Rapport d'information n° 434 (2019-2020) de M. Jean-Marie BOCKEL , fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 14 mai 2020

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N° 434

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 mai 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur les bonnes pratiques et préconisations des élus locaux pour une alimentation saine et durable ,

Par M. Jean-Marie BOCKEL,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : M. Jean-Marie Bockel, président ; M. Daniel Chasseing, Mme Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc Daunis, François Grosdidier, Charles Guené, Antoine Lefèvre, MM. Alain Richard, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Bernard Delcros, Christian Manable, secrétaires ; MM. François Calvet, Michel Dagbert, Philippe Dallier, Mmes Frédérique Espagnac, Corinne Féret, Françoise Gatel, M. Hervé Gillé, Mme Michelle Gréaume, MM. Jean-François Husson, Éric Kerrouche, Dominique de Legge, Jean-Claude Luche, Jean Louis Masson, Franck Montaugé, Philippe Mouiller, Philippe Nachbar, Philippe Pemezec, Rémy Pointereau, Mmes Sonia de la Provôté, Patricia Schillinger, Catherine Troendlé, MM. Raymond Vall, Jean-Pierre Vial.

L'ESSENTIEL

Mesdames, Messieurs,

Après l'annulation par le tribunal administratif de Rennes, le 25 octobre 2019, de l'arrêté anti-pesticides pris par le maire de Langouët, qui fut à l'origine de la vague d'arrêtés municipaux visant à restreindre ou à interdire l'utilisation du glyphosate et d'autres substances chimiques phytosanitaires, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, par ses ordonnances du 8 novembre dernier, décidé de ne pas suspendre les deux arrêtés anti-pesticides pris par les maires de Gennevilliers et de Sceaux sur le territoire de leur commune au motif que « les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées ». Depuis, en date du 14 mai, la cour administrative d'appel de Versailles a suspendu l'exécution de ces arrêtés municipaux. Toutefois, aucun jugement définitif sur le fond n'a encore été rendu.

Dans un contexte jurisprudentiel mouvant et, à ce stade, sans décision du Conseil d'État, ces décisions ont relancé le débat sur les moyens d'action dont disposent les collectivités territoriales pour préserver la santé des populations, notamment les maires en vertu de leurs pouvoirs de police.

Ø Les élus locaux sont en première ligne pour préserver la santé des populations et assurer une alimentation saine et durable

Plus largement, ceux-ci, et tout particulièrement les nouveaux élus issus des élections municipales de 2020, devront répondre à une question récurrente, et désormais majeure, qui est celle de l' alimentation saine et durable . La demande croissante des administrés en matière de santé, de traçabilité, de qualité et durabilité de l'alimentation dans les cantines scolaires, notamment le bio et les circuits courts « du champ à l'assiette », place les élus locaux en situation de responsabilité politique mais aussi juridique .

Partant de ces constats, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales , présidée par M. Jean-Marie Bockel (UC - Haut-Rhin) , a organisé au Sénat, le 19 décembre 2019, une table ronde intitulée « A limentation saine et durable : quels moyens d'action pour les collectivités territoriales ? » donnant la parole aux élus locaux pour recueillir leur vision de l'action publique en la matière et des exemples de bonnes pratiques locales.

En outre, la délégation a tenu à associer aux débats, au titre de leurs travaux et de leur intérêt particulier pour ces sujets, M. Joël Labbé (RDSE - Morbihan), auteur de la proposition de loi qui fut à l'origine de la loi n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, et Mme Françoise Cartron (LREM - Gironde), co-rapporteure avec M. Jean-Luc Fichet (SOCR - Finistère) au sein de la délégation à la prospective, sur le thème de l'alimentation à l'horizon 2050.

Les débats ont été organisés en deux séquences afin de faire porter la première discussion sur les arrêtés anti-pesticides par des maires en première ligne sur le sujet : MM. Daniel Cueff, maire de Langouët, et Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers . Puis a eu lieu une seconde séquence dédiée aux bonnes pratiques locales en faveur d'une alimentation saine et durable, pour laquelle la délégation a identifié deux expériences de terrain : la ville de Mouans-Sartoux , cheffe de file dans le programme européen « Biocanteens » pour diffuser de bonnes pratiques, représentée par M. Gilles Pérole, maire-adjoint et président de l'association « Un plus bio » , et Dijon Métropole pour le projet « Alimentation durable 2030 » sélectionné par le Gouvernement dans le cadre du programme d'investissements d'avenir « Territoires d'innovation », représentée par M. Benoît Bordat conseiller métropolitain délégué à l'agriculture périurbaine .

Dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales, et sans entrer dans un débat scientifique sur le bien-fondé ou non des décisions politiques prises par les communes sur les pesticides ou le bio, la délégation a souhaité mettre en lumière les bonnes pratiques et les préconisations à caractère normatif présentées par les élus locaux .

Ø Les bonnes pratiques et les principales préconisations à caractère normatif présentées par les élus locaux

Ces bonnes pratiques ne nécessitent aucune modification du cadre réglementaire et législatif existant . Tout l'enjeu est de les partager le plus largement, qu'il s'agisse d' étendre progressivement la pratique de non utilisation de produits phytosanitaires aux cimetières et terrains de sports , d' encourager le développement des projets alimentaires territoriaux sur la base d'un référentiel commun ou encore de nouer des alliances de territoires et de collectivités pour reconvertir des friches en terres agricoles en circuits courts ou agriculture biologique ( cf. encadré ci-après).

Plus polémique et plus politique quant à elle, la préconisation formulée par les intervenants visant à autoriser les communes à exercer un pouvoir réglementaire d'adaptation locale dans le cadre de la protection de la santé des administrés impliquant des produits phytosanitaires nécessiterait une modification législative sur laquelle votre délégation souligne l'intérêt de l'ouverture d'un débat parlementaire.

SYNTHÈSE DES BONNES PRATIQUES ET DES PRÉCONISATIONS PRÉSENTÉES PAR LES ÉLUS LOCAUX


LE PARTAGE DES BONNES PRATIQUES LOCALES

Ø Étendre progressivement la pratique de non-utilisation de produits phytosanitaires aux cimetières et terrains de sports , lesquels ne figurent pas dans le champ d'application de la loi du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national ;

Ø Encourager le développement des projets alimentaires territoriaux créés par la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, par l'élaboration d'un référentiel commun , en prenant exemple sur les schémas de cohérence territoriale (SCoT), qui soit suffisamment souple pour respecter l'autonomie et laisser des marges de différenciation aux territoires concernés (choix du bio, création de régie agricole municipale, formation des chefs de projet en alimentation durable, etc.) ;

Ø Nouer des alliances de territoires et de collectivités pour :

- favoriser les interactions entre territoires urbains et ruraux ;

- identifier et/ou acquérir des friches ou terres agricoles reconvertibles en circuits courts ou agriculture biologique ;

- regrouper les marchés publics des collectivités et établissements publics ;

Ø Préserver le classement des terres agricoles périurbaines dans les plans locaux d'urbanisme et les projets de territoires ;

Ø Promouvoir le changement des pratiques de consommation et la lutte contre le gaspillage alimentaire pour contenir les coûts d'approvisionnement locaux.


LES PRINCIPALES PRÉCONISATIONS À CARACTÈRE NORMATIF

Ø Autoriser les communes à exercer un pouvoir réglementaire d'adaptation locale dans le cadre de la protection de la santé des administrés et « en cas de danger grave ou imminent » impliquant des produits phytosanitaires. Cette extension du pouvoir de police générale des maires, qui nécessiterait une clarification législative, ne serait reconnue qu'en substitution et en cas d'inaction de l'autorité administrative compétente, celle-ci relevant du ministre de l'Agriculture en matière de police administrative des produits phytopharmaceutiques ;

Ø Reconnaître explicitement une compétence agricole aux collectivités territoriales, notamment pour les métropoles au titre de la différenciation ;

Ø Rendre possible l'octroi de gré à gré aux petits producteurs locaux d'une fraction des allotissements de marchés publics : il s'agit de proposer une exception alimentaire dans la réglementation européenne des marchés publics, mais aussi d'exploiter au mieux les règles existantes pour retenir des fournisseurs locaux.

CONTEXTE LÉGISLATIF DE LA TABLE RONDE

Les débats de la table ronde du 19 décembre 2019 ont été organisés en deux séquences - les arrêtés municipaux anti-pesticides puis les bonnes pratiques locales en faveur d'une alimentation saine et durable - au cours desquelles les discussions ont porté principalement sur l'application, d'une part, de la loi n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, d'autre part, de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim).

Les élus locaux peuvent avoir le sentiment de faire face à des injonctions contradictoires entre ce que prévoient les textes législatifs et les moyens dont ils disposent pour remplir leurs objectifs . Dans le cas des produits phytopharmaceutiques, certains considèrent que la loi les empêche d'agir et ils tentent d'en repousser les frontières pour protéger leur population en publiant des arrêtés municipaux anti-pesticides dont la légalité est en cause. À l'inverse, pour ce qui concerne l'intégration de 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques d'ici 2022 dans la restauration collective publique, les maires s'interrogent sur les moyens d'actions et les outils juridiques qui s'offrent à eux pour remplir localement de tels objectifs, ambitieux et de court terme.

En introduction aux actes de la table ronde, le contexte législatif de chacune des deux séquences est ici présenté, dans leur ordre de discussion, pour expliquer comment, s'agissant des arrêtés anti-pesticides, les élus locaux tentent de « repousser » les frontières de la loi pour protéger leur population (I), puis, sur le sujet du développement du bio et des circuits courts, comment la trajectoire vers une alimentation saine et durable à l'horizon 2022 pourrait être tenue (II).

I. ARRÊTÉS « ANTI-PESTICIDES » : DES ÉLUS TENTENT DE REPOUSSER LES FRONTIÈRES DE LA LOI POUR PROTÉGER LEUR POPULATION

À compter du 1 er janvier 2017, en application de la loi précitée du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, interdiction est faite aux personnes publiques (État, collectivités territoriales et leurs groupements, établissements publics) d'utiliser ou de faire utiliser certains produits phytopharmaceutiques, plus communément appelés « pesticides », pour l'entretien des espaces verts, des forêts ou des promenades accessibles ou ouverts au public et relevant de leur domaine public ou privé, à l'exception des terrains de sport ainsi que des cimetières.

Si l'on relève que dès 2012, la commune de Château-Thierry, dans l'Aisne, avait pris un arrêté pour interdire « la pulvérisation de pesticides agricoles par engin héliporté dans un rayon de 200 mètres autour des zones habitées », c'est à partir du mois de mai 2019 que cette pratique tend à se généraliser avec l'arrêté de la commune de Langouët visant à interdire tout épandage à moins 150 mètres d'une habitation. Depuis, selon le collectif des maires anti-pesticides 1 ( * ) , plus de 120 communes auraient adopté des arrêtés anti-pesticides et glyphosate.

Deux raisons sont principalement invoquées par les élus locaux : d'abord la santé des populations, puis un motif de cohérence selon lequel si les collectivités doivent bannir l'usage de ces produits depuis 2017 - et les particuliers depuis le 1 er janvier 2019 - il devrait en être de même du secteur privé (entreprises, agriculteurs, etc.) pour la santé des riverains mais aussi des salariés et des intéressés eux-mêmes.

Deux types d'arrêtés sont utilisés par les communes en fonction de leur caractéristique rurale ou urbaine. Dans le premier cas, les arrêtés prévoient des restrictions des modalités d'utilisation des produits phytopharmaceutiques soit dans un périmètre déterminé, soit à une distance donnée des habitations. En milieu urbain, il est davantage fait recours à une interdiction d'utilisation sur l'ensemble du territoire de la commune pour des usages définis tels que l'entretien des copropriétés, des espaces verts d'entreprises ou de bailleurs privés, des voies ferrées, des routes et de leurs abords. Il convient de relever, comme cela a été souligné par M. Daniel Cueff au cours de la table ronde, que les décisions prises par les maires ne visent pas une interdiction générale, laquelle relèverait de la loi, mais une application du pouvoir de police générale du maire sur une « problématique de santé publique » en cas de carence de l'État.

Face à cette situation, où certains élus locaux tentent d'utiliser tous les moyens d'action dont ils disposent pour préserver la santé des populations, la réaction de l'État se caractérise par une saisine préfectorale systématique de la juridiction administrative afin d'obtenir du juge des référés une ordonnance de suspension ou d'annulation des arrêtés en cause.

