MADAGASCAR : UN DÉFI POUR L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT

Dans le cadre de la préparation de l'examen de la loi d'orientation et de programmation relative à la solidarité internationale, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale ont décidé de mener une mission conjointe à Madagascar, pays prioritaire de la politique française d'aide au développement.

A bien des égards, Madagascar incarne et résume les défis auxquels l'aide au développement se trouve confrontée dans les pays qui connaissent une grande pauvreté . Malgré d'abondantes ressources naturelles, minières, halieutiques, etc., le PIB par habitant du pays a en effet été divisé par deux du depuis les années 1970 et la prévalence de la grande pauvreté (moins de 2 dollars par jour par personne) y est de 75%.

En outre, la croissance démographique est très forte : il y a 25 ans, Madagascar comptait 12,2 millions d'habitants ; aujourd'hui, d'après le dernier recensement mené début 2019, la population a plus que doublé : le pays compterait désormais 25,7 millions d'habitants. Ainsi que l'a souligné Richard Randriamandrato, ministre de l'Économie et des Finances de Madagascar : « D'ici 10, 15, 20 ans, si les politiques publiques ne sont pas en mesure de ralentir cette croissance démographique trop élevée pour l'instant, je crois que nous aurons raté la possibilité de placer Madagascar dans une trajectoire d'émergence économique. Il faut faire face à cela. Il y a beaucoup trop de jeunes et nous allons travailler d'ailleurs avec les partenaires techniques et financiers pour que nous puissions réguler la natalité et faire face à ce grand défi. » Comme ailleurs en Afrique subsaharienne, la croissance rapide la population apparaît ainsi comme un des principaux défis à relever. En particulier, la population d'Antananarivo croit d'environ 150 000 personnes par an. À ce rythme, la population de l'agglomération aura doublé dans 15 ans.

Le second aspect qui entrave le « décollage » de Madagascar est d'ordre politico-social. Alors que la question de la place sociale des descendants d'esclaves, les « andevo », reste taboue, Madagascar reste très marquée par la période royale et la structure sociale qui était alors en place, la période coloniale puis les régimes qui se sont succédés ensuite n'ayant pas davantage conduit à associer la population à la maîtrise de son destin. Il en est résulté une succession de crises politiques qui ont, chaque fois, plongé l'île dans la crise économique et ont obligé les bailleurs de l'aide internationale à interrompre leurs financements .

Le contexte politique à Madagascar : un nouveau départ ?

Depuis son indépendance en 1960, Madagascar a connu à plusieurs reprises des crises politiques (1972, 1991-92, 2001-02 et 2009-13).

Lors de la dernière crise en date, en mars 2009, le président de la République Marc Ravalomanana, a démissionné et quitté le pays sous la pression de la rue et de l'armée. Le maire de Tananarive, Andry Rajoelina, a pris la tête de la Haute autorité de transition (HAT). Fin 2013, Hery Rajaonarimampianina, ancien ministre des Finances pendant la Transition (2009-2013), a remporté l'élection présidentielle, mais, peu populaire, il n'a pas été reconduit par les électeurs malgaches.

