IV. AXE 4 - MASSIFIER LES OPÉRATIONS DE RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE : CLEF DE VOÛTE DE TOUTE « RELANCE VERTE »

Le secteur du bâtiment , et singulièrement les opérations de rénovation énergétique, est très durement touché par la crise.

90 % des chantiers étaient à l'arrêt fin mars et 80 % fin avril 42 ( * ) .

À cette dernière date, un tiers des entreprises étaient fermées
- jusqu'à 80 % en régions Île-de-France, Grand Est et Hauts-de-France - et les trois quarts recouraient au chômage partiel 43 ( * ) .

De plus, on constate une chute de 12 % de l'activité globale du secteur du bâtiment, dont 8,5 % pour la rénovation énergétique 44 ( * ) .

Au total, pour reprendre les propos tenus devant les sénateurs par le président du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), il est à craindre « un important ?trou d'air” dans les commandes privées en 2020/2021 ».

Or, la pleine implication du secteur du bâtiment, qui représente 1,7 million d'emplois , est essentielle pour atteindre nos objectifs énergétiques et climatiques.

Tout d'abord, les émissions de ce secteur sont à la fois importantes - puisqu'elles représentent 19 % de nos émissions nationales -, stratégiques - car la réussite de la SNBC suppose une baisse de 49 % de ces émissions d'ici à 2030 - et peu maîtrisées - dans la mesure où le précédent budget carbone a été dépassé de 12,4 % dans ce domaine 45 ( * ) .

Par ailleurs, le législateur a fixé pour objectifs l'atteinte d'un parc immobilier rénové aux normes « bâtiment basse consommation » (BBC) ou assimilées en 2050 (7° de l'article L. 100-4 du code de l'énergie), ainsi que 500 000 rénovations de logements par an (Article 3 de la loi dite de « Transition énergétique » de 2015 46 ( * ) ).

La crise actuelle ne doit pas nous conduire à ralentir mais bien à accélérer compte tenu des co-bénéfices attendus de la rénovation énergétique, utile à la relance économique mais aussi à la lutte contre le changement climatique.

C'est, au demeurant, le constat indiqué aux sénateurs par la présidente du Haut Conseil pour le climat (HCC), qui appelle à « la rénovation massive des bâtiments privés et publics qui est une source d'emplois et qui génère d'autres bénéfices ».

Or, les moyens déployés jusqu'à présent par le Gouvernement dans ce secteur ne sont pas à la hauteur des objectifs fixés par le législateur.

Le président du CSCEE a ainsi fait observer aux sénateurs un « décalage entre un discours très volontariste, associé à des objectifs adaptés aux enjeux, et une diminution des aides qui nuira à la massification des rénovations énergétiques, en particulier des rénovations performantes » .

Dans ce contexte, les sénateurs proposent de faire de la massification des opérations de rénovation énergétique la clef de voûte de toute « relance verte » de l'économie.

Cela suppose d'agir en direction des professionnels, afin de débloquer rapidement les chantiers, dans des conditions sanitaires et économiques satisfaisantes.

Pour ce faire, le guide de préconisations de sécurité sanitaire, publié le 2 avril et complété le 27 mai, mériterait d'être actualisé tout au long de la sortie de crise, sous l'égide du CSCEE et en lien avec les fédérations professionnelles.

Par ailleurs, les surcoûts liés à l'application de ces préconisations
- de l'ordre de 10 % 47 ( * ) à 20 % 48 ( * ) - doivent être pris en charge, notamment pour les plus petites entreprises.

Dans cette perspective, une déduction fiscale au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) ou de l'impôt sur les sociétés (IS) serait utile.

En outre, l'accès au fonds de solidarité à destination des entreprises devrait être prolongé et étendu pour les professionnels du secteur du bâtiment, et singulièrement de la rénovation énergétique, dans des conditions similaires à celles du secteur du tourisme notamment.

