B. LES MODALITÉS DE MISE EN oeUVRE DE L'ANCT

En application de la loi du 22 juillet précitée, les modalités de mise en oeuvre de l'Agence ont été précisées par le décret n° 2019-1190 du 18 novembre 2019 relatif à l'Agence nationale de la cohésion des territoires dont l'objet est d'en fixer les règles d'organisation et de fonctionnement, notamment dans les départements et dans les régions.

Puis, il aura fallu attendre le 1 er juin pour voir publiées l'instruction ministérielle du 15 mai 2020 sur les modalités d'intervention de l'ANCT ( cf. annexe II) et le Vademecum détaillant les principes d'action et la doctrine d'emploi qui seraient appliqués dans les territoires.

Ces premiers éléments ont donné lieu à la présentation le 5 juin 2020 par votre délégation aux collectivités territoriales des premiers constats et points de vigilance visant à prioriser le soutien aux projets locaux dans les missions de l'ANCT, ainsi qu'à leur transmission à la présidente de l'Agence par lettre du 11 juin 2020 ( cf. annexe III).

Enfin, le conseil d'administration de l'Agence adoptait le 17 juin suivant sa feuille de route ( cf . annexe IV) ainsi que les conventions conclues avec ses cinq opérateurs de référence.

1. La gouvernance nationale et locale

a) Quelle place pour les élus locaux dans la gouvernance de l'agence ?

S'agissant de la gouvernance nationale de l'agence, sur les 33 membres du conseil d'administration avec voix délibérative, on compte 16 représentants de l'État, 2 représentants du personnel et 1 représentant de la Caisse des dépôts et consignations. Pour leur part, les représentants de collectivités territoriales et de leurs groupements sont au nombre de 10, dont au moins 1 élu des collectivités d'outre-mer. Enfin, même si l'on ajoute les 4 parlementaires (2 députés et 2 sénateurs) désignés par leur assemblée, la place des élus, notamment locaux, demeure minoritaire.

Dans ce cadre, il convient donc tout de même de se féliciter que la présidence et la vice-présidence du conseil d'administration aient été confiées à des élus locaux : Caroline Cayeux, présidente de Villes de France et maire de Beauvais, et Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France et maire de Gargilesse-Dampierre.

Au niveau local, c'est le préfet de département, en qualité de délégué territorial de l'Agence, qui assure, le cas échéant avec le soutien du directeur départemental des territoires ou d'autres personnels de l'État en service dans le département (l'un des sous-préfets, par exemple) le secrétariat des comités locaux de cohésion des territoires. Le décret précité du 18 novembre 2019 se borne à indiquer que « la composition de chaque comité est définie par arrêté du préfet de département », lesquels ne sont appelés à se réunir qu'au moins deux fois par an, sans précision spécifique quant à la présence des élus locaux. Pour s'en tenir à la lettre du décret, le rôle des élus dans les territoires manque de précision.

Or, tout en préservant la souplesse de fonctionnement de l'ANCT, il y a tout lieu que les règles de composition des comités locaux de cohésion territoriale soient déterminées au niveau local par les préfets en concertation avec les élus locaux.

b) Chaque préfet de département incarnera-t-il l'esprit du guichet unique ?

Il faut rappeler qu'avant la création de l'ANCT, les préfets étaient déjà acteurs de l'ingénierie territoriale. En outre, cette compétence s'est élargie depuis le « Plan préfecture nouvelle génération », qui prévoyait dans chaque préfecture l'affectation d'» un responsable (attaché principal ou CAIOM), et un chargé de mission (A ou B confirmé) pour chacune des quatre grandes politiques publiques : économie/emploi, aménagement du territoire et urbanisme, environnement et cohésion sociale » .

Parmi les multiples « casquettes » du représentant de l'État dans le département, le risque pèse de la dilution de cette fonction nouvelle dans l'ensemble de ses prérogatives, mais aussi du manque de moyens, précédemment évoqué, de l'administration déconcentrée. La logique du guichet unique ( cf. schéma ci-après) plaçant le préfet au centre des relations entre les collectivités territoriales et leurs projets, les ressources d'ingénierie locale (qui par ailleurs doivent être identifiées plus finement), les opérateurs, les services déconcentrés de l'État, les comités régionaux de financement et, enfin, les services nationaux de l'ANCT, soulève véritablement la question des moyens alloués à l'instruction et au suivi des dossiers.

Si, comme certains élus le redoutent, le guichet unique se transforme en filtre administratif supplémentaire, il manquera son objectif.