À ce stade, aucun jugement définitif sur le fond n'a encore été rendu. Dans ce contexte jurisprudentiel évolutif, et sans décision du Conseil d'État, il est ici proposé de faire un point sur la répartition des compétences en matière de produits phytopharmaceutiques et sur les contentieux en cours autour des questions soulevées par les élus locaux : quels sont les pouvoirs du maire et faut-il s'en tenir à l'appréciation du juge administratif ou réfléchir à une clarification législative ?

A. LE POINT SUR LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE PRODUITS PHYTOPHARMACEUTIQUES

1. La police administrative des produits phytosanitaires : une compétence de l'État dévolue au ministre en charge de l'Agriculture

L'autorité administrative compétente pour prendre des mesures d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant les produits phytopharmaceutiques, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prévue à l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, est le ministre chargé de l'Agriculture, en application de l'article R. 253-45 du même code.

Dispositions relatives à la police administrative spéciale
des produits phytopharmaceutiques

Article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime : « I.- Sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, l'environnement et du travail et des dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. » [...]

Article R. 253-45 du même code : « L'autorité administrative mentionnée à l'article L. 253-7 est le ministre chargé de l'Agriculture . Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l'article L. 253-7 concernent l'utilisation et la détention de produits visés à l'article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l'Agriculture, de la Santé, de l'Environnement et de la Consommation. »

C'est en application de ces dispositions que le tribunal administratif de Rennes a considéré que le ministre de l'Agriculture est chargé de la police administrative des produits phytopharmaceutiques et que « le maire d'une commune ne peut en aucun cas s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale » pour décider l'annulation de l'arrêté du 18 mai 2019 du maire de la commune de Langouët 2 ( * ) . Cette décision reprend la même conception exclusive de compétence de deux arrêts antérieurs du Conseil d'État, en matière d'organismes génétiquement modifiés (OGM) et de téléphonie mobile 3 ( * ) , selon laquelle lorsque la loi confère un pouvoir de police spéciale au ministre, elle interdit, sauf péril imminent, toute intervention du maire, en tant qu'autorité de police administrative générale.

2. Le rôle du maire au titre de son pouvoir de police est subordonné à l'existence d'un péril imminent

En qualité d'autorité de police administrative générale, ainsi que le prévoit l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le maire peut agir « en cas de danger grave ou imminent ».

Aussi l'ordonnance du juge des référés de Rennes, dans l'affaire de Langouët, n'excluaient donc pas toute intervention du maire. Mais, en l'espèce, elle a considéré que n'avait pas été démontré le péril qui pouvait consister à ce que certains de ses administrés souffrent de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Pouvoirs de police du maire

Article L. 2122-24 du CGCT : « Le maire est chargé , sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de l'exercice des pouvoirs de police , dans les conditions prévues aux articles L. 2212-1 et suivants. »

Article L. 2212-1 du même code : « Le maire est chargé , sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale , de la police rurale et de l'exécution des actes de l'État qui y sont relatifs. »

Article L. 2212-2 du même code : « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques . Elle comprend notamment : [...] 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure [...] ».

Article L. 2212-4 du même code : « En cas de danger grave ou imminent , tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances . Il informe d'urgence le représentant de l'État dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prises.»

Il s'agit également ici de la reprise de la jurisprudence précitée du Conseil d'État en matière de réglementation des OGM ou des antennes de téléphonie mobile.

B. LE POINT SUR LES CONTENTIEUX EN COURS

1. Une jurisprudence administrative qui reconnaît le pouvoir d'intervention des maires à certaines conditions
a) Les divergences entre tribunaux administratifs sur le rôle des maires en cas de danger grave et imminent ou de circonstances locales particulières

Contrairement à la décision du tribunal administratif de Rennes, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a maintenu plusieurs arrêtés municipaux anti-pesticides. Ainsi, s'agissant notamment des communes de Gennevilliers, Sceaux (8 novembre 2019) et Antony (25 novembre 2019), une présomption de dangerosité a été retenue concomitamment à une « absence de mesures réglementaires suffisantes prise par les ministres titulaires de la police spéciale », cette argumentation ayant pu être considérée comme un revirement de jurisprudence à ce stade de la procédure. Selon le communiqué du tribunal administratif de Cergy-Pontoise relatif à l'ordonnance du 25 novembre 2019 sur l'arrêté anti-pesticides pris par la commune d'Antony, « Le juge des référés constate tout d'abord que les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées et que l'autorité administrative n'a pas pris de mesures suffisantes en vue de la protection de la santé publique. »

Dans cette série de décisions du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, les recours en annulation du préfet ont été rejetés chaque fois que certaines conditions étaient réunies : l'absence d'interdiction générale, l'existence de circonstances locales particulières comme la présence de publics fragiles (tel qu'un établissement hospitalier en bordure de voie ferrée).

Dans l'attente d'un jugement au fond de ces affaires, les élus locaux concernés ont pu estimer avoir agi à bon droit dans la mesure où l'exposition aux produits phytopharmaceutiques faisait courir un danger grave à la population.

Ces ordonnances ont pu se fonder sur deux précédents :

- d'abord une décision du Conseil d'État rendu en matière de police de l'eau (CE 2 décembre 2009 Commune de Rachecourt-sur-Marne, n° 309684) dans un domaine où la police spéciale en matière d'eau potable relevait du préfet, mais où l'intervention du maire avait été reconnue, celui-ci ayant décidé d'interdire l'activité d'une exploitation agricole à proximité d'un point de captage dont l'eau dépassait les limites admises en taux de nitrate ;

- puis une décision ultérieure du Conseil d'État relative à l'épandage des pesticides (décision du 26 juin 2019) où plusieurs dispositions de l'arrêté interministériel du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants, plus couramment dénommés pesticides, avaient été annulées au motif que ces dispositions ne protégeaient pas suffisamment la santé publique et l'environnement, notamment parce qu'il ne prévoyait pas de mesure générale pour les riverains des zones agricoles traitées.

Ces ordonnances de référé, prises en premier ressort, ont ainsi été perçues par les élus locaux comme une première reconnaissance de leur compétence à condition que le danger grave et imminent soit présumé et que des circonstances locales particulières soient démontrées.

b) En appel, le maintien d'une conception stricte de la notion de péril imminent et de circonstances locales particulières

Les arrêtés municipaux « validés » par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise n'ont toutefois pas prospéré. Par six ordonnances en date du 14 mai 2020, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles a suspendu l'exécution des arrêtés des maires de Bagneux, Chaville, Gennevilliers, Malakoff, Nanterre et Sceaux interdisant l'utilisation de l'herbicide glyphosate sur le territoire communal, en rappelant d'une part que « le maire ne peut s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale qu'en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières » et, d'autre part, qu'aucune de ces conditions n'était satisfaite.

Communiqué de la cour administrative d'appel de Versailles du 15 mai 2020

Dans ces six affaires, le juge des référés de la cour a jugé que ces conditions n'étaient pas satisfaites.

D'une part, en effet, les communes en cause n'ont pas démontré l'existence d'un danger grave ou imminent en se bornant à faire état de leur engagement pour la protection de l'environnement, du nombre d'écoles, hôpitaux ou résidences pour personnes âgées regroupant des personnes vulnérables et de l'importance de la pollution atmosphérique, causée par la densité du réseau ferroviaire et routier.

D'autre part, l'existence de circonstances locales particulières n'a pas davantage été établie en l'absence de différences notables entre la situation prévalant dans les six communes considérées et celle qui est constatée dans de nombreuses communes de l'agglomération parisienne présentant les mêmes caractéristiques d'équipements et de populations.

Par suite, le juge des référés a estimé qu'en l'état de l'instruction, le moyen tiré de l'incompétence des maires des communes en cause était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des arrêtés interdisant l'utilisation du glyphosate. Il a donc suspendu l'exécution de ceux-ci, en attente du jugement au fond.

La cour administrative d'appel a confirmé la conception stricte de la notion de péril imminent, impliquant une obligation d'agir pour le ministre. A contrario , une conception souple de la notion de péril imminent assouplirait le pouvoir d'intervention du maire tout en gardant à l'esprit qu'elle ouvrirait sa responsabilité en cas d'inaction.

2. Faut-il s'en tenir à l'appréciation du juge administratif ou réfléchir à une clarification législative ?
a) En attente d'une décision du Conseil d'État sur le fond

À ce jour, le Conseil d'État s'est prononcé sur l'encadrement réglementaire national de l'utilisation des produits phytopharmaceutique, mais toujours pas sur les arrêtés locaux pris par des collectivités territoriales.

Au niveau national, par une ordonnance du 14 février 2020, le juge des référés du Conseil d'État a rejeté la demande par le « collectif des maires anti-pesticides » de suspension en urgence du décret et de l'arrêté interministériel du 27 décembre 2019 fixant de nouvelles règles encadrant l'épandage des pesticides 4 ( * ) retenant des distances minimales de sécurité de 5, 10 et 20 mètres pour la protection des riverains. La nécessité de suspendre ces textes en urgence n'étant pas établie, le Conseil d'État devrait examiner le fond du dossier dans les prochains mois. En l'occurrence, cette position du Conseil d'État peut être comprise comme mettant fin à la présomption de dangerosité des produits en cause et donc de péril grave et imminent, expliquant de ce fait les décisions précitées de la cour administrative d'appel de Versailles.

La situation des diverses procédures en cours fait que les suspensions d'exécution des arrêtés municipaux « anti-pesticides » demeurent en attente d'un jugement sur au fond et laisse donc libre cours à l'appréciation du juge ou aux événements de procédure. Ainsi, il n'a pas été donné droit à la requête en annulation de l'arrêté municipal de la commune d'Antony par le préfet des Hauts-de-Seine en raison d'un recours trop tardif. En conséquence, perdurent sur le territoire national des réglementations locales différenciées non en raison du droit positif mais de situations de fait ou d'» aléas contentieux ».

b) Principe de subsidiarité et différenciation : faut-il reconnaître aux collectivités un pouvoir réglementaire d'adaptation locale d'une compétence nationale ?

Devant cette situation vécue comme « insécurisante » par des élus locaux de toutes sensibilités politiques, il pourrait être reconnu aux collectivités, en application du principe de subsidiarité, un pouvoir réglementaire d'adaptation locale d'une compétence nationale dans le cadre de la protection de la santé des administrés « en cas de danger grave ou imminent » et si « l'autorité administrative n'a pas pris de mesures suffisantes ».

Cette piste de réforme, identifiée par la délégation aux collectivités territoriales dans le cadre de la présente table ronde, pourrait utilement appeler un débat parlementaire plus large visant à mentionner à l'article L. 2212-2 du CGCT relatif aux pouvoirs de police du maire (ou, plus largement, à l'échelle des collectivités territoriales) la possibilité pour celui-ci de se substituer en qualité « d'autorité administrative » au pouvoir de police spéciale du ministre de l'Agriculture, selon des conditions à fixer au titre de l'autonomie et la différenciation des collectivités territoriales.

II. LE DÉVELOPPEMENT DU BIO ET DES CIRCUITS COURTS : COMMENT TENIR LOCALEMENT LA TRAJECTOIRE D'UNE ALIMENTATION SAINE ET DURABLE À L'HORIZON 2022 ?

Les élus locaux issus des élections municipales de 2020 auront à remplir au cours de leur mandat les objectifs fixés par la loi d'utiliser 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques d'ici 2022, dans la restauration collective dont leurs collectivités ont la charge.

Où en est-on de la réalisation de ces objectifs et sur quels outils peuvent s'appuyer les collectivités territoriales ?

A. LE POINT SUR L'APPLICATION DE LA LOI «  EGALIM »

1. Des objectifs ambitieux : 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques d'ici 2022

L 'article 24 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) a fixé un objectif d'incorporation de 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits issus de l'agriculture biologique, dans les repas servis en restauration collective dans les établissements chargés d'une mission de service public au plus tard le 1 er janvier 2022.

La restauration collective regroupe quatre grandes catégories de restauration : scolaire (crèche, maternelle, primaire, collège, lycée, université), médico-sociale (hôpitaux, maisons de retraite), d'entreprise (restaurants administratifs et d'entreprise) et autres (centre de vacances, armée, prison etc.). Publique ou privée, elle revêt un caractère social dans le sens où elle propose des repas à un prix modéré.

