant le mouvement E.Leclerc, j'ai davantage de liberté de parole que M. Creyssel, qui doit représenter la diversité des membres de la FCD. La loi Egalim prévoit l'amélioration du fonctionnement de la filière agricole et agroalimentaire et la revalorisation globale du revenu des agriculteurs, ainsi que l'augmentation du seuil de revente à perte, voire l'encadrement des promotions - dans une moindre mesure. Nous avons traité différemment ces deux sujets.

La charte signée il y a 15 mois met en place la promesse d'amélioration du fonctionnement de la filière. Dans la filière « oeufs », nous avons signé des contrats de cinq ans avec des engagements de volume et un référentiel de prix calqué sur les coûts de production. Pour les fruits et légumes frais, nous signons des contrats de trois ans au minimum avec les producteurs, avec des engagements de volumes et avec une fourchette de prix, encourageant à la labellisation Haute valeur environnementale (HVE). Nouveauté : nous nous sommes engagés dans la durée avec d'Aucy et Bonduelle, nos plus gros fournisseurs de conserves de légumes, avec une fourchette de prix. C'est notre responsabilité de distributeur que d'accompagner également les familles de producteurs dans la conversion vers le bio, un des secteurs où la croissance est la plus forte, et pour lequel nous devons importer, notamment des fruits et légumes - ce qui est paradoxal !

Le secteur laitier est le plus sensible. Nous avons signé des accords spécifiques avec Lactalis et Danone dès décembre 2018, vertueux, mais qui ne sont pas transparents. Comme le signalait Thierry Cotillard, le prix minimum du lait est un prix d'objectif : les industriels gèrent la mise en oeuvre de cet objectif. Le distributeur n'a aucune transparence sur la réalité de cette application. Les industriels refusent des accords tripartites. Mais c'est déjà un premier pas, attendons de voir les résultats. Comme le dit le proverbe, « c'est à la fin de la foire que l'on compte les bouses ! »

Nous soutenons les cours du porc au marché au cadran de Plérin depuis six mois, tout comme Intermarché, en achetant plus cher que la moyenne des cours. Mais de gros opérateurs achètent jusqu'à 10 % de moins au cadran. Nous avons une démarche très volontariste. Leclerc et Intermarché sont parmi les seuls à se fournir quasi exclusivement en viande porcine française (VPF), notamment dans notre usine de Kermené.

Nous n'avons pas reçu la totalité des conditions générales de vente aujourd'hui. Sur les produits sensibles, notamment le lait et la viande, je ne peux pas vous donner de chiffres, mais les prix augmentent, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros par rapport à 2018. Parmi nos priorités, 95 % des accords sont signés dans le secteur bio, 57 % des accords avec les PME, et les accords sur le « grand frais » verront des hausses de prix. Mais en aucun cas, nous n'avons de garanties contractuelles des industriels dans ce fameux ruissellement...

L'augmentation du seuil de revente à perte a un impact de 4 % selon Nielsen, mais est inégalement répartie : 5,4 % pour Leclerc, mais 0,1 à 0,2 % seulement dans les enseignes les moins bien positionnées. Cela illustre le caractère pervers de la mesure que nous dénonçons depuis le début : la hausse du SRP sert simplement à augmenter les prix des produits des multinationales, mais elle n'a aucun effet ailleurs faute d'un ruissellement qui reste une illusion...

M. Daniel Gremillet , président du groupe de suivi . - Nous terminons un premier tour de table après avoir entendu les producteurs et les transformateurs. Quel est l'état des négociations sur les produits de grandes marques ? Y a-t-il eu davantage d'accords avec les grandes marques qu'avec les PME cette année ?

Les négociations concernent les marques qui ne représentent souvent que 50 % de la production vendue par une entreprise.

Le niveau de 375 euros les mille litres est-il également valable pour les MDD ?

Avez-vous intégré les surcoûts demandés pour justifier la montée en gamme, au-delà de la base des 375 euros ?

Les étiquettes évoluent : de plus en plus souvent, elles mentionnent « origine Europe ». Avez-vous appliqué la disposition du texte prévoyant les mêmes exigences pour les produits importés en Europe que pour ceux produits sur le continent ?

Pour l'article 51, où en êtes-vous de l'amélioration de la procédure de retrait des denrées alimentaires à la suite des travaux que nous avons menés sur le cas Lactalis ?

M. Michel Raison , rapporteur . - La notion de ruissellement est plutôt illusoire. Comment peut-il fonctionner de l'aval vers l'amont, dans le sens inverse de la pente, sauf à installer une pompe de relevage qui est au reste très coûteuse ?

M. Laurent Duplomb . - L'image n'est pas mauvaise...

M. Michel Raison , rapporteur . - Un petit effort a été réalisé, notamment sur le lait, mais ce n'est pas une gloire, puisqu'on partait de très bas. C'est comme lorsqu'on souligne une augmentation du revenu agricole après trois ans de diminution...

Comment obtenir la transparence, lorsque l'accord sur les 375 euros les mille litres de lait ne concerne pas la totalité de la production du fournisseur ? Quel serait le prix final si cela se répercutait sur le producteur ?

Sur l'accord interprofessionnel au sein d'Interbev relatif aux indicateurs, des contrats sont-ils signés avec des fournisseurs de viande où l'on prévoit le prix de revient de la viande et le retour au producteur ?

Où en êtes-vous de la contractualisation dans le secteur des fruits et légumes, produits fragiles ? La notion de prix de revient est-elle prise en compte ?

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - La loi Egalim vous transforme en maillon « péréquateur », et augmente les marges pour les redistribuer aux producteurs. Comment traduisez-vous concrètement ce mécanisme ? Certaines pratiques entrent en contradiction avec l'esprit de la loi : certains réduisent les prix des produits MDD de 10 % ou font des remises de 10 % sur les cartes de fidélité... Quelles pistes proposez-vous pour plus de transparence ? Quelles sont les avancées en matière de contractualisation, notamment dans la filière viande ?

M. Jacques Creyssel. - La vitesse de contractualisation avec les grandes marques et les PME est très variable selon les enseignes. Nous observons, parmi nos adhérents, un certain retard, purement technique, vis-à-vis des PME, uniquement dû à la sortie tardive des textes réglementaires sur les promotions. Les négociations se sont déroulées un peu plus rapidement avec les grandes marques, mais avec de fortes variations selon les enseignes. Ni le grand frais ni les MDD ne sont concernés par les négociations commerciales annuelles, qui visent moins de la moitié des produits. Néanmoins, des discussions sont en cours.

La montée en gamme est un sujet majeur, encore insuffisamment pris en compte dans les interprofessions. J'ai signé une vingtaine de plans filières ; malheureusement, le débat est souvent déplacé vers les indicateurs. Dans la filière bovine, l'objectif d'obtenir 40 % de viande sous Label rouge est essentiel. Actuellement, 80 % du porc bio est importé, alors que la rémunération est largement supérieure à celle du porc conventionnel. Ce n'est pas en répartissant mieux la valeur qu'on améliorera la situation de tous, c'est en la créant ; les consommateurs sont prêts à payer plus.

M. Michel Raison , rapporteur . - Dans quelle mesure ?

M. Jacques Creyssel. - Je répondrai à l'envers : 30 % des Français font leurs courses à l'euro près. La valorisation atteint 2 % par an, soit plus que la croissance française. Le consommateur peut faire les deux : acheter du beurre premier prix pour sa cuisine, et du beurre premium pour sa tartine... Mais vers le 15 ou le 20 du mois, de nombreux clients n'ont plus les moyens de payer certains produits.

Nous partons de très bas dans les négociations. Je rencontrais le président de la Fédération nationale des coopératives laitières hier. Même si on peut toujours mieux faire, les évolutions sont déjà positives : on observe un changement d'état d'esprit après les EGA. Espérons qu'il se poursuivra dans tous les secteurs.

Dans le secteur de la viande surgelée, les négociations progressent, même si nous avons des problèmes de transparence. L'accord d'Interbev porte non pas sur les prix - c'est interdit -, mais sur des éléments de référence relatifs aux coûts de production ; il n'est pas approuvé par les industriels, la négociation doit se poursuivre.

Madame Loisier, les promotions sont encadrées par une note du ministère des finances. On peut prévoir des cagnottes sur la carte de fidélité si elles ne sont pas affectées. La baisse des prix des MDD est également autorisée ; les promotions sont limitées et non pas totalement interdites ; pour le consommateur, certains prix augmentent, d'autres baissent. Les MDD sont d'abord produites par des PME ; lorsqu'on baisse les prix, on améliore les ventes et cela profite aux PME.

M. Thierry Cotillard. - Comment le distributeur joue-t-il un rôle de péréquation ? Il est plus facile pour nous d'augmenter les prix aux producteurs pour notre propre laiterie, mais certains industriels jouent aussi le jeu. Dans l'accord avec Savencia sont mêlés différents éléments, comme le lait brut et les produits transformés, la crème, le beurre... L'accord prévoit également qu'un auditeur extérieur s'assure de la transparence entre les deux cocontractants.

Pour défendre le pouvoir d'achat du consommateur, Intermarché a baissé les prix de ses propres marques plutôt que de jouer sur la carte de fidélité. Certaines enseignes ajoutent 10 % sur ces cartes, mais ce n'est pas l'esprit de la loi... Le rapport à l'alimentation est en train de changer, et nous concentrons nos 5 % de remise via la carte de fidélité sur le bio et les fruits et légumes, afin qu'ils soient accessibles à tous. Nous n'avons pas renchéri sur ce point.

Bel a été précurseur pour plus de transparence et a signé avec les organisations de producteurs un accord à 375 euros les mille litres, faisant le pari que les distributeurs suivraient. Les industriels commencent à être responsables, même Lactalis est désormais plus ouvert... Cependant, un industriel du secteur de la viande qui fait 60 % du marché n'est pas transparent...

L'avenir de la filière agricole passera par des engagements dans la durée, afin d'avoir de la visibilité sur la trésorerie et rassurer les banquiers. Lorsque le cours tombe à 1,15 euro, nous le sécurisons à 1,30 euro - et Leclerc fait de même. L'avenir est à la contractualisation, et certains industriels sont prêts à le faire. Dans le secteur de la viande, le sujet est tripartite, demandez plutôt aux industriels...

M. Stéphane de Prunelé. - Nous avons choisi de baisser les prix de nos produits MDD dès le 2 janvier, pour toute l'année 2019. Cette mesure est financée intégralement par notre marge, qui provient du relèvement du seuil de revente à perte. Cela répond implicitement au sujet des PME.

L'encadrement des promotions a un véritable effet pervers pour les PME, car les multinationales ont d'autres leviers de marketing et de communication pour augmenter les ventes, comme doubler leurs investissements à la télévision - ce que ne peuvent pas faire les PME. Les promotions permettent aux PME de commercialiser leurs produits. Nous avons donc privilégié une baisse des prix des produits MDD, en espérant que cela augmentera les volumes des produits vendus par les PME.

Mme Cécile Cukierman . - Si l'on vous écoute, finalement tout va bien ! Je rappelle que, sur 100 euros de dépenses alimentaires, 7 euros seulement reviennent à l'agriculture et 21 euros au commerce. Même si les négociations permettent de rééquilibrer cette répartition, la question de la construction du prix reste posée : de l'agriculteur au consommateur, un certain nombre d'intermédiaires légitimes et obligatoires assurent la commercialisation des produits.

Si des personnes sont aujourd'hui prêtes à payer plus pour des produits de qualité, il n'en demeure pas moins que 30 % des consommateurs sont à l'euro près. Il nous appartient collectivement de nous soucier des plus faibles, qui seraient fragilisés par une augmentation trop importante des prix.

Vous avez beaucoup évoqué la transparence. La formation du prix tout au long de la chaîne et sa répartition entre les différents acteurs est une question assez mal connue : que pourriez-vous faire pour que le consommateur soit plus et mieux informé ?

M. Jean-Marie Janssens . - La loi Egalim s'est donné pour objectif de mieux rémunérer les agriculteurs et d'améliorer les relations entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. Ces intentions louables n'auront d'efficacité que si les distributeurs jouent véritablement le jeu en répartissant les marges, comme le prévoit la loi.

Or, de l'aveu même de Michel-Édouard Leclerc, cette redistribution éveille un scepticisme au sein de la grande distribution : « Personne ne comprend, personne n'est capable d'expliquer par quel mécanisme de ruissellement cet argent supposé gagné par les distributeurs ira chez les éleveurs de lait. » En réalité, le ruissellement ne commence-t-il pas par une valorisation renforcée des producteurs locaux dans les enseignes de la grande distribution ?

En effet, la loi Egalim n'atteindra ses objectifs que si les distributeurs s'engagent à mettre davantage de produits locaux dans leurs rayons, avec des prix de vente qui assurent la juste rémunération des agriculteurs et des éleveurs.

Pouvez-vous détailler les actions concrètes réalisées par vos enseignes pour valoriser les produits locaux et garantir des prix de revient justes et suffisamment rémunérateurs pour nos producteurs locaux ?

M. Jean-Claude Tissot . - La mission première de la loi Egalim, c'est d'assurer un revenu décent aux producteurs et aux éleveurs. Aujourd'hui, en entendant les représentants des distributeurs, je suis rassuré : les rôles sont bien définis ! Mais, ici, nous sommes aussi dans notre rôle : s'assurer que la loi atteigne son but.

Nous craignons de rentrer dans une mécanique où chacun avec ses arguments, certes louables, démontre qu'il n'y est pour rien et que le but final, c'est-à-dire le renforcement du revenu de l'agriculteur, est difficilement atteignable. Mais il reste des zones d'ombre : le consommateur doit évidemment être protégé mais sans perdre de vue l'objectif de la meilleure rémunération du producteur. On ne parle pas des maillons intermédiaires, comme celui des distributeurs et de leurs marges. M. Cotillard a simplement évoqué la diminution des marges sur certains produits. Or je voudrais une transparence totale : quels efforts allez-vous consentir ?

M. de Prunelé a évoqué les difficultés d'approvisionnement s'agissant des produits bio et sa volonté d'accompagner la filière bio. Concrètement, comment allez-vous faire pour développer l'offre des producteurs bio ?

M. Laurent Duplomb . - La loi Egalim, c'est l'équation impossible ! On parle de 5 centrales d'achat et de 12 000 à 16 000 fournisseurs. Si l'on regarde l'application des différentes lois, on constate qu'à chaque fois la grande distribution fait ce qu'il faut pour contourner ou biaiser les différentes lois.

Comment faire augmenter les prix alors que, tous les samedis, des milliers de personnes réclament du pouvoir d'achat supplémentaire et qu'on assiste à une guerre effrénée entre toutes les marques de distributeurs ? Si cette guerre n'existait pas, il y aurait non pas seulement 5 centrales d'achat, mais bien plus... Pendant des années, vous vous êtes acharnés à vous faire disparaître mutuellement de façon à augmenter vos parts de marché.

Vous dites que le ruissellement va atteindre l'agriculteur, comme si une rivière pompée par différents intermédiaires coulait encore suffisamment jusqu'au bout... Pendant des années, le principe commercial exacerbé de la grande distribution a fait que la totalité des transformateurs sont devenus des « centimiers », alors qu'ils gagnent énormément d'argent. On me répondra que certaines entreprises privées confortent leurs résultats davantage par les investissements réalisés à l'étranger que par leur activité en France. Intermarché ne peut pas dire que son activité laitière soit florissante en termes de bénéfices...

Pour le SRP et l'encadrement des promotions, les réponses sont la carte fidélité de Carrefour et un communiqué de Leclerc sur la loi Egalim... C'est toujours cette équation impossible, le pot de fer contre le pot de terre.

Nous disons tous qu'il faut de la transparence pour que les choses marchent. Cette transparence doit être doublée par une forme de confiance.

Première question : on constate une avancée avec le lait. Est-ce l'arbre qui cache la forêt ? Comment allez-vous communiquer sur cet élément de transparence qui nous permettra peut-être de développer la confiance ?

Deuxième question : nous évoquons ces questions maintenant, mais la nature humaine a tendance à vite oublier... Combien de temps dureront les bonnes intentions dont les distributeurs nous font part aujourd'hui ?

Troisième question, dans vos magasins, vous vendez aussi des produits transformés, utilisant comme matière première des produits agricoles qui ne sont pas obligatoirement français. Si vous voulez développer la transparence et la confiance, comment allez-vous faire pour limiter au maximum ces produits étrangers, de façon à favoriser l'agriculture française ? Merci, madame la présidente, de votre indulgence !

Mme Sophie Primas , présidente . - Mon cher collègue, vous avez parlé pour deux !

M. Joël Labbé . - Je suis heureux de parler après Laurent Duplomb, car je suis d'accord avec son analyse !

Sur la forme, on a entendu le monde agricole, avec toutes les difficultés qui perdurent en termes de rémunération ; on a entendu les industriels, qui parlent au travers de leurs communicants. Vous qui représentez la grande distribution, vous êtes également tous les trois des communicants ; vous êtes en rivalité les uns avec les autres, même si le président de la Fédération est présent - et vous êtes fédérés, alors même que le secteur est très concentré... Vous êtes donc extrêmement forts pour défendre vos intérêts !

Vos propos étaient extrêmement vertueux : vous tenez à une juste rémunération des producteurs, sans oublier vos clients qui sont à l'euro près - ce qui est vrai. En revanche, dans vos « temples de la consommation », vous faites tout pour pousser les clients à consommer. Les produits alimentaires, notamment bio, sont parfois des produits d'appel pour vendre autre chose...

L'avenir, à mon sens, est ailleurs parce qu'il y a moyen de contourner ce système. Les magasins de producteurs, qui marchent très bien, permettent de donner une rémunération beaucoup plus juste au producteur, sans coûter plus cher aux transformateurs.

Vous avez tenu avec virtuosité des propos vertueux sur le bio ! Selon le syndicat des entreprises bioagroalimentaires, il a d'emblée été demandé à pas moins de 28 % de ses entreprises de baisser leurs prix d'appel - je tenais à vous interpeller sur ce point.

Enfin, quelle est votre position sur la question des importations, dont la traçabilité et la main d'oeuvre posent problème ?

M. Stéphane de Prunelé . - Sur la transparence des marges et la construction des prix, les distributeurs sont totalement transparents depuis quelques années. Tout ce qui concerne la construction des prix des produits frais et les marges des distributeurs figure dans les rapports de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM). À ma connaissance, vous n'avez jamais contraint les industriels et les transformateurs à faire preuve de la même transparence...

L'une des raisons pour lesquelles nous avons beaucoup de mal à connaître la répartition de la marge et de la valeur dans la filière agroalimentaire tient à l'opacité complète du secteur de la transformation. Nous donnons tous les ans, sur la base de comptes d'exploitation de nos entreprises, la répartition des marges et des prix. Nous sommes transparents, tout comme le sont les producteurs.

Sur la valorisation des produits locaux, nous avons lancé, il y a dix ans, une opération appelée « Les alliances locales ». Nous avons accéléré la contractualisation avec les producteurs locaux ; nous aurons à la fin de l'année 15 000 accords d'approvisionnement direct de producteurs locaux dans les centres Leclerc à des prix peu, voire pas, négociés. Nous n'avons pas attendu la loi Egalim pour le faire !

M. Thierry Cotillard . - En matière de transparence, nous devons mener un travail de pédagogie et de marketing : les consommateurs veulent savoir où va la valeur ajoutée. Nous avons lancé, il y a un an, une action appelée « Les éleveurs vous disent merci ! ». Sur la brique de lait figurait l'indication : « 44 centimes pour l'éleveur, 20 centimes pour le distributeur et 20 centimes pour la laiterie ». Nous avions prévu de distribuer 5 millions de litres ; au final, 19 millions de litres furent écoulés ! La transparence s'est traduite par un succès commercial.

J'en viens à la pérennité de la loi. L'actualité et la pression poussent les acteurs à faire des efforts et à s'inscrire dans une démarche vertueuse. Mais aucune obligation de transparence ne s'impose à l'industriel ou au distributeur. L'équilibre est fragile car rien n'assure sa pérennité. L'exercice va bien se passer pour 2019, mais qu'en sera-t-il demain ?

Si l'on schématise, la répartition de la valeur est la suivante : pour le monde agricole, la rentabilité est nulle, voire négative ; pour la distribution, le taux est de 2-3 %. Jacques Creyssel pourrait vous parler de certains groupes qui sont presque leaders, mais qui connaissent pourtant d'importantes difficultés. Amazon pourra supporter un compte d'exploitation négatif pour l'alimentaire : les distributeurs seront alors en danger alors même qu'ils représentent des centaines de milliers d'emplois. Il faudra investir dans le digital pour se préparer à la guerre qui nous attend avec les concurrents étrangers.

Le taux de rentabilité de la laiterie qui fait de la MDD est de 3 % ; pour les PME qui travaillent pour la grande distribution, il est entre 3 et 5 % ; pour certaines multinationales, il est à 15 %. Pour la laiterie Saint-Père, je vous confirme que le taux n'est même pas de 1 %.

Il faudrait aussi évoquer les autres secteurs : nous sommes prêts à mener une action du type « Les éleveurs vous disent merci ! » pour la viande, puisque nous avons nos producteurs.

S'agissant du sourcing et du made in France , certaines marques de charcuterie vendent des produits comprenant 50 % de porc espagnol et 50 % de porc allemand. Le meilleur appui au cours du cadran, que Leclerc soutient évidemment, c'est d'acheter français. Les consommateurs sont favorables au made in France : il appartient donc aux industriels de changer leur stratégie de sourcing et d'aller acheter à Plérin plutôt que de faire venir des camions d'Espagne.

