ANNEXES

Auditions de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Mercredi 1 er avril 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Merci de nous accorder ce temps d'échange, madame la ministre. Nous sommes réunis sous un format inédit, et restreint, mais chaque groupe politique est représenté à due proportion. En outre, participent à cette réunion les deux rapporteurs qui suivent pour notre commission l'activité de votre ministère.

Nous avons une pensée émue pour toutes les victimes du Covid-19, les malades, leurs familles, et nous adressons nos remerciements à l'ensemble du corps médical, aux soignants, mobilisés, ainsi qu'aux chercheurs, et à tous ceux qui luttent chaque jour contre cette épidémie.

En cette période de crise, nous pensons qu'il est plus important que jamais que notre commission poursuive sa mission de suivi et de contrôle de l'action gouvernementale. Nous vous remercions donc d'avoir accepté notre invitation et de vous être rendue disponible, alors que vous êtes très sollicitée en ce moment. Votre ministère est en effet en première ligne dans la lutte contre le coronavirus, qui nécessite des traitements thérapeutiques, des tests de dépistage et la mise au point d'un vaccin. Le Gouvernement a d'abord débloqué 8 millions d'euros en faveur de la recherche sur le Covid-19, avant d'annoncer la création d'un fonds d'urgence, doté de 50 millions d'euros, pour financer l'ensemble des projets de recherche portant sur ce virus.

Je propose que nous parlions d'abord de l'enseignement supérieur, qui doit s'organiser pour répondre aux urgences posées par la fermeture des établissements : mise en place de la continuité pédagogique, report et adaptation des examens et concours, suivi des étudiants confinés en résidence universitaire. Pouvez-vous nous apporter des précisions dans ce domaine ? Nos rapporteurs vous interrogeront ensuite, ainsi que nos collègues qui le souhaiteront. Puis, nous passerons à la recherche.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - Merci d'avoir organisé cette rencontre par visioconférence. Mes pensées vont naturellement vers ceux qui, parmi vos collègues sénateurs et vos collaborateurs, sont atteints par le Covid-19.

Mon action en tant que ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation est actuellement centrée sur trois priorités : soutenir la recherche ; garantir la continuité pédagogique, qu'il s'agisse des formations, des examens ou des concours ; accompagner nos étudiants dans cette crise, sur le plan tant sanitaire que social.

Les scientifiques, dans les centres de recherche, les universités et les centres hospitaliers universitaires (CHU), sont pleinement mobilisés. Plus d'une cinquantaine d'équipes de recherche travaillent sur ce virus, notamment au sein du consortium multidisciplinaire REACTing, piloté par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Dès le mois de février dernier, une vingtaine de projets de recherche ont été sélectionnés par REACTing. D'emblée, nous avons mobilisé 8 millions d'euros à cette fin. Il y a deux semaines, nous avons ajouté 50 millions d'euros à cette enveloppe afin de financer tous les projets utiles à la résolution de cette crise. Le réseau REACTing travaille en étroite collaboration avec l'ensemble des équipes mobilisées au niveau européen. L'Europe joue un rôle important, notamment par l'ouverture d'appels à projets.

Les chercheurs travaillent sur les molécules antivirales qui nous permettront de traiter la maladie. Trouver une nouvelle molécule prendra nécessairement du temps ; c'est pourquoi ils travaillent principalement à réorienter des médicaments existants, c'est-à-dire à les tester selon des procédures rigoureuses afin de vérifier leur efficacité contre le virus. C'est ainsi que se déroulent actuellement six essais cliniques, dont l'essai clinique européen « Discovery », et des recherches sur des traitements préventifs pour les soignants.

Nous savons aujourd'hui que les formes les plus graves de Covid-19 entraînent des réactions immunitaires très fortes dans l'organisme. C'est pourquoi les chercheurs travaillent aussi sur des immunomodulateurs, qui calment la réponse immunitaire grâce à des anticorps monoclonaux : c'est l'objet de l'essai clinique « Corimmuno ».

L'enjeu est de permettre aux soignants de déterminer la meilleure des stratégies thérapeutiques sur la base de protocoles éprouvés et loin de toute analyse subjective.

La recherche est également mobilisée pour éclairer la décision publique. Un comité scientifique, présidé par le professeur Delfraissy, doit faire au Gouvernement des propositions relatives aux décisions de politiques publiques générales. Un comité d'analyse, de recherche et d'expertise, présidé par le professeur Barré-Sinoussi, est chargé de donner un avis scientifique sur les différents projets de traitements, de détection ou de tests, et d'analyser la littérature scientifique produite dans le monde. Nous avons d'ailleurs décidé de placer toutes nos données et tous nos résultats en accès ouvert, afin que l'ensemble de la communauté scientifique puisse en bénéficier. De plus en plus de pays font de même.