Une gouvernance locale organisée autour du Préfet, délégué territorial

Source : ANCT (vademecum)

2. Les missions et les moyens d'action de l'Agence

a) L'instruction ministérielle et le vademecum : une doctrine d'emploi des moyens de l'État axée sur le principe de subsidiarité

Pour vos rapporteurs, la création de l'ANCT devait marquer le « retour de l'État dans les territoires » mais la configuration de l'Agence telle que créée par la loi précitée du 22 juillet 2019 et fixée par les textes d'application réglementaire diffère de l'ambition du projet initial.

Les trois axes d'intervention de l'ANCT listés par l'instruction ministérielle sont d'abord « le déploiement de programmes d'appui territorialisés » , puis « l'aide à la conception et à la mise en oeuvre de projets de territoires, dans le cadre de contrats territoriaux intégrateurs, les contrats de cohésion ». Le troisième axe, « l'appui en ingénierie et sur mesure à des projets locaux qui ne pourraient aboutir sans le soutien spécifique de l'agence et de ses partenaires », est cité en dernier, or il s'agit au contraire de la première préoccupation des élus locaux, qui souhaitent « développer du bas vers le haut, plutôt que renforcer les projets venus d'en haut ».

Pour les territoires enclavés, l'enjeu majeur est que l'Agence soit en mesure de sortir de la logique verticale visant à décliner localement les programmes décidés à l'échelle nationale .

Il ne faudrait pas que le principe de complémentarité et de subsidiarité retenu dans la doctrine d'emploi - » l'Agence n'intervient au service des collectivités territoriales que faute d'une offre locale suffisante en termes d'ingénierie ou en renfort sur la gestion de projets complexes » - ne masque en réalité une absence de moyens suffisants pour intervenir partout où cela est nécessaire, appelant ainsi la vigilance de votre délégation sur les huit points énumérés dans l'encadré ci-dessous.


La liste des points de vigilance sur les modalités d'intervention de l'ANCT

1. Il manque une cartographie de tous les moyens d'ingénierie publique au sens large réunissant les moyens de l'État, de ses services déconcentrés et de ses agences, ainsi que ceux des collectivités, de leurs établissements publics et de l'ensemble du réseau des agences de conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) dans une base commune. La mission d'identifier les acteurs, de recenser finement leurs compétences et de rendre accessibles ces données en réseau sur une plateforme publique pourrait relever de l'ANCT au titre de sa mission de développement numérique des territoires.

2. En lieu et place d'un guichet unique regroupant tous les moyens de l'État, l'ANCT ne regroupe au final que 3 entités - le CGET, l'Epareca et l'Agence du numérique -, laissant ainsi hors de son champ de décision des moyens importants qu'il était initialement envisagé de fusionner : ceux de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), de l'Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Les conditions de conventionnement entre l'ANCT et ces agences doivent être transparentes et s'inscrire dans la durée, sans devenir un risque supplémentaire de friction ou de déperdition d'énergie dans les circuits de décision.

3. Les crédits de l'agence pour le soutien à l'ingénierie des collectivités s'établissent à 10 millions d'euros. Cette enveloppe budgétaire initiale doit être pérenne et affectée aux seuls projets initiés par les collectivités qui en ont le plus besoin, non à la déclinaison locale de programmes nationaux.

4. La rationalisation budgétaire est légitime, mais l'enjeu pour l'ANCT est avant tout d'apporter une plus-value pour les collectivités. Au-delà de la réorganisation de l'État et de la rationalisation de ses services, l'évaluation de l'action de l'ANCT devra comporter des indicateurs de performance retraçant l'accompagnement des projets locaux, notamment ceux qui n'auraient pu se développer sans l'appui de l'Agence.

5. La question de la gouvernance locale de l'agence reste floue : on saisit mal les circuits de décision entre préfet de département, préfet de région, collectivités territoriales et acteurs locaux de l'ingénierie. La délégation territoriale de l'Agence sera confiée à chaque préfet de département, charge à eux de constituer des comités locaux de cohésion territoriale dont le rôle dans le processus d'identification des besoins et de sélection des projets devra être précisé. L'articulation de l'échelon départemental de décision avec le comité régional des financeurs, que doit mettre en place chaque préfet de région, n'est pas définie dans l'instruction. Les comités régionaux des financeurs seront-ils aussi efficaces pour mobiliser des moyens existants pour les grands programmes que pour les « petits » projets émergents ?

6. Le principe d'action de l'Agence repose sur la subsidiarité. Elle n'interviendrait que si le besoin ne peut être couvert par un autre acteur local. Il importe donc de veiller tout particulièrement à la simplification des procédures de saisine par les collectivités afin que les territoires ruraux ne soient pas, dans les faits, les oubliés du système.

