II. NOUER DES ALLIANCES ET ARTICULER LES TERRITOIRES

Un autre gage de réussite pour les territoires ruraux et leurs collectivités réside dans leur capacité à nouer des alliances et à assurer des formes d'interterritorialité. Il s'agit d'obtenir une taille critique en termes de moyens, d'éviter des phénomènes de concurrence territoriale en interconnectant les territoires pour instaurer plus de solidarité et créer des dynamiques communes.

1. Atteindre une taille critique en matière de moyens et de logique territoriale

Même si les fusions d'intercommunalités ont pu réduire le problème de l'insuffisante taille des anciens EPCI pour porter des projets structurants, de nombreuses collectivités et communautés restent en France d'une dimension et d'une capacité financière et opérationnelle qui ne leur permettent pas de développer seules des projets à l'échelle de leurs besoins. Dans bien des cas, les marges budgétaires et l'ingénierie manquent pour lancer une politique de développement. Comme nous l'avons vu, plusieurs projets de revitalisation imaginés dans le cadre du programme « Action coeur de ville » n'ont pu voir le jour faute de moyens suffisants, en particulier en matière d'ingénierie. Par ailleurs, au-delà de la superficie et du nombre de communes regroupées, se pose la question de la cohérence des ensembles constitués ; dans certains cas, ils ne correspondent pas aux bassins de vie des populations, ce qui peut entraver les tentatives de mener des actions communes d'ampleur.

Des solutions existent pour renforcer des territoires manquant de moyens. Dans certains cas, la constitution de communes nouvelles peut être une piste. Dans leur rapport de 2016 86 ( * ) , nos collègues Christian Manable et Françoise Gatel ont souligné les atouts de cette formule : un accompagnement budgétaire et financier, grâce notamment à une exonération de la baisse de la dotation forfaitaire durant trois ans pour les communes de moins de 10 000 habitants et, en plus, pour les communes nouvelles dont la population est comprise entre 1 000 et 10 000 habitants, une majoration de 5% de leur dotation forfaitaire au cours des trois premières années suivant leur création ; une identité confortée grâce à la possibilité de conserver des communes déléguées ; le renforcement des communes associées au sein d'intercommunalités renouvelées.

D'autres solutions sont constituées par les territoires de projet , PETR, SCoT, PNR, etc. dont il a précédemment été question. Notre délégation a par ailleurs étudié, avec Sciences Po, lors du colloque commun du 15 mars 2018, de nombreuses autres modalités de rapprochement et de coopération, telles que le transfert de compétences, la délégation de compétences, la mutualisation de services ou la contractualisation 87 ( * ) , etc.

Nouer des alliances, c'est aussi assurer une étroite coopération entre les territoires et leur tissu économique . Alors que la notion de responsabilité territoriale des entreprises (RTE) prend corps 88 ( * ) , leur association croissante à la construction de l'avenir des territoires se justifie.

Depuis la loi NOTRe, dans les PETR et dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants, la création d'un conseil de développement, qui peut être commun à plusieurs EPCI, était obligatoire. Ce conseil est composé de représentants des milieux économiques, sociaux, culturels, éducatifs, scientifiques, environnementaux et associatifs, et a un rôle consultatif. Il est obligatoirement consulté, pour les EPCI, sur l'élaboration du projet de territoire et sur la conception et l'évaluation des politiques locales de promotion du développement durable, et, pour les PETR, sur les principales orientations du comité syndical du pôle pour toute question d'intérêt territorial dont il est saisi. Dans les deux cas, le conseil de développement établit un rapport annuel d'activité qui donne lieu à un débat au sein de l'organe délibérant du pôle ou de l'EPCI.

Le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique avait proposé, à des fins de simplification, de supprimer l'obligation pesant sur les EPCI de plus de 20 000 habitants de créer un conseil de développement. En première lecture, le Sénat a étendu cette suppression aux conseils de développement des PETR. In fine , l'obligation de création d'un conseil n'a été supprimée que pour les EPCI de moins de 50 000 habitants. Les conseils de développement des PETR ont été maintenus, un PETR pouvant même désormais être chargé de la mise en place d'un conseil de développement commun aux EPCI du pôle. Par ailleurs, pour assurer un meilleur lien entre l'organe délibérant de l'EPCI, la population et le conseil de développement, il est désormais obligatoire, après chaque renouvellement des conseils municipaux, d'inscrire à l'ordre du jour de l'organe délibérant « un débat et une délibération sur les conditions et modalités de consultation du conseil de développement ».

