B. LE FONCTIONNEMENT DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ

> Ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles relatives à l'établissement, l'arrêté, l'audit, la revue, l'approbation et la publication des comptes et des autres documents et informations que les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé sont tenues de déposer ou publier dans le contexte de l'épidémie de Covid-19

Cette ordonnance a pour objet d'adapter aux conditions sanitaires actuelles les règles relatives à l'établissement, l'arrêté, l'audit, la revue, l'approbation et la publication des comptes des personnes morales et des entités dépourvues de personnalité morale de droit privé , ainsi que des documents joints à ces comptes.

I. Fondement juridique

Cette ordonnance est prise sur le fondement du g du 2° du I de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 qui habilite le Gouvernement, « afin de faire face aux conséquences (...) de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation », à prendre par voie d'ordonnance toute mesure de nature législative « simplifiant, précisant et adaptant les règles relatives à l'établissement, l'arrêté, l'audit, la revue, l'approbation et la publication des comptes et des autres documents que les personnes morales de droit privé et autres entités sont tenues de déposer ou de publier, notamment celles relatives aux délais, ainsi qu'adaptant les règles relatives à l'affectation des bénéfices et au paiement des dividendes ».

II. Champ d'application

Le champ d'application matériel de l'ordonnance est variable selon ses dispositions.

Son champ d'application ratione loci est large : ses dispositions sont expressément étendues à Wallis-et-Futuna (article 6) et elles s'appliquent de plein droit dans toutes les collectivités ultramarines où le principe d'identité législative s'applique en la matière (seules faisant exception la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie). L'article 5 (report du délai de dépôt du compte rendu financier des organismes bénéficiaires de subventions) s'applique également aux organismes bénéficiaires de subventions versées par les administrations de l'État et leurs établissements publics en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Le champ d'application ratione temporis de l'ordonnance est, en revanche, limité , puisque ses dispositions s'appliquent, selon le cas, aux comptes ou aux semestres clôturés entre les derniers mois de 2019 (voir ci-dessous) et l'expiration d'un délai d'un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020.

III. Contenu de l'ordonnance

A. Vérification et contrôle des comptes dans les sociétés anonymes dualistes

L'article 1 er proroge de trois mois le délai imparti au directoire d'une société anonyme pour présenter au conseil de surveillance , aux fins de vérification et de contrôle, les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés , accompagnés du rapport de gestion . Ce délai est fixé par le droit commun à trois mois à compter de la clôture de l'exercice (article R. 225-55 du code de commerce).

Cette prorogation est applicable aux sociétés ayant clôturé ou s'apprêtant à clôturer leurs comptes entre le 31 décembre 2019 et l'expiration d'un délai d'un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020.

Elle ne s'applique pas aux sociétés qui ont désigné un commissaire aux comptes lorsque celui-ci a émis son rapport sur les comptes avant le 12 mars 2020.

B. Établissement des comptes dans les sociétés commerciales en liquidation

L'article 2 proroge de trois mois le délai imparti au liquidateur d'une société commerciale, à compter de la clôture de chaque exercice, pour établir les comptes de la société ainsi qu'un rapport écrit par lequel il rend compte des opérations de liquidation au cours de l'exercice écoulé. Ce délai d'établissement s'impose sauf clause contraire des statuts ou convention expresse entre les parties ; même dans ce cas, il peut être imposé par décision judiciaire.

Cette prorogation est applicable aux sociétés clôturant leurs comptes entre le 31 décembre 2019 et l'expiration d'un délai d'un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020.

C. Approbation des comptes de toutes les personnes morales et entités dépourvues de la personnalité morale de droit privé

L'article 3 proroge de trois mois les délais d' approbation des comptes des personnes morales ou entités dépourvues de la personnalité morale de droit privé lorsque les comptes n'ont pas été approuvés au 12 mars 2020.