Mme Sophie Primas , présidente . - À condition que la qualité soit meilleure !

M. Jacques Creyssel . - Nous avons besoin d'une agriculture puissante, avec des agriculteurs qui vivent dignement de leur métier. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'avec les organisations agricoles et industrielles, nous avons fait un certain nombre de propositions qui ont abouti aux États généraux de l'alimentation et à la loi Egalim.

Il est tout à fait essentiel que, dans cette évolution vers toujours plus de qualité, les agriculteurs français, qui incarnent cette exigence de qualité, soient mis en avant. Il faut sortir de cette idée selon laquelle nous serions les fossoyeurs de l'agriculture française : 70 % de nos produits agricoles sont vendus par notre intermédiaire et c'est grâce à nous que beaucoup de belles réussites se font dans ce domaine.

En ce qui concerne la transparence, nous sommes le seul pays au monde où les grands distributeurs rendent publiques leurs marges par produit. Ces dernières années, nous n'avions pas la même transparence pour un certain nombre de produits industriels ; là aussi, les choses progressent. Je rappelle aussi que nous étions d'accord avec les syndicats agricoles pour indiquer « origine France » sur les produits, contrairement aux industriels.

Pour répondre à certaines critiques, la distribution est un secteur majeur pour l'économie française. C'est souvent le premier employeur local dans vos territoires ; il fait vivre vos villes.

M. Pierre Louault . - Pas les centres !

M. Jacques Creyssel. - Nous avons créé 2 800 magasins alimentaires de proximité depuis sept ans. Nous représentons plus de 750 000 emplois, qui sont aujourd'hui en danger, parce que les marges de la grande distribution sont historiquement les plus basses que l'on n'ait jamais connues, alors même qu'il faut investir pour réinventer les magasins et le commerce face non seulement à Amazon, mais aussi aux Chinois. La vitesse à laquelle les choses changent est considérable ! La marge nette d'Amazon est de - 6%, sans payer d'impôts - cela représente un avantage de 10 % -, alors que la nôtre est inférieure à 1 %...

Mme Sophie Primas , présidente . - Restons-en à la loi Egalim !

M. Pierre Cuypers . - Quels sont les critères de mise en rayonnage de produits appelés « Top Budget » ? S'agit-il simplement de promotions ? Comment apprécier la qualité de ces produits ? Quelle est la conséquence de ces produits d'appel sur le producteur ?

M. Bernard Buis . - Je vois d'un bon oeil les avancées en matière de contractualisation. J'enregistre avec satisfaction l'idée selon laquelle les consommateurs sont prêts à payer plus pour avoir un produit de qualité, ce qui peut être bénéfique à terme - encore faut-il parvenir à les produire. Les producteurs doivent bénéficier des retombées, mais encore faut-il que des contre-publicités du style « Quand la loi nous oblige à augmenter les prix, le ticket Tartempion est là pour défendre le pouvoir d'achat » ne viennent pas phagocyter ces avancées...

Quand aurons-nous sur les tickets de caisse l'indication de ce qui revient au producteur en face du prix des articles ?

M. Pierre Louault . - Il faudrait se mettre d'accord sur la constitution des prix, et notamment sur le prix de la matière première, dans les produits vendus. Si sur un litre de lait vendu 1 euro, la matière première coûte 0,4 euros, une augmentation du prix de vente de 5 % devrait rapporter 12 % au producteur - c'est mathématique ! Je n'arrive pas à comprendre pourquoi, lorsqu'on augmente ou baisse un prix, on ne dit pas clairement ce qui doit revenir au producteur.

Par ailleurs, vous vous plaignez souvent de la réglementation. Mais pourquoi ne pas faire l'effort d'être vertueux ? À partir du moment où une marchandise contient 90 % de produits français, on lui donne un label produit français. Comment une viande produite en Pologne mais conditionnée en France devient-elle une viande française ? Il va falloir éviter ce genre de dérives.

Madame la présidente, il faudra aussi entendre tous les acteurs de la restauration hors domicile. Les Français sont contents de se restaurer pour pas cher dans les cantines, mais il va falloir leur dire ce qu'ils mangent...

M. Henri Cabanel . - Ces tables rondes, qui sont très intéressantes, nous permettent d'évaluer la loi. Quand on reçoit les parties séparément
- nous avons invité les professionnels et les syndicats, aujourd'hui les distributeurs, puis nous écouterons les transformateurs -, elles veulent toutes revaloriser le revenu des agriculteurs.

J'ai entendu, avec satisfaction, que la grande distribution avait besoin des agriculteurs, tout comme les agriculteurs ont besoin des transformateurs et de la grande distribution... Mais chacun rejette la faute sur les autres ! Il faudrait les réunir tous ensemble pour savoir qui a raison et qui a tort.

Mme Sophie Primas , présidente . - C'est prévu !

M. Henri Cabanel . - On a évoqué d'une part la volonté de certains consommateurs de payer plus cher pour des produits de qualité et d'autre part le manque de productions bio. Vous avez donné l'exemple du porc bio, importé à 80 %. Vous n'avez pas répondu à la question de certains de mes collègues sur votre stratégie pour développer l'offre bio, afin d'importer moins. J'ai cru comprendre que la consommation de ces produits augmentait sensiblement, avec des taux à deux chiffres par an. J'insiste, comment développer l'offre ?

Mme Anne-Marie Bertrand . - Michel Raison vous a interrogé sur les fruits et légumes. La contractualisation existait avant la loi Egalim. Qu'en est-il maintenant ?

Par ailleurs, vous avez parlé « d'accompagner » la conversion en bio. Qu'est-ce que cela signifie ?

Mme Sophie Primas , présidente . - On a beaucoup évoqué la transparence, les distributeurs, les fabricants et les industriels se renvoyant la balle. J'ai le sentiment que cette transparence est plus facile à obtenir avec les organisations coopératives sur un produit comme le lait ou sur les filières organisées agricoles qu'avec des industriels de la transformation. Mon sentiment repose-t-il sur une réalité ?

J'en viens à la péréquation dans les rayons et au rapport entre marques nationales et marques de PME. J'ai bien compris qu'avec le SRP + 10 %, vous alliez gagner plus d'argent avec les marques nationales, puisque vous êtes en quelque sorte « obligés » de faire une marge. Si j'étais commerçant, je donnerai plus de place aux produits sur lesquels je gagne plus d'argent. Accordez-vous davantage de place à produits ? Cela serait logique d'un point de vue commercial, mais réduirait la place des marques de PME dans les linéaires. Y a-t-il aussi un effet en termes de promotions
- il est plus facile de baisser le prix de marques sur lesquelles on gagne plus d'argent ?

Vous avez évoqué, monsieur Creyssel, la mise en place d'un observatoire des négociations pour disposer d'un outil neutre et bienveillant. N'est-ce pas le rôle de l'Observatoire des prix et des marges ?

Enfin, vous avez exprimé votre volonté d'avoir davantage de produits à valeur ajoutée, comme les produits bio ou AOC. On remarque la tentation de les utiliser comme produits d'appel et d'en baisser les prix, ce qui serait terrible pour nos agriculteurs - avec des problèmes à la fois de volume et de prix.

M. Jacques Creyssel . - Sur le bio, une série d'initiatives a été prise par les enseignes pour aider à la conversion, notamment par des contrats de plus long terme, de façon à garantir le marché. Aujourd'hui, la grande distribution représente plus de la moitié du marché du bio. Malheureusement, nous avons des difficultés dans ce domaine : par exemple, nous n'arrivons pas à faire accepter notre candidature au conseil d'administration de l'Agence Bio (Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique). C'est pourtant le lieu où nous devrions discuter tous ensemble de ce sujet. Le Syndicat du bio, qui représente d'abord et avant tout un grand distributeur spécialisé et pas vraiment des producteurs, défend plutôt l'augmentation des parts de marché de certains commerces spécialisés par rapport à la distribution générale. Nous considérons, pour notre part, que le bio doit être pour tout le monde, et pas seulement pour certains happy few .

La transparence sur ce qui revient au producteur, qui est un vieux débat, n'est possible que sur un produit déterminé, comme avec « C'est qui le patron ? ». C'est évidemment un élément positif, mais cela ne peut être fait que produit par produit, pour ceux qui le veulent.

Les débats actuels sur l'ordonnance relative aux prix abusivement bas montrent que la transparence au sein des coopératives est un sujet délicat. Je ne suis pas certain qu'on puisse en tirer les conclusions que vous évoquiez. Cette ordonnance est un cas intéressant en matière de transparence : à ce stade, il a été décidé qu'elle ne s'appliquerait qu'au premier niveau, entre le producteur et l'industriel, car pour qu'elle soit du deuxième niveau, il aurait fallu que l'ensemble des coopératives et des industriels soient totalement transparents pour vérifier si le prix était abusivement bas ou non. Les professionnels en question ont préféré que nous ne soyons pas concernés par ce sujet pour éviter cette transparence excessive. Cela fera certainement l'objet d'un débat intéressant le jour où vous devrez ratifier cette ordonnance.

Le Gouvernement a demandé au médiateur des relations commerciales agricoles de travailler avec les professionnels sur la mise en place d'un observatoire. Nous aurions souhaité qu'il intervienne pendant les négociations ; finalement, il le fera a posteriori , et les résultats seront disponibles en avril prochain. C'est déjà une première étape importante ; notre souhait est de sortir du théâtre qui était évoqué chaque année. L'observatoire que nous mettons en place au sein de la FCD est un élément tout à fait important puisqu'il concerne l'ensemble de nos enseignes et des produits, afin d'avoir une vision objective, parallèlement à l'Observatoire des prix et des marges, qui a une autre ambition.

Mme Sophie Primas , présidente . - Il me semble que toutes les parties ne sont pas adhérentes de la FCD.

M. Jacques Creyssel . - Effectivement, mais nous sommes tous attachés à la transparence !

M. Thierry Cotillard . - Top Budget est la ligne de premiers prix d'Intermarché, apparue dans la grande distribution en réponse à l'arrivée des hard discounters . Lidl et Aldi ne vendent pas de marques nationales, mais leurs marques de produits, avec un écart prix de l'ordre de 30 à 35 %. Les marques des distributeurs sont 20 % moins chères que les marques nationales ; les lignes de premier prix sont 30 % moins chères.

M. Pierre Cuypers . - Et la qualité ?

M. Thierry Cotillard . - Très honnêtement, vous en avez pour votre argent. Cette ligne a été limitée ces dernières années à des produits de première nécessité, comme la farine et le sucre, qui ne subissent pas de transformation. Avant, nous faisions 4 % de notre chiffre d'affaires sur ces produits ; en trois années, pendant lesquelles le rapport à l'alimentation a évolué, nous sommes passés à 2 %. Nous essayons de faire disparaître cette ligne, mais elle couvre les besoins de consommateurs ayant des problèmes de pouvoir d'achat.

Peut-on généraliser la transparence du prix payé à l'éleveur ? Intermarché le fera pour les produits dérivés du lait - pour le beurre, c'est déjà le cas. Nous irons plus loin au printemps, avec les oeufs. Nous avons l'ambition de le faire sur le porc et le boeuf, ce qui serait un exploit ! Pour cela, il faut faire « basculer » encore davantage d'éleveurs dans nos contrats. Pour le porc, 50 % des éleveurs sont contractualisés. Si l'on veut être crédible, il faudrait que ce soit le cas pour les trois quarts des éleveurs qui livrent les abattoirs d'Intermarché. On aura alors tout intérêt à le revendiquer sur les étiquettes.

S'agissant du made in France , on le signale autant que faire se peut, car c'est un critère de choix aujourd'hui du consommateur. Si vous ne voyez pas d'indication d'origine française, c'est que malheureusement les matières premières viennent de l'étranger.

Concernant la conversion en bio, les démarches sont très longues : pour le lait, quatre ans d'aides et pour le porc, douze. Il faut trouver l'éleveur qui se jette dans le vide, le sécuriser, l'accompagner financièrement dans les périodes où il ne produit pas... Le chemin sera long mais nous avons intérêt à le faire car les ventes de bio en grandes et moyennes surfaces augmentent aujourd'hui de 23 à 24 %. Il faut absolument travailler main dans la main avec le monde agricole, car le véritable risque, c'est l'importation ! C'est tout l'enjeu de rejoindre les interprofessions, qui est l'un des objectifs de la loi. Leclerc, Intermarché, la FCD s'y attellent.

Mme Sophie Primas , président e. - Sans en baisser le prix ?

M. Thierry Cotillard . - C'est aujourd'hui une stratégie commerciale que d'attirer le chaland avec des produits attractifs sur le bio. Il est vraiment important que le producteur ne soit pas impacté par ces prix. J'entends qu'il peut être choquant d'avoir un produit qui ne soit pas valorisé. Si l'on prend l'exemple du porc, les consommateurs délaissent cette viande pour les fêtes de fin d'année, ce qui conduit à une surproduction en janvier. Le seul moyen de l'écouler est de proposer des prix attractifs.

Sur l'impact de la loi, vous avez raison, madame la présidente, dans la logique de l'achat. Mais je fais le pari inverse : nous avons un boulevard pour ce qui est du développement des ventes des produits issus des PME, puisque l'écart prix va s'accroître. Nous nous sommes donné deux ans pour faire changer la loi. Je vous alerte sur les PME qui font leur chiffre d'affaires avec des promotions. Nous avons identifié des secteurs d'activité et des PME en danger en raison du plafond à 25 %. Il faudra être très réactif : n'attendez pas deux ans pour changer la loi.

Mme Sophie Primas , présidente . - Message pleinement reçu !

M. Stéphane de Prunelé . - Sur l'accompagnement du bio, une étude de Que choisir ? a montré que les marges pratiquées dans le bio par les circuits spécialisés - des enseignes qui trustent le Syndicat du bio - étaient plus élevées que celles de la grande distribution.

Pour illustrer ce que peut être l'accompagnement, je citerai deux exemples que nous mettons en oeuvre au travers de la société fabriquant nos marques de distributeurs, la Scamark.

La Scamark a lancé un label de conversion, appelé « Les récoltes d'avenir » : nous avons passé un accord avec la coopérative « Les celliers associés », qui regroupe 460 producteurs de pommes normands et bretons. Ils s'engagent à ne pas utiliser de pesticides, de chimie et de radiation, avec un délai de transition de 3 à 4 ans. La première année, les produits, notamment les jus de fruits, de ces 460 éleveurs intègrent notre « marque repère » qui est notre marque de distributeur de premier niveau en conventionnel. Les deuxième et troisième années, ils intègrent la marque « Les récoltes d'avenir », qui signale au public que les producteurs sont en train de passer au bio et qui traduit un engagement de qualité sanitaire et environnementale. Une fois cette transition terminée, les producteurs auront le label « Bio Village ». Tout cela se fait dans un cadre contractuel, avec des engagements de prix et de volume.

Nous faisons à peu près la même démarche en matière de fruits et légumes, avec le label de transition « La voix des champs ». Le principe est le même, avec une transition sur plusieurs années pour parvenir à des produits qui seront labellisés bio, plus chers que les produits conventionnels. Là aussi, le cadre est contractuel.

Des produits sont déjà en phase de test, car nous n'avons pas attendu la publication des ordonnances pour le faire. Nous avons des références de barquettes de pommes, de pommes de terre, de salade, de concombre, et nous allons bientôt le faire avec les tomates et les carottes.

Je ne sais pas si les prix des produits des coopératives sont plus transparents ; je me demande si le problème n'est pas plutôt lié au taux de transformation du produit. Plus le produit est transformé, plus il est difficile d'obtenir de la transparence de la part de l'industriel.

Enfin, je voudrais répondre très brièvement sur une publicité de Michel-Édouard Leclerc. Leclerc est la plus touchée par la loi Egalim. Nous sommes donc légitimes à défendre notre image, qui profite aux consommateurs, même si nous faisons beaucoup d'efforts en faveur des producteurs agricoles. Un distributeur doit servir ses consommateurs : c'est ce que nous avons voulu dire par cette communication.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie. J'ai bien retenu votre proposition sur les promotions. Comme cela m'a été suggéré, nous organiserons un échange entre les différents intervenants lors d'une prochaine table ronde.

Suivi de la mise en application des mesures de la loi Egalim
Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État
auprès du ministre de l'économie et des finances
(Jeudi 4 avril 2019)

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, Agnès Pannier-Runacher, qui nous dressera un premier bilan - très attendu - des négociations commerciales annuelles entre fournisseurs et distributeurs de produits alimentaires.

Cette loi repose sur deux mécanismes : une construction des prix agricoles en marche avant ; un ruissellement de l'aval vers l'amont, c'est-à-dire du distributeur au producteur, à travers la hausse de 10 % du seuil de revente à perte pour les produits alimentaires et un encadrement renforcé des promotions.

Pour cette construction curieuse, les négociations commerciales annuelles de 2019 sont le premier test grandeur nature. Lors des tables rondes organisées au mois de février devant notre commission, des inquiétudes étaient apparues. Nous avons les premiers retours et ils sont assez préoccupants.

Pour l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), 90 % des entreprises interrogées considèrent que la relation fournisseur-client s'est dégradée entre 2018 et 2019 ; 81 % déclarent que l'augmentation des coûts des matières premières n'a pas été prise en compte ; 77 % des fournisseurs sont confrontés à des demandes de déflation de principe par la grande distribution.

Certaines filières tireraient leur épingle du jeu comme le lait ou la pomme de terre. Mais la hausse des tarifs accordés couvre-t-elle la hausse des coûts de ces matières premières constatée sur les marchés en fin d'année dernière ?

Pour d'autres filières, la situation continue de se dégrader, notamment pour les produits frais non laitiers comme la charcuterie, une partie de la filière volaille ou certaines filières fruits et légumes. C'est d'ailleurs paradoxal puisque l'augmentation des marges sur les produits de grandes marques grâce au seuil de revente à perte (SRP) devait permettre d'améliorer la situation de ces produits.

Au total, pour l'ensemble des produits alimentaires, on constaterait - notez mon conditionnel - une déflation de 0,5 % pour les industries agroalimentaires en 2019. On serait donc loin d'un ruissellement réussi. Cet avis semble d'ailleurs partagé par votre collègue ministre de l'agriculture qui a dit hier devant notre assemblée : « Je ne crois pas, pour ma part, à la théorie du ruissellement ».

Quoiqu'il en soit, il est impératif que la situation s'améliore à court terme. Notre groupe de suivi de la loi Egalim travaille à bien mesurer, tout au long de son application, les effets de cette loi. Loin de toute considération médiatique, il n'arrêtera pas ses travaux dans six mois en rendant un rapport, mais poursuivra ses travaux avec un objectif de long terme : améliorer le revenu des agriculteurs. Si nous constatons que les effets de la loi n'atteignent pas les objectifs attendus, nous proposerons dès lors les correctifs nécessaires. Les premiers retours sur ces négociations nous invitent à être très vigilants.

Certes, nous attendons les résultats définitifs de l'Observatoire unique des négociations commerciales. Mais nous souhaiterions avoir un retour sur les premiers éléments chiffrés portés à votre connaissance sur ces négociations 2019. Vous présidez en effet avec Bruno Lemaire et Didier Guillaume le comité de suivi des relations commerciales qui devrait se saisir du sujet très prochainement.

Quelle est la tendance générale rencontrée sur les prix des contrats signés ? Quelles filières tirent leur épingle du jeu et quelles filières rencontrent davantage de difficultés ? Enfin, avez-vous constaté une évolution des pratiques commerciales ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - La loi Egalim, adoptée le 30 octobre 2018, est un texte important pour les acteurs de notre économie, notamment nos agriculteurs et l'industrie agroalimentaire. Vous connaissez son esprit : rendre la valeur au producteur en favorisant une meilleure répartition de la valeur entre l'ensemble des acteurs, producteurs, transformateurs, distributeurs, conformément à ce qui était sorti des États généraux de l'alimentation. Pour le ministère de l'économie et des finances, cela s'est traduit par deux mesures phares : l'encadrement des promotions et le relèvement du seuil de revente à perte.

La mise en oeuvre de cette loi a été rapide : l'ensemble des textes relevant du ministère de l'économie ont été pris ou sont en cours d'examen par le Conseil d'État. L'encadrement des promotions en valeur est en vigueur depuis le 1 er janvier 2019 et le relèvement du seuil de revente à perte est effectif depuis le 1 er février 2019 ; l'encadrement des promotions en volume est applicable à tous les contrats au plus tard à compter du 1 er mars
- donc à l'ensemble des négociations qui ont eu lieu durant l'hiver 2018-2019 ; la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a publié début février des lignes directrices pour expliciter l'application de ces nouvelles dispositions ; sont enfin en cours d'examen par le Conseil d'État et devraient être prochainement publiés le projet d'ordonnance relatif au prix abusivement bas et le projet d'ordonnance modifiant le titre IV du livre IV du code de commerce.

Ces mesures déjà en vigueur sont-elles efficaces ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. Comme vous le savez, l'encadrement des promotions et le relèvement du seuil de revente à perte sont des dispositifs expérimentaux pour une période de deux ans, dont le but est de permettre une meilleure rémunération des agriculteurs sans induire d'effets inflationnistes trop importants pour les consommateurs. On ne juge pas au bout de deux mois l'efficacité d'un dispositif expérimental mis en place pour deux ans. L'efficacité de ces mesures, et donc le bien-fondé de leur pérennisation, devraient être évalués dans la durée ; le Gouvernement le fera avec l'appui d'économistes et d'experts reconnus et se réjouit de votre suivi attentif.

