B. DES AGRESSIONS DE PLUS EN PLUS GRAVES

Au-delà de l'aspect quantitatif, les sapeurs-pompiers ont le sentiment d'être confrontés à des formes de violence de plus en plus brutales . Il n'est plus aujourd'hui uniquement question d'outrages ou de violences verbales, mais « de véritables guet-apens : jets de pierre, de cocktails Molotov ou de parpaings, agressions à l'arme blanche ou encore attaques et destruction de véhicules et de centres de secours » 15 ( * ) .

Les exemples d'actes ayant pour finalité de blesser ou tuer des pompiers sont malheureusement nombreux.

Plusieurs exemples récents de ce type d'actions peuvent être évoqués. En octobre dernier, à Champigny-sur-Marne, des sapeurs-pompiers ont fait l'objet d'un guet-apens organisé par une quinzaine de personnes qui ont procédé à des tirs de mortiers et de feux d'artifices, et s'apprêtaient à faire usage de cocktails Molotov 16 ( * ) . Des circonstances similaires ont été relevées à Toulouse, en mai dernier, avec la découverte d'une bonbonne de gaz attachée à un scooter à côté d'une poubelle volontairement enflammée 17 ( * ) .

C. DES SOURCES DE VIOLENCE MULTIPLES

1. Les pompiers, victimes collatérales du rejet de l'autorité de l'État

Les violences dont sont victimes les sapeurs-pompiers semblent s'inscrire dans le cadre plus large d'un rejet de l'autorité républicaine, de la puissance publique et des normes qui en sont le moyen d'expression .

Comme le souligne la sociologue Dominique Schnapper, « les normes sont l'objet d'une contestation, éventuellement radicale ; elles deviennent problématiques » 18 ( * ) . La violence qui est la conséquence de ce rejet ne concerne donc pas seulement les sapeurs-pompiers comme le rappelait Grégory Allione, entendu par votre commission : « Les sapeurs-pompiers sont confrontés à un phénomène de société qui touche également les policiers, gendarmes, médecins, infirmiers, enseignants, et je ne veux pas les oublier » 19 ( * ) .

Ces violences rejoignent celles subies par d'autres autorités publiques, notamment les élus locaux. La consultation récente menée par la commission des lois à la suite du décès de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes (Var), révèle que 92 % des élus ayant répondu ont été victimes d'incivilités, d'injures, de menaces (et même des menaces de mort à l'encontre de 152 d'entre eux) ou d'agressions physiques 20 ( * ) .

Cette perte de tout repère républicain a pour conséquence une aggravation des violences dont sont victimes les sapeurs-pompiers, comme le soulignait le président de la FNSPF : « Les agressions peuvent avoir lieu en zone urbaine sensible où se développe une violence extrême. Nos collègues sont victimes de guet-apens, d'attaques visant la République à travers eux. Lorsqu'un pavé atteint un camion rouge, c'est nous tous qui sommes visés. Nous nous formons avec des gendarmes afin de faire face à ces situations que nous connaissons bien » 21 ( * ) .


Trois exemples représentatifs de violences sur les sapeurs-pompiers
en intervention en Gironde et des suites judiciaires données

Cas n° 1

Les faits en cause ont eu lieu de nuit, en 2017, à Bordeaux. Lors d'une opération de secours, le travail de l'équipage d'un centre d'incendie et de secours (CIS) a été fortement entravé par les proches de la victime et notamment son frère, qui ne cessait d'interférer, rendant difficiles les soins. Le groupe d'individus en cause est allé jusqu'à monter dans le véhicule de secours à victime (VSAV), empêchant tout départ, alors que la situation était grave. Le frère de la victime, très agressif, a fini par attraper le chef d'agrès par le col et l'a secoué.

Ce dernier n'a pas souhaité être présent à l'audience du fait du risque de représailles. Un juriste du service juridique, muni d'un pouvoir du président, représentait le SDIS et l'agent à l'audience. Selon la description faite par la présidente du tribunal, l'agresseur est un récidiviste important au lourd casier judiciaire : 26 condamnations pour vols, violences et stupéfiants, dont un grand nombre par le tribunal pour enfants alors qu'il était mineur.