En parallèle, plusieurs projets conduits dans le cadre de REACTing ont vocation à mieux comprendre le virus, son histoire naturelle, ses modes de transmission, de l'animal vers l'homme, mais également au sein de la population. Des équipes en sciences humaines et sociales travaillent sur la diffusion territoriale du virus ou sur la propagation des fausses informations, dont les conséquences sanitaires peuvent être lourdes dans les circonstances actuelles.

Enfin, qu'il s'agisse de l'Institut Pasteur, de l'Inserm ou du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de très nombreux laboratoires sont engagés dans la recherche d'un vaccin, sur lequel nous espérons réaliser les premiers tests d'ici à la fin de l'année. C'est fondamental pour de nombreuses régions du monde dans lesquelles le Covid-19 commence à se propager et qui auront besoin d'un vaccin efficace ; de plus, rien ne nous protège d'un retour saisonnier de l'épidémie.

La crise sanitaire que nous traversons illustre plus que jamais à quel point nous avons besoin de renforcer le lien entre la science et la société. Elle démontre aussi à quel point nous devons porter une ambition pour notre recherche scientifique. C'est d'ailleurs le fait que le consortium REACTing existe en continu, même en dehors de toute crise épidémique, qui nous a permis de mobiliser des équipes dès le mois de janvier, et de formuler les premières propositions de recherche dès le mois de février.

Le Président de la République a annoncé un effort budgétaire de 5 milliards d'euros pour notre recherche, en plus des 15 milliards d'euros qui y sont actuellement consacrés. Cela correspond à un flux d'investissement de 25 milliards d'euros sur les dix prochaines années.

Ma responsabilité, en tant que ministre, est aussi de veiller à la continuité du service public de l'enseignement supérieur. Dès le 13 février dernier, nous avons travaillé, avec les conférences d'établissements, les représentants du personnel et les organisations étudiantes, à chercher des solutions pour permettre aux étudiants de suivre leurs formations à distance.

Les établissements ont mobilisé leurs environnements numériques de travail afin de permettre aux enseignants de poursuivre leurs cours, d'envoyer du contenu écrit et de conserver le lien avec leurs étudiants, y compris en visioconférence, parfois à un rythme très soutenu. Nous avons également mis à disposition la plateforme Fun MOOC de manière à ce que les étudiants comme leurs enseignants puissent y trouver des ressources et des contenus, utiliser la plateforme pour donner des cours en ligne, ou y déposer des cours qui puissent être partagés entre plusieurs établissements. À ce jour, les remontées des conférences d'établissements sont plutôt positives et la bascule du présentiel vers le distanciel s'est bien passée.

Naturellement, les étudiants ne doivent pas être pénalisés par la situation actuelle et nous essayons de maintenir les grandes articulations du calendrier universitaire. À cette fin, vous avez habilité le Gouvernement, dans la loi d'urgence sanitaire, à prendre des ordonnances, notamment pour permettre aux écoles et aux universités de changer leurs modalités de contrôle des connaissances dans un cadre procédural plus souple. Cela nous permet de basculer les examens en ligne ou en contrôle continu, de reporter des concours et de neutraliser les notes de stage lorsque les étudiants n'ont pas pu terminer leur stage.

Vous avez été nombreux à être interpellés sur les questions liées aux examens nationaux, aux concours et au calendrier de Parcoursup.

Pour Parcoursup, changer le calendrier dans les circonstances actuelles susciterait surtout de la confusion. Le calendrier de la procédure nationale demeurera le même, mais nous traiterons avec bienveillance les dossiers qui devraient être finalisés après l'échéance du 2 avril pour les candidats qui seraient entravés parce qu'ils sont en zone blanche ou qu'ils ne disposeraient pas d'outils informatiques.

Les concours post-bac seront, pour l'essentiel, basculés en examen sur dossier via Parcoursup. La plateforme fonctionne, les équipes sont au travail et le calendrier de préparation de la prochaine rentrée sera tenu.

Pour les concours post-prépa et ceux qui sont organisés par les formations en santé, notamment la première année commune aux études de santé (Paces) et les examens classants nationaux (ECN), nous avons opté pour un report. En effets, ces concours ou examens nationaux nécessitent des épreuves écrites qui ne pourront pas être organisées de manière satisfaisante en avril et mai. J'ai confié à Caroline Pascal, la doyenne de notre inspection générale, la présidence d'un comité de pilotage chargé de réorganiser le calendrier et les modalités de ces concours, principalement en juin et juillet prochains. Nous afficherons dès que possible sur le site du ministère une information actualisée pour l'ensemble des candidats, chaque école se chargeant ensuite de donner des informations spécifiques.