Le décret publié ce 24 avril fixe les dispositions d'application de la loi du 30 octobre 2018 dite loi Egalim, en précisant notamment les catégories de produits entrant dans les objectifs d'approvisionnement et les modalités du suivi de ces objectifs.

Les produits éligibles aux objectifs de la loi Egalim (50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques)

Les produits :

- issus de l'agriculture biologique (à hauteur de 20% minimum) ;

- bénéficiant des autres signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) ou des mentions valorisantes suivants (Label rouge, appellation d'origine (AOC/AOP), indication géographique (IGP), Spécialité traditionnelle garantie (STG), la mention « issu d'une exploitation à Haute Valeur Environnementale » (HVE), la mention « fermier » ou « produit de la ferme » ou « produit à la ferme » ;

- issus de la pêche bénéficiant de l'écolabel Pêche durable ;

- bénéficiant du logo « Région ultrapériphérique » ;

- issus du commerce équitable et issus de projets alimentaires territoriaux (PAT) (bien qu'ils ne soient pas comptabilisés dans les 50%).

Source : https://agriculture.gouv.fr/les-mesures-de-la-loi-egalim-concernant-la-restauration-collective

Pour accompagner cet objectif alimentaire, le Gouvernement a également lancé un plan d'aide au développement de l'agriculture bio - Plan Ambition Bio 2022 - dont l'objectif est d'atteindre 15 % de la surface agricole utile convertie à l'agriculture biologique en 2022.

2. Le chemin qui reste à parcourir est plus long que le chemin parcouru : 4,5 % de bio fin 2019

D'après une enquête réalisée en novembre 2019 par l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique (l'Agence bio), on estime que les produits sans engrais ni pesticide représentent désormais 4,5 % du marché de la restauration collective. Le chemin qui reste à parcourir pour atteindre l'objectif de 20 % de bio d'ici 2022 est plus long que le chemin déjà parcouru. Toutefois, comme motif « d'espoir », il est constaté, pour la première fois depuis des années, que le bio a davantage progressé en valeur dans la restauration collective que sur l'ensemble du marché alimentaire en France (+28 % contre +15 %) en 2018.

L'Agence bio estime à 65 % le nombre de cantines françaises offrant du bio au moins de temps en temps. La tendance est encore plus forte dans les cantines scolaires (86 %), qui reçoivent un soutien des collectivités locales et répondent à la demande des parents. À l'inverse, le phénomène est nettement moins net dans les cantines des entreprises privées (58 %), et encore moins dans hôpitaux et les maisons de retraite (38 %).

Les débats de la table ronde du 19 décembre 2019 ont essentiellement porté sur les outils à la disposition des élus locaux pour promouvoir localement une alimentation durable ou bio, parmi lesquels notamment les projets alimentaires territoriaux (PAT) créés par la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Tout l'enjeu est d'identifier les bonnes pratiques pouvant concourir à la réalisation des objectifs fixés par la loi Egalim.

B. LE POINT SUR LES OUTILS À LA DISPOSITION DES ÉLUS LOCAUX

1. Les projets alimentaires territoriaux (PAT) créés par la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt

Les projets alimentaires territoriaux (PAT) ont été introduits par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Ces projets de territoire visent à valoriser l'ancrage territorial de l'alimentation en favorisant la structuration de filières locales. Élaborés à l'initiative de tous les acteurs du territoire, personnes publiques ou autres, ils sont formalisés par un contrat.


L'article 39 de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt définit la notion de projets alimentaires territoriaux dans le code rural

Article L. 111-2-2 du code rural et de la pêche maritime : « Les projets alimentaires territoriaux mentionnés au III de l'article L. 1 sont élaborés de manière concertée avec l'ensemble des acteurs d'un territoire et répondent à l'objectif de structuration de l'économie agricole et de mise en oeuvre d'un système alimentaire territorial. Ils participent à la consolidation de filières territorialisées, à la lutte contre le gaspillage et la précarité alimentaires et au développement de la consommation de produits issus de circuits courts, en particulier relevant de la production biologique.

« À l'initiative de l'État et de ses établissements publics, des collectivités territoriales, des associations, des groupements d'intérêt économique et environnemental définis à l'article L. 315-1, des agriculteurs et d'autres acteurs du territoire, ils répondent aux objectifs définis dans le plan régional de l'agriculture durable et sont formalisés sous la forme d'un contrat entre les partenaires engagés.

« Ils s'appuient sur un diagnostic partagé de l'agriculture et de l'alimentation sur le territoire et la définition d'actions opérationnelles visant la réalisation du projet.

« Ils peuvent mobiliser des fonds publics et privés. Ils peuvent également générer leurs propres ressources. »

a) Chaque projet alimentaire territorial est issu de la concertation des acteurs locaux

D'après le Réseau national des projets alimentaires territoriaux (RnPAT), deux catégories de PAT se dessinent : ceux qui partent d'expériences de terrain très concrètes (le PAT vient formaliser une pratique existante) et ceux qui sont construits à partir d'une volonté politique forte, issue des collectivités territoriales, par exemple la décision de promouvoir les circuits courts et le bio en allant parfois au-delà des objectifs fixés par la loi « Egalim » (100 % de bio à la cantine).

S'il n'existe pas de document cadre standard ou de « PAT type » à appliquer tel quel, c'est que la logique d'élaboration d'un PAT repose sur une volonté locale de travailler en commun à partir des spécificités du territoire et de ses acteurs. Les intervenants à la table ronde ont souligné que chaque ville (Langouët, Gennevilliers ou Mouans-Sartoux) s'insère dans un écosystème agricole, foncier, économique différent et qui ne mobilise pas les mêmes acteurs. Dans certains cas, le maraîchage local est possible et suffisant, dans d'autres cas il s'agit de sécuriser une chaîne de fournisseurs ou de structurer une infrastructure de légumerie pour rendre les produits locaux propres à la consommation.

Pour encourager la démarche, le plan national alimentaire lance annuellement des appels à projets par lesquels le ministère de l'Agriculture apporte une aide à la création de nouveaux PAT.

À défaut de cahier des charges type, l'appel à projet fixe un certain nombre de critères, tels que :

- la légitimité du porteur de projet (celui-ci doit avoir la capacité à fédérer les partenaires. Si le projet n'est pas porté par une collectivité locale, une collectivité locale doit a minima être partenaire du projet) ;

- une démarche collective et concertée qui doit prendre en compte les différentes fonctions du système alimentaire (agricole et alimentaire, environnementale, sociale, éducative, culturelle et de santé) et prévoir l'association et la consultation de l'ensemble des partenaires pertinents au regard des objectifs poursuivis (information des publics appropriés et des différents acteurs économiques, politiques, associatifs du territoire) ;

- des objectifs visant à répondre à ceux fixés par la loi Egalim pour l'approvisionnement de la restauration collective, la réduction du gaspillage alimentaire et la lutte contre la précarité alimentaire.

Il est estimé que 90 % des porteurs de projets sont des intercommunalités, qu'il s'agisse d'une communauté de communes rurales ou d'une métropole (Nantes, Lille, Montpellier, etc.).

Les acteurs locaux des projets alimentaires territoriaux

Source : Infographie du ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt.

Lors de la discussion parlementaire de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, un objectif de 500 PAT avait été annoncé pour 2020. Or, en 2018, ils étaient au nombre de 40, pour atteindre environ 200 PAT en 2019 selon l'inventaire du RnPAT.

Les PAT ont peiné à se développer en raison de l'absence initiale de financement dédié, puis d'une dotation budgétaire insuffisante, le montant des premiers appels à projet s'élevant à 1 million d'euros en 2018 puis 2019.

Pour le dernier appel à projet en cours, lancé en septembre 2019 pour la période 2019-2020, l'enveloppe allouée par le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation a été portée à 1,3 million d'euros, en hausse de 300 000 euros suite à l'adoption d'amendements au Parlement pour renforcer le soutien à l'émergence de nouveaux PAT. Au total, l'appel à projet est doté de 2 millions d'euros réunissant, outre la dotation précitée de 1,3 million d'euros, le soutien de l'ADEME, à hauteur de 500 000 euros, et du ministère des Solidarités et de la Santé, à hauteur de 200 000 euros.

Outre l'aspect financier, le développement des PAT peut également s'adosser à d'autres outils de développement et de coopération entre collectivités tels que les SCoT et les contrats de réciprocité.

b) Les schémas de cohérence territoriale

Les schémas de cohérence territoriale sont des documents de planification stratégique à long terme (environ vingt ans), à l'échelle intercommunale, créés par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). À l'échelle d'une aire urbaine, d'un grand bassin de vie ou d'un bassin d'emploi, le SCoT sert de cadre de référence pour élaborer des politiques sectorielles (organisation de l'espace, urbanisme, habitat, mobilités, aménagement commercial, environnement).

Un SCoT peut donc être utilisé par les différentes collectivités membres comme une voie de coopération territoriale pour y inclure un projet alimentaire territorial qui soit préexistait, soit reste à créer et à mettre en oeuvre. L'intérêt de la démarche intégrée est de pouvoir, à l'appui d'un PAT, développer des politiques plus globales à l'échelle d'un territoire pour organiser les circuits logistiques complexes nécessaires à l'approvisionnement de la restauration scolaire.

Parmi d'autres avantages, l'organisation territoriale sur la base d'un SCoT constitue déjà un référentiel commun entre collectivités partenaires, sans fondre tous les PAT dans un même moule et en offrant une palette de stratégies adaptée aux acteurs locaux et aux territoires concernés :

- prioriser les circuits courts ou le bio ;

- créer une régie agricole municipale ;

- formater des chefs de projets en alimentation durable ;

- identifier et/ou acquérir des friches ou terres agricoles reconvertibles en circuits courts ou agriculture biologique ;

- regrouper les marchés publics des collectivités et établissements publics, etc.

En 2019, le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales estimait que 72 % du territoire national était concerné par un SCoT (approuvé ou en cours de projet), soit 85 % des communes et 95 % de la population. À cet égard, la réforme des SCoT engagée par loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan), et la publication le 17 juin 2020 de deux ordonnances 5 ( * ) visant à moderniser les SCoT, pour une application au 1 er avril 2021, est une occasion supplémentaire offerte aux collectivités d'y inclure un volet alimentaire.

c) Les contrats de réciprocité pour nouer des alliances de territoires et de collectivités

Pour nouer des alliances de territoires et de collectivités et favoriser les interactions entre territoires urbains et ruraux, les « contrats de réciprocité ville-campagne » sont des outils de contractualisation à disposition des métropoles et des territoires périphériques dont l'idée a été proposée lors des assises de la ruralité de 2014 et formalisée à la suite d'un comité interministériel de mars 2015, tenu à Laon.

Pour une métropole qui réfléchit à son approvisionnement, le contrat de réciprocité s'inscrit à la fois sur le terroir et sur l'urbain, à l'image des PAT conclus entre Nantes avec le Pays de Retz, Angers-Loire-Métropole avec la chambre d'agriculture du Maine-et-Loire ( cf. infra la carte des PAT conclus à l'échelle d'un pôle d'équilibre territorial et rural -PETR).

À cet égard, outre le rôle important joué par les intercommunalités dans le développement des PAT, la maille territoriale des PETR semble également pertinente, l'association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et pays (ANPP) ayant dénombré à cette échelle 35 créations de PAT en 2019. Par exemple, c'est à cette échelle que le PETR du Pays des Portes de Gascogne (160 communes, 71 100 habitants) a conclu un contrat de réciprocité avec la métropole de Toulouse (37 communes, 750 000 habitants) qui, outre les thématiques économiques, touristiques et écologiques, comprend un PAT au sein du volet agricole pour mettre en relation la cuisine centrale de Toulouse et les producteurs locaux 6 ( * ) .

Carte des PAT conclus à l'échelle d'un PETR

Source : Association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux et pays (ANPP)

2. Diffuser des guides et référentiels pour changer les pratiques de consommation et de lutte contre le gaspillage alimentaire

Le Conseil national de la restauration collective (CNRC), créé par la loi Egalim, a publié en novembre 2019 un recueil sur « les mesures de la loi Egalim concernant la restauration collective » 7 ( * ) .