Cette prorogation a un champ d'application très large . Le rapport au Président de la République sur le projet d'ordonnance évoque les sociétés civiles et commerciales, groupements d'intérêt économique, coopératives, mutuelles, unions de mutuelles et fédérations de mutuelles, sociétés d'assurance mutuelle et sociétés de groupe d'assurance mutuelle, instituts de prévoyance et sociétés de groupe assurantiel de protection sociale, caisses de crédit municipal et caisses de crédit agricole mutuel, fonds, associations, fondations et sociétés en participation.

Sont concernées les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé clôturant leurs comptes entre le 30 septembre 2019 à l'expiration d'un délai d'un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020.

Cette prorogation n'est pas applicable aux personnes morales et entités de droit privé qui ont désigné un commissaire aux comptes lorsque celui-ci a émis son rapport sur les comptes avant le 12 mars 2020.

D. Établissement de divers documents financiers dans les grandes sociétés commerciales

L'article 4 proroge de deux mois les délais imposés aux conseils d'administration, aux directoires ou aux gérants des sociétés comptant 300 salariés ou plus ou dont le montant net du chiffre d'affaires est égal à 18 millions d'euros, pour établir, en application des articles L. 232-2, R. 232-2 et R. 232-3 du code de commerce :

1. semestriellement, dans les quatre mois qui suivent la clôture de chacun des semestres de l'exercice, la situation de l'actif réalisable et disponible et du passif exigible ;

2. annuellement :

- le tableau de financement , en même temps que les comptes annuels, dans les quatre mois qui suivent la clôture de l'exercice écoulé ;

- le plan de financement prévisionnel et le compte de résultat prévisionnel , au plus tard à l'expiration du quatrième mois qui suit l'ouverture de l'exercice en cours.

Ces dispositions sont applicables, selon les termes de l'article 4, aux documents relatifs « aux comptes ou aux semestres clôturés entre le 30 novembre 2019 et l'expiration d'un délai d'un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 ». Il n'est pas certain que ces termes permettent de reporter également le délai d'établissement du plan de financement prévisionnel et du compte de résultat prévisionnel .

E. Dépôt du compte rendu financier des organismes de droit privé bénéficiaires de subventions

L'article 5 proroge de trois mois le délai imposé aux organismes de droit privé bénéficiaires d'une subvention attribuée par une autorité administrative ou un organisme chargé de la gestion d'un service public industriel et commercial, et affectée à une dépense déterminée, pour produire le compte rendu financier attestant la conformité des dépenses effectuées à l'objet de la subvention, en application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Ce compte rendu financier doit normalement être déposé auprès de l'autorité ou de l'organisme concerné dans les six mois suivant la fin de l'exercice pour lequel la subvention a été attribuée.

Cette prorogation est applicable aux comptes rendus financiers relatifs aux comptes clôturés entre le 30 septembre 2019 et l'expiration d'un délai d'un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020.

L'article 6 la rend applicable aux organismes bénéficiaires de subventions versées par les administrations de l'État et leurs établissements publics en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

> Ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de Covid-19

Cette ordonnance a pour objet d'adapter aux conditions sanitaires actuelles les règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales de droit privé , ainsi que des entités dépourvues de personnalité morale de droit privé.

I. Fondement juridique

Cette ordonnance est prise sur le fondement du f du 2° du I de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 qui habilite le Gouvernement, « afin de faire face aux conséquences (...) de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation », à prendre par voie d'ordonnance toute mesure de nature législative « simplifiant et adaptant les conditions dans lesquelles les assemblées et les organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé et autres entités se réunissent et délibèrent ainsi que les règles relatives aux assemblées générales ».

