II. DES RISQUES « NOUVEAUX » OU D'UNE INTENSITÉ PLUS FORTE

A. DES ÉCHOUAGES MASSIFS DIFFICILEMENT GÉRÉS

1. Depuis 2014, une intensité exceptionnelle d'un phénomène occasionnel
a) Un phénomène massif et aux conséquences multiples

Phénomène ancien, les échouages d'algues sargasses - macro algues brunes, tropicales et benthiques - sont très irréguliers tant dans leur intensité que dans leur fréquence. Leur nombre et leur ampleur ont été sensiblement élevés depuis 2011 et, particulièrement, en 2014 . Ces échouages ont touché les côtes de la Martinique, de la Guadeloupe et des Îles du Nord . Le phénomène touche l'ensemble de la zone, le Mexique étant également largement impacté par exemple.

Le ministère des outre-mer indique qu'après un pic en 2014 et 2015 puis un affaiblissement en 2016 et 2017, les échouages des sargasses ont repris depuis février 2018. Malgré une période d'accalmie à partir d'octobre 2018, les échouages ont repris mi-janvier 2019 et les prévisions annoncent une intensification du phénomène.

Ces algues ont des conséquences importantes sur l'accessibilité de certaines zones , plages ou ports et, partant, sur l'activité économique et touristique , comme l'ont constaté les rapporteurs du premier volet de cette étude 156 ( * ) .

Surtout, de grandes inquiétudes ont été relayées sur les conséquences sanitaires que pouvaient avoir les échouages. La délégation avait ainsi convié l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) à intervenir dans le cadre d'une audition dédiée à cette thématique 157 ( * ) . Celle-ci a remis un avis en 2016 sur la question, actualisé en 2017. Un des points de vigilance majeure demeure la situation des algues en état de putréfaction après 48 h échouées, rejetant des émissions de sulfure d'hydrogène (H2S) et d'ammoniac (NH3) , dont la toxicité est connue. Les habitants à proximité des zones touchées, au-delà d'impact sur leurs équipements matériels - véhicules et électroménager -, ont pu faire état de troubles respiratoires ou de maux de tête notamment ; des écoles ont également été fermées en Guadeloupe en raison d'échouages à proximité.

Le ramassage rapide demeure l'enjeu principal, l'objectif régulièrement annoncé étant d'être réalisé en moins de 48 heures. Si celui-ci est une mission complexe, certaines zones comme les mangroves sont d'autant plus délicates. Aussi, alors que la Martinique expérimente des barrages, ceux-ci ne semblent cependant pas adaptés aux rivages de la Guadeloupe.

Si l'analyse juridique du Gouvernement ne classe pas les échouages de sargasses comme une catastrophe naturelle, les sargasses ont de plus en plus appelé un traitement et des réponses comparables à un risque naturel de la part des services de l'État dans les territoires , organisant parfois des schémas de réponse de sécurité civile. Aussi, il convient de souligner que c'est bien le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer qui a depuis mai 2019 la charge du pilotage des plans d'actions gouvernementaux relatifs aux sargasses.

b) Une gestion locale appuyée par un plan d'action gouvernemental
(1) Une action impulsée au niveau gouvernemental

Face à l'ampleur du phénomène, le Gouvernement s'est mobilisé : les ministres de la transition écologique et des outre-mer se sont rendus à ce sujet dans les Antilles les 10 et 11 juin 2018 et le Président de la République a lui-même fait des annonces le 28 septembre suivant avant qu'une instruction ministérielle des ministères des outre-mer, de l'intérieur, de la santé, de l'écologie et de l'enseignement supérieur, ne soit prise le 29 octobre.

Un rapport a également été commandé au sénateur Dominique Théophile , missionné par le Gouvernement, les conclusions ayant été rendues en février 2019 158 ( * ) .

Comme le rappelle le délégué interministériel chargé aujourd'hui du pilotage du plan sargasses, le plan national poursuit principalement cinq objectifs :

- le déploiement du réseau de suivi et de prévision des échouages ;

- la mise en place de solutions de collecte ;

- le progrès des connaissances (RDI) pour mieux gérer le phénomène depuis le ramassage, jusqu'au traitement ;

- le développement de la coopération régionale et internationale ;

- l'accompagnement des entreprises impactées par les sargasses.

Alors qu'assurer la capacité de ramassage des algues est une priorité, les moyens de collecte et le financement de ceux-ci auprès des collectivités font défaut .

