EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 janvier 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Jean-Pierre Vial, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont et M. Jacques Le Nay sur l'aide publique au développement à Madagascar.

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, nous passons à la présentation du rapport d'information sur l'aide au développement à Madagascar.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. - Nous nous sommes rendus à Madagascar du 21 au 25 novembre dernier dans le cadre d'une mission conjointe avec quatre députés de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, dans l'optique de la préparation de l'examen du futur projet de loi d'orientation sur l'aide publique au développement.

Madagascar incarne avec une particulière acuité les questions que nous nous posons sur l'aide publique au développement, sur les conditions de son efficacité, et sur les réformes nécessaires pour l'améliorer.

Dans ce pays, le PIB par habitant a été divisé par deux depuis les années 1970 ! Plus de 74 % de la population vit sous le seuil de pauvreté absolue de 2 dollars par jour. Pourtant, au cours des dix dernières années, Madagascar a reçu environ 5,5 milliards de dollars d'aide de la communauté internationale. Les financements de l'Agence française de développement (AFD) à Madagascar au cours des dix dernières années varient entre 18 et 30 millions d'euros par an, toutes lignes confondues : projets, ONG et Proparco. L'AFD intervient depuis 1952, soit dix ans avant l'indépendance.

La longue dégradation de l'économie du pays a, pour l'essentiel, des causes politiques et sociales, et non une insuffisance de ressources naturelles, bien au contraire. Madagascar subit les effets des crises politiques régulières qui le font, à chaque fois, repartir de zéro, avec un coup d'arrêt plus ou moins long à l'aide internationale. La dernière crise majeure, en 2009, n'a pas fait exception, même si les bailleurs de fonds affichent un certain optimisme depuis la stabilisation de la situation politique, fin 2018.

Rappelons cependant que, dès 1973, l'économiste du développement Philippe Hugon avait identifié les raisons de l'échec de l'aide au développement à Madagascar, soulignant avec une certaine sévérité que celle-ci alimentait « certains groupes sociaux parasitaires » et constituait « un facteur essentiel de cristallisation des structures sociales », celles-là mêmes qui, précisément, s'opposent au développement. Selon lui, la condition d'efficacité de l'aide reposait dans « une modification de ces institutions économiques et sociales et de leur fonctionnement, permettant d'atteindre un équilibre plus élevé, bénéficiant à tous ».

Pour autant, après ce constat un peu désenchanté, il faut souligner l'intérêt des projets dont nous avons pu observer la réalisation.

L'intervention de l'AFD dans le pays est assez équilibrée, avec des actions importantes en matière d'infrastructures et de développement urbain, mais également des interventions substantielles dans les domaines de l'agriculture, de l'environnement, de l'éducation, du secteur productif et de la santé.

Pour ma part, j'ai été particulièrement attentif au projet intégré d'assainissement d'Antananarivo, la capitale, qui vise à protéger les bas quartiers de la ville - les plus pauvres - des inondations et à relancer la gestion des eaux urbaines à l'aide de canaux de drainage et de stations de pompage. Comme souvent, les réalisations sont impressionnantes, mais qu'en est-il de leur pérennité ou de leur fonctionnement ? Comment se fera l'entretien des infrastructures ? Le projet comprend un financement de l'association CARE, qui travaille avec les associations de riverains pour trouver une solution pour la collecte des déchets ménagers, afin d'éviter que ceux-ci ne rebouchent les canaux réaménagés. La levée de taxes devant financer l'ensemble du fonctionnement reste très problématique. L'AFD tente de faire émerger des propositions pour une rationalisation de l'exploitation et un meilleur financement, mais la tâche est ardue.

