LE NÉCESSAIRE PARTENARIAT AVEC LES SERVICES DE L'ÉTAT

Le développement des territoires est avant tout le fruit d'aventures humaines : des acteurs dynamiques et innovants mobilisent les énergies au service d'un projet. C'est particulièrement vrai dans les territoires ruraux dont les collectivités souffrent de fragilités spécifiques. De leur côté, les collectivités peuvent et doivent favoriser la mise en oeuvre de ces projets, encourager leur conception et leur réalisation dans les territoires ruraux. Il serait illusoire, en revanche, de penser que ces collectivités ou l'État ont la capacité de se substituer aux initiatives de la société civile.

L'expérience montre cependant que l'environnement, qu'ils contribuent à créer, ainsi que le climat qu'ils font émerger sont essentiels à l'épanouissement de ces initiatives et peuvent jouer un rôle déterminant dans le choix d'un territoire par leurs porteurs. Cependant, pour jouer à plein leur rôle d'incitation, les collectivités, leurs groupements et l'État doivent pouvoir construire un partenariat solide.

Les rapporteurs se sont rendus en Autriche et, parmi leurs constatations, figure l'extrême force des institutions locales, qui peuvent déployer des politiques d'aménagement très volontaristes. Cette capacité d'action est largement liée à la structure fédérale de l'État, fondée sur le principe de subsidiarité. Les neuf länder autrichiens mobilisent ainsi plus de 34 milliards d'euros de budget pour une population de 8,7 millions d'habitants. En France, toutes les régions, y compris l'outre-mer et la Corse, représentent un budget de 32 milliards d'euros pour 63 millions d'habitants. Les moyens de l'échelon local sont donc infiniment plus élevés dans un pays comme l'Autriche. La contrepartie est que l'État central y intervient moins. La France est dans une situation différente : les moyens des collectivités, beaucoup plus restreints, ne leur permettent pas de tout faire. L'État doit les aider et faire jouer la solidarité nationale en leur faveur.

I. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES NE PEUVENT PAS TOUT FAIRE

1. Les fragilités des collectivités rurales

Nombre de collectivités, notamment dans les territoires ruraux, sont aujourd'hui trop fragiles. Certes, leurs élus peuvent mener des actions de sociabilité, d'assistance et d'accompagnement humain très importantes, mais ils ne disposent pas pour autant des capacités de concevoir, puis de développer des projets structurants pour leurs territoires.

Les petites communes, en particulier, ne disposent fréquemment pas de la surface financière, ni des compétences en ingénierie nécessaires à des stratégies ambitieuses. Mais c'est aussi vrai dans de nombreuses intercommunalités, en dépit des fusions récentes.

Certains départements eux-mêmes sont fragiles et ne disposent que de faibles marges de manoeuvre pour investir, comme le montrent leurs soldes de gestion. Par exemple, les Ardennes, le Cantal, les Côtes-d'Armor, la Creuse, le Gers, la Nièvre ont tous une épargne nette négative. Le conseil département du Cantal, où les rapporteurs se sont rendus, dispose d'un budget d'investissement d'environ 50 millions d'euros par an. À titre de comparaison, un kilomètre d'autoroute revient en moyenne à 6,2 millions d'euros et une route nationale de 2 à 5 millions d'euros/km.

2. Le maquis des normes entrave l'action des collectivités rurales

Il faut ajouter à cette situation l'extraordinaire inflation normative, qui rend extrêmement complexe le montage de projets dans notre pays et qui nécessite de disposer de solides compétences, notamment juridiques, dont les structures locales ne disposent pas toujours.

Rappelons que sont adoptées, chaque année, environ 50 à 60 lois, hors traités et conventions. Entre 1 600 et 1 800 décrets et plus de 8 000 arrêtés ministériels sont pris, auxquels il faut ajouter la publication de 1 300 à 1 400 circulaires. Quant au stock de textes, il a été estimé début 2018 à 80 267 articles législatifs et 240 191 articles réglementaires en vigueur 21 ( * ) . De plus, ces chiffres ne prennent pas en compte les très nombreuses normes techniques qui s'imposent, par exemple dans le domaine de la construction. En février 2014, le groupe de travail animé par Nadia Bouyer pour le ministère du Logement avait ainsi estimé que plus de 4 000 normes existaient dans ce secteur 22 ( * ) .

Les élus locaux et leurs fonctionnaires territoriaux sont trop souvent submergés par ces normes, qui conduisent à ralentir et à surenchérir les projets. Au surplus, elles imposent une relation parfois complexe et souvent mal vécue par les élus avec les services de l'État chargés de les faire respecter. Dans ces circonstances, l'État est trop souvent positionné en empêcheur plutôt qu'en accompagnateur ou facilitateur.

Face à cette situation, le Sénat a chargé sa délégation aux collectivités territoriales d'une mission de simplification des normes applicables aux collectivités. Dans ce cadre, elle a notamment fait adopter, à l'unanimité par le Sénat, une proposition de loi portant accélération des procédures et stabilisation du droit de l'urbanisme. Une large partie de son contenu est désormais mise en oeuvre, par exemple en matière d'accélération du contentieux ou de simplification des opérations des zones d'aménagement concerté. Une consultation nationale, par internet, des élus de France avait en effet montré que leurs difficultés principales en matière d'application du droit concernaient ce domaine.

Dans le même ordre d'idées, la délégation a recommandé l'extension à l'ensemble du territoire national et le renforcement de l'expérimentation confiant aux préfets de certains départements la faculté de déroger à certaines normes 23 ( * ) . La proposition de résolution en ce sens a été adoptée le 24 octobre 2019 24 ( * ) .

Toutefois, la simplification des normes ne va pas assez vite. Du reste, la Cour des comptes, dans son dernier rapport sur les finances locales 25 ( * ) , est très critique sur le dispositif d'évaluation des normes applicables aux collectivités et recommande une « amélioration d'ensemble » .


* 21 Conseil d'État, « Mesurer l'inflation normative », Étude présentée en assemblée générale, 3 mai 2018.

* 22 Ministère de l'Égalité des territoires et du Logement, Objectifs 500 000, Rapport du groupe de travail 1 : Simplifier la réglementation et l'élaboration des normes de construction et de rénovation , février 2014.

* 23 Sénat, Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes , Rapport d'information n° 560 (2018-2019) de Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud, fait au nom de la délégation aux Collectivités territoriales, juin 2019.

* 24 Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la consolidation du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets, n° 15 (2019-2020) adoptée par le Sénat le 24 octobre 2019.

* 25 Cour des comptes, Les finances publiques locales 2019 , fascicule 2, septembre 2019.

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