B. À MAYOTTE, L'ÉMERGENCE D'UN VOLCAN AU LARGE DE L'ARCHIPEL

1. Depuis 2018, d'une crise sismique à la découverte d'un volcan
a) Des séismes en essaim

Dans son rapport de 2018, la délégation avait souligné l'importance de la crise sismique que connaissait Mayotte depuis le mois de mai 161 ( * ) .

Comme le rappelle le ministère des outre-mer 162 ( * ) , la région sous-marine située 50 km à l'est de Mayotte connaît depuis le 10 mai 2018, une séquence sismique ininterrompue . Les données scientifiques actuelles indiquent qu'il s'agit d'un phénomène sans précédent dans la région, voire au niveau mondial : 1 852 séismes enregistrés depuis le début du phénomène, mais le catalogue des séismes est incomplet à partir des magnitudes inférieures à 3,5. La magnitude la plus forte est de 5,8, relevée le 15 mai 2018, sachant que 5,2 était historiquement la plus importante de la zone, relevée dans les Comores en 1993.

Une mission gouvernementale a été envoyée en juin 2018, dont les recommandations ont donné lieu à un plan d'action interministériel visant notamment à améliorer la connaissance scientifique du phénomène, à définir une stratégie de surveillance du phénomène sismique et à assurer la sécurité des personnes.

L'enjeu d'une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle

Le ministère des outre-mer indique que de nouveaux critères doivent être établis par le ministère de la transition écologique et solidaire pour répondre aux demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle au titre d'un séisme volcano-tectonique.

Quatre communes ont déposé une demande de reconnaissance catnat au titre de séismes : Bandrele ; Chirongui et Dzaoudzi (demandes ajournées lors de la commission du 17 juillet 2018), et Kani-Kéli.

La commission catnat du 18 décembre 2018 a ajourné ces demandes sur demande du ministère de la transition écologique et solidaire 163 ( * ) . Le ministère a jugé que la commission ne dispose pas de critères pour analyser l'intensité de ce type de séisme (origine magmatique) marquée par une succession rapprochée dans le temps de secousses sismiques pendant plusieurs mois. Les critères actuels sont en effet calibrés pour un « séisme tectonique » d'origine non volcanique.

La commission, réunie le 14 mai 2019, a décidé qu'il n'y avait pas de critères autres que le caractère exceptionnel et atypique de l'aléa pour donner un avis favorable. En conséquence, et sur la base d'un rapport, les demandes des quatre communes qui avaient déposé ainsi que les nouvelles seront examinées dans une commission prochaine, pour la période du 10 mai 2018 à mai 2019 .

L'extension du régime aux séismes répétés d'origine magmatique est envisagée pour répondre à ce cas.

Source : Réponses du ministère des outre-mer au questionnaire des rapporteurs

b) La découverte d'un volcan au large de l'archipel

Comme le précise le ministère de la transition écologique, ce qui concerne l'amélioration de la connaissance scientifique du phénomène, dès juin 2018, le Gouvernement a pris l'initiative de lancer une mission scientifique impliquant notamment la campagne océanographique réalisée par le navire Marion Dufresne.

Sous l'impulsion des ministères de la transition écologique et des outre-mer, un appel d'offre INSU/CNRS intitulé « TelluS-Mayotte » a ainsi fédéré et financé les initiatives scientifiques issues de la mission gouvernementale. L'appel d'offres a été clôturé le 7 janvier 2019, trois projets ont été retenus.

Projets de recherche « TelluS-Mayotte »

Trois projets ont été retenus dans le cadre de l'appel d'offres « TelluS-Mayotte » :

- « Coordination des Observations Géodésiques à Mayotte » COGAM : le projet, porté par l'Institut géographique national, propose d'assurer une coordination technique et scientifique des mesures géodésiques autour de la crise de Mayotte.

- « Tectonique et volcanisme de Mayotte et des Comores » MAYVOLTE : le projet, porté par Institut national des sciences de l'univers, vise à apporter un « socle » de connaissance géochronologique, volcanologique et tectonique de l'île de Mayotte sur les derniers 2,5 Ma pour bien comprendre la crise actuelle et la situer dans une évolution de dynamique volcanique et tectonique à long terme.