II. Champ d'application

Le champ d'application matériel de l'ordonnance (article 1 er ) est très large : elle s'applique à toutes les personnes morales et entités susmentionnées, notamment :

1° Les sociétés civiles et commerciales ;

2° Les masses de porteurs de valeurs mobilières ou de titres financiers ;

3° Les groupements d'intérêt économique et les groupements européens d'intérêt économique ;

4° Les coopératives ;

5° Les mutuelles, unions de mutuelles et fédérations de mutuelles ;

6° Les sociétés d'assurance mutuelle et sociétés de groupe d'assurance mutuelle ;

7° Les instituts de prévoyance et sociétés de groupe assurantiel de protection sociale ;

8° Les caisses de crédit municipal et caisses de crédit agricole mutuel ;

9° Les fonds de dotation ;

10° Les associations et les fondations.

Son champ d'application ratione loci est également le plus large possible : les dispositions de l'ordonnance sont expressément étendues à Wallis-et-Futuna (article 12) et elles s'appliquent de plein droit dans toutes les collectivités ultramarines où le principe d'identité législative s'applique en matière civile et commerciale. Seules font donc exception la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, où ces matières relèvent en tout ou partie de la compétence locale.

Son champ d'application ratione temporis est, en revanche, limité : l'ordonnance est applicable aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux d'administration, de surveillance et de direction tenues à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 31 juillet 2020 , sauf prorogation de ce délai jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 30 novembre 2020 (article 11).

III. Dispositions relatives aux assemblées

A. Adaptation des règles de convocation et d'information préalable

L'article 2 prévoit que, dans les sociétés cotées tenues de procéder à la convocation des assemblées d'actionnaires par voie postale, aucune nullité de l'assemblée n'est encourue du seul fait qu'une convocation n'a pas pu être réalisée par ce moyen « en raison de circonstances extérieures à la société ». Selon le droit commun, les sociétés anonymes, en particulier, sont tenues de convoquer à l'assemblée générale par lettre simple ou recommandée les titulaires d'actions nominatives, sauf lorsque ceux-ci ont accepté d'être convoqués par voie électronique (articles R. 225-63, R. 225-67 et R. 225-68 du code de commerce).

L'article 3 autorise à transmettre par voie électronique les documents et informations dont les membres des assemblées ont le droit d'obtenir communication avant la tenue de celles-ci. C'est notamment le cas, dans les sociétés anonymes, des comptes annuels, des rapports des organes dirigeants et des commissaires aux comptes, etc . (article L. 225-115 du même code).

B. Adaptation des règles de participation et de délibération

Les dérogations prévues par l'ordonnance aux règles de participation et de délibération au sein des assemblées sont applicables dès lors que l'assemblée est convoquée en un lieu « affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires » (article 4).

Elles concernent aussi bien les modalités de participation et de délibération des membres des assemblées que les modalités de participation des autres personnes ayant le droit d'y assister (par exemple, le commissaire aux comptes).

Ainsi, sans qu'une clause des statuts ou du contrat d'émission soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s'y opposer, l'organe compétent pour convoquer l'assemblée ou, sur délégation de celui-ci, le représentant légal peut décider :

- que l'assemblée aura lieu par conférence téléphonique ou audiovisuelle , sous réserve de certaines exigences techniques (« Les moyens techniques mis en oeuvre transmettent au moins la voix des participants et satisfont à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations ») qui pourront être précisées par décret ;

- que les décisions seront prises par consultation écrite des membres , lorsque la loi l'autorise, pour cette catégorie de personnes morales ou d'entités (c'est le cas, notamment, des décisions relevant de la compétence de l'assemblée des associés des sociétés en nom collectif et des sociétés à responsabilité limitée, ou encore de la masse des obligataires).

Enfin, l'article 7 fixe les règles applicables dans le cas où l'organe compétent ou le représentant légal décide de faire usage des facultés susmentionnées après que tout ou partie des formalités de convocation de l'assemblée ont déjà été accomplies. Il suffira d'en informer les membres de l'assemblée par tous moyens de manière à garantir leur information effective trois jours ouvrés au moins avant la date de l'assemblée (par voie de communiqué dans les sociétés cotées).