Cet exemple permet de cerner toute la difficulté qu'il y a à mettre en place un projet de développement viable à long terme, mais aussi à l'évaluer. Au-delà de la réussite immédiate et visible, il convient en effet de mesurer au fil du temps l'impact de l'aide sur la capacité des autorités du pays et de la capitale à gérer les infrastructures et à rendre compte de cette gestion à leurs concitoyens. Cet investissement est conséquent, avec un coût complet du programme de 20 millions d'euros. Ces travaux ont été réceptionnés au mois de mars dernier, mais, sur place, bien qu'émerveillés par les réalisations, nous avons constaté que les gens commençaient à rejeter des déchets dans le grand bassin de rétention, et que le canal, par ailleurs impressionnant, se terminait sur un réceptacle d'immondices, ce qui a conduit le ministre qui nous accompagnait à indiquer que les services de la capitale n'avaient pas fait le nécessaire. On voit donc que moins d'un an après la réalisation de l'ouvrage, il risque de ne plus fonctionner.

Tout projet court le risque d'être instrumentalisé. Ainsi, c'est sans doute grâce à un prêt de la banque mondiale qu'un précédent président de la République avait pu créer un véritable empire dans la production de lait, utilisé ensuite pour combattre ses adversaires politiques, à l'aide, notamment, de mesures de protection tarifaire et d'exemption de taxes. Lorsque l'on s'engage dans ces programmes, il est donc important de prévoir le fonctionnement de l'ouvrage et l'implication des collectivités. Une anecdote, un plan d'eau se trouve à proximité, au centre de la capitale, qui a bel aspect mais qui sert d'exutoire à tous les rejets de la ville. Au bord de ce lac se trouvent les lieux de commémoration où se tiennent les manifestations nationales, au cours desquelles les officiels se pincent le nez, tant la puanteur est forte.

Un mot pour finir sur l'Institut Pasteur de Madagascar, créé il y a 120 ans, qui nous a émerveillés. Il avait, par concession, charge de relever la qualité de l'eau dans la capitale, qui n'est pas potable, mais depuis deux ans, cette convention n'est plus signée et l'on ne connaît plus la qualité de l'eau. Un autre problème se pose à Madagascar, celui de la qualité des soins. La lèpre est presque éradiquée, mais 200 000 cas nouveaux apparaissent encore annuellement dans le monde. Madagascar fait partie des cinq pays d'Afrique dans lesquels cette maladie se développe. Or 40 % de la population n'a pas accès aux soins.

L'institut accomplit un travail remarquable en matière de lutte contre les maladies tropicales et rend directement service à la population en abritant un centre de biologie clinique ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, qui reçoit 600 personnes par jour et participe à l'influence scientifique française avec un médecin et une équipe remarquable. Il n'est toutefois pas épargné par les restrictions budgétaires qui touchent le ministère des affaires étrangères. En août 2019, celui-ci a ainsi réduit de six à un le nombre de postes d'experts techniques internationaux qu'il finançait. Or une masse critique d'expatriés reste indispensable pour maintenir le haut niveau de compétence et le bon fonctionnement de l'institut, ainsi que l'influence française durement concurrencée à Madagascar, notamment par les États-Unis et par la Chine.

Pour conclure, ce déplacement aura été pour nous l'occasion de tester et de préciser ce qui constituera notre cahier des charges pour la loi d'orientation sur la solidarité internationale, et que l'on peut résumer par les cinq points suivants.

Nous devons, premièrement, définir une stratégie claire et forte pour la politique d'aide publique au développement française, en lieu et place de l'actuel catalogue de priorités actuellement décliné par chacune des entités qui participent à cette politique. Il faut, deuxièmement, mettre en place un pilotage renforcé et une reprise en main de cette politique, dont la conception et la mise en oeuvre sans doute ont été trop déléguées à l'AFD. Troisièmement, il importe de favoriser une meilleure articulation des financements bilatéraux et multilatéraux. À Madagascar, l'entretien que nous avons eu avec la Banque mondiale et les autres institutions multilatérales ne nous a pas rassurés quant à leur alignement avec l'aide bilatérale, notamment française. Je dirais même que les discours qui nous ont été doctement tenus nous ont un peu étonnés. Quatrièmement, il faut promouvoir l'expertise française, dont nous avons pu avoir une illustration particulièrement frappante avec l'Institut Pasteur de Madagascar et qui passe notamment par la préservation de l'autonomie d'Expertise France. Enfin, le cinquième point consiste à mener un effort inédit pour améliorer l'évaluation de l'impact des projets et instaurer un pilotage de l'aide par les résultats, comme on le voit à travers l'exemple sur lequel je me suis attardé.