L'année 2019 sera consacrée au contrôle de la bonne application de ces dispositions et à une évaluation de son efficacité : 6 000 contrôles de la bonne application du dispositif d'encadrement des promotions sont prévus par la DGCCRF, dont 1 300 ont déjà eu lieu. Les acteurs de la filière agroalimentaire semblent commencer à s'approprier les nouveaux dispositifs : on relève des changements, notamment sur des produits où les producteurs sont directement concernés, comme le lait. On peut voir le verre à moitié vide et déplorer que ce soit le seul exemple avec la pomme de terre ; on peut aussi voir le verre à moitié plein et se réjouir que ce secteur qui a connu une situation économique difficile ces dernières années ait su s'engager dans une dynamique vertueuse de contractualisation entre agriculteurs, transformateurs et distributeurs.

Les 300 contrôles menés sur la qualité des négociations commerciales livrent une tendance également plus positive. De l'aveu même des négociateurs côté transformateurs, les distributeurs auraient adopté un comportement moins agressif, surtout avec les PME : les demandes de déflation des distributeurs sont près de deux fois plus faibles que l'année dernière. Les segments des produits frais en libre-service, comme les produits laitiers ou les fruits et légumes, avec une hausse de prix de 0,90 %, et les PME, avec plus 0,71 %, semblent avoir particulièrement bénéficié de cette évolution, alors même qu'ils représentent le coeur de l'objectif de la loi Egalim. C'est un signal positif, mais nous avons besoin de continuer à contrôler et à encadrer ; Didier Guillaume a raison, le ruissellement ne se fera pas naturellement, il faudra qu'il soit sollicité, appuyé et contrôlé par l'État.

Des comportements condamnables sont toujours à déplorer mais tous les manquements seront sanctionnés. Le Gouvernement est pleinement déterminé à faire respecter l'ordre public économique.

M. Daniel Gremillet , président du groupe de suivi Egalim . - Le Sénat avait souhaité améliorer le texte et nous regrettons que le travail parlementaire n'ait pas pu aboutir autant que nous le souhaitions. Vous avez raison, ce n'est pas en trois mois qu'on peut évaluer cette loi. C'est pourquoi ce groupe de suivi va travailler sur trois ans.

Sur l'ensemble de vos contrôles, combien de déréférencements les entreprises ont-elles subi ? On ne l'évoque pas beaucoup, mais cette pratique continue.

Même s'il y a effectivement des signaux sur le secteur laitier, ils ne sont pas aussi puissants que l'embellie que vous laissez imaginer, surtout concernant les marques de distributeurs (MDD). Pouvez-vous nous apporter des réponses très concrètes, à la fois sur les des négociations commerciales pour les MDD et sur la montée en gamme ?

M. Laurent Duplomb . - Plus d'un an après le discours d'Emmanuel Macron à Rungis, qui avait mis un peu de baume au coeur des agriculteurs qui ont eu le tort de le croire, nous devons faire un constat imparable et factuel : l'année 2017-2018 a engendré pour les éleveurs une baisse de revenus de 1 800 à 3 500 euros par unité de main d'oeuvre (UMO). Le plus lourd tribut a été payé par ceux qui ont effectué la montée en gamme que vous souhaitiez, comme l'agriculture biologique, avec une baisse de 8 900 euros. La montagne - un secteur qui devrait être protégé pour garder une agriculture sur la totalité des territoires - n'y échappe pas, avec une baisse de 6 000 euros. Ces baisses sont liées à une augmentation très forte des charges et par la sécheresse de 2018.

Sur Egalim, ce que nous disent les entreprises, c'est que plus des trois quarts d'entre elles ont dû concéder encore une fois une baisse des tarifs à la grande distribution : ils demandaient en moyenne plus 3, et ils ont eu moins 1 ! Si c'est faux, c'est que ceux qui le disent sont des menteurs !

Les grandes et moyennes surfaces (GMS) - ma collègue Anne-Catherine Loisier vous le confirmera - ont augmenté de 10 % leurs cartes de fidélité, de façon à ne pas perdre leurs clients. Sur ces 10 %, 3 points iront à leurs marges et les 7 points restant serviront à favoriser les marques distributeurs. Or ce sont les marques d'entreprises qui font la valeur ajoutée de nos entreprises territoriales, qu'elles soient coopératives ou privées, et qui valorisent le prix des producteurs. Tout cela ne fera que mettre encore un peu plus l'agriculture française à la botte des grands de la grande distribution...

Dernière chose, dont j'ai parlé à la directrice de la concurrence : les GMS sont en train de s'organiser au niveau européen de façon à rétribuer une partie de ces 10 % aux grandes marques, qui négocieront non plus au niveau national mais au niveau européen et bénéficieront aussi de leur part du gâteau - il est bien normal que Coca-cola récupère une part de l'augmentation des prix, qui devaient normalement bénéficier uniquement aux agriculteurs...

Enfin, il est anormal de ne parler que du titre premier de la loi. N'oublions pas que le titre II, c'est une nouvelle stigmatisation des agriculteurs - qui se trouvent déjà dans une situation psychologique suffisamment compliquée -, c'est une augmentation des charges que nous constatons dès cette année par une baisse du revenu, c'est l'interdiction des rabais, remises et ristournes sur les produits phytosanitaires, c'est une augmentation de 100 millions d'euros de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), c'est la séparation du conseil et de la vente, qui fera augmenter le prix du conseil aux agriculteurs.

Si ruissellement il y a, c'est celui de l'orage en plein été, c'est-à-dire l'érosion, l'érosion de notre agriculture et de nos agriculteurs.

M. Jean-Marie Janssens . - Depuis la mise en oeuvre de la loi Egalim et des ordonnances liées à la fixation des prix, le climat s'est dégradé entre les producteurs et les distributeurs : aux tensions habituelles liées aux négociations commerciales s'est ajouté un vrai doute sur le respect des règles du jeu fixées par la loi. Le gouvernement a mis en place un mécanisme de redistribution par ruissellement, qui devait garantir un prix plus juste aux producteurs, certes, mais en réalité, il a créé une confusion dommageable pour tous les acteurs. La DGCCRF explique qu'elle sera extrêmement vigilante sur le contrôle des mauvaises pratiques et qu'elle sanctionnera les contournements de la loi, mais comment s'assurer qu'elle en aura véritablement les moyens ? En déconnectant le revenu du producteur du fruit de sa production, on risque de mettre en place un énième mécanisme de soutien qu'il sera facile d'oublier ou de contourner dès que nos paysans ne feront plus la une de la presse. Il est temps de mettre en place des moyens concrets et de long terme pour une juste rémunération de ceux qui nous nourrissent ; il est temps d'en faire un enjeu national.

M. Pierre Louault . - Petit témoignage : près de chez moi, en Touraine, lorsque la petite coopérative agricole laitière qui fabrique des produits plutôt haut de gamme a renégocié les prix avec les GMS début janvier, elle n'a pas obtenu un centime d'augmentation. Au 1 er mars, elle a constaté que le prix de tous ses produits avait augmenté de 3 à 5 % : la loi Egalim est devenue un prétexte pour faire monter les prix sans le moindre retour auprès des éleveurs. Ne nous faisons pas d'illusions : ce sont des gens qui ne travaillent que sous la contrainte de sanctions. Si nous l'oublions, les agriculteurs se feront toujours berner par des géants de la distribution qui sont au minimum en entente et quelquefois en situation de monopole.

M. Jean-Claude Tissot . - Vous prévoyez 6 000 contrôles et vous en avez effectué 1 300 ; quels sont les types de contrôles qui ont été effectués, et où ? Dans quelle mesure pourrions-nous avoir les résultats de ces contrôles ? Si nous attendons deux ans, cela sera peut-être trop tard. Si nous avions les résultats avant, nous pourrions réorienter les décisions.

Mme Sophie Primas , présidente . - Écoutons maintenant M. Michel Raison et Mme Anne-Catherine Loisier, qui furent les deux rapporteurs de la loi Egalim.

M. Michel Raison . - Depuis 2003, je suis de très près les dossiers des relations entre fournisseurs et distributeurs : je suis arrivé à la conclusion qu'il ne fallait plus toucher à la loi, pour faciliter la tâche de la DGCCRF ; à chaque fois qu'on la modifie, les grands distributeurs trouvent une nouvelle solution pour la contourner, on en a encore la preuve, cette fois-ci. Le sujet est moral, or la loi n'a jamais réglé les problèmes moraux.

Deuxième remarque, les agriculteurs ne vendent pas tous leurs produits à la grande distribution ; c'est donc un peu facile de prendre la grande distribution comme bouc-émissaire de la baisse du revenu agricole : c'est le meilleur moyen de ne pas régler les autres problèmes. Le revenu agricole n'est pas fait non plus que du prix du produit agricole.

La hausse du SRP tend à valoriser les grandes marques en assurant aux distributeurs une meilleure marge sur ces produits, qu'il s'agisse du Nutella ou du Ricard, et cela se fait au détriment de nos PME et en particulier des fabricants de MDD - ces mêmes PME qui ont dû consentir cette année une baisse de leurs prix nets souvent sans contrepartie, puisque les commerçants ont décidé de réduire leur assortiment. Il y a toujours des effets pervers et entre une baisse des volumes et une baisse de prix, les industriels connaissent une double peine, voire une triple peine avec une hausse très inquiétante des pénalités, comme par exemple pour les produits sous signe de qualité. Que peut faire la DGCCRF contre ces actions ? Entrent-elles dans le champ du déséquilibre significatif ?

Mme Anne-Catherine Loisier . - Le pouvoir de négociation des centrales d'achat n'a jamais été aussi fort. Lundi dernier, par exemple, la DGCCRF a constaté que de 2013 à 2015, la centrale d'achats Leclerc avait imposé une remise additionnelle de 10 % à une vingtaine de ses fournisseurs pour des produits qui étaient l'année précédente également commercialisés par un concurrent. Vous avez rapidement réagi et pris une position claire en demandant une amende de plus de 100 millions d'euros pour sanctionner ces pratiques. Pouvez-vous nous en dire plus ? Comment les négociations commerciales se sont-elles déroulées ? Qu'en est-il des autres mécanismes abusifs pratiqués ouvertement et de manière immorale par un certain nombre de grands distributeurs qui remettent en cause la crédibilité de la loi de notre dispositif ? Je ne peux pas résister à l'envie de vous montrer ceci ( Mme Anne-Catherine Loisier brandit un prospectus indiquant 10 % de réduction avec une carte de fidélité ), qui circule largement : voilà où nous en sommes, après des mois de discussions Egalim...

M. Henri Cabanel . - Cette loi avait pour but d'enrayer la guerre des prix que se font les distributeurs. Cela a-t-il réussi ? Elle habilitait le Gouvernement à prendre des ordonnances sur la coopération ; or sur la question des prix abusivement bas, vous souhaitez rapprocher les coopératives des entreprises. Il serait injuste de les assimiler, car si elles vendent les produits des coopérateurs, elles ne les leur achètent pas.

M. Franck Montaugé . - Quelle est la méthode d'analyse et d'évaluation que vous allez suivre ? Il serait utile et éclairant de reconstruire les chaînes de valeur, de mettre en évidence les différents points de création de valeur par filière, par territoire, par type de structure, par type d'exploitation, selon que le produit passe par une coopérative ou non, selon le type de commercialisation. Il serait intéressant de constater par exemple que les circuits courts génèrent plus de valeur et plus de retour de valeur que des circuits plus longs - même si tous les produits ne peuvent évidemment pas se vendre sur ce modèles. Comment conduirez-vous cette évaluation, afin que nous puissions en tirer des modifications de ce texte qui ne nous paraît pas d'emblée répondre aux objectifs fixés ?

Mme Sophie Primas , présidente . - Vous avez cité la politique de contractualisation. Celle-ci a été mise en place après la nuit de l'élevage à l'initiative du président Larcher au moment de la crise du lait. Nous avions voté peu après une loi qui avait permis à la filière lait d'entamer le travail qui donne aujourd'hui ses fruits, travail renforcé par la loi Egalim.

On parle beaucoup de partage de la valeur, mais encore faut-il savoir où elle est, et s'il en reste. J'ai bien peur qu'elle ne soit plus nulle part. La vraie question qui vaille - et ne me parlez pas de montée en gamme - c'est comment recréer de la valeur, y compris sur les produits de base ?

Comme l'a dit M. Laurent Duplomb, l'amélioration du revenu des agriculteurs dépend à la fois du prix de vente et des charges qui pèsent sur l'entreprise. Si nous avons aujourd'hui des outils en train d'être mis en place pour mesurer l'évolution des prix, qu'en est-il de la surveillance des charges ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État . - Comment se sont déroulées les négociations ? L'Ania elle-même parle d'une déflation de moins 0,5 % en 2019, pas de moins 1 % ; 49 % des entreprises ont signé en déflation : cela signifie qu'une sur deux a des prix en inflation, et une sur deux en déflation. Nos chiffres sont fondés sur à peu près 300 contrôles qui ont été menés sur l'ensemble du territoire et qui ont visé 150 PME, 115 entreprises de taille intermédiaire (ETI) et plus d'une vingtaine de très grandes entreprises - ayant plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires - et ce dans toutes les régions de métropole. Nous constatons une tendance légèrement déflationniste de - 0,27 % par rapport à une entame de négociation de déflation qui était à - 1,9 % en 2019, contre - 3 % en 2018.

M. Laurent Duplomb . - Il faudrait qu'on se réjouisse de cela ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État . - Il faut être prudents : certains peuvent entamer sur une déflation basse mais demander en fait beaucoup de contreparties... Lorsqu'on regarde plus en détail, on s'aperçoit qu'il y a effectivement un secteur qui a tiré son épingle du jeu : le frais en libre-service, dont la moyenne d'évolution des prix est aux alentours de + 1 %, avec une très bonne appréciation du comportement des acheteurs et une bonne appréciation des comportements des contreparties négociées. Mais la façon dont se sont passées les négociations est variable en fonction de la taille des acteurs et du secteur d'activité, ou du type de produit qu'il offrait. Les entreprises qui ont eu les négociations les plus difficiles sont plutôt les plus grosses et plutôt les entreprises spécialisées dans les spiritueux... L'appréciation du comportement est très dégradée comme l'appréciation des contreparties - il y a donc une homogénéité des comportements.

La situation a donc été globalement meilleure pour les transformateurs proches des agriculteurs que pour les grands groupes
- même si vous trouverez toujours un contre-exemple. C'est ce qui ressort des enquêtes menées en direct avec les sociétés en question.

La deuxième étape des contrôles consiste désormais, grâce aux résultats issus de la première phase qui nous donne des éléments d'analyse de risques, à pratiquer, là où nous pensons pouvoir trouver des pratiques abusives, des contrôles ciblés sur la base des contrats qui ont été signés et de toute la documentation, y compris les échanges de mails.

Oui, il y a eu des pratiques de déréférencement, mais elles ne peuvent pas être chiffrées : vous pouvez retirer quelques références, les retirer de temps en temps, les retirer deux semaines avant de les faire revenir... ce n'est pas nouveau.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Nous avons affaire à des professionnels !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État . - Ce ne sera chiffrable que quand on descendra dans une société où on pourra en mesurer l'impact. Nous avons des retours d'appréciation du comportement qui vont de « très bons » à « dégradés ». Ils sont donc très hétérogènes. Par rapport à l'objectif, nous avons fait bouger les lignes, puisque ce sont les secteurs qui sont le plus proches du revenu des agriculteurs qui ont bougé positivement et puisque ce sont les PME qui ont été les mieux traitées.

Les MDD sont parfois produits par des groupes qui font aussi des marques : dans le secteur de de l'huile alimentaire, par exemple, le groupe qui commercialise Lesieur, Puget et Carapelli fait également toute une partie de son chiffre d'affaires en MDD. Pour faire la différence, il faudrait séparer dans le chiffre d'affaires ce qui relève de la MDD de ce qui relève des grandes marques : ce n'est pas net. Il y a de plus deux types de MDD : celle produite sur la base d'un cahier des charges partagé avec la GMS, où vous pouvez avoir une construction du prix, et celle en marque blanche avec un cahier des charges général - première pression à froid ou pas - et une bouteille en plastique sur laquelle est collée une étiquette avec la marque du distributeur, où l'intervention dans la négociation n'est pas une construction mais une co-construction.

M. Laurent Duplomb . - C'est une intégration.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État . - Le SRP ayant été mis en place au 1 er février, je suis certaine que la GMS a fait sa pelote, mais une pelote sur très exactement deux mois et quatre jours. Je rappelle que c'était une demande formelle des agriculteurs au moment des États généraux de l'agriculture, avec l'idée que cela permettrait d'envoyer un signal prix et d'avoir un report sur des marques qui bénéficieraient le plus aux agriculteurs.

Oui, monsieur Janssens, le revenu agricole est un enjeu national.

L'évolution des prix pour le consommateur du SRP a été de plus 0,6 % en février, avec effectivement des produits d'appel qui ont vu leur prix augmenter - ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose, parce que ça fait de la place pour les MDD : lorsque les voitures de luxe sont à 10 000 euros, vous aurez du mal à vendre à ce prix une voiture qui n'est pas une voiture de luxe.

M. Laurent Duplomb . - Pour la montée en gamme, c'est mort !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État . - Nous avons effectué des contrôles sur les promotions, sur le SRP et sur les négociations commerciales.

Sur les promotions, les premiers contrôles ont été pédagogiques et éventuellement assortis d'avertissements ; nous avons maintenant à notre disposition quatre possibilités de sanctions. Si nous constatons pour la deuxième fois des tentations de contournement notamment par le cagnottage et les cartes de fidélité, cela donnera lieu à des sanctions. Celles-ci sont assez automatiques puisque ce sont des sanctions administratives qui ne passent pas par le juge.

Merci, monsieur Raison, d'avoir rappelé que le revenu agricole ne dépend pas que de la GMS et que la stabilité de la loi est importante. Concernant les pénalités abusives notamment sur la logistique, nous avons publié un guide le 7 février. Nous y avons été d'autant plus attentifs que dans le cadre de la crise des gilets jaunes, il y a eu d'authentiques problèmes de livraison et que les routiers et les producteurs subissaient des pénalités un peu trop automatiques. Nous surveillons deux types de pratiques : les niveaux de service inatteignables, comme 100 % des livraisons à l'heure, et les pénalités qui tombent à partir de 30 minutes de retard.

Vous l'avez relevé, Leclerc applique un abattement complémentaire de 10 % sur le prix qui nous a conduits à porter la situation devant le juge. Nous avons réclamé que 83 millions d'euros soient reversés aux entreprises qui ont payé plus 20 millions de pénalités. Nous n'avons pas d'éléments nouveaux à vous communiquer sur cette affaire en cours.

Sur la guerre des prix, il faut avoir en tête que le secteur de la grande distribution est en transformation, qu'il est lui-même sous pression du e-commerce et qu'il n'y a pas tellement de richesse à distribuer. Sur les coopératives et les prix abusivement bas, la discussion est en cours ; le gouvernement sait bien que le modèle coopératif a des spécificités, mais il peut être amené à devoir protéger les producteurs contre des comportements qui pourraient s'apparenter à ceux des sociétés commerciales.

Vous avez raison, monsieur Cabanel, il faut reconstruire l'échelle de valeur ; c'est parce qu'il l'a fait que le secteur du lait a été capable de conclure des contrats de moyen terme avec des augmentations de prix. Didier Guillaume reviendra vous en parler avec plus de détails, mais il faut que chaque filière s'organise pour effectivement fournir des éléments sur son prix de revient - car il faut de la transparence sur toute la chaîne. Certaines filières commencent à s'organiser sur le sujet : la pomme de terre, les fruits et légumes vont plus vite que le porc, où il y a une tentation pour écraser la valeur. Nous n'avons pas encore pu faire une analyse par territoire, par type d'exploitation et par type de circuit de distribution.

Didier Guillaume vous éclairera sur l'évolution des charges car, en effet, le revenu des agriculteurs en dépend aussi. Il ne faut donc pas mettre trop de contraintes sur les agriculteurs pour leur permettre de faire face à l'évolution des prix à la fois des intrants et de leur production.

M. Daniel Gremillet . - Je sais que l'exercice n'est pas facile. Mais ouvrez les yeux : la montée en gamme à laquelle on assiste apporte des charges nouvelles, mais pas de revenu supplémentaire. Je peux citer de nombreux exemples comme celui que j'ai cité hier en séance. Ce ne sont pas les paysans qui sont à la manoeuvre, mais les GMS. Les paysans n'ont pas d'autre choix : soit vous êtes capables de suivre, soit vous disparaissez. Nous avons le même problème pour les MDD.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État . - Si vous connaissez des pratiques abusives, signalez-les nous !

Concernant la montée en gamme, il faut noter que le label rouge peut donner plus de valeur au producteur, plus que sur le bio, qui pose des problèmes de non-continuité. Les producteurs préfèrent donc se positionner sur le label rouge, même lorsqu'ils sont bio. Les consommateurs sont prêts à le payer.

Il y a un vrai travail à faire sur certains labels à forte valeur ajoutée. Attention cependant au développement des micro-labels - « issus de tel territoire » ou « élevés comme cela » - sur lesquels la DGCCRF doit contrôler la réalité de la promesse marketing, car ils peuvent faire croire à du qualitatif alors que la valeur n'est pas prouvée. De la même façon, nous sommes attentifs à la dénomination « équitable » ou « santé ».