Il s'agit davantage d'un document de « décryptage » des références législatives et réglementaires à destination des collectivités et des restaurants collectifs dont elles ont la charge, ainsi que de leurs prestataires privés. Plusieurs thématiques font l'objet de spécifications particulières s'agissant de la lutte contre le gaspillage alimentaire et des critères relatifs à l'approvisionnement local dans les marchés publics.

a) L'encadrement de la lutte contre le gaspillage alimentaire

Plusieurs dispositions législatives fixent des étapes à respecter pour lutter contre le gaspillage alimentaire :

- à compter du 21 octobre 2019, l'obligation de mettre en place une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire est étendue aux opérateurs de la restauration collective privée. Un diagnostic préalable à la mise en place de cette démarche, incluant l'approvisionnement durable, doit avoir été réalisé au plus tard le 22 octobre 2020 ;

- au 1 er janvier 2020, l'interdiction de rendre impropres à la consommation les excédents alimentaires encore consommables est étendue à la restauration collective (sous peine d'une contravention de 3 750 euros) 8 ( * ) ;

- à compter du 21 octobre 2019, les opérateurs de la restauration collective préparant plus de 3 000 repas/jour disposent d'un délai d'un an pour proposer une convention de dons à une association habilitée en application de l'article L. 266-2 du code de l'action sociale et des familles.

En citant l'exemple de Mouans-Sartoux, qui a réduit le coût des matières dans ses cantines à 1,86 euros en 2013 contre 2,02 euros en 2012, il est question de promouvoir le changement des pratiques de consommation.

Ces dispositions visent à contenir les coûts d'approvisionnement locaux et à réinjecter les économies engendrées dans l'achat de produits plus qualitatifs.

b) Comment promouvoir le « local » dans les marchés publics ?

Le caractère « local » d'un produit ne peut pas constituer un critère de sélection dans un marché public. D'autre part, les produits « locaux » entrent dans le décompte des 50 % uniquement s'ils possèdent l'une des caractéristiques requises par la loi. En clair, un circuit court ne suffit pas, encore faut-il que les produits soient reconnus et labellisés selon la liste des produits éligibles ( cf. supra ).

Plusieurs leviers pour favoriser les approvisionnements de proximité sont toutefois recommandés dans le respect du code de la commande publique :

- garantir l'accessibilité des TPE/PME à la commande publique en recourant notamment au « sourcing », à un allotissement fin et à une pondération équilibrée des critères ;

- promouvoir la fraîcheur et la saisonnalité des produits (légumes de saison), en privilégiant des modes de production moins énergivores.

c) Comment coordonner les politiques alimentaires des collectivités territoriales avec le ministère de l'Éducation nationale dont dépendent les gestionnaires de la restauration scolaire ?

La question de la coordination entre collectivités territoriales et gestionnaires de l'Éducation nationale posée par notre collègue Angèle Préville au ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse le 19 février 2020 pointe un risque d'inefficience des acteurs locaux : « l'autorité légale qui fixe la trajectoire permettant d'atteindre les objectifs de la loi Egalim » n'est pas clairement identifiée. Il serait vain que les collectivités développent de nouvelles stratégies alimentaires locales pour développer le bio et les circuits courts, si dans le même temps les responsables de la commande publique dépendant de l'État les ignorent ou n'en tiennent pas compte dans la gestion des approvisionnements.

Extrait de la question orale n° 1059S de Mme Angèle Préville

« Les services du département ont mené des études nutritionnelles, les cuisiniers des collèges ont été formés, notamment, à la préparation des produits frais et des aides à la contractualisation pour l'achat de denrées en circuits courts ont été proposées aux établissements. Ce guide des bonnes pratiques n'a malheureusement pas été suffisant pour inciter l'ensemble des collèges à s'engager dans une véritable trajectoire qui permettrait d'atteindre dès le 1 er janvier 2022 le fameux objectif de 50 % de produits de qualité et durables.

« En effet, si le conseil départemental est responsable de la restauration dans les collèges et a autorité sur les agents qui l'assurent, en particulier les cuisiniers, les commandes sont en revanche passées par des fonctionnaires de l'Éducation nationale sur lesquels le conseil départemental n'exerce aucune autorité.

« Je m'interroge donc sur l'autorité légale qui fixe la trajectoire permettant d'atteindre les objectifs de la loi Egalim. »

Réponse de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale
et de la Jeunesse 9 ( * )

Madame la sénatrice Préville, les dispositions de la loi Egalim, en particulier son article 24, relatif à l'introduction de 50% de produits de qualité et durables, dont 20 % de produits issus de l'agriculture biologique, dans la restauration scolaire d'ici à 2022, ont pour objectif d'améliorer la qualité et la diversité des produits composant les repas servis aux élèves. Ces objectifs sont primordiaux dans un cadre scolaire : nous partageons évidemment l'esprit des propos que vous avez tenus à ce sujet.

Améliorer la qualité et la diversité des repas servis aux élèves est un enjeu en termes de promotion de la santé, mais aussi de réussite scolaire et de sensibilisation de nos élèves. L'alimentation d'un enfant doit lui apporter des aliments de bonne qualité pour répondre à ses besoins de croissance. Elle doit être équilibrée, variée et fractionnée en rations.

En outre, la restauration scolaire répond effectivement à une exigence pédagogique. Elle est un terrain d'expérimentation et de mise en pratique de l'éducation à l'alimentation, comme cela est prévu par le code de l'alimentation. Cette approche se voit renforcée, de la maternelle à la terminale, dans le cadre de la stratégie nationale de santé pour la période 2018-2022.

La mise en oeuvre de cette éducation transversale s'adosse également aux orientations de la loi Egalim. C'est pour cette raison qu'un vade-mecum sur l'éducation à l'alimentation et au goût sera mis à disposition des équipes éducatives et pédagogiques dès la fin de ce mois, afin de renforcer l'articulation entre les objectifs d'apprentissages et les enjeux éducatifs. Dans le prolongement des enseignements et dans le cadre de projets interdisciplinaires, cette éducation transversale qui mobilise l'ensemble des programmes d'enseignement doit pouvoir entrer en résonance avec les pratiques de la restauration scolaire.

Par ailleurs, comme vous le rappelez, madame la sénatrice, la restauration scolaire des collèges est une compétence partagée entre le conseil départemental et l'établissement public local d'enseignement. L'articulation entre les compétences des personnels de la collectivité territoriale et ceux de l'établissement d'enseignement scolaire, dans le cadre des dispositions de la loi Egalim, procède d'une étroite collaboration entre tous, qui est déjà un fait dans beaucoup de départements et qu'on ne peut qu'encourager.

La formation intercatégorielle chef de cuisine-gestionnaire est un levier à privilégier. De même, la mise en place d'un projet pédagogique d'éducation à l'alimentation coordonnée par les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) favorise une réflexion systémique sur les repas servis au restaurant scolaire. Cette réflexion s'appuie sur les recommandations du groupement d'étude des marchés de restauration collective et de nutrition (GEM-RCN), ainsi que sur l'arrêté du 30 septembre 2011 relatif à la composition moyenne des repas scolaires, qui assure une appropriation de ces recommandations par tous les acteurs. Enfin, ces dispositions reposent sur une organisation locale conçue en fonction des ressources mobilisables et des besoins du territoire.

Je suis évidemment tout à fait prêt à adresser des recommandations nouvelles aux gestionnaires de manière à ce qu'ils soient attentifs aux politiques publiques des départements. Il y a là un enjeu éducatif fondamental, mais aussi un enjeu de société : il s'agit de favoriser l'établissement de bonnes relations entre nos élèves et le monde agricole qui les entoure.

Dans sa réponse, le ministre a reconnu que, s'agissant des collèges, « la restauration scolaire des collèges est une compétence partagée entre le conseil départemental et l'établissement public local d'enseignement » et qu'il fallait encourager une étroite collaboration entre ces intervenants. Il a cité l'arrêté du 30 septembre 2011 relatif à la composition moyenne des repas scolaires comme outil d'appropriation de ces recommandations par tous les acteurs. Mais si les dispositions de cet arrêté définissent les ingrédients et la valeur nutritive des aliments, elles se bornent à indiquer que « Les gestionnaires des restaurants scolaires doivent exiger de leurs fournisseurs que les produits alimentaires qu'ils livrent soient conformes aux valeurs précisées à l'annexe II du présent arrêté » sans aucune référence aux spécificités d'une organisation locale ou des ressources mobilisables du territoire.

Le ministre s'est montré « évidemment tout à fait prêt à adresser des recommandations nouvelles aux gestionnaires de manière à ce qu'ils soient attentifs aux politiques publiques des départements ». Cette réponse va dans le bon sens, toutefois on peut considérer qu'il subsiste encore une marge importante de progression pour coordonner et appuyer les politiques alimentaires territoriales, à tous les niveaux de collectivités territoriales, auprès des responsables de la commande publique du ministère de l'Éducation nationale.

*

* *

Les conclusions du présent rapport s'appuient sur les bonnes pratiques et préconisations présentées par les élus locaux au cours de la table ronde du 19 décembre 2019, dont les actes sont reproduits ci-après.

ACTES DE LA TABLE RONDE DU JEUDI 19 DÉCEMBRE 2019 : « ALIMENTATION SAINE ET DURABLE : QUELS MOYENS D'ACTION POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ? »

I. INTRODUCTION PAR M. JEAN-MARIE BOCKEL, PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET À LA DÉCENTRALISATION

M. Jean-Marie Bockel, président . - La question de l'alimentation place les élus locaux en première ligne. Sur le plan législatif : la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite «  Egalim », fixe, pour la restauration collective publique, l'objectif d'ici à 2022 de servir au moins 50 % de produits durables ou de labels de qualité, avec un minimum de 20 % de produits bio. Au plan sociétal, la demande des administrés en matière de santé, de traçabilité, de qualité de l'alimentation, notamment dans les cantines scolaires, n'a jamais été aussi forte. L'enjeu est considérable avec, par exemple, 1,15 milliard de repas par an.

À ce jour, moins de 4 % de produits bio sont proposés pour l'approvisionnement des cantines. Quels circuits d'approvisionnement mettre en place ? Une production locale en circuit court ? Faut-il favoriser la grande distribution bio ?

Une réponse classique consiste à fixer des clauses dans les marchés publics de restauration. Y a-t-il d'autres voies à explorer plus innovantes ?

Au niveau de « l'assiette », certaines collectivités ont fait le choix du 100 % bio et participent à des programmes européens. Par exemple, la ville de Mouans-Sartoux, ici représentée par M. Gilles Pérole, est cheffe de file dans le programme européen Biocanteens pour diffuser de bonnes pratiques.

Des intercommunalités ont lancé des projets sélectionnés dans le cadre du programme d'investissements d'avenir « Territoires d'innovation » pour créer des filières agroécologiques d'approvisionnement en circuit court. C'est le cas de Dijon Métropole, avec le projet « Alimentation durable 2030 », dont M. Benoît Bordat nous parlera.

Enfin, sur un mode plus médiatique et politique, la prise d'arrêtés municipaux anti-pesticides, initiée en mai 2019 par le maire de Langouët, a relancé le sujet des moyens d'action concrets à la disposition des élus locaux. Après l'annulation de cet arrêté par le tribunal administratif de Rennes, le 25 octobre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, en novembre dernier, décidé de ne pas suspendre les deux arrêtés anti-pesticides pris par les maires de Gennevilliers et de Sceaux sur le territoire de leur commune, au motif que « les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées ».

MM. Daniel Cueff et Patrice Leclerc, respectivement maires de Langouët et de Gennevilliers, nous éclaireront sur les procédures en cours et les raisons locales et juridiques qui les ont conduits à prendre ces arrêtés.

Je précise que cette table ronde n'a pas pour objet de rentrer dans un débat scientifique sur la pertinence des décisions prises par ces communes. Ce qui nous intéresse, ce sont les moyens juridiques, les logiques de projets employées par les élus locaux pour développer une politique d'alimentation sur leur territoire.

Je remercie les collègues qui se sont joints à notre délégation ce matin : Mme Françoise Cartron, qui travaille sur le thème de l'alimentation à l'horizon 2050 au sein de la délégation à la Prospective, et M. Joël Labbé, qui est à l'origine de la loi du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national.