Sur le projet de loi de programmation, le ministre Le Drian nous avait laissés entrevoir une perspective à court terme, mais le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) s'est montré hier beaucoup plus perplexe quant à un aboutissement rapide. Vos rapporteurs sont en tout état de cause à la disposition de la commission pour poursuivre le travail engagé.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure. - Ce déplacement a été une belle occasion d'apprécier le mode de travail que vous avez institué, avec des équipes transpartisanes. Nous avons des sensibilités politiques différentes et passons trop souvent les uns à côté des autres. Grâce à des missions comme celle-ci, nous apprenons à nous apprécier. Le Sénat a fait entendre sa différence et a montré sa capacité de travail.

Madagascar constitue un bon exemple de la difficulté à aider un pays structurellement instable. Madagascar a en effet été moins aidée que d'autres pays d'Afrique subsaharienne, et cette aide a connu de fortes fluctuations. En outre, la capacité à mobiliser l'aide des pouvoirs publics malgaches est toujours restée faible. Traditionnellement, ce sont donc les bailleurs multilatéraux, plus habitués à ce type de situations, qui ont effectué les interventions les plus importantes dans le pays.

Mon collègue Jean-Pierre Vial l'a dit, l'aide à Madagascar se heurte à des structures politiques et sociales extrêmement inégalitaires, qui constituent clairement un obstacle au développement. Je crois que nous avons tous été frappés et même profondément affectés par la pauvreté extrême des habitants des bas quartiers de la capitale, qui vivent au milieu des immondices, en particulier de très nombreux jeunes enfants, avec les conséquences que cela implique en termes de mortalité infantile. Madagascar m'a semblé être un concentré de toutes les misères : celles que l'on retrouve en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Il faut saluer le travail de l'AFD qui tente de fournir une aide bénéficiant directement à cette population déshéritée, comme nous avons pu l'observer à travers un projet de rénovation des ruelles, sachant que plus de 70 % de la population vit dans des quartiers sans voirie ni équipements. Ce projet, directement porté par le ministre de l'aménagement du territoire qui nous a accompagnés sur place, malgré son caractère trivial, est très important : il vise à améliorer des voies piétonnes où les Malgaches circulent quotidiennement, en prévoyant un pavage, des escaliers, des bornes-fontaines, des blocs sanitaires, des lavoirs, etc. L'AFD considère que près de 1 million de personnes seront impactées par ce projet.

La situation est moins critique dans les campagnes, mais la pauvreté y est plus cachée et la malnutrition est très fréquente. L'ONG Action contre la faim a ainsi pu qualifier Madagascar de « paradis de la sous-alimentation chronique ». Les conséquences sont terribles avec des retards définitifs de développement chez de très nombreux enfants. Les habitants souffrent également des maladies tropicales comme le paludisme ou la bilharziose, dont le parasite est présent dans toutes les eaux de baignade. Enfin, le changement climatique est déjà très sensible, avec une aridité de plus en plus forte dans le sud de l'île.

Dans ce contexte, la sécurisation du foncier au profit des populations rurales est essentielle pour éviter les spoliations et les conflits d'usage, intensifier la production et ainsi permettre aux paysans d'atteindre l'équilibre économique. C'est ce qui fait tout l'intérêt d'un autre projet soutenu par l'AFD qui nous a été présenté, visant à doter 75 communes rurales d'outils pour délivrer des certificats fonciers et gérer la fiscalité foncière. La valeur ajoutée d'un tel projet est aussi, comme nous avons pu le constater, de permettre un renforcement de l'institution communale, à travers le service rendu aux populations en échange du paiement de l'impôt. Plus largement, nous pouvons nous féliciter que l'AFD consacre au total 48 millions d'euros d'engagement dans le secteur de l'agriculture à Madagascar, soit le deuxième poste d'intervention après les infrastructures et le développement urbains.

