Rapport d'information n° 131 (2019-2020) de Mme Sophie PRIMAS et M. Jean-Marie BOCKEL , fait au nom de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 19 novembre 2019

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N° 131

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2019


RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) et de la commission
des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (2) sur la
politique des lanceurs spatiaux ,

Par Mme Sophie PRIMAS et M. Jean-Marie BOCKEL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Agnès Constant, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi  Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, M. Jean-Claude Tissot .

(2) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Bernard Cazeau, Robert del Picchia, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; M. Olivier Cigolotti, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont , secrétaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Gilbert Bouchet, Michel Boutant, Olivier Cadic, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Édouard Courtial, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Paul Émorine, Bernard Fournier, Jean-Pierre Grand, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Rachel Mazuir, François Patriat, Gérard Poadja, Ladislas Poniatowski, Mmes Christine Prunaud, Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Hugues Saury, Bruno Sido, Rachid Temal, Raymond Vall, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Jean-Pierre Vial, Richard Yung .

CONTEXTE

Depuis le lancement, en 2014, du programme Ariane 6, les conditions de marché ont évolué. Le conseil de l'Agence spatiale européenne, qui se réunit au niveau ministériel les 27 et 28 novembre 2019, doit prendre des décisions importantes en vue d'adapter le programme au contexte.

C'est pour mieux en saisir les enjeux qu'un groupe de travail commun aux commissions des affaires économiques et des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, co-présidé par Sophie Primas (Les Républicains - Yvelines) et Jean-Marie Bockel (Union Centriste - Haut-Rhin) 1 ( * ) a été mis en place à l'issue d'une audition commune, par les deux commissions, du président du Centre national d'études spatiales (Cnes), Jean-Yves Le Gall, et du président d'ArianeGroup, André-Hubert Roussel, le 22 mai dernier. Les conclusions du groupe de travail ont été présentées aux deux commissions le 19 novembre.

AVANT-PROPOS

We want to open up space for humanity, and in order to do that, space must be affordable. ” / « Nous voulons permettre à l'humanité d'accéder à l'espace et, pour ce faire, l'espace doit être financièrement abordable » - Elon Musk, SpaceX

À la fin de cette année, nous fêterons le quarantième anniversaire du décollage d'Ariane 1. À cette date, selon le président du Cnes, Jean-Yves Le Gall, 250 fusées Ariane auront été lancées 2 ( * ) . Nous devons nous féliciter de ce beau succès européen. En quarante ans, de nombreux progrès ont été accomplis. Le lanceur européen n'a cessé d'augmenter ses capacités. Il a démontré sa fiabilité. L'Europe aura été la pionnière du spatial commercial : les Européens ont été visionnaires !

Mais la fierté ne doit pas conduire à l'aveuglement. De l'autre côté de l'Atlantique, une entreprise initialement développée sur fonds privés a réutilisé le premier étage de sa fusée pour la quatrième fois et prépare un lanceur censé permettre à l'humanité de devenir une « espèce interplanétaire ». L'objectif du Gouvernement américain est de remettre les pieds sur la Lune d'ici à 2024, alors que nous avons célébré cette année le cinquantième anniversaire du premier pas sur notre satellite. La Chine ne fait qu'augmenter ses capacités et ambitionne également de se rendre sur la Lune avant la fin de la décennie 2020. L'Inde poursuit également l'objectif d'une mission lunaire

En face, l'Europe peut donner l'impression d'être dépassée, car elle ne dispose ni de la rupture technologique, ni de l'ambition du vol habité. L'Europe spatiale semble parfois incarner, mieux que toute autre politique publique, la fameuse question prêtée à Henry Kissinger : « l'Europe, quel numéro de téléphone ? » 3 ( * ) . Pendant longtemps, nous avons fait mieux que les autres avec moins de moyens. Ce temps est-il révolu ? Les cycles d'innovation dans le secteur spatial se sont réduits, la concurrence est plus féroce que jamais. En conséquence, il faut produire mieux avec moins pour s'imposer sur le marché international et, ainsi, garantir notre autonomie d'accès à l'espace.

Pourquoi chercher à avoir accès à l'espace ? Cette question est soulevée par certains pays pour s'extraire de la dynamique européenne de la filière Ariane. Il faut cependant rappeler cette évidence : les missions scientifiques à réaliser à bord de la station spatiale internationale, l'exploration des exoplanètes, la météo, la navigation en temps réel, les communications en cas de catastrophe naturelle, la surveillance des cultures agricoles, la surveillance de l'environnement et, demain, internet dans les zones les plus reculées de nos territoires... Rien de tout cela ne serait possible sans lanceurs spatiaux. Aujourd'hui, nous avons recours, sans le savoir, 36 fois par jour à un satellite 4 ( * ) . L'économie spatiale devrait connaître une croissance impressionnante dans les prochaines décennies. En somme, c'est tant le besoin de connaissance et d'exploration que le fonctionnement de notre économie et de notre société au quotidien qui dépendent de l'accès à l'espace.

Pourquoi garantir une indépendance d'accès à l'espace ? Car notre souveraineté en dépend. Souvenons-nous qu'en 1974, nos alliés américains ont refusé de lancer un satellite franco-allemand qui avait vocation à faire l'objet d'une exploitation commerciale. Surtout, comme l'a rappelé la ministre des armées, Florence Parly, lors de la présentation de la stratégie spatiale de défense, notre capacité d'accès à l'espace est « indispensable à notre autonomie stratégique » : nos armées sont capables de communiquer, d'observer et de naviguer grâce à l'espace. Étant donné le contexte géopolitique actuel, on ne peut plus douter de la nécessité d'un accès autonome à l'espace.

Pour le garantir, nous devons ambitionner de rester les meilleurs sur un marché commercial de plus en plus concurrentiel. L'Europe spatiale n'a donc pas d'autre choix que de continuer à innover et à baisser les coûts en misant sur le réutilisable. Elle doit également revoir sa politique industrielle en posant une règle de « préférence européenne », en aménageant le principe du retour géographique et en évitant de créer une concurrence intra-européenne. Afin de préserver sa place de deuxième puissance spatiale du monde, elle doit enfin se doter d'une ambition à long terme.

De premières actions doivent être décidées lors de la réunion ministérielle du conseil de l'Agence spatiale européenne qui se tiendra à Séville les 27 et 28 novembre 2019 5 ( * ) . Elles s'inscrivent principalement dans un horizon de court terme. Mais elles préparent également le terrain pour que, dès 2022, l'Europe spatiale décide du développement d'un lanceur spatial réutilisable. Nous partons d'une feuille blanche. Pouvoirs publics et industriels devront être à la hauteur des enjeux. En somme, il faut renouer avec les fondamentaux d'Ariane.

I. ARIANE 6 NE POURRA PAS BÉNÉFICIER DES CONDITIONS FAVORABLES QU'A CONNUES ARIANE 5

La filière Ariane constitue un indéniable motif de fierté pour l'Europe spatiale. Mais on ne peut occulter que le dernier né de la famille, Ariane 5, a bénéficié d'un contexte très favorable, avec un marché porteur et une concurrence atone. Force est de constater que le contexte n'est aujourd'hui plus le même pour Ariane 6, dont la mise en service est prévue pour le second semestre 2020.

A. AVEC ARIANE, L'EUROPE A ÉTÉ PIONNIÈRE DU TRANSPORT SPATIAL COMMERCIAL

1. Ariane 5 : un succès technique et commercial

Le succès de la filière comprend trois principaux ingrédients : une famille de lanceurs, une entreprise de commercialisation des services de lancement et une base de lancement. Il convient de souligner également que l'industrie des lanceurs spatiaux s'est construite en France au cours des soixante dernières années sur des technologies duales, qui trouvent aussi une application militaire dans la conception, la fabrication et le maintien en condition opérationnelle des missiles balistiques nécessaires à la dissuasion nucléaire. Ces programmes civils et militaires apportent l'activité industrielle nécessaire au maintien des compétences et au niveau d'excellence de la filière européenne.

a) Ariane 5 s'est octroyé près de la moitié du marché commercial6 ( * ) accessible des satellites géostationnaires sur les dix dernières années

Le programme Ariane lancé en 1973 fait partie des trois premiers projets fondateurs de l'Agence spatiale européenne. Le vol inaugural de la première version, Ariane 1, a lieu le 24 décembre 1979. Elle a rapidement été remplacée par des versions plus puissantes, Ariane 2, Ariane 3 et Ariane 4, qui ont effectué leur premier vol respectivement en 1986, 1984 et 1988.

Développée à compter de 1987, Ariane 5 a effectué son premier vol en 1996. Le lanceur a notamment été conçu pour faire face à l'augmentation de la masse des satellites : c'est pourquoi il est capable de procéder à des lancements doubles de charges utiles dotées d'une masse allant aujourd'hui jusqu'à 10,7 tonnes en orbite de transfert géostationnaire (GTO pour Geosynchronous transfer Orbit ) 7 ( * ) . Ariane 5 ECA, conçu pour l'orbite GTO, est composé d'un étage principal cryotechnique (moteur Vulcain), de deux propulseurs d'appoint et d'un étage supérieur (moteur HM-7B, déjà utilisé pour Ariane 4) 8 ( * ) .

Source : Cnes.

Le lanceur a su s'imposer comme l'un des meilleurs du monde face aux 90 autres en service. Ainsi, sur les dix dernières années (2009 à 2018), avec neuf satellites commerciaux, Ariane 5 s'est octroyé près de la moitié du marché commercial accessible des satellites géostationnaires, se positionnant comme leader sur ce marché.

Durant cette période :

- Ariane 5 a réalisé en moyenne six vols par an (avec un maximum de sept vols en 2009 et en 2017) ;

- en moyenne, cinq de ces six vols annuels étaient dédiés à l'orbite géostationnaire et, dans la plupart des cas, réalisés en lancement double, ce qui représentait l'équivalent de dix satellites ;

- la répartition de ces dix satellites géostationnaires lancés annuellement par Ariane 5 est schématiquement la suivante : neuf satellites commerciaux (y compris institutionnels non européens) et un satellite institutionnel européen (essentiellement pour la défense ou la météorologie) ;

- la part institutionnelle européenne des lancements Ariane 5 a été de l'ordre de 25 % (correspondant à un lancement dédié en orbite non géostationnaire 9 ( * ) et à un satellite lancé en géostationnaire sur un lancement double).

Profil moyen d'une année d'exploitation d'Ariane 5 entre 2009 et 2018

Source : ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Les raisons de ce succès sont notamment imputables à ses qualités intrinsèques , en particulier :

- sa grande fiabilité , au regard de la réussite de la mission et de la précision de l'injection en orbite : il a effectué 100 lancements parfaitement réussis sur 105, pour seulement deux échecs complets, en 1996 et 2002, deux échecs partiels et une déviation de trajectoire ayant conduit à une anomalie d'injection en orbite des satellites, qui ont toutefois pu atteindre par la suite l'orbite prévue - cette fiabilité résultait de l'expérience accumulée grâce à Ariane 1 à 4, qui avaient connu, entre 1979 et 1996, 137 succès sur 144 lancements ; cet élément est également un avantage en termes de coûts, dans la mesure où le prix de l'assurance payée par le client est moindre ;

- son adaptation permanente à l'évolution du marché : ses performances sont ainsi passées de 6,1 tonnes à l'origine à près de 10,7 tonnes en orbite GTO aujourd'hui - la filière Ariane aura donc multiplié sa performance par six en quarante ans ; son volume disponible sous la coiffe a régulièrement augmenté ;

- sa capacité de lancement double , permettant de réduire les coûts de lancement, ce qui a longtemps constitué un avantage concurrentiel majeur - ce point comprend également quelques inconvénients du point de vue du client, qui peut devoir attendre qu'un autre client soit trouvé pour obtenir son lancement, dans la mesure où les deux charges utiles doivent être compatibles.

Hausse de la performance des lanceurs Ariane en quarante ans
(en nombre de kilos pouvant être lancés en orbite GTO)

Source : manuel d'utilisation d'Ariane 6

Ce succès provient également du choix effectué par l'Europe et la France de miser sur le secteur commercial en créant Arianespace 10 ( * ) dès 1980 comme outil de conquête de ce marché balbutiant. À l'heure où le spatial commercial fait l'objet de toutes les attentions outre-Atlantique, il faut le rappeler : la France et l'Europe ont été pionnières en créant une société dédiée à la commercialisation de services de lancement. Dès lors, la qualité de service proposée par Arianespace dans l'opération des lancements, le respect des dates de lancement et son expérience de la commercialisation des lanceurs furent un atout non négligeable pour Ariane 5.

Ce sont ces qualités qui ont d'ailleurs permis au lanceur d'obtenir de nouveaux contrats ces dernières années.

Devant les deux commissions, Jean-Yves Le Gall estimait, à raison que « ce succès commercial, politique, industriel, le monde entier nous l'envie ! », considérant que « nous faisons mieux que les autres avec des moyens moindres ».

b) Avec Soyouz et Vega, Arianespace est en mesure de couvrir la totalité du spectre des orbites

Si la grande majorité du chiffre d'affaires d'Arianespace provient d'Ariane 5, ce lanceur appartient, depuis les années 2010, à une famille de lanceurs commercialisés par l'entreprise de services de lancement. Ainsi, depuis l'adjonction de Soyouz et de Vega au portefeuille de solutions de transport spatial proposées par Arianespace au début des années 2010, l'entreprise est en mesure de lancer « toute masse, à toute orbite, à tout moment » 11 ( * ) . Ces deux lanceurs ont en effet principalement vocation à desservir les orbites basses (ou « LEO » pour Low Earth Orbit 12 ( * ) ) et moyennes (ou « MEO » pour Medium Earth Orbit 13 ( * ) ). Ainsi, Arianespace commercialise une famille de lanceurs pleinement complémentaires.

(1) Le lanceur moyen Soyouz

Entre 2003 et 2015, en application d'un accord inter-gouvernemental franco-russe, Arianespace a bénéficié d'une exclusivité d'exploitation commerciale sur le lanceur russe Soyouz , qu'elle pouvait lancer depuis le Centre spatial guyanais (CSG), port spatial de l'Europe. Cet accord s'inscrivait dans le cadre de la coopération euro-russe initiée en 1996 avec la création de Starsem , coentreprise russo-européenne qui assure l'exploitation commerciale de Soyouz à Baïkonour.

En conséquence, un programme de l'Agence spatiale européenne 14 ( * ) a été mené pour la construction du pas de tir Soyouz au CSG et l'adaptation du lanceur en vue de son exploitation par Arianespace sur ce site. Il comprenait également des activités liées au développement d'une version évoluée de Soyouz ( Soyouz 2-1b ) offrant une plus grande capacité d'emport. Les équipements spécifiquement dédiés à Soyouz sont fournis et installés par l'industrie russe, moyennant un contrat liant Arianespace à Roskosmos , qui donne lieu à la présence de plus de 100 ingénieurs russes en Guyane.

Soyouz a été lancé pour la première fois depuis le CSG le 21 octobre 2011 , mettant en orbite les deux premiers satellites de la constellation Galileo. Ce lanceur moyen complémentaire d'Ariane 5 permet la mise en orbite de petits satellites de télécommunications et de missions institutionnelles, dont les satellites sont désormais trop petits pour être lancées par Ariane 5. Selon la dernière brochure promotionnelle d'Arianespace, Soyouz peut réaliser les missions consistant à emmener des charges utiles de 3,25 tonnes en orbite GTO, de 4,4 tonnes en orbite basse et de 1,6 tonne en orbite moyenne.

L'accord de 2003 n'a pas été renouvelé et il est donc tombé le 31 décembre 2015. De ce fait, la Russie a confié à Glavkosmos la commercialisation des services de lancement Soyouz depuis Baïkonour et Vostochny, en compétition avec Arianespace.

(2) Le lanceur léger Vega

Le lanceur Vega a été développé par l'industriel italien Avio pour le compte de l'Agence spatiale européenne dès 2002. Il a effectué son premier vol en 2012 . Selon la dernière brochure publiée par Arianespace, il peut emmener une charge utile d'1,5 tonne en orbite polaire (700 km d'altitude).

Vega est composé de trois étages à propulsion solide et d'un étage supérieur à ergols stockables dont le moteur d'origine russo-ukrainienne est rallumable (AVUM). Les synergies entre Ariane 5 et Vega permettent de réduire les coûts : comme le remarquaient Bruno Sido et Catherine Procaccia en 2012, « le premier étage de Vega (P80) a le même diamètre que les étages à poudre (EAP) d'Ariane 5 et sa longueur totale est similaire à celle de l'un des plus longs segments des EAP, on utilise donc, pour le chargement en propergol et le transport du P80, les mêmes installations et équipements industriels que ceux destinés à Ariane 5 en Guyane » 15 ( * ) .

Vega a été dimensionné pour les besoins institutionnels européens, notamment pour les petites missions scientifiques de l'Agence spatiale européenne et les missions de la Commission européenne en observation de la Terre (Copernicus). La cadence cible du lanceur - 3 à 4 par an - correspond bien aux perspectives institutionnelles de l'Europe, consolidées par des opportunités commerciales. Vega est donc un lanceur relativement protégé des aléas du marché.

De plus, il évolue sur un segment de marché qui se développe (observation de la Terre, satellites légers en orbite basse). De fait, selon Avio , sur les 14 succès de la fusée, la moitié des lancements ont eu lieu pour répondre à un besoin institutionnel européen, le reste provenant de clients institutionnels extra-européens et de clients commerciaux.

Vega est aussi arrivé au bon moment, puisqu'il n'existe pas beaucoup d'offre fiable sur ce segment du marché : les petits lanceurs américains ( Minotaur et Pegasus de Northrop Grumman Innovation Systems ( NGIS )) éprouvés ne peuvent pas desservir le marché commercial (utilisant des missiles balistiques intercontinentaux reconvertis, ils ne peuvent lancer des charges utiles autres qu'américaines) ; en Inde, la production du PSLV est dimensionnée exclusivement pour les besoins institutionnels nationaux ; le Japon a mis un terme à la fabrication du petit lanceur MV et le prix de son successeur ( Epsilon ) reste élevé ; la Chine est confrontée à des problèmes de contrôle à l'exportation (voir ci-dessous) ; la Russie n'a aucun lanceur disponible (la filière ICBM a été interrompue pour des raisons techniques et politiques, le lanceur de remplacement Angara n'est pas prêt).

Cela lui a notamment permis d'occuper une position que l'entreprise estime entre 20 et 25 % du marché ouvert en orbite basse pour sa capacité d'emport. La recette de son succès réside dans le développement de solutions technologiques simples avec une fibre de carbone réalisée par l'industriel italien et une propulsion solide bénéficiant de l'expérience accumulée par les industriels européens pour les lanceurs Ariane. En dépit de son premier échec le 11 juillet dernier, Vega a connu 14 succès d'affilée.

À l'avenir cependant, la concurrence sur ce marché est appelée à augmenter, notamment à travers les éléments suivants :

- la privatisation annoncée et l'augmentation prévue de la production du lanceur indien PSLV , au prix moyen déjà compétitif et capitalisant sur vingt-cinq ans de succès ;

- l'arrivée sur le marché de Rocketlab et de son lanceur Electron , et peut-être d'autres lanceurs américains ne reposant pas sur la technologie des missiles ;

- l'offre systématique d'occasions de vol sur plusieurs lanceurs, dans le cadre d'offres dites de « Rideshare » 16 ( * ) ou en tant que charges utiles auxiliaires, avec une capacité d'emport avoisinant celle de Vega du fait d'une tendance à la diminution de la masse de la charge utile principale ;

- le développement de charges utiles basées sur des plateformes sans composants américains, et pouvant par conséquent recourir à des services de lancement chinois.

c) Un succès qui s'appuie sur le Centre spatial guyanais

Le port spatial de l'Europe est une infrastructure stratégique dont l'emplacement nous est envié partout dans le monde du fait de sa proximité avec l'équateur, qui permet de placer en orbite des charges utiles en utilisant moins de carburant du fait de la vitesse de rotation de la Terre et ce, à l'abri des ouragans et tremblements de terre. Comme le remarquait un rapport d'Henri Revol 17 ( * ) , il dispose également d'« une très large ouverture sur l'océan Atlantique (qui) autorise toutes les inclinaisons de l'orbite avec des lancements aussi bien vers l'Est (pour l'orbite géostationnaire) que vers le Nord (pour l'orbite polaire), et avec un minimum de risques pour les biens et les personnes ».

Comme toute base de lancement spatial, il permet d'intégrer les lanceurs, de gérer l'alimentation en ergols du lanceur et de placer les charges utiles dans les lanceurs. Opérationnel depuis 1968, il est aujourd'hui doté de trois bases de lancement pour chacun des trois lanceurs opérés (ELA 3 pour Ariane 5, ELV pour Vega et ELS pour Soyouz ) 18 ( * ) , lui donnant une capacité totale de lancement de l'ordre de 10 à 12 par an, ce qui peut parfois être un handicap - ainsi Arianespace a dû prévoir l'utilisation de Baïkonour pour honorer le contrat de lancement signé avec OneWeb en 2016.

Il est opéré par le Cnes pour le compte de l'Agence spatiale européenne, propriétaire des infrastructures de lancement. L'Agence finance les deux tiers des coûts fixes et contribue au financement des pas de tir. Celui d'Ariane 6, dit « ELA4 », est actuellement en construction.

2. Ariane 6 : une solution de continuité

Afin de moderniser le lanceur lourd européen face à l'émergence de nouveaux concurrents, la réunion ministérielle de Luxembourg du conseil d'administration de l'Agence spatiale européenne en décembre 2014 a acté, quinze ans après la fin du développement d'Ariane 5, la création du programme Ariane 6 et d'un programme de transition entre Ariane 5 et Ariane 6. Cette décision est le fruit de réflexions qui ont duré plusieurs années et qui ont souligné les oppositions entre les membres du secteur spatial européen, entre États et au sein des États, à une époque où le scepticisme était de mise sur l'entreprise d'Elon Musk en elle-même et quant à sa capacité à profiter d'un modèle de réutilisation dont elle n'avait, à l'époque, pas encore démontré la pertinence.

En simplifiant à l'extrême, deux solutions étaient proposées 19 ( * ) :

- le développement d'un nouveau lanceur dit « PPH » (poudre-poudre-hydrogène), dominé par la propulsion à poudre d'une capacité d'emport de six tonnes, sans modularité et sans capacité de lancement double, mais permettant de réduire les coûts 20 ( * ) et d'augmenter les cadences, qui avait les faveurs de l'agence spatiale française et de l'Italie ;

- l'industrie et l'Allemagne défendaient une évolution d'Ariane, dite Ariane 5 « ME » (pour Midlife Evolution ), qui consistait à accroître les performances d'Ariane 5, mais la diminution du coût proposée n'était pas suffisante.

Entre 2012 et 2014, ces deux solutions ont été étudiées en parallèle, avec un facteur commun : l'étage supérieur commun.

C'est finalement une troisième voie qui a été retenue : un nouveau lanceur suivant une architecture proche de celle d'Ariane 5 - dite « PHH » ( boosters à propulsion solide et étages central et supérieur à propulsion liquide), avec :

- un étage central proche de celui d'Ariane 5 et comportant le même moteur en version améliorée (Vulcain 2.1) ;

- une plus grande flexibilité de mise en orbite grâce au moteur Vinci à propulsion liquide rallumable sur l'étage supérieur ;

- une plus grande modularité, le lanceur étant disponible en deux versions - moyenne, et lourde.

Dans le contexte de 2014, il fallait un lanceur moins cher, adapté aux missions européennes et qui arrive le plus vite possible sur le marché. Lors de son audition par le groupe de travail, Stéphane Israël a cité les mots de l'ancien directeur général de l'Agence spatiale européenne, Jean-Jacques Dordain, selon qui « il n'y avait pas de meilleur choix possible » !

Le coût de ce programme était alors estimé à 4 milliards d'euros , auxquels sont venus s'ajouter 431 millions d'euros décidés lors de la réunion ministérielle de Lucerne en 2016 et 376 millions d'euros acté par le conseil d'administration de l'Agence en juin 2018, soit un total de 4,8 milliards d'euros 21 ( * ) .

Le premier objectif poursuivi par ce nouveau lanceur est la réduction des coûts de 40 à 50 % par rapport au coût du kilo mis en orbite par Ariane 5 à cette date 22 ( * ) . Cela passe par plusieurs vecteurs, comme l'assemblage du lanceur à l'horizontale plutôt qu'à la verticale, l'automatisation de la production, mais aussi et surtout le propulseur à poudre utilisé sur les lanceurs Ariane 62, Ariane 64 et Vega C (le P120C) et développé conjointement par ArianeGroup et l'italien Avio , via leur coentreprise Europropulsion. En plus des économies d'échelles, ce propulseur commun permettra une augmentation des cadences de production 23 ( * ) . Par ailleurs, ArianeGroup est en train de réduire sa masse salariale en supprimant 2 300 postes sur quatre ans, principalement en ne remplaçant pas les départs à la retraite, les démissions ou les fins de contrats courts.

Vega C

Vega C est essentiellement une évolution par le haut de Vega avec une capacité d'emport supérieure (en masse - passage de 1 500 kilos à 2 300 kilos - et en volume) à celle de Vega pour un prix équivalent (de l'ordre de 30 millions de dollars), qui permettra au petit lanceur d'augmenter sa part de marché, institutionnelle comme commerciale. Cependant, la campagne de lancement d'un Vega C étant relativement longue, l'entreprise n'imagine pas un nombre de lancements supérieur à six par an.

La principale innovation consiste à utiliser en premier étage le moteur P120C (doté du « solid rocket motor ») qui doit servir à la fois pour les boosters des futures Ariane 62 et 64 et pour le premier étage de la fusée italienne Vega C. Il est dérivé de l'actuel P80 qui équipe la fusée Vega. Une trentaine de ces équipements pourraient être produits par an (principalement en Italie). Les deux premiers tirs d'essai, en juillet 2018 et janvier 2019, ont servi à le qualifier pour Vega C, dont le vol inaugural était initialement prévu fin 2019.

Selon le Cnes, sur la décennie 2020, on peut s'attendre à trois à quatre commandes institutionnelles par an pour Vega C.

Le deuxième objectif est celui de répondre aux évolutions d'un marché incertain 24 ( * ) . Cela se traduit par la modularité et la flexibilité du lanceur.

Ariane 6 renoue avec le concept de lanceur modulable déjà utilisé en Europe avec Ariane 4. Il sera disponible en deux versions :

- Ariane 62 , avec deux propulseurs à poudre, principalement destinée aux lancements institutionnels mais qui pourra également répondre au marché non géostationnaire en particulier au futur segment de marché des constellations, avec une capacité d'emport de 7 tonnes en orbite héliosynchrone et de 5 tonnes en orbite GTO ;

- et Ariane 64 , avec quatre propulseurs à poudre, essentiellement destinée aux lancements doubles en orbite géostationnaire, avec une capacité d'emport en orbite GTO allant jusqu'à 11,5 tonnes.

Source : manuel d'utilisation d'Ariane 6

Cette modularité aura également l'avantage de consolider la souveraineté européenne sur les lanceurs, Ariane 62 ayant vocation à remplacer Soyouz . L'exploitation de Soyouz en Guyane devrait s'arrêter une fois Ariane 6 pleinement qualifié pour les missions réalisées aujourd'hui par Soyouz . À ce jour, la fin d'exploitation de ce lanceur en Guyane est prévue par Arianespace en 2023. La décision finale appartiendra cependant à l'entreprise, qui se déterminera en fonction de la situation sur le marché commercial et des conditions financières d'exploitation du lanceur. Si Arianespace décide d'arrêter l'exploitation de Soyouz , les États membres de l'Agence spatiale européenne ayant participé à la construction des installations de lancement dédiées statueront sur le devenir de l'Ensemble de lancement Soyouz (ELS) du CSG. Aucune décision sur ce point n'est prévue avant 2022.

Le lanceur est également flexible, grâce à la capacité de rallumage du moteur de l'étage supérieur (le moteur Vinci, développé depuis 2008 et qui devait servir à Ariane 5 ME), gage de plus de souplesse et d'une plus grande précision dans l'injection en orbite (ce qui couvre la possibilité d'atteindre différentes orbites en un seul lancement ou de rejoindre directement l'orbite géostationnaire). Comme rappelé par André-Hubert Roussel lors de son audition du 22 mai dernier, le groupe auxiliaire de puissance ( Auxiliary Power Unit ) chargé d'augmenter la poussée de l'étage supérieur renforcera également la capacité à placer des constellations successivement sur différents plans d'orbite. Ces innovations permettront à Ariane 6 de réaliser des missions qu'Ariane 5 ne peut pas faire aujourd'hui, notamment le lancement de satellites appartenant à des constellations.

Grâce à des développements supplémentaires décidés en 2016, le lanceur est prêt à répondre à la croissance des petits satellites en proposant à leurs exploitants des positions de passager auxiliaire (voir ci-dessous).

De plus, les performances du lanceur seront améliorées, de l'ordre d' une à deux tonnes supplémentaires en orbite de transfert géostationnaire ; la rapidité des campagnes de lancement sera accrue : elle sera fixée à 15 jours maximum, contre 20 jours aujourd'hui.

Enfin, la performance environnementale du lanceur sera améliorée, à travers la désorbitation systématique de l'étage supérieur. Comme le rappelle l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dans une note récente sur les lanceurs réutilisables : « avec Ariane 5, les trajectoires sont contraintes de façon à libérer l'orbite des éléments accessoires des lancements en moins de 25 ans. Avec Ariane 6, un pas supplémentaire sera franchi avec une rentrée atmosphérique systématique de l'étage supérieur après lancement, au prix d'une perte de performance ». Cela se fait au prix d'une perte de performance, mais il s'agit d'un choix bienvenu et assumé par l'Europe de réduire les débris spatiaux.