S'il est vrai que les conseils de développement ne fonctionnent pas partout de manière idéale et que, trop souvent, la consultation obligatoire est assez formelle et n'apporte pas autant de plus-value qu'espéré, il est non moins vrai que l'association des acteurs non institutionnels, en particulier des acteurs économiques à la stratégie et aux décisions des structures territoriales doit être un objectif. Faut-il, pour cela, concevoir de nouvelles méthodes d'animation des conseils de développement et d'articulation avec les conseils communautaires ou les comités syndicaux de pôles ? Sans doute.

Une autre piste, plus audacieuse, serait d'associer ces acteurs économiques et associatifs au pilotage même des instances des territoires de projet, en particulier des PETR.

Cela suppose néanmoins de créer un nouveau statut pour les PETR, pouvant être optionnel, dans lequel des personnes de droit privé pourraient participer au comité syndical. Il serait bien sûr nécessaire de veiller à éviter les conflits d'intérêts dans lesquels des entreprises ou des associations participant au pôle risqueraient d'être impliquées. Faudrait-il, par exemple, concentrer leur action sur les choix stratégiques du pôle et les exclure du vote pour certaines délibérations ? Une telle évolution de la gouvernance des PETR mérite, quoi qu'il en soit, une analyse approfondie.

L'association des acteurs privés peut aussi prendre la forme d'une participation financière à des projets d'intérêt commun. Dans son rapport de préfiguration de l'ANCT, le préfet Morvan avait suggéré : « des fonds privés, au titre de la responsabilité territoriale des entreprises, devront être mobilisés sur les projets locaux, par la création de fondations régionales ou inter-régionales pour la cohésion des territoires » 89 ( * ) .

Recommandation 22 : Engager une réflexion approfondie sur la possibilité d'association plus étroite des entreprises et associations à la gouvernance des PETR, notamment par l'ouverture de leurs instances à ces acteurs privés.

2. Éviter la concurrence territoriale

Un point désormais essentiel est d'éviter les phénomènes qui ont pu exister de concurrence de territoires. Ils sont consommateurs d'énergie et de moyens financiers, humains et logistiques. De plus, dans un contexte de stagnation budgétaire globale, ils réduisent fatalement les capacités de certains territoires par rapport à d'autres et sont, par nature, défavorables aux territoires les plus fragiles.

Le caractère « dommageable » de la concurrence entre collectivités locales a été souligné à la fois par l'État et par les élus locaux. Déjà, en mars 1995, cinq présidents de conseils régionaux du « Grand Est » avaient signé une clause de non-concurrence destinée à « éviter toutes délocalisations d'entreprises d'une région vers l'autre » . Dans la foulée, en octobre 1995, une circulaire du ministère de l'Intérieur aux préfets relevait que ces pratiques s'inscrivaient « dans une logique financière à court terme qui méconnaît les réalités sociales, que leur impact sur l'emploi est nul et leur coût pour les finances publiques élevé, enfin qu'elles affaiblissent la crédibilité de l'action publique pour l'aménagement du territoire ».

Plus récemment, la commission de l'Aménagement du territoire et du Développement durable du Sénat a souligné qu'il appartenait « aujourd'hui aux régions, compétentes en matière de développement économique, d'organiser la gestion des aides publiques pour éviter une concurrence excessive entre les territoires. Une vision d'ensemble est nécessaire pour structurer le tissu productif sur l'ensemble du territoire régional, en fléchant les aides et subventions dans le cadre d'une contractualisation région/EPCI » 90 ( * ) .

La structuration des territoires, par exemple dans le cadre des PETR ou des SCoT, voire des interSCoT, est un moyen d'éviter en partie cette concurrence. Du côté de l'État, comme on l'a vu, cela suppose d'envisager les appels à projet avec une volonté d'accompagner les collectivités les plus fragiles. L'ANCT, pour mener à bien sa mission, devra imaginer des dispositifs de ce type permettant aux territoires de faire valoir leurs atouts sans fragiliser les autres.

