III. LES ENJEUX DE LA PRODUCTION D'ÉNERGIE DANS LE SECTEUR AGRICOLE

A. ENJEUX GÉNÉRAUX

1. État des lieux et données générales sur le secteur agricole comme producteur d'énergies

Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, le ministère de la transition écologique et l'Ademe estiment tous les trois qu'environ 20 % de la production d'énergies renouvelables françaises (4,6 Mtep sur les 23 Mtep d'EnR au niveau national) est issue du secteur agricole, ce qui représenterait environ 396 GWh d'énergies renouvelables 47 ( * ) , soit 3,5 % de la production globale d'énergie .

Cette production interne au secteur est, par ailleurs, environ équivalente à la consommation énergétique du secteur de 4,5 Mtep par an (en termes de consommation directe, car la consommation indirecte - fabrication des engrais ou d'autres intrants, etc. - représenterait plutôt le double de la production), en soulignant que l'énergie issue de la seule biomasse propre à l'agriculture, n'en fournit qu'un tiers, soit 15 à 20 %.

En 2015, au moins 50 000 exploitations étaient impliquées en France dans la production d'EnR selon l'Ademe - sur un total de 437 000 exploitations agricoles 48 ( * ) ) - avec une croissance rapide prévue dans les prochaines années (plus de 140 000 à l'horizon 2030 et plus de 280 000 à l'horizon 2050, ce qui devrait représenter la grande majorité des exploitations).

Source : Ademe.

Comme l'ont expliqué le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et le ministère de la transition écologique, il n'existe pas d'étude spécifique et exhaustive sur la part de la production d'énergie du seul secteur agricole sur les dernières décennies . Les données disponibles permettent de quantifier le parc et la production d'énergies renouvelables au niveau national, mais ne répartissent pas celle-ci par secteur économique (dont l'agriculture). Le rapport de l'Ademe de 2018 précité est le seul document disponible mais il n'est pas exhaustif et met l'accent sur les opportunités pour les exploitations agricoles en termes de modèles d'affaires.

On peut dénombrer une quinzaine d'EnR produites par le secteur agricole , que l'on peut regrouper en 7 filières.

Les énergies renouvelables dans le secteur agricole

Source : Ademe.

Il faut distinguer les EnR dépendantes de l'espace agricole , qui ont comme support les exploitations mais qui ne s'intègrent pas dans la production (éolien, solaire...), de celles qui s'intègrent dans la production agricole et en dépendent (les biocarburants et la méthanisation), que l'on peut qualifier de « bioénergies ».

Les premières peuvent engendrer des conflits d'usages de la terre et les autres une concurrence entre production alimentaire et non alimentaire , surtout dans le cas des biocarburants : la méthanisation n'a pas ce défaut si elle ne s'accompagne pas de cultures dédiées . L'agrivoltaïsme, dont il sera question plus loin, est une autre façon d'éviter les conflits d'usage. Il est pertinent de chercher des synergies entre le développement de ces énergies et la production alimentaire : les énergies renouvelables doivent s'intégrer dans le système agricole et alimentaire dans son ensemble et s'articuler avec l'activité des exploitations agricoles, y compris en termes de retour au sol des digestats de méthaniseurs et d'utilisation des biodéchets issus de la consommation de nourriture ou du gaspillage.

Le schéma suivant permet ainsi d'avoir une vision d'ensemble de la production d'énergies renouvelables dans le secteur agricole et des valeurs afférentes estimées (selon les seules données disponibles, qui datent de 2015), en distinguant les sources de bioénergies qui proviennent de l'utilisation de produits agricoles (une partie de la biomasse est utilisée pour faire par exemple des biocarburants ou du biogaz) des autres sources d'EnR, qui utilisent les surfaces agricoles pour produire de l'énergie (implantation d'éoliennes, de panneaux photovoltaïques, de pompes à chaleur...).

Agriculture et production d'énergie

Source : OPECST.