Cela parlera sans doute à des élus de la Nation proches des collectivités : il y a un travail à faire sur les cahiers des charges des marchés publics des cantines pour privilégier les circuits courts. J'ai demandé à la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances qu'elle prépare des clauses toutes prêtes pour privilégier de tels approvisionnements. Cela permet de surcroît de travailler sur les questions de gaspillage.

M. Bernard Buis . - Il existe un outil pour cela, Agrilocal, lancé par le département de la Drôme, que 36 départements utilisent désormais. J'étais gestionnaire de collège... je peux vous dire que cela marche très bien. On pourrait l'étendre aux hôpitaux ou aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad)...

Mme Sophie Primas , présidente . - M. Gremillet le dit bien : si la demande va sur la montée en gamme, l'essentiel des volumes n'est pas concerné ; n'oublions pas ces produits. La montée en gamme occasionne des charges supplémentaires pour les agriculteurs ; il faut bien s'assurer que le résultat est positif en bas à droite de la page...

Sur les cantines, c'est un processus entamé depuis plusieurs années dans les collectivités. Je remercie la DGCCRF de tout ce qu'elle pourra faire pour faciliter la vie des maires, et notamment ne pas attaquer les maires qui ont choisi d'acheter local...

Nous poursuivrons ce travail au long des prochains mois et des prochaines années. Merci de votre présence.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État . - Sur les cahiers des charges des marchés publics, le message est passé. Vous parlez de la Drôme... Je crois qu'un certain Didier Guillaume connaît très bien ce dispositif qui nous inspire.

Mme Sophie Primas , présidente . - Merci Madame la Ministre.

Table ronde dans le cadre du suivi de la mise en application
des mesures de la loi Egalim
(Mercredi 5 juin 2019)

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos travaux de contrôle sur la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite loi Egalim.

Comme vous le savez, dès le lendemain de sa promulgation, notre commission a mis en place un groupe de suivi, présidé par Daniel Gremillet , pour mesurer les effets de la loi Egalim au fur et à mesure de son déploiement.

L'objectif n'est pas de produire au bout de quelques mois un rapport sur un seul aspect de la loi et de ne plus s'en soucier par la suite. Il est plutôt de travailler à long terme sur les effets de cette loi pour tous les secteurs : producteurs agricoles de toutes les filières, industriels et grande distribution, bien sûr, mais aussi consommateurs ou encore la restauration collective.

Des points d'étape seront ainsi organisés régulièrement, tant par le biais d'auditions du groupe de suivi qu'en commission, pour relever les points positifs mais aussi les difficultés rencontrées par les acteurs afin de proposer, au plus vite, les correctifs nécessaires. Je rappelle que l'objectif initial de cette loi était l'amélioration du revenu des producteurs agricoles français.

Nous avions reçu au cours des premières tables rondes de janvier et février, juste avant la mise en oeuvre des ordonnances, les producteurs, les transformateurs et les distributeurs, séparément. J'avais pris l'engagement de recevoir les mêmes personnes, mais ensemble cette fois, afin de provoquer un échange de vues devant notre commission pour tirer les premières conclusions des négociations commerciales.

Compte tenu du nombre important d'invités, je vous propose le déroulé suivant.

Vous avez reçu, mes chers collègues, une contribution écrite de nos auditionnés qui détaille leur avis sur les premiers effets de la loi Egalim, notamment au regard des négociations commerciales achevées fin février 2019. En conséquence, il n'y aura pas de discours introductif de chacun de nos auditionnés.

Le président du groupe de suivi, Daniel Gremillet, interrogera donc en premier nos invités. Chacun aura deux minutes de temps de réponse.

Les deux rapporteurs de la loi, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier, poseront à tour de rôle une question à l'ensemble de nos auditionnés. Chacun aura encore une fois un temps de réponse de deux minutes par question posée.

Viendra ensuite le temps des questions des sénateurs aux personnes auditionnées.

L'objectif est bien de susciter un échange de vues cordial entre auditionnés, qui sont évidemment conviés à se répondre mutuellement dans le temps de parole qui leur est imparti. Pour la bonne tenue des débats, je souhaiterais que chaque sénateur désigne les personnes auditionnées auxquelles ils adressent leur question.

Si tout le monde a bien en tête cette trame, je laisse de ce pas la parole au président de notre groupe de suivi, Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet , président du groupe de suivi . - Le groupe de travail sur les résultats des négociations commerciales annuelles, sous l'égide du médiateur des relations commerciales agricoles, a rendu ses conclusions à la fin du mois d'avril sur les négociations annuelles closes au 28 février 2019.

Après six années consécutives de déflation sur les produits alimentaires, les États généraux de l'alimentation (EGA) avaient suscité un immense espoir. La loi Egalim a pour ambition de stopper cette guerre des prix. Ses premiers effets doivent se matérialiser dès 2019 dans la mesure où la hausse du seuil de revente à perte (SRP) de 10 % est entrée en vigueur dès le 1 er février.

C'est sans doute pour cela que des demandes fortes avaient été émises par les fournisseurs, en moyenne de + 4 % par rapport à l'année précédente. Or les chiffres officiels indiquent que les négociations commerciales pour 2019 ont abouti à une nouvelle baisse des prix cette année, de - 0,4 % en moyenne par rapport à l'année précédente. La déflation est plus forte sur les produits frais non laitiers, les épiceries salées et sucrées. Seul le secteur laitier, et dans une moindre mesure les produits surgelés salés, tirent leur épingle de jeu avec une inflation de 1,4 %. Il faut s'en féliciter, tout en gardant à l'esprit trois points.

Premièrement, cette tendance était déjà à l'oeuvre l'année dernière puisque lors des négociations commerciales de 2018, le secteur du lait avait déjà tiré son épingle du jeu, avant même la loi Egalim.

Deuxièmement, cette tendance reste inférieure à la hausse des prix standards du lait de vache entre 2018 et 2019, qui était d'environ + 7 %.

Troisièmement, les négociations commerciales ne couvrent qu'une partie étroite du spectre puisqu'elles ne visent pas les produits sous marque de distributeur ou encore le lait destiné à l'export.

Les chiffres apparaissent donc relativement mitigés. Ma question sera donc la suivante : constatez-vous une amélioration de la qualité des relations entre fournisseurs et distributeurs depuis la mise en oeuvre de la loi Egalim lors des négociations commerciales annuelles ?

M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). - Je ne partage pas l'avis de M. Gremillet : les négociations commerciales se sont déroulées cette année dans un esprit davantage positif que l'année précédente. J'ajoute que la plupart des chiffres qui sont diffusés concernent les grandes marques, lesquelles sont pourtant délaissées par les consommateurs parce qu'elles n'ont pas su évoluer.

Lors des dernières négociations, un effort a été fait en faveur des produits à forte composante agricole, notamment le lait, mais nous constatons que ces augmentations ne bénéficient pas aux producteurs. Cela tend à démontrer qu'il y a un manque de transparence.

Le taux de - 0,4 % qui a été évoqué correspond en fait à l'agrégation de données n'ayant rien à voir entre elles. Lorsque le prix des matières premières de certains produits diminue, dans le même temps, le prix des matières premières d'autres produits augmente. Une fois prise en compte la baisse des cours mondiaux, répercutée sur le consommateur, on constate une augmentation globale des prix, ce qui marque une différence notable par rapport aux années précédentes. Tout autre discours n'est que manipulation.

Mme Catherine Chapalain, directeur général de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA). - Nous avons tous, il y a deux ans, approuvé l'esprit de la loi Egalim, à l'issue d'un diagnostic partagé : la nécessité de recréer de la valeur. La déflation a en effet détruit 5,5 milliards d'euros dans les filières agricole et agroalimentaire en six ans. Les EGA ont permis d'ouvrir entre tous les acteurs un dialogue constructif qui a donné lieu à l'engagement, repris au plus haut niveau de l'État, d'arrêter la guerre des prix.

Quant à la lettre de la loi, nous l'avons également acceptée dans l'objectif de recréer de la valeur pour mieux la répartir, avec une meilleure contractualisation, un encadrement des promotions et un SRP économique.

Pourtant, et c'est la triste réalité des négociations de 2019, la guerre des prix se poursuit via des demandes de déflation. L'ANIA, qui représente 17 000 entreprises de l'agroalimentaire, a ainsi eu connaissance de plus de 800 signalements de mauvaises pratiques. Nous avons constaté, à l'instar du médiateur des relations commerciales agricoles, une déflation moyenne de
- 0,5 %. Cette année encore, la loi du plus fort s'est appliquée au détriment des agriculteurs et des entreprises de l'alimentaire.

M. Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA. - La mise en oeuvre de la loi a été différée, les dernières ordonnances ayant été prises il y a seulement un mois. Par ailleurs, certains acteurs de la distribution ont empêché la publication d'indicateurs de coût de production. Cela explique les retards au démarrage !

Les producteurs ne sont pas présents dans les boxes de négociation, ce qui pose un problème de transparence ; on peut donc nous raconter n'importe quoi.

Nous avons appris par voie de presse que les groupes Bel, Savencia et Sodiaal avaient pris une initiative positive sur le lait, mais elle relève plutôt de la bonne action. Nous demandons davantage de transparence, et que la loi soit appliquée, voire améliorée, y compris par l'ajout de sanctions. Les chartes et la bonne volonté ne suffisent pas pour atteindre l'objectif poursuivi !

M. Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E. Leclerc. - On mélange des données hétérogènes ! Nos observations portent sur les années 2018 et 2019, le point de départ que nous avons retenu étant la signature de la charte EGA à la fin 2017. L'évolution des comportements de négociation commence donc à partir de 2018.

En 2018 et 2019, pour ce qui concerne les seuls produits agroalimentaires, l'inflation moyenne accordée par nos acheteurs est de 4 points sur les marques internationales et de 8 points sur les marques propres. Je ne partage donc pas le constat d'une dégradation. Les sommes en jeu sont considérables !

On nous dit que les agriculteurs ne bénéficient pas de cette amélioration, mais c'est un problème qui nous échappe. On ne sait pas comment fonctionne le ruissellement ! Manifestement, d'autres acteurs profitent de ces marges supplémentaires.

M. Dominique Amirault, président de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF). - La loi Egalim n'a pas permis d'atteindre l'objectif visé par les fournisseurs PME de la grande distribution, celui de faire accepter leurs tarifs. La baisse de 0,4 % correspond à une moyenne. Face à l'évolution de nos coûts, nous avons dû réduire nos marges, aux dépends de l'emploi et des investissements.

On constate donc une dégradation des prix nets des produits alimentaires, accompagnée d'une baisse des contreparties pour les PME, alors que nous attendions une amélioration de la situation. Sans négociabilité du tarif, nous ne parviendrons ni à facturer le prix juste ni à revaloriser in fine les revenus de l'amont agricole et le ruissellement ne voudra rien dire !

Les déclarations des directions générales des enseignes et de la FCD sur l'amélioration des relations commerciales nous semblent sincères mais cette volonté ne se traduit pas encore dans les boxes de négociation : les comportements n'évoluent pas assez vite pour que nous puissions créer de la valeur ensemble, ce qui est malsain. Rien n'a changé !

Mme Véronique Le Floc'h, secrétaire générale de la Coordination Rurale. - Pour les producteurs, le compte n'y est pas.

S'agissant du lait cru, les chiffres de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) font apparaître que, depuis 2001, le prix moyen payé par le consommateur a augmenté de 36 %, ce qui est lié à l'inflation ; en marge brute, la part de la transformation a augmenté de 68 % et celle de la distribution de 100 %, tandis que la part du producteur a baissé de 12 %.

Nos organisations professionnelles ont proposé dès janvier dernier des contrats-cadres aux industriels. Des négociations sont en cours ; nous en attendons l'issue afin de pouvoir rédiger les clauses de ces contrats.

M. Claude Genetay, directeur général d'Intermarché alimentaire international . - Il y a un avant et un après loi Egalim. Nous ne voulions ni laisser passer cette occasion unique de faire bouger les lignes pour le monde agricole ni opposer rémunération des producteurs et pouvoir d'achat car nous avons la conviction qu'il est possible de favoriser les deux. Nous avons donc changé de posture lors des négociations et pris des initiatives pour acheter plus cher aux fournisseurs et aux PME qui travaillent avec le monde agricole français.

Les négociations se déroulent différemment avec les multinationales qui n'ont aucun lien avec le secteur agricole de notre pays et nous assumons cette position qui vise à défendre le pouvoir d'achat. Dans ce cas, nous refusons les hausses non fondées et ne cherchons pas de terrain d'entente.

Nous avons trouvé, notamment pour le lait et la charcuterie, des fournisseurs partenaires, qui ont également la volonté d'évoluer et auxquels nous faisons confiance. D'autres fournisseurs n'ont rien voulu entendre. La situation est donc en nette amélioration, mais reste hétérogène.

M. Dominique Chargé, président de Coop de France. - Sur la forme, les comportements et les pratiques ont été plus hétérogènes cette année, mais, sur le fond, rien n'a changé et la guerre des prix a continué. Le constat est sans appel : les prix ont baissé de 0,4 %.

La théorie du ruissellement n'a pas fonctionné, car la source a été détournée. Le rééquilibrage a été opéré entre les surmarges faites sur les produits à forte composante agricole et les marges nulles ou négatives sur des produits d'appel ne contenant pas de matières premières agricoles françaises, mais les 650 millions d'euros dégagés n'ont pas servi à la revalorisation des prix à la production ; ils ont été utilisés pour faire pression sur les marques de distributeurs (MDD).

M. Richard Panquiault, directeur général de l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (ILEC). - Nous sommes plus pessimistes que l'OFPM puisque nous estimons que les prix ont baissé de 0,7 % ou 0,8 %.

Les grandes marques que je représente mènent des négociations qui concernent directement ou indirectement 150 000 agriculteurs. Il ne faut donc pas faire d'amalgames, le discernement est important. On nous dit qu'il n'y a pas de transparence ; honnêtement, c'est du pipeau ! Il y a des moments où il n'y en a pas, il y a des moments où il y en a. C'est vrai du côté industriel comme du côté des distributeurs.

Aujourd'hui, il faut s'intéresser à ce qui s'est bien passé. Des partenariats ont été trouvés. Ils se traduiront par des effets vertueux. Nous devons étudier ces exemples au lieu de nous envoyer des chiffres à la tête...

M. Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne. - Selon nous, la légère inflation que connaît le secteur laitier est davantage liée au contexte mondial - absence de stock de poudre de lait, sécheresse dans une partie de l'Europe, hausse de la demande mondiale - qu'à la loi Egalim.

Le ruissellement, nous n'y croyons pas du tout, et ce n'était d'ailleurs pas l'enjeu de ce texte. L'objectif était plutôt de progresser vers une formation des prix en marche avant. Or les négociations souffrent d'un manque de transparence, qui empêche de bien connaître la répartition de la valeur ajoutée. Philippe Chalmin, président de l'OFPM, regrettait de ne pas pouvoir donner une vision globale de la rentabilité des produits laitiers en France. Si lui n'y parvient pas, il y a un bug quelque part ! Il imputait ce problème à « un faible enthousiasme des intéressés »...

M. Michel Raison , rapporteur . - Je suis d'accord avec M. Panquiault, il faut se méfier des amalgames et des moyennes. M. Girod a fait également une remarque importante en nous invitant à considérer les cours nationaux et mondiaux des produits alimentaires.

Prenons l'exemple du cours du porc au cadran breton qui était relativement bas tout au long de l'année 2018 et a servi de base aux négociations commerciales. Depuis le début du mois de mars, le cours a pris près de 20 % partout en Europe en raison de la peste porcine africaine qui décime une part importante du bétail chinois. Cette hausse va sans doute durer dans la mesure où l'épidémie ne fait que commencer. Mais les renégociations sont très difficiles.

La loi Egalim permet-elle de mieux prendre en compte les évolutions des cours des matières premières et de faciliter la renégociation ?

J'en profite pour rappeler que nous ne faisons pas ici de procès, mais notre travail de parlementaires qui est de suivre les effets de la loi.

Dans les résultats des négociations commerciales, on constate également des différences selon la taille des entreprises. On nous a fait part de certaines inquiétudes portant sur le traitement des PME. Pour Mme la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher, ces entreprises auraient été plutôt mieux traitées, ayant bénéficié finalement d'une inflation pour leurs produits. Toutefois, certains chiffres qui nous sont parvenus sont très inquiétants, notamment pour ce qui concerne les producteurs de produits sous marque de distributeur (MDD).

La loi Egalim a-t-elle les mêmes effets sur l'ensemble des acteurs ? Qu'en est-il pour les MDD, les PME et les négociations sur les produits frais ? Offre-t-elle un cadre suffisamment souple pour répondre à la diversité des produits alimentaires vendus ? Car le commerce a besoin de souplesse, mais aussi de morale.

M. Jacques Creyssel. - S'agissant des renégociations, l'essentiel existait déjà dans les lois précédentes, et il n'y a pas de changement majeur dans la loi Egalim.

Sur le porc, nous avons pris l'initiative de la réouverture des négociations, dans le respect du droit de la concurrence. Des accords ont d'ores et déjà été signés, qui portent sur les MDD. Nous faisons face à un bouleversement total du marché mondial et la situation est évolutive : la moitié du cheptel mondial pourrait disparaître ; les renégociations, complexes, sont néanmoins en cours.

Nous avons également pris l'initiative de la création d'un observatoire des négociations commerciales.

Sur les effets de la loi Egalim selon les acteurs, on constate que l'évolution du marché est favorable depuis quelques années aux PME, dont les produits se vendent mieux dans les hypermarchés que ceux des grandes marques. En bonne logique économique, les PME sont donc mieux traitées durant les négociations. Celles-ci, en revanche, ne concernent pas les MDD.

Mme Catherine Chapalain. - S'agissant du prix du porc, 74 % des entreprises sont encore en cours de renégociation. Seules 7 % des entreprises de ce secteur ont vu leur hausse de tarif acceptée. La situation est encore pire pour les MDD que pour les marques nationales. Sans réelle volonté de la grande distribution de jouer le jeu, sans rééquilibrage du rapport de force, et à défaut d'assurer la primauté du tarif, il ne sera pas possible de renégocier.

On a observé, cette année, des initiatives plus vertueuses que d'autres lors des négociations. Le groupe Horizon a ainsi fait un effort de dialogue et de concertation.

M. Patrick Bénézit. - Pour ce qui concerne la renégociation, la loi Egalim a permis de réduire les délais, mais pas autant que nous le souhaitions. Nous regrettons que les indicateurs de prix de marché ne soient pas pris en compte ; je pense, par exemple, aux fluctuations du cours du porc. Il faudrait davantage de transparence, ce qui sera le rôle de l'observatoire des négociations commerciales.

L'augmentation du SRP et l'encadrement des promotions sont nécessaires. Mais comment agir par rapport aux MDD, qui sortent de ce champ et sont utilisées par les distributeurs pour poursuivre la guerre des prix ?

M. Stéphane de Prunelé. Le SRP s'applique aussi aux MDD !

Les négociations visant à revaloriser le prix du porc, dont le marché connaît une situation totalement atypique, aboutiront dans les semaines qui viennent. Il y a un effet pervers lié à l'explosion de ce prix : elle rend plus difficiles la contractualisation et le respect des contrats, car les producteurs sont tentés de profiter du formidable appel d'air que représente le marché chinois pour vendre leur production en Chine plutôt que de respecter leurs engagements de volume.

Mon groupe a accordé aux PME, qui lui fournissent la quasi-totalité de ses produits d'origine française, deux fois plus d'inflation qu'aux multinationales avec il travaille.

J'ajoute que les produits des PME créent aujourd'hui plus de valeur et de croissance que ceux des multinationales ; ils sont donc, tout naturellement, mieux rémunérés.

M. Dominique Amirault. - Le relèvement de 10 % du SRP n'a pas les mêmes effets en fonction de la taille des entreprises ; il permet un discernement en faveur des multinationales et des grandes marques, ce qui nuit aux marques PME. On observe ainsi un repli des ventes de celles-ci depuis le début de l'année. Après une croissance ininterrompue depuis cinq ans, les marques PME ont donc connu un coup d'arrêt ; c'est un effet pervers de cette mesure.

Autre effet perturbateur des relations commerciales : l'encadrement des promotions en volume. Si l'encadrement en valeur à 34% peut se comprendre politiquement, pour lutter contre la guerre des prix en aval, celui en volume a des conséquences négatives sur certaines filières. Il faut arrêter de jouer aux apprentis sorciers en perturbant, via la loi, la vie normale des marchés et des affaires.

Mme Véronique Le Floch. - Je suis d'accord avec M. Amirault sur l'avantage que donne aux grandes marques le relèvement de 10 % du SRP.

Compte tenu du prix du porc à l'exportation, on peut se demander quel est l'intérêt pour les producteurs de vendre à l'international...

M. Claude Genetay. - Intermarché traite différemment - et assume cette position - les sociétés, qu'elles soient PME ou multinationales, qui ont un lien avec le monde agricole, et celles qui n'en ont pas.

Il n'y a en revanche aucune différence de traitement entre les marques nationales et les MDD.

M. Dominique Chargé. - Le prix payé à un producteur correspond à la moyenne de la somme des marchés de l'entreprise à laquelle il livre sa production, de lait par exemple.

Le secteur du porc est dans la même situation que celui du beurre voilà deux ans : il est tout aussi difficile d'obtenir des hausses qui soient représentatives du marché.

Lors des négociations, les marques nationales ont subi, en volume, une forte contrainte au profit des MDD. Même si celles-ci ne font pas partie du périmètre des discussions, il y aura des effets collatéraux indéniables dont l'une des causes est l'absence de ruissellement.