II. PREMIÈRE SÉQUENCE : LA PAROLE DES ÉLUS LOCAUX SUR LA QUESTION DES ARRÊTÉS MUNICIPAUX ANTI-PESTICIDES

A. M. DANIEL CUEFF, MAIRE DE LANGOUËT

M. Daniel Cueff, maire de Langouët . - Ma commune, située entre Rennes et Saint-Malo, compte 602 habitants. Nous sommes engagés depuis vingt ans dans la transition écologique : toutes les décisions municipales sont examinées à l'aune de cette question. La commune produit 100 % de son électricité pour les besoins communaux, construit du logement social très écologique, récupère les eaux de pluie pour les sanitaires, et nous avons appliqué -- dix-huit ans avant la « loi Labbé » -- l'interdiction des pesticides dans l'entretien des espaces communaux, y compris le cimetière et le terrain de foot. Nous avons été la première cantine 100 % bio de France, il y a seize ans ; nous voulons éviter que les enfants ne consomment des pesticides et souhaitons soutenir une agriculture moins polluante pour les sols et l'eau.

La population est donc très sensibilisée aux questions des pesticides et elle a été abasourdie par la démission de Nicolas Hulot, parti en déplorant de ne pas obtenir les arbitrages qu'il voulait pour la transition écologique. Et c'est dans ce contexte que l'on a constaté, à partir d'une analyse d'urine, des taux de glyphosate 30 fois supérieurs à la norme pour une petite fille, dont les parents consomment bio, qui mange à la cantine. Cela a fait événement dans la commune, les gens sont venus me demander de faire quelque chose. Or, j'avais déjà pris en 2016 un arrêté pour protéger les ruches contre les pesticides tueurs d'abeilles dans un rayon de 3 kilomètres. Le préfet n'y avait rien trouvé à redire et personne n'en avait entendu parler... J'essaie alors de convaincre les agriculteurs que les conversions bio sont profitables dans le territoire, à proximité de Rennes, mais ils me répondent que ce n'est guère possible pour eux, qu'ils ont déjà engagé bien des investissements pour l'agriculture raisonnée.

C'est alors que j'ai pris un arrêté, non pas d'interdiction des pesticides, mais imposant une distance d'éloignement des pesticides de 150 mètres, distance que nous avons trouvée dans une étude sur des terrains de sports en Allemagne. Des solutions techniques existent pour cultiver dans ces 150 mètres, nous y avons travaillé et la configuration du village s'y prête. Malheureusement, madame la préfète de la République, qui n'avait manifestement pas pris la mesure de là où elle venait d'arriver en tant que fonctionnaire, a adressé un communiqué de presse à Ouest-France - journal le plus lu en France et seul journal vraiment très lu en Bretagne - disant qu'elle me traduirait en justice si je ne retirais pas mon arrêté... Cette réaction a déclenché une avalanche de soutiens venus de partout, y compris de l'étranger. Les gens se mobilisent pour des raisons personnelles, contre les pesticides, parce qu'ils pensent que les pesticides sont néfastes, mais aussi pour des raisons institutionnelles, ils ne comprennent pas pourquoi un maire ne pourrait pas protéger la population. Le Président de la République, d'ailleurs, a déclaré que mes intentions étaient bonnes, mais que j'avais tort sur la forme... ce qui n'est guère compréhensible, en particulier vu de New York ou de Suisse...

Quelque 130 maires ont pris un arrêté similaire au nôtre, y compris en ville ; c'est très important, parce que notre message n'a rien contre les agriculteurs. Nous sommes contre des produits, contre l'usage de produits dont on n'évalue pas précisément les effets sur la santé humaine. Je vous invite à regarder une émission diffusée hier sur France 5, où l'on voit le ministre Didier Guillaume assurer que le Gouvernement fondera sa décision sur les études de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et un directeur-adjoint de l'Anses affirmer de but en blanc que l'Agence ne dispose pas d'étude sur le sujet : c'est un retournement spectaculaire, en direct...

En réalité, les effets des épandages de pesticides ne sont pas étudiés d'assez près. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) nous dit que les agriculteurs respectent les indications, en particulier les procédés anti-dérives, mais il faut tenir compte du temps pendant lequel il ne faut pas pénétrer sur les surfaces traitées, et l'effet des vents pendant cette période -- pour le colza, dans ma commune, c'est 48 heures... pendant lesquelles de véritables cocktails se forment.

En outre, des mesures ont été faites par les agences de l'air, à la demande de Nicolas Hulot quand il était ministre, mais n'ont pas été rendues publiques. Pourquoi ? C'est incompréhensible, inacceptable. Enfin, il faut savoir que 96 % de nos compatriotes, selon un sondage de l'Ifop, approuvent les arrêtés que nous avons pris.

B. M. PATRICE LECLERC, MAIRE DE GENNEVILLIERS

M. Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers . -- Ma commune compte 46 000 habitants et 46 000 emplois, dont beaucoup sont industriels -- nous venons d'être labellisés territoire d'industrie par le Gouvernement. Pourquoi avoir pris cet arrêté anti-pesticide dans une telle ville ? D'abord, sur un plan personnel, parce que je suis apiculteur amateur et que je regrette que les abeilles soient détruites à la campagne et qu'elles vivent mieux en ville. Ensuite, parce que, sur le fond, la décision est politique : l'objectif est de changer de mode de production -- cela ne se fait pas en un jour -- : il faut soutenir nos agriculteurs pour cette transition. Ma commune s'est engagée, dès 2008, à ne plus utiliser de produits phytosanitaires pour le traitement des espaces publics -- la SNCF a continué de le faire durant plusieurs années sur les lignes qui traversent notre territoire, sans que les habitants le sachent toujours... Quoiqu'il en soit, je peux dire que toute la population soutient ces mesures, à quelques exceptions près, car il se trouve toujours quelqu'un pour dire que le nucléaire c'est bien et que l'amiante ce n'était pas si mal...

Les décisions de justice intervenues contre les arrêtés ne suivent pas toutes le même raisonnement. La différence de traitement repose sur le point de vue des juges. À Rennes, la présidente a appuyé sa démonstration sur le fait que l'action du maire était légitime, mais illégale. Elle a considéré qu'une loi était nécessaire et nous a renvoyés vers les parlementaires ou le Gouvernement. À Cergy, en revanche, la juge a pris en compte la dangerosité des produits ainsi que la carence de l'État, considérant que l'action des maires était légitime parce que l'État n'agissait pas en urgence. C'est important, parce que ces éléments, que beaucoup de tribunaux administratifs ne relèvent pas, vont nous permettre de construire notre action sur le fond : nous avons pris ces arrêtés dans l'attente d'une action de l'État, pour protéger les populations. Il est donc important pour nous, maires, que l'on reconnaisse notre capacité à défendre nos populations, comme c'est le cas en situation de crise grave ou d'accident industriel.

L'interdiction des pesticides vise également à encourager la transition écologique dans le mode de production agricole. Nous avons ainsi prévu de produire en maraîchage bio, dans la ville voisine d'Argenteuil, sur quarante hectares de terres agricoles que nous allons acheter et reconvertir pour nos cantines, mais aussi pour les Associations en faveur du maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) qui s'approvisionnent aujourd'hui à plus de cent kilomètres de Paris. Faire reculer les zones d'épandages autour de l'agglomération, c'est faire reculer la pollution et permettre la transformation des terres agricoles autour de Paris afin d'alimenter les écoles de la métropole en 100 % bio et en circuit court. En zone urbaine, c'est particulièrement difficile : à Gennevilliers, nous avons aujourd'hui atteint 30 % en bio. De ce point de vue, la loi est trompeuse car elle impose un pourcentage de la somme consacrée, mais pas du nombre de produits employés.

Nous avons créé un syndicat intercommunal de trois villes pour produire les mets de nos cantines. Nous en profitons pour modifier notre chaîne de cuisson afin de supprimer le plastique, comme nous y sommes contraints. Tout cela a un coût, évalué au total à plus d'1 million d'euros. Nous penchons vers des récipients en verre, dont nous discutons de la production avec des industriels, qui dégagent moins de matière à la cuisson que l'inox.

C'est donc une politique globale, avec des surcoûts importants mais aussi des limites : par exemple, il faudra maintenant stocker les gamelles, alors qu'auparavant on jetait les pochettes en plastique.

C. ÉCHANGES DE VUES AVEC LES INTERVENANTS

M. Jean-Marie Bockel, président . - Ces regards croisés entre urbain et rural sur des objectifs communs sont très intéressants.

M. Joël Labbé. - Merci à la délégation de nous permettre d'entendre les collectivités territoriales qui ont déjà expérimenté dans ce domaine. Les uns et les autres, vous êtes dans une logique globale de développement durable, de prise en compte de la santé des Français et de la biodiversité.

S'agissant de Langouët, je connais M. Daniel Cueff depuis longtemps : il a été à l'origine du réseau Bretagne rurale et développement durable (Bruded), qui rassemble aujourd'hui 172 communes de toutes tendances politiques pour mutualiser les connaissances sur tous ces sujets. J'avais été l'un des premiers adhérents lorsque j'étais maire de Saint-Nolff, c'est une structure exemplaire que la délégation devrait auditionner.

Monsieur Leclerc, vous évoquez les « trous dans la raquette » de la loi Labbé s'agissant des cimetières et des terrains de sport. En effet, ces espaces avaient été écartés du texte pour dégager une majorité, car ils sont très sensibles. Nous travaillons aujourd'hui sur un complément : nous avons constaté qu'une révolution culturelle était en cours dans les cimetières, avec une végétalisation sans pesticides mise en oeuvre par les maires en dehors de toute obligation. De même, pour ce qui concerne les terrains de sport, ce sont les parents eux-mêmes qui viennent nous demander pourquoi les épandages y sont encore permis. À mon sens, il convient de discuter plutôt que d'imposer. Enfin, il restera à traiter les espaces verts privés, relevant des copropriétés ou des entreprises, qui doivent être concernés aussi, par souci de cohérence.

M. Jean-Marie Bockel, président . - À propos de ces « trous dans la raquette », observons nos propres comportements. J'habite à Mulhouse, une ville dans laquelle il y a de nombreux jardinets. Il est frappant de constater combien, en quinze ans, nos pratiques ont évolué.

M. Marc Daunis . - Je reviens sur cette notion de niveau global : nous devons réfléchir à des politiques volontaristes à long terme et globalisantes mais il nous faut en même temps mettre en place des transitions afin d'éviter les incompréhensions. Dans ma commune, nous n'utilisions pas de pesticides afin d'amener à des changements de comportements par l'exemple. Il est pourtant difficile de dépasser les habitudes de pratiques et nous nous trouvons face à des confrontations catégorielles, alors que l'objectif en lui-même nous réunit : il en va en effet de la santé humaine, du vivant et de la terre. Cela n'est pas suffisamment mis en perspective et il importe donc d'établir en commun des transitions pour permettre d'avancer à petits pas. L'exemple des cimetières est significatif : faut-il préférer une loi idéologiquement parfaite ou une avancée contenant des dérogations lui permettant d'être adoptée et appliquée ?

Comment appréhendez-vous cette question dans votre pratique d'élus locaux ? Qui décide des transitions : les citoyens, le conseil municipal ou vous-même ? Comment parvenez-vous à construire une conscience partagée et une progression collective ?

M. Antoine Lefèvre . - S'agissant du bio en restauration collective, de l'approvisionnement, de l'organisation des circuits courts, comment avez-vous organisé la filière ? Je sais que les chambres d'agriculture et les syndicats agricoles souhaitent ne pas rester de côté ; avez-vous pu les sensibiliser localement pour aboutir à des résultats ?

Sur votre commune, vous indiquiez que des agriculteurs ont spontanément réorganisé leur mode de production. Dans ce contexte d'» agribashing », il n'est pas facile d'accompagner l'agriculture. L'achat de terres agricoles est, à ce titre, une solution intéressante, car il faut des parcelles pour les circuits courts.

M. Daniel Cueff . - Ces questions sont fondamentales. Comment parvenir à la transition ? Sur l'usage des pesticides en agriculture, la France est soumise à une directive européenne qu'elle doit transposer afin de protéger les riverains. Or, elle ne l'a toujours pas fait. C'est une carence manifeste et le maire est donc dans son bon droit en agissant.