En 2050 , selon l'Ademe, les bioénergies pourraient à elles seules couvrir 100 % de la consommation d'énergie directe de l'agriculture (contre 50 % aujourd'hui). Dans le détail, cette répartition pourrait évoluer de la manière suivante.

L'avenir de la production d'énergie dans le secteur agricole

Source : Ademe.

Le graphique précédent qui montre un triplement de la production d'EnR entre 2015 et 2050 dans le seul secteur agricole (mais avec une part de l'énergie issue de la biomasse stagnant toujours autour du tiers), est fondé sur les données suivantes.

Source : Ademe.

Dans son rapport précité de 2018, l'Ademe donne une prévision de l'évolution de la part agricole dans la production d'EnR selon trois scénarios (bas-médian-haut), qui pourrait passer de 20 % aujourd'hui à « 18-23-25 % » en 2030 et « 18-23-29 % » en 2050 .

La production d'énergies renouvelables par le secteur agricole progresse et devrait être multipliée par 3 entre 2015 et 2050 passant, selon l'Ademe, de 4,6 Mtep à 15,8 Mtep . Un tel niveau reviendrait à une production de 76 TWh en 2020 - ce qui est supérieur aux 52 TWh prédits par la précédente étude de l'Ademe de 2012 « Analyse économique de la dépendance de l'agriculture à l'énergie », ce qui témoigne de l'existence de plusieurs scénarios aux valeurs fluctuantes - notamment avec une forte évolution de la production potentielle d'énergie éolienne (6,4 Mtep à l'horizon 2050), de biogaz (biométhane) avec 4,1 Mtep et de solaire photovoltaïque (1,5 Mtep). Les biocarburants ne seront plus l'énergie la plus produite à partir du périmètre agricole, puisqu'à l'horizon de 2050 c'est l'éolien puis le biogaz qui seraient en tête.

Le schéma ci-après permet d'identifier la part agricole de chaque EnR en France aujourd'hui (les données issues de ce rapport paru en 2018 datent toutefois de 2015).

Part agricole de chaque EnR en France (données 2015)

Source : Ademe.

Selon l'Ademe, le secteur agricole contribuerait à hauteur de 25 % de la production d'EnR hors hydroélectricité et la part agricole dans la production nationale d'EnR (données 2015) se répartit comme suit, par ordre d'importance de cette part : 96 % pour les biocarburants (issus de la biomasse), 83 % pour l'éolien (lié à l'utilisation des terres agricoles), 26 % pour le biogaz (issu de la biomasse), 13 % dans le solaire photovoltaïque (lié à l'utilisation des terres et des bâtiments agricoles), 8 % pour la biomasse chaleur (issue de la biomasse), 3 % dans le solaire thermique et 1 % pour les pompes à chaleur.

Alors que le nombre total d' exploitations impliquées dans la production d'EnR serait d' au moins 50 000 , l'Ademe prévoit à l'horizon 2050 près de 280 000 exploitations agricoles produisant des énergies renouvelables. Ce dernier chiffre est cependant surestimé, car il comprend les doubles-comptes liés aux exploitations agricoles produisant plusieurs énergies renouvelables en même temps. Comme la part des exploitations produisant plusieurs EnR n'a pas pu être déterminée, il a été considéré par l'Ademe que la majeure partie des exploitations agricoles françaises seront impliquées dans la production d'une ou plusieurs EnR. Une telle prévision semble cohérente et compatible avec l'atteinte de l'objectif facteur 4 à l'horizon 2050.

L' éolien terrestre a vu sa puissance électrique installée en France augmenter au cours de la dernière décennie, passant de 6 812 MW en 2011 à 16 617 MW en 2019. En outre, la production d'électricité à partir d'éoliennes terrestres en 2019 était de 34,1 TWh, soit 7,2 % de la consommation électrique totale 49 ( * ) .

