B. LE CADRE JURIDIQUE ET LES INCITATIONS À CETTE PRODUCTION

1. Le cadre juridique de la production d'énergie comme activité agricole

L'activité agricole est définie dans l'article L. 311-1 du code rural : « sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. Les activités de cultures marines et d'exploitation de marais salants sont réputées agricoles, nonobstant le statut social dont relèvent ceux qui les pratiquent. Il en est de même des activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation, à l'exclusion des activités de spectacle. Il en est de même de la production et, le cas échéant, de la commercialisation, par un ou plusieurs exploitants agricoles, de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation, lorsque cette production est issue pour au moins 50 % de matières provenant d'exploitations agricoles ». Depuis la loi de modernisation de l'agriculture du 27 juillet 2010, les activités de production et de commercialisation, par un exploitant agricole, de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation, sont réputées agricoles.

Un plancher de moitié d'intrants agricoles est exigé pour pouvoir définir la production d'énergie comme activité agricole : les matières utilisées (déchets agricoles organiques, effluents d'élevage...) doivent provenir d'exploitations agricoles à hauteur de 50 % au minimum. Le décret du 16 février 2011 (article D. 311-18 du code rural) détermine les critères liés à la qualité d'exploitant ainsi que les critères applicables à la provenance des matières premières. Cette mesure a pour but de faciliter l'encadrement juridique et fiscal des projets de production et de commercialisation agricoles de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation.

Il résulte de cette disposition que tous les revenus tirés de la commercialisation de ces productions d'énergie peuvent être considérés comme des revenus agricoles , au prorata de la participation de l'exploitant agricole dans la structure exploitant et commercialisant l'énergie produite, et être rattachés au régime avantageux des bénéfices agricoles (BA).

Dans le cas de démarches collectives de production d'énergie , plusieurs agriculteurs peuvent s'associer pour monter une installation. Ces démarches relèvent du cas par cas et du volontariat, mais sont aujourd'hui fréquentes, surtout dans la méthanisation agricole. Des projets peuvent également être montés avec des partenaires non agricoles, mais l'activité de méthanisation ne peut alors pas toujours être qualifiée d'agricole en raison des dispositions de l'article L. 311-1 du code rural.

2. Des incitations multiples

Dès 2011, le rapport précité du ministère de l'agriculture et de l'alimentation « Prospective Agriculture et Énergie 2030 » montrait que des politiques incitatives permettent de donner une impulsion à la production d'énergie dans le secteur agricole. Par exemple, l'essor des biocarburants a notamment été permis par « un contexte politique très incitatif » : autorisation de cultures non alimentaires sur les jachères, subvention aux cultures énergétiques instaurée en 2004 (supprimée depuis), dispositions fiscales incitatives (mécanisme d'exonération puis de réduction de TICPE et incitation basée sur la taxe générale sur les activités polluantes ou TGAP renommée taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants ou TIRIB en 2019), objectifs d'incorporation ambitieux, etc.

Il faut rappeler que ces filières énergétiques ont besoin de soutiens publics, par exemple à travers le prix d'achat de l'électricité produite (tarifs d'achat), sachant qu'il n'est que peu probable que les seuls contrats de vente à EDF soient suffisants pour assurer le développement de ces filières.

L'agriculture bénéficie traditionnellement de nombreuses incitations fiscales notamment concernant l'amortissement du matériel. Depuis 2002, un régime fiscal incitatif d' amortissements dégressifs s'applique ainsi à la méthanisation, à la valorisation de la biomasse, à l'éolien, au photovoltaïque, au solaire thermique et aux pompes à chaleur.

Au cours de la décennie écoulée et afin d'encourager la production de ces énergies renouvelables, plusieurs mesures ont été prises :

- depuis 2010, des tarifs d'achat de l'électricité produite par méthanisation, photovoltaïsme, ou biomasse ;

- depuis 2011, des tarifs d'achat pour le biométhane injecté dans les réseaux gaziers ;

- depuis 2016, des appels d'offre CRE pour la production d'électricité renouvelable issue de méthanisation ;

- depuis 2011, des garanties d'origine sur la méthanisation, l'éolien et le photovoltaïque ;

- depuis 2009, des subventions (aides Ademe à travers le fonds déchets et le fonds chaleur) pour la méthanisation, la pompe à chaleur, le solaire thermique et la biomasse ;

- des compléments de rémunération sur l'éolien depuis 2016 et le photovoltaïque depuis 2017 ;

- des participations au financement de projets par la BPI et la CDC ;

- des aides des régions ;

- des aides européennes (via le FEADER et le FEDER) sont également mobilisées pour des projets d'infrastructures de production d'énergies renouvelables, surtout dans la méthanisation, le programme Leader sur la valorisation des ressources naturelles et de culture a également pu être mobilisé.