Les plans Écophyto ont été confiés, à grands frais, au syndicat majoritaire, avec pour objectif une réduction de 50 % de l'usage des pesticides. Ceux-ci ont pourtant augmenté de 17 % dans mon secteur. Je connais bien les agriculteurs, ils me disent que cette histoire de glyphosate ne débouchera jamais sur rien, que les ministres passent, mais que le syndicat reste et qu'il les protégera toujours. Je ne constate pas du tout de préparation de la profession à un changement de modèle, car ces agriculteurs sont encombrés par la notion d'agriculture raisonnée, inventée en 2002 par la FNSEA et l'industrie chimique, et ils se félicitent de faire des efforts par rapport à leurs parents. Ils n'imaginent pas un instant nuire à la population du voisinage et cette idée leur est insupportable.

On peut échanger sans difficulté avec les agriculteurs, mais le syndicat lui-même ne veut pas discuter. En Bretagne, il préside 100 % des coopératives qui vendent des pesticides, suite à des décisions de cogestion prises après la guerre. M. Edgar Pisani, qui avait été ministre du Général de Gaulle, me disait que c'était un grand succès que d'avoir réussi à nourrir la France et à sortir l'agriculture de sa misère après la guerre, mais qu'il aurait fallu que la machine productiviste s'arrête. Or de puissants intérêts empêchent cette transition.

Les agriculteurs sont perdus : on leur annonce la fin du glyphosate, puis on recule, puis on trouve encore des arguments pour en repousser la date. Si on leur disait fermement « dans cinq ans, c'est terminé ! », on ouvrirait au contraire des possibilités, car les paysans ont des solutions.

Monsieur le sénateur Antoine Lefèvre, votre question touche au « métabolisme territorial » : la fourniture des cantines bio est liée aux circuits courts, c'est ainsi que l'on fait des économies, car les menus sont conçus selon les saisons. L'agriculture conventionnelle est trop coûteuse en logistique pour cela, elle est mieux adaptée à l'exportation, à l'international. Techniquement, il n'est pas possible de se fournir localement en conventionnel, c'est pourquoi ces démarches dégagent un espace magnifique pour l'agriculture bio.

À Langouët, cette transition est portée par quatre, bientôt cinq, anciennes familles du village, mais dans le silence. On s'en rend compte quand des agriculteurs demandent le développement de haies bocagères pour protéger les terres et les bêtes. S'ils fanfaronnent à ce sujet, ils sont en revanche rattrapés par un monde agricole qui les accuse de le trahir.

L'agriculture laitière intensive chimique a commencé à Langouët, dans les années 1960, et la totalité des haies bocagères ont été arrachées pour permettre la mécanisation. Jean-Michel Lemétayer, ancien président de la FNSEA, était d'ici -- je le connaissais très bien --, il défendait ainsi le productivisme, la mécanisation et l'agriculture raisonnée qui devait, disait-il, empêcher de se passer des pesticides !

M. Jean-Marie Bockel, président . - J'habite non loin de la centrale nucléaire de Fessenheim et je constate que, contrairement aux Suisses, par exemple, nous ne savons pas bien gérer les transitions en fixant des objectifs précis auxquels tout le monde doit se tenir.

M. Patrice Leclerc . - Les discussions les plus vives sur l'agriculture sont celles que j'ai avec les membres de ma famille qui sont agriculteurs dans la Manche. L'agriculture raisonnée est un piège : les agriculteurs ont le sentiment de respecter la nature et les hommes, alors que les pesticides sont toujours répandus et font toujours autant de dégâts. Il serait intéressant de voir comment on pourrait enseigner dans les écoles d'agriculture un autre mode de production, moins productiviste et sans pesticides.

Je reviens sur le débat entre la tradition et la rupture. Je suis issu d'une tradition politique plutôt portée sur la rupture, mais je partage votre idée, on peut inscrire la rupture dans le temps. L'interdiction de fumer a été brutale et a profondément bouleversé nos vies. Chacun avait beau savoir qu'il était dangereux de fumer, il était très difficile de s'arrêter. Lorsque l'on ne fumait pas et que d'autres fumaient, il fallait tout simplement que les non-fumeurs sortent de la pièce. En définitive, cette interdiction brutale a permis à ceux qui le désiraient d'arrêter de fumer. Ainsi la rupture peut être nécessaire, surtout lorsqu'il s'agit de questions de santé.

Comme maire, il faut acter la rupture. On peut mesurer la capacité d'acceptation de la population. À Gennevilliers, on a interdit les produits phytosanitaires dans les cimetières en 2008. Il a fallu deux ans pour que les gens s'habituent, comme lorsque l'on a instauré le fauchage raisonné des pelouses publiques ou que l'on a réintroduit des herbes au pied des arbres. C'est le temps nécessaire aux personnes pour redéfinir leur rapport au beau et, dans les cimetières, à la dignité. L'effort est d'ailleurs sans doute plus difficile dans les villes populaires qui aspirent à reproduire les canons classiques du chic, symbolisés couramment par des gazons anglais ou des buissons bien taillés.

Les maires doivent donc dire non seulement ce qu'ils font, mais pourquoi ils le font. Il convient en fait de donner du sens et de faire oeuvre de pédagogie, notamment à travers des débats publics pour associer les populations. La politique passe par le conflit, qui permet d'avancer par la délibération commune et de parvenir à un compromis dans le sens de l'intérêt général. Mais pour cela il faut afficher une position de rupture afin de donner un sens et permettre d'organiser la transition. Mais, à l'inverse, si on privilégie la transition sans afficher d'objectif de rupture, il n'y aura pas de transition et on maintiendra l'existant, comme l'a bien montré Yves Salesse dans Réformes et révolution.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je vous remercie. J'ai été très intéressé par vos propos. Lorsque j'étais président d'agglomération, j'éprouvais parfois un sentiment d'échec sur certains points qui n'avançaient pas assez vite. On m'expliquait que les transitions prenaient du temps... Je l'avais dit à mon successeur, les choses se sont accélérées. En fait, quand on veut, on peut !

Passons maintenant à la seconde séquence, consacrée à un échange sur les bonnes pratiques pour mettre en oeuvre une alimentation saine et durable -- souvent, les bonnes pratiques précèdent la loi ou l'inspirent.

III. SECONDE SÉQUENCE : LES BONNES PRATIQUES ET MOYENS MIS EN oeUVRE POUR UNE ALIMENTATION SAINE ET DURABLE

A. M. GILLES PÉROLE, MAIRE-ADJOINT DE MOUANS-SARTOUX, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION « UN PLUS BIO »

M. Gilles Pérole, maire-adjoint de Mouans-Sartoux, président de l'association « Un Plus Bio ». - À l'origine du projet de cantine 100 % bio à Mont-Sartoux, on trouve le principe de précaution. L'idée est née en 1998, au moment de la crise de la vache folle. Comme il était interdit de servir du boeuf dans les cantines, nous sommes passés au boeuf bio. On a pris conscience des effets possibles des techniques agricoles sur la santé et l'environnement. M. André Aschieri, à l'époque député-maire de la commune, présidait un groupe de travail sur la santé et l'environnement d'où est sortie l'idée de créer l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, qui a depuis été intégrée à l'Agence nationale de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. Il essayait de mettre en oeuvre localement le principe de précaution. Les scientifiques nous alertent sur les risques sanitaires liés à l'utilisation de produits chimiques dans l'agriculture. La question pour les décideurs publics est de trouver les moyens pour en tenir compte dans leurs décisions. Les citoyens sont aussi très informés. Il existe une attente sociétale forte.

À Mouans-Sartoux, nous organisons un festival du livre depuis trente ans, au cours duquel nous accueillons 60 000 personnes en trois jours. Ce festival, lieu de débats et de discussions, a alimenté nos réflexions et nous avons construit notre projet à la lumière de ces sources d'information. C'est un élément important à noter, ce festival a servi de base à la construction d'une culture commune avec la population.

J'en reviens à l'alimentation. Le Grenelle de l'environnement avait fixé un objectif de 20 % de bio dans les cantines en 2012. Nous n'en sommes encore, au niveau national, qu'à 4 %... Si le bio est important, pourquoi ne pas basculer totalement ? On a donc décidé, en 2008, de passer le plus vite possible au 100 % bio. On voulait le faire à coût constant. En fait, en passant de 20 % d'aliments bio en 2008 à 100 % en 2012, on a économisé 6 centimes par repas sur le coût des achats - le coût d'achat des repas est passé de 1,92 euro à 1,86 euro. L'économie réalisée tient au changement des pratiques et à la réduction du gaspillage alimentaire, qui représente un tiers des volumes en restauration collective !

Outre la question du coût, il fallait résoudre la problématique de l'approvisionnement. Le département des Alpes-Maritimes n'est plus une terre agricole, à l'exception des fleurs pour les parfums. L'élevage et le maraîchage dans l'arrière-pays ont disparu au profit d'une urbanisation galopante.

Il est possible d'acheter local par le biais de marchés publics -- on a essayé --, mais personne n'a répondu puisqu'il n'y avait plus de producteurs. On a donc créé une régie municipale agricole. Depuis 2011, nous produisons les légumes de notre cantine. Sur un terrain de 6 hectares, nous avons salarié trois agriculteurs qui produisent 27 tonnes de légumes et couvrent 95 % de nos besoins pour fournir les 1 300 repas servis chaque jour dans la commune. La conclusion est donc que les solutions viennent souvent des territoires et que les élus locaux sont capables de les construire.

Dans le plan local d'urbanisme de 2012, nous avons classé 112 hectares en zone agricole, contre 40 précédemment, la commune ayant une superficie de 1 350 hectares. Cela ne suffit pas à nourrir la population, mais cette décision a constitué un marqueur politique à quelques mois des municipales.

Nous partageons notre expérience avec d'autres villes européennes, dans le cadre du programme de coopération territoriale européen « Urbact » au sein du réseau « Biocanteens », ainsi qu'avec neuf villes françaises dans le réseau « Cantines durables - Territoires engagés ». Nous accompagnons ces collectivités pendant deux ans pour les aider à impulser une dynamique adaptée aux problématiques locales. On a aussi créé, avec l'université Côte-d'Azur, une formation universitaire pour former des chefs de projet en alimentation durable dans les collectivités. Ainsi, en trois ans, une cinquantaine de personnes ont été formées.

Le réseau des territoires « Un Plus bio » regroupe 280 communes, sept départements et une région, avec l'objectif de travailler ensemble pour développer la restauration collective bio locale et durable. Il s'agit d'un échange de bonnes pratiques entre territoires. Nous organisons chaque année les « Victoires des cantines rebelles », à l'Hôtel de ville de Paris, qui récompensent et mettent en lumière les expériences réussies afin de donner des idées à d'autres territoires. Nous souhaitons aussi faire évoluer les lignes au niveau national. Lorsque le Sénat hésitait sur l'objectif de 20 % de bio dans les cantines, lors de l'examen de la loi Egalim, nous avions publié avec Joël Labbé une tribune dans Libération pour défendre cet objectif et réaffirmer qu'il était accessible. Finalement, le seuil de 20 % de produits bio a été adopté. Ce seuil, qui figurait déjà dans le Grenelle de l'environnement, représente une étape, mais nous considérons qu'il faut aller au-delà. Il ne doit pas constituer un plafond de verre pour l'alimentation bio. Je vous invite à engager la réflexion pour aller vers une loi Egalim 2 et poursuivre la dynamique après 2022.

Nous travaillons aussi sur les enjeux de production. Dominique Granier, président de la Safer Occitanie, ancien président de la chambre d'agriculture du Gard et ancien président départemental de la FNSEA, a identifié 58 000 hectares de friches en Occitanie qui pourraient être dédiés à la production d'alimentation bio. Le potentiel existe, il faut l'exploiter.

Un mot sur les marchés publics. En jouant sur les critères d'attribution, il est possible de favoriser l'approvisionnement local, mais les petits agriculteurs ne peuvent pas répondre aux marchés publics, car il faut s'inscrire sur une plateforme avec une procédure administrative lourde. Surtout, comment s'engager à l'avance à fournir une production que l'on n'est pas sûr de pouvoir produire ? Les aléas climatiques, comme les inondations ou les canicules, peuvent détruire les récoltes. En juin prochain, à l'invitation de Marc Tarabella, député européen belge, nous plaiderons au Parlement européen pour la création d'une exception alimentaire dans les marchés publics, en nous inspirant des travaux de François Collart-Dutilleul, chercheur en droit de l'alimentation. L'alimentation n'est pas une marchandise comme les autres. Elle devrait être traitée différemment dans les marchés publics. Nous souhaitons qu'il soit autorisé de procéder à l'octroi en gré à gré d'une partie de chaque lot d'un marché public, sous réserve d'un approvisionnement auprès de petits producteurs locaux qui travaillent en bio.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci pour ces éléments. Les marchés publics ont permis de rendre plus transparentes les procédures, mais ils ne doivent pas être rigides en effet. Je cède la parole à M. Benoît Bordat, conseiller métropolitain de Dijon Métropole délégué à l'agriculture périurbaine, en charge du projet « Alimentation durable 2030 ».