3. Interconnecter les territoires

Aller à l'encontre des concurrences territoriales suppose, de la part des institutions nationales et locales, de préférer et de favoriser les logiques de coopération territoriale. Sur ce point, deux instruments au moins méritent d'être cités : les contrats de réciprocité et les contrats de territoires.

a) Territoires ruraux et métropoles

• Les contrats de réciprocité

Après avoir été proposés lors des Assises de la ruralité en 2014, les contrats de réciprocité sont apparus à la suite du Comité interministériel à la ruralité, tenu à Laon en mars 2015. Le Premier ministre y annonçait : « Le Gouvernement encourage les coopérations et aussi les échanges entre territoires urbains et ruraux. Nous avons décidé d'expérimenter un nouveau dispositif, les "contrats de réciprocité ville/campagne", avec des communes et des intercommunalités volontaires, pour identifier les chantiers communs. Cela peut être un CHU en ville qui se met en réseau avec une maison de santé rurale, des cantines qui coopèrent avec des agriculteurs locaux... C'est une idée qu'Alain Calmette, député du Cantal, a portée, et nous avons souhaité que quatre contrats soient lancés dès cette année. »

L'idée était la construction d'accords stratégiques entre territoires urbains et ruraux qui seraient des éléments d'équilibre et de cohésion entre territoires, et un facteur d'efficacité des politiques publiques. Le coeur en était la réciprocité des échanges, c'est-à-dire en évitant que ces accords ne servent exclusivement les intérêts des centres. Le principe de ces contrats était donc une logique « gagnant-gagnant » autour de projets fédérateurs. Ils pouvaient être globaux ou centrés sur des domaines tels que l'alimentation, la protection de l'environnement, les filières d'excellence agricoles et industrielles, les usages numériques, le tourisme ou encore la culture, propices à activer des démarches de coopération territoriale. Il en est résulté la mesure 44 du comité interministériel.

Comité interministériel à la ruralité, Laon, 13 mars 2015 (extraits)

Mesure 44 - Expérimenter les premiers contrats de réciprocité « Ville-campagne » entre des communes et des intercommunalités volontaires

Cette expérimentation sera pilotée par le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) avec les territoires suivants, volontaires dans le cadre du volet territorial des contrats de plan État-région (CPER), afin que l'État et les conseils régionaux concernés puissent accompagner la démarche :

- métropole de Lyon et Aurillac ;

- métropole de Brest et Centre-ouest Bretagne ;

- métropole de Toulouse et Massif des Pyrénées ;

- communauté urbaine de Le Creusot-Montceau-les-Mines et PNR du Morvan.

Une extension de ces contrats à d'autres territoires volontaires sera ensuite proposée, dans le cadre de la clause de revoyure des CPER fin 2016.

Sur les quatre binômes tests, deux seulement ont survécu, dont un au prix du changement de l'un des partenaires. Cette formule de « contractualisation » de la coopération ville-campagne n'a donc pas connu, pour l'instant et quantitativement, le succès escompté.

Le président du groupe de travail et ses rapporteurs ont rencontré les acteurs des deux contrats de réciprocité les plus « avancés », ceux qui lient, d'une part, Brest et le Pays Centre-Ouest Bretagne et, d'autre part, Toulouse et le Pays Portes de Gascogne.

Le contrat breton entre la métropole de Brest (8 communes, 212 000 habitants) et le Pays Centre-Ouest Bretagne (79 communes des départements du Finistère, du Morbihan et des Côtes-d'Armor, 97 000 habitants) a perduré. Ce contrat est né d'une sollicitation du préfet de région qui a en fait permis de cristalliser et de formaliser des coopérations déjà anciennes.

Brest est en effet engagée dans une dynamique de coopération liée à sa géographie, marquée par l'enclavement et l'excentrage. Avec les territoires urbains et périurbains proches, elle a monté un Pays devenu Pôle métropolitain du Pays de Brest. Avec les pôles urbains de Quimper, Morlaix et Lannion Trégor, elle a mis en place une entente intercommunale. Avec les agglomérations d'Angers, Nantes, Rennes et Saint-Nazaire, elle a participé au Pôle métropolitain Loire-Bretagne. Enfin, avec les territoires ruraux non limitrophes du Pays Centre-Ouest Bretagne, elle a signé un contrat de réciprocité.

Ce contrat est orienté autour de trois axes : le développement économique, l'énergie-environnement et la santé. Ce dernier thème est celui qui a historiquement permis le rapprochement des deux territoires lorsqu'il s'est agi de préserver l'hôpital de Carhaix, menacé de fermeture. Une première coopération a ainsi permis la fusion de cet établissement avec le CHRU de Brest. Dans ce domaine, on peut noter que le travail commun des deux territoires dans le cadre du contrat de réciprocité a permis la mise en place d'un institut de formation des aides-soignants (IFAS) ou encore l'implantation d'un IRM à Carhaix.