IV. Dispositions relatives aux organes collégiaux d'administration, de surveillance et de direction

En ce qui concerne les organes collégiaux d'administration, de surveillance et de direction (conseil d'administration, conseil de surveillance, directoire...), « sans qu'une clause des statuts ou du règlement intérieur soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s'y opposer », l'ordonnance :

- répute présents aux réunions leurs membres qui y participent au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle permettant leur identification et garantissant leur participation effective (article 8) ;

- autorise la prise de décision par consultation écrite (article 9).

> Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale

I. Fondement juridique

Les articles 1 er à 3, relatifs aux procédures collectives applicables aux entreprises en difficulté, sont pris sur le fondement du d du 1° du I de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, qui habilite le Gouvernement, « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi », à prendre par voie d'ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi « adaptant les dispositions du livre VI du code de commerce et celles du chapitre Ier du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime afin de prendre en compte les conséquences de la crise sanitaire pour les entreprises et les exploitations ».

L'article 4 de l'ordonnance ne concerne en revanche pas directement le droit des procédures d'insolvabilité, et se contente d'apporter, par commodité, à l'article 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale, une modification relative aux délais devant la chambre de l'instruction 154 ( * ) .

II. Champ d'application

A. Champ d'application matériel

Les articles 1 er à 3 de l'ordonnance traitent de l'ensemble des procédures d'insolvabilité applicables en droit français aux personnes physiques et morales pour des dettes ayant un caractère professionnel , à savoir :

- les procédures collectives (mandat ad hoc , conciliation, sauvegarde 155 ( * ) , redressement et liquidation judiciaire 156 ( * ) ) prévues au livre VI du code de commerce, applicables à toute personne exerçant une activité commerciale, artisanale ou agricole ainsi qu'à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante et à toute personne morale de droit privé, auxquelles il faut ajouter la procédure de rétablissement professionnel sans liquidation applicable aux seules personnes physiques susmentionnées ;

- la procédure de règlement amiable agricole prévue à l'article L. 351-1 du code rural et de la pêche maritime, applicable aux exploitations agricoles non constituées sous la forme de sociétés commerciales.

N'est pas concernée la procédure de rétablissement personnel réglée par le code de la consommation et applicable aux personnes physiques pour leurs dettes non professionnelles.

B. Champ d'application ratione loci

Les articles 1 er à 3 sont expressément rendu applicables à Wallis-et-Futuna (article 5) et le sont, sans mention expresse, dans les collectivités ultramarines où le principe d'identité législative s'applique en matière de commerce et de consommation. Seules font donc exception la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, où ces matières relèvent de la compétence locale.

En outre, il convient de noter que l'ordonnance écarte temporairement, au profit du droit commun, les règles de procédure applicables en matière de procédures collectives devant le tribunal judiciaire en Alsace-Moselle. Se trouve ainsi écartée la règle de représentation obligatoire des parties.

C. Champ d'application ratione temporis

L'ordonnance s'applique aux procédures en cours (article 5).

La plupart des dispositions relatives aux procédures collectives s'appliquent « jusqu'à l'expiration d'un délai d'un [ ou, alternativement, de trois ] mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire » - déclaré pour deux mois par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020, avec la faculté d'y mettre fin par anticipation ou de le prolonger. Sauf fin anticipée ou prolongation, ces dispositions s'appliqueront donc, les unes jusqu'au 24 juin 2020 , les autres jusqu'au 24 août 2020 157 ( * ) .

En revanche, les dispositions qui prolongent des délais ayant commencé à courir ou qui commenceraient à courir avant l'expiration d'un délai d'un ou trois mois après la cessation de l'état d'urgence trouveront à s'appliquer au-delà de cette date ; ces délais, en effet, sont généralement prolongés (ou susceptibles de l'être) pour « une durée équivalente à celle de la période prévue » par l'une ou l'autre des dispositions précitées. Le sens exact de ces termes gagnerait à être précisé à l'occasion d'une prochaine modification de l'ordonnance. On peut comprendre que la période de référence est celle comprise entre le début de l'état d'urgence sanitaire (le 24 mars 2020) et l'expiration d'un délai d'un ou de trois mois suivant sa cessation (soit, par hypothèse, le 24 juin ou le 24 août 2020), c'est-à-dire, toujours par hypothèse et selon le cas, une période de 3 mois ou de 5 mois . En toute rigueur, cependant, il est plus conforme aux termes choisis de fixer le point de départ de la période de référence à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance (le 29 mars 2020), et de considérer ainsi que les délais sont ou peuvent être prolongés, selon le cas, de 2 mois et 25 jours ou de 4 mois et 25 jours .