B. LE CONTEXTE EST AUJOURD'HUI BIEN PLUS ADVERSE

1. Un marché incertain exigeant des solutions flexibles et adaptées aux besoins des clients

Les perspectives de l'économie spatiale font l'objet d'un optimisme généralement partagé : elle devrait connaître une multiplication par un facteur compris entre trois et sept dans les trente prochaines années 25 ( * ) . Les grandes banques d'investissement y voient la « dernière frontière » de l'investissement, adaptée aux investisseurs de long terme.

L'année 2018 a été celle d'un nombre de lancement inédit depuis 1990, à 112 lancements orbitaux réussis, soit une hausse de 27 % sur un an, tendance qui pourrait perdurer dans les années à venir. Cependant, le marché des services de lancement commerciaux fait l'objet d'un certain attentisme.

Le marché commercial en orbite GTO , coeur de cible historique d'Ariane et représentant l'essentiel du marché du lancement spatial commercial en valeur a connu, ces dernières années, « un effondrement » 26 ( * ) tel qu'aucun acteur ne l'avait prévu :

- selon l'Agence spatiale européenne, alors que l'on dénombrait encore 17 contrats de lancement en orbite géostationnaire ouverts à la concurrence en 2017 (contre 12 en 2016 et 24 en 2015), seuls 7 contrats de lancement en orbite géostationnaire ont fait l'objet d'une mise en concurrence en 2018, soit une division par près de 3,5 du marché en quatre ans ;

- selon le Cnes, entre 7 et 9 commandes de satellites destinés à l'orbite géostationnaire ont été passées par an entre 2017 et 2019, contre 20 à 25 commandes par an sur la décennie précédente, soit une division entre 3,5 et 2,2 du marché - ces satellites seront lancés à partir de 2020 de façon échelonnée ;

- selon le Cnes, le nombre de lancement de satellites commerciaux en orbite géostationnaire est passé d'une vingtaine par an à entre 6 et 8 ces dernières années, soit une division par plus de deux .

D'ailleurs, les trois grands opérateurs de satellites en orbite géostationnaire que sont Intelsat, Eutelsat et SES, connaissent un chiffre d'affaires atone ou décroissant ces dernières années.

Chiffre d'affaires des trois grands opérateurs de satellites
sur les trois dernières années
(en millions de dollars)

Source : rapports annuels des sociétés.
NB : Eutelsat clôturant ses comptes en juin de chaque année,
les chiffres présentés concernent les exercices 2016-2017, 2017-2018 et 2018-2019.

L'année 2019 montre qu'un rebond s'amorce , mais si Cnes et Arianespace ne tablent pas sur un retour aux niveaux antérieurs : les prévisions actuelles font état de 15 satellites destinés à l'orbite géostationnaire commandés chaque année en moyenne entre 2020 et 2025. Ainsi, alors qu'Ariane 5 a bénéficié d'un marché porteur avec le développement des télécommunications spatiales (téléphonie, TV directe), Ariane 6 devra faire face à un marché en orbite GTO moins dynamique.

Dans le même temps, le marché non géostationnaire confirme sa tendance à la hausse, mais selon un rythme qui reste inférieur aux prévisions . Historiquement, le marché du non géostationnaire était encore plus fermé que le marché de l'orbite GTO. En conséquence, la place pour les lancements commerciaux était limitée.

Aujourd'hui, selon l'industriel italien Avio , le marché des satellites en orbite basse et d'une masse inférieure à 500 kilos devrait connaître une croissance de 10 % par an durant les dix prochaines années. Cela résulte de deux évolutions, dont les fondamentaux sont encore fragiles :

- les projets de constellations de satellites en orbite basse, qui se multiplient. Cependant, la viabilité économique de ces projets est encore incertaine, y compris pour ceux les plus avancés - comme l'a montré cet été la dépréciation d'actifs opérée par Softbank sur sa participation dans la constellation OneWeb .

- le lancement de petits satellites, qui a connu ces dernières années une forte hausse de la demande, en particulier dans la catégorie des charges utiles de moins de 10 kilos en raison de la miniaturisation des technologies et du fort développement des applications spatiales. Cependant, il ne s'agit pas d'un marché d'une très grande importance : selon Arianespace, hors constellations, le marché des satellites de 0 à 200 kilos ne représente qu'un marché d'environ 140 millions de dollars par an 27 ( * ) . Il vise principalement à accompagner l'accès à l'espace des acteurs institutionnels qui n'en avaient les moyens (université, pays qui débutent dans l'espace) et des petits acteurs innovants qui pourront se révéler plus tard des clients importants pour des services de lancement plus rémunérateurs.

Ariane 6 et Vega C : une réponse adaptée au lancement des petits satellites 28 ( * )

Des systèmes d'emport de petits satellites sont en développement pour Ariane 6 et Vega C dans le cadre de l' initiative LLL entérinée à l'occasion du conseil de l'Agence spatiale européenne siégeant au niveau ministériel qui s'est tenu à Lucerne en décembre 2016. Cette initiative couvre les activités suivantes :

- définition de services de lancement européens standardisés (mêmes interfaces utilisateurs et contraintes de service, équipements communs, harmonisation des procédés de fabrication et des procédures d'intégration et de conduite des missions) pour les satellites légers et rédaction des spécifications applicables aux éléments de ces services de lancement, avec une parfaite coordination entre Ariane 6 et Vega C ;

- vols spécifiques de validation des concepts MLS ( Multi-Launch Service ) sur Ariane 6 29 ( * ) et SSMS ( Small Spacecraft Mission Service , consistant en un dispenseur modulaire en fibre de carbone) pour Vega 30 ( * ) puis Vega C, destinés à démontrer et valider des services standard innovants pour des missions institutionnelles européennes ;

- mise en place d'un service économiquement viable à l'issue des vols de validation de concept.

Mais ces prévisions sont relativement incertaines . Il est en revanche certain que les charges utiles évoluent 31 ( * ) : la masse des satellites lancés a tendance à se réduire (en orbite GTO, passage de 6 à 3 tonnes), de même que leur volume ; ils pourront être reconfigurables et plus agiles grâce, notamment, à la propulsion électrique. Leur usage change aussi : alors que les satellites commerciaux lancés en orbite géostationnaire visaient, hier, principalement à permettre la réception de la télévision, les projets en développement visent, aujourd'hui, à améliorer la connectivité par internet. À long terme, certains États et entreprises misent également sur les perspectives d'exploitation des ressources spatiales.

Source : Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) .

Note de lecture : si les nanosatellites représentent aujourd'hui plus de la moitié des satellites lancés en une année, ils ne représentent que 0,25 % de la masse totale envoyée dans l'espace (moins d'une tonne).

Précision : s'agissant des satellites d'une masse supérieure à une tonne, 40 % sont envoyés en orbite géostationnaire, 27 % vers la station spatiale internationale et 11 % en orbite basse.

Cette incertitude rend nécessaire de proposer des services flexibles (variété plus importante de tailles de charge utile, de paramètres d'injection) et adaptés aux besoins des clients (injection directe, mises en orbite « personnalisées »...).

2. Une concurrence vive exerçant une pression à la baisse sur les prix...

Ariane 5 a bénéficié, comme le notait Henri Revol en 2001 32 ( * ) , « d'une conjoncture extrêmement favorable », c'est-à-dire d'une faible concurrence : les lanceurs américains capables de lancer en orbite GTO (ex. : lanceur Atlas V de United Launch Alliance ( ULA )) n'étaient pas particulièrement présents sur le marché commercial, privilégiant un marché national plus rémunérateur ; le lanceur japonais était trop cher ; les lanceurs chinois étaient écartés d'office au titre de la législation américaine de contrôle à l'exportation (ITAR), qui interdit de lancer tout satellite qui embarque des brevets américains ; et les lanceurs indiens disposaient d'une capacité d'emport insuffisante.

Seuls les lanceurs russes étaient implantés sur le marché, si bien que pendant près d'une décennie, le marché a été un duopole tenu par Ariane 5 et ses concurrents russes . Avec la faillite de Sea Launch en 2009, qui commercialisait le lanceur Zenit-3SL , et les problèmes récurrents de qualité du Proton commercialisé par ILS (pour International Launch Services , société américaine majoritairement détenue par le fabricant du lanceur, GKNPZ Khrounitchev ), Ariane 5 s'est retrouvé le seul lanceur fiable en mesure de répondre, dans les temps, à la demande de lancements en orbite géostationnaire . Cette époque est révolue.

a) L'arrivée de SpaceX, premier représentant du « New Space », a bouleversé le marché commercial

L'entreprise SpaceX 33 ( * ) a été créée en 2002 par Elon Musk, le co-fondateur de Paypal et le fondateur de Tesla . Elle a connu une ascension fulgurante , là où d'autres sociétés privées de lanceurs ont échoué (ex. : Beal Aerospace ) ou ont dû faire face à d'importantes difficultés (ex. : Rocketplane Kistler ). Elle est ainsi passée de quelques personnes en 2002 à 6 000 employés aujourd'hui et ce, grâce à son principal lanceur : le Falcon 9 .

Le succès de l'entreprise a crédibilisé ce qu'on appelle le « New Space » , ces jeunes acteurs du spatial qui se sont développés en partie sur financements privés 34 ( * ) . Comme le souligne l'Onera « cette « révolution dans les affaires spatiales », appelée parfois New Space , a été très largement ignorée ou du moins sous-estimée par les acteurs européens du domaine » 35 ( * ) . Il faut en effet reconnaître les performances et le sens de la prise de risque de ces entrepreneurs, qui assument de réduire au maximum la durée de développement et de mettre en oeuvre des technologies les plus avancées dès leur disponibilité 36 ( * ) .

Le modèle économique de SpaceX repose sur la production en série sur un même site , avec une intégration verticale poussée à l'extrême (l'entreprise fabrique et commercialise) et peu ou pas de sous-traitants, ce qui permet à SpaceX de contrôler toute la chaîne de conception et de fabrication du lanceur, selon une approche qui se veut délibérément « low cost » et, à bien des égards, inspirée du monde aéronautique.

Après les développements du Falcon 1 (premier vol réussi en 2008), la fusée Falcon 9 a réussi son premier vol en 2010, soit huit ans après la création de la société. Le Falcon 9 n'a que deux étages au lieu de quatre pour Ariane 5/6 et un seul type de moteur, contre trois pour Ariane. C'est la première fois qu'une fusée bi-étage est capable de placer des charges utiles en orbite GTO . Même sans réutilisation, le Falcon 9 dans sa conception consommable est déjà un redoutable concurrent d'Ariane grâce à sa simplicité (utilisation d'un seul moteur « Merlin » pour l'ensemble du lanceur - il est monté « en grappes » sur l'étage principal) et à sa capacité à réaliser des missions variées avec une configuration unique de lanceur, comme le montre la planche ci-dessous.

Source : Cnes (décompte sur la période 2010-2018)

En six ans, la performance du lanceur a été multipliée par 2,4. En comptant la Falcon Heavy , qui assemble trois étages principaux de Falcon 9 et a été mise en service en 2018, SpaceX a multiplié la capacité d'emport en orbite de transfert géostationnaire de son lanceur par un facteur de presque huit en huit ans 37 ( * ) .

Évolution de la performance du Falcon 9 en six ans
(en nombre de kilos pouvant être lancés en orbite GTO)

Le Falcon 9 s'est d'abord appuyé sur le très important marché institutionnel américain . Il a ainsi démarré sa carrière en 2010 avec une version 1.0, modeste 38 ( * ) et utilisée uniquement par la National Aeronautics and Space Administration (Nasa) pour le lancement de la capsule Dragon 39 ( * ) chargée de ravitailler la station spatiale internationale. Trois vols de démonstration ont été effectués entre 2010 et 2012. Un premier contrat de 12 lancements réalisés entre 2012 et 2017 a été signé avec la Nasa en 2008, puis un nouveau contrat pour 14 lancements supplémentaires à réaliser entre 2017 et 2024, avec une version améliorée de la capsule Dragon permettant d'envoyer des humains en orbite ( Dragon 2 ou Crew Dragon ) et, ainsi, de mettre fin à la dépendance des États-Unis en la matière à l'égard des Russes ( Roscosmos et le lanceur Soyouz ) depuis l'échec de la navette spatiale et son arrêt en 2011. Quelques missions unitaires ont été remportées par SpaceX (programme National Launch System (NLS) de la Nasa et National Security Space Launch (NSSL) du DoD ), à partir de 2015, représentant entre un et deux vols par an. SpaceX a donc profondément réorganisé le marché institutionnel américain des lanceurs lourds, qui était occupé, depuis 2005, par United Launch Alliance, la coentreprise formée par les deux principaux contractants historiques du Pentagone, Boeing et Lockheed Martin .

À compter de fin 2013, SpaceX est entrée sur le marché commercial avec une version 1.1 plus performante 40 ( * ) et compatible avec la moitié des satellites de l'époque. Quelques opérateurs de satellites commerciaux, dont SES, ont rapidement tenté l'expérience.

Ces vols commerciaux ont accompagné une montée en cadence : 3 en 2013, 6 en 2014, 7 en 2015. À partir de 2016, l'arrivée de la version 1.2 « pleine poussée » a permis d'accroître significativement la performance et d'introduire la réutilisation 41 ( * ) . La cadence a alors augmenté fortement : 9 en 2016, 18 en 2017, 21 en 2018. En six ans, la cadence de lancement a donc été multipliée par sept . Depuis 2018 SpaceX détient le record du plus grand nombre de lancements jamais effectués par un opérateur en une année. La société aurait réalisée à elle seule 19 % des lancements mondiaux 42 ( * ) .

Ce succès commercial s'explique notamment par une politique de prix très agressive : SpaceX a divisé le prix d'un lancement par trois , en proposant des lancements entre 50 et 60 millions de dollars 43 ( * ) . En cas de compétition avec Arianespace, l'entreprise n'hésite pas à baisser ses prix jusqu'à des records historiques : elle aurait ainsi récemment proposé un lancement à moins de 50 millions de dollars pour placer un satellite lourd en orbite GTO... Or, selon les chiffres publiés par voie de presse, un lancement d'Ariane 5 ECA était généralement facturé 150 millions de dollars. Même en effectuant un lancement double, le prix payé resterait près de deux fois plus élevé 44 ( * ) .

Comparaison des prix de lancement en orbite GTO pratiqués par SpaceX avec son Falcon 9 et Arianespace avec Ariane 5 (en millions de dollars)

÷ 3

Sources : articles de presse

Avec la montée en puissance de SpaceX et de son lanceur Falcon 9 , la situation de quasi-monopole d'Arianespace s'est donc peu à peu transformée en duopole . Cependant, Ariane 5 résiste à l'offensive :

- en 2018, SpaceX a lancé autant de satellites géostationnaires (en lancement simple) qu'Ariane 5 (en lancement double) 45 ( * ) ;

- selon les données transmises aux rapporteurs par l'Agence spatiale européenne, Arianespace reste cependant leader sur le marché ouvert des satellites à placer en orbite géostationnaire en 2018 : sur les 7 contrats de lancement en orbite géostationnaire ouverts à la concurrence sur le marché commercial en 2018, Arianespace en a remporté cinq, les deux autres ayant été attribués respectivement à SpaceX et à United Launch Alliance .

b) La concurrence sur le marché commercial mondial ouvert devrait encore s'accroître

Au-delà de SpaceX , il faut s'attendre à une multiplication des acteurs et à un accroissement de la concurrence sur le marché commercial . Cela résulte de plusieurs facteurs.

D'abord, comme souligné par le Cnes, « toutes les grandes puissances spatiales sont en phase de renouvellement de leurs flottes de lanceurs pour assurer leurs besoins propres et en même temps entrer sur le marché commercial » . C'est notamment le cas :

- du Japon, qui tente de réduire les coûts de lancement de son lanceur H2 en développant la fusée H3 , au succès non avéré pour l'instant en l'absence de contrats sur le marché commercial ;

- de la Russie : si des problèmes de qualité ont écarté cet acteur du marché sur la période récente, la réorganisation pilotée par Glavkosmos laisse présager un rôle plus actif, à travers l'offre systématique de capacité non utilisée (lancement partagé avec un passager principal institutionnel russe), notamment sur Soyouz et une reprise de l'activité commerciale après la transition entre Proton et Angara ; une Soyouz 5 est également en projet ;

- de l'Inde, avec la montée en puissance du GSLV , même s'il n'a pas encore la puissance et la cadence pour lancer l'ensemble des satellites indiens - ce qui amène l'agence spatiale indienne, l' ISRO , à faire appel à Arianespace plutôt que de recourir à sa filiale de services de lancement Antrix .

Si la réglementation américaine ITAR 46 ( * ) constitue toujours un obstacle à la pénétration de la Chine et de sa famille de lanceurs « Longue marche » - qui couvre l'ensemble du spectre des orbites - sur une grande partie du marché commercial, cet acteur doit cependant être suivi avec attention : les Chinois sont parvenus à devenir une puissance spatiale de premier ordre en lançant plus que les États-Unis pour la première fois en 2018 (39 lancements pour la Chine contre 34 pour les États-Unis 47 ( * ) ) et ils ont prouvé leurs capacités technologiques, du micro-lanceur au vol habité en passant par les capacités spatiales militaires et l'exploration, le tout en autofinancement complet.

Ensuite, l'augmentation du nombre de concurrents sur chacun des marchés institutionnels captifs . Tout en s'appuyant sur un solide volant de commandes publiques, les acteurs présents sur le marché institutionnel, désormais concurrencés par d'autres acteurs nationaux, sont contraints de se positionner également sur le marché commercial, ce qui n'était pas le cas au cours des dernières décennies.

C'est particulièrement le cas aux États-Unis : plus de quatre concurrents sont en lice dans le cadre de l'appel d'offres émis au titre du programme NSSL en vue de sélectionner deux fournisseurs de services de lancement lourd. Le niveau élevé des financements publics a en effet favorisé le développement de quatre lanceurs lourds ( Falcon de SpaceX , Vulcan de ULA , New Glenn de Blue Origin (New Glenn) et OmegA, de Northrop Grumman Innovation Systems ), un nombre supérieur aux besoins du marché intérieur américain. Il est probable que SpaceX ne parvienne pas à augmenter sa part sur le marché domestique américain (estimée entre 15 et 20 missions par an), la Nasa et le DoD préférant maintenir plusieurs fournisseurs de lancements. La pression que SpaceX exerce sur le marché commercial a donc toutes les raisons de rester forte.

Le New Glenn de Blue Origin pourrait devenir un concurrent sérieux

En 2000, Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon, a créé Blue Origin . L'entreprise a d'abord développé le lanceur réutilisable New Shepard , destiné au tourisme suborbital 48 ( * ) . Fin septembre, la société annonçait devoir encore effectuer deux lancements de test avant le premier lancement commercial.

En 2021, Blue Origin commercialisera le lanceur lourd réutilisable New Glenn . Contrairement à SpaceX , la société développe entièrement les moteurs BE-3 et BE-4. Si elle semble accuser des retards, il n'en demeure pas moins que son fondateur investit plus de 1 milliard de dollars par an et que, si son pari réussit, ses lanceurs seront aussi des concurrents très sérieux pour Arianespace 49 ( * ) . Du reste, elle pratique d'ores et déjà, avant même que le lanceur ne soit développé, des prix d'appel très agressifs pour l'obtention de ses premiers contrats commerciaux.

Le principal argument de vente mis en avant pour la fusée New Glenn est son volume sous coiffe, qui permet le déploiement initial de mégaconstellations - et en particulier le projet d'Amazon de constellation en orbite basse dénommé « Kuiper », dotée de 3 236 satellites en vue de fournir une connexion internet à très haut débit partout dans le monde 50 ( * ) - et le lancement multiple de grandes charges utiles en orbite géostationnaire. Ce lanceur pourrait cependant s'avérer surdimensionné pour des charges utiles plus « classiques ».

Prochains lanceurs en service

Falcon 9

Falcon Heavy

New Glenn

Vulcan

OmegA

Angara 5

Longue Marche 5

H3

GSLV

8,3

26,7

13

13,3

10,1

4

13

6,5

6

En service

En service

2021

2021

2021

2020

2020

2022

En service

Sources publiques. Note de lecture : le lanceur Falcon 9 dispose d'une capacité d'emport en orbite de transfert géostationnaire de 8,3 tonnes et est déjà en service.

S'ajoutent à cette concurrence sur les lanceurs lourds deux autres éléments :

- la diminution de la taille de certains satellites déjà évoquée soumet les grands lanceurs à la concurrence de lanceurs plus petits, notamment à travers des offres de « rideshare » 51 ( * ) .

- les partenariats qui pourraient naître entre petits lanceurs et nouveaux remorqueurs spatiaux, permettant à de nouveaux acteurs d'accéder plus facilement au marché des lancements en orbite géostationnaire.

En conséquence, la tendance à la baisse des prix déjà observée pourrait se renforcer , l'offre augmentant alors que la demande diminue. De plus, au-delà des pratiques commerciales agressives ponctuelles, c'est désormais une tendance de fond : l'accès à l'espace doit être moins cher pour devenir un service standardisé, une « commodity » au sens économique du terme, et permettre l'essor de l'économie spatiale. Selon Bank of America - Merril Lynch , sur le long terme, le coût du lancement d'un kilo en orbite basse est passé de 10 000 dollars en 1967 avec Saturn V à 2 600 dollars en 2016 avec le Falcon 9 v.1.2 .

Source : Bank of America - Merril Lynch, To infinity and beyond, Global space primer, octobre 2017

Il ne faut cependant pas se leurrer : à ce jour, cette tendance ne reflète pas exclusivement une tendance « naturelle » de marché.

3. ...et bénéficiant d'un soutien public important

Les entrepreneurs du « New Space » bénéficient d'un soutien financier substantiel de la part de leur Gouvernement , à travers la Nasa et le ministère de la défense ( DoD, pour Department of Defense ). Il résulte d'une forme de pari de l'administration américaine au cours des années 2000-2010 visant à confier une partie des missions institutionnelles à de nouvelles entreprises spatiales en vue de réduire les coûts et de revoir la répartition des rôles entre le public et le privé 52 ( * ) .

Ce soutien public prend différentes formes :

- la mise à disposition de capacités développées par la recherche publique : le lanceur Falcon 9 a été développé par SpaceX en incluant le moteur Merlin issu des travaux de la Nasa ;

- des contrats de développement comme, par exemple, le CCiCap (pour Commercial Crew Integrated Capability ) en 2012 pour 440 millions de dollars octroyé par cette même agence 53 ( * ) ;

- des commandes publiques de lancement passées alors même que le Falcon 9 n'existait pas encore - c'est par exemple le cas du contrat CRS (pour commercial resupply services ) passé en 2008 et concernant 12 lancements pour un montant de 1,6 milliard de dollars 54 ( * ) - et sur plusieurs années , permettant à l'entreprise d'investir dans de nouvelles capacités technologiques. Certains contrats associent d'ailleurs commande de lancement et développement de capacités comme, par exemple, le contrat CctCap (pour Commercial Crew Transportation Capability ) de 2014 pour un montant de 2,6 milliards de dollars, qui incluait également les fonds nécessaires au développement de la capsule Crew Dragon 55 ( * ) ;

- la tarification des services de lancement à destination des clients institutionnels à des prix deux fois supérieurs à ceux pratiqués sur le marché commercial : le prix facturé passe ainsi de 50 à 60 millions de dollars à 90 à 100 millions de dollars - cet écart s'explique cependant en partie par des exigences supplémentaires de la part des institutionnels et, le cas échéant, par le coût de la charge utile également développée par SpaceX , en l'occurrence la capsule Dragon . Mais il constitue également une subvention.

En tout, selon les calculs des rapporteurs à partir des ressources publiques disponibles, SpaceX aurait reçu, en treize ans (2006-2019), l'équivalent de 9,5 milliards de dollars pour le développement de ses capsules et lanceurs et les services de lancement associés, soit l'équivalent des contributions françaises à l'Agence spatiale européenne sur les 10 dernières années ou le financement de près de deux Ariane 6. Selon Arianespace, sur les cinq dernières années, la part des commandes institutionnelles en valeur représente entre 60 et 73 % de son carnet de commande .

Enfin, l' Anchor Tenancy Law oblige le Gouvernement des États-Unis à octroyer suffisamment de commandes publiques à un fournisseur pour assurer les besoins spatiaux nationaux, tout en rendant viable l'exploitation commerciale de ces services. La Nasa est le client de référence pour le Falcon 9 Anchor customer ») et ce, depuis 2008. Cette dernière a par ailleurs amendé ses règles d'achat public en 2011 ( Federal Acquisition Regulation ) pour clarifier son rôle d'« Anchor customer » pour Falcon 9 . C'est ce qui a permis à la Nasa de signer le contrat CRS de 12 lancements.

Cependant, il ne faut pas minimiser les réussites de SpaceX en estimant qu'elles ne résulteraient que de ce financement public, et ce pour au moins trois raisons. D'abord, le financement de l'entreprise repose également - c'est ce qui caractérise ce « New Space » - sur des fonds privés, attirés par des perspectives de rentabilité , comme le montre le graphique ci-dessous.

Répartition des sources de financement de SpaceX

Source : estimations du groupe de travail à partir de sources publiques.

SpaceX a bénéficié de la fortune personnelle de son fondateur Elon Musk (qui avait initialement investi 100 millions de dollars) et du contexte favorable du financement de l'innovation aux États-Unis. Ainsi, entre 2002 et 2012, l'entreprise a effectué deux levées de fonds auprès de fonds d'investissements, de 300 puis 145 millions de dollars. Elle a notamment pu s'appuyer sur le fonds d'investissement Founders Funds créé par Peter Thiel, un co-fondateur de PayPal . La plus importante levée de fonds a été réalisée en 2015, pour un milliard de dollars, avec Google et le fonds d'investissement Fidelity pour principaux investisseurs. Depuis 2018, l'entreprise a également effectué plusieurs levées de fonds pour financer sa constellation Starlink et son système de lancement super-lourd « Starship », à hauteur de plus d'un milliard de dollars. Elle s'appuie notamment sur l'entreprise de financement GigaFund , créée par Lukasz Nosek, un autre co-fondateur de PayPal ayant quitté le Founders Fund à cette date. En juin dernier, l'entreprise a même bénéficié du financement d'un fonds de pension ( Ontario Teacher's Pension Plan ), à hauteur de 314 millions de dollars.

Ensuite, la part du marché institutionnel dans le chiffre d'affaires de l'entreprise décroît , comme on peut le constater sur le graphique ci-après :

Estimation du chiffre d'affaires de SpaceX
(en milliards de dollars, généré par Falcon et Dragon )

Source : Cnes.

Enfin, les financements publics octroyés par la Nasa ne semblent pas totalement assimilables à du soutien à l'exploitation, l'essentiel des financements recueillis par l'entreprise étant surtout utilisés pour ses activités de recherche et développement, dans la mesure où le prix facturé aux clients reste la plupart du temps supérieur au coût du service de lancement . Le Cnes a ainsi estimé en 2015 que le coût du lancement d'un Falcon 9 consommable était de l'ordre de 44 millions de dollars .

4. Une évolution fondée sur une innovation de rupture en passe de devenir le nouveau standard technologique : la réutilisation

Si SpaceX bénéficie du soutien sans faille du gouvernement américain, la société a également assis son modèle économique sur la seule rupture technologique réussie dans le domaine des lanceurs depuis le lancement de Sputnik en 1957 : la réutilisation du premier étage . Comme le souligne le Cnes, « la possibilité de réduire les coûts par la réutilisation de tout ou partie du lanceur est une idée aussi ancienne que les lanceurs, mais il faut reconnaître à SpaceX le mérite d'avoir démontré que c'était techniquement et économiquement possible, à condition de procéder par étapes ».

La réutilisation du premier étage a deux avantages :

- la réduction du coût de lancement , le premier étage représentant environ 60 % du coût de lancement ;

- l'augmentation de la cadence de lancement en cas de besoin sans investissement important.

Les méthodes de réutilisation

Développée théoriquement par trois auteurs japonais dès 1998, la méthode du « toss back » utilisée par SpaceX consiste à ramener le premier étage du lanceur en position verticale avant de le remettre en état de voler. Elle capitalise sur des recherches menées dans les années 1990 entre le DoD , la Nasa et l'entreprise McDonnell Douglas dans le cadre du projet Delta Clipper Exprimental .

Comme souligné dans une étude de l'Institut Montaigne 56 ( * ) , elle suppose de maîtriser cinq technologies clés : « des moteurs rallumables en vol et dont la poussée est modulable ; une technique et une technologie de rentrée permettant de préserver l'étage des températures élevées liées à la décélération lors du passage à haute vitesse dans les couches denses de l'atmosphère ; des dispositifs de contrôle de la trajectoire de descente des éléments à ramener ; d'un système autonome embarqué de calcul en temps réel de la trajectoire de descente (il n'y a pas de pilotage humain) ; et, enfin, de méthodes de remise en état de vol rapides et relativement peu coûteuses ». C'est ce même concept qui sera utilisé par le New Glenn.

Cette méthode n'est pas la seule à avoir été étudiée. La méthode « toss back » est en effet gourmande en ergols : la récupération d'un étage réduit la charge utile pouvant être placée sur une orbite donnée par rapport à un lanceur consommable puisqu'il est indispensable de conserver des ergols en quantité suffisante pour le retour après que l'étage a accompli sa mission. Ainsi, la version réutilisable du Falcon 9 ne peut envoyer de satellite de grande taille en orbite GTO. SpaceX contourne ce problème en utilisant le Falcon Heavy , doté d'une capacité d'emport en orbite GTO de huit tonnes en cas de récupération des trois boosters (contre 27 tonnes sans récupération). En orbite basse, le Falcon Heavy est doté d'une capacité de 63 tonnes en version consommable, de 57 tonnes en cas de récupération des deux propulseurs d'appoint mais pas du premier étage, et tombe à 42 tonnes en cas de récupération des deux propulseurs et du premier étage - soit un différentiel de 21 tonnes et donc une réduction de la performance d'un tiers.