En 2018, de très fortes tensions se sont manifestées durant les mois précédent l'élection présidentielle. Suite à l'adoption controversée à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, des projets de lois électorales, début avril 2018, l'opposition est descendue dans la rue. Le 21 avril, les forces de l'ordre ont durement réprimé une manifestation à Tananarive (deux morts et plusieurs blessés parmi les manifestants). Des manifestations dans les rues de la capitale et les grandes villes du pays ont duré plusieurs semaines. Les principaux partenaires de Madagascar (SADC, Union africaine, Nations unies, Union européenne, Organisation internationale de la Francophonie et Commission de l'océan Indien) se sont mobilisés pour éviter une nouvelle crise politique à Madagascar. Plusieurs émissaires des institutions multilatérales (SADC, UA, ONU, OIF et COI) se sont rendus à Madagascar afin d'apaiser les tensions politiques et de faciliter le dialogue entre le pouvoir et l'opposition. Après la démission, le 4 juin 2018, d'Olivier Mahafaly, le Premier ministre en poste depuis avril 2016, le président de la République a nommé Christian Ntsay, sur proposition du MAPAR, le parti d'opposition majoritaire à l'Assemblée nationale. Le nouveau Premier ministre a formé un gouvernement de « cohabitation » le 11 juin avec pour principale mission la préparation des élections. Candidat à un second mandat, le président Hery Rajaonarimampianina a démissionné le 7 septembre 2018, conformément à l'article 46 de la constitution (un président qui se présente à sa propre succession doit démissionner au plus tard 60 jours avant le premier tour). L'intérim a été assuré par le président du Sénat, Rivo Rakotovao. Arrivé en tête lors du premier tour de l'élection présidentielle, Andry Rajoelina (MAPAR) a remporté le second tour (19 décembre 2018) avec 55,66 % des suffrages exprimés. Son rival, Marc Ravalomanana (dont le parti TIM a obtenu 44,34 % des voix) a d'abord contesté les résultats, puis félicité le vainqueur.

Plusieurs missions d'observation électorale ont été déployées (UE, UA et SADC) et un grand nombre d'ONG de la société civile malgache ont également couvert les près de 25 000 bureaux de vote (9,8 millions d'électeurs inscrits). Tous les observateurs ont salué le bon déroulement de cette élection reconnue comme transparente et régulière. Le président Rajoelina a ainsi été investi le 19 janvier 2019, pour un mandat de cinq ans. Les élections législatives du 27 mai 2019 se sont déroulées dans le calme, en présence de missions d'observation électorale (SADC et UA) : 851 candidats étaient en lice pour 151 circonscriptions. La plateforme présidentielle IRD (« tous ensemble pour le Président ») a remporté la majorité absolue avec 84 sièges sur 151. Malgré un taux de participation assez faible (40,7 %), le président malgache dispose d'une très large majorité à l'Assemblée nationale pour mettre en oeuvre ses réformes. Le TIM de Marc RAVALOMANANA, qui a obtenu 16 sièges, est désormais le premier parti d'opposition. Enfin, les candidats indépendants ont remporté 46 sièges. Suite à l'installation de la nouvelle Assemblée, le Premier ministre, Christian NTSAY, a été reconduit dans ses fonctions le 19 juillet 2019, à la tête d'un gouvernement resserré (21 ministres et un secrétaire d'État), majoritairement composé de techniciens.

En février 2019, la présidence a présenté les 13 axes prioritaires de sa Politique générale de l'État (PGE) afin de répondre aux attentes socio-économiques de la population malgache de rattraper le retard de développement du pays .

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Surtout, l'aide fournie par les bailleurs bilatéraux ou multilatéraux n'a pas permis de produire des transformations assez profondes pour enclencher une dynamique de « croissance inclusive » susceptible de faire sortir une part significative de la population de la pauvreté. En outre, comme dans d'autres pays, cette aide court sans cesse le risque de contribuer à perpétuer des rentes et des inégalités défavorables à long terme au processus du développement. Déjà en 1973, dans une étude sur l'impact de l'aide au développement à Madagascar, l'économiste du développement Philippe Hugon soulignait que « l'aide alimente certains groupes sociaux parasitaires et constitue un facteur essentiel de cristallisation des structures sociales », cette cristallisation empêchant le pays d'atteindre un « équilibre plus élevé » permettant de développer l'économie et de réduire la pauvreté. Plus de 45 ans plus tard, les bailleurs sont toujours confrontés à la même difficulté, même si la récente stabilisation politique et la bonne volonté affichée par les pouvoirs publics malgaches les incitent désormais à davantage d'optimisme.