En termes d'engagements financiers, le ministère des outre-mer indique que dans le cadre du grand plan d'équipement des collectivités de 10 à 12 millions d'euros annoncé sur 2018-2019 , il a financé deux fonds de 3 millions d'euros, soit 6 millions d'euros, pour la collecte et l'achat de petits équipements et arrêté le montant de sa contribution pour 2019 à hauteur de 3,5 millions d'euros hors barges. En outre, une aide au financement des barges de collecte en Guadeloupe sera affectée à hauteur de 500 000 euros par an sur 3 ans.

Le plan national est abondé selon la clé de répartition suivante : 50 % au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux, 25 % issus des crédits du ministère de la transition écologique et 25 % du ministère des outre-mer. S'agissant du coût de fonctionnement des équipements, le ministère précise que l'État y contribuera en 2019 à hauteur de 1 million d'euros, à parts égales entre les ministères de la transition écologique et des outre-mer.

Cependant, comme le rappelle Frédéric Mortier, « durant les épisodes d'échouages massifs le recours à des entreprises qui procèdent à l'enlèvement des sargasses est indispensable ce qui nécessite des besoins budgétaires supplémentaires évalués à 4,68 millions d'euros pour la Martinique et à 5 millions d'euros pour la Guadeloupe ».

Le délégué interministériel signale que depuis fin 2018, les volets sargasses des plans communaux de sauvegarde ont été élaborés et que le déploiement de 38 capteurs de gaz H2S et NH3 en Martinique et en Guadeloupe, ainsi que le recensement des personnes sensibles dans les périmètres concernés ont été finalisés.

En outre, le préfet de Martinique, responsable de la zone de défense, a engagé le 14 février 2019 une nouvelle mission d'appui en situation de crise (MASC) ayant permis la poursuite du soutien de la direction générale de la sécurité civile (DGSCGC) pour la lutte contre le phénomène.

Dans le même temps, le ministère de la recherche a mis en place avec Météo France un partenariat pour expérimenter la prévision par satellite des échouages . Les premiers bulletins sont diffusés depuis mars 2019.

(2) Une gestion lacunaire du fait de l'incapacité financière des collectivités

Néanmoins, comme le souligne le délégué interministériel, « les plans d'équipement des communes ne sont toujours pas achevés et ne le seront vraisemblablement pas avant le début de l'année 2020 » , en raison notamment de la mobilisation des fonds communautaires.

Les préfets de Guadeloupe et de Martinique ont fait état au Gouvernement de leurs besoins pour assurer la collecte des algues dans les 48 heures qui s'élèvent respectivement à 1,5 million d'euros et 1,9 million d'euros pour 2019. Par ailleurs, le ministère des outre-mer souligne que, selon les préfets, il sera très difficile aux communes de respecter le plan de financement indiqué dans la circulaire ministérielle (70 % pour les communes et 30 % pour l'État) du fait de la situation financière de celles-ci, considérées « exsangues » . Après avoir interpellé le ministère en juin, les préfets ont rappelé les besoins financiers importants lors du comité de pilotage national en juillet.

(3) Des pistes de financement à arbitrer

Le ministère des outre-mer indique que la création d'un fonds dédié est envisagée pour soutenir la capacité d'investissement des collectivités . Plusieurs options pour son financement auraient été proposées - taxe sur les billets d'avion, taxe additionnelle, solidarité nationale -, sans arbitrage interministériel intervenu à ce jour cependant. Avait également été évoquée l'intégration du coût de la gestion des sargasses à la dotation globale de fonctionnement des collectivités.

Frédéric Mortier considère que « les budgets du ministère de la transition écologique du ministère des outre-mer ne pourront continuer à soutenir sur le long terme l'équipement et le fonctionnement des collectivités » . Le délégué interministériel considère qu' un arbitrage doit être rendu en faveur d'un financement classique de dotation ou d'un dispositif fiscal, « une fois les impacts et les conditions de faisabilité évalués ».

Enfin, le soutien économique aux entreprises en difficultés en raison d'échouages fait l'objet d'un traitement au cas par cas avec des aménagements sociaux et fiscaux ou un recours au chômage partiel.

Les rapporteurs appellent le Gouvernement à trancher la question du soutien financier aux collectivités dans le cadre de la discussion budgétaire pour 2020. Une solution pérenne doit être trouvée afin de réaliser les investissements indispensables pour combler le retard d'équipement, alors que, comme le souligne Frédéric Mortier 159 ( * ) , « la question des sargasses n'est plus un phénomène exceptionnel mais qui devient récurrent » .