Le solaire photovoltaïque connaît lui aussi une croissance forte, sa production électrique passant de 8,2 TWh en 2014 à 17,5 TWh en 2019 50 ( * ) .

Enfin, concernant le biogaz , fin décembre 2019, 776 installations de biogaz d'une puissance installée totale de 493 MW étaient raccordées au réseau électrique en France. Cette puissance a augmenté de 40 MW au cours de l'année 2019 51 ( * ) .

Le schéma de synthèse ci-après a pour objet de construire une typologie des sources d'énergie propres au monde agricole en mettant en valeur deux grandes catégories : les énergies produites grâce à la mise à disposition de terres agricoles et les énergies directement liées à la production agricole elle-même, ou bioénergies. Il distingue aussi les énergies intermittentes des autres et précise le risque de conflits d'usage pour chacune.

Typologie des sources d'énergie dans l'agriculture

Source : OPECST.

Il faut préciser que ces conflits d'usage correspondent à la seule situation présente, susceptible d'évoluer, par exemple de la manière suivante :

- une méthanisation raisonnée permettrait d'éviter les conflits d'usage en n'ayant recours qu'aux cultures intermédiaires à valorisation énergétique (CIVE), aux effluents d'élevage et aux déchets ;

- de même, pour les biocarburants de 2 e génération, le conflit d'usage sera inexistant ou très modéré.

L'approche territoriale de la production d'énergie dans l'agriculture

La production énergétique des exploitations agricoles est très directement reliée aux enjeux de zones géographiques et à leurs territoires. D'après Bernadette Le Baut-Ferrarese, dans son ouvrage Droit des énergies renouvelables « en un sens, le développement des énergies renouvelables s'inscrit peut-être avant tout dans une logique de développement local. La raison en est simple : dans la très grande majorité des cas, les énergies renouvelables s'appuient sur des ressources de proximité » (p. 50). Les gisements d'EnR (solaire, éolien, biomasse et déchets agricoles...) nécessitent une dissémination de centrales ou d'installations de production sur les territoires, avec le secteur agricole comme acteur essentiel.

Les projets agro-énergétiques doivent donc aussi être pensés dans une logique d'aménagement du territoire, sachant qu'ils mobilisent le plus souvent des « ressources territoriales » (terres agricoles, biomasse, coproduits, déchets, etc.) et deviennent des moteurs du développement économique et social local. L'ouvrage précité de Geneviève Pierre, Agro-énergies dans les territoires, Coopérer pour l'autonomie locale , met bien en valeur cette double inscription territoriale. Deux thèses de doctorat ont pris pour exemple des projets agro-énergétiques pour réinterroger les dimensions et les perspectives du développement territorial. La première a pour auteur Yvan Tritz, et s'intitule « Développement territorial et valorisation en circuit court des ressources énergétiques locales. Vers des systèmes énergétiques agri-territoriaux ? » (thèse de géographie, Lyon 2, 2013). Elle a élaboré un concept-hypothèse pour les projets décentralisés de production d'énergie à partir de biomasse agricole : le « Système énergétique agri-territorial (SEAT) », inspiré des Systèmes productifs locaux (SPL) et des Système agroalimentaires localisés (SYAL), le SEAT devant faire figure d'outil pour analyser les formes locales de développement des bioénergies. La seconde de Carole Garnaud-Joubert « Les énergies renouvelables dans l'agriculture de Charente-Maritime » (thèse de géographie, université de La Rochelle, 2010) prend l'exemple des « énergies renouvelables dans l'agriculture de la Charente-Maritime pour montrer l'émergence en milieu rural d'un nouveau moteur du développement économique et social non dépourvu d'incidences sur l'environnement local ».

Ces deux thèses de doctorat sont disponibles en ligne :

http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2013/tritz_y/info et

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00576083/file/TheseJoubert-Garnaud.pdf

Source : OPECST.