Lors de ses réquisitions, le procureur a proposé une condamnation à un an de prison ferme avec mandat de dépôt. Le tribunal a suivi en tous points le procureur, et un euro symbolique de dommages et intérêts a été alloué au SDIS. L'agent agressé n'a pas souhaité se constituer partie civile.

Cas n° 2

En 2017, lors d'une opération de secours à personne concernant un malaise, après minuit, les pompiers, qui avaient pris en charge une victime dans l'ambulance, ont été confrontés à un de ses proches très excité. Il a commencé à les insulter et a tenté, par un comportement agressif, d'entraver l'opération de secours.

Cet individu est allé jusqu'à porter des coups sur le véhicule, a ouvert la porte arrière où se pratiquaient les soins, puis s'est mis à donner des coups de poings aux pompiers qui tentaient de le maîtriser afin de poursuivre leur mission. L'un d'entre eux a été atteint au visage, entraînant 5 jours d'incapacité totale de travail (ITT). L'agresseur, faisant état d'hématomes au visage, a effectué lors de l'audience initiale, une citation directe devant le juge pénal, par l'intermédiaire de son avocate, contre les pompiers qui avaient été contraints de le maîtriser.

Le SDIS a donc mis à disposition un avocat au bénéfice des agents, au titre de la protection fonctionnelle, en vue de l'audience reportée, la justice ayant décidé de joindre les deux mises en cause. Un témoin des faits ayant déposé en faveur des pompiers, l'agresseur, un étudiant, est allé jusqu'à le menacer sur son lieu de travail, faits dont les preuves figurent sur une vidéo.

L'agresseur a été condamné à 6 mois de prison avec sursis et à verser 500 euros de dommages et intérêts aux sapeurs-pompiers, relaxés par ailleurs.

Cas n° 3

Lors d'une intervention en 2017, pour malaise à domicile, la victime, sous l'emprise de médicaments et d'alcool, a agressé physiquement le chef d'agrès en lui portant un coup de tête lors de son transport. Ces violences ont entraîné une ITT de 4 jours.

Dans le cadre de la protection fonctionnelle, le SDIS a proposé la mise à disposition d'un avocat pour défendre les intérêts de son agent.

Lors de l'audience en 2018 devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, le prévenu a été reconnu coupable d'avoir volontairement exercé des violences sur le sapeur-pompier dans l'exercice de ses fonctions. Le juge a suivi les réquisitions du procureur de la République, qui consistaient à 4 mois d'emprisonnement avec sursis de mise à l'épreuve (durée d'épreuve fixée à 2 ans) et obligation de soins, et d'indemnisation des victimes. Par ailleurs, l'agent, s'étant constitué partie civile, s'est vu octroyer des dommages et intérêts pour préjudice moral.

Source : extraits de la contribution du SDIS de la Gironde
anonymisé par la commission des lois

2. Les pompiers, victimes collatérales des conditions sanitaires ou sociales dégradées de leur milieu d'intervention

Il ne s'agit pas d'une nouveauté mais les travaux conduits par vos rapporteurs l'ont encore confirmé : l'action des sapeurs-pompiers est devenue une véritable variable d'ajustement devant le recul des différents services de santé ou de police .

La sécurité civile est au fil des années devenue le palliatif universel au recul des différents services publics. Ce phénomène se caractérise par une explosion du secours d'urgence aux personnes et un recul des missions traditionnelles des sapeurs-pompiers telles que la lutte contre les incendies et les feux de forêt, comme le soulignait récemment Grégory Allione : « en 1998, nous avons effectué 3,5 millions d'interventions, dont 50 % au titre du secours d'urgence aux personnes. En 2018, nous avons atteint 4,6 millions d'interventions et ce taux est passé à 84 % » 22 ( * ) .

