III. REBÂTIR DURABLEMENT, UNE NÉCESSITÉ PARFOIS DIFFICILE À GARANTIR

A. RECONSTRUIRE À L'IDENTIQUE, UNE SOLUTION À NUANCER

La reconstruction à l'identique est une modalité qui permet d'enclencher au plus vite le processus de réparation, réhabilitation ou reconstruction, particulièrement des habitations. Appliqué à Saint-Martin, il est prévu par le droit commun à l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme, qui prévoit également une exception dans le cas de dispositions contraires au sein d'un plan de prévention des risques naturels .

Cependant, la reconstruction à l'identique ne doit pas nécessairement être la règle. En effet, il convient dans le cadre de la reconstruction, sur la base des dommages constatés, d'adapter les bâtiments endommagés afin non pas de les rétablir dans leur état préalable à la catastrophe mais bien de les rendre plus performants, plus résistants, plus résilients , donc, face aux risques.

Les rapporteurs ont à ce titre constaté que différents interlocuteurs faisaient état de difficultés dans les choix de reconstruction dans le cas de la mobilisation des fonds européens. En effet, les conditions d'utilisation du fonds de solidarité de l'Union européenne ne permettent pas de procéder à des modifications ou adaptations substantielles par rapport aux plans d'origine des bâtiments endommagés. Cela vient parfois contraindre à reconstruire sur une base constatée comme étant insuffisamment résistante. Il conviendra d'engager une réflexion sur les modalités de mobilisation des fonds européens à la suite de catastrophes naturelles, particulièrement du fonds de solidarité de l'Union européenne. Ceux-ci doivent permettre une reconstruction améliorée et ne pas contraindre à des réhabilitations à l'identique sur des bâtiments qui n'ont, empiriquement, pas résisté.

B. AMÉLIORER LES MÉTHODES ET LA QUALITÉ DES CONSTRUCTIONS POUR GARANTIR LA MEILLEURE RÉSISTANCE DU BÂTI

1. Apprendre des catastrophes

Reconstruire vite ne doit pas signifier reconstruire dans la hâte au détriment d'une amélioration de la qualité. Aussi, les rapporteurs insistent sur la nécessité, dans le cadre d'une reconstruction, d'un état des lieux des dommages causés par une catastrophe afin d'identifier au mieux les forces et faiblesses du bâti existant et d'en tirer les conclusions nécessaires.

Cela vaut pour l'exposition de certaines zones à des risques particuliers, notamment certains quartiers ou bandes littorales, mais aussi en termes de résistance de certains matériaux ou de faiblesses relevées dans certains choix architecturaux . C'est dans cette logique d'état des lieux avant reconstruction qu'avait été commandée la mise à jour par le Cerema de la cartographie du risque de submersion dans les semaines suivant Irma : la même démarche doit intervenir dans le cas de catastrophes naturelles sur l'ensemble du territoire et sur la question du bâti en particulier.

Les rapporteurs ont été sensibles à la pratique signalée à Saint-Barthélemy de relevés des dommages, notamment par des photographies, pour évaluer l'impact de la catastrophe sur différents quartiers et répertorier les zones plus ou moins touchées et les fragilités ou résistances constatées . Il en va de la qualité de la reconstruction que de savoir au préalable ce qui a fonctionné ou non de manière empirique . Si cela n'est pas une garantie d'une résistance future face à un nouveau phénomène, une telle démarche peut contribuer à l'amélioration globale de la qualité des constructions. La connaissance des anciens et les retours d'expérience des précédentes catastrophes naturelles doivent être valorisés.

Le ministère du logement soulignait 124 ( * ) à Saint-Martin une « perte de mémoire par rapport au risque cyclonique » , considérant que les conséquences du cyclone Hugo ne semblaient pas avoir généré de changements notables dans les pratiques de construction : « la plupart des maisons sont construites avec des toitures en tôle d'épaisseur fine et sont très mal fixées. L'absence de volets anticycloniques a été également la cause de beaucoup de dégâts ».

Saint-Barthélemy semble au contraire avoir mieux intégré certains aspects de résistance dans des règles de construction aussi mieux respectées : comme le rappelle la collectivité de Saint-Barthélemy 125 ( * ) , « les toitures doivent être à quatre pans et l'inclinaison des pans ne peut être inférieure ou excédée un certain nombre de degrés. Les volumes des bâtiments sont également limités ». Des règles urbanistiques ou architecturales permettent de réduire l'exposition au risque cyclonique. Les rapporteurs ont notamment relevé la fragilité de grandes baies vitrées pourtant de plus en plus présentes.

Il convient de mieux veiller à la diffusion et au respect de ces pratiques architecturales et de construction.