L'impact environnemental des EnR est une question de première importance mais plutôt que de l'insérer dans la liste des enjeux généraux qui suit, vos rapporteurs ont choisi de consacrer un chapitre entier à cet impact (chapitre 4), en l'enrichissant de développements connexes sur le stockage du carbone et sur les rendements énergétiques des différentes EnR.

2. Les problèmes d'acceptabilité sociale : les positions de l'opinion publique, des parties prenantes et des agriculteurs

Les problèmes d'acceptabilité sociale des EnR peuvent être traités de plusieurs manières, en faisant état des positions de l'opinion publique, des parties prenantes et des agriculteurs, avec des sondages d'opinion ou avec des approches plus qualitatives.

Si l'on commence avec des sondages généraux, une étude de l'Ademe de novembre 2018 sur « Les Français et l'environnement » montrait que 92 % des Français se déclarent favorables au développement des énergies renouvelables , que 57 % de la population estime que les EnR permettent de lutter contre le réchauffement climatique, que 56 % des Français estiment que les EnR évitent la pollution de l'air, des sols et de l'eau, que 43 % redoutent l'intermittence inhérente à la production de certaines EnR, que 34 % pointent des impacts sur les paysages, que 27 % pensent que les EnR ne sont pas vraiment écologiques, que 85 % de la population considère que même si elle coûte un peu plus cher, la production locale d'énergie d'origine renouvelable est souhaitable et que 54 % des Français déclarent qu'ils seraient prêts à soutenir le développement des EnR dans leur région en investissant une partie de leur épargne. De même, d'après un sondage Harris Interactive d'octobre 2018 pour La Heinrich-Böll-Stiftung France et la Fabrique écologique, 91 % des Français estiment que la transition énergétique est un enjeu important voire prioritaire, 83 % priorisent un investissement dans les énergies renouvelables plutôt que dans le nucléaire et 60 % pensent qu'il faut refuser les projets ayant un impact positif pour l'emploi mais négatif sur le climat.

La question de la multifonctionnalité de l'agriculture et de la vocation des agriculteurs à fournir à la société des biens autres qu'alimentaires font débat au sein de la profession agricole, notamment au sujet de la production d'énergie, par exemple avec les biocarburants. Vos rapporteurs ont pu mesurer l'ampleur de ce débat en rencontrant la diversité du monde agricole et ses trois principaux syndicats.

Le rendement énergétique de ces cultures et leurs impacts environnementaux sont d'autres sujets régulièrement débattus , parfois avec l'expression de tensions (cf. chapitre 4 du présent rapport). Si la perspective de nouvelles activités et de nouveaux débouchés économiques conforte l'attitude entrepreneuriale d'une partie des agriculteurs, l'attachement à la fourniture quasi exclusive de biens alimentaires est prégnant pour d'autres. Ce débat se retrouve au sein de la société comme dans les choix des décideurs, au niveau national comme local : certaines collectivités territoriales soutiennent l'approvisionnement en produits alimentaires de proximité alors que d'autres favorisent le développement de filières industrielles. Les deux logiques peuvent d'ailleurs cohabiter sur un même territoire.

Pour Geneviève Pierre, dans son ouvrage précité Agro-énergies dans les territoires, Coopérer pour l'autonomie locale , les « projets agro-énergétiques, multidimensionnels - de l'entrepreneuriat agricole à l'expérimentation en machinisme, à l'autonomie alimentaire et énergétique, à la diversification et à la multifonctionnalité agricole -, questionnent les identités professionnelles ». Parallèlement, l'approche multifonctionnelle de l'agriculture, par l'agroforesterie et par l'entretien du paysage bocager et de la haie débouchant sur la production de bois déchiqueté, participe de l'insertion de l'exploitation agricole dans son territoire.