B. M. BENOÎT BORDAT, CONSEILLER MÉTROPOLITAIN DE DIJON MÉTROPOLE DÉLÉGUÉ À L'AGRICULTURE PÉRIURBAINE, EN CHARGE DU PROJET « ALIMENTATION DURABLE 2030 »

M. Benoît Bordat, conseiller métropolitain de Dijon Métropole délégué à l'agriculture périurbaine, en charge du projet « Alimentation durable 2030 ». - Au printemps dernier, le maire de Dijon, François Rebsamen, a pris un arrêté interdisant le glyphosate car, si les agents de la collectivité et les particuliers n'utilisaient plus de pesticides de synthèse, certaines entreprises ou copropriétés privées en utilisaient encore.

Avant de vous présenter notre projet « Territoires d'innovation - grande ambition » (TIGA), un mot sur l'historique. La métropole entretenait des liens étroits avec le monde agricole, la chambre d'agriculture et les syndicats, à travers le réseau Terres en ville ; nous avions institué des marchés fermiers ; établi un partenariat avec la chambre d'agriculture et la Safer. En 2015, nous avions fait l'acquisition de 300 hectares de terres agricoles dans un souci de reconquête agricole ou viticole, ce qui nous a permis de réinstaller des jeunes agriculteurs ou viticulteurs travaillant en bio. Nous possédions aussi une régie municipale pour la restauration scolaire. Faute d'une légumerie, nous sommes obligés d'acheter des légumes de 4e gamme.

Nous avons répondu à l'appel à projets de l'État « Territoires d'innovation - grande ambition » dans le cadre du programme d'investissements d'avenir, et avons eu la chance d'être retenus avec notre projet d'alimentation durable. Ce projet s'inscrit dans une durée de dix ans. Il vise à associer les partenaires qui ont un lien avec le territoire, comme les entreprises Seb, Orange, etc. Les collectivités n'ont pas l'obligation de s'occuper des questions d'alimentation. Mais les citoyens sont très vigilants sur leur alimentation et nous sollicitent. Vous disiez que l'on ne savait pas gérer les transitions en France, mais il me semble que l'on y est maintenant bien obligé car ce sont les citoyens qui nous demandent d'agir.

C'est pourquoi nous avons décidé de lancer un grand projet de transformation, en associant les entreprises locales, y compris de l'agro-alimentaire. On a noué des alliances avec les territoires agricoles environnants, rencontré des groupes d'éleveurs, des laitiers, des producteurs maraîchers. Puis, nous avons regroupé les marchés publics de tous les établissements publics de la ville. Cela représente un marché public de 14 millions de repas par an. Nous avons calculé les surfaces agricoles nécessaires ; cela représenterait 100 hectares de légumes, 50 hectares de pommes de terre, 35 hectares de légumes racines, etc. Cela semble énorme mais si l'on rapporte ce total à la surface agricole du département - 460 000 hectares --, on constate que l'effet de levier est bien modeste. Il convenait donc d'associer à notre démarche « du champ à l'assiette » les industriels, les supermarchés locaux, qui sont aussi confrontés, de leur côté, à une baisse de la fréquentation et à des changements dans les modes de consommation sous l'effet du numérique et de certaines applications comme Yuka. Nous pensons que les nouvelles applications peuvent être intéressantes, que de nouvelles technologies, comme celles développées par Seb, permettront de faciliter la transformation des produits bruts et d'inciter les gens à changer d'alimentation. Ainsi avons-nous défini 24 actions, qui doivent être déclinées sur une dizaine d'années.

On a aussi identifié un millier de familles en situation de précarité et qui ne consomment pas suffisamment de fruits et légumes. Nous allons donc tester pendant six mois un système de tickets alimentaires pour voir si l'on parvient à changer leurs habitudes.

Pour que les circuits courts fonctionnent, il faut qu'ils procurent un prix rémunérateur à l'exploitant agricole, tout en restant abordables pour le consommateur. Nous sommes en train de développer un label agro-écologique avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), avec un système de flashcode, pour garantir que les produits respectent trois conditions : sociale, environnementale et locale. L'INRA de Dijon travaille aussi, par ailleurs, à des solutions alternatives au glyphosate.

Ce projet sera doté de 45 millions d'euros en dix ans. Le Premier ministre avait annoncé une grande enveloppe de 450 millions d'euros, mais en ce qui concerne le programme TIGA, nous pourrons mobiliser 26 millions d'euros du secteur privé, tandis que l'État va nous accompagner « généreusement » à hauteur de 3 millions d'euros avec éventuellement des participations de 7 à 8 millions... Nous avons la chance d'avoir des partenaires privés, je ne sais pas comment feront ceux qui n'ont pas d'autres sources de financement !

Un mot aussi sur les projets alimentaires territoriaux (PAT) : ils sont très en vogue, mais il manque un référentiel partagé. Il conviendrait de réfléchir à une trame commune.

En conclusion, je veux souligner l'importance de nouer une alliance des territoires autour de la ville. Dijon est entouré de terres d'élevage, de polyculture, de maraichers. On peut envisager de prendre des parts dans un abattoir local : pourquoi faire venir la viande de loin alors que l'on a un abattoir à proximité ? C'est aussi une question de bien-être animal.

C. ÉCHANGES DE VUES AVEC LES INTERVENANTS

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci. Je ne voulais pas paraître pessimiste en parlant des difficultés à réaliser les transitions : quand il y a un projet, on trouve les moyens, mais si le projet n'existe pas ou que l'on se décourage, la question des moyens reste ouverte.

Je souscris tout à fait à vos propos sur l'alliance des territoires. C'est indispensable. Les démarches volontaristes de rapprochement entre collectivités sont une voie d'avenir.

M. Marc Daunis . - Il faut trouver les équilibres dans les usages de la nature, lieu d'agrément, lieu de production ; c'est une question d'aménagement du territoire. Comment rester dans l'équilibre, éviter le grignotage urbain ? Pour lancer la vigne communale, nous avons dû abattre des arbres, qui avaient eux-mêmes un impact et une fonction dans le paysage. On ne peut s'arrêter au nombre d'arbres, la réflexion doit être globale.

Quand j'ai créé le Parc naturel, nous nous sommes demandé, avec l'industrie grassoise du parfum, comment retrouver des emplois : il nous a fallu dix ans...

Il faut donc dépasser le périmètre de la commune, nous devons avoir une vision plus vaste du territoire. Comment changer d'échelle dans un département qui, à l'instar des Alpes-Maritimes, compte plus d'1,5 million d'habitants ? Avec quelle production locale ? Comment privilégier les circuits courts, plutôt qu'une labellisation bio qui peut ne pas suffire sur le territoire et conduire à importer plus d'aliments, avec donc plus de transports, de pollution ?

M. Joël Labbé . - Je crois centrale la question de la relocalisation de l'alimentation, et donc celle de la sûreté alimentaire. Tout ce qu'on pourra relocaliser sera autant de gagné pour la rémunération des agriculteurs, mais aussi pour la réconciliation avec le monde agricole. Je suis convaincu que la grande majorité de nos concitoyens aiment les agriculteurs. J'attends qu'autour de la table on en discute, au nom du bien commun et des générations futures. Il faut également prendre en compte les travaux sur la résilience alimentaire et la sécurité civile : si les circuits sont coupés, notre pays ne peut se nourrir au-delà de quelques jours : il faut en être conscient.

Merci et bravo pour le choix des intervenants ; des territoires agissent déjà, on a besoin d'audace politique.

Enfin, si les projets alimentaires territoriaux sont facultatifs dans la loi d'avenir agricole, il nous manque un référentiel qui éviterait la dispersion. Pourquoi ne pas prendre exemple sur l'organisation territoriale avec les SCoT ?

M. Jean-Marie Bockel, président . - Nous pourrions organiser une table ronde plus large, avec des représentants du monde agricole ; nous sommes dans notre rôle en entendant tous les points de vue et en cherchant des solutions d'équilibre.

M. Benoît Bordat . - En matière de production locale, nous sommes tout de même attachés à la certification, comme la Haute valeur environnementale (HVE), par exemple, et nous devons donner des moyens aux agriculteurs, en bio notamment, car le local en soi n'est pas une garantie de qualité. Ensuite, l'alliance des territoires ne concerne pas seulement la production, mais offre aussi des opportunités pour des unités de transformation.

Nous avons une part de responsabilité dans l'« agribashing », parce que nous ne disposons pas d'instances locales dans lesquelles l'urbain et le rural seraient obligés de se croiser et d'échanger. Il est primordial de créer ces espaces de dialogue.

Cela dit, nous sommes disponibles pour qui le souhaite, nous collaborons déjà avec beaucoup d'opérateurs et ces nombreuses initiatives ont donné lieu à des publications.

Enfin, je souhaitais vous soumettre une difficulté juridique : nous peinons à accompagner des projets agricoles par des financements, car notre métropole ne dispose pas de la compétence agricole. Nous avons des leviers au titre du développement économique, mais rien qui touche spécifiquement au secteur agricole.

M. Jean-Marie Bockel, président . - L'association France urbaine, en lien avec le Parlement et l'exécutif, peut réfléchir à cette dimension, mais gardez à l'esprit que ce qui n'est pas interdit est possible.

Comment organisez-vous votre relation avec les territoires qui se situent en dehors de la métropole sur ces sujets ?

M. Benoît Bordat . - Nous avons rencontré treize communautés de communes, que nous avons fédérées dans une alliance territoriale, avec lesquelles nous avons passé des contrats écologiques en fixant ensemble des objectifs. Nous contractualisons donc avec les territoires. L'alimentation est une porte d'entrée, qui nous permet ensuite d'aborder la question des déchets, de l'eau et d'envisager des partenariats. La mise en place d'un PAT, qui coûte très cher, nous permet donc ensuite de les accompagner par l'exemple, car l'alimentation fait consensus au-delà des clivages politiques.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci pour ces précisions que je voulais vous entendre dire.

M. Gilles Pérole . - Je vous enverrai la référence de l'observatoire de « Un Plus Bio » : on apprend beaucoup de choses intéressantes d'un échantillon de 600 000 repas par jour ! Le déclencheur de ces projets, c'est à 65 % la volonté politique.

Il faut également réfléchir à l'aménagement : aujourd'hui, toute la ceinture alimentaire est devenue ceinture économique, avec des commerces et des bureaux, alors que l'on envisage de créer une agriculture urbaine sur les toits, des fermes verticales en ville, etc. C'est marcher à l'envers : il faut sauver les terres agricoles en périphérie.

La meilleure entrée, c'est la souveraineté alimentaire, une expression chère à « Un Plus Bio » : chaque territoire doit décider de ce qu'il accepte de manger, de la provenance et de la qualité de la nourriture, et ce, pour chaque aliment. Je ne suis pas d'accord pour considérer, comme cela a été dit, que le local était préférable au bio. Il faut les deux ; à défaut, cela signifierait que l'on fait passer les pesticides sur nos territoires. On a vu le changement qu'a entraîné, il y a quelques années, le passage du bio au local « raisonné » : attention à la qualité ! Ce point est intimement lié au PAT, car construire la souveraineté alimentaire, c'est mettre en ordre de marche les acteurs locaux de l'alimentation.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Je vous remercie pour tous ces échanges très intéressants.

PRÉSENTATION DU RAPPORT EN RÉUNION DE DÉLÉGATION LE 23 AVRIL 2020

Réunie le 23 avril 2020 en visioconférence, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a entendu la communication de M. Jean-Marie Bockel sur les conclusions de la table ronde du 19 décembre 2019 « Alimentation saine et durable : quels moyens d'action pour les collectivités ? ».

