IV. CONDUIRE UN ACCOMPAGNEMENT SANITAIRE ET SOCIAL DANS LA DURÉE : LA DÉLICATE RECONSTRUCTION HUMAINE DANS LE CAS D'IRMA

A. UNE CATASTROPHE NATURELLE, UN RÉVÉLATEUR DE DIFFICULTÉS SOCIALES

1. Des fragilités mises en évidence par différents travaux de recherche

L'expérience des populations résidant dans les Îles du Nord lors du passage de l'ouragan Irma a intéressé plusieurs unités de recherche. C'est le cas par exemple des travaux conduits par Stéphanie Defossez et Monique Gerardhi, chercheuses à l'Université de Montpellier III - Paul Valéry, qui se sont intéressées à la saison cyclonique 2017 dans les Antilles avec l'enchaînement des ouragans Irma, José et Maria. Des déplacements ont été réalisés en 2017 et 2018 afin de rencontrer des habitants de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Entendue par la délégation 130 ( * ) , Stéphanie Defossez a pu présenter l'avancée des travaux menés.

La chercheuse a ainsi souligné le niveau de préparation et de connaissance des saisons cycloniques de la population qui, souvent, s'informe sur les événements et est globalement au fait des consignes de vigilance. Elle distingue cependant les réactions des populations selon leur catégorie « "natifs" de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, les populations immigrées d'origine haïtienne et dominicaine, principalement à Saint-Martin, et les métropolitains », qui n'ont pas nécessairement réagi de la même manière : les personnes issues de l'hexagone présentaient une moindre connaissance et préparation face aux phénomènes cycloniques.

Stéphanie Defossez s'est également intéressée à la phase qui a suivi le passage de l'ouragan . Selon elle, « ce qui ressort des témoignages, quelques jours après Irma et au sein des quartiers, c'est la solidarité ». La chercheuse insiste également sur la coupure des moyens de communication et sur le sentiment de désorganisation alors que l'ouragan José était annoncé pour les jours qui suivaient. D'autres problèmes se sont également posés à Saint-Martin dans la phase d'après-crise, notamment les pillages qui ont, relève-t-elle, suscité de l'incompréhension : « d'un côté, il y avait de la solidarité et de l'autre, des pillages organisés, des vols de voisinage et des vols de nécessité. Ces derniers ont été compris sans être excusés ». La chercheuse a enfin insisté sur les rumeurs qui ont été véhiculées, notamment sur le bilan humain de la catastrophe : « personne ne croit au bilan officiel de 11 morts. Tout le monde a imaginé que l'État et la collectivité masquaient des centaines de morts, cachés et évacués par containers vers une destination inconnue. Un an et demi après, la rumeur est encore très vive ».

Concernant la reconstruction, dans la durée, la chercheuse présente des témoignages et sentiments pluriels. Si l'intervention de l'État et les démonstrations qu'ont été celles des déplacements de l'exécutif dans les Îles du Nord ont été bien perçues, tout comme l'élan de solidarité inter-îles, la reconstruction est perçue comme trop longue . Celle-ci fait, selon Stéphanie Defossez, également place à une phase d'« incertitudes » voire à un « sentiment d'injustice », particulièrement en ce qui concerne la révision du PPRN et des documents d'urbanisme.

Plus globalement, la chercheuse a insisté auprès de la délégation sur le choc qu'a été Irma pour les populations. « Des trajets de vie ont été bouleversés » , constate-t-elle, mettant en avant le nombre de déménagements - peu quantifiable cependant, sur l'île, vers la Guadeloupe ou l'hexagone -, mais aussi les divorces ou les pertes d'emplois. Selon elle, le traumatisme qu'a suscité cet événement est encore palpable lors des échanges qu'elle peut avoir et les populations sont encore très marquées « se disent très anxieuses ou angoissées et dans une plus large part à Saint-Barthélemy qu'à Saint-Martin. Un an et demi après, le spectre d'Irma est toujours présent » .

Un autre projet, le projet « Relev », financé par l'agence nationale de la recherche, comprend des travaux concernant les stratégies de reconstruction post-catastrophe naturelle. Piloté par le Cerema, ce projet de recherche intègre également une consultation, menée par le laboratoire de psychologie de l'Université de Nantes, de personnes ayant vécu les ouragans passés sur les îles de la Guadeloupe et les Îles du Nord.

2. Des problèmes psychosociaux accrus par un événement traumatisant

Entendue par la délégation, la directrice générale de l'Agence de santé de Guadeloupe 131 ( * ) a insisté sur les difficultés psychosociales constatées. Selon elle, certaines préexistaient et le passage de l'ouragan Irma n'a fait qu' aggraver ces situations de précarité .

Concernant les réactions psychologiques relevées à la suite de l'ouragan, la situation est plus difficile à établir. La directrice générale se montre ainsi plus réservée quant à l'existence de psychotraumatismes à la suite d'Irma : « le diagnostic de psychotraumatisme est plus mitigé , faute de symptômes ». Le professeur Louis Jehel chef de pôle adjoint du CHU de Martinique et vice-président de l'Université des Antilles, pôle Martinique, signalait 132 ( * ) lui une réactivation de phénomènes d'addictions à la suite de tels événements : « beaucoup de personnes ont ainsi confié avoir consommé beaucoup d'alcool à leur suite, compte tenu de ses vertus apaisantes ».

Le professeur a en outre insisté sur la question du risque suicidaire , indiquant qu'à Porto-Rico, les morts par suicide dans les six mois qui ont suivi le dernier cyclone auraient augmenté de 6 %. Ce phénomène est généralisé. Cependant, le professeur indiquait que « le comptage de ces morts par suicide pose de surcroît une difficulté », le motif n'étant parfois pas signalé afin de « protéger les familles » pour des raisons religieuses ou assurantielles.

Lors de son déplacement , la délégation a pu rencontrer des habitants des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, notamment des représentants des conseils de quartier de Saint-Martin. Les rapporteurs ont longuement échangé avec eux et ont pu compléter le diagnostic fait par les autorités sanitaires auprès du ressenti de la population. Les habitants ont pu faire état de grandes fragilités au sein de la population, soulignant des situations de choc important après l'intensité exceptionnelle de l'événement, d'incompréhension et parfois de détresse dans la phase de reconstruction où des parcours de vie ont pu être brisés et durant laquelle il faut cependant « tenir », particulièrement dans les familles avec des enfants. L'accompagnement dans la durée apparaît comme une nécessité.


* 130 Audition de Stéphanie Defossez, maître de conférences en géographie à l'Université Paul-Valéry de Montpellier, le 4 avril 2019.

* 131 Audition de Mme Valérie Denux, directrice générale de l'Agence de santé (ARS) de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, et du Pr Louis Jehel, chef de pôle adjoint du CHU de Martinique et vice-président de l'Université des Antilles, pôle Martinique , le 11 avril 2019.

* 132 Audition sur le suivi sanitaire des populations, le 11 avril 2019.

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