La Commission européenne a publié en 2012 une étude commandée à un cabinet de conseil consacrée à « l'impact des énergies renouvelables sur les agriculteurs européens » 52 ( * ) . Cette étude, plus large que les seules questions d'opinion, est présentée dans le chapitre 6 du présent rapport. Sur les questions d'acceptabilité par le monde agricole, il faut observer que si l'intervention d'entreprises externes peut avoir de réels avantages (moins d'endettement, prise en charge des autorisations et des raccordements...), les agriculteurs se montrent réservés voire hostiles à l'intervention d'acteurs tiers . La plupart des agriculteurs affirment investir dans ces projets pour des raisons économiques et notamment la volonté de diversifier leurs sources de revenu, dans le contexte de la volatilité des prix des matières agricoles. S'ils constatent que les investissements dans les EnR augmentent les revenus de leur exploitation, ils subissent aussi une masse de travail accrue, surtout s'agissant des énergies issues de la biomasse.

Un tel constat est également établi par un rapport d'étudiants de Sciences Po Rennes sur les EnR et les agriculteurs 53 ( * ) . Il montre que le développement des EnR peut présenter un risque pour les agriculteurs car il s'agit d'une activité chronophage : parce qu'ils ont déjà une activité à plein temps, les agriculteurs peuvent éprouver des difficultés à monter un projet d'EnR. S'ils y consacrent trop de temps, ils risquent de ne plus pouvoir faire leur métier d'agriculteur correctement. Au contraire, s'ils n'y passent pas suffisamment de temps, ils s'exposent à la prédation d'acteurs du secteur des EnR. Toutefois, il faut garder à l'idée que la surcharge de travail est le plus souvent temporaire . Elle intervient surtout en phase d'émergence, de pré-faisabilité et de développement du projet.

Ce rapport de Sciences Po Rennes souligne aussi que la production d'énergie étant une activité spéculative et concurrentielle, les agriculteurs, dont les EnR ne sont pas le coeur de métier, sont vulnérables face à des acteurs qui enchaînent les projets. Les développeurs éoliens joueraient ainsi de cette faiblesse lors de la signature des promesses de bail en dissimulant le fait que tous les agriculteurs qui ont signé n'auront pas forcément une éolienne sur leur terrain et donc que les revenus promis n'iront qu'à quelques-uns. Ces pratiques seraient destructrices pour la solidarité locale. En traitant de manière bilatérale et non transparente, certains développeurs attisent des tensions entre agriculteurs, concurrents pour recevoir une éolienne et toucher un loyer.

L' atelier citoyen organisé par nos collègues députés Philippe Bolo et Matthieu Orphelin dans le cadre du débat public relatif à la PPE 54 ( * ) a permis d'évaluer la vision du public sur diverses affirmations concernant le développement de la production d'énergies renouvelables par les agriculteurs. Les participants à l'étude étaient amenés à attribuer des points entre 5 et 20 sur diverses affirmations. L'affirmation ayant reçu le plus de points (269 points pour 44 participants) était la possibilité pour les agriculteurs de diversifier leurs revenus agricoles en contribuant au développement des énergies renouvelables. En deuxième plan venait la contribution des agriculteurs à l'autonomie énergétique (179 points pour 45 participants) suivie de la possibilité de créer de l'activité économique sur le territoire (175 points pour 41 participants). Enfin, la possibilité de donner à l'agriculture l'image d'une activité qui agit pour l'environnement (136 points pour 35 participants) précède la dernière affirmation qui est celle d'impliquer les agriculteurs dans les objectifs nationaux pour le climat (109 points pour 33 participants).

3. Les enjeux économiques et financiers pour les agriculteurs

Avec 20 % de la production française d'EnR et un développement attendu très important, la production d'énergie constitue une activité stratégique pour l'agriculture de même que cette dernière représente un secteur stratégique pour le développement des EnR en France . Il faut donc l'organiser, la suivre et l'animer, car elle représentera un enjeu économique et financier croissant pour les agriculteurs : une source de revenus avec la vente des énergies produites et, dans une moindre mesure, un gisement d'emplois mais aussi des besoins d'investissements considérables , des économies sur les dépenses d'énergie (renforcement de l'autonomie énergétique des exploitations à travers l'autoconsommation et la récupération de l'énergie sous forme d'électricité, de gaz, de carburants ou de chaleur), des économies sur d'autres intrants (engrais et amendements...) via le retour au sol des digestats, etc.