C'est notamment pour réduire cet écart de performance entre le lanceur consommateur et le lanceur réutilisable pour la mise à poste d'une charge utile sur une orbite que des solutions plus économiques en ergols sont étudiées.

Ainsi, pour le développement de son lanceur lourd Vulcan , ULA s'appuierait sur le concept de baie propulsive réutilisable : la récupération pour réutilisation ne concerne que la partie basse du premier étage, celle qui contient les moteurs et les organes nécessaires à leur fonctionnement ainsi que l'avionique. Ce concept est appelé « SMART recovery » par ULA (pour Sensible Modular Autonomous Return Technology ).

Illustration du concept de baie propulsive réutilisable

Source : Onera

Ainsi, après sa séparation du reste du premier étage, la partie basse entame une descente protégée par un bouclier thermique gonflable, puis un parachute se déploie ; enfin, la partie basse est récupérée en vol par un hélicoptère. Des évolutions sont aussi prévues afin de rendre la récupération de la baie propulsive plus simple sans faire appel à des parachutes et à un hélicoptère - c'est la stratégie AERR ( Autonomous Engine Recovery and Reuse ) également développée par l'entreprise.

D'après les estimations publiées par ULA , ce concept SMART en réutilisant la « baie propulsive » du premier étage ne ramène que 25 % de la masse mais plus de 65 % du coût de l'étage. C'est en effet dans cette baie que seraient situés les constituants les plus technologiques et donc les plus coûteux, notamment les deux moteurs BE-4 développés pour ULA par Blue Origin (le BE-4 est en effet développé par Blue Origin dans le cadre d'un partenariat avec ULA ).

Ce n'est pas l'analyse du Cnes, qui estime que cette technique de réutilisation est moins intéressante que le « toss back » car la valeur récupérée (la baie de propulsion) est plus faible que celle du premier étage et le coût de récupération plus élevé.

Comme cela a pu être souligné dans un rapport de l'Institut Montaigne, c'est un concept proche qui avait également été envisagé par Airbus dès 2010 dans le cadre du projet « Adeline » (pour « advanced expendable launcher with innovative engine economy »), mais selon des modalités différentes : la baie aurait été dotée d'ailes et d'hélices lui permettant d'atterrir sur une piste d'avion.

La société Rocket Lab , qui commercialise le micro lanceur Eletron , devrait également recourir à une récupération du premier étage par hélicoptère afin de répondre à l'augmentation des commandes 57 ( * ) .

L'Onera a par ailleurs souligné que le DLR poursuit en ce moment un projet qui effectuerait les deux à la fois en ce qui concerne le second étage : baptisé ReFEx ( Reusability Flight Experiment ), il propose de mettre au point les technologies nécessaires au développement d'un deuxième étage entier ailé réutilisable , qui effectuerait un vol de retour planant.

Enfin, SpaceX tente d'étendre le champ de la récupération au-delà du premier étage, en particulier de la coiffe du lanceur 58 ( * ) - opération réussie pour la moitié de la coiffe d'un Falcon Heavy en juin dernier . Avec le développement de son lanceur super-lourd Starship , c'est une réutilisation totale qui est visée .

Source : Arthur Sauzay, Institut Montaigne, Espace : l'Europe contre-attaque, décembre 2017 ; Onera.

La courbe d'apprentissage de SpaceX quant à la réutilisation est impressionnante. Après plusieurs démonstrations plus ou moins réussies (démonstrateur « Grasshopper » développé entre 2012 et 2014), un premier booster a été récupéré avec succès fin 2015 et une première réutilisation a eu lieu en mars 2017 . Le retour d'expérience des boosters récupérés a poussé SpaceX à continuer à faire évoluer son lanceur 59 ( * ) , améliorant de façon spectaculaire la fiabilité de la récupération (moins de 70 % mi-2018 à près de 95 % aujourd'hui, à l'exception du Falcon Heavy ), le délai de remise en vol (qui est à ce jour de cinq semaines) et le coût de remise en état (de l'ordre d'un million de dollars). Disponible depuis mai 2018 dans une définition ultime (v. 9.2.5), le booster est supposé pouvoir revoler une dizaine de fois sans maintenance majeure avec remise en état en 24 heures et jusqu'à 100 fois au total avec des opérations spécifiques 60 ( * ) . Le 11 novembre dernier, l'entreprise a réutilisé pour la quatrième fois le même booster . En 2018, plus de la moitié des 21 vols ont utilisé un booster de seconde main. Forte de cette réussite sur la réutilisation du premier étage, l'entreprise souhaite que, à moyen terme, l'exploitation du lanceur repose exclusivement sur du matériel remis en état pour se concentrer sur la production de la fusée Starship 61 ( * ) .

La fusée Starship est donc le nouveau pari de SpaceX : parvenir à la réutilisation totale, ce qui serait une véritable révolution de l'accès à l'espace . Le lanceur serait principalement conçu pour les missions habitées et non habitées vers Mars, mais il pourrait aussi assurer le lancement de satellites, desservir la Lune et effectuer des vols suborbitaux intercontinentaux ; en configuration interplanétaire, sa capacité d'emport serait de 100 tonnes vers Mars 62 ( * ) , moyennant un ravitaillement en orbite basse. Le calendrier visé par SpaceX est le suivant : lancement de satellites dès 2021, un voyage habité sur la Lune en 2023 et une ville sur Mars d'ici à 2050.

SpaceX est également en train de développer sa propre constellation de satellites dénommée « Starlink » 63 ( * ) . Gwynne Shotwell, la directrice générale de SpaceX , a annoncé à la dernière World Satellite Business Week que l'entreprise effectuerait deux lancements par mois pour cette constellation en 2020. Tout l'écosystème spatial se demande comment répondre à un acteur qui vient le concurrencer sur toute la chaîne de valeur.

II. UN EFFORT DE MODERNISATION VITAL POUR MAINTENIR NOTRE AUTONOMIE D'ACCÈS À L'ESPACE

Le consensus des États européens pour financer un accès autonome à l'espace rend nécessaire la préservation des parts de marché commerciales d'Ariane. On ne peut cependant exclure que l'évolution du marché la remette en cause. C'est pourquoi le conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne qui se déroulera fin novembre est absolument stratégique. Concomitamment, l'Europe spatiale doit moderniser sa politique industrielle et retrouver le souffle d'une ambition.

A. UN CONSEIL MINISTÉRIEL STRATÉGIQUE POUR GARANTIR NOTRE AUTONOMIE D'ACCÈS À L'ESPACE

1. Des financements supplémentaires à la hauteur des enjeux devront être actés

Selon les informations recueillies par les rapporteurs, l'Agence spatiale européenne a proposé une enveloppe de 2,662 milliards d'euros pour le budget triennal 2020-2022 en ce qui concerne le transport spatial. La France prévoit de participer à hauteur de 2,5 milliards d'euros sur le budget de la recherche pour l'ensemble des programmes de l'Agence (programme 193 de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur »). Sur ce montant, 1,058 milliard d'euros seraient attribués aux lanceurs et au CSG. Pourraient s'ajouter à ce financement européen un financement au niveau national de 60 millions d'euros au titre du programme d'investissements d'avenir pour financer ArianeWorks .

Ces financements complémentaires sont nécessaires pour la préservation de notre autonomie d'accès à l'espace et de notre filière d'excellence en la matière à court et moyen terme. Cette enveloppe doit notamment permettre de réussir la transition entre la fin de l'exploitation d'Ariane 5 et le début d'Ariane 6, de bâtir des briques technologiques pour un futur lanceur et de financer la rénovation du CSG entre 2020 et 2024.

Il faut également souligner l'impact indirect sur l'économie de cet argent public : comme l'a rappelé l'Opecst, « ces dépenses ont un effet de levier important sur l'activité économique. L'Agence spatiale européenne a ainsi calculé que, pour 100 euros dépensés pour le développement d'Ariane 5, 320 sont générés en valeur ajoutée supplémentaire dans l'économie ; quelque 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires auraient ainsi été générés entre 2000 et 2012 dans l'industrie européenne spatiale et non spatiale ».

En revanche, comme l'a remarqué la Cour des comptes dans son rapport précité, l'enveloppe financée par la France ne doit pas se traduire par des effets d'éviction sur les autres secteurs spatiaux (science, exploration, observation de la Terre, navigation et télécoms). En effet, des technologies clés dans le domaine des satellites ont pu, récemment, être soutenues de façon importante par les fonds publics français (programme d'investissement d'avenir) et européens (Horizon 2020), notamment dans le développement de la propulsion électrique. C'est ce même avertissement qu'avait prononcé Riadh Cammoun, vice-président en charge des relations institutionnelles de Thales Alenia Space, devant lors de son audition par la commission des affaires économiques le 7 novembre 2018 : « Dans la perspective de la prochaine ministérielle de l'Agence spatiale européenne, qui aura lieu en avril 2019, le soutien de la France à la filière satellitaire française et, tout particulièrement à celle de nos satellites de télécommunications, est vital pour rester dans cette course mondiale où la compétition est exacerbée ».

2. Assurer la transition entre Ariane 5 et 6 face à des perspectives de marché incertaines

Ariane 6 est prête à rentrer en phase d'exploitation . Le conseil de l'Agence spatiale européenne a défini, dans une résolution du 17 avril 2019, un schéma d'exploitation qui a permis le lancement de la production des 14 premières Ariane 6 à lancer entre 2021 et 2023 64 ( * ) . Comme le souligne André-Hubert Roussel, « Ariane 6, c'est ce que demandent les clients » 65 ( * ) : huit missions sont déjà en carnet de commandes, dont quatre commerciales et quatre institutionnelles. La plupart de ces missions n'auraient pas pu être réalisées par Ariane 5. Autrement dit, l'absence d'Ariane 6 se traduirait par un recours accru, au pire à des lanceurs étrangers et au mieux, pour quelques missions tout au plus, à Vega. Ainsi, aujourd'hui, plus personne ne remet aujourd'hui en doute le fait qu'il est nécessaire de réussir Ariane 6 .

Du reste, quand bien même ce n'eut pas été le cas, l'état d'avancement du programme Ariane 6, les sommes considérables déjà investies par les pays participants et les industriels et les risques beaucoup plus élevés en cas de changement brutal de stratégie seraient autant d'arguments pour ne pas arrêter le programme, alors que les clients des services de lancement auront toujours intérêt à conserver une double source d'approvisionnement. Enfin, Ariane 6 ayant été décidé à l'initiative de la France, ce serait un très mauvais signal envoyé à nos partenaires, qui risqueraient de ne plus suivre notre pays à terme, mettant ainsi en péril l'ensemble de la filière française.

Mais on ne peut ignorer que les conditions de marché - incertitude de la demande, explosion de l'offre - ne sont plus celles envisagées en 2014 pour dimensionner l'ampleur du programme Ariane 6 66 ( * ) .

D'une part, le prix au kilo mis en orbite a diminué depuis 2014 . Si aucune communication officielle sur les prix de commercialisation n'a été effectuée par Arianespace, la presse a fait état des ordres de grandeur suivants : 130 millions de dollars pour Ariane 64 et 80 millions de dollars pour Ariane 62 contre, on l'a vu, un Falcon 9 facturé à moins de 50 millions de dollars sur le marché commercial 67 ( * ) . Pis, cette différence de prix se justifierait par une différence de coût de production : selon la même source, les cibles de coût étaient de 90,6 millions d'euros pour une Ariane 64 et de 73,6 millions d'euros pour une Ariane 62 68 ( * ) contre, comme déjà évoqué, un coût de 44 millions de dollars pour un lancement de Falcon 9 consommable.

Ensuite, la cadence minimale de 11 lancements par an, avec au moins cinq tirs institutionnels 69 ( * ) sera très difficile à atteindre . Selon le Cnes, l'analyse des missions prévues pour la prochaine décennie fait ressortir une moyenne de quatre à cinq missions institutionnelles européennes 70 ( * ) par an de 2020 à 2030 pour Ariane 6. Sur le marché commercial, on peut considérer une fourchette de 20 à 50 % de parts de marché 71 ( * ) ce qui représente, pour un marché de huit à douze satellites (hors constellations), une fourchette de un à trois lancements doubles commerciaux par an. Autrement dit, le Cnes anticipe un nombre de lancements s'échelonnant entre cinq et huit par an, soit une cadence quelque peu supérieure à celle d'Ariane 5 sur les dernières années (entre quatre et sept lancements entre 2013 et 2018), mais inférieure aux prévisions effectuées en 2014. Ces prévisions restent relativement incertaines en ce qu'elles dépendent à la fois du prix qui sera effectivement facturé par Arianespace et de l'évolution des lanceurs concurrents - Falcon , New Glenn , H3 ...

L'équilibre des programmes de lanceurs spatiaux européens est garanti par une présence forte sur le marché commercial : c'est ce qui permet à la France et à l'Europe d'assurer le maintien d'une chaîne industrielle de premier rang, dotée d'emplois très qualifiés, lui offrant un accès indépendant à l'espace à des conditions compétitives. C'est aussi et surtout ce qui permet à tous les États européens participant actuellement aux programmes de lanceurs de l'Agence spatiale européenne d'accepter le coût public de l'accès autonome à l'espace.

Si notre part de marché venait à diminuer drastiquement, le risque est grand que certains de nos partenaires européens ne considèrent à terme que l'indépendance d'accès à l'espace ne vaut pas le prix payé . Comme a pu le rappeler le directeur de la recherche d'ASD Eurospace, Pierre Lionnet, dans une interview récente, la perte de quelques clients peut remettre en cause l'équilibre économique du lanceur : « deux clients perdus, cela signifie 150 millions d'euros perdus pour Arianespace » 72 ( * ) ... C'est ce qui a conduit le président du Cnes à estimer, devant les deux commissions, que, compte tenu du fait que « le modèle des trente dernières années évolue », l'autonomie européenne d'accès à l'espace doit s'organiser .

C'est pourquoi le conseil de l'Agence spatiale européenne devra en premier lieu décider d'octroyer les financements permettant de répondre à des défis de court terme , à savoir :

- la fin de l'exploitation d'Ariane 5 : selon Arianespace, il reste douze Ariane 5 à lancer, une en 2019 et onze entre 2020 et 2022 - presque toutes les positions ont été vendues pour ces lancements et les industriels ont accepté de réduire considérablement la taille du dernier lot d'Ariane 5 ;

- la fin de développement d'Ariane 6 et la transition entre Ariane 5 et Ariane 6, portant sur les 14 premiers lanceurs, et de Vega à Vega C , qui s'écoulera entre 2020 et 2023. L'exploitation conjointe de plusieurs lanceurs à cadence réduite coûtera plus cher. Elle devra également se faire avec une grande précaution dans la mesure où les nouveaux lanceurs intègrent des innovations et que, par construction, le risque zéro n'existe pas en la matière.

Autrement dit, pour reprendre les propos d'André-Hubert Roussel, ces financements doivent permettre aux européens de « rester dans la course » 73 ( * ) . Ces efforts mobiliseront l'essentiel de l'enveloppe financière de la ministérielle s'agissant des lanceurs. Autrement dit, le budget proposé par l'Agence spatiale européenne traduit une priorité donnée à la conservation à court terme de l'autonomie d'accès à l'espace de l'Europe dans une période de transition . Mais il importe également de préparer l'avenir en misant sur le réutilisable.

3. Miser dès aujourd'hui sur le réutilisable
a) L'Europe doit dès aujourd'hui se lancer dans le réutilisable

Comme le souligne l'Onera dans sa dernière feuille de route scientifique et technologique, la durée de vie d'Ariane 6 telle que conçue depuis 2014 sera probablement moins longue que celle d'Ariane 5 . Dans son rapport précité, la Cour des comptes remarquait que « les Européens ont fait le choix prudent du recours à des technologies maîtrisées par rapport à celui de la rupture technologique du réutilisable, à laquelle les acteurs européens ne croyaient pas en 2014 », soulignant l'existence d'un « risque important que le lanceur ne soit pas durablement compétitif face à SpaceX » 74 ( * ) . Les Européens ont en quelque sorte pêché par orgueil en ne prenant pas totalement les avancées de SpaceX au sérieux. En réponse à ce rapport, Stéphane Israël déclarait, dans une interview : « Nous avons toujours dit qu'Ariane 6 est un lanceur qui évoluera. Ariane 6 est le début d'une histoire, et ce lanceur, qui volera dès 2020, a été pensé pour évoluer au cours de son exploitation. Nous réfléchissons ainsi à une "Ariane 6 Evolution" avec notre maison mère, ArianeGroup, d'ici à 2025 . » 75 ( * )

La situation actuelle n'est pas sans rappeler, sept ans après, celle que le secteur a connue entre 2012 et 2014 , où il s'est agi de réfléchir à l'alternative entre une évolution d'Ariane 5 et le développement d'un nouveau lanceur.

En effet, deux scénarios peuvent être envisagés d'ici à la ministérielle de 2022 :

- soit une évolution d'Ariane 6 (« Ariane 6 Evolution ») d'ici à 2025 (avec un gain de performance de l'ordre de deux tonnes en orbite GTO et des gains de coûts de 20 % sur le prix par kilo mis en orbite) puis le développement, à terme, d'un nouveau lanceur (« Ariane Next ») ;

- soit le passage plus rapide à un nouveau lanceur (« Ariane Next »), plus simple (lanceur bi-étage au lieu de quatre aujourd'hui ; un seul moteur contre trois aujourd'hui 76 ( * ) ), moins coûteux (avec une cible de réduction des coûts à nouveau fixée à 50 %) et réutilisable. Ariane 6 ne peut pas évoluer vers un lanceur réutilisable compte tenu de sa configuration (étagement, motorisation à ergol solide alors que seule la propulsion liquide permet le rallumage, la sécurité pyrotechnique et la modulation de poussée nécessaires à la réalisation d'un tel lanceur). Or, pour tirer pleinement parti de la réutilisation, il faut concevoir dès le départ le lanceur pour qu'il soit réutilisable, ce qui serait l'objet d'une Ariane Next.

La première solution pourrait être fragile car la pertinence du lancement double pourrait être remise en cause dans un marché de l'orbite géostationnaire restreint. Mais la seconde option serait également risquée en ce qu'elle exigerait de passer très rapidement au développement d'un lanceur totalement nouveau.

Faut-il se lancer dès 2022 dans le réutilisable ? Après le vol inaugural d'Ariane 6, et avant de trancher sur cette question, il conviendra d'évaluer la situation , et notamment d'analyser les risques découlant, pour le secteur public, de la phase de transition, de la cadence de lancement, de la situation sur le marché mondial et de la demande institutionnelle européenne.

Mais les rapporteurs estiment fort probable que la réutilisation, a minima du premier étage, devienne le nouveau standard technologique , tant en raison des gains économiques que des exigences environnementales qui devraient s'appliquer à la filière à l'avenir . Ils souhaitent donc, comme Catherine Procaccia et Bruno Sido en 2015, « que l'Europe ne rate pas le tournant des lanceurs réutilisables » 77 ( * ) .

Le débat sur la réutilisation du premier étage

La piste du développement de la réutilisation est encore discutée en Europe. Plusieurs acteurs entendus par les rapporteurs - comme Arianespace, Avio ou encore la Direction générale de l'armement du ministère des Armées - soulignent que la viabilité économique de la réutilisation pour les lanceurs européens n'est pas démontrée car les lancements institutionnels accordés à SpaceX se font à un prix bien supérieur au prix du marché et sur un volume également bien supérieur à celui dévolu aux lanceurs européens. André-Hubert Roussel a résumé la position de l'industrie en ces termes : « nous travaillerons à la réutilisation si les cadences de lancement la rendaient économiquement viable ». Cette position est d'ailleurs confortée par le choix récent effectué par la société Rocket Lab de rendre réutilisable son petit lanceur Electron non pas en vue de baisser le prix (d'environ 6,5 millions de dollars par mission) mais en vue d'augmenter la cadence de production pour répondre aux commandes en forte augmentation. Stéphane Israël s'est d'ailleurs interrogé devant les rapporteurs sur la question de savoir si l'absence de rentabilité du réutilisable n'est pas le problème que SpaceX tente de pallier en apportant elle-même son volume d'affaires à travers sa constellation. La Direction générale de l'armement va même plus loin en soulignant que « le lanceur réutilisable n'est pas une solution de 2030 mais de 2018. Il faut viser l'étape d'après car, en 2030, SpaceX ou ses successeurs seront vraisemblablement passés à autre chose ». L'Onera a d'ailleurs souligné que le comportement que l'Europe adopte aujourd'hui est - comme en matière d'innovation en général - avant tout celui d'un suiveur, déplorant que les lanceurs fassent l'objet de très peu de financements en recherche de long terme.

Ce n'est pas l'analyse du Cnes, qui estime qu'il est aujourd'hui démontré que la réutilisation du premier étage permet un gain économique d'environ 30 à 50 % sur le coût d'un lancement , et sans doute plus pour les réutilisations multiples, à condition que le lanceur soit conçu d'emblée pour la réutilisation 78 ( * ) . Le centre national d'études spatiales reconnaît que le gain peut être moins élevé si la cadence de lancement baisse. Mais globalement, l'intérêt de la réutilisation ne dépend pas de la cadence au premier ordre 79 ( * ) : le niveau des économies réalisées dépend avant tout de la valeur de l'élément récupéré, qu'il faut maximiser, et des coûts de réutilisation (récupération, remise en état, variation de cadence, défiabilisation) qu'il faut minimiser, lesquels dépendent avant tout des choix de conception. À ce jour, et à la connaissance des rapporteurs, SpaceX n'a fait qu'une déclaration publique sur son estimation de la baisse des coûts provenant de la réutilisation du premier étage : il serait de l'ordre de 30 % 80 ( * ) .

Aujourd'hui, le Cnes et ArianeGroup s'accordent pour développer les briques technologiques nécessaires au développement d'un lanceur réutilisable, dans la mesure où elles pourraient également permettre une évolution d'Ariane 6 en diminuant les coûts et en améliorant la performance sans intégrer la réutilisation. C'est sans doute l'Agence spatiale européenne qui résume le mieux la position faisant consensus : elle estime « capital que l'Europe se dote de capacités permettant d'envisager une réutilisation ponctuelle de certains éléments du lanceur, notamment des propulseurs » et que « la mise en oeuvre opérationnelle de cette réutilisation dépendra ensuite de l'équation économique, qui doit tenir compte tant des coûts récurrents que des cadences de lancement » 81 ( * ) .

Il faut en conséquence dès aujourd'hui préparer la transition, à terme, vers le réutilisable. Il s'agit en premier lieu d'être attentif à ses effets sur l'emploi . Selon le Cnes, s'il est certain que le passage d'une architecture de lanceur consommable à une architecture réutilisable aura des conséquences sur l'organisation industrielle de production et d'exploitation des lanceurs, il est faux de dire que l'arrivée des lanceurs réutilisables conduira à fermer toutes les usines. Le lanceur peut être conçu de façon à maintenir une activité de production indispensable au maintien des compétences, dans la mesure où le deuxième étage du lanceur qui, lui, serait consommable, devrait utiliser les mêmes moteurs et équipements que le premier étage en vue de bénéficier de coûts de production faibles. Le Cnes estime d'ailleurs que « pour l'Europe, le choix ne sera pas entre lanceur consommable ou lanceur réutilisable, mais entre lanceur réutilisable ou disparition de cette activité ». Du reste, l'objectif poursuivi étant de réduire sensiblement le coût de l'accès à l'espace, l'emploi qui pourrait être perdu sur la filière des lanceurs pourrait se retrouver en aval de la filière spatiale, dans la mesure où davantage de satellites pourraient être lancés pour multiplier les applications spatiales au bénéfice de la société.

Par ailleurs, le passage à une propulsion à ergols liquides, indispensable à la réutilisation, ne sera pas anodin au regard des synergies avec la dissuasion nucléaire. Comme le montre encore Ariane 6, l'architecture des lanceurs Ariane exploite les synergies avec les missiles balistiques, reposant sur une propulsion à ergols solides (« poudre »). Comme cela avait pu être souligné dans la note de l'Opesct précitée, l'abandon de la propulsion solide pour le civil réduirait les synergies civil-militaire aux compétences de maîtrise d'oeuvre système, de programmes de vol et de pilotage. Devant les deux commissions, André-Hubert Roussel avait d'ailleurs estimé que de nouvelles synergies seraient à exploiter. En conséquence, l'Onera a souligné l'importance de préparer dès maintenant le maintien des compétences et des capacités industrielles concernant l'élaboration et la production de propulseurs solides pour les besoins de la dissuasion.

Enfin, et surtout, il faut développer les capacités technologiques nécessaires à la maîtrise de la réutilisation . Comme le soulève l'Onera dans sa feuille de route précitée, « les États-Unis ont disposé pendant 30 ans - de 1981 à 2011 - d'un système spatial presque totalement récupérable : la navette spatiale ». Nous partons aujourd'hui d'une feuille blanche. L'espace et le secteur des lanceurs en particulier reste un secteur particulièrement risqué malgré les progrès effectués : comme l'échec récent de Vega a pu le prouver, il n'y a pas de risque zéro en matière de lancement, et des délais dans les développements sont toujours à craindre, comme le montrent les retards du programme COTS ( commercial orbital transportation services program ), qui avait pour objectif d'envoyer des humains dans la station spatiale internationale en 2014... Mais nous avons les compétences pour relever le défi.

Le conseil des 27 et 28 novembre 2019 permettra d'amorcer la dynamique. Il devrait décider de financer le développement de deux briques pour réduire les coûts d'Ariane 6 et/ou permettre le développement d'un futur lanceur réutilisable : un moteur d'étage principal à propulsion liquide potentiellement réutilisable et un démonstrateur de premier étage réutilisable. La totalité des financements nécessaires au développement des programmes de préparation de l'avenir est estimée entre 350 et 400 millions d'euros sur le triennal 2020-2022. Les rapporteurs appellent donc le Gouvernement à souscrire à ces programmes et à convaincre leurs homologues de faire de même, sans quoi la réutilisation ne pourra être envisagée par l'Europe.

Cet effort devra être complété à l'avenir en cas de développement d'un lanceur réutilisable : selon la note précitée de l'Opecst, le coût d'un tel programme européen serait de un à trois milliards d'euros.

b) Prometheus et Themis : les premières briques d'un futur lanceur réutilisable
(1) Prometheus : un moteur à propulsion liquide potentiellement réutilisable

Depuis 2015, le Cnes et ArianeGroup développent le moteur « low cost » à poussée variable et potentiellement réutilisable Prometheus . Fonctionnant à l'oxygène et au méthane liquide 82 ( * ) , il serait doté d'une poussée de 100 tonnes. Il permettrait une division des coûts par dix (coût de production d'un million d'euros) par rapport à l'actuel moteur à hydrogène Vulcain 2.1, pour une cadence de production de 50 par an. Le défi est d'autant plus important que le moteur du premier étage d'Ariane 6 est une évolution du moteur Vulcain d'Ariane 5, dont les développements ont débuté... à la fin des années 1980 !

Soutenu par l'Agence spatiale européenne depuis 2016 (programme « propulsion liquide du futur ») avec l'appui de l'Allemagne, de la Belgique, de la Suisse, de la Suède et de l'Espagne, la définition détaillée a été validée en décembre 2018. Le lancement en fabrication des composants du premier moteur s'est échelonné au premier semestre 2019 et il devrait faire l'objet de premiers tests fin 2020. Il s'agit maintenant d'industrialiser ce moteur, qui pourrait voler sur le démonstrateur Themis en 2022 afin d'une mise en service la plus rapide possible.

En parallèle, les procédés innovants de Prometheus pourraient aussi être dérivés vers une évolution du Vinci et du Vulcain. Ce dernier pourrait devenir un véritable « Prometheus Hydrogène », avec un objectif de réduction de coût de 50 % d'ici à 2025, compatible avec le lancement inaugural d'une version Ariane 6 Evolution. Ce moteur permettra donc de réduire les coûts quelle que soit la configuration retenue pour l'avenir - lanceur réutilisable ou non et réutilisation en « toss back » ou non.

Les Européens portent deux autres projets tendant à maîtriser la réutilisation. Il s'agit de deux démonstrateurs successifs visant à préparer un futur lanceur européen réutilisable.

(2) Callisto et Themis : des démonstrateurs de premier étage réutilisable

Le projet Callisto est un véhicule expérimental à très petite échelle (1/10) permettant de développer les logiciels nécessaires pour la phase de retour d'un premier étage réutilisable (le programme de vol et l'atterrissage en un point précis). Il est développé depuis 2016 par le Cnes 83 ( * ) , le DLR (Allemagne) et la Jaxa (Japon), mais sans l'Agence spatiale européenne ni ArianeGroup. Selon les informations recueillies par les rapporteurs, « d'autres contributions de partenaires européens sont attendues ». Les rapporteurs estiment qu'une telle évolution serait légitime, dans la mesure où le projet a clairement vocation à préparer le futur des lanceurs européens.

Le Cnes est notamment en charge de l'architecture véhicule, de la conception système, du concept opérationnel et du segment sol. Il est également responsable du logiciel de vol, de l'ordinateur de bord et du système de sauvegarde, de l'aménagement, de l'intégration et des essais de la case à équipements. Ce démonstrateur sera propulsé par un moteur fourni par le Japon. Il sera lancé depuis le Centre spatial guyanais. Pour les vols de démonstration en 2022, l'atterrissage se fera sur une barge en pleine mer. L'accord trilatéral entre le Cnes, le DLR et la Jaxa pour la phase B a été prolongé jusqu'en mars 2020.

Le projet Themis est un démonstrateur à l'échelle 1/2 d'un étage réutilisable propulsé par Prometheus pour maîtriser la rentrée atmosphérique et le retour sur Terre de l'étage principal en minimisant le besoin de remise en état avant retour en vol. Il s'agit bien d'un démonstrateur, proche d'un prototype opérationnel, et successeur du véhicule expérimental Callisto. La prédéfinition est en cours depuis 2019 dans le cadre d'ArianeWorks, initiative conjointe entre le Cnes et ArianeGroup - récemment rejoints par l'Onera - dont la mission est d'accélérer significativement la conduite de ce projet. Themis pourrait ensuite être adapté comme booster liquide d'Ariane Next. En fonction des financements mobilisés, un premier essai en vol pourrait intervenir avant 2025.

