Deuxième séquence :

L'égalité des chances entre femmes et hommes, des défis universels, un combat permanent

Dialogue entre Annick Billon, présidente, et Gisèle Gautier, ancienne présidente de la délégation aux droits des femmes

Annick Billon . - J'invite maintenant Gisèle Gautier 59 ( * ) , qui m'a précédée à la présidence de la délégation entre 2002 et 2008, à un échange qu'elle a souhaité intituler « L'égalité des chances entre femmes et hommes : des défis universels, un combat permanent ». La délégation d'aujourd'hui ne saurait mieux dire sur son engagement.

Chère collègue, en parcourant la liste des travaux que vous avez publiés entre 2002 et 2008, je suis frappée par l'actualité des sujets que vous avez abordés. Ainsi, La mixité menacée ? 60 ( * ) aurait pu être le titre du rapport de la délégation présenté par Chantal Jouanno en 2016 sur le lien entre laïcité et droits des femmes.

La place des femmes dans les médias, que vous avez abordée en 2007 61 ( * ) , reste un sujet permanent d'interrogation et de préoccupation. Je salue à cet égard la présence parmi nous de Sylvie Pierre-Brossolette, qui a été très engagée sur ce sujet au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Enfin, sur le plan législatif, vous avez travaillé sur la bioéthique 62 ( * ) . Ce sujet, très présent notamment en 2003-2004, revient à l'agenda parlementaire en cette fin de 2019.

De même, vous avez participé à la discussion de la loi du 4 avril 2006 63 ( * ) relative aux violences au sein des couples, dont notre collègue Roland Courteau a été l'un des auteurs 64 ( * ) . Cette loi a permis d'incontestables avancées, mais le nombre effrayant de féminicides doit continuer à nous mobiliser.

Un peu plus de dix ans après avoir quitté la présidence de la délégation, quels souvenirs souhaitez-vous aujourd'hui partager avec nous plus particulièrement ?

Gisèle Gautier . - Merci, Madame la présidente.

Monsieur le Défenseur des Droits,

Mesdames les présidentes,

Mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, anciens et en exercice,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord vous dire combien je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui. Je reconnais des visages, avec lesquels j'ai travaillé et échangé. L'ambiance qui règne au sein de l'actuelle délégation aux droits des femmes est la même que celle que nous connaissions, c'est-à-dire qu'elle se situe au-delà des clivages et des sensibilités politiques, et dans le respect des uns et des autres. C'est comme cela que l'on doit travailler ! J'ai été attentive à ce qu'a dit tout à l'heure notre ami Alain Gournac, qui était très assidu à notre délégation.

Lorsque je suis arrivée au Sénat en 2001, il y avait 6 % de sénatrices, que l'on appelait d'ailleurs des « sénateurs ». La féminisation du titre n'était pas dans les pratiques de l'époque. Je faisais partie du groupe UDF-Union centriste. Au moment de choisir, au sein de notre groupe, le candidat à la fonction de président ou présidente de la délégation, pas un doigt ne s'est levé. J'ai vu une ancienne députée baisser la tête pour être sûre de ne pas devenir présidente. Je doutais personnellement de mes capacités et de mes compétences pour ce poste, même si j'avais créé une association de femmes à Nantes quelques années auparavant. Mais devant ce silence, consternée, j'ai levé la main timidement. Je ne le regrette pas et j'ai présidé cette délégation, avec beaucoup de plaisir, pendant six ans.

Mon propos est de revenir ce matin sur les actions que j'ai conduites en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes à l'international. En effet, j'ai beaucoup appris et échangé dans trois institutions internationales importantes, qui restent pourtant relativement méconnues.

Je pense d'abord à l'Union interparlementaire (UIP), créée en 1889, qui compte 170 pays. Elle a pour objectifs la démocratie, le développement, la paix et les droits de l'homme - qui incluent aussi ceux des femmes ! J'ai observé la sous-représentation des femmes engagées à l'UIP dans le monde. Dans cette instance internationale, cela reste malheureusement un tabou : à l'échelle mondiale, les femmes ne représentent que 20 % des parlementaires. C'est peu !

J'ai pu relever cette déclaration du président de l'Union interparlementaire faite à la presse en 2017 : « S'agissant de la représentation des femmes au Parlement, il y a des progrès, mais ces progrès sont terriblement lents. Certes, les femmes avancent en politique, mais nous vivons toujours dans des démocraties incomplètes ». Il a terriblement raison !

Nous participions à des réunions annuelles partout dans le monde, notamment en Afrique du Sud, aux Philippines ou en Sierra Leone. Cela nous a apporté indéniablement des échanges très enrichissants, qui nous permettaient d'observer les évolutions en cours, les textes législatifs qui pouvaient être adoptés dans chaque pays afin d'améliorer le statut des femmes dans le monde. J'ai pu mesurer que mes collègues du monde entier se heurtaient aux mêmes problématiques que nous, en France : inégalités salariales, violences conjugales, autres violences, incompatibilité de l'engagement politique et de la charge familiale, parité en politique. Nous nous appuyions sur des statistiques fiables et actualisées. Ainsi, sur 193 pays recensés dans le monde, seuls 16 sont dirigés par des femmes, soit 8,3 % à l'échelle mondiale. Très peu de femmes sont cheffes de gouvernement ou d'État. Force est de constater que nous vivons donc toujours, comme au XX e siècle, sous la domination masculine.