La production d'EnR a représenté des recettes de l'ordre d' 1,366 milliard d'euros (données 2015), elle rapporte donc au monde agricole l'équivalent de 2 % du chiffre d'affaires du secteur . Ce chiffre d'affaires est développé principalement par la vente de biomasse pour les biocarburants (1 057 millions d'euros), mais aussi par le photovoltaïque (105 millions), la méthanisation (88 millions) et la production de biomasse pour la combustion (85 millions). À ce chiffre d'affaires, s'ajoutent 112 millions d'euros d'économies sur la facture énergétique des exploitations par l'autoconsommation de biomasse, la mise en place d'installations de solaire thermique et de pompes à chaleur, soit 3,4 % des dépenses énergétiques.

Si, cette production n'est que peu génératrice d'emplois directs supplémentaires, elle permet d'accroître le revenu global des agriculteurs avec des revenus supplémentaires et diversifiés, relativement stables car non soumis aux facteurs de volatilité des prix internationaux , participant ainsi à l'équilibre économique des exploitations et à l'amélioration de la compétitivité du secteur agricole.

Les montants sont très variables, pouvant aller de quelques milliers d'euros de réduction de leur facture énergétique à plus de 15 000 euros annuels de revenus complémentaires . Ces chiffres sont à mettre en perspective avec le revenu courant avant impôts (RCAI) agricole moyen, évalué à 30 360 euros par l'Insee en 2018 pour l'ensemble des filières. Ces chiffres ne doivent pas masquer les écarts considérables entre agriculteurs et les pertes de certains agriculteurs, notamment dans le domaine de la méthanisation qui reste un procédé complexe et soumis à plusieurs incertitudes, comme la variation des intrants.

Les bénéfices économiques des EnR pour les agriculteurs devraient toutefois s'accentuer. L'agriculteur aura de plus en plus un rôle de producteur d'énergie qui dépasse celui de producteur de produits destinés à l'alimentation, qui doit rester sa fonction première. Pour le rapport précité de l'IHEST, il s'agira de plus en plus d'un « énergieculteur ».

La production d'énergies renouvelables à travers la production d'électricité, de biocarburants, ou de biogaz représenterait un complément de revenu pour plus de 50 000 exploitants agricoles 55 ( * ) , ce chiffre n'étant qu'un ordre de grandeur imprécis compte tenu de la faiblesse des données disponibles. Selon l'énergie produite, le modèle d'affaires n'est pas le même pour l'agriculteur, comme le montre bien l'étude de l'Ademe précitée de 2018. La source de revenu qui en résulte n'est donc pas de même ordre non plus. Pour les rapporteurs, il ne peut s'agir que de compléments de revenus et en aucun cas de la source principale de rémunération des exploitants agricoles.

Quatre principaux modèles d'affaires , plus ou moins intégrés au système agricole de l'exploitation, peuvent être distingués :

- l'autoconsommation d'énergies renouvelables (chaleur, électricité ou gaz) pour réduire la facture énergétique de l'exploitation (géothermie, solaire thermique, photovoltaïque, méthanisation) ;

- la production et la vente de biomasse pour la production d'énergies renouvelables (cultures pour les biocarburants et la méthanisation, bois pour la chaleur) ;

- la vente d'électricité ou gaz directement sur les réseaux (photovoltaïque, méthanisation) ;

- la mise à disposition de surfaces (éolien, photovoltaïque).

Il serait pertinent, par ailleurs, de favoriser autant que faire se peut l'autoconsommation , qui facilite les circuits courts et permet une plus grande autonomie énergétique dans l'agriculture. L'autoconsommation est cependant soumise à un cadre juridique complexe et peu incitatif.