Parmi ces incitations, les principales concernent les tarifs d'achat de l'énergie par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui a pour principale mission de veiller au bon fonctionnement du marché de l'énergie. Pour cela, celle-ci régule les réseaux de gaz et d'électricité en fixant leurs tarifs, et met en oeuvre des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables en instruisant des appels d'offres. Ces soutiens peuvent prendre la forme d'obligation d'achat en guichet ouvert à un tarif fixé en amont 58 ( * ) , ou d'un complément de rémunération, qualifié de prime variable 59 ( * ) . Ainsi, la CRE exprime un avis concernant les arrêtés déterminant le niveau des tarifs d'achat de l'énergie produite par des petites installations. Ces installations, éligibles à l'obligation d'achat, sont définies aux articles D. 314-15 et D. 314-23 du code de l'énergie. Peuvent ainsi bénéficier d'un soutien attribué par guichet ouvert :

- certaines installations utilisant l'énergie mécanique du vent implantées à terre bien que les éoliennes ne fassent plus partie du dispositif de l'obligation d'achat. En effet, les injections d'électricité produite par des installations ne possédant aucun aérogénérateur de puissance nominale supérieure à 3 MW et dans la limite de six aérogénérateurs sont éligibles à un complément de rémunération, dont le montant est défini par contrat 60 ( * ) ;

- les installations utilisant l'énergie solaire photovoltaïque implantées sur bâtiment d'une puissance crête installée inférieure ou égale à 100 kilowatts. Les injections d'électricité pour les installations de ce type inférieures à 9 kWc sont rémunérées 10,0 c€/kWh, et 0,06 c€/kWh pour les installations inférieures à 100 kWc 61 ( * ) ;

- les installations utilisant à titre principal le biogaz produit par méthanisation de déchets non dangereux et de matière végétale brute implantées sur le territoire métropolitain continental d'une puissance installée strictement inférieure à 500 kW. Le tarif de référence du biogaz se situe entre 64 et 95 €/MWh en fonction du type de production et de la taille de l'installation, auxquels s'ajoute une prime de 5 à 39 €/MWh en fonction de la nature des intrants et de la taille de l'installation. Les injections d'électricité pour les installations de ce type sont rémunérées 175 €/MWh pour les installations dont la puissance électrique maximale installée est inférieure à 0,08 MW (80 kW), et 150 €/MWh pour les installations dont la puissance électrique maximale installée est égale à 0,5 MW (pour mémoire le rachat est à 70 €/MWh pour une puissance installée supérieure à 1 MW). Une prime de 50 €/MWh est offerte pour une valeur de traitement des effluents d'élevage supérieure à 60 % 62 ( * ) ;

- les installations injectant du biométhane dans les réseaux de gaz naturel. Les injections de gaz pour les installations de ce type sont rémunérées entre 80 et 120€/MWh (4,5 c€/kWh PCS et 9,5 c€/kWh PCS) selon la taille de l'installation 63 ( * ) ;

- les installations utilisant l'énergie hydraulique des lacs, des cours d'eau et des eaux captées gravitairement. Les injections d'électricité pour les installations de ce type sont rémunérées entre 80 €/MWh et 122 €/MWh en fonction de l'installation 64 ( * ) ;

- les installations utilisant à titre principal l'énergie extraite de gîtes géothermiques . Ces dernières ne font pas partie du dispositif de l'obligation d'achat. Toutefois, les injections d'électricité produite par ce type d'installations sont éligibles à un complément de rémunération, dont le montant est défini par contrat 65 ( * ) .

Les installations n'entrant pas dans le cadre du guichet ouvert doivent suivre « les procédures de mise en concurrence, qui peuvent prendre la forme d'appels d'offres ou de dialogues concurrentiels, et où le soutien est attribué aux lauréats de ces procédures » 66 ( * ) . Ces derniers signent alors un contrat d'achat de leur production avec Électricité de France (EDF) ou avec une entreprise locale de distribution d'électricité et de gaz (ELD). De cette manière, le prix d'achat n'est pas administré, et découle de la mise en concurrence des producteurs.

C'est la CRE qui a la charge de mettre en oeuvre ces appels d'offres 67 ( * ) . De manière générale, la CRE recommande de privilégier le recours aux appels d'offres plutôt que le système de tarif d'achat unique lorsque les filières sont matures, comme pour l'éolien et le photovoltaïque, tandis que pour la filière biomasse il serait plus pertinent de développer des mécanismes de soutien régionaux plutôt que nationaux 68 ( * ) . Les appels d'offres sont classés par catégories, afin de mettre en concurrence des installations de même type :

- la réalisation et l'exploitation d'installations de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent, implantées à terre ;

- la réalisation et l'exploitation d'installations hydroélectriques - développement de la petite hydroélectricité ;

- la réalisation et l'exploitation d'installations de production d'électricité à partir d'énergie solaire photovoltaïque ou éolienne situées en métropole continentale ;

- la réalisation et l'exploitation de nouvelles installations de cogénération d'électricité et de chaleur à partir de biomasse situées en France métropolitaine continentale.

La CRE préconise de privilégier les appels d'offres à condition de prendre en compte les disparités régionales en termes d'approvisionnement ou de débouchés pour la production de chaleur, ou bien d'instaurer un tarif d'achat régionalisé, comportant des clauses contraignantes en matière de contrôle des plans d'approvisionnement de l'installation.

