C. AMÉLIORER L'EXERCICE DE LA COMPÉTENCE CULTURELLE

La gestion de la crise sanitaire a mis en lumière la nécessité d' accroître le dialogue entre les différents acteurs de la culture.

Alors que l'article 3 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, pose le principe d'une élaboration conjointe des politiques culturelles entre l'État et les collectivités territoriales, en concertation avec les acteurs de la création artistique, les personnes que le groupe de travail a auditionnées ont déploré la faiblesse de la concertation à l'occasion de la crise sanitaire.

Il s'agit d'un point particulièrement problématique dans le contexte actuel, dans la mesure où c'est la responsabilité des collectivités territoriales ou des structures qui pourrait être engagée si des contaminations survenaient dans les établissements une fois l'activité reprise.

Le groupe de travail estime que les critiques formulées par les acteurs concernant, d'une part, le manque de visibilité sur les perspectives et les conditions de reprise de l'activité et, d'autre part, la multiplication des injonctions contradictoires auraient pu être atténuées grâce à un dialogue plus régulier entre les principaux acteurs de la vie culturelle. Des échanges continus autour des différents scenarii envisagés aurait permis aux acteurs de se sentir informés et de pouvoir mieux anticiper et préparer la reprise, dans un domaine dans lequel la programmation tient une place essentielle.

Se posent dès lors la question des outils pour faciliter ce dialogue , comme celle du renforcement de la structuration de certaines filières, préalable indispensable à des échanges féconds.

1. La nécessité d'une véritable co-construction des politiques culturelles avec les collectivités territoriales
a) Créer les conditions d'un dialogue équitable et opérationnel

Le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales doit absolument être intensifié, afin de permettre aux collectivités publiques d'exercer véritablement conjointement, comme le prévoit l'article 103 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), la responsabilité en matière culturelle.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat alerte à ce sujet depuis plusieurs années, déplorant les dysfonctionnements rencontrés par plusieurs commissions culture des conférences territoriales de l'action publique et l'absence d'outil efficace pour assurer la coordination des actions de l'État et des collectivités territoriales.

Face à la nécessité de mettre en place, au plus vite, un plan de relance très puissant en faveur du secteur de la création, la crise sanitaire a rendu le besoin d'un dialogue régulier encore plus impérieux .

Les collectivités territoriales, qui assument habituellement 80 % des dépenses culturelles, ont été particulièrement sollicitées ces derniers mois. Les structures culturelles se sont largement tournées vers elles pour parer à l'urgence. Les collectivités se sont globalement montrées réactives. De nombreuses collectivités, tous échelons confondus, ont veillé à maintenir le montant des subventions votées et à en anticiper le versement. Beaucoup ont par ailleurs mis en place des fonds de soutien spécifiques. L'instauration de ces différentes mesures s'est faite de manière indépendante, avec pour conséquence un accompagnement très variable des structures culturelles selon les territoires .

Les collectivités ne sont guère associées à la définition du cadre pour la reprise de l'activité ou du plan de relance pour le secteur . Alors qu'elles n'avaient pas été consultées pour la définition des premières orientations du plan de soutien pour la culture, le Président de la République ne les a mentionnées, dans son discours du 6 mai, que pour les inviter à abonder les dispositifs mis en place par le Gouvernement, ignorant les initiatives qu'elles ont prises de leur côté ces derniers mois, mais aussi les contraintes budgétaires auxquelles elles font face.

La crise sanitaire devrait en effet durablement peser sur leurs budgets . Leurs dépenses culturelles sont particulièrement élevées depuis le début de la crise avec, dans l'ensemble, le choix de maintenir les subventions, de régler les prestations des événements programmés annulés, et la nécessité, à terme, de compenser les pertes de recettes subies par les établissements publics du fait de l'interruption de l'activité. Le maintien en vigueur du « pacte de Cahors », qui lie un grand nombre d'entre elles financièrement à l'État en les obligeant à maintenir la croissance de leurs dépenses de fonctionnement dans la limite de 1,2 %, aurait pu constituer un frein pour leur permettre d'engager de nouvelles dépenses, tout en les privant totalement de la possibilité de mener à bien leurs propres initiatives. La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 en a heureusement suspendu l'application pour permettre aux collectivités territoriales de participer à l'effort de soutien et de relance, mais uniquement pour l'année 2020. Or, il est peu probable que le soutien public à la relance se limite à 2020 dans le domaine culturel. Il serait donc souhaitable de prolonger l'assouplissement des règles du « pacte de Cahors » à l'année 2021, au moins en ce qui concerne les dépenses culturelles.