M. Richard Panquiault. - La majoration du SRP et la péréquation entre marques nationales et MDD sont des questions majeures.

Il y a une spécificité française ; nous avons du mal à prendre en compte les évolutions de prix de marché lors des négociations. C'est un problème de comportement, qui induit de nombreux effets pervers. Les mécanismes sont faussés.

Pour ce qui concerne le prix des matières premières, lors des cinq ou six dernières années, la déflation a été constante, oscillant entre 6 %, 8 % ou 10 %. Il faut donc adopter une perspective plus générale.

Je remercie M. de Prunelé d'avoir cité des chiffres précis sur la différence de traitement opérée par son groupe entre les PME et les grandes marques. Le discernement pratiqué dans ces conditions est vertueux et productif.

M. Nicolas Girod. - Si l'on abandonnait l'idée du ruissellement au profit de celle d'une formation du prix en marche avant, la question de la renégociation serait moins urgente. S'agissant du porc, par exemple, les prix devraient être établis en fonction du coût de production assumé par les éleveurs. La dérégulation totale des marchés et la volatilité des prix participent de la destruction de la valeur, ce qui rend nécessaires des renégociations fréquentes et rapides.

Sur les MDD, peut-être faudrait-il mettre en place des contrats tripartites en chaîne, comme cela avait été suggéré lors des États généraux de l'alimentation ?

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure. - En théorie, le SRP + 10 devait redescendre en cascade vers les agriculteurs. Or, depuis sa mise en oeuvre, on constate de nouvelles pratiques commerciales dans les grandes surfaces.

J'en veux pour preuve le témoignage des producteurs de fraises de la variété gariguette. Certains distributeurs utilisent chaque année ces fraises pour en faire un produit d'appel quand l'été approche. Ils les vendent alors au niveau du seuil de revente à perte, à savoir en moyenne à 1,99 euro la barquette.

Avec la revalorisation du seuil de revente à perte de 10 %, le distributeur aurait donc dû vendre cette même barquette 10 % plus chère, à savoir 2,19 euros cette année. Or le distributeur a souhaité maintenir son prix de vente au consommateur à 1,99 euro la barquette, comme l'année précédente. Il a réussi à maintenir ce prix qui intègre une revalorisation obligatoire de 10 %, conformément à la loi, en durcissant les négociations avec son fournisseur. En résumé : la hausse du SRP de 10 % s'est traduite, dans ce cas très précis, par une baisse de 10 % du prix d'achat aux producteurs.

Plus globalement, il suffit de parcourir les catalogues des distributeurs pour constater de nouvelles formes d'annonces promotionnelles.

D'une part, les prix sont annoncés en baisse pour les produits sous MDD par les distributeurs. Certains l'ont fait pour près de 5 000 références MDD en 2019 ! D'autre part, des remises sont attribuées sur les cartes de fidélité pour les produits de grandes marques, le plus souvent d'ailleurs avec un taux de 10 %, ce qui nous rappelle étrangement le niveau de revalorisation du SRP. Il convient donc de s'interroger sur la nature de ces nouvelles pratiques commerciales : correspondent-elles bien à l'esprit et à la lettre de la loi Egalim ?

Compte tenu des nouvelles pratiques commerciales, la hausse du SRP va-t-elle bénéficier aux producteurs, comme le prévoit la loi ?

Mme Sophie Primas , présidente . - Cela pose le problème des nouvelles formes de promotion.

M. Jacques Creyssel. - La question du prix des fraises se pose chaque année, qu'il y ait SRP ou pas. Un travail est en cours au sein de l'interprofession de la filière des fruits et légumes frais (Interfel). C'est l'un des cas où le SRP pose des difficultés techniques. Les fraises sont un produit météosensible, soumis à une compétition forte avec d'autres pays européens. Il s'agit d'une question extrêmement spécifique, à laquelle il ne faut pas accorder trop d'importance.

Sur les promotions, les choses sont claires. Ce qui se fait aujourd'hui est strictement conforme aux lignes directrices de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui sont très précises. Aujourd'hui, la première préoccupation des Français est l'augmentation des prix alimentaires. Je suis d'accord avec Dominique Amirault sur les effets négatifs pour les PME, notamment pour les produits festifs et saisonniers.

Nous n'avons pas encore évoqué l'article 1 er de la loi Egalim sur l'inversion de la négociation, une disposition essentielle qui n'a pourtant pas encore été appliquée.

Mme Sophie Primas , présidente . - M. Girod en a parlé, me semble-t-il !

Mme Catherine Chapalain. - Nous avons tous le sentiment aujourd'hui que le compte n'y est pas. Nous sommes en CDD, voire même en période d'essai, avec cette loi. L'objectif est de la transformer en CDI, et de retrouver l'état d'esprit que nous avions au début des États généraux de l'alimentation. Pour cela, trois conditions sont nécessaires.

D'abord, il faut rééquilibrer la relation. Nous en sommes encore loin. Pour imposer la confiance, il faut respecter le tarif du fournisseur. C'est le nerf de la guerre, et c'est sur ce point que nous devons faire porter nos efforts.

Ensuite, il faut que la loi soit respectée, contrôlée, sanctionnée, afin de faire changer les mentalités. Les pratiques vertueuses de la distribution
- et il y en a ! - doivent être davantage récompensées. Les sanctions des mauvaises pratiques sont encore trop faibles.

Enfin, il faut organiser un droit de suite des EGA, et se remettre autour de la table avec un seul objectif : recréer de la valeur et stopper la guerre des prix. Nos destins sont liés, et nous avons une responsabilité collective au-delà de la loi. Le prix le plus bas pour les produits alimentaires n'est pas le prix le plus juste. C'est le combat que nous devons tous mener.

Mme Sophie Primas , présidente . - Exercer un droit de suite de la loi est justement ce que nous faisons aujourd'hui !

M. Patrick Bénézit. - Je suis d'accord avec M. Creyssel, il n'y a pas que le SRP dans cette loi ! Il faudra bien travailler la question des MDD, qui ne sont pas dans le champ de la loi. Nous devons essayer d'améliorer la loi et de combler « les trous dans la raquette ».

Une même enseigne fait de la publicité sur le prix qu'elle paye aux producteurs de lait - 370 euros les 1 000 litres, alors que le coût de production est de 396 euros -, tout en baissant les tarifs sur 250 références en MDD. Les acteurs de la distribution annoncent faire des efforts, mais cherchent à contourner les dispositifs mis en place.

Il ne faut pas se demander si la loi est bonne ou pas, mais aller au bout, car les producteurs ne peuvent pas attendre. La puissance publique doit faire appliquer la loi. Des ordonnances sur les prix abusivement bas existent : certains comportements sont déjà sanctionnables.

M. Stéphane de Prunelé. - Je ne vais pas revenir sur la question du prix des fraises. Pour une fois, mon enseigne n'est pas désignée comme le mauvais élève !

Je regrette que les consommateurs ne soient pas représentés aujourd'hui. Ils ont aussi leur mot à dire sur les conséquences de la loi Egalim.

Mme Sophie Primas , présidente. - Merci de votre suggestion !

M. Stéphane de Prunelé. - Nous assumons la baisse des prix de 4 500 références de produits MDD, mais je vous ferai remarquer qu'elle ne touche pas les produits agricoles !

La FNSEA a estimé que le SRP + 10 rapportait 650 millions d'euros à la grande distribution. Le ruissellement de notre marge supplémentaire est ainsi réparti : 70 % de celle-ci ont été redistribués aux industriels et transformateurs de l'agroalimentaire sous forme d'inflation ; 20 % aux consommateurs sous forme de baisse des prix des MDD non alimentaires, sans renégociation avec les fabricants ; 10 % à l'État via la TVA.

Certains proposent de revenir à la non-négociabilité des tarifs. C'était la situation qui prévalait avec la loi Galland ! À cette période, les prix en France étaient les plus élevés d'Europe. Nous ferons tout pour éviter de revenir à cette loi néfaste.

M. Dominique Amirault. - En ce qui concerne l'encadrement des promotions, plusieurs fournisseurs nous ont alertés sur le fait que les seuils promotionnels à ne pas dépasser étaient progressivement devenus la norme. Cette dérive est inquiétante.

Il faut rendre compréhensibles et simplifier les réglementations, qui sont trop nombreuses. Les PME ne sont pas armées pour gérer la complexité, qui représente, pour elles, un handicap compétitif. Arrêtons de vouloir tout régenter et d'être complètement déconnectés de la réalité du terrain !

Pour les enseignes, il existe deux manières de se différencier : les marques PME et les MDD, fabriquées à 80 % par des PME. Il ne faut pas faire la guerre aux MDD.

Le tarif qui correspond aux coûts à supporter - fabrication, transformation, commercialisation, innovation... - n'est pas négociable. Il faut facturer ces coûts si l'on veut, en contrepartie, améliorer la rémunération des acteurs de la filière. Quand une marque est référencée par les distributeurs, il faut se donner les moyens de développer le courant d'affaires. Ce sont donc les conditions de vente qui sont négociables. Ne faisons pas la confusion !

Mme Véronique Le Floc'h. - On ne voit pas d'effet de la loi sur les prix des produits stockables - secs, en conserve ou surgelés.

L'article 44 de la loi Egalim prévoit que les produits d'importation doivent respecter nos normes. La Coordination rurale demande qu'un comité de suivi s'occupe rapidement de faire appliquer cette disposition.

M. Claude Genetay. - En janvier dernier, il nous a semblé que le cumul de la hausse du SRP, l'encadrement des promotions et les hausses de prix liées à l'acceptation des tarifs de tous les produits à forte composante agricole finissaient par faire beaucoup ! Nous avons donc voulu nous engager dans une baisse des prix des MDD pour les consommateurs à chaque fois que c'était possible. Cela ne s'est en aucun cas traduit par des baisses de prix d'achat des MDD - nous avons pris sur nos marges.

En ce qui concerne les promotions, les règles sont techniquement claires sur le papier. Appliquer le taux de 34 % est simple. En revanche, la limite des 25 % du volume est, à la fois, une mesure difficile et dangereuse pour les PME.

Difficile, car personne ne peut prédire dans quel volume un produit en promotion sera vendu. Pour les produits saisonniers, comme les glaces, les volumes vendus varient considérablement selon la météo. Or les catalogues sont préparés dix semaines à l'avance. Nous sommes face à un dilemme : si l'on dépasse les 25 % il faut arrêter la promotion, mais comme les catalogues sont déjà imprimés on peut nous accuser de publicité mensongère.

Dangereuse, car des PME, qui ne peuvent pas se payer de force de vente et de publicité, ont un business model basé sur les promotions. Certaines dépassaient allégrement le taux de 25 % : on leur a retiré leur levier principal pour exister. Nous travaillons à trouver une solution.

Mme Sophie Primas , présidente . - Certaines PME sont effectivement très inquiètes pour le maintien de leur outil de production et l'emploi.

M. Dominique Chargé. - Il ne faut pas confondre la négociation commerciale, laquelle ne pose pas de problème, et la négociabilité du tarif, qui nuit aujourd'hui aux bonnes relations entre les fournisseurs et les distributeurs.

L'encadrement des promotions est une bonne chose, mais une application linéaire peut avoir des effets contreproductifs, notamment sur des produits saisonniers, périssables et météosensibles. Cet encadrement a engendré de nouvelles formes de restitution aux consommateurs via des instruments de type loteries, jeux...

Je regrette que la DGCCRF, dans ses lignes directrices sur les mécanismes promotionnels, s'en soit tenue aux prix qui affichent un taux de réduction et n'ait pas englobé les « prix imbattables », c'est-à-dire des prix bas mais qui ne font pas apparaître de manière visible un taux de réduction. Il faudra revenir sur l'interprétation de ce qu'est un prix promotionné.

M. Richard Panquiault. - J'avais cru comprendre que le SRP majoré devait permettre de dégager une marge dont les distributeurs pouvaient faire un usage vertueux. Aujourd'hui, on a l'impression que cette mesure a été imposée et que la grande distribution essaye d'en aménager les effets en baissant les prix des MDD, de telle sorte qu'au final tout s'équilibre et que la manne supplémentaire, chiffrée à environ 600 millions d'euros, est réduite à néant.

Aujourd'hui, les projections évoquent plutôt une revalorisation de 300 ou 350 millions d'euros par le biais de la majoration du SRP. Il faudra se demander dans un an si cette mesure était vraiment utile.

Pour ce qui concerne l'encadrement des promotions, les lignes directrices de la DGCCRF, qui en est parfaitement consciente, laissent aujourd'hui des trous béants. Les acteurs peuvent, ou non, s'y engouffrer : cette décision relève de leur responsabilité et de leur forme de business model . Pour certains, l'encadrement des promotions constitue un problème sévère.

M. Nicolas Girod. - La majoration du SRP ne permet pas d'éduquer les acteurs : on ne donne pas de récompense sans contrainte et sanction...

Il faut une politique agricole et alimentaire commune qui permette une réorganisation du monde agricole. Pour les fruits et légumes, il faut remettre sur la table le droit de la concurrence européen. La Confédération paysanne revendique des prix minimum d'entrée pour pallier la concurrence déloyale intraeuropéenne.

La montée en gamme est confisquée par une bonne partie de l'agro-business, qu'il s'agisse de distributeurs ou d'industriels. Les interprofessions ont du mal à avancer sur la réalisation de plans de filière incluant une montée en gamme et des indicateurs de coût de production.

M. Jean-Marie Janssens . - Ma question s'adresse à Patrick Bénézit. Lundi dernier, Philippe Chalmin, président de l'OFPM, soulignait que le monde agricole était de plus en plus marqué par l'instabilité des prix et des marchés. Aujourd'hui, les prix agricoles dépendraient bien plus des cours internationaux que des prix payés par les consommateurs. Face à cela, il semble plus que jamais indispensable de mettre en place des garde-fous, notamment en sécurisant les indicateurs de coût de production, car les producteurs agricoles ne doivent pas se trouver une nouvelle fois lésés. La FNSEA plaide ainsi pour un recours systématique à l'OFPM afin de garantir le respect des indicateurs de coût de production, un principe qui n'a pas été retenu dans la loi Egalim. Pouvez-vous nous en dire plus sur les conséquences que risque d'engendrer l'absence de ce principe dans le texte ?

Ma deuxième question s'adresse à Dominique Chargé. L'ordonnance issue de l'article 11 de la loi Egalim relatif au statut coopératif agricole assimile le contrat coopératif à un contrat commercial. Cela engendre des inquiétudes très fortes de la part des membres de coopératives agricoles qui craignent de voir le régime coopératif, fondé sur la relation entre l'associé coopérateur et son entreprise, démantelé purement et simplement. Par exemple, la notion de prix abusivement bas n'est pas du tout la même pour une entreprise commerciale et une coopérative. Je rappelle que l'une des missions principales des coopératives est d'assurer la juste rémunération des agriculteurs et de leur apporter des services à coût raisonnable. Le droit coopératif relève du code rural. Selon vous, de quels moyens disposons-nous pour défendre l'exception coopérative française ?

M. Laurent Duplomb . - Je dirai en préalable : tout ça pour ça ! Nous assistons aujourd'hui à une forme de poker menteur. En réalité, cette loi n'a pas produit les effets attendus, c'est-à-dire une revalorisation du revenu des agriculteurs. Avec une baisse du prix payé aux entreprises de 0,4 %, je ne vois pas comment le ruissellement peut se faire... Je suis producteur laitier depuis 25 ans. Quand je me suis installé, je produisais du lait payé 2 francs le litre ; au mois d'avril dernier, j'ai été payé par ma coopérative au même prix, à savoir 310 euros les 1 000 litres, très loin des 370 ou 396 euros dont on nous parle.

Nous avons auditionné hier des PMI et des PME, notamment du secteur de la charcuterie. En 2017, 17 % d'entre elles avaient des difficultés, contre 30 % en 2019. Cette loi n'a rien réglé : elle n'a ni apaisé les inquiétudes des consommateurs ni amélioré le moral des agriculteurs.

S'il est vrai que l'augmentation du SRP de 10 % a produit une marge bénéficiaire de 300 millions d'euros et que 70 % de cette somme sont rendus à l'industrie agroalimentaire, et si cette somme était reversée aux producteurs, cela revient à une augmentation au mieux de 42 euros par mois pour l'agriculteur ! Cela ne couvre même pas le surcoût de leur facture d'électricité de 6%...

Ma question s'adresse à la grande distribution : comment expliquer que cette loi qui, normalement, devait revaloriser le revenu des agriculteurs par le ruissellement leur rapporte si peu ?

Mme Anne-Marie Bertrand . - Ma première question s'adresse à la FCD. Les résultats de la loi Egalim sont très mitigés. Pourtant, pour les consommateurs, les prix ont bien augmenté, en moyenne de 2 %. Le dernier rapport de l'Observatoire de la formation des prix et des marges révèle que, si les agriculteurs peinent à capter la valeur ajoutée, c'est parce que les coûts de production ont parfois augmenté encore plus vite. Les marges nettes des grandes enseignes sont livrées avec un an de décalage et le secteur laitier reste très opaque, en raison de la complexité et de la diversité des logiques industrielles. Or la transparence est la pierre angulaire de cette loi. J'aimerais entendre vos pistes pour améliorer cette situation.

Ma deuxième question s'adresse à la FNSEA. Je suis sénateur du département qui est le premier producteur de France en fruits et légumes. Les producteurs de fraises souffrent énormément de la concurrence espagnole : comment y remédier ?

M. Roland Courteau . - Moi aussi, je serais tenté de dire : tout ça pour ça ! Le ministre de l'agriculture lui-même reconnaît que le compte n'y est pas. La loi Egalim n'a pas eu pour le moment de grands effets sur le prix payé aux producteurs. Je ne suis pas un spécialiste de ces questions, mais je me demande si le législateur doit aller plus loin. Doit-il aller jusqu'au bout, comme cela a été suggéré, mais qu'est-ce que cela signifie ?

Les syndicats de producteurs demandent davantage de contrôles et des sanctions, plus dissuasives. Faut-il demander des moyens de contrôle supplémentaires pour la DGCCRF ?

La FNSEA a évoqué, en mars dernier, je cite, « les pratiques illégales en termes de promotions abusives et d'abus de puissance d'achat au travers de demandes financières sans aucune contrepartie, parfois au profit de structures basées à l'étranger ». Elle demandait une intensification des contrôles de l'administration et la publication des sanctions, afin de pointer publiquement les distributeurs qui ne jouent pas le jeu. La FNSEA maintient-elle ses propos ?

M. Joël Labbé . - Un des intervenants a réclamé que les EGA soient vraiment suivis d'effet. En matière de discussion des prix, les choses se font toujours de manière déséquilibrée, au détriment des producteurs.

Je voudrais rappeler l'esprit des EGA : il s'agissait d'une idée de Nicolas Hulot, et la condition pour qu'il entre au Gouvernement. L'idée était d'aller vers une juste rémunération des prix de la production et vers une évolution des modes de production - n'oublions pas les problèmes climatiques et de la biodiversité - et de consommation. Il serait bon que les consommateurs soient représentés ici, tout comme les ONG.

Il faut redonner la valeur de l'aliment aux consommateurs, car ce n'est pas une denrée comme les autres.

Ma question s'adresse aux deux syndicats, la Coordination rurale et la FNSEA : que pensez-vous de l'idée de la Confédération paysanne de demander collectivement la mise en place de contrats tripartites ? Les coûts de production intégrant une rémunération décente des emplois agricoles doivent servir de base aux discussions.

Mme Sylviane Noël . - Ma question s'adresse au représentant des coopératives. La dernière version du projet d'ordonnance visant à modifier le statut des coopératives agricoles entendait détricoter ce statut, ce qui aurait de lourdes conséquences sur leur organisation. Elle imposerait notamment la notion de prix abusivement bas au contrat d'apport coopératif et prévoirait la possibilité de saisir le médiateur des relations commerciales en lieu et place du système de médiation actuel. Par ailleurs, les membres de ces structures qui décideraient de diminuer la rémunération de leurs apports en raison de débouchés insuffisants pour leurs produits pourraient être sévèrement sanctionnés.

Quelle est donc votre position sur ce projet d'ordonnance ? Quels sont les risques que pourraient encourir les structures coopératives en modifiant leur statut ? Comment les parlementaires peuvent-ils aider les coopératives à continuer à insuffler du dynamisme dans nos territoires, au nom du développement agricole et du rayonnement économique local ?

Mme Noëlle Rauscent . - Ma question s'adresse à M. de Prunelé et à la FNSEA.

En ce qui concerne les bovins, je ne vois pas aujourd'hui d'évolution du prix payé à l'éleveur : la difficulté d'organisation en filière en est-elle la cause ? Probablement, mais je ne pense pas que ce soit la seule explication.

M. Patrick Bénézit. - Je rappelle ce que dit le rapport de l'OFPM : pour la quasi-totalité des filières, surtout les filières d'élevage, les coûts de production ne sont pas couverts par les prix. C'est le point de départ incontournable de l'analyse.

Nous avions fortement souhaité que le législateur puisse s'appuyer sur l'OFPM pour l'élaboration d'indicateurs de coût de production neutres et indépendants. Le législateur ne l'a pas souhaité. Résultat : la grande distribution, notamment dans la viande bovine, a tout fait pour retarder la sortie des indicateurs, et de façon presque insolente puisque la rémunération des producteurs ne devait pas même apparaître. Bref, nous avions anticipé ce problème. La FNSEA ne veut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, mais combler les trous dans la raquette - dans la viande bovine comme dans d'autres interprofessions, comme les fruits et légumes.