III. Contenu de l'ordonnance

A. Le « gel » de la situation du débiteur au 12 mars 2020 pour l'appréciation de l'état de cessation des paiements

Fortement dérogatoire , le 1° du I de l'article 1 er dispose que, jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire, l'état de cessation des paiements du débiteur est apprécié , dans le cadre de toute procédure prévue au livre VI du code de commerce, en considération de sa situation à la date du 12 mars 2020 .

Il en résulte que si le débiteur cesse ses paiements au cours de cette période, il pourra néanmoins bénéficier des procédures normalement réservées aux débiteurs n'étant pas en cessation de paiements (mandat ad hoc , sauvegarde) ou qui se trouvent en cessation de paiements depuis moins de 45 jours (conciliation), ces procédures étant plus protectrices pour le débiteur et ses garants que les procédures de redressement et de sauvegarde judiciaire.

L'obligation faite au débiteur de demander l'ouverture d'une procédure de conciliation, de redressement ou de liquidation judiciaire dans un délai de 45 jours suivant la cessation des paiements ne trouvera pas non plus à s'appliquer . Il ne s'exposera donc pas aux sanctions personnelles prévues par le droit commun en cas de déclaration tardive 158 ( * ) .

Le débiteur peut néanmoins renoncer au bénéfice de cette disposition en conservant la faculté, s'il le juge plus favorable, de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou le bénéfice d'un rétablissement professionnel si sa situation réelle le justifie.

Afin d' éviter que ces dispositions dérogatoires ne nuisent trop fortement aux intérêts des créanciers , l'ordonnance réserve au tribunal, en cas de fraude , la faculté de fixer la date de cessation des paiements après le 12 mars 2020. Il semble également que l'ordonnance n'interdise pas au tribunal, s'il ouvre une procédure de redressement ou de liquidation, soit pendant la période susmentionnée (à la seule demande du débiteur), soit postérieurement, de reporter à une date antérieure (même pendant ladite période) la date de cessation des paiements et, partant, le commencement de la période suspecte , conformément aux règles de droit commun prévues à l'article L. 631-8 du code de commerce 159 ( * ) .

Ces dispositions dérogatoires devront être appliquées avec beaucoup de doigté par les juridictions, afin de conjuguer la nécessaire protection des entreprises mises en difficulté par la crise sanitaire et celle, non moins nécessaire, de leurs créanciers contre l'usage abusif qui pourrait en être fait.

De manière analogue, en ce qui concerne la procédure de règlement amiable agricole , l'article 3 de l'ordonnance dispose :

- que le juge ne peut refuser de désigner un conciliateur au motif que la situation du débiteur s'est aggravée postérieurement au 12 mars 2020 (alors que, selon le droit commun, il peut décider d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire si le débiteur est en cessation des paiements, ou une procédure de liquidation si son redressement est manifestement impossible) ;

- que lorsque l'accord entre le débiteur et ses créanciers ne met pas fin à l'état de cessation des paiements (auquel cas le juge ne peut en principe constater ni homologuer l'accord), cet état est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020 .

B. La prolongation des délais de procédure et l'assouplissement d'autres contraintes chronologiques

1. La procédure de conciliation

La durée des procédures de conciliation , fixée par le juge selon le droit commun dans la limite de quatre mois, prorogeables jusqu'à cinq mois, est prolongée de plein droit d'une durée équivalente à celle qui s'écoulera entre l'entrée en vigueur de l'ordonnance et l'expiration d'un délai de trois mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire - soit, dans l'hypothèse où l'état d'urgence cesserait le 24 mai 2020, une durée de 4 mois et 25 jours (II de l'article 1 er ).