Là encore, toutefois, ne soyons pas trop optimistes : il y a des décennies, une réforme soutenue par les bailleurs avait déjà permis de redistribuer la terre aux paysans et avait amélioré leur productivité, mais la propriété était vite retournée aux notables lors d'une des nombreuses crises politiques qui se sont succédé dans le pays. Comme cela a déjà été souligné, aucun progrès durable n'est donc possible sans une profonde transformation de la société malgache, que les bailleurs ne peuvent pas prétendre impulser à eux seuls.

Dernier point que je souhaitais souligner, sur lequel nous sommes, je crois, tous les trois en accord, c'est l'importance particulière de la coopération décentralisée à Madagascar. Il existe en effet 41 coopérations décentralisées recensées dans le pays, dont 4 bénéficient d'un financement de l'AFD dans le cadre de la facilité de financement des collectivités territoriales françaises (FICOL).

Nous avons ainsi pu nous rendre sur des lieux de mise en oeuvre de projets soutenus par la région Nouvelle Aquitaine en partenariat avec la région Itasy à l'ouest d'Antananarivo, notamment un projet de formation agricole et rurale destiné à renforcer la professionnalisation de l'agriculture dans cette région. Nous avons été émerveillés par l'énergie de ces jeunes. La Nouvelle Aquitaine soutient également des projets de développement agricole et d'agroforesterie mis en oeuvre par l'ONG Agrisud International, ainsi que le développement de la pisciculture et de la riziculture. Aspect important, elle oeuvre aussi en faveur d'un renforcement des capacités de la région Itasy afin de mettre en place un plan de développement économique et de renforcer la fiscalité.

La coopération décentralisée occupe ainsi une place importante dans le dispositif de l'aide au développement française à Madagascar, à tel point que l'ambassade de France a organisé début 2018 des assises de la coopération décentralisée. L'ambassade joue ainsi un rôle d'animation en faisant se rencontrer les différents acteurs, ce qui permet d'accroître l'impact de cette coopération décentralisée, qui vise à plus de 75 % le secteur de l'agriculture, où les besoins sont immenses et où les collectivités et les ONG sur lesquelles elles s'appuient ont une réelle valeur ajoutée par rapport aux grands bailleurs ou agences de développement nationales ou multilatérales. Il s'agit là d'une coopération très féconde, au plus près du terrain, qui doit continuer à être soutenue par le Gouvernement français et l'AFD.

M. Jacques Le Nay, rapporteur. - Madagascar est un pays qui regorge de ressources naturelles, qu'elles soient naturelles, comme les forêts et leur biodiversité reconnue mondialement, minérales, ou encore halieutiques.

Comme l'ont rappelé mes collègues, cela n'empêche pas la population de l'île de connaître une très grande pauvreté. Il y a d'abord indéniablement un problème chronique de mauvaise gouvernance, qui fait que les Malgaches bénéficient très peu des retombées liées à leurs ressources naturelles. Ainsi que l'a souligné un chercheur récemment, « pris entre des acteurs étrangers avides de ressources et des oligarchies avides de pouvoir et de biens de prestige, l'immense majorité des Malgaches se trouve dans une situation vulnérable économiquement ». On peut citer le bois de rose, encore récemment pillé au profit d'une mafia locale elle-même reliée, de l'avis de nos interlocuteurs, au marché chinois, ou encore le pillage des ressources halieutiques par des flottes étrangères, qui en général ne disposent pas de permis de pêche.

En outre, les ressources fiscales de l'État malgache sont parmi les plus faibles du monde. En 2018, le ratio impôts/PIB était de seulement 11,9 %. Pour mémoire, ce taux est de 34,2 % en moyenne dans les pays de l'OCDE et de 17 % en moyenne en Afrique. Ce très faible taux est significatif de la faiblesse de l'État malgache lui-même. Tout ceci donne une idée de la profondeur des changements à impulser. Les bailleurs internationaux y travaillent, mais les résultats ne sont pas encore au rendez-vous.