- « Suivi instrumental de la crise sismo-volcanique au large de Mayotte » SISMAYOTTE : le projet, porté par l'Institut de physique du globe de Paris, vise au déploiement d'une instrumentation pour mieux comprendre l'origine et la nature de la crise. Il s'agit du projet le plus important pour répondre à la crise en cours et qui comportera 3 phases :

- le déploiement en mer réussi du 23 au 25 février 2019 de 6 sismomètres dans la zone épicentrale de l'essaim sismique, via un bateau-cargo léger basé aux Comores. Trois membres de l'équipe du parc national des sismomètres fond de mer INSU-IPGP, un responsable technique de la société propriétaire du bateau, et un représentant du service risques naturels de la direction de l'environnement de l'aménagement et du logement (DEAL) ont embarqué. Plus de 20 séismes ont été enregistrés par les sismomètres de fond de mer (dits « OBS ») pendant une nuit, suggérant l'activité intense du phénomène ;

- le déploiement sur terre au mois de mars 2019 de 3 sismomètres et stations GPS à Mayotte 164 ( * ) et aux îles Glorieuses, afin de compléter le dispositif des 8 stations déjà existantes. Cette dernière mission a eu lieu les 13 et 14 mars 2019 avec l'aide des TAAF et de l'armée en profitant d'une rotation de personnels sur les Glorieuses. Elle a permis l'installation d'un sismomètre et d'un couple récepteur GNSS. Une deuxième opération a eu lieu fin avril/début mai 2019, lors de la rotation du Marion Dufresne, pour installer la télétransmission par satellite. Tous les capteurs sont opérationnels et enregistrent sur site ;

- la récupération des sismographes immergés, qui permettra, après une première analyse des données, de les redéployer au plus près des épicentres, ainsi que d'une bathysonde pour échantillonner les fluides. L'Ifremer pourrait également immerger 6 autres sismographes ( à confirmer ). Cette mission en mer a eu lieu du 2 au 16 mai 2019 à bord du Marion Dufresne (sur créneau Ifremer et non TAAF), qui partira de La Réunion. Le cas échéant, 1 ou 2 missions de récupération auront lieu courant 2019. Cette campagne est pilotée par l'Institut de physique du globe de Paris. Les objectifs sont également de réaliser une carte bathymétrique, de repérer d'éventuels panaches volcaniques et de réaliser des dragues pour identifier le caractère explosif ou non des phénomènes volcaniques potentiellement associés à la crise. Un approfondissement de ces données aura lieu dans un cadre de recherches par la communauté scientifique française.

Source : Réponses du ministère des outre-mer au questionnaire des rapporteurs

Les données sismiques issues des missions MAYOBS et de la relève des sismographes immergés en février et ceux plus récents de l'Ifremer couplées aux données bathymétriques du sondeur multifaisceaux mettent en évidence :

- la naissance d'un volcan sous-marin à 50 km à l'Est de Petite-Terre, à 3 500 m de profondeur, de 800 m de haut et de 4 à 5 km de diamètre. Celui-ci serait vraisemblablement sorti très rapidement, entre 4 et 1 an, voire 6 mois. Il serait la cause de la première vague de sismicité débutée en mai 2018 . Le ministère estime qu'il s'agit d'une découverte scientifique exceptionnelle. Cette zone actuellement enregistre une faible sismicité. L'activité de ce volcan s'accompagne d'un panache de fluides volcaniques de 2 km de haut qui n'atteint pas la surface de l'eau ;

- une nouvelle zone de sismicité active se situe entre 5 et 15 km à l'Est de Petite-Terre. Située sur la pente insulaire, le long d'une ride volcanique ancienne - de l'ordre de 4 millions d'années ;

- de nouvelles émanations de gaz (magmatique) ont été constatées sur la zone plage des « badamiers » à Petite-Terre ;

- découverte d'un nouveau volcan sous-marin , situé à 50 km à l'Est de l'île ;

- découverte d'une activité hydrothermale proche de Petite-Terre (5-15 km de Petite-Terre), principale origine de la sismicité.

Enfin, le ministère signale qu'une campagne scientifique hauturière Ifremer est programmable en 2020 suite à l'avis favorable de la commission nationale de la flotte hauturière. Elle permettra une reconnaissance régionale large de la sismicité.

2. Une nécessaire poursuite des recherches et un plan d'action
a) Une structuration de l'observation et une poursuite des recherches

Un plan interministériel de réponses à court terme a été décidé lors d'une réunion interministérielle le 18 juin 2019, autour de sept actions de connaissance du phénomène. Un réseau d'observations sismo-volcanique de Mayotte a été également acté, qui a pour vocation d'assurer toutes les actions de prospectives scientifiques du phénomène en cours. Le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (REVOSIMA) est placé sous la responsabilité de l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP) avec l'appui de la direction régionale du BRGM. Le premier bulletin a été publié le 30 août 2019 et sa diffusion sera bimensuelle.

Ce programme a pour objectifs d'améliorer la connaissance, de mieux comprendre le phénomène et de mieux caractériser les risques susceptibles de survenir sur le territoire mahorais . Il mobilise largement la communauté scientifique, l'Institut de physique du globe de Paris, l'Institut de physique du globe de Strasbourg, le Centre national de la recherche scientifique, le Bureau de recherche géologique (BRGM) et l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer.

Le ministère de la transition écologique indique que la mise en oeuvre de ce plan a d'ores et déjà permis deux nouvelles campagnes océanographiques MAYOBS 3 et 4, qui ont pris fin le 31 juillet 2019 et qui ont contribué à approfondir l'acquisition de connaissances sur les phénomènes sismo-volcaniques en cours. Elles ont permis de cartographier la ride volcanique entre le nouveau volcan et la zone sismique, à environ 15 km de Mayotte.

