EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 10 juin 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Joël Guerriau, M. Ronan Le Gleut et Mme Hélène Conway-Mouret.

M. Joël Guerriau . - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous nous sommes rendus début mars, avec Hélène Conway-Mouret et Ronan Le Gleut, à la conférence interparlementaire sur la politique de sécurité et de défense commune qui s'est tenue à Zagreb, dans le cadre de la présidence croate de l'Union européenne. Nous devions rendre compte de cette conférence devant la commission fin mars mais le confinement nous en a empêchés. C'est pourquoi nous avons proposé cette communication écrite.

Paradoxalement, il n'a pas été question un seul instant du coronavirus lors des échanges avec nos homologues à Zagreb. La conférence a adopté des conclusions communes, pour la première fois depuis trois ans. Nous avons insisté, avec d'autres pays de la Méditerranée, sur la nécessité pour l'UE de contribuer davantage à la stabilité de son voisinage sud, notamment en Syrie, en Libye et au Sahel.

Quelques jours plus tard, l'épidémie montrait à quelle vitesse une crise majeure pouvait venir bouleverser tant le contexte géopolitique que notre environnement quotidien.

Dès la fin mars, nous avons vu que cette crise du coronavirus serait un accélérateur stratégique. Ce constat s'est depuis confirmé : la crise accentue la rivalité sino-américaine, qui éclate aujourd'hui au grand jour.

Elle met en évidence les divisions de l'Europe. Les traités européens imposent pourtant théoriquement un principe de solidarité.

Des mesures significatives ont été prises, dans le domaine des règles de discipline budgétaire et dans celui de la politique monétaire, respectivement par la Commission et par la Banque centrale européenne. La France et l'Allemagne ont proposé un plan de relance. Ce sont des avancées importantes, qui n'étaient pas acquises.

Mais force est de constater que la réponse unie, solidaire et massive des États européens, que nous avons appelée de nos voeux début avril, se fait toujours attendre.

Surtout, la pandémie doit conduire l'Europe à une réflexion de fond sur la notion essentielle d'autonomie stratégique.

Hélène Conway-Mouret et Ronan Le Gleut vont maintenant aborder cette question.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Monsieur le Président, mes chers collègues, la crise du coronavirus a en effet mis l'accent sur l'idée d'autonomie stratégique, qui ne fait plus guère débat, du moins en France. Les enjeux sanitaires ne doivent toutefois pas nous faire perdre de vue ceux de la défense européenne.

Nous avions été déçus de la proposition de la présidence finlandaise, fin 2019, réduisant de moitié le montant initialement envisagé pour le Fonds européen de la défense.

Où en est-on ? La Commission a publié une nouvelle proposition de cadre financier pluriannuel le 27 mai, comprenant un plan de relance de 750 milliards d'euros. Ce CFP dote le FEDef de 8 Mds€ et la mobilité militaire d' 1,5 Md€ (contre près de 6 Mds€ dans la proposition initiale). La Facilité européenne de paix, qui doit servir à financer le volet opérationnel de la PSDC, est elle aussi en baisse.

Le risque est grand que la défense ne subisse encore des pressions dans la dernière phase de la négociation. Nous devons donc rester très attentifs, pour renforcer notre capacité à répondre aux crises de demain.

Il est également très préoccupant que la politique étrangère et de défense ne soit pas un sujet de négociation avec le gouvernement britannique, qui ne le souhaite pas. Or, comment envisager sérieusement d'avancer vers l'autonomie stratégique sans le Royaume-Uni ?

Je vois néanmoins deux facteurs d'optimisme pour la défense européenne, dans ce paysage en demi-teinte :

- D'une part, les ministres de la défense français, allemand, italien et espagnol ont récemment adressé au Haut-Représentant, Josep Borrell, un message tendant à faire de la sécurité et de la défense une priorité absolue, ce qui démontre une prise de conscience collective. Le commissaire européen Thierry Breton y est également attentif.

- D'autre part, la réorientation, en 2019, des exportations françaises d'armement vers nos partenaires européens est un signe de vitalité des partenariats stratégiques. Or ceux-ci ont un rôle essentiel à jouer dans la construction d'une défense européenne. Nous l'avions montré l'an dernier dans notre rapport sur le sujet, avec Ronan Le Gleut à qui je laisse maintenant la parole.

M. Ronan Le Gleut . - Monsieur le Président, mes chers collègues, la notion d'autonomie stratégique doit devenir notre boussole collective. C'est vrai pour la défense, qui a permis l'émergence de cette notion à l'initiative de la France, sous l'oeil au départ dubitatif de nos partenaires. Mais c'est vrai aussi dans tous les domaines de production stratégiques.

Il est apparu évident, lors de la phase critique de l'épidémie, que les États les plus affectés ne pouvaient pas répondre seuls à l'ensemble des défis. Mais, et c'est plus inquiétant, nous ne sommes pas non plus parvenus à apporter toutes ces réponses collectivement.

Que ce soit en matière sanitaire ou dans d'autres secteurs d'importance vitale tels que l'alimentation, l'énergie, les télécommunications, notre continent ne peut se permettre d'être dépendant, et encore moins d'être, le cas échéant, dépendant d'un seul pays. C'est l'un des enseignements majeurs de cette crise du coronavirus.

Dépassant la problématique légitime de la relance, la Commission européenne a introduit, dans le prochain cadre financier pluriannuel, la notion de résilience. L'accent doit notamment être mis sur l'investissement dans la recherche et l'innovation dans le domaine médical, grâce à un programme spécifique. La coordination entre États européens dans la gestion des crises doit être améliorée.

Au-delà de cette réponse immédiate, nous avons préconisé dans notre communication une réflexion de fond sur la notion de production stratégique.

Une démarche méthodique d'identification des domaines dans lesquels l'Union européenne peut contribuer à la souveraineté de ses États membres doit être entreprise. Une forme de « revue stratégique » est nécessaire.

Enfin, l'Union européenne et ses États membres doivent aussi mieux communiquer sur leurs réalisations. Tandis que l'Europe agissait discrètement, les Chinois et les Russes ont mis en scène leurs actions de façon beaucoup plus spectaculaire. L'Union européenne ne doit pas craindre de développer une politique d'influence, conforme à ses valeurs et complémentaire des politiques d'influence de ses États membres.

Je vous remercie.

La commission autorise la publication du présent rapport d'information, adopté à l'unanimité.

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