Parce qu'il importe de ne pas ajouter de lourdeurs administratives aux difficultés économiques, un « moratoire » sur les normes nouvelles gagnerait à être appliqué pour accompagner la reprise : le ministre du logement ayant annoncé le décalage de l'entrée en vigueur de la règlementation environnementale 2020 (RE2020) de janvier à juillet 2021, il pourrait en être de même du diagnostic de performance énergétique (DPE).

À cette fin, le Gouvernement doit se saisir pleinement du report de six mois de l'application de ce dispositif permis par le projet de loi portant « diverses dispositions d'urgence », faisant l'objet d'un accord entre le Sénat et l'Assemblée nationale 49 ( * ) .

La massification des opérations de rénovation énergétique nécessite également d'agir en direction des ménages, en renforçant les aides publiques et parapubliques.

Le contexte de crise impose de corriger la réforme du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) , introduite par la loi de finances initiale pour 2020, qui a conduit à une baisse de 69 % de ses bénéficiaires (de 950 000 à 350 000 personnes) et de 63 % de son montant (de 1,13 milliard à 350 millions d'euros).

Tout d'abord, le CITE doit être maintenu après le 31 décembre 2020, le Gouvernement ne l'ayant prorogé que pour une durée d'un an 50 ( * ) .

Par ailleurs, les conditions d'éligibilité à ce dispositif nécessitent d'être élargies, en introduisant les ajustements proposés par la commission des affaires économiques du Sénat, lors de l'examen de la dernière loi de finances initiale : la réintégration des ménages des déciles 9 et 10 pour les travaux de rénovation globale ainsi que la réévaluation de la prise en charge de certains équipements (bois, géothermie, chaudières à très haute performance énergétique - THPE hors fioul, régulation et programmation).

Corrélativement, une telle modification permettrait d'étendre les équipements entrant dans le champ du taux réduit de TVA de 5,5 % et du chèque énergie.

Au-delà des dispositifs fiscaux, les certificats d'économies d'énergie (C2E) peuvent eux aussi être mobilisés : pour favoriser la rénovation globale, une bonification de CE2 pourrait être prévue pour ce type de travaux dans les logements individuels ; dans le même temps, il serait utile d'expérimenter un fonds d'urgence en faveur de la rénovation énergétique alimenté par les CE2, souhaité par bon nombre professionnels.

14. Charger le CSCEE, en lien avec les fédérations professionnelles, de l'actualisation du guide de préconisations de sécurité sanitaire, tout au long de la sortie de crise.

15. Instituer une déduction fiscale visant à prendre en charge les surcoûts liés à la mise en oeuvre de ces préconisations sanitaires par les entreprises.

16. Prolonger et étendre l'accès pour les opérateurs de la rénovation énergétique au fonds de soutien à destination des entreprises, à l'image du secteur du tourisme notamment.

17. Appliquer un « moratoire » sur les nouvelles normes pour accompagner la reprise, en reportant effectivement l'entrée en vigueur de la réforme du DPE.

18. Maintenir le CITE après le 31 décembre 2020.

19. Élargir les conditions d'éligibilité au CITE (réintégration des ménages des déciles 9 et 10 pour les travaux de rénovation globale, rehaussement de la prise en charge du bois, de la géothermie, des chaudières THPE hors fioul, de la régulation et de la programmation).

20. Créer une bonification de C2E pour les travaux de rénovation globale dans les logements individuels.

21. Expérimenter un fonds d'urgence sur la rénovation énergétique alimenté par les C2E.


* 42 Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE).

* 43 Fédération française du bâtiment (FFB).

* 44 Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).

* 45 Ministère de la transition écologique et solidaire (MTES).

* 46 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 47 Fédération française du bâtiment (FFB).

* 48 Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).

* 49 Au stade de la commission mixte paritaire (CMP) au jour de la publication du présent rapport d'information.

* 50 Les ménages des déciles 1 à 4 bénéficient du dispositif « Ma Prime Renov' » , depuis le 1 er janvier dernier, tandis que ceux des déciles 5 à 8 sont éligibles aux CITE pour l'ensemble des travaux (en ayant vocation à bénéficier de la prime précitée) et ceux des déciles 9 et 10 pour quelques travaux (isolation de fenêtres ou de murs, bornes de recharge).

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