À propos des fruits et légumes, les EGA sont un ensemble : outre la constitution du prix qui, pour nous, devrait partir du coût de production, il faut tenir compte du contexte économique. C'est ce que faisait l'article 44 de la loi Egalim en interdisant les distorsions de concurrence. Les distributeurs ont là une véritable responsabilité : faire appel à des productions importées pour faire baisser les prix, ce n'est pas tout à fait l'esprit des états généraux...

M. Patrick Bénézit. - Les fruits et légumes sont le segment de marché le plus exposé - peu de distributeurs osent acheter de la viande ou du lait étrangers. Nous attendons du Gouvernement qu'il applique et étende cet article, et que la DGCCRF mène ses contrôles.

Je partage ce qui a été dit sur les lignes directrices de la DGCCRF, qui nous semblent extrêmement légères compte tenu des textes. Dire qu'on ne peut modifier les catalogues ou que les promotions sont un danger pour certaines PME, ce n'est pas non plus l'esprit des États généraux. Considérer que faire des promotions de 34 % rendra de la valeur à la production, c'est un considérable pas en arrière.

M. Patrick Bénézit. - Les promotions, ce sont toujours les agriculteurs qui les paient à la base.

Certaines enseignes ont fait des produits bio des produits d'appel. C'est une catastrophe, car cela tue la montée en gamme ! Vendre le lait bio moins cher que le lait conventionnel quand on explique aux agriculteurs français qu'il faut monter en gamme, c'est dissuader de s'y essayer !

Nous avons beau faire partie des pays appliquant le plus de règles environnementales et dont l'agriculture est la plus durable, nous pouvons faire mieux avec des indicateurs de coût de production pour le bio ou pour la montée en gamme. L'indicateur de coût de production pour le lait conventionnel est de 396 euros, contre 500 euros pour le lait bio. C'est sur ces sujets qu'il faudra atteindre les objectifs fixés.

M. Stéphane de Prunelé. - Sur le ruissellement, les choses sont un peu paradoxales. La loi Egalim est une bonne loi, et nous avons l'objectif d'être de bons, sinon les meilleurs, élèves dans son application, mais nous avons toujours trouvé que le relèvement de 10 % du SRP était non seulement inutile mais inefficace. Pour une raison simple : personne ne sait le faire ruisseler sur les agriculteurs - le calcul sommaire que j'ai fait tout à l'heure en est la preuve. À moins que les 70 % de la marge supplémentaire que nous reversons aux industriels agricoles et agroalimentaires soient répercutés sur les agriculteurs... Mais la transparence est refusée par les industriels, sur lesquels nous pouvons constater que cela ruisselle.

Quant au fait que nous en redonnons une partie aux consommateurs : c'est notre métier de commerçant ! Dès lors que nous le finançons sur notre marge, au nom de quoi cela nous serait-il reproché ? Nous pensons que le relèvement du SRP est indépendant de la loi Egalim, et nous avons commencé à appliquer la charte d'engagement bien avant le vote de la loi.

La viande bovine est un marché particulier. Je ne peux répondre que sur la viande bovine industrielle - lorsqu'un commerçant achète deux bovins à un producteur, il s'agit d'un marché de gré à gré, local...

Mme Sophie Primas , présidente. - Et cela se passe bien !

M. Stéphane de Prunelé. - Oui. Sur la partie industrielle de la viande bovine, les prix d'achat ont augmenté d'environ 4 %. Demandez à Bigard ce qu'il en fait...

Le chiffre d'affaires que les centres Leclerc font directement avec les producteurs agricoles se situe entre 1 % et 2 % de leur chiffre d'affaires total. Imputer les difficultés du monde agricole aux distributeurs est donc une facilité. Voici d'ailleurs ce qu'a dit le président de l'OFPM en remettant son rapport : « Nous sommes dans un monde agricole de plus en plus marqué au coin de l'instabilité des prix et des marchés. Les prix agricoles dépendent peu, presque pas du tout, des prix payés par le consommateur. Aujourd'hui, le prix du blé ne dépend pas du prix de la baguette, le prix du porc dépend de l'impact de la peste porcine africaine en Chine, et pas du prix de la tranche de jambon. » On voit bien là toute l'ambiguïté qu'il y a dans cette loi et ce mécanisme de ruissellement.

M. Jacques Creyssel. - Vous savez que nous sommes le seul pays au monde à avoir un observatoire des prix et des marges. Des appels ont été lancés à l'échelle européenne pour davantage de transparence, que nous soutenons d'ailleurs. Cet observatoire nous permet de connaître les marges nettes par rayon, ce qui est inédit en Europe, et utile. Nous avons d'ailleurs joué le jeu dès le départ.

La livraison des marges nettes des grandes enseignes avec un an de décalage s'explique simplement : les comptes 2018 des entreprises n'ont pas encore été adoptés par les assemblées générales, et l'Observatoire a besoin de plusieurs mois de travail pour réaliser son rapport. Une fois ces comptes approuvés, ils seront naturellement communiqués.

Le rapport montre cette année deux choses. D'une part, que la marge nette des distributeurs a encore diminué, pour s'établir à 0,8 %. D'autre part, que les prix ne couvrent qu'une partie, non pas, monsieur Bénézit, des coûts de production, mais de l'objectif syndical, que je comprends, d'une rémunération intégrale du capital et d'une rémunération des producteurs équivalant à deux SMIC - ce qui ferait rêver les petits commerçants...

M. Patrick Bénézit. - Ce sont des propos scandaleux !

M. Jacques Creyssel. - Je vous rappelle les chiffres de la rémunération des agriculteurs en 2017, issus du rapport de l'OFPM que j'ai sous les yeux : 2,3 SMIC pour les cultures de vente, 2 SMIC pour les bovins, 1,8 SMIC pour les exploitations porcines, 1,6 SMIC pour les naisseurs-engraisseurs en jeunes bovins... À quoi s'ajoute la rémunération du capital. Nous sommes tous favorables à ce que l'ensemble des agriculteurs vivent dignement de leur métier, mais ne dites pas que leur rémunération est égale à zéro !

Que faire de plus ?, nous demandez-vous. Deux choses. D'une part, ce que le préambule du président de l'Observatoire suggère : remédier à l'absence de transparence sur le lait de la part des industriels. D'autre part, faire porter l'effort non pas seulement sur les industriels, les producteurs et les distributeurs, mais sur l'ensemble des entreprises industrielles françaises ou internationales - pour leur part française. Je suis par exemple frappé d'observer que la part française du résultat net de Nestlé, qui s'élève à 10,5 milliards de francs suisses, est inconnue ; de même que la part française de la marge nette de Coca-Cola, qui s'élèvera cette année à 25,7 % ; que la rentabilité des fonds propres d'Unilever sera de 52 % cette année... Nous devrions discuter de ces chiffres, car ils posent problème à nos entreprises qui, comme vous le savez, ne sont pas en très bon état.

M. Dominique Chargé. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur l'ordonnance relative aux coopératives publiée le 24 avril, qui nous inquiète beaucoup et vous inquiète également, vous qui êtes élus des territoires. Elle aura en effet pour conséquence de dénaturer profondément la relation entre un associé coopérateur et sa coopérative, et donc l'engagement des coopératives sur les territoires, en compliquant sa durabilité.

Nous étions pourtant d'accord sur un certain nombre de sujets : la formation et l'information des adhérents et des responsables, la transparence, et plusieurs points relatifs à l'amélioration de la gouvernance des coopératives. Coop de France a d'ailleurs produit un guide de gouvernance que les coopératives sont en train de s'approprier.

Je précise que la coopérative est un outil collectif détenu par les agriculteurs, qui en sont coresponsables et codécisionnaires dans le cadre de procédures démocratiques. La démocratie, vous le savez, est la plus mauvaise des manières de fonctionner à l'exception de toutes les autres. Elle se traduit par des choix qui dessinent des majorités et des minorités, et qui conduisent à décider, exécuter et rendre compte.

Si nous suivons le Gouvernement sur certains sujets, l'ordonnance dénaturera la particularité de ce mode de fonctionnement, posera problème pour la responsabilisation des responsables de coopératives, qui ne pourront plus décider en tant qu'acteurs durables de l'économie des territoires, et dissuadera un adhérent de s'intéresser à la stratégie de sa coopérative. Cet outil collectif vise la commercialisation de la production de chacun des adhérents ; il n'y a pas de contrat commercial au sens strict.

Le problème des prix abusivement bas peut se poser dans la relation entre la coopérative et ses clients. Nous étions en revanche défavorables à ce que les mesures prévues par l'ordonnance s'appliquent aux relations entre la coopérative et ses adhérents. Il ne s'agit pas de nous déresponsabiliser en matière de prix et d'accompagnement de nos adhérents ; c'est que nous n'avons pas le choix de l'arbitrage des volumes. Une fois les choix collectifs opérés, il faut les assumer. C'est, notamment en période de crise, un mode de gestion collectif un peu particulier.

Je le redis, l'ordonnance aura des conséquences importantes sur l'activité du monde agricole et agroalimentaire sur nos territoires. Nos marges de manoeuvre sont ténues. Nous continuons à travailler, comme nous l'avons toujours fait, avec le cabinet du ministre, même si l'arbitrage a probablement été fait ailleurs. Inquiets, nous comptons à présent beaucoup sur vous pour que les effets néfastes de cette mesure puissent être corrigés.

M. Patrick Bénézit. - Je conteste les propos de M. Creyssel. Nous savons lire le rapport de l'observatoire, qui est très clair. Cela fait des années que les coûts de production ne sont pas couverts. Et ils ne prennent pas en compte la rémunération des actionnaires... Un chiffre parle de lui-même : un prix de 3,70 euros pour tel animal, qui passe à 4,70 euros à la vente. Avec un écart d'un euro le kilo pour couvrir les coûts de production, les agriculteurs en viande bovine sont très loin de gagner le SMIC, et vous le savez très bien ! Sinon, la décapitalisation du cheptel français ne serait pas si avancée. Nous perdons des centaines d'éleveurs tous les ans ! Vos propos et la manière dont vous essayez de tordre les chiffres sont donc absolument scandaleux.

M. Richard Panquiault. - Je ne laisserai pas non plus passer les propos de M. Creyssel qui, après avoir avancé que les PME tiraient la croissance et que les grandes marques n'allaient pas bien, cite les résultats éclatants de certaines d'entre elles !

M. Jacques Creyssel. - Donnez vos chiffres !

M. Richard Panquiault. - Ils sont consultables sur Infogreffe !

En outre, M. Creyssel cite trois entreprises : deux d'entre elles connaissent un plan social, et leurs investissements publicitaires sont en chute libre. Cet indicateur, comme celui de l'emploi, donne une idée de la relative mauvaise santé des filiales françaises de ces groupes. Je ne cherche pas à faire pleurer sur nos adhérents, je dis que ces groupes internationaux ont de plus en plus de mal à investir en France. Se réfugier derrière des rapports annuels mondiaux et choisir comme indicateur la marge nette n'est pas une bonne méthode. En matière de rémunération du capital, le modèle de la distribution n'a rien à voir avec le modèle industriel.

M. Jacques Creyssel. - C'est pour ça qu'il n'y a pas de rentabilité des fonds propres !

M. Richard Panquiault. - Il y a enfin un fantasme sur le tripartisme. Je crois que l'on peut travailler sur des accords doublement bipartites ; le tripartisme, en revanche, s'apparente à une entente verticale. Nous, industriels, travaillons avec la distribution, qui est par ailleurs productrice de marques de distributeurs : c'est une limite naturelle à la transparence sur les comptes.

Mme Catherine Chapalain. - Je suis moi aussi choquée par les propos tenus par M. Creyssel, qui s'attaque ainsi très fortement aux entreprises de l'alimentaire. Ceux de Richard Panquiault sont tout à fait exacts.

En raison de la guerre des prix, l'industrie alimentaire est la seule à avoir subi une déflation depuis maintenant six ans : 5,5 milliards d'euros ont été détruits dans cette période, alors que l'inflation atteignait 4,4 %. Les résultats de l'alimentaire attestent d'un décrochage de compétitivité majeur, par rapport au reste de l'industrie manufacturière en France, et par rapport à nos concurrents européens. Nous le voyons aujourd'hui sur l'export, et on ne peut se lancer dans l'export sans être solide sur son marché domestique. Lors des États généraux, nous étions tous d'accord pour fixer un objectif de recréation de valeur. Nous n'y sommes pas encore. La vraie question est de se donner les moyens d'y parvenir.

Mme Véronique Le Floc'h. - Je reviendrai d'un mot sur le rapport de l'Observatoire. L'échantillon « bovins lait spécialisé plaine » est composé de 121 exploitations ; elles sont 62 dans l'échantillon « lait et culture de vente ». Et les échantillons ne sont pas représentatifs puisque les exploitations choisies font partie des 25 % les meilleures dans le cadre du dispositif Inosys. L'échantillon du réseau d'information comptable agricole (Rica), qui comprend un millier d'exploitations, est composé à 45 % d'AOP ou d'AOC. Les chiffres de rémunération des agriculteurs cités par M. Creyssel, qui sont bien dans le rapport, ne reflètent donc pas la réalité. Si l'on se fiait au rapport, il ne manquerait que 4 500 euros par exploitation laitière pour atteindre les deux SMIC, ce qui est totalement faux.

Un mot sur l'ordonnance relative aux coopératives. Notre contribution s'appuyait sur la faible rentabilité des coopératives françaises sur notre territoire. Les taux de marge nette tournent autour de 0,5 % ou 1 %, quand les autres coopératives européennes sont à 4 % ou 5 %, et Lactalis ou Danone à 8 % ou 9 % : on a le droit d'exiger de la transparence. L'ordonnance évoque la transparence des filiales, mais celles-ci appartiennent à des holdings ! La transparence ne sera donc jamais faite au niveau qui nous préoccupe. Yoplait, filiale de Sodiaal, se vante de vendre 19 000 yaourts à la minute, ce qui représente 4 000 euros de chiffre d'affaires, lesquels ne retombent jamais dans la poche des producteurs. L'Office fédéral allemand de lutte contre les cartels s'était penché sur la question, sans arriver à des conclusions satisfaisantes. Le problème n'est pas que français.

M. Daniel Gremillet , président du groupe de suivi. - Merci encore pour votre participation à cette table ronde qui, compte tenu du contexte, s'est très bien passée. Ce n'était pas forcément évident. Ce groupe de travail s'inscrira dans la durée. Deux points ont retenu notre attention : la montée en gamme - est-elle une réalité ? - et la part des produits français sur les marchés internationaux - son évolution sera-t-elle supportable par les producteurs et les consommateurs ?

M. Michel Raison , rapporteur. - Je m'associe aux remerciements de M. Gremillet. Nous sommes sensibles au travail fourni par nos invités à l'occasion de cette table ronde, dans lequel nous voyons une marque de respect pour le Sénat.

M. Bénézit parle de trous dans la raquette ; on ne réparera pas celle-ci avec une toile, car nous rendrions ainsi notre tissu commercial très administré. La question des promotions doit être reposée. Quelques PME pourraient ne pas passer les deux ans que durera l'expérimentation, uniquement à cause de ce problème. La demande n'est pas forcément issue des distributeurs, elle peut être une stratégie marketing du vendeur et il faut en tenir compte.

Une précision : nous avons traité des prix agricoles, mais non pas exactement du revenu agricole. Ne laissons pas croire que le revenu agricole n'est déterminé que par le prix du produit, et que celui-ci n'est déterminé que par les relations commerciales entre les producteurs et les distributeurs. Faisons donc bien attention à ne pas faire mourir tous les agriculteurs en nous focalisant sur un bouc émissaire !

Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie tous d'avoir participé à cette table ronde, qui a été de bonne tenue. Les choses bougent difficilement ; je reconnais les marronniers des relations entre les agriculteurs, les industriels et la grande distribution que sont la transparence et la fixation des tarifs. Nous voyons cependant apparaître, ici ou là, de bonnes pratiques et de bonnes volontés. Ne les décourageons pas. Nous avons du travail, en tant que législateurs, pour continuer à suivre un certain nombre de dossiers issus de la loi Egalim.

Les pratiques sont très hétérogènes. La confection du prix de référence et la consolidation des indicateurs a fait l'objet de longs débats au Sénat et à l'Assemblée nationale. Nous nous pencherons également sur la situation des PME, de même que sur le problème des promotions - de produits périssables, saisonniers, sensibles, etc. -, sachant que le modèle marketing et commercial de l'agroalimentaire est fondé sur des promotions qui ne touchent pas nécessairement l'agriculture française.

Nous travaillerons également sur l'amélioration d'autres aspects de la loi - son article 44, par exemple, sur lequel le Sénat s'est beaucoup investi. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois et vous redis notre volonté de travailler avec vous, d'ici là, sur tous ces sujets.

Groupe de suivi de la loi Egalim, dressant un bilan du titre Ier
de la loi Egalim un an après sa promulgation
Présentation du rapport d'information
(Mercredi 30 octobre 2019)

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport du groupe de suivi de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim). C'est un rapport très attendu, tant la situation de nos agriculteurs est aujourd'hui critique. Il dresse un bilan de l'application de la loi un an jour pour jour après sa promulgation par le Président de la République. L'adoption de la loi Egalim a suscité, dans les campagnes, l'espoir d'un remède à l'ensemble des maux dont souffre l'agriculture française et en particulier l'espérance d'une augmentation significative du revenu agricole. Qu'en est-il ? Quelles sont les conséquences de la loi sur la formation des prix et des revenus ? Sur quels sujets devrons-nous être particulièrement vigilants ?

M. Daniel Gremillet , président du groupe de suivi . - Au lendemain de la promulgation de la loi Egalim, notre commission s'est dotée d'un groupe de suivi, dont l'ambition est de suivre les effets de la loi tout au long de son existence sur l'ensemble des acteurs : les citoyens, les consommateurs, les distributeurs, les industriels, mais aussi et surtout, les agriculteurs.

Je ne reviens pas sur la méthode. En moins d'un an, notre commission a organisé plusieurs tables rondes pour que les producteurs, industriels et distributeurs puissent rendre compte de leur appréciation de la loi Egalim. Nous avons entendu la ministre Agnès Pannier-Runacher pour avoir eu les résultats des négociations commerciales en 2019. Le groupe de suivi a mené, en parallèle, plus de vingt auditions, tant d'acteurs institutionnels que d'entreprises individuelles, dont nous devons taire les noms pour protéger le secret des affaires. L'idée était de se forger notre opinion à partir des avis recueillis sur le terrain.

Notre travail a porté, pour l'instant, sur le suivi des ordonnances prévues dans la loi et plus généralement sur son titre I er , à savoir celui qui porte sur les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. Pourquoi le titre I er ? Tout simplement, parce qu'il a été le premier à être applicable. Dès le début de l'année prochaine, le groupe de suivi se penchera sur les effets du titre II, dont une partie significative des dispositions entrera en vigueur à compter de 2020. C'est un travail indispensable à mener sur les charges supplémentaires que cela représentera pour nos agriculteurs et les collectivités territoriales en matière de restauration collective.

Notre objectif n'est pas de dire, moins d'un an après son adoption, que la loi Egalim ne fonctionne pas - le titre I er repose sur une expérimentation qui dure deux ans. L'idée est davantage de distinguer, à froid, ce qui fonctionne de ce qui ne fonctionne pas et de proposer les mesures d'adaptation les plus nécessaires, lorsque l'urgence le justifie.

La présidente l'a rappelé, l'adoption de la loi a suscité une immense espérance sur le revenu des agriculteurs. C'était l'un des objectifs de la loi et c'est un point crucial pour l'avenir de notre agriculture. Comment peut-on, au XXI e siècle, assurer le renouvellement des générations en agriculture, quand la promesse de revenus à venir est insuffisante ? C'est un défi immense pour la France qui va voir un tiers de ses exploitants partir à la retraite avant 2030.

Le Sénat l'a toujours dit, la loi Egalim ne pourra répondre à elle seule à cet enjeu majeur. L'affirmer, c'était déjà mentir aux agriculteurs, car cette loi ne vise qu'une petite partie de ce qui constitue le revenu des exploitants. Selon l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, les recettes d'un agriculteur sont aujourd'hui composées à 36 % de la consommation alimentaire, à 27 % des subventions publiques, notamment celles de la politique agricole commune (PAC), et à 30 % de l'export.

En retenant les parts de marché de la restauration collective et de la grande distribution, le titre I er de la loi Egalim entend agir, au mieux, sur moins d'un cinquième des recettes des agriculteurs. Or, pour traiter le revenu de l'agriculteur, il faudrait également agir sur la PAC, sur l'export, mais aussi et surtout sur les charges des agriculteurs, car le compte de résultat d'un exploitant a bien une colonne recettes, mais aussi une colonne charges. Mais, sur tous ces autres plans, nous reculons. Cela étant dit, il importait d'étudier les effets de cette loi sur l'ensemble de la chaîne alimentaire et de repérer les effets pervers qu'elle pourrait avoir afin, au besoin, de proposer des ajustements.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure du groupe de suivi . - Un an après son adoption, les effets de la loi Egalim pourraient se résumer ainsi : un peu d'inflation pour le consommateur qui ne se retrouve pas dans les revenus des agriculteurs.

La loi a relevé le seuil de revente à perte (SRP) sur les denrées alimentaires de 10 % et a encadré les promotions en magasin afin que l'argent supplémentaire dépensé par le consommateur puisse ruisseler vers le revenu de l'agriculteur.