La réciprocité s'exerce non par flux financiers directs, mais par le partage d'informations et d'ingénierie. C'est ainsi que les services brestois ont pu proposer au Pays de COB de participer à un programme INTERREG énergie, avec 800 000€ de subventions à la clé, à l'appel à projets « 100% inclusion », porté par les DIRRECTE, avec 1,6 million d'euros de subventions.

L'intérêt du dispositif, selon ses initiateurs, est d'abord d'avoir permis aux élus concernés de se connaître et de découvrir les potentialités de leurs collectivités et de leurs deux territoires. Son deuxième avantage est d'avoir mis en oeuvre un échange d'informations fructueux pour les deux partenaires.

Sa réussite, comme souvent, tient, d'une part, à la géographie et, d'autre part, aux acteurs impliqués. Brest, ne pouvant se développer vers l'ouest, se doit d'être ouverte sur ses territoires à l'est. La proximité des territoires est un gage de succès dans la mesure où elle doit permettre l'interconnaissance et la coopération au quotidien entre les acteurs locaux. Quant aux acteurs, ils collaborent dans une écoute mutuelle, sans hiérarchie ou agressivité.

Un deuxième contrat de réciprocité a été signé, en juillet 2017, entre la métropole de Toulouse (37 communes et 750 000 habitants) et le PETR du Pays Portes de Gascogne (160 communes et 71 100 habitants, dans le Gers). Le président et les rapporteurs du groupe de travail ont pu apprécier sur place l'importance et l'impact de ce dispositif.

Ce contrat recouvre 7 thématiques : développement économique, agriculture, tourisme, développement culturel, culture scientifique, mobilité et transition écologique.

Parmi ces axes, on peut citer les actions suivantes :

- développement économique : avec l'appui de la métropole, le pays a engagé une étude d'opportunité et de faisabilité du soutien à des tiers lieux et à des espaces de télétravail. L'objectif poursuivi par cette initiative fondatrice est triple : remédier à la saturation des transports pour rejoindre la métropole, désengorger la rocade toulousaine, attirer de nouveaux habitants dans le Gers. D'un coût de 30 000 €, elle est cofinancée à 50% via le FNADT et devrait être disponible courant 2020. Une trentaine de « positions télétravail » sont en cours de déploiement. Un travail plus systématique est en cours avec les grands employeurs métropolitains, en particulier ceux de la filière aéronautique (nombre de salariés « airbusiens » vivent sur les coteaux gersois).

- agriculture : le pays a été, par exemple, associé à la redynamisation du marché d'intérêt national (MIN) de Toulouse avec l'installation d'un « cash fermier » regroupant, au sein du MIN, une trentaine de producteurs gersois issus du Pays des Portes de Gascogne. Est aussi lancée la définition et la mise en oeuvre commune d'un Projet alimentaire territorial partagé, lauréat du programme national pour l'alimentation en 2018. Il se traduit actuellement par des liens étroits entre la cuisine centrale de Toulouse (35 000 repas par jour) et les producteurs locaux des Portes de Gascogne, avec des marchés en cours (notamment avec la filière « veau sous la mère »).

- tourisme : 2 500 « guides du routard » ont été diffusés par le pays à destination des agents de la métropole et des Toulousains.

- mobilité : le pays a engagé une étude destinée à matérialiser un itinéraire cyclable entre Toulouse et le Pays Portes de Gascogne puis jusqu'à Auch. Par ailleurs, à l'occasion de la candidature de Toulouse métropole à l'appel à projet du programme d'investissement d'avenir « TIGA », le pays s'est positionné comme partenaire du projet VILAGIL.

- transition écologique : une rencontre entre le pays, la métropole et ENEDIS a permis d'engager une réflexion sur le rôle que le Pays et son territoire pourraient jouer en matière d'énergies renouvelables exploitables, notamment par la métropole.

Comme pour le contrat Brest-COB, la réciprocité s'exerce par le partage d'informations et d'ingénierie plutôt que par des flux financiers. Ainsi que le souligne la métropole : « Au titre des moyens financiers, (...) le parti pris a été de ne pas annexer de tableau financier au contrat de réciprocité. L'idée est de ne surtout pas positionner ces contrats de réciprocité comme un « énième » contrat territorial et de voir la métropole comme une nouvelle institution « subventionnant » le développement territorial ; les contrats et les institutions sont déjà très nombreux : Europe, État, régions, départements... » . L'apport de la métropole est donc avant tout constitué par des moyens d'animation, avec un cadre au sein de la direction générale des services chargée d'animer ces nouveaux partenariats interterritoriaux et de mobiliser les ressources métropolitaines, ainsi que par de la « valeur en termes d'ingénierie (mécénat de compétences), ou en termes de transactions. À titre d'exemple, la métropole porte une commande publique de 300 000 € par an de la cuisine municipale vers la filière "veau label rouge" des Portes de Gascogne » .