Dans ce contexte, les projets de dynamisation de l'économie malgache soutenus par l'AFD que nous avons pu observer sont naturellement utiles, mais ils ne suffiront pas à eux seuls à lancer le développement économique nécessaire pour sortir les Malgaches de la pauvreté.

Ainsi, l'AFD fournit un appui au secteur financier, développe des programmes de garanties pour le financement des petites entreprises, ou encore finance de grands projets tels que l'extension des aéroports d'Antananarivo et de Nosy Be, qui bénéficient d'un prêt de 35 millions de dollars de l'agence.

Autre exemple, l'AFD soutient à Antananarivo un projet de formation professionnelle afin de développer les capacités et des filières de formation du BTP dans le cadre d'un partenariat public-privé avec les organisations professionnelles du secteur et les opérateurs économiques.

Il s'agit ainsi d'offrir une alternative crédible à l'économie informelle dans ce secteur et d'offrir des débouchés à davantage de jeunes. Là encore, il faudra évaluer l'impact à long terme pour savoir si ce projet a eu un véritable effet d'entrainement sur l'économie.

Par ailleurs, à côté de cette action multiforme de l'AFD, il faut également souligner l'action importante de l'ambassade de France, qui joue non seulement un rôle de coordination, comme ma collègue l'a souligné à propos de la coopération décentralisée, mais qui est aussi une force de proposition autonome en matière d'aide au développement. La revitalisation des Fonds de solidarité pour les projets innovants, les sociétés civiles, la francophonie et le développement humain (FSPI), directement gérés par le service de coopération et d'action culturelle de l'ambassade, se traduit en effet à Madagascar par la mise en oeuvre de cinq projets, en matière d'éducation, de francophonie et d'écoles normales supérieures. Dans ce cadre, deux experts techniques sont en place auprès de l'éducation nationale malgache pour la mise en place des programmes scolaires. Le renforcement des FSPI, qui, je le rappelle, ont reçu 36 millions d'euros supplémentaires dans la loi de finance pour 2020, permet ainsi de maintenir une offre de projets de développement de taille modeste, mais à fort effet de levier pour l'influence française.

Pour conclure, malgré toutes les difficultés déjà signalées, certains éléments dans la situation actuelle incitent à l'optimisme, du moins en ce qui concerne la bonne appropriation de l'aide internationale et en particulier française. Ainsi, les ministres que nous avons pu rencontrer avaient une connaissance précise et détaillée des projets des bailleurs, ce qui est loin d'être le cas dans tous les pays bénéficiaires. Dans la plupart des cas, ces projets de coopération s'appuient d'ailleurs, dans les différents secteurs concernés, sur des plans de développement gouvernementaux qui, selon nos interlocuteurs, sont bien conçus.

En tout état de cause, il convient plus que jamais d'évaluer le plus de projets de développement possible afin de pouvoir tirer les leçons des échecs du passé. L'AFD a indiqué que l'objectif actuel de l'agence était d'évaluer la moitié de ses projets à Madagascar. Les responsables de l'agence sont convaincus que ces évaluations sont certes coûteuses en temps et en moyens, mais indispensables.

Plus largement, nous avons été frappés de constater qu'il n'existe pas de données solides sur l'histoire de l'aide au développement française à Madagascar, ce qui constituerait pourtant une mise en perspective très précieuse pour ne pas reproduire des errements ayant eu lieu vingt ou trente ans auparavant. L'AFD semble toutefois consciente de cet enjeu et s'efforce progressivement d'acquérir cette profondeur historique indispensable.

M. Christian Cambon, président. - Madagascar concentre les problèmes habituels de l'aide au développement, notamment la dispersion des projets. Je connais bien ce pays pour y avoir mené des projets soutenus par le syndicat des eaux d'Île-de-France. J'y ai vu des châteaux d'eau tout neufs qui n'avaient jamais vu une goutte d'eau, ou qui étaient installés là où une eau saumâtre était pompée...

