B. ... RESTE INABOUTI ET NE RÉPOND PAS ENTIÈREMENT AUX ATTENTES DES ÉLUS LOCAUX

1. 2016 : la directive nationale d'orientation sur l'ingénierie d'État dans les territoires

Pour pallier ce déficit de moyens et répondre au sentiment d'abandon exprimé par les collectivités, l'État a adopté une directive nationale d'orientation sur l'ingénierie d'État dans les territoires 2016-2018 qui visait à maintenir un État « expert », « incitateur » et « facilitateur » et à mutualiser tous les moyens de l'État, de ses opérateurs et de ses agences.

a) Les objectifs : réaffirmer la place de l'État et préciser son rôle en matière d'ingénierie territoriale.

En date du 10 mars 2016, la Directive nationale d'orientation (DNO) sur l'ingénierie d'État dans les territoires 2016-2018 est l'oeuvre concertée du ministère de l'Intérieur et du ministère de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales.

Destinée aux préfets de département, elle s'inscrit dans un contexte de réforme de l'organisation territoriale (notamment après le Comité' interministériel aux ruralités du 13 mars 2015) et a pour but de réaffirmer le rôle de l'État en matière d'ingénierie territoriale.

Pour cela, la directive présente différents objectifs :

- l'État expert : forts de moyens d'expertise et de capacités d'ingénierie, les services de l'État peuvent les mettre à profit des porteurs de projet territoriaux ;

- l'État incitateur : ayant une vision globale de l'hétérogénéité des offres d'ingénierie sur les territoires, il convient de mener des actions de coordination établies selon des priorités définies par les préfets ;

- l'État facilitateur : en assurant une veille des évolutions juridiques et du suivie des bonnes pratiques, l'État doit être garant d'une position unique de l'administration.

La DNO précise également les missions des différents échelons de l'administration d'État :

- échelon départemental : les préfets doivent faciliter la conception et la mise en oeuvre des projets ;

- échelon régional : échelon complémentaire du département dans le rôle d'accompagnement des porteurs de projet ;

- échelon national : les ministres définissent les politiques publiques prioritaires et participent à la diffusion des bonnes pratiques des territoires.

S'agissant de son application, il est prévu que la DNO soit déclinée en directive ministérielle ou par politique publique interministérielle.

b) Une ébauche de mutualisation à partir d'un état des lieux de l'ingénierie territoriale

La DNO dressait une liste (non exhaustive) des acteurs compétents en ingénierie, que l'on peut classer par catégories : agences de l'État, associations, réseaux consulaires, opérateurs, autres ( cf. tableau ci-dessous) sous la forme d'une ébauche de cartographie et d'une mutualisation de l'offre d'ingénierie publique et privée disponible dans les territoires.

Schéma des acteurs compétents en ingénierie
selon la vision interministérielle de l'État

Source : Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, d'après la Directive nationale d'orientation sur l'ingénierie d'État dans les territoires 2016-2018

2. Mais les conséquences des réformes sur les territoires ruraux n'ont pas été anticipées assez tôt

Néanmoins, l'inventaire des acteurs compétents dressé dans le cadre de la directive nationale de 2016 ne citait pas les moyens en ingénierie développés par les collectivités territoriales elles-mêmes.

Si la DNO transcrivait une approche coordonnée au niveau de l'État (ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales et ministre de l'Intérieur), elle n'abordait pas toutes les compétences développées par les collectivités territoriales, notamment les ATD.

Par ailleurs, malgré le repositionnement de l'État au moyen du NCT et de la DNO, les besoins des collectivités en matière d'ADS et D'ATESAT perdurent. Si les EPCI ont assumé les missions transférées au titre de l'ADS en mutualisant leurs services, il faut rappeler que le rapport du CGEDD précité faisait, en janvier 2017, le constat suivant : « Les conséquences des réformes mettant fin aux missions ADS et D'ATESAT sur les territoires ruraux n'ont pas été anticipées ». La mission relève même que si la réorganisation de la filière ADS avait été progressive, la suppression de L'ATESAT « est survenue de façon plus inattendue et plus rapide ».