M. Jean-Marie Bockel, président . - J'en viens maintenant aux conclusions de la table ronde que nous avions organisée le 19 décembre dernier sur la thématique « Alimentation saine et durable : quels moyens d'action pour les collectivités ? ». Cette question des circuits courts en plein confinement a pris une importance que nous n'imaginions pas, à l'aune des initiatives prises par les producteurs, les commerçants et les collectivités. Ce n'était néanmoins pas le seul aspect de la table ronde que nous avions eue à l'époque.

Nous avions organisé nos débats en deux séquences avec une première discussion sur les arrêtés anti-pesticides pris par MM. Daniel Cueff, maire de Langouët et Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers. Sans revenir sur le débat, il était très intéressant d'observer la complémentarité entre un maire rural et un maire urbain sur la question de l'interdiction ou non des glyphosates, sujet transpolitique, puisque les villes de Sceaux ou d'Antony ont pris les mêmes dispositions.

La seconde séquence était consacrée aux bonnes pratiques locales en matière d'alimentation saine avec la ville de Mouans-Sartoux, cheffe de file dans le programme européen « Biocanteens » pour diffuser de bonnes pratiques, représentée par M. Gilles Pérole, maire-adjoint et président de l'association « Un plus bio ». Était également représentée, pour un milieu plus urbain, Dijon Métropole, pour le projet « Alimentation durable 2030 », sélectionné par le Gouvernement dans le cadre du programme d'investissements d'avenir « Territoires d'innovation », avec la présence de M. Benoît Bordat, conseiller métropolitain délégué à l'agriculture périurbaine.

Nous avions également invité deux collègues sénateurs au titre de leurs travaux et de leur intérêt pour ces questions : Joël Labbé, jadis membre actif de notre délégation et auteur de la proposition de loi qui fut à l'origine de la loi du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national - qui constitue un premier pas -, et Françoise Cartron, co-rapporteure avec Jean-Luc Fichet au sein de la délégation à la prospective, sur le thème de l'alimentation à l'horizon 2050.

Nous avions fait le constat que les élus locaux sont naturellement en première ligne sur les questions de santé et d'alimentation saine des populations, et nous attendions de nos invités qu'ils nous présentent leurs expériences concrètes.

Je rappelle les bonnes pratiques et les préconisations qu'ils nous ont présentées :

- étendre progressivement la pratique de non-utilisation de produits phytosanitaires aux cimetières et terrains de sports. La loi du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national ne l'interdit pas mais ne l'impose pas davantage ;

- encourager le développement des projets alimentaires territoriaux créés par la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, d'une part, par l'élaboration d'un référentiel commun, en prenant exemple sur les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, d'autre part, en respectant la diversité des stratégies des parties prenantes et des territoires concernés (création de régie agricole municipale, formation des chefs de projets en alimentation durable, etc.) ;

- nouer des alliances de territoires et de collectivités pour favoriser les interactions entre territoires urbains et ruraux. Je crois beaucoup à ce sujet, qui avait d'ailleurs été abordé lors d'un déplacement dans le Gers dans le cadre d'un travail précédent de notre délégation sur les ruralités. Je pense que nous pouvons aller plus loin dans ce domaine, par exemple en identifiant ou en faisant l'acquisition de friches ou terres agricoles reconvertibles en circuits courts ou agriculture biologique. On présente très souvent les grandes agglomérations comme minées par le mitage territorial. Il faut donc une solution alternative pour pallier cette tentation qu'ont souvent les agriculteurs de vendre. Dans cette perspective d'alliance territoriale, il pourrait également être intéressant de regrouper les marchés publics des collectivités et établissements publics pour une meilleure efficacité dans ce domaine. L'alliance des territoires est un sujet que je viens d'aborder de manière générale et pourrait faire l'objet d'un travail approfondi.

Il nous avait été ensuite présenté les idées de réserver le classement des terres agricoles périurbaines dans les plans locaux d'urbanisme et les projets de territoires et de promouvoir le changement des pratiques de consommation et la lutte contre le gaspillage alimentaire pour contenir les coûts d'approvisionnement locaux.

Ces bonnes pratiques ne nécessitent pas de modification du cadre réglementaire et législatif existant. Elles méritent cependant d'être plus largement partagées. Cela correspond à la philosophie de notre délégation que de promouvoir ce « droit souple », adaptable à chaque situation locale, plutôt que l'adoption de règles rigides et parfois inadaptées où l'on croit régler un problème tout en en créant un autre.

Enfin, et ce sont là les dernières propositions que nous pourrions formuler, il pourrait être pertinent :

- d'autoriser les communes à exercer un pouvoir réglementaire d'adaptation locale dans le cadre de la protection de la santé des administrés et en cas de danger grave ou imminent impliquant des produits phytosanitaires. Ce sujet est controversé du fait des abus ou des situations pouvant fausser la concurrence ;

- de reconnaître explicitement une compétence agricole aux collectivités territoriales, notamment pour les métropoles au titre de la différenciation. Certaines s'en saisissent d'ailleurs déjà dans le cadre de la compétence économique ;

- de rendre possible l'octroi de gré à gré aux petits producteurs locaux d'une fraction des allotissements de marchés publics : il s'agirait de proposer une exception alimentaire dans la réglementation européenne des marchés publics. J'ai eu personnellement beaucoup de mal à faire évoluer mes cantines dans le cadre juridique qui m'était proposé.

La préconisation la plus polémique et la plus politique concerne le pouvoir des maires au sujet de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques (pesticides, glyphosates). Cette question fait l'objet de discussions en notre sein. Nous n'allons donc pas faire une recommandation sur ce point mais nous pourrions au moins nous accorder sur l'intérêt de l'évoquer au titre des préconisations des élus locaux, afin qu'elle puisse ultérieurement être abordée dans le cadre du débat parlementaire, ne serait-ce que pour clarifier la jurisprudence administrative sur le conflit de compétence entre l'État et la commune. Un cadre général est nécessaire mais il faut également une souplesse liée aux différentes situations des territoires.

J'en ai désormais terminé et j'ouvre la discussion sur la présentation de ce rapport issu de cette table ronde.

Mme Sonia de la Provôté . - Ce rapport est intéressant et traite de sujets devenus d'actualité. Il convient probablement de faire évoluer les pratiques, notamment cette forme de refus permanent, sur le plan administratif, de prendre en considération la dimension locale dans les appels d'offres, ce qui devrait pourtant être une évidence. Nous avons besoin de faire appel à nos producteurs locaux, ne serait-ce que pour encourager la filière, rendre viable sur le plan économique le fonctionnement de leurs entreprises, ainsi que pour des raisons sanitaires. La production locale est de bonne qualité sans nécessairement être bio.

Dans mon département, nous avons ouvert des marchés pour favoriser les produits locaux. Sur la question des circuits courts, nous avons un sujet car la grande majorité des maraîchages viennent de la Manche, donc du département voisin. Peut-être vaut-il mieux qualifier cette notion de circuits courts et y mettre un cadre ? Le critère de la distance en kilomètres ne nous permet pas de favoriser efficacement les produits locaux.

Je voudrais également indiquer que plusieurs SCoT ont mis en place des programmes alimentaires territoriaux avec les chambres régionales ou départementales d'agriculture et les élus. Ce type de programme, soutenu par des fonds régionaux et européens, est un outil extrêmement intéressant pour traiter l'ensemble des sujets qui viennent d'être évoqués, qu'il s'agisse des circuits courts, des appels d'offres ou de l'agriculture périurbaine. Je pense donc qu'il faudrait favoriser leur développement.

M. Daniel Chasseing . - Sur la non-artificialisation des terres en zone périurbaine, j'estime qu'il faudrait modérer cela en milieu rural. Cela entraîne des retombées néfastes car les permis de construire, déjà peu nombreux, s'en trouvent restreints. Concernant l'exception alimentaire des marchés publics, la chambre d'agriculture du département de la Corrèze crée des plateformes pour permettre aux agriculteurs d'exploiter les circuits courts. Mais nous connaissons beaucoup de difficultés liées à l'indemnisation du « prix de journée ». Les conseils départementaux en difficulté restreignent au maximum ces prix, ce qui rend le développement des circuits courts très difficile, notamment en ce qui concerne le coût de la viande.

M. François Calvet . - Je souhaite intervenir sur le problème plus global de l'accès aux marchés pour les petits producteurs. Ils ne peuvent fournir la quantité nécessaire aux cantines centrales, dont les produits ne sont jamais issus du terroir et ne font pas travailler notre agriculture, pourtant capable de fournir de très bons produits. Au lieu de cela, il faudrait multiplier les cantines locales. Si une clause de territorialisation des marchés ne peut être mise en place, nous aurons toujours beaucoup de difficultés à faire travailler les entrepreneurs locaux. Il faut veiller à laisser un peu de marge de manoeuvre aux élus locaux. Auparavant, le représentant de la direction de la consommation venait dans nos marchés. Ce n'est plus le cas. Si l'État veut envoyer un représentant, très bien, mais qu'il fasse confiance aux élus locaux pour renforcer l'économie locale.

M. Hervé Gillé . - J'ai également présidé un SCoT avec un partenariat sur un programme alimentaire territorial. Je pense qu'il s'agit effectivement d'une voie de coopération territoriale très intéressante. Je suis favorable à ce que les SCoT soient intégrateurs pour le développement de politiques plus globales à l'échelle d'un territoire. On constate de grandes difficultés pour organiser les circuits logistiques au sein d'un territoire. Ce sujet est essentiel pour configurer la chaîne de distribution, notamment celle menant des légumeries à la restauration scolaire.

Enfin, sur la gestion foncière, je pense que nous manquons encore d'objectivité aujourd'hui sur le droit à construire. Il serait intéressant d'obtenir une évaluation afin de cerner si, en milieu rural, les contraintes sont si importantes que cela et empêchent le développement du droit à construire.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Nous allons veiller à ce que les sujets que vous venez tous d'évoquer viennent enrichir les propositions issues de la table ronde, notamment sur la question de la logistique. Les bonnes pratiques que je vous ai présentées pourront ainsi être complétées. Ce rapport est un point de départ sur un sujet qui montera nécessairement en puissance avec l'expérience du confinement.

Sur la question des pesticides, le fait que nous traversions une période où la pollution s'estompe risque de faire monter le niveau d'exigence chez nos concitoyens en la matière. Logiquement, sur les enjeux climatiques et environnementaux, le monde ne pourra plus être comme avant.

La publication du rapport est autorisée au cours de la réunion du 13 mai 2020.


* 1 Source : https://www.maireantipesticide.fr

* 2 TA Rennes n° 1904029 : « [...] ni les dispositions du CGCT ayant donné au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, le pouvoir de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, ni les articles L. 1311-1 et L. 1311-2 du code de la santé publique lui permettant d'intervenir pour préserver l'hygiène et la santé humaine, ni l'article 5 de la Charte de l'environnement, ni enfin le principe de libre administration des collectivités territoriales ne sauraient en aucun cas permettre au maire d'une commune de s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale . » (considérant n° 4).

* 3 CE 24 septembre 2012 Commune de Valence, n° 342990 (réglementation des OGM) et CE 26 octobre 2011 Commune de Saint-Denis, n° 326492 (antennes de téléphonie mobile).

* 4 Décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation et arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime.

* 5 En application de l'article 46 de la loi Elan précitée, le Gouvernement a publié les ordonnances n° 2020-744 du 17 juin 2020 relative à la modernisation des schémas de cohérence territoriale et n° 2020-745 du 17 juin 2020 relative à la rationalisation de la hiérarchie des normes applicable aux documents d'urbanisme. Le contenu et le périmètre des SCoT sont modernisés pour tirer les conséquences et les faire coïncider avec la création des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) et le développement de plans locaux d'urbanisme à l'échelle des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.

* 6 Source : rapport n° 251 (2019-2020) « Les collectivités territoriales, leviers de développement des territoires ruraux » présenté par MM. Bernard Delcros, Jean-François Husson, Franck Montaugé et Raymond Vall, au nom de la délégation aux collectivités territoriales.

* 7 https://agriculture.gouv.fr/les-mesures-de-la-loi-egalim-concernant-la-restauration-collective

* 8 Ordonnance n° 2019-1069 du 21 octobre 2019 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire codifiée aux articles L. 541-15-3, L. 541-15-5, L. 541-15-6, L. 541-15-6-1, L. 541-15-6-2 et L. 541-47 du code de l'environnement.

* 9 Réponse du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse publiée dans le JO Sénat du 19/02/2020, page 1511.

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