Le développement du démonstrateur Themis devrait nécessiter un investissement public de l'ordre de 200 millions d'euros. La France envisage des financements complémentaires à ceux souscrits dans le cadre de l'Agence spatiale européenne, dont le véhicule pourrait être le troisième programme d'investissements d'avenir ou le fonds pour l'industrie et l'innovation (dans le cadre des « grands défis » identifiés par le Conseil de l'Innovation).

c) Poursuivre la réduction des coûts

Trois programmes seront présentés à la ministérielle en vue de poursuivre la réduction des coûts grâce à de nouvelles solutions technologiques.

(1) Icarus : un étage supérieur à l'indice constructif réduit

Le projet Icarus ( Innovative carbon Ariane upper stage ) est un étage supérieur utilisant au maximum les technologies composites (alors que les étages supérieurs d'Ariane sont généralement fabriqués en aluminium) pour améliorer la capacité d'emport de charges utiles en réduisant les coûts (+ 2 tonnes de performance pour - 10 % de coûts récurrents pour Ariane 6). C'est en effet l'allègement des étages qui a permis à SpaceX de réaliser un lanceur bi-étage capable d'envoyer des satellites lourds en orbite GTO. À ce jour, l'indice constructif 84 ( * ) du deuxième étage d'Ariane 6 sera, selon le Cnes, de 19 %, contre 10 % pour le Falcon 9 , 11 % pour Ariane 4 et 21 % pour Ariane 5. Le 14 mai dernier, l'Agence spatiale européenne a signé deux contrats de maturation technologique avec les industriels ArianeGroup et MT Aerospace, afin de préparer ce futur étage supérieur 85 ( * ) .

Dans la mesure où il s'agit d'un important levier de réduction des coûts et d'une brique nécessaire au développement d'un futur lanceur bi-étage réutilisable, les rapporteurs déplorent cependant que seuls des travaux technologiques de préparation soient proposés à la souscription lors de la ministérielle, la décision concernant le développement de l'étage étant reportée à 2022.

(2) Réduire les coûts de façon incrémentale

Le programme d'amélioration continue (CIP) proposé au prochain Conseil ministériel constitue un ensemble d'incréments à implanter entre 2023 et 2025 pour abaisser les coûts récurrents et/ou augmenter la performance et la flexibilité du lanceur. Ils devront être sélectionnés sur leur capacité à d'une part, générer un retour sur investissement court (5 à 6 ans maximum) et d'autre part, être valorisés également sur la prochaine Ariane.

Devrait également être proposé un programme d'un montant limité portant sur les études système . Elles sont nécessaires pour préciser les concepts d'évolution des lanceurs Ariane et permettre au Cnes et à ArianeGroup de déterminer de nouvelles règles de conception afin de nous rapprocher des performances américaines. Selon le Cnes, l'Europe doit notamment travailler sur les sujets suivants :

- l'architecture globale du lanceur pour optimiser le volume et notamment le diamètre de l'étage supérieur ;

- la maîtrise de technologies extrêmement performantes comme l'isolation thermique pour optimiser l'architecture de l'étage supérieur et notamment celles des réservoirs ;

- les règles de dimensionnement des structures associées à une capacité accrue à vérifier leur comportement pour garantir la fiabilité requise ;

- les matériaux et les technologies de réalisation des composants par ajout de matière qui permettent d'optimiser la quantité de matière et les opérations de fabrication, donc la masse et le coût de réalisation.

(3) Moderniser le CSG

Une politique de réduction des coûts est déjà à l'oeuvre au Centre spatial guyanais . Les coûts de maintien en condition opérationnelle du centre ont ainsi diminué de 6 % entre 2009 et 2016 alors que l'activité augmentait dans le même temps (3 pas de tirs, avec entre 7 à 12 lancements par an). D'ici à 2023, de nouvelles réductions de coûts sont prévus. Au total, en quinze ans, ces coûts diminueraient de 20 %, passant de 148 millions en 2009 à 118 millions d'euros en 2023.

Cependant, certaines infrastructures sont aujourd'hui vieillissantes (eau, énergie, climatisation, routes). Certaines d'entre elles datent de près de cinquante ans. Elles nécessitent d'être modernisées pour réduire les coûts, assurer leur robustesse et améliorer leur impact environnemental. Deux autres actions sont également nécessaires en vue de réduire les coûts et d'améliorer la qualité, la fiabilité et la disponibilité du service de lancement : la construction du nouveau centre des opérations, qui intègrera l'ensemble des centres d'opérations antérieurement existants, et l'optimisation de l'ensemble des processus opérationnels afin d'obtenir une véritable diminution de la durée des campagnes de lancement et de gagner en flexibilité pour répondre à l'arrivée d'Ariane 6 et de Vega C, ainsi qu'aux nouveaux besoins des clients (multi-missions, nouveaux types de charges utiles...).

L'exécutif de l'Agence spatiale européenne a inscrit dans son projet de programmation budgétaire 2020-2024 un programme d'investissements qui représente un montant de 143 millions d'euros de 2020 à 2024. Ce plan de modernisation s'ajoute aux activités de maintien en condition opérationnelle, d'exploitation et d'opération classiques, dont le montant budgété est de 616 millions d'euros sur la même période. Les États membres de l'Agence sont donc invités à augmenter sensiblement leur contribution au financement du CSG.

Les rapporteurs invitent le Gouvernement à souscrire à ce programme de modernisation et à plaider en ce sens auprès des États membres de l'Agence. Cet engagement devra prendre la forme d'une résolution dans le cadre du programme obligatoire de l'Agence spatiale européenne, du fait du caractère collectif de cet investissement.

Les rapporteurs invitent également le Gouvernement à la vigilance sur les projets en cours de réflexion portant sur de petites bases de lancement sur le sol européen, comme en Écosse, sous l'égide de l'Agence spatiale britannique 86 ( * ) .

4. Ne pas créer une concurrence intra-européenne

La profondeur du marché institutionnel européen est insuffisante pour permettre à ses acteurs de se faire concurrence, contrairement à la situation qui prévaut aux États-Unis, où le principe de la politique spatiale industrielle est celui de garder au moins deux lanceurs différents, dans une logique de redondance des infrastructures pour les besoins militaires. Les solutions développées en Europe doivent donc être complémentaires pour proposer une gamme complète de services de lancement.

a) S'opposer à un projet de hausse de la capacité d'emport de Vega C

La presse s'est fait l'écho de tensions entre l'Italien Avio et ArianeGroup, sur la potentielle concurrence que pourraient se faire, à terme, Vega et Ariane 6. La Cour des comptes a également estimé que « dans un contexte de forte concurrence actuelle et à venir au niveau international, la concurrence intra-européenne entre le bas du spectre d'Ariane 6 et le haut du spectre de Vega C devrait être limitée autant que possible ».

Sur le papier et dans leur conception, les deux lanceurs font tous deux partie de la famille des lanceurs que l'Agence spatiale européenne a développés pour donner à l'Europe un accès à l'espace : ils ont donc une vocation complémentaire et non concurrente.

De fait, le chevauchement entre le domaine de performance d'Ariane 6 et celui de Vega C devrait être très limité . Il se présentera lorsqu'une même charge utile pourra être mise sur orbite soit dans le cadre d'un lancement simple par Vega C, soit dans le cadre d'un lancement multiple par Ariane 62. Pour autant, les deux services de lancement ne sont pas comparables pour le client en termes de calendrier et de disponibilité. En conséquence, dans la plupart des cas, il n'y aura qu'un seul lanceur adapté aux besoins du client 87 ( * ) . On peut d'ailleurs considérer que le fait qu'Arianespace puisse proposer deux solutions de lancement dans ces cas de figure exceptionnels renforce l'attractivité et la compétitivité du fournisseur de services de lancement sur le marché mondial.

Au demeurant, ArianeGroup et Avio n'ont pas intérêt à se faire concurrence dans la mesure où ils sont largement dépendants l'un de l'autre : actuellement, Avio fournit les principaux composants des propulseurs à poudre d'Ariane 5, tandis qu'ArianeGroup fournit des éléments essentiels de Vega. Le propulseur à poudre commun à Ariane 6 et Vega C accentue encore cette interdépendance.

Afin d'éviter toute concurrence malsaine et insoutenable pour les finances publiques européennes, un mémorandum d'accord a été signé par l'Agence spatiale européenne, le Cnes, Arianespace, ArianeGroup et Avio . Il souligne le caractère mutuellement bénéfique et complémentaire de l'exploitation des lanceurs Ariane et Vega. À travers une résolution adoptée en avril 2019 , le conseil de l'Agence spatiale européenne a fixé les principes à appliquer par Arianespace pour ses propres missions et assurer une politique juste et transparente de répartition des charges utiles entre Ariane 6 et Vega C en fonction de l'orbite visée et de la masse à emporter 88 ( * ) .

En revanche, cet équilibre serait remis en cause par une augmentation des performances de Vega avec la nouvelle version Vega E 89 ( * ) , dont le développement a été engagé en 2016 et dont la poursuite serait proposée à la prochaine conférence ministérielle à horizon 2023. Neuf missions institutionnelles pourraient ainsi basculer d'Ariane 62 à Vega E . En particulier, les satellites de la constellation Galileo pourraient être lancés par Vega E. L'Agence spatiale européenne envisagerait même de reconvertir le pas de tir Soyouz pour le lanceur Vega E...

Les rapporteurs estiment qu'il est de la responsabilité de l'Agence spatiale européenne et de ses États membres de maintenir la cohérence et la complémentarité de la famille de lanceurs européens telle qu'elle a été décidée en 2014. Pour l'Onera, Avio « réalise plus de 51 % de son chiffre d'affaires grâce à Vega alors qu'il y a quelques années l'essentiel de son chiffre d'affaires ne provenait que de la fabrication des boosters d'Ariane pour lesquels il avait bénéficié des transferts de technologie de la part de la France. C'est une concurrence que l'on a contribué à créer ». Les rapporteurs recommandent donc la plus extrême prudence quant à la souscription au programme de développement de Vega E : s'il s'agit d'une hausse de la performance de Vega C, et non, par exemple, d'une réduction des coûts, il conviendra de s'y opposer.

b) Compléter la famille des lanceurs européens par des solutions dédiées aux petits satellites ?

Afin de répondre à la demande de lancement de petits satellites, plus de 100 projets de développement de petits lanceurs ont été annoncés dans le monde , dont environ la moitié aux États-Unis, la Chine arrivant en seconde position. Si le nombre élevé de projets américains s'explique par le fait que les États-Unis ont construit, au cours des cinq dernières années, près de 70 % des satellites de masse inférieure à 100 kilos, l'apparition de projets de développement émanant d'entreprises privées chinoises semble être le signe que les acteurs du secteur pressentent l'existence d'une demande potentielle accessible au marché commercial. Selon le cabinet Northern Sky Research 90 ( * ) , le marché des lanceurs de petits satellites sera dominé, en 2028, par les États-Unis (49 %) et la Chine (44 %). L'Europe serait distancée (7 %).

Deux nouveaux types de lanceurs pour les charges utiles légères :
les micro-lanceurs et les lanceurs aéroportés

S'agissant des micro-lanceurs, le leader du secteur est l'entreprise d'origine néo-zélandaise Rocket Lab avec son lanceur Electron , capable de mettre plus de 200 kilos en orbite basse pour environ 5 millions de dollars et développé avec l'aide de la Nasa . En Europe, les deux projets européens les plus avancés sont à ce jour ceux de la société allemande Rocket Factory Augsburg (filiale de MT Aerospace, elle-même filiale d'OHB) et de la société espagnole PLD Space . Avio s'est déclaré prêt à réaliser un mini-lanceur en moins de deux ans si un besoin se manifeste.

Selon Arianespace, à ce jour, « il est très clair qu'aucune solution ne pourra être développée et opérée à long terme sans une demande institutionnelle forte ». On constate en effet que Rocket Lab lance à près de 50 % pour les clients institutionnels des États-Unis. Ils prévoient en outre de construire un second pas de tir aux États-Unis. Mais le secteur reste risqué : l'américain Vector a, par exemple, cessé ses activités en août dernier.

S'agissant du lancement aéroporté, cette solution n'est pas nouvelle : les Américains ont, dès les années 1990, testé le système Pegasus dans lequel un lanceur était largué d'abord d'un B52 puis d'un Lockheed Tristar . Une quarantaine de lancements ont eu lieu avec la capacité de mettre une charge de 450 kilos en orbite basse. Ce ne fut qu'un succès relatif - deux tirs par an en moyenne pendant vingt ans - en raison notamment des coûts associés à la mise en oeuvre du porteur aéronautique.

Aujourd'hui, The Spaceship Company , filiale de la société Virgin Galactic bientôt cotée en bourse et qui appartient au milliardaire britannique Richard Branson, développe le lanceur aéroporté LauncherOne lancé à partir d'un Boeing 747, qui pourrait placer en orbite basse une charge utile d'environ 500 kilos et qui sera commercialisé par une autre filiale du groupe Virgin Orbit 91 ( * ) . L'entreprise a été choisie par le ministère de la défense britannique pour déployer de petits satellites « ARTEMIS » capables de fournir de l'imagerie haute résolution. Ce choix a été motivé par la possibilité de déclencher des lancements avec un préavis court - moins d'une semaine - à partir d'un aéroport.

La solution du lanceur aéroporté n'est cependant pas sans risques, comme en témoignent les échecs de XCOR Aerospace (1999-2017) et, cette année, l'arrêt du projet Stratolaunch qui était en développement depuis 2011 sous l'égide de par Paul Allen, cofondateur de Microsoft.

En Europe, le projet Altair ( Air launch space transportatoin using an automated aircraft and an innovative rocket ) piloté par l'Onera depuis 2015, qui vient de réaliser ses vols de démonstration à Kourou, propose une approche différente en s'attaquant précisément aux coûts du porteur. Il s'agit d'un drone larguant un lanceur consommable pour une mise sur orbite basse d'une charge utile de 150 kilos devant permettre d'offrir des missions à bas coût, de l'ordre de 5 millions d'euros, proche de ce que propose aujourd'hui Rocket Lab . L'intérêt d'une telle solution, outre son coût limité, est la réactivité du service de lancement. Le retour de Dassault Aviation dans le domaine spatial laisse aussi supposer que cette perspective d'un lanceur aéroporté lui semble de nouveau crédible (ex. : projet MLA de micro-lanceur aéroporté à l'aide d'un Rafale), après une première tentative il y a une trentaine d'années. Le projet Altair est financé à hauteur de 3,5 millions d'euros par la Commission européenne dans le cadre d'Horizon 2020.

Cependant, la solution la plus économique pour lancer des petits satellites reste, à ce jour, la position de passager auxiliaire sur les lanceurs . Pour le Cnes, seule une solution de lancement sur Ariane 6 et Vega C en passager auxiliaire permet d'atteindre les objectifs économiques de prix de lancement d'un petit satellite, soit 10 000 euros au kilo et donc un million d'euros pour 100 kilos en orbite. On constate d'ailleurs que plus de 80 % de petits satellites sont ainsi lancés en rideshare 92 ( * ) .

SpaceX retient la même stratégie qu'Arianespace sur ce créneau : l'entreprise a ainsi récemment communiqué sur une nouvelle tarification de ses offres en « rideshare » (1 million de dollars pour 200 kilos + 5 000 dollars par kilo supplémentaire). L'offre de SpaceX présente également l'avantage de procurer une grande souplesse en termes de calendrier et d'appliquer des frais réduits en cas de nécessité de rebooking (tout report de la date de lancement, en cas de retard de la charge utile, est facturé 10 %). Cette offre concernerait un lancement par mois à partir de mars 2020 - ce modèle économique repose de fait sur de la place disponible dans le cadre des vols pour sa propre constellation, Starlink .

Le principal intérêt des solutions de micro-lanceurs réside donc, à ce jour, dans leur grande réactivité.

Mais il ne faut pas pour autant fermer la porte au développement de micro-lanceurs qui pourraient utilement compléter l'offre de lancement européenne. En effet, le développement d'un micro-lanceur, qu'il aboutisse ou non, peut être l'occasion de tester de nouvelles technologies applicables ensuite sur les lanceurs lourds. Dans l'hypothèse où la France n'interviendrait pas dans sa production, ce serait également l'occasion de renforcer l'intérêt du pays qui développerait ce micro-lanceur pour le CSG, lequel aurait vocation à l'accueillir. Enfin, il pourrait s'avérer être une solution ponctuelle de lancement utile pour des missions militaires utilisant des nano satellites.

C'est pourquoi, dans la perspective de la réunion du conseil ministériel de l'Agence et suite au feu vert donné par le conseil en avril 2019, l'Agence spatiale européenne propose de mettre en place un cadre programmatique flexible à travers lequel les opérateurs économiques européens pourront promouvoir les projets privés de développement de services de transport spatial commercialement viables reposant notamment sur des micro-lanceurs .

Le Cnes propose d'accompagner activement les projets les plus prometteurs, en particulier en leur permettant une implantation en Guyane dans des conditions favorables (mise à disposition d'un site dédié et exonération de redevance pendant les premières années d'exploitation).

Les rapporteurs soutiennent ces orientations, et soulignent également l'intérêt que peut avoir une solution aéroportée privée en termes de réactivité. Il conviendra de s'assurer de la complémentarité des solutions développées et de minimiser l'investissement public.

B. UNE NÉCESSAIRE RÉVISION DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE DES LANCEURS SPATIAUX

Le risque de change est un handicap indépassable pour nos lanceurs : les coûts de production sont facturés en euros et les recettes commerciales sur le marché mondial sont en dollars. A l'inverse, les lanceurs américains, qui produisent et vendent en dollars, n'y sont pas exposés.

Mais nos lanceurs peuvent aussi être handicapés par une politique industrielle inadaptée au regard des standards internationaux, c'est pourquoi il convient de déterminer un principe de préférence européenne et d'assouplir le principe du retour géographique.

1. Pour une préférence européenne

Le marché européen est étroit par rapport aux autres grands marchés du lancement spatial. En 2018 comme en 2017, l'Europe ne se situe qu'à la quatrième place mondiale en termes de lancements , derrière la Chine, les États-Unis et la Russie. Elle occupe la même place en termes de masse des satellites mis sur orbite, avec 47 tonnes, soit 12 % de la masse totale 93 ( * ) .

Lancements réalisés par région du monde en 2018

Source : Federal administration of aviation (annual compendium, 2018).

C'est surtout l'étroitesse du marché institutionnel européen qui explique cette place : les commandes institutionnelles représentent environ 34 % de la demande en Europe, contre 73 % pour les États-Unis . Cela a pour conséquence, on l'a vu, d'engendrer une dépendance des lanceurs spatiaux européens au marché commercial , qui s'élève pour Ariane 5 à 75 % . Or, une telle dépendance n'apparaît pas optimale lorsque les conditions de marché sont particulièrement incertaines. Il convient donc d'examiner les voies et moyens d'augmenter la demande institutionnelle, tant potentielle qu'effective.

a) Augmenter le volume potentiel de la demande institutionnelle en établissant un principe de préférence européenne

Le marché européen se caractérise par l'absence de « préférence européenne », alors que les marchés institutionnels américains 94 ( * ) et chinois sont captifs. L'Europe est ainsi un cas unique où un satellite développé sur fonds publics peut être lancé sur un lanceur non européen, alors même que les lanceurs européens ont été développés sur fonds publics 95 ( * ) . Comme le rappelait devant les deux commissions André-Hubert Roussel, « les marchés américain et chinois sont inaccessibles aux lanceurs européens, or ils représentent les deux-tiers du marché mondial. »

C'est un handicap majeur pour notre industrie . De fait, des pays européens ont déjà eu recours à SpaceX pour des lancements institutionnels, comme cela est rappelé dans une récente note de l'Opecst sur les lanceurs réutilisables : « en 2018, Falcon 9 de SpaceX a (...) mis en orbite le satellite luxembourgeois Govsat-1 , dédié aux communications duales ultrasécurisées (...), et le satellite militaire espagnol Paz d'observation de la Terre. À la suite d'un contrat signé en 2013 avec SpaceX , c'est le même Falcon 9 qui devrait lancer cette année et l'année prochaine les trois satellites SARah de reconnaissance radar utilisés par l'armée allemande, en remplacement de la constellation des cinq satellites SAR-Lupe » 96 ( * ) . C'est également le cas pour le lanceur Vega, qui a par exemple vu le satellite allemand Biros lui échapper au profit du PSLV indien. La ministre des Armées, Florence Parly, a récemment résumé le danger d'une telle situation dans le contexte de prix agressifs proposés par les fournisseurs de services établis de l'autre côté de l'Atlantique : « ne soyons pas complices de ce petit jeu, pas très loyal, qui vise en réalité à nous faire perdre notre autonomie d'accès à l'espace » 97 ( * ) .

Même si ce cas de figure est relativement marginal, les rapporteurs estiment nécessaire que l'ensemble des donneurs d'ordre - États, Agence spatiale européenne 98 ( * ) et Union européenne - s'engagent à lancer européen . Pour la Direction générale de l'armement, « seul ce type de mesure garantira la pérennité de notre industrie dans le domaine et donc le maintien de notre accès à l'Espace, qui est d'une grande importance stratégique ». C'est du reste la position exprimée par le Sénat dans sa résolution du 9 août 2019 sur la politique spatiale de l'Union européenne 99 ( * ) .

Des progrès ont été récemment effectués sur ce terrain. Le 26 avril 2018, un contrat cadre entre Arianespace et l'Agence affirme l'engagement complet de l'Agence spatiale européenne en matière de lanceurs européens pour ses programmes 100 ( * ) .

Au niveau de l'Union européenne, ce principe inspirerait certaines dispositions du nouveau règlement sur les programmes spatiaux européens pour la période 2021-2027, toujours en cours d'examen au Conseil et au Parlement européen 101 ( * ) . Si les institutions européennes n'ont pas pu se mettre d'accord sur l'inscription, dans le règlement, d'un principe aussi clair, celui-ci prévoit toutefois dans sa version actuelle un article 5 dans lequel le principe d'un accès autonome à l'espace est réaffirmé, ce qui, comme l'a rappelé André-Hubert Roussel devant les deux commissions, « ouvre la voie à une préférence européenne ».

Resterait donc à obtenir que chaque État membre s'engage en ce sens . Une étape importante a été franchie le 25 octobre 2018, quand plusieurs États européens représentés par leur agence spatiale (France, Italie, Allemagne, Suisse, Espagne) et l'Agence spatiale européenne, ont signé à Madrid, une déclaration commune sur l'exploitation institutionnelle d'Ariane 6 et Vega C 102 ( * ) affirmant leur volonté d'utiliser en priorité les lanceurs européens pour leurs satellites institutionnels. L'engagement en ce sens de la France et de l'Allemagne a été confirmé au plus haut niveau politique le 16 octobre 2019 , ce qui est une excellente nouvelle 103 ( * ) .

b) Augmenter le volume réel de la demande institutionnelle

Le très important volume de commandes institutionnelles américain apparaît hors de portée pour les Européens. Aux États-Unis, le budget alloué au transport spatial s'élèverait au total à plus de 7,5 milliards de dollars par an. Sur les cinq dernières années, la cadence des lancements spatiaux s'étalait entre 20 et 31 par an, contre une dizaine en Europe. Globalement, le budget spatial américain est de l'ordre de 50 milliards de dollars contre 10 milliards en Europe.

Dans un contexte budgétaire contraint, et alors que les États membres ne convergent pas tous sur l'ampleur des montants à affecter à la politique spatiale, aucun miracle n'est possible, mais il existe une marge de progression . Le président-directeur général d'Arianespace a ainsi plaidé devant les rapporteurs pour « rendre les lanceurs résilients aux fluctuations du marché », ce qui pourrait « passer par des missions d'exploration, les suites de la station spatiale, les projets de retour vers la Lune, ou encore une constellation pour la connectivité en partenariat public-privé . » Selon lui, si le vol habité « n'est pas au programme pour l'instant », « Ariane 6 pourrait accomplir une mission lunaire dès 2025 sous l'égide de l'Agence spatiale européenne » 104 ( * ) . Ces positions sont également défendues par Avio .

La France fait les efforts nécessaires dans le cadre de l'actuelle loi de programmation militaire, qui mobilise 3,6 milliards d'euros en vue d'assurer le renouvellement complet de nos capacités satellitaires (renseignement avec Cérès, télécommunications avec Syracuse IV, observation avec Musis). Le 25 juillet 2019, la stratégie spatiale de défense a amplifié la dynamique en annonçant le développement des capacités de l'armée dans le spatial qui se traduiront par un effort budgétaire complémentaire de 700 millions d'euros.

La hausse notable du budget de l'Union européenne consacré au spatial , tel que proposée par la Commission européenne, est également de nature à permettre une augmentation des commandes institutionnelles . La Commission propose en effet d'inscrire 16 milliards d'euros dans le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027 de l'Union, en augmentation d'un tiers par rapport au précédent cadre financier pluriannuel (12 milliards d'euros) et de 220 % par rapport à son prédécesseur (5 milliards d'euros).

Par ailleurs, il convient également de soutenir l'utilisation de lanceurs européens auprès de nos partenaires . Le projet de base lunaire, Lunar Orbital Platform-Gateway (LOP-G), présenté en 2017 par la Nasa et auquel est associée l'Agence spatiale européenne en constitue, par exemple, l'occasion. Appelée à succéder à la station spatiale internationale, cette station orbitale servira de départ pour des missions habitées plus lointaines, sur Mars par exemple, et facilitera l'exploitation de la Lune. Sa construction devrait démarrer au début des années 2020. La Nasa prévoit d'utiliser son futur lanceur, le Space Launch System (SLS) 105 ( * ) , pour acheminer les éléments d'assemblage de la base et son vaisseau Orion pour les passagers. Selon le président-directeur général d'Arianespace « si les Européens contribuent à ce programme, Ariane 6 pourrait aussi faire le job » 106 ( * ) . Il suggérait également d'aller plus « en concevant une capsule pour des vols habités sur la base de l'expertise acquise avec le cargo ATV 107 ( * ) » qui serait lancé, là aussi, par la fusée européenne.

c) Remplacer le soutien à l'exploitation par des commandes pluriannuelles et agrégées au niveau européen

Une autre faiblesse de la politique industrielle européenne réside dans la multiplicité de donneurs d'ordre - les États, l'Agence spatiale européenne, l'Union européenne et Eumetsat - qui fait de l'Europe un marché institutionnel éclaté , là où les États-Unis ne connaissent que deux donneurs d'ordres publics : le ministère de la Défense et la Nasa .

Il serait plus simple et plus sûr pour les industriels , a fortiori dans l'hypothèse où une préférence européenne serait consacrée, d'agréger la demande institutionnelle .

Ce constat semble aujourd'hui partagé, mais la détermination de l'instance idoine - Agence spatiale européenne ? Commission européenne ? les deux ? - reste complexe. Dans la déclaration conjointe du 25 octobre 2018 précitée, les cinq États membres reconnaissent, sous l'égide de l'Agence spatiale, l'avantage de regrouper leur demande institutionnelle de services de lancement afin de garantir à l'Europe un accès à l'espace indépendant, rentable, abordable et fiable. Dans le même temps, le projet de règlement européen établissant le programme spatial de l'Union et l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial comporte d'ailleurs une phrase selon laquelle « la Commission devrait (...) avoir la possibilité de regrouper les services de lancement au niveau européen, tant pour ses propres besoins que pour ceux, à leur demande, d'autres entités, y compris les États membres ».

Les rapporteurs estiment nécessaire que les deux entités s'entendent sur la meilleure façon de structurer le marché institutionnel européen . L'Agence spatiale européenne leur a précisé que les deux entités « engageront à ce titre une étude de faisabilité commune, afin d'examiner la possibilité d'un mécanisme d'approvisionnement consolidé des services de lancement institutionnels européens ».

Par ailleurs, une telle agrégation réalisée sur un horizon pluriannuel permettrait de donner de la visibilité aux industriels.

La commande groupée à un horizon pluriannuel pourrait même constituer un nouveau mode de soutien à l'industrie européenne . Comme la Cour des comptes a pu le souligner dans son rapport précité, le soutien public à l'exploitation d'Ariane 5 reposait sur deux leviers : des subventions d'équilibre à l'exploitation d'Ariane 5 versées à Arianespace et financées par l'Agence spatiale européenne ; des recapitalisations d'Arianespace de 2004 et de 2010 souscrites par le Cnes. Elle recommandait de soutenir le lanceur Ariane 6 « par d'autres moyens » : en l'espèce, des commandes pluriannuelles agrégées.

Une telle modalité de soutien romprait ainsi avec la pratique retenue pour Ariane 5 et aurait l'avantage d'être conforme à la répartition des responsabilités établie en 2014 au conseil au niveau ministériel de l'Agence spatiale européenne 108 ( * ) , qui visait à davantage responsabiliser les industriels. Cette répartition peut être résumée de la façon suivante :

- le privé assume la totalité du risque d'exploitation (fin de la subvention d'exploitation) ;

- le public, en retour, garantit un nombre minimum de lancements sur plusieurs années.

