B. AU-DELÀ DU COURT TERME, DES ENJEUX GÉOPOLITIQUES POUR L'AVENIR

L'épidémie de coronavirus pourrait être un « catalyseur de la rivalité sino-américaine 1 ( * ) ». L'absence de position commune du Conseil de sécurité des Nations unies sur la crise du Covid-19 est révélatrice. Elle résulte notamment d'un désaccord entre les États-Unis et la Chine sur l'opportunité de mentionner l'origine du virus.

La crise sanitaire pourrait accentuer le désengagement américain vis-à-vis de l'Europe . Le Royaume-Uni , quant à lui, s'est montré peu coopératif, au début de la crise, au point que le gouvernement français a envisagé, un temps, une fermeture de la frontière, avant que le gouvernement britannique ne mette en place des mesures de confinement comparables à celles prises dans plusieurs pays européens. Critiquée outre-Manche, la décision britannique de ne pas participer au plan européen de fourniture de matériels de protection et d'appareils de ventilation respiratoire est un autre signe tangible des forces centrifuges qui s'exercent en Europe.

Tandis que l'Europe donne l'image d'un continent désuni, la Chine et la Russie deviennent de fait des recours , fournissant à plusieurs pays, notamment à l'Italie, une aide appréciable, particulièrement bienvenue pour répondre à la pénurie de matériel médical. Il y a quelques semaines, toutefois, c'est l'Europe qui se mobilisait pour aider la Chine, alors qu'elle était frappée de plein fouet. Plusieurs acteurs et observateurs estiment aujourd'hui que la Chine et la Russie utilisent la crise sanitaire pour faire avancer leurs intérêts et renforcer leur influence. Le Haut Représentant de l'UE, Josep Borrell, s'est récemment exprimé en ce sens. La secrétaire d'État aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin, a dit craindre une instrumentalisation de la solidarité internationale . Le déploiement de militaires russes en Italie, dans les zones les plus touchées par l'épidémie (Bergame) suscite des interrogations.

Dans cette lutte d'influence, l'Europe doit mieux communiquer sur ses réalisations, qu'il s'agisse des succès de la coopération transfrontalière ou de l'envoi par la France et l'Allemagne d'équipements de protection à l'Italie, dans des volumes désormais supérieurs à ceux de la Chine (d'après une note récente de la Fondation pour la Recherche stratégique). L'Europe doit investir dans la recherche médicale et dans l'innovation , notamment en matière d'équipements individuels de protection.

Enfin, si l'Europe et les États-Unis sont aujourd'hui au coeur de la pandémie, le continent africain risque aussi d'être dramatiquement touché à courte échéance. L'Europe sera-t-elle capable de faire preuve de solidarité ? Ou bien, submergée elle-même par les effets de la pandémie, laissera-t-elle ce rôle à la Chine et à la Russie, au risque, là encore, d'une instrumentalisation au service d'intérêts géopolitiques déjà en compétition sur ce continent ?

En définitive, la crise liée à la pandémie de coronavirus devra conduire l'Europe à une réflexion de fond sur la notion d'autonomie stratégique, qui doit devenir notre boussole collective. Cette notion est plus que jamais pertinente dans le domaine de la politique étrangère et de la défense. Mais elle devra aussi probablement être étendue à d'autres domaines, ce qui nécessite une réflexion sur la notion de production stratégique : que ce soit dans le domaine sanitaire (médicaments, matériel médical...) ou dans d'autres secteurs d'importance vitale (alimentation, énergie, télécommunications...), notre continent ne peut se permettre d'être dépendant, notamment lors de crises majeures.


* 1 D'après les termes d'une récente étude de l'IFRI (mars 2020)

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