Entre, d'une part, le désengagement de l'État en 2014 et, d'autre part, la mise en oeuvre du NCT et de la DNO seulement à partir de 2016, non seulement l'État n'a pas anticipé, mais il a réagi avec retard et trop peu de moyens adaptés, contribuant ainsi à nourrir le sentiment d'abandon des territoires ruraux.

a) Il demeure des compétences au sein de l'État territorial mais pas suffisamment en nombre et essentiellement administratives

Le Cerema ne peut répond à tous les besoins des collectivités en matière d'ingénierie puisqu'il se concentre essentiellement sur les domaines exigeant un haut niveau de technicité.

Au sein des DDT(M), on dénombre environ 400 agents qui constituent le NCT mais il convient de noter que l'offre des DDT est pour l'essentiel une offre d'ingénierie administrative et financière, dans la mesure où, dans la plupart des départements, selon le groupement des Directeurs départementaux des territoires, « il ne reste pas suffisamment de compétences techniques pour développer une offre technique et de pilotage des bureaux d'études privés ».

b) Les besoins non pourvus en ingénierie et le sentiment d'abandon des collectivités territoriales

Selon le Cerema, l'absence de ressources tant matérielles qu'immatérielles en termes d'ingénierie au sein de certaines collectivités, en particulier en milieu rural, se situe à tous les niveaux : ingénierie stratégique, pré-opérationnelle, opérationnelle. Elle se concrétise aussi dans le champ « aval » des projets (maintenance/exploitation), ce qui ne facilite pas une approche intégrée des projets. Ce déficit concerne tous les champs de l'ingénierie : administratif, financier, technique, management de projet.

La priorité des collectivités est donc souvent d'essayer d'assurer et de faire financer le « premier niveau », avec une tendance des élus à se focaliser sur une logique où les dépenses d'investissement (ingénierie opérationnelle) priment sur les études « amont » (ingénierie stratégique, pré-opérationnelle), alors que l'on sait aussi que les études en amont permettent d'économiser des moyens en aval, y compris en termes d'externalités positives valorisables (environnement, cohésion sociale, acceptabilité, etc.).

Ainsi, ces carences en ingénierie « amont » excluent souvent les collectivités de la possibilité de s'inscrire dans des dispositifs permettant de trouver un cadre et un accompagnement financier pour faire émerger ou concrétiser les projets qu'elles voudraient porter, dispositifs de soutien bénéficiant ainsi le plus souvent aux collectivités disposant déjà d'une capacité d'action interne structurée.

Les collectivités ont besoin en premier lieu d'une ingénierie de « maîtrise d'ouvrage » internalisée, formée et pérenne qui pourrait parfois être couverte par des postes mutualisés entre les communes et leurs groupements intercommunaux.

Mais elles ont aussi besoin d'une ingénierie d'appui, de soutien d'experts polyvalents et neutres en capacité de prendre la mesure du contexte et des enjeux spécifiques de la collectivité pour défendre ses intérêts, ingénierie « amont » permettant aussi d'entrer dans le cycle vertueux des dispositifs d'accompagnement.

Le grand paradoxe de la réforme de l'ingénierie d'État est qu'en s'allégeant de ses missions traditionnelles au service des territoires, l'État n'a pas pour autant permis une consolidation sur ses missions régaliennes. D'une part, la réduction accélérée des effectifs a mis en difficulté le travail de contrôle et de régulation de l'administration des sols et, d'autre part, la perte de compétences techniques (police de l'eau, assainissement,) peut entraîner un affaiblissement de la capacité de l'État à exercer par lui-même non seulement ces missions pour ses besoins propres, mais aussi à en assurer la régulation et le contrôle.

Certains interlocuteurs ont ainsi indiqué à vos rapporteurs qu'il n'était pas rare que l'État sollicite les collectivités territoriales pour qu'elles mettent à disposition un ingénieur territorial compétent pour représenter l'administration française à des réunions internationales. Le retrait de l'ingénierie d'État depuis une quinzaine d'années semble tel que certains territoires considèrent qu'elle a disparu et se sentent « abandonnés » par les services de l'État.

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