Eu égard à la situation d'extrême fragilité financière des collectivités antillaises, particulièrement les communes, le recours à un fonds d'appui ad hoc semble devoir être envisagé pour compenser les charges liées à la collecte . Celui-ci pourrait par exemple intervenir sur sollicitation des préfets selon l'intensité des échouages.

Recommandation n° 21 : Assurer un appui financier aux collectivités pour les doter de manière pérenne des moyens de collecte et de gestion des algues sargasses.

2. Des recherches nouvelles sur les causes, les conséquences et les moyens de lutte

Dans son précédent rapport, la délégation avait souligné l'importance de la recherche concernant les sargasses, tant sur la connaissance même du phénomène et de ses conséquences que sur la valorisation potentielle des algues ramassées . Les rapporteurs reconduisent à ce titre cet appel à soutenir les projets de recherche sur les sargasses.

Différents projets sont ou ont été menés. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), entendue par la délégation 160 ( * ) , conduit ou participe à plusieurs projets de recherche. L'agence a ainsi publié, en 2018, deux nouveaux appels à projets de 1 million d'euros chacun. L'agence s'est investie sur la question de la valorisation des algues ramassées, avec des études sur l'épandage, la méthanisation, l'amendement organico-calcaire, le bioplastique ou l'alimentation animale. La question du stockage et celle des métaux éventuellement retenus dans les algues sont cependant des éléments complexifiant la démarche.

Le CNRS et le LDA 26 conduisent également depuis 2018 une étude sur l'écotoxicité des sargasses (projet ECO3SAR) soutenu par l'ADEME et la collectivité territoriale de Martinique avec des tests de contamination arsenic et chlordécone en laboratoire, sur 40 sites prélevés en Martinique et en Guadeloupe.

Le BRGM porte lui le projet Solarcam (2018), soutenu notamment par l'ADEME, pour le suivi des échouages d'algues par un réseau de caméras sur certains sites particuliers.

En outre, un appel à projets piloté par l'Agence nationale de la recherche (ANR) « recherche, développement et innovation sargassum » de 15 millions d'euros a été lancé le 20 février associant les collectivités de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique, plusieurs structures régionales et internationales, dont l'ADEME et des agences brésiliennes. Le ministère des outre-mer précise que « cette initiative conjointe, première du genre par le périmètre de la communauté scientifique et économique qu'elle vise, doit permettre de créer une communauté de savoirs et d'expertises de référence sur la thématique des sargasses ».

Conférence internationale sur les sargasses

Issue d'une recommandation du sénateur de la Guadeloupe Dominique Théophile, la conférence internationale sur les sargasses s'est tenue du 23 au 26 octobre 2019 en Guadeloupe.

Cette conférence de trois jours avait vocation à :

- dresser un état des connaissances sur la thématique des sargasses et la télédétection, avec notamment l'annonce des lauréats de l'appel à projets « Sargassum » ;

- permettre un partage d'expériences et mettre en lumière des stratégies de lutte, collecte et valorisation de ces algues ;

- poser les jalons d'une stratégie commune entre les États et organisations de la Caraïbe.

Cette conférence s'inscrit dans le programme pluriannuel d'études et de surveillance que cofinance la région Guadeloupe avec le soutien des fonds européens Interreg.

La conférence a donné lieu à une résolution portant sur un « Programme caribéen sur les sargasses » financé par le fonds de coopération territoriale européenne (Interreg) et dont le chef de fil est la région Guadeloupe.

Source : Réponses du ministère des outre-mer au questionnaire des rapporteurs

Recommandation n° 22 : Poursuivre la recherche sur la connaissance des sargasses et les moyens de valorisation des algues échouées.


* 156 Déplacement à la Martinique du 20 au 23 avril et en Guadeloupe du 25 au 28 avril 2018.

* 157 Table ronde sur les sargasses, le 4 juillet 2019.

* 158 Rapport « La lutte contre les sargasses dans la grande Caraïbe : stratégies de prévention et de coopération régionale » de M. Dominique Théophile, sénateur de la Guadeloupe.

* 159 Audition de Frédéric Mortier, délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer, le 2 juillet 2019.

* 160 Table ronde sur les sargasses, le 4 juillet 2019.

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