La loi prévoyait de déclencher une augmentation des prix en grande surface, ce qui est arrivé dans des proportions limitées. L'inflation se situerait, selon les panélistes, entre 0,3 % et 0,8 % sur l'ensemble des produits du magasin et serait supérieure, évidemment, sur les produits alimentaires, sans doute entre 1,1  % et 1,2 %. Elle serait bien plus forte sur les produits d'appel, notamment les alcools et les produits frais à base de matières premières non transformées comme le beurre.

À lire la presse de la semaine dernière, on pourrait penser que cette inflation retrouvée en grande surface démontre la réussite de la loi. Rappelons simplement que l'objectif de la loi est d'améliorer le revenu de l'agriculteur, et non d'augmenter l'inflation pour nos consommateurs. Or, du point de vue du revenu de l'agriculteur, la loi a des effets bien plus limités.

D'une part, son mécanisme assis sur des indicateurs notamment de coût de revient servant de base à la construction des prix des contrats agricoles a dû mal à se mettre en place. De tels indicateurs ont bien été dégagés dans certaines interprofessions, mais pas dans toutes. Par exemple, l'interprofession bovine et ovine n'est parvenue à ce stade qu'à dégager non pas un indicateur, mais une méthodologie de calcul de l'indicateur.

La prise en compte des indicateurs, en outre, n'assure pas une couverture du coût de revient, y compris dans les contrats les plus emblématiques signés entre la grande distribution et quelques industriels. Des accords-cadres dans le domaine du lait calculent, par exemple, entre 20 % et 30 % du prix du lait en référence à un indicateur de coût de production fixé autour de 350 euros, lui-même largement inférieur à celui qui est fixé au niveau interprofessionnel de 396 euros. On le voit, nous sommes encore loin de l'espoir d'une rémunération des agriculteurs au moins au niveau de leur prix de revient.

Par ailleurs, le déploiement des indicateurs dans les contrats ne se fait pas sans mal. La loi prévoyait par exemple un renouvellement des accords-cadres et des contrats dans les secteurs à contractualisation obligatoire au premier semestre 2019 - je pense notamment au lait. Or, à ce stade, très peu de contrats et accords-cadres ont été renouvelés pour se mettre en conformité avec le code rural et de la pêche maritime. Les autorités de contrôle compétentes doivent vérifier dans les plus brefs délais le respect de cette obligation de mise en conformité avec ce que la loi Egalim a prévu.

D'autre part, alors que la distribution savait qu'elle allait bénéficier du SRP, elle a signé avec les industriels, lors des négociations commerciales de 2019, des accords en déflation de 0,4 %, selon l'Observatoire des négociations commerciales. Sans retour aux industriels, il apparaît difficile d'espérer un meilleur revenu aux agriculteurs. En tout état de cause, et comme cela nous a été indiqué lors des auditions, les agriculteurs n'ont pas vu la couleur du ruissellement. Le ministre de l'agriculture n'a d'ailleurs pas dit autre chose lundi en affirmant que « concernant la loi Egalim, pour l'agriculteur, le compte n'y est pas ». En résumé, à ce stade, il y a eu de l'inflation pour le consommateur, mais pas de revenu pour l'agriculteur !

Mais alors, où est passée la hausse des prix liée au relèvement du SRP encaissée par la grande distribution ? Premièrement, la grande distribution a baissé les prix sur les produits des marques des distributeurs (MDD). Deuxièmement, elle a baissé les prix sur les produits des rayons non soumis au SRP, à savoir les produits du rayon droguerie, parfumerie et hygiène. Ces produits, du type brosses à dents ou gels douche, sont devenus les produits d'appel dans les catalogues de la grande distribution, où les promotions sont parfois supérieures à 60  % ou 70 %. Il en résulte une déflation des prix sur ces produits de l'ordre de 1,1 % depuis un an. Troisièmement, les distributeurs ont mis en place des contournements de l'encadrement des promotions pour limiter l'effet sur le consommateur. Voici deux exemples :

- les remises ne disent plus « 5 euros offerts pour l'achat d'un pot de Nutella de 5 euros », mais « 5 euros offerts pour l'achat de 5 euros dans le rayon pâte à tartiner » ; on ne peut plus dire « un foie gras acheté, un foie gras offert », mais on peut dire « un foie gras acheté, une boîte de caviar offerte ». Si les produits sont différents, il n'y a aucun problème. Le vice peut être poussé jusqu'à proposer une bouteille de champagne brut offerte pour une bouteille de champagne demi-sec de la même marque achetée... La grande distribution fait preuve d'une grande créativité pour trouver les moyens de contourner la loi ;

- enfin, la grande distribution a soit accordé des hausses de tarif soit conservé une partie de cette marge, la situation financière du secteur étant toujours difficile. De ce fait, nombre de difficultés ont été reportées sur les PME.

Dans ces conditions, l'année 2020 sera le juge de paix. Il faudra observer les résultats des négociations commerciales annuelles, bien sûr, mais aussi les résultats des négociations sur les produits MDD qui constituent une part significative du revenu de l'agriculteur.

À l'heure actuelle, le bilan n'est, en tout état de cause, pas convaincant en ce qui concerne le revenu des agriculteurs.

M. Michel Raison , rapporteur du groupe de suivi . - Il est clair que le ruissellement annoncé n'a pas eu lieu. J'ai d'ailleurs coutume de dire que, pour faire ruisseler de l'aval vers l'amont, il faut une bonne pompe de relevage...

Venons-en aux effets de la loi Egalim dans les rayons des grandes surfaces. Les effets quantitatifs de la loi sont limités pour l'agriculteur. Néanmoins, ses effets qualitatifs dans les rayons de la grande distribution sont majeurs.

La loi Egalim, en revalorisant le SRP, a sans doute eu l'effet inverse de ce qui était attendu par le Gouvernement. Je cite l'étude d'impact du projet de loi initial : « Le relèvement du SRP vise à renforcer l'équilibre général de la négociation au profit des entreprises de taille petite ou moyenne grâce à une meilleure péréquation entre produits. »

L'idée était donc de revaloriser nos PME et ETI françaises. Or la loi a pour l'instant un effet contraire. D'une part, les grandes marques sortent renforcées, puisqu'elles voient leur part de marché augmenter de 0,8 point depuis le début d'année dans les rayons - cela est normal, puisque les distributeurs font plus de marges dessus. D'autre part, compte tenu de la hausse des prix des produits de grandes marques, les produits MDD sont revalorisés, car leur avantage prix devient plus intéressant pour le consommateur. Les MDD gagnent pour la première fois depuis 2012 des parts de marché dans les rayons.

Mais si en volume elles s'en sortent, les MDD souffrent d'un déplacement de la guerre des prix sur leurs produits, car la grande distribution a tendance à se différencier désormais sur ces produits, notamment par le prix. Plusieurs distributeurs ont ainsi annoncé une baisse des prix sur les MDD dès le début d'année pour compenser la hausse du SRP sur les produits des grandes marques.

Si les grandes marques et les MDD sont revalorisées en rayon, ce sont les PME qui perdent des parts de marché et sont donc les principales victimes de la loi. Alors qu'elles représentaient plus de 80 % de croissance de la grande distribution, les PME ne portent la croissance des ventes que pour 32,7 % cette année.

Les PME souffrent également particulièrement de l'encadrement des promotions en volume. Toutes les PME que nous avons reçues - certes, il ne s'agit que d'un échantillon -nous ont signalé des difficultés compte tenu de cette mesure. Trois effets sont à signaler.

Premièrement, pour les meilleurs élèves, ceux qui n'avaient pas besoin de vivre avec beaucoup de promotions, le plafond de 25 % est devenu un plancher. Les industriels ont dû augmenter, et donc payer, des promotions, alors qu'ils vivaient très bien sans auparavant.

Deuxièmement, les produits saisonniers souffrent particulièrement de cet encadrement. Ces produits se vendent avec de fortes promotions, en avril pour le chocolat ou en décembre pour le foie gras. Or, sans soutien promotionnel qui incite les consommateurs à réaliser leurs achats, ces filières ne s'en sortent pas. La filière foie gras fait état d'un recul des ventes de 25 % en volume depuis le début d'année, certains industriels constatant un recul de 50 % de leur chiffre d'affaires cette année après plusieurs années de croissance.

Sur cette filière, les distributeurs réduisant les rayons de ces produits qui se vendent moins sans promotion, les industriels se font la guerre pour gagner les quelques places restantes dans les rayons, mais aussi sur les marchés restants, notamment à l'export. La mesure a ainsi paradoxalement recréé une dynamique de guerre de prix pour ces produits. Pour les producteurs de champagne, le recul est évalué à 21 % en volume sur le premier semestre dans les grandes surfaces. Il en va sans doute de même pour le saumon fumé ou le chocolat. Si rien n'est fait, des entreprises fermeront.

Troisièmement, les PME ne peuvent plus utiliser les promotions comme outil marketing et ne sont donc plus concurrentielles par rapport aux budgets publicitaires des grandes marques. Une PME de Haute-Saône, de Côte-d'Or ou des Vosges ne peut pas se payer une publicité après le journal télévisé de 20 heures, contrairement à la grande marque opérant sur son marché. Là encore, faute de soutien promotionnel, certaines PME ont perdu depuis le début d'année plus de 30 % de leur chiffre d'affaires.

L'encadrement est donc trop rigide - nous l'avions dit au Sénat lors des débats. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) partage ce point de vue, puisqu'elle s'est octroyé le droit, dans une circulaire, d'exonérer une entreprise de son choix de l'application de la loi, ce qui est tout de même extraordinaire... Je ne suis pas certain que l'administration puisse décider seule de soustraire à la volonté du législateur une entreprise sans condition. Il conviendrait de réfléchir à une solution pour donner de la sécurité juridique à cette possibilité de dérogation.

La loi pénalise donc lourdement les PME et déplace la guerre des prix sur les produits MDD. Enfin, elle pénalise également les coopératives, en proposant une révision intégrale du droit coopératif. Cela revient à changer tout le droit pour régler quelques cas isolés.

Le Sénat avait estimé que le champ d'habilitation prévu dans le projet de loi qui nous était soumis était trop large - il revenait à signer un chèque en blanc au Gouvernement. En commission mixte paritaire, nous avions proposé un encadrement de ce dernier qui avait été repris in fine par le rapporteur de l'Assemblée nationale et figure donc dans le texte final de la loi.

Ne pouvant plus s'appuyer sur un champ d'habilitation trop large, le Gouvernement s'est appuyé sur une autre ordonnance prévue dans la loi pour appliquer aux coopératives le principe de la responsabilité pour prix abusivement bas. Cela revient à assimiler une coopérative à une société commerciale, ce qui risque de fragiliser son équilibre financier compte tenu de la lourdeur des sanctions financières pouvant être prononcées par le juge. Or, jamais dans les débats parlementaires - ce point est partagé par le rapporteur de l'Assemblée nationale -, nous n'avions évoqué l'idée de soumettre les coopératives agricoles à une responsabilité pour prix abusivement bas. Le Gouvernement est sorti du champ de l'habilitation à légiférer par ordonnance sur le sujet des coopératives agricoles. C'est un passage en force qu'il faut dénoncer et que nous ne pouvons accepter. Cela revient à priver les parlementaires d'un débat important sur les coopératives.

La loi Egalim en revient donc à pénaliser les PME sur les volumes, les MDD sur les prix et les coopératives. Voilà peut-être le paradoxe de cette loi : l'adoption de ses mesures dites commerciales aboutit à ce que les entreprises les plus proches des agriculteurs français soient les plus pénalisées ! Les grands gagnants sont actuellement la grande distribution, les grandes marques et l'État, compte tenu des recettes de TVA supplémentaires induites par la hausse du SRP.

M. Daniel Gremillet , président du groupe de suivi . - Ce nouvel équilibre des rapports de force, s'il venait à se poursuivre, serait insatisfaisant. Il faut l'avoir en tête et voir si l'année prochaine ces premiers résultats sont confirmés. J'ajoute que la situation semble urgente pour trois acteurs.

Tout d'abord les PME, notamment celles qui produisent des produits saisonniers. Il convient de les exclure du champ d'application de l'encadrement des promotions.

Ensuite, les industriels fabriquant des produits à forte composante de matière première comme le porc. Les charcutiers, compte tenu de la peste porcine africaine, sont ainsi pris en étau entre des tarifs fixes avec la grande distribution et la hausse du cours de leur matière première. La clause de renégociation des prix est une procédure trop longue pour eux. Nous proposons d'expérimenter la mise en place d'une clause de révision des prix dans ces filières particulièrement concernées, solution que nous avions déjà défendue lors de la loi Egalim.

Enfin, les coopératives qui peuvent voir leur modèle remis en cause, si l'ordonnance restait en l'état. Une modification pour revenir à l'esprit de l'habilitation initiale est nécessaire.

Notre rapport propose de déposer une proposition de loi au nom du groupe de suivi pour traiter ces trois urgences. Il faut que cette proposition soit ramassée afin qu'elle puisse prospérer. Notre esprit n'est pas de contester l'intégralité de la loi Egalim. Ce serait d'ailleurs fortement prématuré, moins d'une année après son adoption et alors que l'expérimentation de deux ans sur le SRP et les promotions n'est pas encore terminée. Toutefois, notre groupe de suivi est là pour évaluer la loi et la corriger au fur et à mesure, là où c'est nécessaire. Répondre aux appels du terrain, c'est aussi tout mettre en oeuvre pour que cette loi fonctionne.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie pour la précision et la clarté de ces informations. Je sais que vous avez été très sollicités par les entreprises. En tout cas, la méthode que nous avons mise en place permet un contrôle méticuleux de l'application de la loi, ce qui est très positif - c'est quelque chose de très important, que nous devrons garder en mémoire.

Mme Marie-Christine Chauvin . - Je remercie les rapporteurs de cette brillante et synthétique présentation.

Malgré la hausse des tarifs du lait de 1 %, le ruissellement n'a pas eu lieu : les producteurs n'ont pas bénéficié de cette augmentation et les prix restent beaucoup trop bas.

La peste porcine fait flamber le coût du porc : + 45 % en moins d'un an. Si c'est une opportunité pour les producteurs, les industriels charcutiers sont coincés entre la hausse des prix des matières premières et les prix fixes qu'ils négocient annuellement avec la grande distribution. Pouvez-vous préciser votre solution ? Sans action, leur compétitivité est en danger.

M. Henri Cabanel . - Depuis que j'ai été élu en 2014, c'est la première fois que je me sens complètement investi dans mon mandat de législateur. Nous votons beaucoup de lois, mais un problème de méthode se pose, car les études d'impact en amont ne sont pas suffisamment approfondies et nous n'évaluons pas assez les lois que nous votons. Aujourd'hui, nous évaluons les conséquences de la loi Egalim et les objectifs fixés : le partage de la valeur. On s'aperçoit qu'il reste des trous dans la raquette. Il n'y a pas une agriculture, mais des agricultures, dont certaines dépendent des saisonnalités.

Il est essentiel de poursuivre ce travail et de continuer à formuler des propositions. Au-delà de la guerre des prix et du partage de la valeur qui n'advient pas, ce qui compte, c'est la communication que l'on peut faire autour de cette situation. Car, si les agriculteurs continuent d'être confrontés à une perte de leurs revenus et les consommateurs à payer le prix fort, les marges des différents acteurs de la filière - transformateurs et distributeurs - sont souvent indécentes. Il faut le dénoncer !

Je prendrai un exemple. Je vends du vin avant mise en bouteille à 90 centimes d'euro le litre, que je retrouve dans un restaurant à 16 euros la bouteille de 75 cl ! Tout le monde est en train de tuer la poule aux oeufs d'or. À ce rythme, on n'aura bientôt plus d'agriculteurs.

M. Jean-Claude Tissot . - Force est de constater que l'objectif de cette loi, qui aurait dû régler la question de la répartition des marges, n'est pas atteint. Les consommateurs ont subi une hausse de 0,83 % des prix alimentaires entre les mois de janvier et février 2019, date à laquelle le relèvement du seuil de revente à perte est entré en vigueur : ils paient plus cher, mais les agriculteurs n'en bénéficient pas. Où vont les marges ?

Que faut-il penser de la proposition de déléguer à un prestataire privé le travail d'enquête de la DGCCRF ? Je rappelle que cette structure doit garantir la traçabilité et l'équité du circuit alimentaire.

M. Franck Montaugé . - Je souligne l'approche très pertinente du travail mené par ce groupe de suivi : il s'agissait non pas de critiquer à tout-va la loi Egalim, mais de poser un diagnostic.

Si la démarche des états généraux de l'agriculture était bonne et constituait un excellent début, elle a généré beaucoup d'attentes, mais les promesses n'ont pas été tenues. Les filières sont-elles allées au bout de cette démarche ? Se sont-elles interrogées sur l'organisation de leur production ? Si la réflexion autour de la construction des prix n'a pas été menée à son terme, les filières n'en sont-elles pas responsables ?

Nous sommes dans un temps d'expérimentation de la loi Egalim. Il y a urgence pour les agriculteurs et les producteurs, dont beaucoup se trouvent en grande difficulté. Je suis très inquiet face à la deuxième lame qui va arriver avec le budget de la future PAC, dont nous savons tous qu'il va se traduire par des diminutions très sensibles sur les aides directes comme sur le deuxième pilier. La question des coûts de revient des producteurs ne doit-elle pas être prise en compte dans le calcul des aides de la PAC ?

Il faut reconnaître ce que l'agriculture apporte à notre société, notamment au regard des enjeux environnementaux, climatiques et en matière de biodiversité. La reconnaissance que doivent en tirer nos agriculteurs doit se traduire de manière sonnante et trébuchante.

La DGCCRF est mandatée par le ministère pour réaliser le contrôle des prix de 6 000 produits. J'ai du mal à comprendre que, à l'ère de l'intelligence artificielle, on ne soit pas capable d'enregistrer systématiquement ce qui se passe du champ jusqu'à la fourchette. Cela nous permettrait d'avoir une base scientifique exhaustive et d'en tirer des conclusions pertinentes. Sur ce sujet, j'en appelle à l'État : il faut mobiliser ces techniques nouvelles au bénéfice de nos producteurs.

M. Laurent Duplomb . - Je salue à mon tour l'analyse menée par le groupe de suivi. Malheureusement, ses conclusions correspondent à ce que nous pensions depuis le début, lors des débats sur la loi Egalim. Et je fais partie de ceux qui l'ont exprimé très fort.

Le principal problème est que nous n'arrivons pas à avoir un débat global qui prenne en compte toutes les composantes de l'agriculture. Résultat, on en revient toujours à ajouter des contraintes supplémentaires et on ne donne ni une vision claire aux agriculteurs - ce qui explique le marasme actuel du secteur agricole - ni un cap politique. On n'a jamais eu de ministre de l'agriculture qui sache si peu ce qu'il a à défendre et c'est ce qui fait que la voix de la France à l'échelle européenne ne porte plus.

La valeur de la ferme France, ce n'est pas que de produire des denrées alimentaires pour les Français, c'est bien plus que cela ! C'est la capacité à contribuer à l'aménagement du territoire, à maintenir une agriculture sur l'ensemble du territoire et à développer une politique exportatrice.

Michel Raison l'a dit : ce texte n'est pas une loi agricole. Par conséquent, ces résultats ne peuvent être que partiels. Il aurait fallu commencer par se poser cette question : que veut-on pour notre agriculture ?

Le titre Ier ne permet pas de traiter tous ces problèmes et n'a pas apporté grand-chose. Le titre II se traduira par une montée des charges que les agriculteurs auront à supporter. Plus que ce texte, il aurait fallu une loi de réglementation des relations commerciales. Cela aurait permis de taper sur la grande distribution, elle qui, depuis des décennies, se charge de faire la pluie et le beau temps dans l'agriculture française ! Confier son portemonnaie à quelqu'un de mafieux n'a jamais permis de le remplir ! La relation avec la grande distribution a toujours été perverse.

Par ailleurs, nous n'avons rien fait sur la politique agricole commune et notre message n'est pas clair. Le Président de la République parle d'une plus forte subsidiarité. Or tous les pays vont faire leur propre politique agricole et la France perdra encore des parts de marché !

Enfin, cette loi n'a rien apporté du point de vue de la compétitivité. Les charges et le coût de la main-d'oeuvre sont plus élevés que dans les autres pays. Comment répondre aux 30 % concernant l'exportation ? Face à ce constat d'échec, nous devons nous interroger pour bâtir une véritable loi agricole !

Mme Sophie Primas , présidente . - Les propos des uns et des autres n'engagent que leurs auteurs.

M. Joël Labbé . - Il s'agit d'un sujet dramatique pour une partie importante de nos agriculteurs. Quid de l'évolution du revenu moyen des agriculteurs, qui s'élevait à 350 euros par mois ? Certes, une partie d'entre eux n'est pas encore à plaindre.

Mme Sophie Primas , présidente . - Heureusement !

M. Joël Labbé . - Néanmoins, il est inacceptable que beaucoup ne disposent que d'un revenu mensuel de 350 euros ! Nous sommes pris dans un carcan où la grande distribution, les grands opérateurs de l'agroalimentaire et les grandes coopératives ont un rôle majeur. J'ai discuté longuement il y a deux jours avec Nicolas Hulot, qui est à l'initiative de la loi Egalim. Il ne s'est toujours pas remis d'en avoir été écarté et que le texte s'éloigne de son intention première.