L'Agence spatiale européenne confirme que c'est un schéma envisagé pour Ariane 6 à l'issue de la période de transition. Elle estime cependant que « si l'on considère l'équation globale entre le volume de marché accessible et le coût d'ensemble de l'accès à l'espace, il paraît peu probable qu'un arrêt complet du soutien à l'exploitation permette d'offrir des services de lancement à un prix abordable , d'autant que le port spatial de l'Europe et les installations d'essais moteur sont également financés sur fonds publics . »

Deux éléments favoriseraient le passage d'un soutien à la filière sous la forme de contrats plutôt que sous la forme d'un soutien à l'exploitation. D'abord, la hausse des commandes institutionnelles évoquée ci-dessus. Ensuite, un paiement des lancements institutionnels plus chers que les lancements commerciaux , comme le font les Américains, à partir du moment où les opérateurs économiques parviennent à facturer une marge sur le marché commercial . Cela présenterait la vertu d'être une incitation à l'investissement, en atténuant l'incertitude qui règne sur le marché commercial. Cela aurait également la vertu d'écarter le risque juridique provenant de la contestation par SpaceX des modalités actuelles de soutien à la filière - la presse s'est fait l'écho de ce que l'entreprise, considérant que « les subventions de l'Union européenne et du Gouvernement français réduisent artificiellement le prix des services de lancement d'Arianespace sur le marché international et permettent à leurs fusées d'être déloyalement compétitives », demande à son Gouvernement de parvenir à « un accord qui garantisse qu'Arianespace ne reçoive pas de traitement préférentiel et que les membres de l'Union ne discriminent pas les fournisseurs non européens » 109 ( * ) ...

2. Assouplir le principe du retour géographique
a) Appliquer la règle du retour géographique de façon plus souple et incitative

Le retour géographique est l'un des principes fondateurs de la politique industrielle de l'Agence spatiale européenne, dont 85 % du budget est reversé à l'industrie. C'est l'une des clés du succès des projets de coopération intergouvernementaux. Selon l'article 7 paragraphe 1 c) de la convention du 30 mai 1975 portant création de l'Agence, sa politique industrielle doit être conçue notamment de façon à « garantir que tous les États membres participent de façon équitable, compte tenu de leur contribution financière, à la mise en oeuvre du programme spatial européen et au développement connexe de la technologie spatiale ». Cette disposition est complétée par l'article 4 de l'annexe V de la convention de 1975, qui détermine les modalités de calcul d'un coefficient de retour géographique 110 ( * ) .

Cependant, cette règle a pour conséquence un éclatement de la chaîne de production du programme Ariane 6 , comme le montre le schéma ci-après. Cela induit nécessairement des surcoûts préjudiciables à la compétitivité du lanceur. De plus, comme le souligne la Direction générale de l'armement, « les règles en vigueur à l'Agence spatiale européenne conduisent à pousser nos industriels majeurs du domaine, du fait des règles en vigueur, à travailler avec des PME étrangères plutôt qu'avec nos propres PME nationales ».

Source : Agence spatiale européenne

Cette règle constitue donc un frein majeur à la rationalisation du processus industriel . À l'inverse, on l'a vu, SpaceX concentre la quasi-totalité de sa production sur un même site. L'Onera estime qu'il s'agit d'« une règle déjà antiéconomique (au niveau du coût de l'objet) lorsque l'on coopère à quelques-uns, qui devient un véritable handicap au niveau de l'Europe ».

Face à l'accroissement de la concurrence sur le marché des lancements spatiaux, une application plus mesurée s'impose . C'est ce que proposent les industriels français depuis plusieurs années. C'est d'ailleurs un des éléments qui les poussent à plaider en faveur d'un rôle plus important confié à l'Union européenne par rapport à l'Agence spatiale européenne, dans la mesure où les commandes de l'Union européenne reposent sur un principe de concurrence au sein du marché commun.

Selon l'Agence spatiale européenne, un assouplissement est déjà en cours en pratique, via deux leviers :

- une certaine flexibilité à l'échelle des programmes, des domaines d'activité et de l'Agence dans son ensemble ;

- à travers une gestion de sa politique industrielle selon une approche proactive, consistant à anticiper les opportunités et à conclure des contrats à bon escient, en étroite collaboration avec les maîtres d'oeuvre industriels, de manière à s'assurer de l'efficacité des activités.

Elle reconnaît cependant que « les efforts d'augmentation de flexibilité et de gain en efficacité sont à poursuivre, considérant notamment la maturité de l'industrie spatiale européenne à ce jour. »

Les rapporteurs estiment qu'il faut assouplir davantage les modalités de calcul de cette règle pour les secteurs soumis à une forte concurrence internationale . C'est en ce sens que la ministre Frédérique Vidal s'est exprimée lors du colloque « perspectives spatiales » d'avril 2019 : « il nous faudra réviser le principe de retour géographique pour les programmes compétitifs , car la règle d'or qui doit désormais primer toutes les autres, c'est le projet, sa cohérence, son unité, et par-dessus tout, sa compétitivité. Le principe d'un juste retour est fédérateur car il permet aux États qui le souhaitent de participer à l'aventure spatiale. Mais appliqué trop littéralement, il engendre une complexité excessive et traduit une vision du collectif où le tout se réduirait simplement à la somme des parties. » Devant les deux commissions, le président du Cnes estimait que « la règle du retour géographique est dans le fonctionnement de l'Agence spatiale européenne : il faut lui apporter de la flexibilité . » De même, plusieurs rapports parlementaires récents ont plaidé en faveur d'un tel assouplissement 111 ( * ) .

Le rapport précité de la Cour des comptes défendait un tel assouplissement en ces termes : « s'il est légitime que les États contribuant au développement des lanceurs aient un juste retour géographique de leur investissement, ces règles de retour devraient être à tout le moins assouplies. Elles devraient notamment être gérées de façon pluriannuelle et globale au niveau de l'ensemble des programmes spatiaux européens », proposition soutenue par le ministre de l'Action et des Comptes publics dans sa réponse au rapport. Dans sa réponse au même rapport, la ministre des Armées estimait même « sans doute nécessaire d' aller au-delà d'un assouplissement , voire de remettre en cause le principe même de retour géographique, dans la mesure où il induit de fortes désoptimisations industrielles, résultant de l'addition de couches de management de contrats, d'une part, et de la duplication de compétences en Europe, d'autre part ». La Direction générale de l'armement estime qu'il faut imaginer des mécanismes qui maintiennent l'intérêt des États à financer le lanceur sans recevoir tout le retour industriel sur le territoire, comme des compensations entre programmes de l'Agence spatiale européenne ou des décotes.

L'industriel italien Avio propose d' insérer dans les contrats de développement une clause selon laquelle lorsque l'industrie n'atteint pas les objectifs en termes de coût de production d'un produit, le bénéfice du retour géographique serait remis en cause . De même, le Cnes estime que, « quand le programme donne lieu à une phase de production, et c'est le cas unique des lanceurs, une remise en compétition devrait être possible ». Cela rejoint l'idée, soutenue par le député Jean-Luc Fuguit dans la note précitée sur les lanceurs réutilisables, de « smart georeturn » fondé sur la compétitivité comparée des industriels.

Le Cnes souligne que, pour le développement d'Ariane 6, les États membres s'étaient accordés pour permettre à ArianeGroup de remettre en compétition ses sous-traitants (entreprises dites « de niveau 2 et 3 ») dans certaines conditions, dès lors que le chiffre d'affaires généré par la première partie de la production avait atteint la mise de fonds initiale du pays en question et si l'industriel concerné refusait de réduire ses prix de manière comparable à ArianeGroup. L'objectif était d'éviter des situations de rente où un industriel choisi pour le développement d'un équipement de lanceur est responsable de la production de cet équipement pour toute la durée de production. Cependant, bien que figurant dans les exigences de haut niveau (« High level requirements » ou HLR) décidées par l'Agence spatiale européenne pour le développement d'Ariane 6, cette disposition n'avait pas été formellement approuvée par les États participants au programme Ariane 6 et elle est aujourd'hui fortement remise en cause par ces États.

L'idée d'un « smart georeturn » mériterait donc d'être creusée en ce qu'elle permettrait d'inciter davantage les industriels à la réduction des coûts, tant dans la phase de production que dans la phase d'exploitation .

b) Réduire la dispersion de la production industrielle

En lien avec l'assouplissement du principe du retour géographique, il apparaît nécessaire de poursuivre la rationalisation industrielle afin de réduire les coûts de production.

Plusieurs personnes auditionnées par le groupe de travail ont mis en avant les efforts réalisés par l'industrie pour mener à bien le projet Ariane 6 en un temps record et en respectant les objectifs de réduction des coûts. Le secteur des lanceurs a en effet fait l'objet d'une profonde réorganisation industrielle à l'occasion du lancement du programme. Les groupes Airbus et Safran ont regroupé leurs actifs dans le domaine des lanceurs pour créer ArianeGroup en 2016 , substituant ainsi à des relations contractuelles des relations directes au sein d'une même entreprise franco-allemande composée de 9 000 salariés. ArianeGroup - pendant un temps dénommé Airbus Safran Launchers (ASL) - est également devenu maître d'oeuvre du développement du nouveau lanceur Ariane 6 112 ( * ) . Par ailleurs, depuis le rachat des parts détenues par le Cnes, ArianeGroup est l'actionnaire majoritaire d'Arianespace, assurant ainsi un plein alignement des intérêts entre le producteur du lanceur et l'entreprise qui le commercialise 113 ( * ) .

De l'avis général des personnes auditionnées par le groupe de travail, la création d'ArianeGroup est incontestablement une réussite qui se traduit par une meilleure efficacité globale en développement et en exploitation. Lors de son audition, Geneviève Fioraso a salué la performance des industriels qui seront parvenus à développer un nouveau lanceur en six ans avec une organisation industrielle totalement modifiée.

Cette rationalisation s'est aussi traduite par une certaine pression sur les sous-traitants, qui ont également dû faire des efforts pour baisser leurs coûts, à l'image de l'entreprise Clemessy.

Une rationalisation industrielle s'est également ébauchée entre Avio et ArianeGroup avec la production du P120C.

S'il convient de se féliciter de ces avancées, plusieurs intervenants ont également souligné la nécessité d'aller plus loin, estimant qu' il existe encore des marges de manoeuvre pour réduire la dispersion de l'outil industriel européen . La Direction générale de l'armement estime que « les entreprises extérieures à l'écosystème ArianeGroup n'ont pas d'incitation à réduire leurs coûts, et (que) cette réduction est de fait essentiellement portée par ArianeGroup ». Le Cnes estime par exemple que le fait que deux principaux industriels (ArianeGroup GmbH et MT Aerospace) se partagent les activités sur cinq sites industriels laisse présager d'un potentiel important de gain de compétitivité. Une telle consolidation outre-Rhin devrait être recherchée dans le cadre d'une entreprise européenne intégrée et non pas dans la perspective de créer des « champions nationaux », qui iraient à rebours de toute l'histoire de la coopération spatiale européenne.

Les rapporteurs partagent cette analyse et, en conséquence, encouragent les industriels et les États à réfléchir aux voies et moyens de poursuivre la rationalisation de l'outil industriel . Selon les réponses fournies au groupe de travail par l'Agence spatiale européenne, le conseil de l'Agence a réclamé la mise en oeuvre d'un plan de réduction des coûts contraignant et concernant chaque État participant, qui passerait par des restructurations industrielles, la consolidation interne d'Arianespace et ArianeGroup, des gains d'efficacité et une baisse des coûts de la sous-traitance. Les rapporteurs se félicitent que la Déclaration franco-allemande du 16 octobre 2019 abonde en ce sens 114 ( * ) .

C. RESTAURER L'AMBITION SPATIALE EUROPÉENNE

L'Europe doit pouvoir s'appuyer sur une industrie compétitive et maîtrisant la réutilisation pour maintenir ses parts de marché. Parallèlement, les pouvoirs publics européens doivent se mobiliser pour reconnaître l'autonomie d'accès à l'espace comme une condition de l'autonomie stratégique européenne et un relais de croissance pour notre économie spatiale. Cette mobilisation passe par une voie politique, qui nécessitera un engagement budgétaire de toute l'Europe spatiale.

1. La nécessité d'un leadership collectif appuyé sur une ambition

La politique spatiale semble incarner, mieux que toute autre politique publique, la fameuse question prêtée à Henry Kissinger : « l'Europe, quel numéro de téléphone ? ». L'existence de diverses structures, en partie insurmontable pour ménager les équilibres entre États, rend le processus de décision complexe, lent, voire rigide. Comme l'a souligné André-Hubert Roussel le 22 mai dernier, « l'Europe des lanceurs hélas, tout comme l'Europe politique, est tiraillée par des interrogations, des tensions, voire des forces centrifuges, avec une tentation de renationaliser tel ou tel élément de la politique spatiale. » Le mouvement institutionnel en cours, qui semble conduire à la montée en puissance de l'Union européenne, devrait être l'occasion d'améliorer les processus décisionnels et les coopérations.

Pour y remédier, les principaux États spatiaux - sur les lanceurs, a minima la France, l'Allemagne et l'Italie 115 ( * ) - doivent assumer un leadership collectif , donner un souffle à l'Europe spatiale, quelles qu'en soient les formes institutionnelles. Il conviendrait qu'ils s'accordent entre eux sur une stratégie à moyen terme.

Les rapporteurs identifient plusieurs préalables à une telle coordination. Premièrement, la France doit faire émerger une véritable « équipe de France » , qui partage les mêmes objectifs. L'audition du 22 mai dernier au Sénat a pu montrer l'alignement du Cnes et d'ArianeGroup. Il conviendrait également que le Cnes et l'Onera renforcent leurs liens. Le comité de concertation État-industrie sur l'espace (Cospace) constitue le meilleur endroit pour faire émerger des positions communes. Il devrait davantage associer le Parlement à ses travaux.

Avec l'Italie, il conviendrait de remettre à plat le conflit latent entre Avio et Arianespace , qui se traduit par une action du groupe italien contre la décision de la Commission européenne autorisant la cession à ArianeGroup des parts du Cnes dans Arianespace, qui a fait du fabricant d'Ariane l'actionnaire majoritaire d'Arianespace 116 ( * ) . Avio revendique une responsabilité accrue dans la gestion des opérations de lancement : l'entreprise estime qu'« il est nécessaire de lui fournir, en tant que " prime contractor ", tous les outils de gestion opérationnelle de pertes et profits, y compris la responsabilité de gestion des sites et des infrastructures de lancement et la responsabilité technique des lanceurs », afin qu'Arianespace « se concentre sur son premier rôle, c'est-à-dire la vente de services de lancement au client final, la préparation des satellites pour le lancement et l'exécution du lancement ». Une issue favorable à ce différend tiendrait peut-être à une plus grande association de l'industriel italien à l'entreprise européenne de commercialisation des services de lancement.

Avec l'Allemagne, la transition vers la propulsion liquide ainsi qu'une plus grande rigueur budgétaire envers l'Agence spatiale européenne permettront sans doute d'engager un processus de convergence. La Déclaration franco-allemande du 16 octobre dernier constitue un pas décisif en ce sens.

Mais un tel leadership collectif doit également être incarné dans une ambition . Comme l'expliquent les salariés d'ArianeGroup 117 ( * ) , on ne peut mobiliser les équipes uniquement avec un objectif de réduction des coûts. À l'image d'André Gattolin et Jean-François Rapin qui estiment l'Europe spatiale « en panne de récit politique » 118 ( * ) , l'Europe des lanceurs paraît manquer de souffle.

Aujourd'hui, force est de constater que c'est le secteur spatial américain qui fait rêver les foules, avec pour horizon le développement du vol habité . Elon Musk parvient à mettre en scène ses avancées à la façon d'une épopée qui aurait pour but ultime la colonisation de la planète Mars. En 2020 devraient avoir lieu les premiers vols habités dans les capsules de SpaceX et de Boeing , premières missions de ce type confiées à des entreprises privées. Alors que, en 2017, seules 560 personnes sont allées dans l'espace 119 ( * ) , SpaceX ambitionne avec son lanceur Starship de permettre les vols suborbitaux pour se déplacer d'un point A à un point B de la planète à la manière d'un avion de ligne, mais en des délais bien plus réduits, et de permettre la colonisation d'autres planètes 120 ( * ) . Jeff Bezos, bien que plus discret, mise également sur le vol habité, avec le retour sur la Lune pour premier objectif, mais aussi le développement de colonies spatiales artificielles. Au-delà de ces aventures personnelles, le Gouvernement américain renoue avec une logique de puissance, incarnée dans la US National Space Strategy de mars 2018 et le nouvel objectif d'un retour d'astronautes américains sur la Lune dès 2024, incarné dans le plan « Artemis » de la Nasa .

Ce mouvement dépasse les États-Unis. Prenant la place de l'ancien rival soviétique, la Chine développe une station spatiale indépendante et entend réaliser des missions lunaires habitées vers 2030. En Inde, le Premier ministre a annoncé ambitionner de réussir une mission spatiale habitée d'ici 2022. L'Inde deviendrait alors le quatrième membre d'un club très fermé rassemblant les États-Unis, la Russie et la Chine. On observe donc une tendance de fond vers le retour du vol habité.

Contrairement à Ariane 6, Ariane 5 reposait sur un projet européen véritablement ambitieux : à la fin des années 1980, l'Europe entendait participer à l'épopée du vol habité avec la navette Hermès 121 ( * ) . On peut aujourd'hui légitimement se poser la question de savoir ce que fait l'Europe sur le vol habité. À ce jour, pas grand-chose. Les dirigeants d'ArianeGroup considèrent qu'Ariane 6 pourrait être adaptée au vol habité. L'Agence spatiale européenne développe modestement un concept de village lunaire. En janvier dernier, ArianeGroup a signé un contrat d'un an avec l'Agence spatiale européenne pour étudier la possibilité d'aller sur la Lune avant 2025 et commencer à y travailler en vue d'exploiter le régolithe, un minerai duquel il est possible d'extraire eau et oxygène, permettant ainsi d'envisager une présence humaine autonome sur la Lune et de produire le carburant nécessaire à des missions d'exploration plus lointaine.

L'Europe doit donc avant tout s'interroger sur les objectifs qu'elle poursuit, pour aboutir à une ambition renouvelée et partagée par nos concitoyens . À l'heure où la construction européenne fait l'objet de tiraillements, l'Europe spatiale peut devenir la nouvelle locomotive de l'Europe.

2. Une indispensable mobilisation budgétaire

La France est le premier contributeur des lanceurs Ariane depuis les années 1970 . Selon la Cour des comptes, sur le programme Ariane 6 , la France finance la moitié des 4 milliards initialement décidés 122 ( * ) , 58 % des 431 millions d'euros décidés lors de la réunion ministérielle de Lucerne en 2016 et 69 % des 376 millions d'euros actés par le conseil d'administration de l'Agence en juin 2018. Si l'on prend en compte la totalité du secteur spatial, la France est le 2 e investisseur public dans le monde après les États-Unis au regard de son PIB (0,1 %) et en dollars par habitant (41 dollars) 123 ( * ) .

Cet effort financier pourrait être davantage partagé avec nos partenaires européens : l'indépendance d'accès à l'espace est un bien qui profite à tous les États européens, il est temps que chacun en prenne conscience !

En 2020, la France aura mis fin à sa pratique de sous-budgétisation de sa dotation à l'Agence spatiale européenne, ce qui ne la met plus en position de faiblesse lorsqu'il s'agit de plaider pour un investissement accru de la part de ses partenaires.

La Cour des comptes a ainsi suggéré l'idée intéressante, bien qu'à ce stade assez délicate à mettre en oeuvre compte tenu des divergences entre les différents États membres sur la place des lanceurs, de tenter d'intégrer le financement des programmes concernant les lanceurs au sein des programmes obligatoires de l'Agence spatiale européenne, aujourd'hui limités aux programmes de recherche scientifique 124 ( * ) .

Elle a également recommandé que nos partenaires européens, que ce soit par le biais de l'Agence ou à travers l'Union européenne, investissent davantage dans le Centre spatial guyanais . Elle estime en effet que la France continue de supporter 84 % des coûts de la base de lancement (le Centre spatial guyanais) 125 ( * ) . Le Cnes a souligné aux rapporteurs que la Cour avait également émis l'idée de faire participer les États membres de l'Agence spatiale européenne aux charges liées à la sécurité extérieure assurée par les gendarmes et les militaires et directement prises en charge par l'État français 126 ( * ) . Bien que cela paraisse difficile, dans la mesure où ces dépenses revêtent un caractère parfaitement « régalien », il pourrait en effet être envisagé d'ouvrir des négociations sur l'étendue du périmètre des coûts fixes pris en charge par l'Agence , incluant, dans cette hypothèse, la sécurité extérieure assurée par les gendarmes et les militaires. Cela ne peut passer que par une renégociation globale de l'Accord entre la France et l'Agence spatiale en date de 2008 , qui ne sera pas à l'ordre du jour avant le prochain conseil ministériel de 2022.

D'une façon générale, l'accord des autres États membres de l'Agence pour le déblocage de fonds supplémentaires pour le CSG est souvent difficile à obtenir en raison de la nature de l'activité du CSG, qui relève principalement de la réalisation d'infrastructures et de la maintenance industrielle. Cela suscite donc un intérêt technique et industriel moindre des États membres, comparativement aux autres programmes spatiaux (scientifiques, satellites ou lanceurs). La demande supplémentaire proposée au prochain conseil ministériel semble donc constituer un maximum difficile à dépasser à très court terme.

Au-delà de la contribution de l'Agence spatiale européenne, la principale voie de répartition des coûts serait donc une implication grandissante de l'Union Européenne , conformément à ses ambitions incarnées dans sa stratégie spatiale pour l'Europe en 2016, puis dans sa proposition de règlement sectoriel établissant le programme spatial de l'Union européenne et, enfin, dans le budget en hausse que la Commission européenne propose pour le prochain cadre financier pluriannuel. Ces crédits pourraient ainsi être utilisés pour financer le CSG. Selon le Cnes, si, à court-moyen terme, la Commission Européenne n'a pas prévu de contribution particulière à la maintenance et au fonctionnement du centre, elle pourrait financer de nouvelles infrastructures dédiées à ses programmes Galileo et Copernicus (halls de préparation, de stockage d'équipements par exemple), dans le cadre des contrats de service de lancements. Cependant, ces investissements ne changeraient pas fondamentalement les grands équilibres budgétaires. Une implication plus importante de l'Union Européenne ne pourra advenir qu'à plus long terme, après un travail de longue haleine d'appropriation par la Commission des enjeux stratégiques liés au CSG. Les rapporteurs invitent le Gouvernement à s'y employer.

Enfin, l'Onera a attiré l'attention du groupe de travail sur la nécessité d'augmenter les budgets européens de recherche et développement en amont pour le secteur spatial : « force est de constater que toutes sources de financement (nationale avec le Cnes, européenne avec l'Agence spatiale européenne et la Commission) confondues, les crédits consacrés à la R&D en Europe dans le domaine spatial, et plus particulièrement les lanceurs, sont extraordinairement faibles. Le principal souhait que l'Onera peut formuler est que ceux-ci augmentent fortement à l'avenir, et laissent davantage de place aux propositions « bottom up », si l'on ne veut plus se laisser décrocher ». C'est pourquoi les rapporteurs tiennent à rappeler les termes d'une résolution adoptée par le Sénat en août dernier, selon laquelle il convient d'« approfondir l'effort de recherche et d'innovation dans le secteur spatial et demande, en conséquence, qu'une enveloppe de 4 milliards d'euros du futur programme-cadre Horizon Europe y soit affectée ». Ces crédits supplémentaires pourraient en effet financer certaines activités de préparation du futur. Il conviendrait de s'assurer de la complémentarité de ces projets avec les activités conduites par l'Agence spatiale européenne et par les États membres 127 ( * ) .

La place du secteur privé mériterait également d'être renforcée . Nous n'aurons probablement pas d'Elon Musk ni de Jeff Bezos. Mais, à nouveau, l'Europe a ici une marge de progression. Même si les investissements privés dans le spatial sont de quatre à huit fois moins élevés en Europe qu'aux États-Unis, on observe une tendance à la hausse en Europe sur les deux dernières années :

Investissements privés dans le spatial en Europe

Source : European space policy institute, Space Venture Europe 2018, février 2019

Ces investissements sont surtout concentrés sur quelques grandes opérations (cinq opérations représentent près des 2/3 des montants) et principalement le fait des fonds de capital-risque (83 %). Le Royaume-Uni, la Finlande et l'Irlande enregistrent les plus importants investissements privés. Le développement du capital-risque en France devrait permettre à notre pays de mobiliser davantage de financements privés sur le secteur spatial.

ANNEXES

I. LES INSTITUTIONS DE L'EUROPE SPATIALE

D'un point de vue institutionnel, l'Europe spatiale est composée de trois principaux acteurs :

- les États membres , et en particulier leurs agences spatiales (ex. : Cnes en France, Centre pour l'aéronautique et l'astronautique (DLR) en Allemagne) ;

- l'Agence spatiale européenne , qui est une organisation internationale intergouvernementale officiellement créée en 1975 ayant pour mission de concevoir et de mettre en oeuvre des programmes spatiaux exclusivement civils à l'échelle européenne, dont le fonctionnement repose sur le principe de l'unanimité et dont le périmètre géographique ne recoupe pas celui de l'Union européenne (on y trouve, parmi les 22 États membres, 20 États membres de l'Union européenne auxquels s'ajoutent la Norvège et la Suisse). Il existe deux types de programmes : les programmes obligatoires financés par des contributions financières versées par tous les États membres et calculées en fonction du produit national brut (il s'agit principalement des programmes scientifiques, comme Huygens, Rosetta ou BepiColombo) et les programmes optionnels pour lesquels chaque pays décide s'il souhaite participer et à quelle hauteur (c'est le cas d'Ariane 6 et Vega C) ;

- l'Union européenne (UE), qui est commanditaire des programmes Galileo 128 ( * ) , Egnos (navigation) et Copernicus 129 ( * ) (observation de la Terre). Le spatial est une compétence partagée entre l'UE et les États membres depuis le traité de Lisbonne. Elle dispose d'une Agence du système global de navigation par satellite européen, chargée d'optimiser le retour sur investissement européen dans les systèmes de navigation par satellite.

S'y ajoute également l'Organisation européenne pour l'exploitation des satellites météorologiques (Eumetsat), organisation internationale intergouvernementale créée en 1986 et fédérant 30 États membres européens en vue de la mise en place, la maintenance et l'exploitation des systèmes européens de satellites météorologiques.

II. MARCHÉ COMMERCIAL ET MARCHÉ INSTITUTIONNEL : UNE DISTINCTION FRAGILE

S'il représente aujourd'hui 6,2 milliards de dollars sur une économie spatiale estimée à 360 milliards de dollars, soit 1,7 % de l'économie spatiale 130 ( * ) , le marché des services de lancement est néanmoins essentiel dans la mesure où il conditionne la présence d'un État sur l'ensemble de la filière spatiale.

On distingue généralement le marché commercial des lancements de satellites dans l'espace du marché institutionnel. Il est généralement estimé que le marché commercial représente entre le quart et le tiers du nombre total de lancements de satellites dans le monde. Cependant, aucune définition standardisée n'existe au niveau international. L'idée de cette distinction est en somme de séparer les lancements « réservés » aux opérateurs nationaux et ceux qui ne le sont pas, selon différents critères que sont le recours à une mise en concurrence ou au contrat de gré à gré, l'existence ou non d'une règle de préférence nationale, et le type de financement de la charge utile (public, privé, partenariat public/privé).

L'absence de définition généralement admise rend donc délicate l'interprétation des chiffres relatifs aux parts de marché des différents opérateurs et lanceurs sur le marché commercial.

Le lancement de satellites ne comprend pas la totalité du marché du transport spatial : il faut y ajouter l'envoi de sondes pour l'exploration spatiale, le ravitaillement de la station spatiale internationale et le vol habité à destination de la même station ou encore, dans les années à venir, le tourisme spatial.

III. LA CLASSIFICATION DES PETITS SATELLITES

Selon l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera), on peut décomposer les satellites allant jusqu'à 500 kilos de la façon suivante :

- Femtosatellite : masse < 100 g ;

- Picosatellite : masse < 1 kg ;

- Nanosatellite (ou CubeSat) : masse < 10 kg ;

- Microsatellite : masse < 100-150 kg (la Nasa estime qu'il s'agit des satellites au poids inférieur à 100 kg) ;

- Minisatellite : masse < 500 kg (la Nasa estime qu'il s'agit des satellites au poids inférieur à 180 kg).

IV. LE PARI AMÉRICAIN DE DÉVELOPPEMENT DE L'OFFRE DE TRANSPORT SPATIAL COMMERCIAL

Le Commercial Space Launch Act adopté en 1984 et révisé en 2004 a posé les bases du développement de nouveaux entrants sur le marché spatial commercial. La Federal Aviation Administration a créé un bureau du transport spatial commercial en vue de réguler ce secteur. En 2006, la Nasa a lancé le programme visant à soutenir de nouveaux entrants en vue de construire des fusées et des capsules spatiales qui pourraient être utilisées pour ravitailler la station spatiale internationale, sachant que la navette spatiale serait bientôt arrêtée : c'est le programme COTS ( commercial orbital transportation services program ), qui a marqué le début du tournant américain vers le « New Space » 131 ( * ) . C'est dans le cadre de ce programme que SpaceX a reçu son premier soutien financier substantiel, de 278 millions de dollars.

L'objectif était de parvenir à une nouvelle répartition des rôles entre la Nasa et les entreprises commercialisant des services de lancement, dans une logique « gagnant-gagnant » : les acteurs « commerciaux » seraient chargés, dans un premier temps, de l'orbite basse, et recevraient un flux minimal d'activité nécessitant également une entrée sur le marché commercial, alors que la Nasa pourrait réduire ses investissements sur ce secteur pour se concentrer sur celui de l'exploration 132 ( * ) .

Il visait également à réduire les coûts pour la Nasa . Ce type de programme de soutien est en effet généralement décrit comme efficace économiquement : il consiste en la définition d'étapes régulières pour arriver à un point définitif, les entreprises n'étant payées que si elles atteignent des points clés, les coûts étant déterminés à l'avance, contrairement à l'approche « cost-plus » traditionnellement utilisée pour les contrats américains, qui se base sur les coûts de développement et y ajoute une marge afin que l'entreprise puisse réaliser un profit. Une étude de la Nasa a ainsi estimé que cette méthode permettait de diviser les coûts par trois 133 ( * ) .