Lors de leur déplacement, les membres de la mission ont pu observer la mise en oeuvre de plusieurs projets de l'AFD et de ses partenaires, l'agence ayant décaissé à Madagascar entre 18 et 30 millions d'euros par an au cours de la dernière décennie. Ils ont été frappés par la volonté affichée de mener des projets ayant un impact direct en matière d'amélioration de la vie quotidienne, que ce soit au sein d'Antananarivo ou des campagnes de la région d'Itasy, à l'Ouest de la capitale. Ils ont également pu observer la vitalité de la coopération décentralisée et de l'action des ONG et des associations. La mission a également pu observer le rôle important de coordination de l'ambassade, ainsi que son action spécifique en matière d'aide au développement, notamment à travers cinq projets « Fonds de solidarité pour les projets innovants, les sociétés civiles, la francophonie et le développement humain » (FSPI) qui permettent de combiner solidarité internationale et influence française.

Enfin, les membres de la mission ont pu se rendre en visite à l'Institut Pasteur de Madagascar, créé il y a 120 ans. L'institut accomplit un travail reconnu en matière de lutte contre les maladies tropicales et rend directement service à la population de la capitale en abritant un centre de biologie clinique ouvert en permanence, qui reçoit 600 personnes par jour et participe à l'influence scientifique française. Les membres de la mission ont cependant constaté que l'Institut n'était pas épargné par les restrictions budgétaires affectant le ministère des affaires étrangères : en août 2019, celui-ci a ainsi réduit de six à un le nombre de postes d'experts techniques internationaux qu'il finançait jusqu'alors. Or, une masse critique d'expatriés reste indispensable pour maintenir le haut niveau de compétence et le bon fonctionnement de l'institut, ainsi que l'influence française durement concurrencée à Madagascar, notamment par les États-Unis et par la Chine.

Un projet de formation professionnelle dans le bâtiment soutenu par l'AFD à Antananarivo

Exemple de projet de l'AFD : le projet intégré d'assainissement d'Antananarivo (PIAA)

Un projet financé par l'AFD a particulièrement retenu l'attention de la mission : il s'agit du Projet intégré d'assainissement d'Antananarivo , qui vise à protéger les bas quartiers de la ville des inondations et à relancer la gestion des eaux urbaines dans la capitale. Dans la plaine inondable d'Antananarivo, ce projet s'efforce de rétablir et d'améliorer canaux de drainage, stations de pompage. À plus long terme, il vise à établir un schéma directeur d'assainissement et à promouvoir une animation communautaire et la proportion de l'hygiène via une ONG.

La question de l'entretien et du maintien en fonctionnement des nouvelles réalisations que la mission a pu observer se posent de manière aigüe. Les canaux récemment curés peuvent en effet se reboucher très vite si l'entretien n'est pas assez fréquent, d'autant que l'augmentation permanente de la population de la capitale exerce une pression très forte sur toutes les infrastructures. De fait, la mission a pu observer le fonctionnement d'un canal dont les travaux ont été réceptionnés au mois de mars 2019, et a constaté que la population commençait à rejeter des déchets dans le grand bassin de rétention. Le canal se termine ainsi par un amoncellement de déchets qui menacent de l'étouffer, ce qui a conduit le ministre accompagnant à indiquer que les services de la capitale n'avaient pas fait le nécessaire. La mission a donc constaté que moins d'un an après la réalisation de l'ouvrage, il risquait déjà de ne plus fonctionner. Il apparaît d'ailleurs que, pour le moment, l'exploitation et le financement des ouvrages d'assainissement est complexe et peu efficace. Les ouvrages financés par le PIAA devront en effet être entretenus par :

• L'APIPA (Autorité de Prévention des Inondations de la plaine d'Antananarivo) qui est en charge des infrastructures majeures de gestion des inondations dont le canal Andriantany (vu par la mision) et les stations de pompage (y compris la station visitée) ;

• Le SAMVA (Service d'Assainissement Métropolitain de la Ville d'Antananarivo) pour les réseaux d'eaux usées des quartiers des « 67 hectares » et d'Ampefiloha mais aussi, sans base contractuelle, d'une partie des canaux secondaires de drainage. Le SAMVA est également l'opérateur en charge de la collecte déchets de la ville d'Antananarivo depuis des bacs intermédiaires ;

• La CUA (Commune Urbaine d'Antananarivo) pour tous les ouvrages non gérés par l'APIPA et le SAMVA.