7. La doctrine d'action de l'Agence doit s'adapter aux spécificités du maillage territorial, qu'il s'agisse des échelons communaux, départementaux et de la nécessaire coordination avec les stratégies régionales, mais aussi des intercommunalités et des PETR qui, dans les territoires de faible densité, constituent la maille adéquate de gestation et de réalisation des projets.

8. Au titre des mesures d'accompagnement budgétaire de l'ANCT et des collectivités territoriales, une modification de l'emploi de certaines dotations - la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la Dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) - pourrait être étudiée afin de pouvoir en affecter une partie des crédits vers les frais de rémunération de personnels dédiés à l'ingénierie, à titre exceptionnel et sur des territoires en besoin tels que les PETR.

Il a été considéré que ces principaux constats et points de vigilance, transmis à la présidente et au directeur général de l'ANCT en vue de la tenue du conseil d'administration du 17 juin 2020 de l'Agence, demeuraient d'actualité. En conséquence, ils ont été intégrés à la liste des propositions du présent rapport.

b) La feuille de route : des moyens limités et des points de vigilances qui demeurent

La feuille de route de l'ANCT du 17 juin 2020 définit un cadre d'action en cinq points 28 ( * ) , lesquels ont soulevé des questions et des débats au sein de votre délégation.

• Premier point : quelle est la plus-value de l'ANCT ?

La « plus-value » de l'ANCT est décrite comme étant complémentaire des moyens déjà existants de l'État déconcentré selon le principe de complémentarité et de subsidiarité : « l'Agence n'intervient au service des collectivités territoriales que faute d'une offre locale suffisante en termes d'ingénierie ou en renfort sur la gestion de projets complexes » . Or, ce principe d'action suppose que l'offre locale d'ingénierie soit connue avec précision et finesse. Tel serait le véritable apport de l'ANCT pour résoudre la méconnaissance mutuelle des acteurs. Cela souligne la nécessité de dresser une cartographie fine et détaillée de l'offre locale d'ingénierie intégrant celle fournie par les collectivités territoriales, leurs établissements et leurs groupements, ainsi que les réseaux d'agence de conseils d'architecture et d'urbanisme.

• Deuxième point : les formes d'actions principales de l'ANCT

Les programmes nationaux d'appui s'inscrivent dans une action verticale « top-down » et l'action de l'ANCT dans ce cadre vise davantage à décliner localement les priorités des différents ministères. La principale difficulté identifiée est la manière dont l'ANCT entend remplir l'objectif de co-construction avec les acteurs locaux. En particulier les « moyens supplémentaires » mentionnés dans la feuille de route et mis à la disposition des collectivités par l'ANCT ne sont pas suffisamment précis.

Les pactes de cohésion territoriale que l'ANCT doit contribuer à structurer avec les territoires identifiés comme « particulièrement vulnérables » pose la question des critères sur lesquels seront identifiés ces territoires vulnérables et des moyens spécifiques mobilisés par l'ANCT.

S'agissant de l'offre d'ingénierie « sur mesure », l'ANCT prévoit que « 90 % des demandes d'ingénierie doivent pouvoir trouver une solution dans l'écosystème local ». Dans ce cas de figure, peut-on dire que l'ANCT, via ses comités locaux de cohésion des territoires, se limiterait à une mission de « mise en relation » qui, là encore, doit s'appuyer sur un travail préalable de recensement de l'offre locale ?

S'agissant des 10 % de dossiers qui nécessiteraient un appui national, l'ANCT prévoit un panel d'instruments :

- la mobilisation de compétences techniques internes à l'ANCT mais aussi de hauts fonctionnaires « sans affectation » en provenance d'autres administrations. Cette dernière solution semble plus novatrice ou surprenante et répond à une demande de certaines collectivités ( cf . le département de Haute-Saône). Il n'y a pas de réponse précise quant au nombre cible de fonctionnaires, si ce n'est qu'il s'agirait de membres de corps préfectoral placés en mission ;

- plus classiquement, l'ANCT dédie une ligne de crédits pour des subventions directes ou des passations de marchés à bon de commande, dont l'appel d'offres est en cours de finalisation. Sur les 75 millions d'euros du budget de l'ANCT révisé pour 2020, 7 millions d'euros, au lieu de 10 millions, sont dédiés à l'ingénierie.

S'agissant des moyens humains, sur un effectif de 331 postes, 59 seront dédiés au soutien des collectivités territoriales au titre de l'ingénierie d'État.