Aujourd'hui, la majorité des parcs d'éolien terrestre bénéficient des tarifs d'achat du guichet fermé fin 2016 et les petits projets de moins de six mâts et de moins de 3 MWh peuvent encore bénéficier de ce tarif. En revanche, les nouveaux projets de gros parcs éoliens doivent faire l'objet d'appels d'offres. Une réforme en cours devrait conduire à réduire encore le champ des parcs éligibles. Il semble donc qu'il soit de moins en moins intéressant de construire des parcs nouveaux puisque le tarif est de plus en plus réduit à sa portion congrue.

La piste de nouveaux mécanismes de soutien pour l'éolien terrestre est en débat : pour favoriser son acceptabilité, le Gouvernement souhaite faire émerger le « repowering », c'est-à-dire la réingénierie des parcs existants . Soit les parcs seront entièrement nouveaux et ils entreront dans le mécanisme d'appels d'offres, soit un mécanisme de soutien au réinvestissement sera mis en place. Ce « repowering » des parcs éoliens constitue une solution moins coûteuse, qui limite les problèmes d'acceptabilité sociale, puisque l'on remet des éoliennes là où il y en avait déjà. Le renouvellement des parcs est donc un axe intéressant, qui se pratique dans d'autres pays et qui permet d'augmenter les puissances, les capacités et les durées de production sans créer de nouveaux parcs.

Il peut enfin être remarqué que certaines installations de méthanisation agricole bénéficient d'une exonération 69 ( * ) de taxe foncière et de cotisation foncière des entreprises (CFE) et qu'en 2013, le Plan énergie méthanisation autonomie azote (EMAA) a eu pour but de développer un modèle français de la méthanisation agricole avec « 1 000 méthaniseurs à la ferme » à l'horizon 2020 70 ( * ) , en privilégiant des installations collectives, des circuits d'approvisionnement courts et des technologies et savoir-faire français. Il prévoit notamment d'optimiser le tarif d'achat pour l'électricité produite à partir de biogaz, de simplifier les procédures administratives pour le développement des projets de méthanisation ou encore d'accompagner les porteurs de projets. Ses objectifs n'ont pas été atteints.

Le dispositif de soutien à la méthanisation agricole vient d'être renforcé en 2019 par la mise en place par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation d'un fonds de garantie abondé de 25 millions d'euros, qui permettra à BPI France de proposer 100 millions d'euros de prêts sans sûreté ni caution personnelle aux agriculteurs portant un projet de méthanisation agricole pour les aider à boucler leur tour de table financier, avec l'objectif de faire émerger 400 nouveaux projets sur cinq ans.

Précédemment, le plan de performance énergétique des exploitations agricoles (2009-2013) avait permis d'accompagner le développement de 132 projets de méthanisation agricole pour un montant de subventions accordées par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation de 28 millions d'euros, complété de 38 millions d'euros en provenance de l'Ademe, des collectivités, des fonds européens (FEADER/FEDER) et, ponctuellement, des agences de l'eau. Ce plan a également permis d'accompagner le développement de chaudières biomasse (149 dossiers), de pompes à chaleur (270 dossiers), de séchage en grange (126 dossiers), de chauffe-eau solaire (343 dossiers) et de production d'énergie en site isolé / autoconsommation (53 dossiers).

Geneviève Pierre, dans l'ouvrage précité Agro-énergies dans les territoires, Coopérer pour l'autonomie locale , remarque que les projets agroénergétiques bénéficient aussi d'un contexte de promotion des énergies renouvelables et de diminution des GES supporté par des dispositifs d'action publique français comme le pôle d'excellence rurale (PER) « bio ressources », et des plans climat énergie territorial (PCET) dans les collectivités.


* 58 Articles L. 314-1 à L. 314-13 du code de l'énergie.

* 59 Articles L. 314-18 à L. 314-27 du code de l'énergie.

* 60 Arrêté du 6 mai 2017.

* 61 Article 8 de l'arrêté du 9 mai 2017.

* 62 Annexe 1 de l'arrêté du 13 décembre 2016.

* 63 Annexe 1 de l'arrêté du 23 novembre 2011.

* 64 Annexe 1 de l'arrêté du 13 décembre 2016.

* 65 Arrêté du 13 décembre 2016.

* 66 Cf. le lien suivant : https://www.cre.fr/Transition-energetique-et-innovation-technologique/soutien-a-la-production/Dispositifs-de-soutien-aux-EnR

* 67 Articles R. 311-10 à R. 311-25-15 du code de l'énergie.

* 68 Cf. le lien suivant : https://www.cre.fr/Documents/Publications/Rapports-thematiques/couts-et-rentabilite-des-enr-en-france-metropolitaine

* 69 Le plan de soutien à l'élevage de 2015 a conduit à des exonérations de fiscalité locale pour les installations de méthanisation agricole et à une adaptation des tarifs d'achat de l'électricité.

* 70 Il s'agirait plutôt d'environ 600 méthaniseurs agricoles qui seraient en fonctionnement cette année.

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