D. FONCIÈREMENT INEFFICACE OU RENDUE INUTILE PAR L'AMÉLIORATION RÉCENTE DE LA SITUATION ÉPIDÉMIQUE ? LE BILAN INCERTAIN DE L'APPLICATION « STOPCOVID »

Dans son second rapport d'étape, tout en se montrant ouverte au principe de l'utilisation d'outils numériques pour lutter contre l'épidémie, à condition qu'ils présentent de solides garanties en termes de protection des données personnelles, la mission redoutait l'inefficacité d'une application élaborée et déployée dans la précipitation, dans un contexte de fracture numérique et de sous-dimensionnement de nos infrastructures sanitaires.

Le secrétaire d'État au numérique, Cédric O, a présenté le 23 juin à la presse un bilan des trois premières semaines de déploiement de l'application StopCovid. Au regard des éléments communiqués à cette occasion, les rapporteurs, tout en se rejoignant sur le caractère décevant des premiers chiffres annoncés, divergent sur la portée à leur donner.

Pour Loïc Hervé , les chiffres communiqués confirment les doutes exprimés dès le début sur l'opportunité même du déploiement d'une telle application de suivi des contacts :

- l'adoption par la population française reste minime (1,9 million de téléchargements seulement, auxquels il faut même retrancher 460.000 désinstallations), ce qui contraste fortement avec la situation en Allemagne (près de 7 millions de téléchargements le jour de son lancement pour l'application développée par les autorités sanitaires), pays pourtant moins touché que le nôtre par l'épidémie ;

- l'utilité sanitaire concrète à ce jour semble bien négligeable ; seules 68 personnes ont fait une déclaration de test positif via l'application, et avec seulement 14 utilisateurs avertis d'un risque de contact avec une personne contaminée, « StopCovid » apparaît bien comme un rendez-vous manqué ;

- si le protocole et le système applicatif ont été développés dans des conditions de délais exceptionnelles et grâce à la participation largement bénévole des équipes de chercheurs et d'informaticiens associées au projet, le fonctionnement normal de l'application et la maintenance des serveurs semble désormais particulièrement couteuse (environ 200.000€ par mois 183 ( * ) ), et ce d'autant plus au regard de ses maigres résultats ;

- enfin, réduisant encore son efficacité, le dispositif reste un des rares en Europe qui ne sera probablement pas interopérable avec les autres applications développées par nos partenaires européens, en raison du choix minoritaire d'une architecture technologique centralisée (selon les informations de la Commission européenne 184 ( * ) , seules la Hongrie, la Norvège et la Slovaquie auraient fait un choix comparable).

Pour Dany Wattebled , le bilan numériquement décevant de l'application doit toutefois être rapporté à l'évolution actuelle très favorable de l'épidémie en France :

- si l'application a permis de contacter peu de personnes à risque, c'est que la circulation du virus elle-même a drastiquement diminué, limitant les occasions de signalement dans l'application . L'application permet bien une plus grande vitesse de réaction pour prévenir les personnes à risque, or isoler très tôt les personnes contagieuses est un élément décisif pour briser les chaînes de contamination.

Le Gouvernement a d'ailleurs revu sa stratégie, puisqu'il entend désormais cibler les zones où l'épidémie circule le plus , comme en Guyane , ou une campagne d'information sur « StopCovid » a été menée par SMS ;

- l'ambition de l'application n'a jamais été de résoudre à elle seule l'épidémie, elle est plus modeste ; selon plusieurs travaux récents, la moindre contamination évitée compte, et même un faible pourcentage d'utilisation permettrait de lutter contre l'épidémie 185 ( * ) ; tout est donc affaire de proportionnalité , il ne s'agit que d' un outil complémentaire qui vient appuyer et non remplacer les enquêtes sanitaires humaines pour retracer les cas contacts et qui évite l'écueil du « solutionnisme technologique » ;

- enfin, malgré un taux global faible de téléchargements, l'application pourrait se révéler particulièrement efficace dans les zones denses et urbanisées , là où elle est le plus utile, puisque l'anonymat des transports en commun et des lieux publics constitue le point faible des enquêtes basées sur la mémoire, et que c'est justement cet angle mort que l'application peut combler.

Dès lors, eu égard au fait que des garanties fortes de protection des données personnelles ont été apportées dès la conception (pseudonymisation généralisée ; absence de communication des liste des personnes malades), que la solution déployée est respectueuse de notre souveraineté numérique et que le dispositif est temporaire , il semble encore trop tôt pour condamner définitivement cet outil.

Face au risque de reprise de l'épidémie à l'automne , comme le redoutent les autorités sanitaires, il est trop tôt à ce stade pour conclure sur l'utilité de cette application. Peut-être serons-nous alors heureux d'échapper à un reconfinement général grâce, en partie, au déploiement plus massif de cette application.


* 183 40.000 euros pour l'hébergement, 80.000 euros pour la maintenance et les développements et, en option, 50.000 euros pour l'appui au support utilisateur ainsi que 30.000 euros de dépenses liées au déploiement (selon les informations données lors de la conférence de presse précitée).

* 184 « Mobile applications to support contact tracing in the EU's fight against covid 19 - Progress reporting June 2020 », Commission européenne.

* 185 « Even at low uptake , the health authority will gain access to number of users asking for and receiving tests, and will be able to detect changes in transmission rates and respond more quickly to local outbreaks. » Digital contact tracing: advice and simulations Oxford University Pathogen Dynamics Group ; Update 25 May 2020.

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