Une exception en matière d'absence de flux financiers directs : Toulouse Métropole a fléché 500 000€ sur ces politiques au titre de la dotation amenée par l'État dans le cadre du pacte État-Toulouse Métropole.

Un troisième contrat, signé en janvier 2018, lie la communauté de communes Monts de Lacaune et Montpellier-Méditerranée Métropole , concentré, à ce stade, sur la filière bois.

Un quatrième contrat de réciprocité a été conclu en avril 2019 entre Nantes Métropole (24 communes et 650 000 habitants) et le Pays de Retz (4 EPCI, 38 communes et 154 000 habitants). Quatre premiers thèmes de travail ont été identifiés : les mobilités, l'alimentation, le développement économique et le tourisme. Comme le souligne le maire de la commune de Sainte-Pazanne et président du Pays de Retz, Bernard Morilleau, le Pays de Retz, en Loire-Atlantique, a connu une trajectoire spectaculaire. « Territoire rural sous influence » de la métropole nantaise, il connaît un très fort développement, alors qu'il était dans la « diagonale du vide » il y a vingt ans. Le territoire a voulu faire de sa relative proximité avec une métropole un atout, dans le cadre d'un contrat de réciprocité. Soulignant, lors du colloque organisé par la délégation 7 novembre dernier, la complémentarité des territoires, il a fait valoir que le contrat s'accompagnait d'un projet alimentaire territorial : « On produit quatre fois plus que ce que l'on consomme et la métropole est dans la situation inverse, on est dans un rapport 80/20 ».

Des expériences réussies, mais aussi des échecs patents, tel celui du contrat entre la métropole de Lyon et Aurillac, on peut d'abord tirer l'importance d'un projet de territoire porté politiquement, capable de fédérer et de dynamiser les acteurs locaux dans leur dialogue avec la métropole . En effet, entre une très grosse collectivité majoritairement urbaine et un groupement de nombreuses petites communes et intercommunalités de taille moyenne, le déséquilibre structurel ne peut se résorber que si l'ensemble rural est en capacité de constituer une force de proposition.

Cette capacité à avancer des initiatives innovantes et utiles à la métropole, qui suppose un minimum d'ingénierie, est le deuxième gage de succès ; chaque partenaire doit trouver avantage à coopérer, en dehors de toute contrainte.

La proximité géographique et l'existence de relations fonctionnelles, parce qu'elles permettent la coopération concrète, sont des atouts essentiels. Lorsque ces éléments sont réunis, le contrat constitue un plus en ce sens qu'il institutionnalise les relations et facilite les contacts, formalise la coopération et offre un vecteur pour porter une ambition partagée.

À l'inverse, il est illusoire de vouloir lier par contrat deux territoires qui ne sont pas en interaction, comme ce fut le cas, à l'issue du comité interministériel à la ruralité de mars 2015, entre Toulouse Métropole et « les Pyrénées ».

Les contrats de réciprocité constituent des outils utiles non seulement de solidarité mais de coopération fructueuse. Il convient de relancer leur dynamique en exposant les conditions de réussite constatées et en encourageant (par des incitations financières ?) de nouvelles collectivités à s'engager dans la démarche.

• Le Pacte État-métropoles

Le 6 juillet 2016 a été signé le Pacte État-métropoles. Ce texte est à la fois un prolongement et une contrepartie aux lois Maptam et NOTRe, qui ont significativement renforcé les métropoles : prolongement car il s'agit de conforter la dynamique de croissance des métropoles avec un apport de l'État de 150 M€ de financements 91 ( * ) ; contrepartie car, pour la première fois, est admis le principe que les métropoles ont des responsabilités vis-à-vis des territoires proches.