Recommandation n° 15 : Maintenir en 2021 les dépenses culturelles des collectivités territoriales en dehors de l'application du « pacte de Cahors » afin de permettre aux collectivités territoriales de participer à la reprise de l'activité culturelle.

L'attitude de l'État à l'égard des collectivités territoriales en matière culturelle alimente chez elles un sentiment de frustration face à la faible confiance qui leur est accordée et à leurs marges de manoeuvre limitées . Si les collectivités territoriales se sont vues reconnaître un pouvoir de décision en matière de réouverture des écoles, elles doivent en revanche obtenir l'autorisation préalable du préfet pour la réouverture des établissements culturels.

Les collectivités territoriales ne veulent plus être réduites à un rôle de simple contributeur, estimant que leurs actions en matière culturelle mériteraient qu'elles soient traitées comme de véritables partenaires . Le report des élections municipales a sans doute contribué à fragiliser la position des communes au cours des derniers mois. L'organisation du second tour des élections municipales le samedi 28 juin 2020 devrait créer des conditions plus favorables pour renouveler le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales en matière culturelle.

Les représentants des collectivités territoriales que le groupe de travail a entendus ont indiqué qu'ils attendaient de l'État qu'il édicte davantage de prescriptions générales et laisse les collectivités territoriales les mettre en oeuvre en les adaptant si nécessaire. Ils ont regretté les contrôles systématiques de l'État, en particulier a priori , sur l'action des collectivités territoriales, qu'ils jugeaient infantilisants et inutiles compte tenu des sanctions, soit juridiques, soit morales (avec le vote des administrés), auxquelles les collectivités faisaient face dans les cas où elles auraient mal agi ou auraient été défaillantes.

Dans le contexte de la crise sanitaire, ils ont fait part de leur souhait de voir l'État rapidement donner des indications très précises concernant les règles applicables à la reprise de l'activité et son calendrier, de manière à éviter que des informations contradictoires soient communiquées par différents services de l'État.

Recommandation n° 16 : Traiter les collectivités territoriales comme de vrais partenaires plutôt que comme de simples contributeurs financiers à la mise en oeuvre des politiques nationales définies par le Gouvernement.

La transformation, en octobre 2019, du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC) en Conseil des territoires pour la culture (CTC) a permis de faciliter les échanges entre le ministère et les associations d'élus. Le ministre de la culture a pris l'initiative, dès le mois d'avril, de décliner ce dispositif au niveau territorial pour permettre aux collectivités publiques de débattre de la situation du secteur de la culture dans chacune des régions. Leurs réunions d'installation se sont généralement tenues dans le courant du mois de mai.

Pour autant, la composition de ces CTC régionaux , constitués de représentants d'associations d'élus du territoire sur le modèle du CTC national, ne leur permet pas de donner leur pleine mesure. D'une part, la présence de représentants d'associations d'élus présente le risque que les discussions portent essentiellement sur les grands principes, comme au niveau national, et ne soient pas suffisamment concrètes . D'autre part, la composition des CTC régionaux ne reflète pas les spécificités organisationnelles de chaque territoire en matière de culture. Les petites communes et intercommunalités, qui construisent au quotidien la culture dans les territoires, n'y sont pas correctement représentées.

Recommandation n° 17 : Faire évoluer la composition des CTC régionaux afin qu'ils ne se contentent pas de reproduire les échanges qui se tiennent déjà au niveau national, mais permettent d'enregistrer des avancées concrètes sur les actions à mener en matière culturelle sur le territoire concerné et la répartition des tâches entre les différentes collectivités publiques.

De ce fait, les CTC régionaux n'ont pas aujourd'hui un caractère véritablement plus opérationnel que les commissions culture des conférences territoriales de l'action publique (CTAP culture). Dans les régions dans lesquelles les CTAP culture étaient efficaces, comme la Bretagne, la mise en place des CTC pourrait même retarder le traitement de la situation d'urgence, du fait des délais inhérents à la mise en route de ce type d'instances. C'est l'une des raisons qui conduit aujourd'hui plusieurs élus bretons à proposer au ministre de la culture que le plan de relance en faveur de la culture dans leur région soit co-construit au sein de la CTAP culture, qui est dans cette région co-pilotée par la Région et l'État.