Cette stratégie de transmission des charges au privé est également poussée au niveau des ports spatiaux : en 2012, la Nasa a publié un document expliquant son objectif de faire du Kennedy Space Center une plateforme de lancement à laquelle pourraient avoir recours des utilisateurs multiples plutôt qu'une infrastructure dédiée à des programmes 134 ( * ) . Aujourd'hui, des complexes de lancement sur les bases spatiales gouvernementales ( Kennedy Space Center , Vandenberg Air Force Base , Cape Canaveral Air Force Station ...) sont opérés par des opérateurs privés dans le cadre d'accords répartissant les responsabilités au cas par cas, mais dont l'idée générale est que le Gouvernement reste responsable de la maintenance des infrastructures partagées 135 ( * ) . SpaceX aurait ainsi investi « des centaines de millions de dollars » pour améliorer les pas de tirs que l'entreprise opère sur les bases de Cape Canaveral et Vandenberg .

V. MODALITÉS DE CALCUL DE LA RÈGLE DU RETOUR GÉOGRAPHIQUE : ARTICLE 4 DE L'ANNEXE V DE LA CONVENTION DE 1975

La répartition géographique de l'ensemble des contrats de l'Agence est régie par les règles générales suivantes :

1. Le coefficient de retour global d'un État membre est défini comme le rapport entre le pourcentage des contrats qu'il a reçus, calculé par rapport au montant total des contrats passés dans l'ensemble des États membres, et son pourcentage total de contribution. Toutefois, dans le calcul de ce coefficient de retour global, il n'est pas tenu compte des contrats passés ni des contributions versées par les États membres dans le cadre d'un programme entrepris :

(a) au titre de l'art. VIII de la Convention portant création d'une Organisation européenne de recherches spatiales, sous réserve que l'arrangement pertinent contienne des dispositions à cet effet ou que tous les États participants donnent ultérieurement leur accord à l'unanimité ;

(b) au titre de l'art. V, 1 (b) de la présente Convention, sous réserve que tous les États participants initiaux donnent leur accord à l'unanimité.

2. Pour le calcul des coefficients de retour, le montant de chaque contrat est pondéré en fonction de son intérêt technologique. Les facteurs de pondération sont définis par le Conseil. Plusieurs facteurs de pondération peuvent être appliqués pour un même contrat lorsque son montant est important.

3. La répartition des contrats passés par l'Agence doit tendre vers une situation idéale dans laquelle tous les coefficients de retour global sont égaux à 1.

4. Les coefficients de retour sont calculés trimestriellement et cumulés en vue des examens formels prévus au paragraphe 5.

5. Des examens formels de la répartition géographique des contrats ont lieu tous les cinq ans ainsi qu'un examen intermédiaire avant la fin de la troisième année.

6. Pour chaque État membre, la répartition géographique des contrats entre deux examens formels de la situation doit être telle que, lors de chaque examen formel, le coefficient de retour global cumulé ne s'écarte pas sensiblement de la valeur idéale. Lors de chaque examen formel, le Conseil peut réviser la limite inférieure du coefficient de retour cumulé applicable à la période suivante, étant entendu qu'elle ne doit jamais descendre au-dessous de 0,8.

7. Des évaluations distinctes des coefficients de retour sont faites et communiquées au Conseil pour des catégories de contrats à définir par celui-ci, en particulier les contrats de recherche et de développement de pointe et les contrats portant sur les technologies liées aux projets. Le directeur général discute ces évaluations avec le Conseil, à intervalles réguliers à définir, et en particulier lors de l'examen intermédiaire, en vue de déterminer les mesures nécessaires pour corriger les déséquilibres éventuels.

VI. NOUVELLE GOUVERNANCE INDUSTRIELLE SUR LE DÉVELOPPEMENT ET L'EXPLOITATION DÉFINIE EN 2014

Le nouveau modèle de gouvernance défini en 2014 par l'Agence spatiale européenne portait aussi bien sur le développement des lanceurs que sur leur exploitation, les industriels se voyant confier des responsabilités plus importantes à ces deux stades. Comme l'ont relevé les députés Aude Bono-Vandorme et Bernard Deflesselles, « une profonde évolution de gouvernance était en effet indispensable pour affronter la concurrence. Le système précédent de répartition des risques rendait l'industrie fondamentalement non réactive à l'évolution des marchés, avec trois acteurs agissant de manière séparée : le Cnes en charge de la conception du lanceur, l'industrie en charge de son développement et de sa production, Arianespace en charge de sa vente. L'autonomie des entités commerciales et industrielles entraînait des asymétries d'informations . » 136 ( * )

Cependant, cela ne signifie pas une totale liberté des industriels sur le développement :

- les activités de développement sont conduites conformément à un ensemble d'« exigences de haut niveau » ( High Level Requirements ou HQR) ;

- les maîtres d'oeuvre des systèmes lanceur sont investis de « l'autorité de conception » qui recouvre la responsabilité d'effectuer des choix conceptuels et des arbitrages techniques ainsi que la garantie de la conception et du produit, sur une durée correspondant à celle du développement et de l'exploitation ; cette « autorité de conception » s'accompagne de l'obligation spécifique de rendre des comptes à l'Agence spatiale européenne.

S'agissant de la gouvernance de l'exploitation , le conseil de l'Agence siégeant au niveau ministériel a adopté en 2014 une Résolution dans laquelle il souligne que le maître d'oeuvre industriel supportera en totalité les risques liés au marché commercial pendant l'exploitation, sans soutien des États membres, étant entendu qu'il contrôlera l'exploitation commerciale des services de lancement et qu' un certain nombre de contrats seront conclus chaque année pour des lancements par différents acteurs institutionnels européens.

Source : Agence spatiale européenne

VII. LA RÉPARTITION DU FINANCEMENT DES ACTIVITÉS DU CENTRE SPATIAL GUYANAIS (CSG)

Depuis 1975, les États européens membres de l'Agence spatiale européenne contribuent au financement du Centre spatial guyanais. Leur contribution est gérée dans le cadre de l'accord entre la France et l'Agence spatiale européenne et des résolutions sur le financement de périodes successives de cinq ans. Dans ce cadre, tous les États membres de l'Agence spatiale européenne (dont la France) financent deux tiers des frais de maintien en conditions opérationnelles de la base, la France finançant directement le dernier tiers sur son propre budget. La répartition des financements entre les États membres de l'ESA prend en compte d'une part le produit national brut de chacun des 22 États membres et, d'autre part, la participation de chacun dans les programmes de production des lanceurs Ariane et Vega opérés depuis le CSG.

La France s'est également engagée à financer et entretenir les infrastructures de la Guyane nécessaires au bon fonctionnement de la base , tels que les réseaux routiers, les liaisons aériennes et maritimes et les grands réseaux (énergie, eau, télécommunications).

Le Gouvernement français est également chargé de la protection externe du site et de la sécurité du territoire.

Source : Cnes

TRAVAUX EN COMMISSION

Audition commune de
MM. André-Hubert Roussel, président exécutif d'ArianeGroup,
et Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales
(Mercredi 22 mai 2019)

Mme Sophie Primas , présidente . - Je suis très heureuse que nos deux commissions reçoivent, pour s'informer sur la politique des lanceurs spatiaux, « l'équipe de France » en la matière. Nous avons donc l'honneur d'accueillir Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) et André-Hubert Roussel, président exécutif d'ArianeGroup. Leurs avis ne sont pas toujours convergents ; il est bon de les entendre l'un et l'autre. Cette audition inaugure en outre les travaux d'un groupe de travail restreint, comprenant des membres de nos deux commissions, sur la politique des lanceurs.

L'accès à l'espace est une condition nécessaire à la conquête par l'Europe de parts de marché, dans une économie spatiale en croissance. La concurrence internationale, dans un secteur de plus en plus compétitif, inquiète. Enfin, la réunion ministérielle de l'Agence spatiale européenne, en fin d'année, établira le cadre de la politique des lanceurs européens pour les années à venir.

Dans la partie de son rapport public annuel, la Cour des comptes alertait sur le « risque important que le lanceur (Ariane 6) ne soit pas durablement compétitif face à SpaceX ». De même, le ministre de l'économie avait fait remarquer que le prix de lancement sur Ariane 6 en 2021 serait celui du lanceur Falcon 9 en 2017... Bref, il règne un climat fébrile. L'Europe spatiale a eu une position de leadership sur le marché des lancements commerciaux depuis les années quatre-vingt-dix. Aujourd'hui, elle doit faire face à une concurrence féroce, tant sur la compétitivité prix que sur la compétitivité hors prix - sujet de nos réflexions depuis longtemps.

Quelle est votre analyse de l'évolution du marché des lanceurs et du rôle que le lanceur Ariane 6 pourra y jouer ? Pourrez-vous revenir sur les importantes innovations de ce lanceur, son coût de développement et son prix de lancement ? Vous nous direz si vous êtes inquiets ou si nous pouvons être confiants...

Quelques autres questions : dans quelle mesure faut-il revoir la règle du retour géographique, jusqu'ici au coeur de la politique industrielle de l'Agence spatiale européenne (ASE), pour les lanceurs, qui sont soumis à une concurrence vive ? L'application extrêmement pointilleuse, si ce n'est rigide, qui en est faite actuellement ne pourrait-elle être rendue plus fluide ?

La conclusion d'un contrat entre l'Allemagne et SpaceX en 2013 avait souligné les limites de la solidarité européenne en la matière. Dans un marché institutionnel plus limité qu'ailleurs, il paraît déraisonnable de ne pas avoir recours aux lanceurs européens, développés sur fonds européens. Comment définir et garantir un principe de préférence européenne ?

En 2014, une résolution de l'ASE entérinait un nouvel équilibre : en contrepartie d'un risque d'exploitation demeurant à la charge des industriels, les États s'étaient engagés à assurer un volant minimum de commandes, pour garantir le maintien des capacités opérationnelles. Où en sommes-nous de ces engagements ?

En parallèle, il convient de poursuivre les innovations pour les futures adaptations d'Ariane 6 et les futurs lanceurs européens. Vous avez récemment inauguré une plateforme, baptisée ArianeWorks . Quelles en sont les priorités ? Le réutilisable est-il le nouveau standard technologique sans lequel les lanceurs européens ne sauraient perdurer ? Les pays européens doivent-ils, financièrement, s'engager davantage ?

Ma dernière question concerne ArianeGroup : quelles sont les perspectives supplémentaires de réduction des coûts de production ?

M. Christian Cambon , président . - La politique de l'espace est un enjeu économique fort ; la défense et la sécurité européennes sont également concernées. Depuis les GPS de nos smartphones jusqu'au renseignement militaire, l'accès à l'espace est stratégique. C'est une condition à la fois de notre souveraineté et de notre compétitivité économique.

L'accès low cost à l'espace se développe depuis l'avènement du new space , qu'incarne SpaceX avec son lanceur réutilisable. Il bénéficie, contrairement à Arianespace, d'un soutien financier public massif américain, grâce aux commandes du Pentagone. Il a bouleversé le paysage spatial et rend nécessaire une adaptation rapide, difficilement compatible avec le temps long de développement des programmes spatiaux mais surtout avec les règles de fonctionnement de l'ASE.

Une réunion ministérielle du conseil d'administration de l'Agence aura lieu en novembre 2019 - vous nous direz quelles orientations vous souhaitez y voir approuvées. Le rapport public annuel de la Cour des comptes a tiré la sonnette d'alarme sur l'ampleur des défis à relever. Il nous est donc apparu important de faire le point avec vous sur l'avenir des lanceurs spatiaux européens, en particulier Ariane 6.

Le juste retour géographique est un problème éternel, car il ne permet pas l'optimisation industrielle. Faut-il y renoncer ? Vous nous donnerez votre avis sur ce sujet sensible. Cela concerne directement la France qui a souscrit plus de la moitié des engagements financiers décidés pour le développement d'Ariane 6 : près de 2,5 milliards d'euros depuis 2014 !

Qu'en est-il de la concurrence entre pays membres ? Nous avons tous en tête l'incompréhensible concurrence intraeuropéenne que se livrent Ariane 6 et Vega C , le lanceur italien. Comment l'Europe spatiale a-t-elle pu se fourvoyer au point de soutenir deux lanceurs concurrents ?

Ariane 6 doit également rassurer - mais est-ce possible ? - sur sa capacité à être plus qu'un « lanceur transitoire » et à répondre à moyen terme aux nouvelles conditions d'accès à l'espace. Saura-t-il se passer des subventions d'équilibre à l'exploitation ? Les crédits publics peuvent-ils être réorientés vers l'innovation et d'autres segments, tels que les systèmes orbitaux ? Nombre d'industriels évoquent le danger de se focaliser sur les lanceurs au détriment des satellites.

Même s'il n'est pas facile de vous réunir pour une même audition, il nous a semblé naturel d'interroger « l'équipe de France » des lanceurs, à savoir notre agence spatiale et le maître d'oeuvre d'Ariane 6. J'espère que notre vision de l'avenir en sera éclairée !

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales . - Merci de nous avoir conviés à nous exprimer au Sénat de la République française sur ce sujet fondamental pour notre politique spatiale. Il s'agit de programmes européens, même si notre « équipe de France » des lanceurs y prend une part très importante. La politique spatiale européenne est en effet largement portée par la France depuis la création du CNES par le général de Gaulle en 1961. Notre pays est devenu en 1965 la troisième puissance spatiale avec le lanceur Diamant. Les lanceurs sont financés à 50 % par le budget de l'État français ; c'est en France que sont concentrés la plupart des moyens humains et industriels, le centre spatial de Guyane est le principal actif de l'Europe spatiale.

L'Allemagne et la France, qui développaient ensemble le satellite de télécommunications Symphonie ont compris toute l'importance des lanceurs en 1973, lorsque les États-Unis ont accepté de lancer la version expérimentale, mais non un satellite commercial. C'est ce qui a conduit à développer Ariane. J'ai décrit dans une tribune dans Libération ce matin, comme André-Hubert l'a fait hier dans Le Figaro , la success story d'Ariane : premier lancement d'Ariane 1 en 1979, Ariane 4 en 1988, Ariane 5 en juin 1996 puis, en 2013, décision de développer Ariane 6 et Vega C . Ce succès commercial, politique, industriel, le monde entier nous l'envie !

L'Agence spatiale européenne a su développer un programme spatial européen à la fois équilibré - touchant tous les secteurs de l'activité spatiale - et efficace, grâce aux coopérations. Les pays d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique latine nous consultent pour créer leurs agences régionales... Nous faisons mieux que les autres avec des moyens moindres, bien que conséquents : le CNES dispose d'un budget annuel, 2,4 milliards d'euros, équivalent... à l'augmentation annuelle du budget de la NASA ! Les programmes sont abondés par l'effort de la Commission européenne ; le cadre pluriannuel actuel est de 11,4 milliards d'euros, le prochain sera porté à 16 milliards, soit une augmentation de 50 %.

Deuxième acteur, l'industrie. J'en félicite M. Roussel, ArianeGroup a su fédérer toute l'industrie spatiale européenne et relever les défis. Troisième acteur, le CNES offre à l'Europe spatiale une expertise incontournable dans le domaine des lanceurs, et opère le centre spatial de Guyane : il y a en France une sensibilité particulière sur les lanceurs.

Le modèle européen s'est construit dans un marché institutionnel faible. Les Américains lancent beaucoup plus de satellites, disposent d'un budget global de 22 milliards de dollars, contre 2,5 pour nous. Les Chinois également lancent de nombreux satellites... peut-être parce que les leurs durent moins longtemps. Le modèle européen a dû s'appuyer sur un succès commercial, qui exige d'être compétitif, donc à la pointe de l'innovation, mais suppose aussi un engagement fort des États européens pour utiliser les lanceurs développés par l'Europe.

L'année 2019 sera très importante, car la conférence ministérielle, qui a lieu tous les trois ans et se réunira à Séville en novembre, décidera de l'avenir de l'Europe spatiale. Le conseil de l'ASE m'a porté à sa présidence : nous préparons activement ce rendez-vous. La coopération entre l'industrie et le CNES, l'agence spatiale nationale, est remarquable, nous travaillons main dans la main. Nous devrons dans les six prochains mois faire partager à nos partenaires cette entente parfaite.

La règle du retour géographique est dans le fonctionnement de l'ASE : il faut lui apporter de la flexibilité. L'utilisation par les Européens des lanceurs européens est inscrite dans la résolution de Madrid du 25 octobre 2018 : cela se vérifiera à l'avenir. Quant à l'innovation et la préparation de l'après-Ariane 6 et Vega C , il y a les initiatives Prometheus, Callisto et Themis à l'intérieur de la plateforme d'ArianeWorks dont vous avez parlé. S'agissant de la concurrence entre Ariane 6 et Vega C , il faut rappeler qu'ils sont tous deux des programmes de l'ASE. Le premier est plutôt franco-allemand, le second italien, mais ce dernier fait largement appel à l'industrie française. Des accords ont été conclus, nous travaillons là encore main dans la main.

L'équipe de France est soudée, c'est la clé du succès ; et le programme spatial européen est équilibré et efficace.

M. André-Hubert Roussel, président exécutif d'ArianeGroup . - Le 24 décembre prochain, nous célébrerons le quarantième anniversaire du premier vol d'Ariane, qui est l'un des plus beaux succès industriels européens. Car, en quarante années, nous avons assuré aux Européens un accès autonome et souverain à l'espace, avec un leadership sur le marché commercial. L'impératif de compétitivité aujourd'hui, sans précédent, nous a conduits à développer Ariane 6, pour le lancement de satellites institutionnels comme pour des opérations commerciales au prix du marché.

Je dirige ArianeGroup depuis le 1 er janvier dernier. Le groupe franco-allemand compte 9 000 salariés : Airbus et Safran ont voulu créer une structure unique pour les lancements. Néanmoins c'est une entreprise duale, dont l'activité se partage entre les systèmes d'armes M51 de la force océanique de dissuasion française et les lanceurs spatiaux commerciaux. C'est un partenariat public-privé. La coopération est assurée au sein de l'ASE, avec une contribution française très importante. Nous sommes un leader sur le marché ouvert mondial. C'est ainsi que l'on peut maintenir une filière autonome.

Il importe de continuer à développer ce modèle, challengé par la forte concurrence américaine - SpaceX marque un retour américain sur le marché commercial. L'Europe des lanceurs hélas, tout comme l'Europe politique, est tiraillée par des interrogations, des tensions, voire des forces centrifuges, avec une tentation de renationaliser tel ou tel élément de la politique spatiale. Le CNES et ArianeGroup livrent donc ensemble bataille, sur plusieurs fronts, et d'abord sur le front budgétaire : certes il ne s'agit pas de rivaliser avec le budget américain qui représente 50 milliards d'euros si l'on inclut les investissements du département américain de la défense, contre 10 milliards côté européen. Mais nous avons su être efficaces dans le passé avec une industrie spatiale de premier plan au niveau mondial, et qui reste malgré tout un leader.

Il y a aussi une bataille commerciale à gagner face à SpaceX notamment, dans une conjoncture de décroissance du marché mondial, sur fond d'incertitude quant au profil futur du marché, satellites géostationnaires ou constellations, même si elles tardent à venir.

La bataille technologique est fondamentale pour que l'accès à l'espace demeure aussi performant dans l'avenir. Le new space signifie une baisse du prix de l'accès à l'espace. L'échéance ministérielle de fin d'année sera importante à cet égard : il ne faudra pas s'arrêter à Ariane 6, conçu comme évolutif. Ariane a toujours été à la pointe de la technologie. Les investissements d'aujourd'hui préparent les lanceurs de demain.

On observe une suractivité mondiale de lancements : 119 l'an dernier, mais seulement 10 prises de commande pour des lancements sur des satellites géostationnaires ou des constellations. Les marchés américain et chinois sont inaccessibles aux lanceurs européens, or ils représentent les deux-tiers du marché mondial. Il y a eu 39 lancements chinois (dont seulement deux commerciaux), 34 américains (pour plus de la moitié, institutionnels). L'Europe est le seul marché ouvert, elle arrive en quatrième position avec 11 tirs réussis, dont 4 lancements doubles. Mais Arianespace reste leader, par rapport à SpaceX , sur le marché géostationnaire, avec des commandes pour 5 lancements et 3 options, contre 1 et 1 pour notre concurrent.

Le plan de compétitivité décidé par ArianeGroup comprend une diminution des effectifs de 2 300 postes sur les quatre années à venir, afin de faire face à la baisse des prix du marché et augmenter la productivité et la compétitivité. En 2019, l'activité opérationnelle reste soutenue mais la croissance envisagée ne sera pas atteinte ; les perspectives américaines sont un peu plus faibles que prévu. L'urgence, pour rester dans la course, est de faire d'Ariane 6 un succès, avec un prix d'accès à l'espace inférieur de moitié à celui pratiqué sur Ariane 5. Quant à la compétitivité hors prix, le lanceur sera flexible, toutes missions dans toutes orbites, pour les clients institutionnels ou commerciaux.

L'Europe doit poser un cadre protecteur pour ses technologies, son industrie, ses entreprises, ses emplois : la balle est dans le camp des politiques. Sur la préférence européenne, des avancées significatives se sont produites ; la Commission européenne souhaite faire voter un nouveau règlement européen et porte une ambition spatiale renouvelée, avec 16 milliards d'euros sur la prochaine législature. L'article 5 du règlement en cours d'adoption par l'Union européenne ouvre la voie à une préférence européenne et une garantie de lancement des missions européennes sur Ariane ou Vega, autrement dit une sorte de « buy european » act , sur le modèle américain. Après la résolution de Madrid, celle du 17 avril dernier comprend des engagements de commandes institutionnelles, et avant cela, une garantie donnée par les États, indispensable pour démarrer la production. Les commandes institutionnelles se concrétisent.

Ariane 6 entre dans la dernière phase de sa construction, il doit voler avant fin 2020, conformément au contrat signé avec l'ASE. Dès la phase de production, des économies ont été acquises, sur le développement (plus rapide, moins de six ans) et sur les coûts, grâce aux technologies de fabrication innovantes, 3D, traitement laser de surface, et surtout une intégration à l'horizontale, permettant à nos collaborateurs d'avoir une visibilité sur le lanceur en permanence et d'organiser une chaîne de production de la même façon que dans l'aéronautique ou l'automobile. Nous sommes aujourd'hui à un an ou dix-huit mois du premier vol, et beaucoup d'éléments sont déjà réalisés : moteur Vinci pour l'étage supérieur qualifié, évolution du moteur Vulcain qualifiée également, progrès vers la qualification des boosters P120 développés avec l'italien Avio , qui équiperont aussi les Vega C . Je mentionnerai enfin une autre grande innovation parfois oubliée : l' auxiliary power unit , quatrième moteur dans l'étage supérieur, pour renforcer la capacité à placer des constellations successivement sur différents plans d'orbite.

Quelques grandes étapes sont encore devant nous : les essais sur l'étage supérieur vont se poursuivre à Lampoldshausen en Allemagne. Le CNES bâtit le pas de tir à Kourou pour que nous procédions aux essais combinés : nous acheminerons un lanceur complet sur un pas de tir complet pour vérifier tous les interfaçages, le remplissage des réservoirs en hydrogène et oxygène liquides, et toutes les séquences avant le lancement.

Le premier client commercial, pour le premier vol, sera la constellation OneWeb ; il y aura, parmi les clients suivants, l'Union européenne, pour lancer Galileo, ainsi que des clients commerciaux et institutionnels, je pense au satellite CSO-3.

Nous devons continuer à développer les technologies, notamment le moteur Prometheus. Vous avez posé la question de la réutilisation. Pour garantir aux clients une mise en orbite au meilleur coût, un moteur low cost est développé dans le cadre de ce programme, avec des simplifications ; nous travaillerons à la réutilisation si les cadences de lancement la rendaient économiquement viable. La réutilisation fait partie des projets importants qui seront présentés à la ministérielle. Pour réutiliser, il faut savoir revenir. Le CNES et ArianeGroup ont mis en place ArianeWorks pour travailler à un premier étage réutilisable. Callisto est un modèle réduit qui nous permettra d'être prêts si l'implantation d'un tel moteur s'avère nécessaire dans l'avenir. Nous travaillerons aussi sur les matériaux composites pour alléger le lanceur... donc son coût.

Mme Sophie Primas , présidente . - Le groupe des élus pour l'espace était jusqu'à présent présidé par M. Bockel : à lui l'honneur !

M. Jean-Marie Bockel . - Messieurs, vous nous avez déjà fourni de nombreux éléments de réponse. L'autonomie d'accès des Européens à l'espace est-elle menacée par la concurrence mondiale actuelle ? Car beaucoup de pays se portent sur ce marché. La recherche de consensus en Europe reste en question : une préférence en faveur du lanceur Ariane nous aiderait...

Avec la montée en puissance du spatial militaire se pose la question des perspectives pour l'avenir. Quels sont les marchés d'avenir des lanceurs spatiaux ? Sont-ce les constellations ? Les vols habités ?... Toujours au regard de ce souhait de préserver notre autonomie d'accès à l'espace, quelles sont vos attentes vis-à-vis des États quant à la ministérielle de l'automne prochain ?

C'est la première fois que le président Roussel s'exprime devant nous et j'aimerais savoir si les problèmes d'articulation des tâches entre ArianeGroup et Avio sont en passe d'être résolus. Vous avez parlé de concept adaptable à propos d'Ariane 6 : la perspective d'une adaptation en 2025 n'est-elle pas encore un peu lointaine ?

M. Jean-François Rapin . - Je suis, depuis février dernier co-rapporteur, avec André Gattolin, sur la politique spatiale européenne pour le compte de la commission des affaires européennes. Merci de nous avoir invités.

L'association CNES-ArianeGroup a débouché sur de nombreux succès. Je pense à Copernicus, qui fait de plus en plus consensus sur la planète, mais aussi à Galileo, en passe de devenir un vrai concurrent de GPS et qui deviendra un leader. La politique spatiale européenne semble ambitieuse, en témoignent les 16 milliards d'euros du prochain cadre pluriannuel. Mais des incertitudes subsistent, notamment dans l'articulation des rôles, et on ne sait pas toujours qui fait quoi. Les stratégies des acteurs sont un peu diverses...

Selon le rapport de la Cour des comptes, le CNES devrait, en Guyane, se concentrer sur le spatial, et laisser à l'État le développement du territoire. Cela semble rationnel, même si le CNES reste un employeur important, dans un territoire fragile. Qu'en pensez-vous ?

Mme Catherine Procaccia . - M. Bruno Sido et moi-même suivons, au sein de l'Opecst, les questions spatiales. Notre rapport de 2012 évoquait SpaceX , les constellations, les fusées réutilisables : toute la communauté spatiale française nous a ri au nez. Et maintenant, SpaceX existe. L'Europe n'est-elle pas toujours en retard ? ArianeGroup ne travaille sur aucun autre projet qu'Ariane 6, seulement des évolutions de ce programme. Or SpaceX se prépare à lancer le très haut débit internet spatial...

« Remettre le militaire dans le spatial », disent actuellement des membres du Gouvernement. On n'a pas entendu cela depuis bien longtemps, mais cela se traduit-il par des commandes et des crédits ?

Enfin il semble que les prévisions météo soient menacées par la 5G, qui utiliserait la même fréquence que nos satellites. Qu'en est-il ?

M. Laurent Duplomb . - Élu de la Haute-Loire, je tiens à rappeler que ce que le projet Galileo, lancé en 2005, doit à Jacques Barrot. Le 2 avril 2019, 26 satellites avaient été lancés, dont 22 opérationnels, avec des centaines de millions d'utilisateurs. Pour que le programme soit achevé, 30 satellites doivent être installés. Quand atteindra-t-on un système complet ? Le coût de 5 milliards d'euros sera-t-il respecté ? Je suis agriculteur et j'ai hâte qu'existe un système européen concurrençant réellement le GPS américain, le Glonass russe ou le Beidou chinois.

M. Gilbert Roger . - Conséquence des 4 900 lancements de satellites depuis 1957, 22 000 objets détectables sont en orbite, dont 94 % sont des débris spatiaux. À quand une véritable réglementation internationale, pour remplacer un simple gentlemen's agreement ?

M. Ladislas Poniatowski . - ArianeGroup va supprimer 2 300 postes : c'est que vous avez trop tardé à lancer Ariane 6, et vous jouez en conséquence au yo-yo, après avoir embauché 1 500 personnes ces trois dernières années pour rattraper le retard... Il faut dire à la représentation nationale combien de postes seront supprimés, où, et avec quelles répercussions sur les sous-traitants, en France et en Allemagne.

M. Fabien Gay . - Un marché ouvert cause des difficultés. Les marchés chinois et américain sont fermés, et subventionnés différemment. Vos propos me semblent bien timides. Il est temps de dire la vérité aux parlementaires : si le soutien politique et les investissements militaires et civils disparaissent, ArianeGroup va continuer à reculer. Face à SpaceX aujourd'hui ou Amazon demain, un soutien massif s'impose.

Ariane 6 entrera en concurrence non avec Vega C , car il ne s'agit pas du même tonnage, mais avec Soyouz , dont la présence a un sens politique... Le centre guyanais procède à 11 lancements par an actuellement, mais ils seront plutôt 5 ou 6 dans les cinq années à venir.

Je ne reviens pas sur la réduction des effectifs chez ArianeGroup car je partage les interrogations qui ont pu être formulées.

S'agissant des coûts de lancement, vous annoncez une réduction de moitié, j'ai plutôt entendu 30 %, grâce à une réduction de la durée des campagnes - qui passerait de trente à quinze jours -, en réduisant le nombre d'ingénieurs se rendant sur place... Mais il y a aussi un plan social en préparation sur le centre spatial guyanais : on annonce la suppression d'entre 300 et 500 emplois, dans un territoire français ravagé par le chômage : comment gérerez-vous cela ? Quelles seront les conséquences pour la trentaine de prestataires extérieurs ?