Nous examinerons prochainement le projet de loi de finances. Les grands groupes, qui ont les moyens de la publicité, faussent le jeu. Pourquoi ne pas la taxer très lourdement ? De petites choses sont à mettre en oeuvre pour favoriser la relocalisation de l'alimentation. Je pense au soutien à la restauration collective, aux projets alimentaires territoriaux, aux filières de proximité.

Serons-nous capables d'être leaders pour une remise en cause des aides à l'hectare ? Selon une étude qui vient d'être menée, si la PAC était distribuée équitablement en Bretagne, 13 000 euros par an seraient donnés par actif agricole. On est très loin du compte ! Pour conclure, je ne pense pas que le grand plan de réindustrialisation des élevages aviaires servira le monde agricole.

Mme Sophie Primas , présidente . - Même remarque que précédemment...

Mme Sylviane Noël . - La loi Egalim s'apparente à un chèque en blanc donné par les consommateurs à la grande distribution et à un chèque en bois reçu par les agriculteurs. Au vu des effets négatifs de ce texte sur les consommateurs, sur les PME et surtout sur les agriculteurs, pourquoi attendre encore un an ? Allons-nous continuer longtemps le massacre ? Quand prendrons-nous les mesures correctives qui s'imposent ?

M. Marc Daunis . - Je remercie nos collègues de la façon dont ils ont abordé leur rapport. Notre travail doit être à la hauteur de notre fonction. Il ne s'agit pas ici de polémiquer sur l'avenir de l'agriculture, mais de contrôler la loi votée.

La loi Egalim n'est pas une loi-cadre sur l'agriculture. Ne lui donnons pas des ambitions qui n'étaient pas les siennes au départ. Pour lui apporter des correctifs, il importe de mesurer ses résultats par rapport aux objectifs fixés. Au vu des attentes suscitées par ce texte, ce serait une erreur que de nous laver les mains de son échec. L'essentiel du constat se dessinait déjà lors de la table ronde où nous avions pour objectif d'y voir plus clair. Comment une bouteille payée 1 euro peut-elle être facturée 16 euros sur la table d'un restaurant ? Bien évidemment, les situations sont différentes d'une filière à l'autre, c'est toute la difficulté de notre travail.

Mme Anne-Marie Bertrand . - Avons-nous pu auditionner la filière des fruits et légumes ? Cette année, l'Union fédérale des consommateurs Que-Choisir pointait du doigt l'augmentation des prix alors nos agriculteurs ont énormément souffert. Heureusement qu'il existe des circuits courts pour améliorer leurs revenus !

Mme Élisabeth Lamure . - C'est une très bonne façon de travailler que d'assurer le suivi d'un texte aussi important. Faire une étude d'impact en aval prouve qu'une telle étude nous a manqué en amont. Jusqu'à présent, il n'a été question que des choses qui ne fonctionnaient pas. Y a-t-il des choses qui fonctionnent ? J'ai découvert avec étonnement que certaines PME avaient perdu jusqu'à 30  % de leur chiffre d'affaires en raison de l'impossibilité d'utiliser les promotions. Est-ce la seule explication ? N'existe-t-il pas d'explication plus fine ?

Mme Noëlle Rauscent . - La production bovine est en détresse et les producteurs n'arrivent pas à s'organiser en filière. Aujourd'hui, les budgets sont consacrés aux études et non à aider le secteur, qui est pourtant un des fleurons de notre agriculture. Il faut donc revoir le rôle et les missions des interprofessions. Le but de cette loi est de revaloriser le travail des agriculteurs et des éleveurs : tâchons d'avancer dans ce sens !

M. Jean-François Mayet . - Depuis des mois, la grande distribution a été mise en cause. Or elle aussi est en grande difficulté. Danone et Nestlé sont en cours de restructuration, et même les petits industriels ont des problèmes. Les organisations agricoles et l'État doivent donc poser la question d'une autre manière et trouver des solutions pour aider les agriculteurs, par exemple en rémunérant leur activité en matière d'aménagement du territoire.

La grande distribution n'est pas malhonnête : elle paie ce qu'elle achète, mais comme le contexte est difficile, elle essaie d'acheter au prix le plus bas. Peut-on le lui reprocher ? Je suis très inquiet pour les agriculteurs !

M. Fabien Gay . - Le travail d'évaluation et de correction que nous menons en tant que législateurs est très important. Peut-être même pourrions-nous présenter des propositions de loi en la matière ?

L'ambition de la loi Egalim était d'augmenter le revenu des agriculteurs, d'améliorer l'information des consommateurs, de favoriser l'agriculture paysanne, etc. Or ce revenu n'a pas évolué. Quant aux marges de la grande distribution, elles se sont accrues. On peut entendre ce que vient de dire Jean-François Mayet à propos des restructurations dans le secteur des hypermarchés ; il n'en demeure pas moins que ces marges sont énormes.

Mme Sophie Primas , présidente . - En volume.

M. Fabien Gay . - Comment augmenter le revenu des agriculteurs ? Je suis prêt à avoir ce débat, mais il faut tout mettre sur la table, notamment la question de la construction du prix, laquelle doit être transparente dans les différentes filières. Il y a tout de même des personnes qui font du profit !

Mme Sophie Primas , présidente . - Je ne sais pas...

M. Laurent Duplomb . - Moi non plus !

M. Fabien Gay . - Au final, les agriculteurs ne s'en sortent pas et les consommateurs paient plus cher, alors même que les salaires sont bloqués. Je souhaite donc que nous poursuivions cette réflexion, y compris dans le cadre du débat politique, afin d'apporter d'autres solutions. La loi Egalim a en effet dégradé la situation et personne n'est content. Certains agriculteurs perçoivent 350 euros de revenu, alors qu'ils travaillent deux fois 35 heures et nous nourrissent ; c'est insupportable ! Tel doit être le point de départ de nos travaux. Nous devons nous attaquer au monopole de ceux qui prennent des marges !

Je souhaite également que nous puissions faire le même travail d'évaluation sur d'autres textes de loi.

Mme Françoise Férat . - Michel Raison a cité des chiffres relatifs au champagne. Je souhaite préciser que les ventes globales ont largement baissé depuis le début d'année conjoncturellement, mais aussi plus structurellementdu fait notamment de l'évolution de la consommation. Les jeunes préfèrent acheter du prosecco , plus à la mode et moins cher. Il y a de très bons champagnes à des prix raisonnables, mais, quoi qu'il en soit, la filière doit évoluer. Le viticulteur champenois n'est pas un nanti !

M. Daniel Gremillet , président du groupe de suivi . - Pour commencer, j'aimerais faire un point particulier sur la filière laitière, laquelle semble être la seule à avoir profité d'une revalorisation des contrats industriels accordés par la grande distribution cette année, à hauteur de + 1,4 %.

Cette filière ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt, d'une part, parce que les contrats de grandes marques en grande surface ne concernent qu'une part minoritaire du lait produit en France ; d'autre part, parce que le cours du lait a augmenté sur tous les marchés, tiré par celui de la poudre de lait. J'ajoute qu'il y a, pour cette filière comme pour le porc, des éléments cycliques. En Allemagne, le prix du lait baisse plus vite qu'en France ; à l'inverse, dans notre pays, ce prix augmente plus lentement. Il serait intéressant de savoir s'il y a eu rupture dans ces cycles de cours et quelle est la situation française par rapport à celle des autres pays. Nous allons travailler sur ce point.

Je rappelle en outre que les produits laitiers vendus en grande surface avaient déjà été revalorisés en 2018, soit avant l'application de la loi Egalim !

Enfin, il faut observer l'évolution des coûts de production, qui sont particulièrement dynamiques dans la filière laitière : l'alimentation et l'énergie ont augmenté de + 3,5 % depuis 2019. Certains producteurs se sont également vu imposer un durcissement de leurs cahiers des charges, notamment pour augmenter la durée du pâturage ou pour garantir une alimentation sans OGM. Or cela a un coût qui explique en partie l'évolution des prix ! En retraitant tous ces effets de marché, l'effet de revalorisation des tarifs aux producteurs laitiers uniquement dû à la loi apparaît donc limité, quand il n'est pas négatif.

J'ajoute que certaines inquiétudes proviennent des prix pratiqués sur certaines bouteilles de lait de qualité : je pense notamment au litre de lait bio vendu à 0,87 euro dans une grande surface, soit un prix inférieur au lait conventionnel. Cela peut s'apparenter à un piège de la montée en gamme : on accorde des tarifs revalorisés contre des cahiers des charges plus durs, au risque que les charges supplémentaires induites soient supérieures aux recettes supplémentaires obtenues. Rappelons qu'en France, tous les produits commercialisés respectent des normes de qualité exceptionnelles, que beaucoup de pays nous envient.

Je partage la préoccupation de Laurent Duplomb. Quelle sera la performance de la ferme France en 2020 par rapport à celle des autres membres du marché unique européen ? Il sera intéressant de connaître ce positionnement.

Élisabeth Lamure se demandait pourquoi nous n'allions pas plus vite. Pour être crédible, il faut être honnête : la mise en oeuvre de la loi Egalim a été compliquée et l'on peut s'interroger sur l'influence des négociations à cet égard. En 2020, les règles seront connues. Dans cette perspective, nous proposons de corriger ce qui est d'ores et déjà certain ; pour ce qui ne l'est pas, nous devons attendre qu'un bilan soit dressé.

Pour ce qui est des autres questions, le groupe de suivi a voté à l'unanimité des propositions visant à corriger les trois points urgents que nous avons évoqués. Nous déposerons très rapidement une proposition de loi, dès que la commission des affaires économiques aura validé notre travail.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure du groupe de suivi . - Il s'agit d'un bilan d'étape de la loi Egalim, dans un contexte sociétal où la tension grandit. Je pense notamment au succès du film Au nom de la terre . Les sujets de la place de l'agriculture, des revenus des agriculteurs, du modèle d'agriculture que nous voulons deviennent de véritables sujets de société. La loi Egalim s'inscrit dans cette pression sociétale et cette urgence. Malheureusement, les outils de cette loi ne sont pas les mieux adaptés pour répondre à ces enjeux.

Les indicateurs ne sont pas dégagés dans toutes les filières, notamment pour l'élevage. Or c'est justement parce que ces filières n'arrivaient pas à se structurer qu'on a voulu faire la loi Egalim ! Il y a là une difficulté au sujet de laquelle nous interpellons les pouvoirs publics pour trouver des éléments de régulation.

À l'époque, nous avions suggéré un certain nombre de solutions, notamment le recours à l'aide de l'Observatoire de la formation des prix et des marges. On le voit bien, cette filière a du mal à formaliser des outils pour dégager ses coûts de revient et, donc, faire évoluer la logique des prix de la grande distribution. Le rapport de force ne s'est absolument pas inversé, comme en témoigne le résultat des négociations, les prix étant toujours à la baisse.

Pour répondre à Anne-Marie Bertrand, nous avons bien reçu l'interprofession des fruits et légumes. La loi peut dans certains cas leur poser problème. J'évoquerai le cas des fraises. Il s'agit d'un produit d'appel. Elles sont vendues, au-dessus du seuil de vente à perte, en moyenne à 1,99 euro la barquette. On aurait pu penser que, avec la mise en place du SRP, le distributeur vendrait la même barquette à 2,19 euros, soit une augmentation de 10 %. Mais les distributeurs ont imposé leur propre stratégie de commercialisation, puisqu'ils ont continué à considérer ce produit comme un produit d'appel. Ils ont donc continué de le vendre à 1,99 euro, tout en le rémunérant à 1,79 euro, soit un prix d'achat à l'agriculteur inférieur à ce qu'il était avant la loi. Ainsi, cet outil, conçu pour enclencher une dynamique vertueuse, est finalement contourné par la grande distribution.

On peut observer le même phénomène dans tous les rayons bien-être des grandes surfaces, qui utilisent le SRP pour garder leur compétitivité. L'objectif du ruissellement n'est donc pas atteint.

Pour être crédible et que notre travail constructif se poursuive, il faut aller au bout de cette expérimentation et proposer, au besoin, les ajustements nécessaires pour laisser sa chance à la loi.

M. Michel Raison , rapporteur du groupe de suivi . - Les sujets complexes du revenu des agriculteurs et du revenu de la ferme France nécessiteraient des heures de discussion.

Tout d'abord, je me félicite de l'absence de politique politicienne des différentes interventions. Chacun a pris conscience de la gravité de la situation de l'agriculture française. Tous les orateurs ont fait de la politique, au sens noble du terme.

Ensuite, Laurent Duplomb et Franck Montaugé ont commencé à analyser le revenu de l'agriculteur, dont la loi Egalim ne traitait pas. Pour le définir, il faut faire analyser par des spécialistes ses composantes. On peut déjà distinguer une colonne « charges » et une colonne « produits ». Pour ce qui concerne cette dernière, la loi Egalim se contente d'analyser le prix de vente à la grande distribution. Pourtant, tout n'est pas vendu à la grande distribution, et le prix de vente de l'agriculteur ne dépend pas uniquement du prix d'achat de la grande distribution.

Ainsi, au sein de certaines coopératives, pour le même type de lait, de ferme et de relief, un producteur touchera 320 euros, tandis qu'un autre en touchera 420. Ce n'est pas la faute de la grande distribution ! Ce n'est pas non plus la faute de l'interprofession. Il existe en effet une confusion entre l'interprofession et l'organisation des producteurs. Ainsi, dans la filière viande, ce n'est pas l'interprofession qui règlera les problèmes ! L'enjeu est de mieux structurer les agriculteurs en organisations de producteurs.

Par ailleurs, je suis très attaché à la formation des agriculteurs et à la recherche en agriculture. Je suis allé voir un proviseur de lycée agricole pour en rediscuter. Nous devons mener une action préventive et non pas uniquement curative.

Je reviendrai également sur quelques idées reçues. Dieu sait si je combats les méthodes de la grande distribution depuis des années ! Il n'y a pas de marges nettes dans la grande distribution, ou alors elles sont extrêmement faibles, parce que les enseignes se font la guerre entre elles. Il y a sans doute là un problème de droit de la concurrence. Ainsi, on a du mal à redistribuer de la valeur à l'agriculteur, celle-ci ayant été détruite. Le sujet de la bouteille de vin dans la restauration évoqué par Henri Cabanel n'est pas directement concerné par la loi Egalim.

Dans ces conditions, comment faire ruisseler de la valeur ?

J'ai analysé deux exemples dans le rapport, le champagne et le foie gras. Heureusement, le champagne est majoritairement distribué de manière très différente. Toutefois, il existe une conséquence directe de la loi Egalim sur ce type de produits.

Madame Lamure, il existe un autre point positif de la loi Egalim. Vous avez tous dû recevoir un courrier de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), qui regroupe tous les distributeurs, sauf les Intermarché et les Leclerc. Elle se félicite de la loi Egalim, car la plupart des grandes surfaces étaient quasiment dans le rouge. Le relèvement du seuil de vente à perte et l'encadrement des promotions sont des idées qui ont été défendues par les grandes marques et certaines enseignes de la grande distribution lors des États généraux de l'alimentation. Il faut donc admettre en un sens qu'il y a des points positifs pour ces fédérations, mais pas pour les agriculteurs !

Madame Chauvin, au sujet de la révision des prix, nous savons qu'un certain nombre de transformateurs souffrent de ne pas pouvoir rééquilibrer leurs prix avec la grande distribution quand il y a une hausse particulière de la matière première. Les deux exemples classiques sont les fabricants de pâtes et les charcutiers. Cette année, avec la hausse du cours du porc, la revalorisation partielle de leurs tarifs par la grande distribution concerne seulement les deux tiers des demandes. Et les groupes concernés n'ont même pas eu recours à la clause de révision des prix prévue dans le code de commerce car elle n'est pas du tout opérationnelle. Nous avons porté lors des débats sur la loi Egalim un amendement, qui a désormais reçu le soutien du médiateur. Il s'agit de prévoir dans la loi une clause de révision automatique des prix lorsque le pourcentage de matière première dans le produit final atteint un certain seuil et que la variation du prix de la matière première est trop importante. Voilà quelques années, nous avons failli perdre tous nos producteurs de pâtes, à la suite d'une augmentation importante du blé dur.

Ces propositions seront intégrées à la proposition de loi que nous présenterons.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je remercie les rapporteurs de ce premier rapport, en leur souhaitant le meilleur pour la suite. On voit à quel point le travail sur le revenu de l'agriculteur est structurant pour notre économie, la vie de nos territoires, la survie de notre agriculture et notre souveraineté alimentaire.

Michel Raison l'a dit, le problème de la valeur doit être abordé, car il est central. On a tellement détruit cette valeur qu'il n'y en a plus nulle part. Savoir où elle est désormais constitue une partie du problème.

Le Sénat devrait sans doute, comme nous l'avions proposé, entendre l'Observatoire de la formation des prix et des marges, dans la mesure où une grande partie de nos questions y trouvent leur réponse. Il avait été mis en place, je le rappelle, dans le cadre d'une des lois de régulation de la grande distribution.

La méthode que nous avons prise est la bonne. En effet, l'impatience de nos concitoyens et des agriculteurs n'est pas compatible avec la mise en place d'une loi. Au bout d'un an, nous pouvons faire un premier constat sur trois points particuliers. Il faut permettre à la loi de s'implémenter complètement, en la corrigeant si nécessaire.

Le dernier point que je souhaite aborde concerne le pouvoir du consommateur, qui est plus fort que toute la régulation que nous pourrons faire. Comment pouvons-nous faire pour renforcer le pouvoir du consommateur sur les achats qu'il réalise ?

M. Michel Raison , rapporteur du groupe de suivi . - L'Observatoire de la formation des prix et des marges nous donne les chiffres deux ans après. Je ne sais pas comment on pourrait les actualiser, mais il faut examiner cette question complexe en partant de la ferme jusqu'à la sortie en caisse.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je vais vous consulter sur le principe de déposer une proposition de loi qui reprendra les trois propositions formulées par nos rapporteurs.

Il en est ainsi décidé .

Le rapport d'information est adopté .


* 1 Agreste

* 2 Rapport d'information n° 258 (2018/2019) fait au nom de la commission des affaires économiques par le groupe d'études « Agriculture et alimentation », sur la place de l'agriculture française sur les marchés mondiaux

* 3 Environ ¼ selon l'INSEE (Cinquante ans de consommation alimentaire : une croissance modérée, mais de profonds changements, octobre 2015)

* 4 Source : FranceAgrimer, évolution des dépenses alimentaires des ménages dans les circuits de distribution de 2008 à 2017, septembre 2018

* 5 Caractérisées, aux termes de l'article L. 611-4 du code rural et de la pêche maritime, « lorsque le prix de cession de ces produits par les producteurs ou leurs groupements reconnus est anormalement bas par rapport à la moyenne des prix observés lors des périodes correspondantes des cinq dernières campagnes, à l'exclusion des deux périodes au cours desquelles les prix ont été respectivement le plus bas et le plus élevé. »

* 6 Source : Nielsen Insights, La grande consommation en mode EGA, octobre 2019

* 7 Source : Nielsen Insights, La grande consommation en mode EGA, octobre 2019

* 8 IRI, Vision Le Prix, septembre 2019

* 9 IRI, Impact EGA, juillet 2019

* 10 Nielsen Insights, La grande consommation en mode EGA (1 er octobre 2019)

* 11 Audition devant la commission des affaires économiques du Sénat le 4 avril 2019

* 12 Audition devant la commission des affaires économiques du Sénat le 5 juin 2019.

* 13 Selon la variation de l'indice IPAMPA, calculé par l'Institut de l'élevage (variation sur 12 mois).

* 14 Audition devant le groupe de suivi.

* 15 Nielsen Insights, juillet 2019 : « MDD : la fin de l'exception française ? ».

* 16 Avis n° 18-A-14 du 23 novembre 2018 relatif au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

* 17 Ibid.

* 18 Nielsen Scan Track, août 2019

* 19 Audition par la commission des affaires économiques du Sénat le 5 juin 2019

* 20 Chiffres du Nielsen Scan Track, confirmés par les propos de Bruno Lesbros, directeur PME chez Nielsen dans l'édition de LSA du jeudi 3 octobre 2019 (n° 2573)

* 21 Nielsen Scan Track, septembre 2019

* 22 Ibid.

* 23 Source : IRI vision, le prix, septembre 2019

* 24 Pour les produits sous convention annuelle. Les 25 % s'appliquent au « volume prévisionnel » pour les MDD et aux « engagements de volume » pour les produits périssables.

* 25 Article D441-2 : les produits « périssables ou issus de cycles courts de production, d'animaux vifs, de carcasses » sont les fruits et légumes (sauf pommes de terre), volailles, lapins, oeufs, miels. Il n'existe en revanche pas de définition précise de produits « menacés d'altération rapide » : c'est au distributeur de prouver aux autorités de contrôle que le produit était menacé d'une telle altération.

* 26 CA Chambéry, 27 septembre 1989 : un distributeur qui revendait des pommes de terre à perte n'a pu bénéficier de l'exception à l'interdiction au motif que la menace d'altération rapide en raison du gel n'était pas établie.

* 27 Aujourd'hui codifié à l'article L. 441-4 du code de commerce

* 28 Avis n° 18-A-14 du 23 novembre 2018 relatif au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires

* 29 Baisse de la générosité des discounts

* 30 Nielsen

* 31 Anciennement L. 441-2

* 32 Avis n° 18-A-14 du 23 novembre 2018 relatif au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires

* 33 Rapport d'information n° 1981 (2018-2019) de MM. Jean-Baptiste Moreau et de Jérôme Nury, déposé en application de l'article 145-7 alinéa 1 du règlement par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur la mise en application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

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