Le champ d'application de cette disposition n'est pas précisé . Elle s'applique sans aucun doute aux procédures en cours à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance 160 ( * ) . Un doute subsiste sur son application aux procédures ouvertes jusqu'à la cessation de l'état d'urgence, voire jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois suivant cette cessation.

Par ailleurs, jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire (soit, par hypothèse, jusqu'au 24 août 2020), il est possible d'enchaîner plusieurs procédures de conciliation sans respecter le délai de carence de 3 mois.

2. Dispositions communes aux procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires

- La prolongation de plein droit des procédures en cours

Pour toutes les procédures en cours jusqu'à l'expiration d'un délai d' un mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire - soit, par hypothèse, jusqu'au 24 juin 2020 -, les périodes d'observation, d'exécution des plans, de maintien de l'activité en liquidation judiciaire et de liquidation judiciaire simplifiée sont prolongées de plein droit d'une durée équivalente à celle qui s'écoulera entre l'entrée en vigueur de l'ordonnance et cette dernière date, soit (par hypothèse) 2 mois et 25 jours (1° du II de l'article 2).

- La prolongation judiciaire des délais imposés aux organes de la procédure

Jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois suivant le terme de l'état d'urgence sanitaire, soit, par hypothèse, jusqu'au 24 août 2020 , le président du tribunal, statuant sur requête de l'administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire, du liquidateur ou du commissaire à l'exécution du plan, peut prolonger les délais qui sont imposés à ces derniers d'une durée équivalente à celle qui s'écoulera entre l'entrée en vigueur de l'ordonnance et l'expiration du délai susmentionné - soit, par hypothèse, une durée de 4 mois et 25 jours .

Le rapport au Président de la République mentionne l'exemple du délai imparti au liquidateur pour la réalisation des actifs du débiteur.

- Les dispositions relatives aux créances salariales

Jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois suivant le terme de l'état d'urgence sanitaire - soit, par hypothèse, jusqu'au 24 août 2020 - les relevés de créances salariales peuvent être transmis par les mandataires judiciaires à l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) sans être préalablement soumis au représentant des salariés ni visés par le juge-commissaire. Ils devront cependant l'être ultérieurement (2° du I de l'article 1 er ).

En outre, les périodes de garantie de l'AGS sont mises en cohérence avec les prolongations des périodes d'observation, d'exécution des plans et de maintien de l'activité en liquidation judiciaire . Plus exactement :

- en ce qui concerne la garantie des créances résultant de la rupture des contrats de travail, normalement limitée aux ruptures intervenant dans un certain délai suivant le jugement arrêtant le plan ou le jugement de liquidation, ce délai est prolongé de plein droit d'une durée équivalente à celle qui s'écoulera entre l'entrée en vigueur de l'ordonnance et l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit, par hypothèse, 2 mois et 25 jours (2° du II de l'article 2) ;

- en ce qui concerne la garantie des créances de salaires dus au cours de la période d'observation et pendant un certain délai suivant le jugement de liquidation, cette période et ce délai sont prolongés de plein droit de la même durée (3° du II de l'article 2).

3. Les procédures de sauvegarde et de redressement

- Une prolongation judiciaire des procédures qui va au-delà de la prolongation de plein droit

Comme on l'a vu, pour toutes les procédures en cours jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire - soit, par hypothèse, jusqu'au 24 juin 2020 -, la durée de la période d'observation et celle du plan sont prolongées de plein droit d'une durée équivalente à celle qui s'écoulera entre l'entrée en vigueur de l'ordonnance et cette dernière date, soit (par hypothèse) 2 mois et 25 jours (1° du II de l'article 2).