M. Olivier Cadic . - Le Luxembourg a fait de l'espace une priorité : il est le premier pays européen à avoir adopté un cadre juridique reconnaissant l'utilisation de ressources provenant de l'espace. Que vous inspire le mémorandum de coopération conclu entre notre voisin et les États-Unis ?

M. Pascal Allizard . - Les acteurs non étatiques, SpaceX ou Blue Origin , cassent les codes et les prix, exercent une concurrence agressive et critiquent les subventions publiques. Quelle est votre analyse de cette situation nouvelle ? Et que pensez-vous de la montée en puissance de la Chine, qui annonce de futurs lanceurs lourds ?

M. Roland Courteau . - Vous avez évoqué une mise en orbite à meilleur coût : cela ne passe-t-il pas par des lanceurs réutilisables, comme aux États-Unis ? Vous dites l'envisager éventuellement : mais n'y a-t-il pas urgence ? La compétitivité de l'industrie spatiale européenne n'est-elle pas menacée ? Nous n'avons pas, en Europe, de règles telles que la préférence européenne : le premier pas que vous avez évoqué est-il suffisant ? J'en doute !

Depuis 1957, des dizaines de milliers de débris se sont accumulés, sur les orbites basses en particulier. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre Laurent . - Les suppressions d'emplois massives que vous prévoyez ne reviennent-elles pas à sacrifier l'avenir à la compétitivité immédiate ? Pour être compétitif dans le futur, il faut investir résolument dans la recherche, sur la transition écologique, sur les nouveaux besoins à imaginer. C'est ce qu'avait su faire le général de Gaulle en créant le CNES.

M. Pierre Cuypers . - De quels moyens dispose ArianeGroup pour gérer le problème des débris spatiaux ?

M. Jean-Pierre Decool . - Comment le CNES envisage-t-il de pousser à la constitution d'une véritable équipe d'Europe ? Ne serait-ce pas le moyen de devenir plus compétitif ?

Mme Anne-Catherine Loisier . - Eutelsat vous choisira-t-il pour le lancement de son prochain satellite Konnect, pour le haut débit ?

Mme Sophie Primas , présidente . - Si je vous ai bien compris, le moteur Prometheus pourrait équiper Ariane 6, en remplacement de trois actuels moteurs : mais j'ai lu qu'il présenterait moins de synergies avec la partie militaire : qu'en est-il ?

M. Jean-Yves Le Gall . - L'autonomie spatiale européenne est-elle menacée, demande M. Bockel : oui, car le modèle des trente dernières années évolue, le succès d'un lanceur européen repose sur le marché commercial, qui a totalement changé : il nous faut donc évoluer également. Mais non, car les États européens souhaitent cette autonomie spatiale européenne. Le Président de la République, peu après sa prise de fonctions, est venu au CNES accueillir Thomas Pesquet au retour de sa mission. Il a également visité le centre spatial guyanais, en y conviant Jean-Claude Juncker, témoignant ainsi de son attachement à la politique spatiale européenne. L'autonomie n'est pas menacée, elle doit s'organiser.

Le spatial militaire fait l'objet de l'attention de Mme Parly, la réflexion en cours débouchera sur l'annonce de nouveaux programmes.

Les relations entre ArianeGroup et Avio , vues du CNES, ont beaucoup évolué ces dernières semaines, M. Roussel a mentionné la résolution du 17 avril : j'ai consacré beaucoup de temps à promouvoir son adoption par le conseil de l'ASE. Elle comprend un accord entre les deux sociétés.

Monsieur Rapin, Copernicus est un programme dont on parle peu, mais le monde entier nous l'envie : les sept satellites d'observation et l'accès aux données créent un écosystème, avec de multiples start-up en Europe. Monsieur Duplomb, oui, Galileo doit beaucoup au travail considérable de Jacques Barrot, et les utilisateurs seront bientôt un milliard ! Je préside l'agence européenne chargée de ce programme, à Prague : aujourd'hui, dans chaque smartphone acheté, une puce permet de récupérer le signal de Galileo, qui est automatiquement sélectionné parce qu'il est plus puissant que GPS. « Un jour, prophétisait Jacques Barrot, on dira que GPS est le Galileo américain. » Dans deux ans, le monde entier utilisera Galileo. Aujourd'hui, 22 des 26 satellites en orbite fonctionnent parfaitement ; en 2020, la constellation sera complète et l'ensemble des services seront disponibles. Aujourd'hui on entre dans la deuxième phase, celle de l'utilisation du signal. Le coût du programme était d'environ cinq milliards d'euros pour les cinq premières années, à raison d'environ 800 millions d'euros par an. Ce succès sera pérennisé, c'est un des points essentiels du nouveau budget de seize milliards d'euros dédiés à l'espace déjà évoqué.

M. Ladislas Poniatowski . - Sans les Anglais, pourtant !

M. Jean-Yves Le Gall . - Nous regrettons qu'avec le Brexit, ils sortent de Galileo...

M. André-Hubert Roussel . - Ce n'est pas fini !

M. Jean-Yves Le Gall . - Je veux dire à Mme Procaccia que nous n'avons pas ri au nez des auteurs du rapport de 2012.

M. Bruno Sido . - Mais si !

M. Jean-Yves Le Gall . - Votre rapport a bien posé les bases du débat. Il était sans doute visionnaire : les faits vous ont donné raison. Les pistes que vous esquissiez sont aujourd'hui prises en compte dans notre programme d'innovation sur les lanceurs. Quant à la 5G et la météo, nous trouverons une solution.

Le film Gravity a mis au premier plan le problème des débris spatiaux : Sandra Bullock et George Clooney sont des porte-parole bien plus efficaces que nous ! L'idée que les déchets augmentent de façon exponentielle est théorique, mais la meilleure façon de limiter leur nombre reste encore de s'abstenir de salir l'espace.

M. Gilbert Roger . - Je n'ai pas vu ce film, mais je souhaiterais une réponse plus précise : y a-t-il une règlementation ?

M. Jean-Yves Le Gall . - La loi sur les opérations spatiales prescrit un désorbitage des étages supérieurs de lanceurs, ce qui ne crée plus de débris... On remplace aujourd'hui les boulons explosifs par des sangles. On réduit le volume des débris. Mais en Inde ou en Chine, on ne respecte pas forcément ces règles, notamment pour les essais.

Le Luxembourg a une politique ambitieuse, visionnaire, puisqu'il a légiféré sur l'exploitation future des astéroïdes : mais ce n'est pas pour demain ! Le CNES et l'agence spatiale japonaise vont lancer la mission MMX en 2024, soit 500 millions de dollars pour rapporter 10 grammes de Phobos , l'une des lunes de Mars. La ceinture des astéroïdes est bien plus lointaine, y aller est un projet... futuriste ! Wilbur Ross, le secrétaire d'État américain est pro-actif, il a souhaité également me rencontrer. Par ailleurs, nous avons pour notre part d'importantes coopérations avec la NASA, avec les satellites Jason, l'instrument Chemcam qui équipe Curiosity, la sonde InSight qui emporte sismomètre SEIS, etc. Mais le Luxembourg a plusieurs fers au feu, et nous devons y être attentifs.

M. Courteau a évoqué la réutilisation et la préférence européenne : ces enjeux sont pris en compte, à la suite du rapport Procaccia-Sido, dans les programmes Callisto, Prometheus, Themis... Enfin, la résolution de Madrid montre que les Européens entendent utiliser le lanceur européen et je suis optimiste pour la réunion de Séville en novembre prochain.

M. André-Hubert Roussel . - J'ajouterai, au sujet de l'autonomie européenne, qu'elle n'est pas menacée... du moins pas là où l'on regarde. Nous avons le lanceur, il faut continuer à le développer. Nous avons la base spatiale, il faut continuer aussi. Restent la gestion du trafic spatial et l'autonomie de surveillance : le CNES, l'Onera, ArianeGroup investissent, nous disposons du réseau de surveillance optique Geo Tracker et de télescopes pour surveiller les objets. Néanmoins nous sommes très dépendants des données fournies par les Américains. Ce doit être une préoccupation constante que d'investir dans l'autonomie, dans ces deux domaines, pour conserver notre liberté d'action dans l'espace.

Les lanceurs Vega C et Ariane 6 ont été décidés au même moment par l'ASE. Ils sont complémentaires avant d'être concurrents, Vega intervenant en orbite basse pour des objets de 500 kilos à 2 tonnes, Ariane 6 plaçant en moyenne orbite ou en orbite géostationnaire - voire pour l'exploration - des engins de plus de 2 tonnes. Du fait des bouleversements actuels, tenant à la typologie des satellites à lancer et aux différentes orbites sur lesquelles les lancer, une optimisation est parfois nécessaire : le lancement de plusieurs satellites en combinaison sur plusieurs orbites peut être vu comme une concurrence. Quant à la coopération avec Avio , les boosters sont les mêmes pour Ariane 6 et pour le premier étage de Vega . Ils représentent près de 50 % du chiffre d'affaires de l'entreprise italienne, c'est une motivation pour coopérer !

L'adoption de la résolution du 17 avril permet le lancement de la production de Vega C et Ariane 6, avec une allocation policy qui va dans le sens d'une préférence européenne. La Commission européenne sera le premier client d'Ariane 6, et ce lancement institutionnel prouve la volonté de l'Europe en ce domaine.

Sommes-nous en retard par rapport à SpaceX ? Faut-il anticiper et prévoir un autre lanceur ? Lorsque nous avons conçu Ariane 6, nous n'avions pas la brique technologique pour fabriquer un lanceur réutilisable
- SpaceX , lui, a bénéficié d'un moteur développé par la NASA dans le cadre de ses programmes sur la réutilisation. Prometheus, collaboration franco-allemande devenue projet européen, développe un moteur qui permet une modulation de la poussée à la hausse pour décoller, à la baisse pour atterrir. Bientôt, nous disposerons de cette technologie. Prometheus nous a également conduits à développer des nouveautés sur les chambres de combustion ou l' additive layer manufacturing. Lorsque nous disposerons de toutes les briques technologiques, dans un ou deux ans, nous aurons toute latitude pour choisir, selon les besoins institutionnels et l'état du marché, entre une évolution d'Ariane ou un nouveau lanceur à coût plus compétitif, et réutilisable - en deçà de dix lancements, la remise en état coûte trop cher. Nous ne sommes pas en retard, nous mettons les bouchées doubles. Cela exige de renforcer l'investissement public. SpaceX bénéficie de financements publics bien supérieurs aux nôtres, sous la forme d'un soutien, non au développement, mais à l'exploitation, par les tarifs de lancement. Mais pour la compétitivité prix, nous avons un véritable couteau suisse : toutes missions, toutes orbites...

La suppression d'emplois, ou plutôt la diminution des effectifs, est liée à la fin du développement d'Ariane 6, qui avait nécessité l'embauche de jeunes talents lors du pic d'ingénierie. Mais il y aura un basculement vers le militaire et la dissuasion, et par chance la pyramide des âges nous permet de réduire les effectifs sans plan social. L'enjeu est d'éviter la perte de compétences. Les programmes civils étant les plus concernés, les sites du nord de la France seront plus touchés que les sites de développement du M51.3.

Les États européens doivent continuer d'investir pour accroître la compétitivité, car le marché mondial ne fait pas de cadeaux : les prix ont été divisés par deux en cinq ans, cela ne s'était jamais vu dans une industrie mécanique...

Eutelsat est le premier client commercial à avoir signé pour deux lancements (l'un sur Ariane 6, l'autre sur Ariane 5) et trois options. OneWeb a signé après, mais son lancement aura lieu avant.

Nous travaillons aux synergies entre les technologies militaires et civiles avec la direction générale de l'armement. Il est évident que je ne peux pas vous dire que nous allons continuer à exploiter des synergies dans le domaine de la propulsion solide. En revanche, il existe des synergies fondamentales au niveau de la façon de bâtir un lanceur. La crédibilité de la dissuasion dépend aussi des capacités à pouvoir lancer régulièrement des objets dans l'espace, sur l'orbite que l'on veut. Il y aura, enfin, de nouvelles opportunités de synergies avec la réutilisation.

M. Christian Cambon , président . - Nous vous remercions.

Adoption du rapport
(Mardi 19 novembre 2019)

M. Christian Cambon , président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Madame la présidente, mes chers collègues. Le 22 mai dernier, nos deux commissions ont auditionné Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (Cnes) et André-Hubert Roussel, président exécutif d'ArianeGroup sur la politique des lanceurs spatiaux.

Les 27 et 28 novembre prochains, le Conseil de l'Agence spatiale européenne se réunira au niveau ministériel pour prendre des décisions cruciales s'agissant des lanceurs. C'est pour mieux en cerner les enjeux que nous avions décidé, dans la foulée de l'audition du Cnes et d'ArianeGroup, de créer un groupe de travail commun à nos deux commissions, co-présidé par Jean-Marie Bockel, ancien président du groupe des élus pour l'espace, et par Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ce groupe de travail composé de seize membres répartis à la proportionnelle des groupes et entre nos deux commissions, a en conséquence effectué plusieurs auditions, tant dans le secteur public que chez les industriels.

C'est pour examiner ses conclusions que nos commissions se réunissent aujourd'hui. Initialement, nous devions clore ces travaux par l'audition de Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, qui représentera la France à la ministérielle, mais celle-ci a dû finalement décliner l'invitation compte tenu de l'actualité récente concernant les étudiants. J'excuse également le co-président du groupe de travail Jean-Marie Bockel, que je remplacerai pour présenter les travaux du groupe.

L'axe essentiel retenu par le groupe de travail est évidemment le suivant : la nécessité de maintenir, à court et long terme, notre indépendance d'accès à l'espace. C'est un enjeu de souveraineté : souvenons-nous toujours que les Européens ont lancé Ariane suite au refus, dans les années 1970, de la part des Américains, de lancer un satellite européen à vocation commerciale qui aurait pu concurrencer leurs satellites. Les tensions avec nos amis américains ne datent pas du mois dernier ! C'est aussi un enjeu stratégique pour nos armées qui ont, plus que jamais, besoin de l'Espace pour communiquer, observer et se mouvoir. Rappelons-nous de la décision du Président de la République de créer un véritable commandement de l'Espace associé à l'armée de l'air, actant ainsi l'émergence de ce nouveau territoire de confrontation stratégique. Aussi, l'accès indépendant à l'espace est une brique de base nécessaire à la mise en oeuvre de la stratégie spatiale de défense annoncée cet été.

À l'issue des auditions du groupe de travail, quel est le premier constat ? D'abord que nous pouvons nous féliciter de la réussite de la filière Ariane, alors que nous fêterons, en cette fin d'année, le quarantième anniversaire du lancement d'Ariane 1.

Les yeux des observateurs sont souvent tournés vers les États-Unis. Mais on ne le dit pas assez : c'est l'Europe qui a été pionnière dans le spatial commercial en créant Arianespace pour commercialiser les lanceurs de la famille Ariane. Et Ariane 5 a su s'octroyer, sur les dix dernières années, près de la moitié du marché commercial accessible des satellites géostationnaires ! Nous devons être fiers de ce succès qui, je le rappelle, repose depuis 60 ans sur des technologies duales qui trouvent aussi une application militaire dans la conception, la fabrication et le maintien en condition opérationnelle des missiles balistiques nécessaires à la dissuasion nucléaire.

L'aventure continue avec Ariane 6. Il faut souligner le véritable effort de nos industriels qui, sous l'égide de l'Agence spatiale européenne, sont parvenus, tout en se réorganisant, à développer un nouveau lanceur très rapidement. Le premier objectif du lanceur est de baisser les coûts, de 40 à 50 %. Il est également plus flexible, grâce à son moteur Vinci rallumable qui permettra d'injecter des charges utiles sur plusieurs orbites. Il est aussi modulable : disponible en deux versions avec deux ou quatre boosters (6-2 et 6-4), il permettra, à terme, de se passer de Soyouz .

Huit missions sont déjà en carnet de commandes. Si, avec Ariane 6, les Européens ont fait le choix de la continuité, aujourd'hui tous les acteurs s'accordent sur la nécessité d'en faire une réussite.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Nous devons nous féliciter de cette réussite, mais ne devons pas faire preuve de cécité. C'est le second constat. Le programme Ariane 6 a été dimensionné pour les conditions de 2014. Or, depuis, les prix ont baissé et la cadence minimale de 11 lancements par an sera très difficile à atteindre, et ce pour deux raisons.

D'abord une concurrence extrêmement féroce : en quelques années, l'entreprise d'Elon Musk, SpaceX , a divisé les prix par trois, multiplié ses capacités d'emport par huit et sa cadence de lancement par sept. La semaine dernière, l'entreprise a réussi un lancement avec un booster réutilisé pour la quatrième fois. Nous ne devons certes pas être naïfs : SpaceX a bénéficié de 9,5 milliards de dollars de contrats de la part des autorités américaines, souvent à des prix deux fois plus élevés que ceux pratiqués par l'entreprise sur le marché commercial. Mais nous ne devons pas être aveugles : contrairement à nos pratiques sur Ariane, cette aide ne finance pas l'exploitation du lanceur, mais - et c'est déjà beaucoup - surtout la R&D car le coût d'un lancement pour SpaceX est de l'ordre de 44 millions de dollars, ce qui lui permet de pratiquer un tarif de l'ordre de 50 à 60 millions de dollars, contre près de 150 pour Ariane 5. Et la concurrence devrait s'accroître dans la mesure où de nouveaux entrants arrivent : Blue Origin de Jeff Bezos par exemple.

Ensuite, les conditions de marché sont particulièrement incertaines : le coeur de cible d'Ariane, à savoir le marché des satellites en orbite géostationnaire, a connu un effondrement ces dernières années. Le relais de croissance des constellations en orbite basse peine, à ce jour, à convaincre. De plus les solutions d'emport de petits satellites en passager ne constituent qu'un complément de revenu faiblement rémunérateur.

À partir de ces constats, que pouvons-nous faire ?

D'abord, c'est un impératif : réussir la ministérielle de fin novembre, qui est particulièrement stratégique. Je regrette l'absence de la ministre, car nous aurions pu lui dire à quel point sa tâche est importante. Deux grandes orientations doivent être actées, pour un budget de 2,6 milliards d'euros sur les lanceurs.

En premier lieu, le soutien financier à la fin d'exploitation d'Ariane 5 et à la transition vers Ariane 6. On l'a dit, les conditions de marché ont évolué, ce qui rend nécessaire un soutien financier plus important de la part des États. C'est la condition de la garantie de notre indépendance d'accès à l'espace à court terme, qui est absolument essentielle.

Mais il faut aussi, en second lieu, préparer l'avenir. Et l'avenir, selon nous, passe par la réutilisation. C'est pourquoi nous appelons à miser dès aujourd'hui sur le réutilisable. Le Cnes estime en effet que la réutilisation du premier étage diminue de 30 à 50 % les coûts. Avec dix réutilisations, le coût du lancement d'un Falcon 9 de SpaceX tomberait à 29 millions de dollars !

Dans la mesure où le soutien de nos partenaires européens au principe d'indépendance d'accès à l'espace dépend en grande partie de la limitation du coût financier qu'ils ont à supporter, ne pas se lancer dans le réutilisable serait particulièrement dangereux. C'est toute la filière qui pourrait en pâtir ainsi que notre souveraineté. À la ministérielle, il faudra donc financer les programmes de préparation du futur : le nouveau moteur Prometheus, le démonstrateur d'étage réutilisable Themis et l'étage supérieur moins cher Icarus. Ces briques permettront de décider, dès 2022, du développement d'un nouveau lanceur réutilisable.

Enfin, l'entreprise Avio a connu un magnifique succès avec Vega C et nous pouvons, en tant qu'Européens, nous en féliciter. Elle souhaite aujourd'hui le faire grandir avec le programme Vega E. Mais cela pourrait créer une concurrence fratricide entre Ariane et Vega. Il faut s'opposer à un programme qui viserait à augmenter les performances de Vega C pour les rapprocher de celles d'Ariane : améliorer les performances intrinsèques de Vega C oui, mais les porter au niveau de celles d'Ariane, cela ferait courir le risque d'un combat fratricide et inutile. Nous préconisons donc une extrême prudence sur ce sujet.

M. Christian Cambon , président . - Il faut accompagner ces décisions prises à la ministérielle par une modernisation de notre politique industrielle en matière de lanceurs.

Le groupe de travail propose deux grandes orientations. Établir une préférence européenne. Des avancées notables ont eu lieu récemment, à l'Agence spatiale européenne, au sein de l'Union européenne et lors du conseil franco-allemand d'octobre dernier. C'est bien, mais cela mérite d'être traduit dans les faits.

Parallèlement, il faudrait étudier les possibilités d'augmenter la demande institutionnelle de services de lancements, car Ariane 5 est dépendante à 75 % du marché commercial, alors que plus de 60 % des commandes passées à SpaceX sont des commandes publiques américaines ! Sur ce point, notre pays fait les efforts nécessaires dans le cadre de l'actuelle loi de programmation militaire, qui mobilise 3,6 milliards d'euros en vue d'assurer le renouvellement complet de nos capacités satellitaires (renseignement avec Cérès, télécommunications avec Syracuse IV, observation avec Musis).

Ce faisant, nous pourrions mettre en place une politique industrielle plus efficace, par laquelle le public garantit aux industriels des commandes agrégées au niveau européen et sur un horizon pluriannuel plutôt que de verser des subventions d'exploitation.

Mme Sophie Primas , présidente . - Deuxième grand principe : assouplir le principe du retour géographique. Vous connaissez le sujet : la production de SpaceX est intégrée alors que celle d'Ariane est éclatée car tout euro mis par un État dans un programme de l'Agence spatiale européenne doit revenir sur son territoire, à son industrie. Le retour géographique est nécessaire pour la plupart des programmes de l'ESA. Mais pour les lanceurs, dans un contexte de concurrence féroce, ce n'est pas tenable sans un ajustement.

En lien avec ce principe, le groupe de travail recommande de poursuivre la rationalisation de l'outil industriel au niveau européen. Ariane Group a fait des efforts, ses sous-traitants aussi. Mais ce n'est pas le cas de tous les industriels : il y a donc des marges de progression dans la rentabilité et l'efficience.

L'Europe doit donc pouvoir s'appuyer sur une industrie compétitive et maîtrisant la réutilisation pour maintenir ses parts de marché. Parallèlement, les pouvoirs publics européens doivent se mobiliser pour reconnaître l'autonomie d'accès à l'espace comme une condition de l'autonomie stratégique européenne et un relais de croissance pour notre économie spatiale. Cette mobilisation politique doit se traduire par des moyens budgétaires au niveau de l'enjeu, répartis équitablement avec nos partenaires européens.

La France doit, avec l'Allemagne et l'Italie - principaux États compétents sur les lanceurs -, assumer un leadership collectif pour proposer à l'Europe spatiale une ambition renouvelée et partagée par nos concitoyens. À l'heure où la construction européenne fait l'objet de tiraillements, l'Europe spatiale peut devenir sa nouvelle locomotive.

En somme, et c'est le titre que le groupe de travail propose de donner au rapport : il s'agit, à travers la politique des lanceurs, de restaurer l'ambition spatiale européenne. Pour résumer les quatre principales recommandations du groupe de travail cela passe par : miser sur le réutilisable, établir une préférence européenne, assouplir le retour géographique, s'opposer à l'établissement d'une concurrence intra-européenne.

Je crois que nous sommes parfaitement alignés avec les travaux de nos collègues, qu'il s'agisse de la commission des affaires européennes ou de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques. Je salue d'ailleurs Catherine Procaccia et Bruno Sido, qui maîtrisent parfaitement ces sujets, ainsi que le récent rapport de l'office publié suite à la table-ronde organisée le 29 octobre dernier, et qui a pu nourrir nos travaux.

M. Bruno Sido . - Les conclusions de ce groupe de travail vont dans le bon sens. Hélas, nous en avions déjà fait de semblables dans un rapport précédent que j'avais présenté avec Catherine Procaccia et elles avaient été reçues avec morgue, le mot n'est pas trop fort, en particulier celles qui concernaient les fusées réutilisables. À l'époque, seul M. Yannick d'Escatha, président du Centre national d'études spatiales, portait une vision claire du sujet. Il n'a pourtant pas été écouté. Pour des raisons industrielles et sociales, nous avons fait l'erreur de choisir de construire Ariane 6 avec des moteurs cryogéniques et non à poudre ; M. d'Escatha nous avait pourtant rappelé qu'il n'y avait jamais eu d'échec avec la poudre. Fort heureusement, nous avons tout de même prévu le ré-allumable pour les étages supérieurs. Ceci ne nous a pas empêchés de rester beaucoup plus chers que SpaceX , comme l'indique le rapport.

C'est aussi à juste titre que le rapport pointe du doigt les pratiques américaines peu libérales : l'activité de leurs lanceurs domestiques est soutenue par la demande institutionnelle, tandis que nous, Européens, allons chercher la concurrence, en affectant nos lanceurs à des missions commerciales. Si bien que nous n'utilisons pas assez la base de lancement de Kourou, qui coûte très cher et qui doit donc être utilisée, ainsi que nos lanceurs.

Je partage plus particulièrement l'analyse que vous avez faite du risque de concurrence entre les lanceurs Vega et Ariane 6.

Je souhaite que nous tirions deux leçons de ce qui a été dit. Tout d'abord, il nous faut prendre de l'avance, regarder l'avenir et anticiper sur les évolutions prévisibles de l'espace. De plus, en matière de politique européenne, il est essentiel que les Français ne se montrent pas hautains à l'encontre des Allemands, qui ont historiquement et très tôt su démontrer - Londres s'en souvient - leur savoir-faire en politique de l`espace. Les alliés se sont d'ailleurs arrachés les spécialistes allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Les Allemands sont très bons et très forts dans le domaine spatial. Par conséquent, pour mettre en place une politique européenne véritablement efficace pour notre industrie, notre avenir et notre indépendance dans l'espace, il faut travailler d'égal à égal avec les Allemands, en dépit de nos puissants acteurs respectifs, tels que le Cnes, et de nos différences d'organisation.

Mme Catherine Procaccia . - J'attire l'attention depuis quelques années sur le fait que l'on conçoit les lanceurs sans vraiment réfléchir à l'avenir des satellites. Il y a huit ans, nous évoquions les satellites électriques et les constellations et nos propositions n'avaient certainement pas reçu l'attention qu'elles méritaient. Aujourd'hui, on sait qu'Ariane 6 doit pouvoir - et elle le fera sans doute - placer en orbite des constellations. Il est temps de réfléchir avec les fabricants sur les évolutions à venir des satellites. Nous parlons sans cesse de la politique des lanceurs en oubliant que ceux-ci sont faits pour lancer les satellites. Pourtant, ces deux filières spatiales ne travaillent pas toujours ensemble, malgré une récente amélioration due aux restructurations du secteur. Pour envisager la future Ariane 7, il est nécessaire de rapprocher ces deux filières et de travailler en bonne concertation sur ce que pourrait être l'avenir.

S'agissant du lanceur Vega, je partage les conclusions du rapport. Je note toutefois la ferme position italienne au sujet du développement futur de Vega : l'Italie tient absolument à l'évolution de son lanceur. Si, à l'occasion de la prochaine conférence ministérielle, nous adoptions une orientation jugée par l'Italie contraire à sa position, elle pourrait décider de diminuer son financement au projet spatial européen. C'est un des sujets difficiles de la prochaine conférence.

Mme Sophie Primas , présidente . - Ariane 6 reste un lanceur intermédiaire, à la jonction entre un lanceur qui marquerait une véritable rupture technologique et la merveilleuse Ariane qui a fait les beaux jours de l'espace européen. Il nous faudra mettre au point un lanceur qui sera dicté par le marché et l'évolution des satellites.

Effectivement, plusieurs enjeux - des enjeux territoriaux, sociaux, des enjeux de retour industriel et de primauté de l'industrie français - ont été pris en compte dans la décision de construire Ariane 6. Malgré les critiques, il est toutefois essentiel de noter la réduction de 30 à 50 % des prix par rapport à Ariane. Cette réduction est le résultat d'importants efforts de l'industrie, qu'il convient de saluer. Les acteurs industriels ont su relever le véritable challenge de reconstruire ce lanceur en trois ans.

Je me joins à l'appel en faveur d'un leadership européen, à construire et à consolider avec les Allemands. Toutefois, le renforcement de notre partenariat et de ce leadership doit avoir pour prérequis la mise en place d'une préférence européenne, en particulier en Allemagne, qui a fréquemment recours à SpaceX .

Longtemps ont existé des écarts de vue très importants entre les acteurs du domaine des satellites, le CNES, et l'industrie de l'espace. Depuis plusieurs années, ces écarts ont été progressivement gommés, notamment lors de la conférence ministérielle qui s'est tenue à Naples en 2012. Un des enjeux essentiels de la prochaine conférence sera de préserver le budget afin d'une part, d'assurer la transition entre Ariane 5 et Ariane 6 et d'autre part, de travailler sur les prochaines étapes.

M. Bruno Sido . - Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur les propos que j'ai précédemment tenus sur M. Yannick d'Escatha, permettez-moi de souligner que le travail effectué par Geneviève Fioraso, lorsqu'elle était en charge de ce dossier, était également remarquable.

Ariane 6 est une fusée de transition mais il est urgent d'anticiper et d'inventer l'avenir pour améliorer notre offre. De grands progrès ont été effectués : nous avons en effet divisé le coût d'Ariane 6 par deux, mais SpaceX va encore plus vite. Leur usine à Los Angeles - qui appartenait auparavant à Boeing - est remarquable : il y entre des taules et en sort des fusées. Notre organisation européenne, semblable à une Tour de Babel, est à revoir de fond en comble. J'espère que la conférence ministérielle visera loin et ne se trompera pas d'objectifs.

Mme Catherine Procaccia . - Est-ce que le commissaire européen en charge de l'espace,Thierry Breton, participe à la conférence ministérielle ?