Déclinaisons du Pacte État-métropoles, des pactes métropolitains d'innovation sont conclus entre l'État et chaque métropole. Chacun de ces pactes comprend, en principe, un volet dit « Contrat de coopération métropolitaine » (CCM), inspiré des contrats de réciprocité. Chaque métropole s'est en effet engagée : « en tenant compte de l'état des coopérations interterritoriales existantes (notamment à travers les pôles métropolitains), chaque métropole établira un ou plusieurs Contrats de coopération territoriale avec les territoires environnants, sur une thématique liée ou non à la thématique de la démarche d'innovation choisie ». L'espoir résidait donc dans la généralisation de la démarche des contrats de réciprocité. Il est cependant pour l'instant difficile de percevoir à sa juste mesure l'impact de ces contrats de coopération métropolitaine. Sans doute est-il temps, plus de trois ans après la conclusion du Pacte État-métropoles, de procéder à son évaluation , notamment pour le volet « Contrat de coopération métropolitaine » et d'en tirer une méthodologie pour l'avenir.

Par ailleurs, on peut regretter que l'État n'épaule pas davantage, y compris avec les moyens budgétaires de droit commun, les collectivités qui s'engagent sur la voie de ce type de coopération territoriale. À cet égard, on pourrait imaginer que la négociation de la nouvelle génération de contrats de plan État-régions pour 2021-2027 qui débute intègre ce soutien, par exemple via une enveloppe contractualisée, abondée par une partie des crédits DSIL affectés au niveau régional et/ou par un taux de soutien majoré pour les projets issus de coopérations interterritoriales. Ce serait d'autant plus pertinent que la charte interministérielle de la contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales prévoit obligatoirement , pour les métropoles, un volet du CPER relatif à la coopération avec les territoires avec lesquelles elles interagissent.

Élément à venir, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) envisage de conditionner ses aides à l'ingénierie des métropoles à l'exercice, par celles-ci, d'une solidarité territoriale . La caisse avait établi des conventions avec les métropoles issues de la loi MAPTAM afin de les accompagner en ingénierie (cofinancement à 50% de leurs études). Ces conventions vont arriver à échéance.

La direction de la caisse a adressé, en juin 2019, des directives à ses directeurs régionaux afin que la nouvelle génération des conventions à venir avec les métropoles réponde à des enjeux d'équilibre territorial, social et environnemental. Les enveloppes financières mobilisées via ces conventions devront être consacrées à l'accompagnement d'enjeux de coopération, le déploiement de politiques interterritoriales et l'organisation de réciprocités.

Les projets éligibles dans le cadre de ces conventions seront désormais exclusivement :

- des projets favorisant la solidarité entre territoires au sein de la métropole ou de coopération territoriale avec des territoires hors métropole ;

- des projets et expérimentations favorisant l'innovation ;

-des projets favorisant la mise en oeuvre du volet territorial du Grand Plan d'Investissement (GPI).

Dans ce cadre, la caisse accordera des cofinancements d'études à 50%, dans la limite de 50 000 euros par an.

Recommandation 23 : Relancer la mise en oeuvre du Pacte État-métropoles et de son volet « Contrat de coopération métropolitaine » et faire connaître les atouts des contrats de réciprocité et des coopérations territoriales.

Recommandation 24 : Évaluer les contrats de coopération métropolitaine et les contrats de réciprocité pour mesurer leur impact sur les territoires ruraux et urbains concernés. En tirer une méthodologie pour l'avenir.

Recommandation 25 : Envisager un encouragement financier aux projets des collectivités engagées dans des coopérations territoriales, par exemple lors de la conclusion des contrats de ruralité ou à l'occasion de la négociation des CPER pour 2021-2027.

b) Les contrats de territoires

Les contrats de territoires lient généralement les départements, mais aussi les régions, aux communes et/ou à leurs groupements. Ils s'inscrivent dans le cadre de l'expansion du triptyque « un projet, un contrat, un territoire » , proposé dans le cadre des politiques d'aménagement du territoire depuis plusieurs années. Cette contractualisation avec les collectivités infrarégionales ou infradépartementales s'est généralisée et a souvent consisté en une aide aux territoires les plus fragiles, en particulier dans les ruralités.

Sous des formes variées, les conseils régionaux et départementaux se sont lancés dans une contractualisation territoriale à partir de la moitié des années 80 92 ( * ) .

S'agissant des régions, si l'on prend l'exemple de la Bourgogne-Franche-Comté, sa nouvelle politique contractuelle avec les territoires existant dans son ressort pour la période 2018-2020 prévoit l'existence d'une enveloppe spécifique « réservée aux actions des territoires ruraux, périurbains et autres pôles, à savoir les territoires hors territoires urbains et petites villes. ».