Évolution des interventions des SDIS entre 2004 et 2014

Source : direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises,
« Les statistiques des services d'incendie et de secours », édition 2018

Cette situation a principalement pour cause le « brouillage des compétences respectives du 15 et du 18 » déjà identifié il y a trois ans par Catherine Troendlé et notre collègue Pierre-Yves Collombat dans leur rapport « Secours à personne : propositions pour une réforme en souffrance » 23 ( * ) . Comme ils le soulignaient, si les SDIS sont normalement chargés « des secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes », ils interviennent en coordination avec les services d'aide médicale d'urgence (SAMU), à la suite d'un appel au centre de traitement de l'alerte géré par le SDIS, qui déclenche un départ réflexe. Lorsque la gravité de la situation sanitaire est incertaine, une coordination entre le SDIS et le médecin régulateur du SAMU s'opère.

La mission des SAMU consiste, elle, à « répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d'urgence » 24 ( * ) , à partir d'une appréciation, par téléphone et par un médecin, de la situation médicale. Une fois la régulation médicale opérée, le SAMU peut faire appel au SMUR pour un transfert médicalisé, ou à un transporteur sanitaire privé pour un transport non médicalisé, vers le service d'urgence d'un établissement de santé, ou encore au SDIS.

Or, dans les faits, la ligne de partage entre leurs actions respectives n'est pas nécessairement claire. La mutation de la mission des sapeurs-pompiers induit une sursollicitation de leurs moyens mais est également le principal vecteur de l'insécurité dont ils sont victimes . Le secours d'urgence aux personnes (SUAP) les conduit à aller au contact de personnes en état de détresse psychologique ou souffrant de pathologies psychiatriques, souvent dangereuses pour les autres et pour elles-mêmes. Or, les sapeurs-pompiers ne disposent d'aucun fichier leur permettant d'identifier ces personnes en amont d'une intervention afin de prendre toute précaution utile.

Ce facteur de risque est amplifié par le recul de la prise en charge des malades atteints de pathologies psychiatriques qui ne sont pas traités ou refusent de se voir administrer leur traitement. Lorsqu'un sapeur-pompier intervient chez un particulier, il encourt le risque d'être confronté à l'une de ces personnes. Le décès du sapeur-pompier Geoffroy Henry survenu le 4 septembre 2018, poignardé par un homme atteint de schizophrénie auquel il était venu porter secours, est un des tristes exemples de cette situation.

Le recul des services de santé n'est pas le seul facteur de dégradation des conditions d'intervention des sapeurs-pompiers. Les auditions conduites par vos rapporteurs ont révélé que les pompiers sont trop fréquemment amenés à intervenir pour « gérer » des individus en très grande détresse sociale ou précarité , et qui trouvent dans l'alcool et les stupéfiants des refuges aussi précaires que dangereux. Là aussi, l'intervention des sapeurs-pompiers ne semble pas directement relever des compétences qui leur sont confiées par la loi mais résultent d'un état de fait identique : aucun autre service public ne souhaite prendre en charge les personnes concernées.


* 15 Contribution écrite de la FNSPF.

* 16 Voir l'article du Parisien à l'adresse suivante : http://www.leparisien.fr/val-de-marne-94/champigny-3-heures-les-secours-tombent-dans-un-guet-apens-aux-mordacs-22-10-2019-8178156.php

* 17 Voir l'article de BFM TV à l'adresse suivante : https://www.bfmtv.com/police-justice/toulouse-victimes-d-un-guet-apens-les-pompiers-denoncent-des-actes-intolerables-1690351.html

* 18 Dominique Schnapper L'esprit démocratique des lois , Gallimard, 2014, page 77.

* 19 Audition devant la commission des lois du 15 mai 2019.

* 20 Voir le dossier de presse du mercredi 2 octobre 2019 à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/presse/cp20191002a.html

* 21 Audition devant la commission des lois du 15 mai 2019.

* 22 Audition devant la commission des lois du 13 mai 2019.

* 23 Rapport d'information n° 24 (2016-2017) de M. Pierre-Yves Collombat et Mme Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois, déposé le 12 octobre 2016, Secours à personne : propositions pour une réforme en souffrance , page 14. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-024-notice.html

* 24 Article R. 6311-1 du code de la santé publique.

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