Pour compléter ces ressources d'ingénierie, l'Agence a publié en mars 2020 un appel à candidatures pour mobiliser des prestataires susceptibles d'accompagner les collectivités territoriales dans la définition, le montage et la mise en oeuvre de leurs projets (depuis les programmes nationaux d'appui territorialisés, aux projets particuliers, structurants et complexes). Les prestations couvertes seraient très larges, de la réalisation de diagnostics territoriaux, aux démarches de concertation et à l'accompagnement au pilotage ou encore au cadrage des projets en passant par l'apport d'expertises thématiques ( cf. ci-dessous la liste des lots confiés à

des prestataires en cours d'appel d'offres).

Selon l'ANCT, ce marché d'ingénierie ne serait activé qu'à titre subsidiaire, « si et seulement si les ressources présentes localement ou celles des partenaires de l'Agence ne sont pas suffisantes ou disponibles pour accompagner les collectivités territoriales dans le montage et la mise en oeuvre de leurs projets ». En réponse à la question de savoir pourquoi l'État recourt à des prestataires extérieurs, l'Agence répond : « certains projets nécessiteront un accompagnement poussé, mobilisant des expertises pointues que le marché nous assure de rendre rapidement disponibles ».

Enfin, comme le prévoit la loi portant création de l'ANCT, cinq convention-cadres d'appui sont passées avec l'Ademe, l'Anru, l'Anah, le Cerema et la Banque des territoires. Le comparatif des conventions présente un trait commun : le préfet de département, en qualité de délégué territorial de l'ANCT, est le point unique d'entrée et d'examen des demandes soumises à l'appui d'un de ces cinq opérateurs. Cela suppose que le travail d'instruction de ces dossiers, notamment par les DDT, et que les procédures d'échanges avec les opérateurs soient souples et rapides. Ce processus ne doit pas devenir un risque supplémentaire de friction ou de déperdition d'énergie dans les circuits de décision. Il s'agit de ne pas ajouter une « surcouche » d'administration à des agences fonctionnant déjà « en silo » et créer ainsi un « grand moulin », qui au final ne feraient que moudre le même grain...

Par ailleurs, hormis le Cerema qui s'engage sur un objectif chiffré d'accompagnement (9 millions d'euros d'ici 2022 pour l'accompagnement d'environ 500 projets de collectivités, avec une gratuité d'intervention pour 3 à 5 jours maximum puis une facturation de 50 % des jours suivants), il est difficile d'établir dans les autres conventions, notamment celle de la Banque des territoires, quels moyens nouveaux autres que ceux dont disposaient déjà ces opérateurs seront mobilisés à la demande de l'ANCT.

• Troisième point : les domaines prioritaires d'action

L'ANCT établit une liste de thématiques et de politiques prioritaires (politique de la ville, territoires et ruralités, numérique), mais quid des demandes d'ingénierie « sur mesure » qui ne rentreraient pas dans ce cadre, à moins que l'éventail soit suffisamment large pour tout englober.

• Quatrième point : l'instrument de résilience des territoires

L'ANCT propose de construire un module d'ingénierie de concertation et de coopération développé en partenariat avec la Banque des territoires pour co-construire avec les élus une feuille de route de sortie de crise. Outre la question des moyens consacrés, se pose celle de l'information indispensable des élus locaux qui décident des politiques d'investissement dans les territoires, notamment au regard du plan de relance ( cf. annexe IV)

Par ailleurs, l'offre de formation destinée aux élus repose sur un partenariat avec Sciences Po et la Banque des territoires. Mais, à la lumière de leurs auditions, vos rapporteurs souhaitent que ne soit pas oubliée l'expertise de l'Institut national des études territoriales (Inet) et du Centre national de formation de la fonction publique territoriale (CNFPT).

• Cinquième point : La promesse d'un « État-plateforme »

Cette promesse d'État-plateforme ne doit pas se limiter à faire ou « faire faire » en en mettant « au pot commun » des moyens inchangés.

À cet égard, la liste des propositions spécifiques à l'ANCT présentée ci-après doit être considérée moins comme une énumération de critiques que comme autant d'aiguillons positifs. Il est encore bien trop tôt pour dresser un bilan de l'action de l'ANCT qui viendra en son temps.


* 28 - la plus-value de l'ANCT : des actions en complémentarité de l'action de l'État déconcentré ;

- les trois formes d'interventions principales : les programmes nationaux d'appui, les contrats de cohésion territoriale et le « sur mesure » ;

- les domaines prioritaires d'action ;

- l'ANCT après la « crise Covid », instrument de résilience des territoires ;

- l'ANCT et la promesse d'un « État plateforme ».

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