En 2019, il semblerait que la sismicité ait diminué. Les séismes relevés sont profonds (20-50 km). Aussi, grâce à de nouveaux moyens de mesures, des séismes profonds ont également été localisés entre la zone sismique principale (15 km de l'île) et la terre. Présents depuis le début, ils n'avaient pas été localisés lors des précédentes missions en raison de leur faible magnitude (entre 1 et 3).

Les données récoltées confirment en outre que la hauteur du volcan n'a pas évolué (sommet à 2 850 mètres de profondeur). En revanche, le ministère précise que, depuis le mois de juin, une nouvelle coulée volcanique a été identifiée sur le flanc ouest du volcan sous-marin . Son épaisseur atteint plus de 150 mètres. Le volume estimé est de 0,3 km 3 . Des émissions de fluides et des panaches d'origine volcanique ont également été détectés ; les panaches n'atteignent pas la surface et il n'y en a plus au sommet du volcan sous-marin mais au niveau de la nouvelle coulée.

Des prélèvements de roches au niveau des coulées sous-marines et de gaz dans les panaches ont été faits afin que les équipes scientifiques poursuivent à terre l'analyse de ces échantillons pour mieux appréhender les risques éventuels associés à ces phénomènes sismo-volcaniques.

b) Le déplacement et l'enfoncement de l'archipel, une préoccupation

Un point de vigilance demeure l'évolution de la situation même de Mayotte, Le ministère de la transition écologique indique que Mayotte continue à s'enfoncer (15 cm) et se déplacer (18 cm). Un réservoir de magma est en train de se vider (sismicité proche de Mayotte) et alors que magma sort à la surface (volcan et coulée).

La préfecture de Mayotte 165 ( * ) indiquait ainsi que le phénomène de subsidence accéléré (affaissement de l'île) en cours à Mayotte depuis 1 an (environ 12 à 15 cm en 1 an, contre moins d'1 mm/an jusque-là), « constitue un aléa inédit qui peut s'apparenter à un phénomène de changement climatique très rapide de montée du niveau moyen des eaux dont on ne peut prédire l'ampleur et la dynamique dans les futurs mois et années (poursuite, accélération, ou stabilisation du phénomène) ». Aussi, selon les services de l'État dans le département, « si l'ampleur et la rapidité de cette subsidence se confirment, l'île de Mayotte va vite être confrontée à ses fragilités vis-à-vis du littoral : 134 km de linéaire côtier vulnérable à cette montée des eaux (plage ou mangrove), 61 villages sur 71 en bordure littorale, habitations de fortune à même la plage. Ce phénomène associé à l'important coefficient de marnage (~4 m), va générer des inondations régulières (à chaque grande marée), une érosion du littoral accélérée, une vulnérabilité accrue lors d'un passage d'un cyclone (niveau du plan d'eau surélevé) ».

c) La transparence, une nécessité

Entendu par la délégation, Frédéric Mortier faisait état des missions de recherche menées sur le territoire. Le délégué interministériel, interpellé sur la bonne information des élus et de la population, a souligné les efforts de transparence des autorités et opérateurs de l'État. Selon lui, « il y a un élément effectivement essentiel, ce sont ces réunions sur le territoire pour donner directement l'information et même plus puisqu'il est question d'identifier des relais dans les communes et le département, des gens qui seraient des passeurs d'information ».

Le ministère indiquait en outre qu'à l'issue de ces deux dernières campagnes, le préfet et l'équipe scientifique ont eu un temps d'échanges le 31 juillet avec les élus avant de recevoir la presse pour informer plus largement la population sur les dernières découvertes.

*

Les rapporteurs appellent le Gouvernement à poursuivre la structuration des missions de recherche permanentes sur le territoire face à cette découverte scientifique. Aussi, ils insistent sur la nécessité de garantir une information publique ouverte et accessible tant à destination des élus que des populations.

Recommandation n° 23 : Poursuivre les missions scientifiques menées à Mayotte et assurer une information régulière des élus et des populations.


* 161 Rapport n° 688 (2017-2018), de MM. Guillaume Arnell, Mathieu Darnaud et Mme Victoire Jasmin, sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet relatif à la prévention et à la gestion de l'urgence).

* 162 Réponses du ministère des outre-mer au questionnaire des rapporteurs.

* 163 Les quatre demandes avaient été proposées initialement avec un avis défavorable par la commission en raison du seuil d'intensité non atteint (intensité macrosismique de 5, le seuil étant 6, alors que la magnitude l'était (reconnue supérieure à 5).

* 164 Pamandzi (station 1), M'tsamboro (station 2) et Kani-Kéli (station 3), dans des locaux municipaux.

* 165 Réponses de la préfecture de Mayotte au questionnaire des rapporteurs.

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