Recommandation n° 18 : Privilégier les instances les plus efficaces et opérationnelles en régions pour définir au plus vite la réponse des collectivités publiques à la crise sanitaire en matière culturelle.

b) Encourager le maintien des investissements des collectivités territoriales dans le champ culturel

Les acteurs culturels que le groupe de travail a auditionnés ont de nouveau manifesté la crainte d'un désengagement des collectivités territoriales dans les prochains mois, sous l'influence de deux principaux facteurs : d'une part, les alternances politiques suite aux élections municipales et, d'autre part, l'impact de la crise sanitaire sur les finances des collectivités territoriales, qui enregistrent à la fois une explosion de leurs dépenses et une baisse importante de leurs recettes. Cette crainte est d'autant plus élevée que la culture, étant une compétence partagée, est particulièrement sensible au désengagement d'une collectivité qui, par le signal envoyé, peut entraîner celui des autres.

Ce risque apparait effectivement crédible, comme en témoigne la décision de plusieurs collectivités de renoncer à l'octroi de subventions qu'elles avaient pourtant promises. Le soutien des collectivités territoriales est pourtant primordial pour permettre aux artistes et aux structures culturelles de surmonter la crise.

Plusieurs pistes sont régulièrement évoquées pour éviter les ravages liés au désengagement brutal d'une collectivité territoriale, comme assigner une compétence obligatoire en matière culturelle à certains échelons territoriaux ou désigner une collectivité chef de file. Elles auraient le mérite de faire émerger au niveau local un échelon plus puissant pour discuter avec l'État. Nos collègues, Antoine Karam et Sonia de la Provôté, auteurs il y a quelques mois d'un rapport sur les nouveaux territoires de la culture au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, ont toutefois montré que ces solutions comportent également des effets pervers, soit en privant les autres échelons d'intervenir si jamais l'échelon compétent n'exerçait pas sa compétence, soit en décourageant les autres échelons territoriaux de poursuivre leurs actions culturelles.

L'autre crainte exprimée par les acteurs culturels reste celle d'une décentralisation complète des politiques culturelles , au regard du danger qu'elle représenterait pour l'équité territoriale en matière d'accès à la culture. La future loi « 3 D », qui doit approfondir les processus de décentralisation et de déconcentration, tout en ménageant davantage de possibilités de différenciation, cristallise les inquiétudes si elle venait à autoriser les collectivités à s'écarter trop largement du cadre national, compte tenu du risque qu'un président d'exécutif local puisse avoir une vision de la culture différente de celle défendue jusqu'ici par l'État. C'est la raison pour laquelle il parait indispensable que l'État conserve à l'avenir a minima un rôle de garant de l'équité territoriale en matière culturelle , recouvrant à la fois un rôle de prescripteur et un rôle d'intervenant à titre subsidiaire. Les expérimentations en matière culturelle ne doivent pas être un moyen pour l'État de se décharger sur les collectivités de ses missions, au risque de creuser les inégalités à la fois entre les territoires ruraux et les territoires urbains, et selon le niveau de ressources des collectivités.

Dans ce souci d'équité territoriale, il serait bon que l'État contractualise avec les collectivités territoriales afin de les inciter à maintenir leurs financements en faveur de la culture et de définir les modalités d'articulation de leurs interventions. Ces formes de contractualisation ont déjà existé par le passé. Fin 2014, l'État avait mis en place des « pactes culturels » pour combattre la tentation des villes de réduire le montant des crédits qu'elles allouent à la culture. Abandonnés depuis, près d'une centaine de pactes avaient alors été conclus, pour une durée de trois ans, par l'État et une commune ou une intercommunalité sur la base d'un engagement respectif à maintenir le niveau de leurs subventions pendant cette période.

Recommandation n° 19 : Relancer l'idée de « pactes culturels » afin de conclure des contrats avec les collectivités territoriales pour éviter qu'elles ne se désengagent en matière culturelle dans les mois à venir et garantir ainsi une sanctuarisation des budgets des collectivités publiques consacrés à la culture.

2. Mieux prendre en compte les besoins des acteurs des filières du spectacle vivant et des arts visuels
a) Mobiliser et développer les outils existants

Les représentants des différentes filières que le groupe de travail a auditionnés se sont inquiétés des capacités financières qui resteraient à la disposition du CNM et du CNAP à l'issue de la crise pour poursuivre leurs missions et participer à la relance si leur dotation n'est pas de nouveau abondée, compte tenu de la manière dont leurs budgets sont sollicités pour répondre à la situation d'urgence.

Cette crainte était particulièrement vive en ce qui concerne le CNM, entré en fonction le 1 er janvier 2020 avec un budget déjà nettement inférieur aux demandes qui avaient été identifiées. L'abondement de 50 millions d'euros de ses ressources dans le cadre du PLFR 3 pour 2020 pourrait dissiper à court terme les inquiétudes. L' affectation à cet opérateur de nouvelles ressources fiscales , significatives et pérennes, demeure un enjeu majeur pour la filière, compte tenu des difficultés que pourrait rencontrer le CNM l'année prochaine du fait du rendement quasi nul de la taxe sur les spectacles en 2020, qui constitue l'une de ses principales modalités de financement. Il conviendrait que des dispositions soient prévues dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.