Mme Sophie Primas , présidente . - A priori oui, mais c'est à vérifier.

M. Christian Cambon , président . - Il viendra d'entrer en fonction.

Pour conclure, il convient de remercier le groupe de travail de ses travaux base du rapport d'information que nous venons d'examiner. En matière de défense, notre commission avait déjà veillé, à l'occasion de l'examen de la loi de programmation militaire (LPM), aux moyens de la politique spatiale militaire. Aujourd'hui, il n'est pas de puissance militaire importante sans dimension spatiale. L'espace devient un théâtre d'opération.

La commission des affaires économiques et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées autorisent la publication du rapport d'information conjoint.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 9 juillet 2019

- Mme Geneviève FIORASO , ancienne ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Mercredi 18 septembre 2019

- Avio SpA : MM. Giulio RANZO , CEO - président-directeur général, et Giorgio NOVELLO , vice-président en charge des relations institutionnelles.

- Office national d'études et de recherches aérospatiales : MM. Bruno SAINJON , président-directeur général, Jean-Claude TRAINEAU , directeur des programmes Espace, et Jacques LAFAYE , chargé de missions auprès du président.

- Arianespace : MM. Stéphane ISRAËL , président-directeur général, et Maxime JAMBON , conseiller du président-directeur général.

Mercredi 2 octobre 2019

- Agence spatiale européenne : M. Daniel NEUENSCHWANDER , directeur du transport spatial.

- Ministère des Armées - Direction générale de l'armement : MM. Joël BARRE , délégué général pour l'armement (DGA), et Robin JAULMES , conseiller technique au cabinet du DGA.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Centre national d'études spatiales (CNES)

- Clemessy


* 1 La liste des membres du groupe est consultable sur le site internet du Sénat, à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/commission/groupe_de_travail_sur_lespace.html

* 2 Audition de Jean-Yves Le Gall par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (Opesct), en date du 29 octobre dernier.

* 3 Sur les institutions de l'Europe spatiale, voir l'annexe n° 1.

* 4 https://seraphimcapital.co.uk/focus

* 5 https://www.esa.int/ESA_in_your_country/France/Les_ministres_enterinent_une_vision_pour_l_avenir_de_l_Europe_spatiale

* 6 Sur la distinction entre le marché institutionnel et le marché commercial des services de lancement, voir l'annexe n° 2.

* 7 Les charges utiles sont injectées en orbite de transfert géostationnaire, qui est une orbite elliptique dont l'apogée est l'orbite géostationnaire (ou « GEO » pour Geosynchronous Equatorial Orbit ) à 35 786 km, ce qui permet à la charge utile d'être en orbite à la même vitesse que la planète, de telle sorte qu'elle apparaît toujours au même point dans le ciel. L'orbite GEO est principalement utilisée pour les télécommunications, la diffusion audiovisuelle et la connectivité.

* 8 Dans la version ES d'Ariane 5, conçue pour les orbites basses ou moyennes et utilisée entre 2008 et 2018, l'étage supérieur, dit étage à propergols stockables (EPS), fonctionnait avec un moteur qui, lui, était susceptible d'être rallumé.

* 9 Les vols non géostationnaires ont été systématiquement des missions institutionnelles européennes : ravitailleur ATV pour la station spatiale internationale (orbite basse), satellites Galileo lancées en « grappe » de quatre (orbite moyenne) et sondes interplanétaires.

* 10 Depuis 1980, Arianespace commercialise des services de lancement à partir des lanceurs européens.

* 11 Arianespace, Mission to success , brochure commerciale, 2017.

* 12 Il s'agit d'une orbite à moins de 2 000 km d'altitude, principalement utilisée pour le ravitaillement de la station spatiale internationale, l'observation de la Terre et la connectivité. L'orbite SSO ( Sun Synchronous Orbit , à 820 km d'altitude) est principalement utilisée pour l'observation et la météorologie.

* 13 Il s'agit d'une orbite entre 2 000 et 35 786 km d'altitude, principalement utilisée pour la navigation.

* 14 Selon le rapport de Bruno Sido et de Catherine Procaccia publié en 2012 (« Les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne, rapport fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques), ce programme a représenté un budget d'investissement de 470 millions d'euros pour l'Agence spatiale européenne, dont 121 apportés par Arianespace, qui a également pris en charge des travaux complémentaires pour 50 millions d'euros.

* 15 Catherine Procaccia, Bruno Sido, Les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne, rapport fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, novembre 2012.

* 16 Sur cette notion, voir infra .

* 17 La politique spatiale française : bilan et perspectives, rapport fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, mai 2001.

* 18 Les installations de la base sont décrites sur le site internet http://www.cnes-csg.fr .

* 19 Pour une description plus précise de l'alternative, voir, d'une part, le rapport de Catherine Procaccia et Bruno Sido pour l'Opecst intitulé Les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne, novembre 2012, d'autre part, la communication de Joaquim Pueyo et Bernard Deflesselles sur la politique spatiale européenne auprès de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, novembre 2014.

* 20 La propulsion liquide est plus compliquée à mettre en oeuvre que la propulsion solide : elle nécessite de plus grands réservoirs, une liquéfaction par cryogénie la plupart du temps et une injection au dernier moment. Elle est donc plus chère et plus risquée. À l'inverse, la propulsion solide peut être produite et stockée à température ambiante et en amont, dans un volume moins important. En revanche, la propulsion liquide permet de régler la poussée en vol et le rallumage en réglant le volume injecté, et le rendement est plus important - c'est pourquoi les étages supérieurs sont tous à propulsion liquide. Pour une comparaison technique des différents types de moteurs et d'ergols, voir la note de bas de page n° 13 de la note de l'Opecst sur les lanceurs spatiaux réutilisables et les pp. 11 à 15 du bilan annuel pour 2018 de la Federal administration of aviation .

* 21 Source : Cour des comptes, rapport public annuel, 2019.

* 22 Selon le projet annuel de performance de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2016, ce coût était, en 2014, de 21 300 euros le kilo (il était, en 2018, selon le projet de loi de finances pour 2020, de 18 900 euros). Ce même document évoquait une cible de coût inférieur à 15 000 euros par kilo pour Ariane 6... ce qui correspond à la cible de réduction des coûts établie au début des années 2000 : le rapport précité d'Henri Revol estimait en effet nécessaire de diminuer les coûts de production industrielle du lanceur pour « atteindre dans les trois années à venir un coût de lancement inférieur à 15 000 dollars le kilo ».

* 23 Entre le début de la production et le lancement en Guyane, il ne doit plus se passer que deux ans pour Ariane 6, contre trois ans pour Ariane 5.

* 24 Sur ce sujet, voir ci-dessous.

* 25 Elle passerait ainsi de 383 milliards de dollars en 2017 ( The Space Report 2018. Colorado Springs: The Space Foundation ) à entre 1 100 milliards de dollars en 2040 ( Morgan Stanley, Investing in the final frontier, 2017 ) et 2 700 milliards de dollars en 2045 ( Bank of America Merrill Lynch, To infinity and beyond, Global space primer, 2017 ).

* 26 Terme utilisé par Arianespace.

* 27 On rappellera que, en 2018, l'économie des lancements spatiaux a généré 6,2 milliards de dollars (« 2019 State of the Satellite Industry Report », Satellite Industry Association and Bryce Space Technology , mai 2019).

* 28 Sur la classification des petits satellites, voir l'annexe n° 3.

* 29 Sa première mission dite GO-1 a été annoncée le 8 août 2019. Cela permettra aux petits satellites électriques concernés de gagner 6 mois de mise à poste.

* 30 Sa première mission « SSMS PoC » (pour « proof of concept ») devrait avoir lieu dès 2020.

* 31 Voir, pour une description des évolutions de ce secteur, la récente note de Jean-Luc Fuguit au nom de l'Opesct intitulée « Les satellites et leurs applications » (octobre 2019).

* 32 La politique spatiale française : bilan et perspectives, rapport fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, mai 2001.

* 33 Pour « Space Exploration Technologies ».

* 34 Voir, sur la notion de « New Space », le rapport des députés Olivier Becht et Stéphane Trompille sur le secteur spatial de défense, juin 2019.

* 35 Onera, feuille de route scientifique et technologique, 2019.

* 36 Sur ce dernier point, l'exemple de SpaceX qui effectue des tests au fil des lancements est particulièrement significatif.

* 37 Le Falcon Heavy peut théoriquement emporter jusqu'à 26,7 tonnes en orbite GTO.

* 38 Performance de 3,4 tonnes en orbite GTO.

* 39 Capsule également développée par SpaceX pour le compte de la Nasa .

* 40 Performance 4,8 tonnes en orbite GTO.

* 41 Performances de près de 7 tonnes en orbite GTO sans récupération du booster, compatible avec l'ensemble des satellites du marché, et 5,5 tonnes avec récupération.

* 42 Selon le tableau de bord des lancements en 2018 réalisé par Air et Cosmos.

* 43 Selon la Federal aviation administration , en 2018, les prix de lancement commerciaux en orbite géostationnaire allaient de 62 à 178 millions de dollars ( FAA, The Annual Compendium of Commercial Space Transportation : 2018).

* 44 Cependant, la capacité d'emport d'Ariane 5 est supérieure de deux tonnes à celle du Falcon 9 .

* 45 L'entreprise réalise également de nombreux lancements sur d'autres orbites. Ces lancements ne sont pas forcément accessibles à Ariane 5 du fait de son manque de flexibilité : en 2018, SpaceX a effectué 13 lancements, principalement commerciaux, sur les autres orbites contre 2 lancements institutionnels pour Ariane 5.

* 46 Sur ces règles, voir le rapport de Catherine Procaccia et Bruno Sido précité.

* 47 Les États-Unis restent premiers en termes de masse satellisée.

* 48 C'est-à-dire, selon la conception la plus répandue, sous la ligne de Karman (100 km d'altitude) sans pouvoir rester en orbite autour de la Terre.

* 49 Si Blue Origin est sélectionnée dans le cadre du NSSL , on peut s'attendre à ce qu'elle opte pour une présence opportuniste sur le marché commercial. Dans le cas contraire, elle pourrait revenir à une politique de commercialisation plus agressive, en dépit d'une clientèle potentiellement limitée.

* 50 Le 5 juillet dernier, Amazon a déposé une demande officielle auprès de la Commission fédérale des communications des États-Unis (FCC).

* 51 Sur cette notion, voir infra .

* 52 Voir, sur ce point, l'annexe n° 4.

* 53 https://www.nasa.gov/content/commercial-crew-program-the-essentials

* 54 https://www.nasa.gov/home/hqnews/2008/dec/HQ_C08-069_ISS_Resupply.html

* 55 https://spacenews.com/41891nasa-selects-boeing-and-spacex-for-commercial-crew-contracts/ . En parallèle, Boeing a reçu 4,2 milliards de dollars en vue de développer et de lancer la capsule Starliner .

* 56 Arthur Sauzay, Institut Montaigne, Espace : l'Europe contre-attaque, décembre 2017 .

* 57 Voir, par exemple, l'article intitulé « Rocket Lab récupérera l'étage principal du lanceur Electron par hélicoptère », Futura Sciences, 8 août 2019.

* 58 Au-delà du lanceur en lui-même, la capsule Dragon est également réutilisable.

* 59 De la version 1.2 Block 1 à la version Block 5 en moins de deux ans.

* 60 Blue Origin compte également recourir à cette technique : la firme envisage jusqu'à 25 réutilisations du premier étage dès la première version du lanceur New Glenn .

* 61 SpaceX pousse donc désormais chaque client, commercial ou institutionnel, à utiliser des versions ayant déjà volé (« flight proven ») afin de réduire fortement la cadence de production des boosters (près d'une quinzaine en 2017, 9 en 2018, quelques unités en 2019) : après l'introduction de la configuration finale de Falcon 9 , SpaceX avait annoncé qu'elle fabriquerait entre 30 et 40 noyaux centraux pour environ 300 missions sur cinq ans.

* 62 Pour mémoire, pour explorer Mars, SpaceX annonce également une capacité de transport en orbite martienne de 4,02 tonnes pour Falcon 9 et de 16,8 tonnes pour Falcon Heavy .

* 63 En avril 2018, la Commission fédérale des télécommunications (FCC) a attribué à SpaceX une licence l'autorisant à lancer les 4 425 satellites de sa constellation sur une orbite basse située à 1 100 km. Deux prototypes de satellites ont été lancés le 22 février 2018, et le premier lot de satellites a été lancé en mai 2019.

* 64 Le scénario est le suivant : l'exploitation d'Ariane 6 découlera pour l'essentiel durant la phase de transition des commandes institutionnelles mais, si des opportunités commerciales apparaissent, elles viendront soutenir la cadence et seront bénéfiques pour l'ensemble des coûts du système.

* 65 Audition devant l'Opecst en date du 29 octobre 2019.

* 66 En novembre 2017, le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, avait publiquement fait état de son inquiétude quant à la compétitivité-prix d'Ariane 6, estimant que les prix amenés à être pratiqués à compter de 2020 correspondaient à ceux déjà facturés par SpaceX à l'époque.

* 67 Il faut cependant noter que l'écart de prix en cas de lancement double sur Ariane 64 serait réduit. Par ailleurs, les capacités d'emport des deux lanceurs ne sont pas les mêmes : Ariane 64 devrait pouvoir emporter jusqu'à 11,5 tonnes en orbite GTO quand un Falcon 9 n'a qu'une capacité de 8,3 tonnes (sans réutilisation, cas qui, comme évoqué plus haut, deviendra de plus en plus rare). Du reste, le prix n'est pas le seul critère de choix d'un client d'un service de lancement : la fiabilité et la disponibilité restent des critères déterminants. Mais comme le notaient il y a un an les députés Aude Bono-Vandorme et Bernard Deflesselles (dans le rapport sur la politique spatiale européenne déjà évoqué, publié en novembre 2018), « l'argument de la fiabilité (des lanceurs Ariane) ne doit pas nous aveugler ».

* 68 Les vrais chiffres de la compétitivité d'Ariane 6, Stefan Barensky, Aerospatium, 28 novembre 2017.

* 69 Les Échos, Arianespace se montre prudent dans une conjoncture difficile, 10 janvier 2019.

* 70 Galileo, Copernicus, Govsatcom, satellites scientifiques de l'Esa, satellites nationaux de défense.

* 71 L'Agence spatiale européenne estime quant à elle qu'il ne paraît pas déraisonnable de tabler sur une part de marché moyenne d'environ 30 à 40 %.

* 72 Interview dans Air et Cosmos, 12 juillet 2019.

* 73 Audition devant l'Opecst, le 29 octobre dernier.

* 74 Cette interrogation avait également pu être émise par le sénateur Daniel Dubois, dans son avis budgétaire émis sur les crédits de la recherche en novembre 2017 ainsi que, en des termes différents, par les députés Aude Bono-Vandorme et Bernard Desflesselles sur la politique spatiale européenne déjà évoqué, publié en novembre 2018.

* 75 LePoint.fr, Ariane 6 : le patron d'Arianespace répond aux attaques de la Cour des comptes, 14 février 2019.

* 76 Cette faiblesse au regard des coûts avait été soulignée, en creux, par le rapport de Catherine Procaccia et Bruno Sido pour l'Opecst de 2012 précité.

* 77 Catherine Procaccia, Bruno Sido, La politique spatiale européenne , rapport fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 2015.

* 78 Le premier étage neuf d'un Falcon 9 coûte environ 18 millions de dollars, ce qui représente environ 40 % du coût total d'un lancement. Avec un coût de remise en état de l'ordre d'un million de dollars et une dizaine de réutilisations, le coût moyen d'un premier étage qui serait utilisé dix fois serait de 2,8 millions de dollars, soit un coût de lancement de 29 millions de dollars et donc une économie de 34 %. Ce calcul permet de donner un ordre de grandeur. Il faudrait tenir compte d'autres paramètres, tels que l'impact de la baisse de cadence de production sur le prix d'un étage neuf. Mais si le deuxième étage utilise les mêmes technologies et équipes que le premier (ce qui est le cas pour le lanceur Falcon 9 ), cet effet est très faible.

* 79 Une revue de la littérature existante fin 2017 a été menée par le rapport de l'Institut Montaigne précité.

* 80 SpaceNews, SpaceX says reusable stage could cut prices 30 percent, plans November Falcon Heavy debut , 10 mars 2016.

* 81 L'Agence spatiale européenne a d'ailleurs souligné que le Space Rider sera le premier système de transport spatial européen réutilisable. Il est destiné à doter l'Europe de capacités opérationnelles de rentrée et d'atterrissage grâce à sa plateforme autonome polyvalente sans équipage.

* 82 Le moteur BE-4 développé par New Glenn a également fait le choix de l'oxygène liquide et du méthane.

* 83 Le Cnes développe également depuis 2017 le projet « Frog », petit démonstrateur de 2,5 mètres de haut en vue de tester les algorithmes de vol d'un premier étage réutilisable. Les conclusions de ce projet serviront pour Callisto puis Themis (source : Une grenouille de laboratoire pour le réutilisable européen, Air et Cosmos, 11 octobre 2019).

* 84 L'indice constructif est calculé en rapportant la masse de l'étage à la masse d'ergols.

* 85 Air et Cosmos, Un nouvel étage « noir » pour Ariane 6, 20 mai 2019.

* 86 Futura Sciences, Le premier port spatial britannique sera construit en Écosse, 24 juillet 2018.

* 87 Prenons l'exemple des constellations commerciales en orbite basse : Ariane 62 et Vega C pourront tous deux être proposés pour répondre aux impératifs des différentes missions. Les performances en orbite basse des deux lanceurs étant très différentes, Ariane 62 pourrait être proposé pour le lancement de charges utiles multiples, tandis que Vega pourrait être réservé à des cas particuliers de remplacement de quelques satellites.

* 88 Principe d'une offre unique d'Arianespace pour les satellites de moins de 200 kg lancés individuellement (c'est-à-dire un prix et le départ sur le prochain lanceur disposant d'une disponible, que ce soit Vega/Vega C (système SSMS) ou Ariane 6 (MLS)), de Vega en lanceur nominal entre 200 kg et 2,35 tonnes en orbite basse, puis Ariane 6 au-delà.

* 89 L'objectif de performance visé serait de 3 000 kilos en orbite SSO via l'élaboration d'un nouvel étage supérieur à méthane et oxygène liquide.

* 90 Smallsat Launch Vehicle Markets, 2nd Edition .

* 91 Ces deux filiales se distinguent de Virgin Galactic , première entreprise spatiale créée par Richard Branson en 2004 en vue de commercialiser des vols suborbitaux pour touristes. Bâtie sur l'acquisition de SpaceShipOne , développé par Paul Allen, puis sur le développement SpaceShipTwo devenue Virgin Spaceship (VSS) Unity .

* 92 Le terme « rideshare » peut désigner deux cas de figure : il peut s'agir d'un lancement partagé entre plusieurs charges utiles de masse similaire ou du lancement d'une charge utile en tant que passager auxiliaire et nécessitant un adaptateur.

* 93 Source : ASD Eurospace, repris dans Air et Cosmos, 12 juillet 2019.

* 94 Pour un aperçu des règles en vigueur aux États-Unis en la matière, voir la note de bas de page n° 21 de la note de l'Opecst, qui s'appuie sur un article du Center for space policy and strategy de juillet 2018.

* 95 Cette incongruité était déjà soulevée dans le rapport d'Henri Revol en 2001. La politique d'approvisionnement de services de lancement pour les missions de l'Agence spatiale européenne a été adoptée lors du conseil de l'Agence siégeant au niveau ministériel à Berlin les 5 et 6 décembre 2005 sans retenir le principe d'une telle préférence. En mars 2006, la France avait alors décidé, à titre national, de l'appliquer aux missions institutionnelles françaises. Le sommet franco-italien du 30 novembre 2007 a également adopté une déclaration franco-italienne sur la préférence européenne en matière d'accès à l'espace.

* 96 Jean-Luc Fuguit, Les lanceurs spatiaux réutilisables, Les notes de l'Opecst, 2019.

* 97 Les Échos, Arianespace termine l'année sur une note optimiste, 21 décembre 2018.

* 98 L'acte fondateur de l'Agence spatiale européenne pose un principe de bon sens qui ménage un juste équilibre entre soutien public nécessaire et maîtrise des coûts par les industriels : l'article 8 de la convention de 1975 stipule ainsi que l'Agence « accorde la préférence à leur utilisation pour les charges utiles appropriées sauf si cette utilisation présente, par rapport à l'utilisation d'autres lanceurs ou moyens de transport spatiaux disponibles à l'époque envisagée, un désavantage déraisonnable sur le plan du coût, de la fiabilité et de l'adéquation à la mission ».

* 99 Cette résolution, adoptée à l'initiative des sénateurs André Gattolin et Jean-François Rapin « appelle l'Union européenne à faire preuve de volontarisme dans son soutien aux lanceurs spatiaux de fabrication européenne en mettant en place une préférence européenne au bénéfice des entreprises européennes opérant dans ce secteur ».

* 100 Air et Cosmos, Arianespace, guichet unique de l'ESA, 4 mai 2018.

* 101 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme spatial de l'Union et l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial et abrogeant les règlements (UE) n° 912/2010, (UE) n° 1285/2013, (UE) n° 377/2014 et la décision n° 541/2014/UE, COM(2018) 447 final. Ce règlement a fait l'objet d'une résolution européenne du Sénat en août dernier, déjà citée. Il ne sera applicable que pour le prochain cadre financier pluriannuel, c'est-à-dire en janvier 2021. Il prévoit, entre autres, la transformation de l'agence du GNSS européen en agence de l'Union européenne pour le programme spatial. La déclinaison au niveau opérationnel des grands principes de ce règlement est encore loin d'être faite.

* 102 https://www.esa.int/Our_Activities/Space_Transportation/European_institutions_sign_Joint_Statem
ent_on_European_Institutional_Exploitation_of_Ariane_6_and_Vega-C

* 103 La Déclaration franco-allemande de Toulouse du 16 octobre 2019 énonce que « la France et l'Allemagne actent une "préférence européenne" pour les lancements de satellite (Ariane 6) afin de garantir notre accès autonome à l'espace ».

https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/06/b6d6d489f677358036fcc00c43d51f7a4213b233.pdf

* 104 LePoint.fr, Ariane 6 : le patron d'Arianespace répond aux attaques de la Cour des comptes, 14 février 2019.

* 105 Lequel cumule retards et surcoûts, comme le rapport du Government Accountability Office publié en juin dernier le démontre (« Nasa space exploration, Persistent delays and cost growth reinforce concerns over management of programs »).

* 106 Spatial : l'Europe face au défi des vols habités, Le Monde, 10 septembre 2018.

* 107 L'ATV (pour « Automated transfer vehicle ») était la capsule de ravitaillement de la station spatiale internationale développée sous l'égide de l'Agence spatiale européenne. Il a été utilisé entre 2008 et 2014.

* 108 Voir, sur ce point, l'annexe n° 6.

* 109 Les Echos, Exclusif : SpaceX accuse Arianespace de concurrence déloyale, 21 février 2019.

* 110 Voir annexe n° 5.

* 111 Politique spatiale 2021-2027 : l'Europe sur le pas de tir ?, rapport d'information fait au nom de la commission des affaires européennes, rapport d'information sur la politique spatiale de l'Union européenne, de André Gattolin et Jean-François Rapin, fait au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, déposé le 4 juillet 2019 ; note de Jean-Luc Fugit pour l'Opecst, janvier 2019 ; rapport d'information de Aude Bono-Vandorme et Bernard Deflesselles, déposé par la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale sur la politique spatiale européenne, novembre 2018. Ces rapports sont aussi unanimes sur la question de la préférence européenne.

* 112 Comme André-Hubert Roussel l'a rappelé le 22 mai dernier, il convient également de noter que « c'est une entreprise duale, dont l'activité se partage entre les systèmes d'armes M51 de la force océanique de dissuasion française et les lanceurs spatiaux commerciaux ».

* 113 Ce qui est aussi le cas pour Vega, puisque Avio est également actionnaire d'Arianespace.

* 114 « Les gouvernements français et allemands appellent les acteurs industriels à développer des mesures de consolidation afin d'améliorer la maîtrise des coûts et la compétitivité internationale, ainsi que de renforcer le secteur européen des lanceurs spatiaux ».

* 115 Le Royaume-Uni ne participe plus aux programmes de développement des lanceurs depuis Ariane 5.

* 116 Avio contre Commission européenne, cas t-139/18 enregistré le 21 février 2018, concernant la décision C(2016) 4621 du 20 juillet 2016.

* 117 Air et Cosmos, 11 octobre 2019.

* 118 André Gattolin, Jean-François Rapin, rapport précité.

* 119 Source : Bank of America - Merryl Lynch , rapport précité.

* 120 Il est probable que ce projet ne se réalisera que si les conditions de sécurité sont réunies, 18 décès étant déjà à déplorer depuis les débuts de la conquête spatiale.

* 121 Comme le notaient Catherine Procaccia et Bruno Sido en 2012, dans leur rapport précité, « l'architecture d'Ariane 5 conserve des traces de cette volonté initiale d'en faire un lanceur habitable (redondances des systèmes, allumage et vérification du fonctionnement du moteur de l'étage principal 6 secondes avant décollage...) ».

* 122 Dans le détail, selon le Cnes, la France contribue à 52 % au programme Ariane 6 et à 35,8 % au programme P120C, à égalité avec l'Italie. Par comparaison, l'Allemagne participe à hauteur de 23,55 % à Ariane 6 et 20,45 % au P120C. Pour Vega C, la France contribue à 12 %, contre 50 % pour l'Italie et seulement 6,98 % pour l'Italie.

* 123 Source : ESPI, Space policies, Issues and trends in 2017-2018 , octobre 2018.

* 124 Les contributions au budget de l'Agence distinguent deux types de programmes : les programmes obligatoires - qui concernent principalement les programmes scientifiques - auxquels tous les membres sont contraints de participer en fonction du produit national brut, et les programmes optionnels - comme les programmes concernant les lanceurs ou les satellites de télécommunications - auxquels la contribution est facultative et volontaire.

* 125 Sur les modalités de financement du CSG, voir l'annexe n° 7.

* 126 Unités du 3 e REI et du 9 e RIMA pour le dispositif terrestre ; dispositif maritime assuré par des patrouilleurs légers de la Marine nationale et des vedettes de la gendarmerie maritime ; dispositif aérien réalisé grâce aux hélicoptères Puma et Fennec, et une batterie d'artillerie sol-air Mistral de l'armée de terre ; renfort de gendarmes mobiles pour la protection externe des neuf points d'importance vitale (PIV), sites, inter-sites et voies d'accès du CSG. Il est tout de même à noter que l'ESA participe déjà aux 2/3 des dépenses relatives aux effectifs de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP), mis à disposition du CSG par la préfecture de police de Paris, pour assurer la protection des personnes et des biens, ainsi que la supervision des activités à risques. Le coût de cette prestation est de 7 millions d'euros par an.

* 127 Par exemple, le projet Retalt ( RETro Propulsion Assisted Landing Technologies ) du DLR financé par l'Union européenne dans le cadre d'Horizon 2020 et qui aurait pu participer au développement des technologies réutilisables ne s'inscrit dans aucun projet préalable et devrait donc en rester au stade de l'étude.

* 128 Le service fonctionne depuis le 15 décembre 2016, mais n'a toujours pas atteint sa pleine capacité opérationnelle. Il donne une précision d'un demi-mètre, contre une dizaine de mètres pour le GPS américain. Les smartphones de dernière génération sont tous compatibles avec Galileo et, selon J.-Y. Le Gall, Galileo compte 100 millions d'utilisateurs de plus chaque mois.

* 129 Copernicus est un programme d'observation de la Terre unique au monde. De nombreuses applications commerciales peuvent en être tirées. Sa politique de données ouvertes a cependant fait l'objet d'une controverse, dans la mesure où la Cour des comptes remarquait en 2016 que les principaux utilisateurs étaient les géants américains du numérique.

* 130 Chiffres pour l'année 2018, présentés dans le « 2019 State of the Satellite Industry Report », Satellite Industry Association and Bryce Space Technology , mai 2019.

* 131 Sur ce « tournant de la politique spatiale américaine », voir le rapport de Catherine Procaccia et Bruno Sido précité, en 2012, et celui des députés Aude Bono-Vandorme et Bernard Desflesselles sur la politique spatiale européenne déjà évoqué, publié en novembre 2018.

* 132 Le programme COTS avait été lancé en parallèle d'un programme plus lourd dénommé « Constellation », qui visait à permettre le retour de l'homme sur la Lune en 2020, à travers le développement, sous l'égide de la Nasa , de nouveaux lanceurs (Ares) et d'une capsule habitée ( Orion ) co-développée avec l'Agence spatiale européenne et Airbus. En 2010, l'administration Obama a décidé d'arrêter le programme « Constellation », devenu trop cher, en ne retenant que le SLS et la capsule Orion , et de laisser encore plus de place aux jeunes entreprises spatiales en se reposant sur elles pour l'orbite basse - c'est-à-dire en achetant le service de lancement et non plus le lanceur, considérant que l'innovation dans le domaine des lanceurs avait été insuffisante (cela ressort du discours du président Obama prononcé le 15 avril 2010, au Kennedy Space Center ).

* 133 Edgar Zapata, An Assessment of Cost Improvements in the NASA COTS/CRS Program and Implications for Future NASA Missions .

* 134 Nasa, Kennedy Space Center future development concept, a new way of doing business for a new generation of explorers, 2012 .

* 135 Voir sur ce point le rapport du Government Accountability Office de mai 2019 intitulé « Commercial space transportation, Improvements to FAA's workforce planning needed to prepare for the industry's anticipated growth ».

* 136 Aude Bono-Vandorme, Bernard Deflesselles, rapport d'information déposé par la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale sur la politique spatiale européenne, novembre 2018.

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