Il sera possible d'aller plus loin par décision judiciaire . En effet (III de l'article 1 er ) :

- jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire - soit, par hypothèse, jusqu'au 24 août 2020 -, le président du tribunal, statuant sur requête du commissaire à l'exécution du plan, pourra prolonger celui-ci dans la limite d'une durée équivalente à celle qui s'écoulera entre l'entrée en vigueur de l'ordonnance et l'expiration d'un délai de trois mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire - soit, dans l'hypothèse où l'état d'urgence cesserait le 24 mai 2020, une durée de 4 mois et 25 jours . Sur requête du ministère public, la prolongation pourra même être prononcée pour une durée maximale d' un an ;

- après l'expiration du délai de trois mois susmentionné et dans un nouveau délai de six mois - soit, par hypothèse, entre le 24 août 2020 et le 24 février 2021 -, le tribunal pourra prolonger la durée d'exécution du plan pour un maximum d' un an , sur requête du ministère public ou du commissaire à l'exécution du plan.

L'ordonnance est muette sur le point de savoir si ces deux dernières possibilités de prolongation pourront se cumuler.

- La dispense de « rappel » en cours de période d'observation dans le cadre d'un redressement judiciaire

Par ailleurs, en ce qui concerne la seule procédure de redressement judiciaire et jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois suivant le terme de l'état d'urgence sanitaire - soit, par hypothèse, jusqu'au 24 juin 2020 -, la règle qui oblige le tribunal à statuer sur la poursuite de la période d'observation au-delà de deux mois (I de l'article L. 631-15 du code de commerce) n'est pas applicable 161 ( * ) .

C. L'assouplissement des formalités

Jusqu'à l'expiration d'un délai d' un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire - soit, par hypothèse, jusqu'au 24 juin 2020 :

- les actes par lesquels le débiteur saisit la juridiction sont remis au greffe par tout moyen, ce qui écarte la formalité du dépôt au greffe 162 ( * ) ;

- la saisine peut s'accompagner d'une demande d'autorisation à formuler ses prétentions et ses moyens par écrit sans se présenter à l'audience ; lorsque la procédure relève de sa compétence, le président du tribunal peut recueillir les observations du demandeur par tout moyen ;

- les communications entre le greffe du tribunal, l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire ainsi qu'entre les organes de la procédure se font par tout moyen.

En outre, comme on l'a vu, la règle de représentation obligatoire applicable en Alsace-Moselle est écartée (sans que l'ordonnance précise jusqu'à quelle échéance).


* 154 Voir supra le commentaire de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale.

* 155 Y compris la sauvegarde accélérée et la sauvegarde financière accélérée.

* 156 Y compris la liquidation judiciaire simplifiée.

* 157 Rappelons que, par dérogation, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 est entrée en vigueur dès sa publication.

* 158 Le débiteur est d'autant mieux protégé que ces dispositions se conjuguent avec celles de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, qui prévoient que les actes prescrits par la loi, notamment à peine de sanctions, devant être accomplis entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (soit, par hypothèse, le 24 juin 2020) seront réputés avoir été faits dans les délais légaux, s'ils sont accomplis dans le délai légal à compter de la fin de cette même période (par hypothèse, à compter du 24 juin 2020), sans que cela ne puisse aboutir à un délai expirant postérieurement au 24 août 2020.

* 159 C'est ainsi, semble-t-il, qu'il faut comprendre la disposition selon laquelle le gel de la situation du débiteur s'entend « sans préjudice des dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article L. 631-8 ».

* 160 Cela résulte clairement de l'article 5.

* 161 Pour mémoire, cette procédure de « rappel » a pour objet de vérifier que la situation financière du débiteur n'est pas trop compromise et d'éviter ainsi un gonflement injustifié des créances bénéficiant du privilège de la procédure.

* 162 Cette formalité est exigée pour toute demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire (articles R. 621-1, R. 631-1 et R. 641-1 du code de commerce).

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