Recommandation n° 20 : Veiller à ce que le CNM et le CNAP soient dotés de moyens suffisants pour poursuivre leurs activités non liées au soutien déployé dans le cadre de la crise.

Les personnes auditionnées ont, de manière unanime, jugé insuffisant le dialogue avec les services de l'État autour des conditions de reprise de l'activité et de la mise en place d'un plan de relance . Ils ont fait part de leur souhait que le Conseil national des professions du spectacle (CNPS) et le Conseil national des professions des arts visuels (CNPAV) soient davantage consultés en de pareilles circonstances sur les projets de décision relatifs à la reprise de l'activité, afin de mieux tenir compte des besoins et des contraintes rencontrés par la diversité des acteurs sur le terrain.

Recommandation n° 21 : Associer le CNPS et le CNPAV à l'élaboration des décisions concernant leur secteur respectif.

Ils ont également insisté sur l'importance d' associer les acteurs culturels dans les discussions menées au niveau régional entre l'État et les collectivités territoriales . Dans leur rapport consacré aux « nouveaux territoires de la culture », Antoine Karam et Sonia de la Provôté avaient eux-mêmes invité à « développer sur l'ensemble des territoires des instances de dialogue avec les acteurs culturels - soit au niveau des régions ou, notamment dans le cas où les disparités régionales sont trop fortes, au niveau des départements ». Ils indiquaient que de tels lieux pourraient être utiles afin de mieux identifier les enjeux au niveau local, de faciliter la structuration des filières et de satisfaire aux attentes d'une territorialisation accrue des politiques culturelles, en permettant d'impliquer les acteurs culturels à la définition des besoins et à l'élaboration des politiques culturelles à l'échelle du territoire.

S'il existe, dans le secteur du spectacle vivant, des comités régionaux du spectacle vivant (COREPS) qui réunissent les organisations professionnelles et les représentants de l'État, les collectivités territoriales et les organismes paritaires, il n'en est pas de même pour le secteur des arts visuels, dont l'instance nationale n'a été mise en place que depuis décembre 2018. La crise révèle une nouvelle fois le déficit de structuration de la filière des arts visuels , qui constitue aujourd'hui un obstacle à un dialogue institutionnalisé avec les représentants de la filière.

Recommandation n° 22 : Mobiliser davantage les COREPS au niveau régional pour instaurer un dialogue avec les acteurs de la filière du spectacle vivant permettant d'apporter une réponse efficace au niveau local.

b) Accorder davantage de moyens à la structuration de la filière des arts visuels

La faible structuration professionnelle du secteur des arts visuels constitue aujourd'hui un handicap pour garantir une correcte prise en compte des enjeux de cette filière au niveau national comme au niveau territorial.

Le manque de moyens aujourd'hui alloués au fonctionnement du CNPAV constitue cependant aujourd'hui un frein au bon fonctionnement de cette instance, auquel il conviendrait de remédier. Créé il y a seulement dix-huit mois, ce nouveau lieu d'échanges n'a pas jusqu'ici produit les résultats attendus, faute de moyens pour faciliter la structuration de la filière et répondre aux différents enjeux identifiés comme prioritaires. Les artistes visuels le regrettent d'autant plus que cette instance ne leur permettra pas, dans ces circonstances, de peser dans les débats législatifs à venir, tel le projet de loi « 3 D ». Le manque de moyens du CNPAV les prive également de modalités de concertation efficaces avec les collectivités territoriales.

L'élaboration des schémas d'orientation pour les arts visuels (SODAVI) constitue à l'heure actuelle une priorité pour déboucher sur la signature de contrats de filière, sur le modèle de celui conclu en Nouvelle-Aquitaine en 2018. Ils apparaissent comme les prémices à la création de structures de dialogue plus institutionnalisées entre l'État, les collectivités territoriales et les représentants de la filière des arts visuels au niveau territorial, à l'image des COREPS dans le secteur du spectacle vivant.

Recommandation n° 23 : Doter le CNPAV de moyens lui permettant de remplir correctement ses missions et faire en sorte que l'ensemble des régions soient dotées de SODAVI.

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La culture n'a jamais été aussi vitale qu'aujourd'hui. Le secteur a été très durement touché par la crise du Covid-19. En conséquence, les membres du groupe de travail appellent à un véritable plan de relance en faveur du monde artistique et culturel afin de lui redonner confiance, visibilité et perspectives.

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