Le financement de l'exploitation et de l'entretien des ouvrages pourrait se résumer comme suit :

• APIPA : taxe sur les surfaces remblayée dans la plaine d'Antananarivo et allocation budgétaire du Ministère de l'Aménagement du Territoire et/ou du Ministère de l'Eau ;

• SAMVA : taxe sur les eaux usées pour la partie « Assainissement », facturée avec l'eau potable par la JIRAMA (société nationale d'eau et d'électricité), mais reversée irrégulièrement et au mode de calcul peu transparent ;

• CUA : financement par le budget général, sans ressource spécifique dédiée au service de l'assainissement.

Les responsables de l'AFD sont conscients de ce problème et indiquent que le PIAA finance également l'intervention de l'ONG CARE dans les quartiers ciblés par le projet. Il s'agit, avec les associations de riverains des canaux réaménagés (les « RF2 »), de trouver une solution pour la collecte des déchets ménagers pour éviter que ceux-ci ne bouchent les canaux. CARE a aussi pour tâche de sensibiliser la population locale en matière d'hygiène et de santé publique, contribuant à réduire les risques sanitaires liés aux eaux usées. Enfin, CARE doit proposer des activités liées à la réduction des risques et à la gestion des inondations. En outre, l'étude du plan directeur d'assainissement de l'agglomération d'Antananarivo, menée avec l'appui de l'agence, a fait émerger des propositions pour une rationalisation de l'exploitation des ouvrages d'assainissement et un meilleur financement des coûts correspondants. Des « Assises de l'Assainissement » à organiser en mars 2020 devront permettre de valider publiquement les options retenues.

L'AFD envisage le financement en 2020 d'une seconde phase du projet PIAA qui aura pour vocation de poursuivre l'appui à l'amélioration de la gestion de l'assainissement à Tananarive mais devrait aussi permettre de mettre en place les premiers systèmes de traitement des eaux usées et des boues de vidange, pour améliorer la qualité de l'environnement.

Selon l'AFD, le soutien du gouvernement à ce projet, via le ministre de l'aménagement du territoire, qui assure la maîtrise d'ouvrage du projet, est fort : « L'amélioration des conditions de vie des habitants de la capitale est une priorité affichée du gouvernement, « alarmé » par des conditions d'insalubrité, d'insécurité et de tensions sociales croissantes à Tana plus qu'ailleurs. Pour cette raison, le ministère de l'Aménagement du territoire, maître d'ouvrage du projet, le soutient fortement. Le projet s'inscrit parfaitement dans la stratégie du gouvernement ». L'AFD souligne ainsi l'alignement du projet avec la stratégie du Gouvernement.

Un canal du projet PIAA à Antananarivo

Au total, Madagascar illustre bien à la fois le caractère indispensable et les limites de l'aide au développement dans un contexte politique et social défavorable .

Ce déplacement aura ainsi été pour la commission de « tester » et de préciser ce qui constituera son « cahier des charges » pour la loi d'orientation sur la solidarité internationale :

1-la définition d'une stratégie claire et forte pour la politique d'APD française, en lieu et place de l'actuel catalogue de priorités décliné par chacune des entités qui participent à cette politique ;

2-un pilotage renforcé et une reprise en main de cette politique , dont la conception et la mise en oeuvre ont été trop déléguées à l'AFD ;

3-une meilleure articulation des financements bilatéraux et multilatéraux . À Madagascar, l'entretien de la mission avec la Banque mondiale et les autres institutions multilatérales n'a pas été de nature à rassurer sur l'alignement de la stratégie de ces dernières avec l'aide bilatérale, notamment française ;

4-la promotion de l'expertise française , qui passe notamment par la préservation de l'autonomie d'Expertise France au sein du groupe AFD ;

5-enfin, un effort inédit pour améliorer l'évaluation de l'impact des projets et instaurer un pilotage de l'aide par les résultats.

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