J'en viens à une autre instance importante. J'étais vice-présidente de la délégation française du Sénat au Conseil de l'Europe, qui compte aujourd'hui 47 pays membres. J'ai appris durant cette période que l'Europe était considérée comme une mauvaise élève au niveau mondial s'agissant de la parité, à l'exception des pays nordiques, exemplaires sur ce point. Alors que l'Afrique se positionnait comme outsider , et que le Japon et l'Amérique étaient réellement des « cancres » en la matière, il nous fallait pointer du doigt ceux qui étaient en retard sur ces questions, et qui pour certains le sont toujours actuellement.

Cette présence au sein du Conseil de l'Europe m'a permis de participer au débat législatif sur des textes concernant la parité et l'accès aux responsabilités en dehors de la sphère politique, à savoir dans les conseils d'administration, les représentations syndicales, les services diplomatiques ou encore la magistrature, domaines dans lesquels l'accès des femmes aux responsabilités reste encore très insuffisant.

J'évoquais à l'instant les instances de décision. Permettez-moi une anecdote. L'inénarrable dirigeant allemand de la Deutsche Bank, Josef Ackermann, affirmait en 2011 : « Augmenter la place des femmes dans la direction de ma banque la rendrait plus jolie et plus colorée ». Cela ne nous fait-il fait bondir, d'entendre de tels propos ? Pour rappel, le CAC40 est composé de seulement 10 % de femmes.

Pour terminer, j'aurais une pensée toute particulière pour les femmes avec qui j'ai collaboré, soit à Paris, soit dans leur pays, dans le cadre du Forum euro-méditerranéen. Pour la majorité des femmes parlementaires venant d'Algérie, d'Égypte, d'Israël, de Syrie ou de Jordanie, le thème de la paix dans le monde était fédérateur et mobilisateur. S'agissant de la Jordanie, je n'ai pas oublié la présence, durant toute une matinée de réunion, de la reine Rania. Elle a participé très activement à nos travaux. J'ai eu la chance d'avoir un long entretien avec elle et j'ai pu mesurer tout l'intérêt qu'elle portait au statut de la femme dans son pays et dans la région. La volonté politique est décisive pour progresser dans ce domaine, et c'est un bel exemple à transmettre.

Cet universalisme concernant les droits des femmes et la lutte contre toute forme de discrimination à leur égard est pour moi fondamental et synonyme d'espoir.

Des six années que j'ai passées en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, je retiendrai, d'une part, cette universalité et, d'autre part, la certitude que rien n'est jamais acquis pour les droits des femmes, on le sait ! Il nous faut donc saisir toutes les opportunités pour poursuivre notre combat, afin que les femmes d'aujourd'hui et de demain participent pleinement à une société plus égalitaire et encore plus fraternelle.

Je terminerai en ayant à mon tour une pensée particulière - je rejoins les hommages qui ont déjà été exprimés - pour notre amie Dinah Derycke, qui nous a quittés trop tôt. Elle avait tellement de combats à mener ! Nous devons nous souvenir de son engagement, qui a fait « décoller » la délégation aux droits des femmes. Merci à elle.

Chers collègues, merci de poursuivre le combat. Il existe encore des bastions à protéger et d'autres à conquérir. Je vous souhaite bon courage et bonne journée.

[Applaudissements.]

Annick Billon . - Merci, chère collègue.

Nous abordons maintenant la troisième séquence de cette matinée, dédiée à vingt années d'activité législative pour l'égalité femmes-hommes.

Je donne la parole à Laurence Rossignol, vice-présidente de la délégation, qui va introduire cette séquence en revenant sur « vingt années de vigilance et de propositions au service de la cause des femmes ».


* 59 Sénatrice de la Loire-Atlantique de 2001 à 2011, présidente de la délégation aux droits des femmes de 2002 à 2008.

* 60 Actes du colloque : La mixité menacée ? , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Gisèle Gautier (n° 448, 2003-2004).

* 61 Rapport d'activité 2006-2007 et compte rendu des travaux sur le thème « Quelle place pour les femmes dans les médias ? », rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Gisèle Gautier (n° 375, 2006-2007).

* 62 Rapport d'information sur le projet de loi relatif à la bioéthique fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Sylvie Desmarescaux (n° 125, 2002,2003).

* 63 Lutte contre les violences au sein des couples , rapport d'information sur les propositions de loi correspondantes fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Jean-Guy Branger (n° 229, 2004-2005).

* 64 Proposition de loi de M. Roland Courteau et plusieurs de ses collègues tendant à lutter contre les violences à l'égard des femmes et notamment au sein des couples par un dispositif global de prévention, d'aide aux victimes et de répression (n° 62, 2004-2005).

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