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Merci pour ce rapport très fouillé. Je me souviens d'avoir posé la question de la traçabilité au directeur de l'AFD, qui m'avait répondu : nous n'avons pas à surveiller là où va l'argent. Il s'agit malgré tout d'argent public ! J'ai entendu le chiffre de 18 millions d'euros ; quant à moi, j'ai trouvé 309 millions d'euros dépensés entre 2014 et 2018 à Madagascar, pays qui connaît manifestement de gros problèmes de corruption. Comment savoir si l'argent dépensé va bien là où il doit aller ?

Marie-Françoise Perol-Dumont parle de transformation de la société ; soit, mais, en attendant, il faudrait s'assurer que l'argent n'est pas détourné.

M. Joël Guerriau. - Je suis allé à Madagascar il y a vingt ans. Je constate, avec tristesse, que la situation ne s'est pas améliorée - exemple de la destruction d'un beau pays par sa population. Car Madagascar compte beaucoup de richesses. Nous devrions méditer cette leçon. La France entretient des relations très fortes avec l'île, mais aussi un litige, sur les îles Éparses, qui représentent 6 % des 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE) de la France. Les enjeux concernent les hydrocarbures et la pêche. En octobre, le président Macron a clairement affirmé qu'elles appartenaient à la France. Mais le Premier ministre malgache affirme qu'elles sont malgaches, y compris dans les programmes scolaires. Comment faire évoluer la situation, compte tenu des problèmes de bonne gestion du pays...

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. - Nous n'avons pas parlé des îles Éparses, sauf avec l'ambassadeur - cela a même été le sujet principal de notre dernier repas. C'est un sujet éminemment sensible. On peut se demander si ce genre de revendication de souveraineté n'est pas une manière de remobiliser les habitants...

Pour la France, il n'est pas question d'ouvrir la discussion. Madagascar n'a jamais possédé les îles Éparses. Intelligemment, Madagascar utilise le fait qu'elles ont été administrées conjointement avec elle pendant l'époque coloniale. Un peu avant l'indépendance, la France les a séparées de la grande île et considère que ces liens purement administratifs ne justifient pas les revendications malgaches. Leur positionnement n'est pas inintéressant pour la France, mais n'a aucun intérêt stratégique pour Madagascar. Lorsque nos présidents se rencontrent, le sujet est toujours abordé.

Concernant la traçabilité, si nous en croyons l'AFD, il ne semble pas que cette question pose de difficulté. Mais reste la question de l'utilité des investissements. Sur une photo diffusée sur les écrans, vous pouvez voir un canal neuf, mais à tel point rempli de détritus que l'eau a du mal à passer. Il aurait fallu davantage impliquer la ville pour qu'elle mette en place la collecte et encore mieux sensibiliser la population pour qu'elle joue le jeu.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure. - On nous a affirmé que l'utilisation de l'argent était tracée... même si nous avons quelques doutes. Le vrai sujet, c'est effectivement le devenir des infrastructures et leur utilisation. Nous avons vu des hommes faméliques payés pour nettoyer le canal, mais qui le faisaient pieds nus au milieu des tessons de bouteilles. Nous avons demandé pourquoi on ne leur donnait pas des bottes. Il nous a été répondu que cela avait été fait, mais qu'elles les gênaient, car il n'était pas dans leur culture d'en porter...

Le pays a un nouveau gouvernement et un nouveau parlement, qui a élu une présidente de choc, qui promet de nettoyer les écuries d'Augias. Mais cela est dit à chaque renouvellement. Quant aux îles Éparses, les dirigeants malgaches font un peu comme le président Trump : ils cherchent un prétexte momentané pour mobiliser le nationalisme et faire oublier les vrais problèmes.

M. Jacques Le Nay, rapporteur. - Antananarivo a connu un exode rural massif, passant de 250 000 habitants à 2 millions, sans aucune construction d'infrastructures ou presque. Le canal que nous avons vu en photo faisait trois mètres de profondeur, mais il n'en reste qu'un mètre, huit mois après sa construction. S'il déborde, c'est tout le bidonville qui est inondé avec une dispersion des immondices qui le jonchent...

M. Christian Cambon, président. - Belle unanimité ! Merci pour cette première étape d'un travail que j'espère approfondi sur la coopération internationale, en vue de l'examen de la future loi d'orientation.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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