S'agissant des départements, la Mayenne, dont les contrats de territoire à destination des EPCI mobilisent 100 millions d'euros sur la période 2016-2021, constitue un exemple intéressant. Cette somme est répartie en différentes enveloppes :

- 1 ère enveloppe budgétaire : 1 million d'euros par an pour les communes de moins de 10 000 habitants pour accompagner les travaux locaux d'investissement. À ce jour, deux tiers des projets communaux financés par le département portent sur des équipements et aménagements de proximité tels que des logements communaux, la création ou la rénovation d'écoles, de bibliothèques, de city stades, de pistes cyclables, etc. Le département participe à hauteur de 50%, dans la limite de la dotation attribuée à la commune ;

- 2 ème enveloppe budgétaire : 16,8 millions d'euros par an, répartis entre les intercommunalités et articulés autour de trois axes principaux : financement de projets structurants (équipements culturels, sportifs, aménagement urbain, pôles de santé, etc.) ; soutien aux politiques locales (habitat, personnes âgées et dépendantes, numérique et déploiement du très haut débit) ; culture, environnement et écodéveloppement, aménagement routier.

La montée en puissance des contrats de territoires a présenté l'intérêt de rompre avec une logique de guichet trop répandue, d'assurer un dialogue entre cocontractants, de conférer une prévisibilité et une clarté à l'action locale, de pousser collectivités et intercommunalités à se fixer des objectifs et d'encourager une cohérence entre les politiques publiques des différents niveaux de structures locales. Il convient néanmoins de veiller à ce que cette contractualisation s'appuie sur une véritable co-construction, respectueuse des besoins locaux, et qu'elle permette d'aider les territoires ruraux, fussent-ils dans une position de négociation plus fragile avec le département en l'absence de villes importantes sur leur ressort.

c) Pour une prise en compte renouvelée des territoires fragiles

L'un des enjeux de la réussite des programmes consacrés à la ruralité consiste à assurer une bonne articulation entre les actions des différents échelons territoriaux. Cette articulation dépend notamment de deux éléments : en amont, une bonne prise en compte des besoins locaux au moment de la conception des projets et programmes régionaux ; en aval, une capacité de dialogue et d'ajustement entre la région et le territoire concerné pour une mise en oeuvre efficace et efficiente. Ces éléments peuvent d'autant plus se muer en difficultés que les régions ont, dans de nombreux cas, connu une extension notable de leurs superficies et voient parfois leurs services très éloignés des territoires, services qui ont pu avoir tendance à s'étoffer et à sa bureaucratiser.

En la matière, tous les types d'expériences existent, et parfois dans une même région. Le président de la communauté de communes du Pays rethelois se félicite ainsi du soutien proactif de la région Grand Est, qu'il estime paradoxalement plus présente que l'ancienne région Lorraine.

Dans d'autres cas, des communes ou des EPCI ont pu regretter que les priorités régionales ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités locales, voire s'y opposer, par exemple, lors de l'élaboration du SRADDET. C'est parfois le conseil départemental qui est jugé trop lointain ou trop absent, faute de projet de territoire... ou par manque de moyens. En tout état de cause, il est essentiel que, dans la définition de leurs projets, programmes ou schémas, les régions et les départements prennent en compte les besoins des territoires ruraux. En effet, grâce à la décentralisation, la région est désormais dotée de larges attributions en matière d'aménagement du territoire, via l'article L. 4211-1 du code général des collectivités territoriales et via le SRADDET (article L. 4251-1 du même code). De son côté, le département a compétence pour « promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale sur le territoire départemental » (article L. 3211-1). L'État, dans l'exercice de ces compétences nationales d'aménagement du territoire, doit mettre en oeuvre, lorsque c'est nécessaire, la solidarité nationale au profit des territoires ruraux.

De même, dès lors qu'ils sont investis de compétences décentralisées en matière d'aménagement du territoire, par ailleurs adossées à des financements, régions et départements doivent mettre en oeuvre des politiques d'aménagement de leurs territoires fondées sur le principe de solidarité avec les territoires ruraux.

Recommandation 26 : Mettre au coeur de l'exercice des compétences décentralisées des régions et des départements, qui sont associées à des financements, les principes de solidarité à l'égard des territoires ruraux.

Les témoignages des élus rencontrés et notamment des acteurs impliqués dans les contrats de réciprocité, aussi bien entre le Pays Centre Ouest Bretagne et Brest qu'entre le Pays Portes de Gascogne et Toulouse, soulignent tous l'importance pour les territoires ruraux de disposer de portes d'entrée concrètes pour accéder aisément aux instances politiques et aux services des grandes collectivités. C'est particulièrement utile pour aborder certaines questions juridiques, techniques, financières ou les procédures de contractualisation.