Recommandation n° 12 : Dresser un état des lieux des forces et fragilités constatées dans la résistance de certains matériaux, modes de construction et pratiques architecturales face à l'exposition à certains risques, notamment le risque cyclonique.

2. Une vigilance nécessaire sur la qualité de la reconstruction
a) Garantir une qualité du bâti

Il convient de veiller de manière sérieuse à ce que la reconstruction se fasse dans le respect des normes et que celle-ci porte u ne qualité de bâti supérieure pour les surfaces sinistrées. Aussi, les indemnisations des assurances doivent servir à cette reconstruction durable du territoire. Certains comportements ont pu laisser penser, comme l'ont entendu les rapporteurs 126 ( * ) , que ces sommes allaient dans des achats de biens de consommation plutôt que dans des travaux de reconstruction. Lionel Corre, « deux ans après le sinistre, il semble que les assureurs ne recevront pas beaucoup de factures , ce qui signifie que certains de nos concitoyens ont utilisé les avances, éventuellement pour reconstruire, mais qu'en tout état de cause, l'absence de facture pose la question de la qualité de la reconstruction . (...) Il ne faudrait pas que la situation post-reconstruction soit plus défavorable que celle qui prévalait auparavant ».

Il est surtout important de veiller à ce que la reconstruction se fasse dans les règles et respecte les normes en vigueur dans le secteur du bâtiment et de la construction . Aussi, il convient d'assurer que les entreprises et ouvriers intervenants sont qualifiés et respectueux des méthodes. Les services de la DEAL à Saint-Martin ont ainsi mis au point des « guides de construction » disponibles en français, en anglais et en créole afin d'en assurer une large accessibilité et une bonne diffusion. Ce type d'initiatives appelle à être étendu dans chacun des territoires ultramarins pour améliorer de manière globale la qualité du bâti outre-mer : la reconstruction est une étape de la prévention.

Le rapport de la mission d'information sénatoriale sur la gestion des risques climatiques proposait notamment de « compléter le code des assurances par un article précisant que l'assurance doit garantir une réparation pérenne et durable » 127 ( * ) . Les rapporteurs de la délégation soutiennent cette recommandation de la mission d'information. La reconstruction doit faire l'objet de contrôle. Cela est valable pour les infrastructures publiques mais aussi au niveau des entreprises et chez les particuliers. Il convient de missionner des experts , notamment par le biais des assurances, afin de contrôler la qualité des travaux réalisés. Les assurances doivent en outre réaliser un suivi des factures de reconstruction.

Recommandation n° 13 : Assurer un contrôle par des experts de la qualité des travaux de reconstruction.

Recommandation n° 14 : Systématiser la diffusion de guides de construction adaptés aux contraintes locales et disponibles dans différentes langues utilisées dans les territoires

b) Assurer le respect des règles d'urbanisme

Une des préoccupations dans le cadre de la reconstruction est d'éviter de nouvelles constructions non autorisées ou implantations illégales. Un comité ad hoc a été mis en place, le comité opérationnel des polices de l'environnement et de l'urbanisme ( COPOLENU ), composé de représentants du parquet, de gendarmes, d'agents de la DEAL (pour la compétence environnementale de l'État) et d'agents du service de l'urbanisme de la collectivité de Saint-Martin. Cette instance a été créée en janvier 2018 afin d'assurer le bon respect des règles d'urbanisme.

L'État est en outre venu compléter par ordonnance le code de l'urbanisme de Saint-Martin pour les mesures qui relevaient de sa compétence, à savoir le volet pénal . L'ordonnance n° 2019-235 du 27 mars 2019 relative aux dispositions pénales et de procédure pénale doit désormais être ratifiée 128 ( * ) par le Parlement 129 ( * ) .

La consolidation du cadre juridique relatif aux règles d'urbanisme et la mise en place d'instances chargées de veiller à son application sont une nécessité pour prévenir le retour ou l'installation de nouvelles constructions hors des règles qui ne seraient qu'autant de faiblesses pour le territoire lors d'une prochaine catastrophe.


* 124 Réponses du ministère chargé du logement au questionnaire des rapporteurs.

* 125 Réponses de la collectivité de Saint-Barthélemy au questionnaire des rapporteurs.

* 126 Notamment : audition de Frédéric Mortier, délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer, et audition de la direction générale du Trésor (DGT), ministère de l'économie et des finances.

* 127 Rapport d'information n° 628 (2018-2019) de Mme Nicole Bonnefoy, fait au nom de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques.

* 128 En application des dispositions de l'article 74-1 de la Constitution, l'ordonnance doit être ratifiée dans un délai de dix-huit mois après sa publication.

* 129 Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2019-235 du 27 mars 2019 relative aux dispositions pénales et de procédure pénale du code de l'urbanisme de Saint-Martin, déposé au Sénat le 25 juin 2019.

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