4. L'accès au foncier agricole

L'accès au foncier agricole est un enjeu majeur du développement des énergies renouvelables dans le secteur agricole . En outre, certaines énergies sont plus demandeuses en terres agricoles que d'autres, et peuvent donc entraîner davantage de conflits d'usage ou de modification de la qualité des sols. Le tableau ci-après récapitule l'espace occupé par les principales énergies développées en milieu agricole en France, en 2015 56 ( * ) :

Les surfaces agricoles mobilisées pour la production d'énergie

Surface agricole totale

28 000 000 d'ha 57 ( * )

100 %

Type d'énergie

Surfaces agricoles mobilisées (en ha)

Part de la surface agricole totale (en %)

Photovoltaïque au sol

450

0,0016 %

Éolien

583

0,0021 %

Méthanisation (cultures dédiées)

14 850

0,0530 %

Biocarburants

769 000

2,7464 %

Total

784 883

2,8031 %

Source : OPECST d'après les données de l'Ademe.

Ainsi, le photovoltaïque au sol utilise peu de foncier productif au sol, notamment car son développement est encadré par la circulaire du 18 décembre 2009 relative au développement et au contrôle des centrales photovoltaïques au sol.

La méthanisation , certes plus demandeuse en foncier productif, reste limitée grâce au décret n° 2016-929 du 7 juillet 2016 pris pour l'application de l'article L. 541-39 du code de l'environnement, qui limite la part d'intrants provenant de cultures dédiées à 15 % du tonnage brut total des intrants . L'absence de plafonnement du niveau de cultures dédiées conduirait à une plus grande utilisation de terres agricoles.

Enfin, les biocarburants détiennent un record, ce qui met en lumière les risques de conflits d'usage de cette production d'énergie, avec 769 000 hectares de surfaces agricoles mobilisées en France, cette superficie ne représentant toutefois que 2,7 % de la surface agricole utile (SAU).


* 47 Rapport de l'Ademe, « Agriculture et énergies renouvelables : contributions et opportunités pour les exploitations agricoles », 2018 https://www.ademe.fr/agriculture-energies-renouvelables

* 48 Données 2016. Un recensement est en cours en 2020.

* 49 Cf. OFATE, Onshore Windenergie in Frankreich, 2020 https://energie-fr-de.eu/fr/energie-eolienne/actualites/lecteur/barometre-ofate-de-leolien-terrestre-en-france.html

* 50 Cf. OFATE, Photovoltaik in Frankreich, 2020 https://energie-fr-de.eu/fr/energie-solaire/actualites/lecteur/barometre-sur-le-photovoltaique-en-france.html

* 51 Cf. OFATE, Biogas und Biomethan in Frankreich, 2020 https://energie-fr-de.eu/fr/bioenergies/actualites/lecteur/barometre-ofate-de-biogaz-en-france.html

* 52 Cf. https://ec.europa.eu/agriculture/external-studies/renewable-energy-impacts_en

* 53 Cf. https://energie-partagee.org/wp-content/uploads/2017/10/Rapport-dexpertise-AgriEnR.pdf

* 54 Cf. la synthèse de l'atelier « Contribution de l'agriculture au développement des ENR » https://www.philippe-bolo.fr/wp-content/uploads/2018/06/004-Synthese-PPE-CNDP-EnR-Agriculture-vf.pdf

* 55 Cf. https://agriculture.gouv.fr/sia2018-stephane-travert-presente-le-plan-daction-bioeconomie

* 56 Ademe, Agriculture et énergies renouvelables : contributions et opportunités pour les exploitations agricoles, 2018, disponible au lien suivant : http://presse.ademe.fr/wp-content/uploads/2018/02/Agriculture-EnR-contributions-opportunites-2018-Synthese.pdf

* 57 Cf. https://agriculture.gouv.fr/agriculture-et-foret/quelle-part-du-territoire-francais-est-occupee-par-lagriculture

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