Constatant la difficulté à maintenir le contact avec les territoires et leurs élus, en particulier dans le contexte de grandes régions, les institutions régionales ont imaginé plusieurs dispositifs pour réduire la distance entre leurs services et les territoires. Dans certains cas, il s'est agi pour la région de désigner au sein du conseil régional des élus référents territoriaux chargés de suivre et d'accompagner les collectivités et EPCI du périmètre qui leur est assigné (ancienne région Centre). Dans d'autres cas, la région a choisi de désigner un agent pour être l'interlocuteur de « premier niveau » des collectivités, avec pour mission de les renseigner, de les informer ou de les mettre en lien avec les services régionaux. Cet agent a aussi vocation à assurer un lien étroit avec les élus régionaux des territoires (région Pays-de-la-Loire). Une autre solution a pu être la mise en place de maisons de la région (région Grand Est). L'important est de ne pas laisser isolés les élus des territoires les plus fragiles, sans capacité de prise et de dialogue avec l'échelon régional.

Certains départements se sont engagés dans la même voie. À titre d'exemple, le conseil départemental de Vendée a mis en place un réseau de 5  « Référents de Territoire » au sein d'un service « Contrats et Relations aux Territoires », interlocuteurs des communes et EPCI vendéens pour toute question concernant le département. Chaque référent est chargé du suivi d'un ensemble d'intercommunalités et est en capacité de mobiliser les services départementaux pour apporter réponses et solutions aux acteurs locaux. Par ailleurs, il a pour mission de développer une relation de travail durable avec les acteurs locaux, élus et techniciens, afin de jouer le rôle de « facilitateur » dans la relation entre la commune ou l'EPCI et le département. Il est également chargé de porter la politique départementale de contractualisation : animation des contrats de territoire, à l'aide d'outils de suivi, afin de rendre compte de l'avancée des contrats ; suivi technique des projets financés au titre des contrats de territoire ; élaboration des documents contractuels (contrat de territoire, avenants au contrat), etc.

Recommandation 27 : Identifier au sein des grandes collectivités et de leurs groupements des points d'entrée et de contact avec les élus et avec les services administratifs aisément mobilisables par les acteurs des territoires ruraux.

Évidemment, l'enjeu d'interconnexion concerne les échelons départementaux et régionaux, mais aussi les communes et communautés. À cet égard, on relèvera la mise en place, dans les Ardennes, sous l'égide de l'association départementale des maires, d'un G8 rassemblant les présidents des huit communautés du département, le secrétariat étant assuré, successivement et par rotation, par les directeurs généraux des services et directeurs de cabinet des différents EPCI. Une piste pour l'avenir serait d'y associer le président du conseil départemental.


* 86 Sénat, Les communes nouvelles, histoire d'une révolution silencieuse : raisons et conditions d'une réussite , Rapport d'information de Christian Manable et Françoise Gatel, fait au nom de la délégation aux Collectivités territoriales, n° 563 (2015-2016), avril 2016.

* 87 Sénat, L'adaptation locale de l'organisation territoriale, les rapports juridiques des collectivités territoriales entre elles et avec leurs groupements : actes du colloque du 15 mars 2018 , Rapport d'information n° 579 (2017-2018) de Jean-Marie Bockel, Françoise Gatel, Éric Kerrouche et Philippe Mouiller, fait au nom de la délégation aux Collectivités territoriales, juin 2018, et Sciences Po ; Les rapports des collectivités territoriales entre elles et avec leurs groupements, L'adaptation locale de l'organisation territoriale , rapport préparatoire de Jean-Bernard Auby et Estelle Bomberger-Pivot, mai 2018.

* 88 France stratégie, Plateforme RSE, Vers une responsabilité territoriale des entreprises , juillet 2018. Voir aussi Medef et Le Rameau, Construire ensemble l'engagement territorial des entreprises , octobre 2018.

* 89 Serge Morvan, Rapport de préfiguration de l'Agence nationale de la cohésion des territoires , France Territoires, juin 2018.

* 90 Sénat, Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité , Rapport d'information n° 565 (2016-2017) de Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ, fait au nom de la commission de l'Aménagement du territoire et du Développement durable, mai 2017.

* 91 Principalement par l'intermédiaire du Fonds de soutien à l'investissement public local.

* 92 Gwénaël Doré, « La contractualisation territoriale des conseils régionaux », Revue d'Économie Régionale & Urbaine, vol. août, n o 1, 2014, pp. 157-172.

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