Au-delà des questions pédagogiques, accompagner et soutenir les étudiants dans la crise actuelle, c'est aussi faire attention à leur santé. Le 13 mars dernier, nous avons invité tous les étudiants qui le pouvaient à regagner leur domicile familial, ou principal. Un grand nombre d'entre eux, néanmoins, se sont confinés au sein de leurs résidences étudiantes : ils sont un peu plus de 62 000 dans ce cas. Pour faire face à cette situation, notamment sur le plan sanitaire, j'ai pris un décret permettant aux services de santé des universités, en liaison avec les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), les rectorats, les agences régionales de santé (ARS) et les centres de santé de proximité, d'assurer le suivi sanitaire des étudiants restés en résidence étudiante. Il s'agit à la fois de les informer et d'identifier ceux qui seraient malades ou qui rencontreraient des problèmes de santé liés au Covid-19 ou à d'autres formes de pathologies. Nous avons mobilisé à cette fin les organisations étudiantes, les services de santé universitaires, mais aussi les étudiants en médecine. Une attention particulière est apportée à la prévention des risques psychosociaux pendant ces semaines de confinement.

Sur le plan social, nous avons pris des mesures pour accompagner les étudiants selon leur situation. Les étudiants salariés dont l'activité est suspendue du fait du confinement peuvent, comme tout salarié dans une situation identique, bénéficier de la mesure de chômage partiel mise en place par le ministère du travail. Les étudiants auto-entrepreneurs sont également éligibles aux dispositifs de soutien mis en oeuvre par le ministère de l'économie et des finances. Pour les étudiants qui sont attachés temporaires de vacation - ce sont souvent des doctorants -, leurs contrats seront maintenus, ainsi que leur paie, pendant toute la durée du confinement. Les bourses sur critères sociaux sont évidemment maintenues.

Plus largement, avec les conférences d'établissements, nous avons décidé de mettre le produit de la contribution vie étudiante et de campus (CVEC) à la disposition des établissements pour fournir des aides sociales aux étudiants qui en ont besoin, qu'ils soient déjà boursiers ou non. Que ce soit par la distribution de bons d'achat alimentaire ou électronique ou par des aides financières directes, nous souhaitons permettre à tous les étudiants qui en ont besoin de trouver un appui et une aide pendant la crise sanitaire. J'ai aussi déplafonné la part du Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE) pouvant financer des aides sociales. J'ai également décidé de redéployer 10 millions d'euros à destination des aides d'urgence opérées par les Crous. Ces aides pourront être ouvertes aux étudiants qui ont perdu leur gratification de stage ou qui ne sont pas concernés par le chômage partiel. Nous tâchons de travailler sur le périmètre le plus large possible, car aucun étudiant ne doit être laissé dans une situation difficile.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je propose que nous prenions les sujets les uns après les autres, et je donne donc d'abord la parole à MM. Stéphane Piednoir et Jacques Grosperrin, nos rapporteurs respectivement pour l'enseignement supérieur et la procédure Parcoursup.

M. Stéphane Piednoir . - Merci de participer à cette réunion, en ces circonstances particulières - les difficultés techniques que nous rencontrons montrent que le télétravail ne sera pas la panacée ! Si je souhaite saluer le rôle de l'exécutif en ces temps graves - pour répondre à l'urgence, le Gouvernement a dû prendre des mesures lourdes -, nous continuons à assumer notre rôle de contrôle en toute sérénité. Je voudrais également rendre hommage à l'ensemble de la communauté éducative, qui assure la continuité pédagogique malgré la fermeture de l'ensemble des établissements. Félicitons, enfin, l'engagement de nombreux étudiants en pharmacie ou médecine, dont certains se sont lancés dans la production de solution hydro-alcoolique !

Les concours post-prépa ont été reportés et les concours post-bac seront remplacés par des admissions sur dossier. Où en sont les travaux du comité de pilotage ?

Les dispositions de l'ordonnance sont applicables jusqu'au 31 décembre 2020. S'agit-il d'une précaution, ou anticipez-vous une rentrée fortement décalée ?

Un délai minimum de quinze jours est prévu dans l'ordonnance pour annoncer les nouvelles modalités des examens et concours aux étudiants. Le jugez-vous suffisant ?

L'absence de stage obligatoire sera-t-elle considérée avec bienveillance dans la validation des cursus ?

Pourriez-vous détailler les outils qui sont mis à la disposition des Crous pour recenser les étudiants qui sont dans le besoin, notamment ceux qui n'habitent pas en résidence universitaire ?

Peut-on craindre l'émergence de foyers d'épidémie au sein des résidences universitaires ?

M. Jacques Grosperrin . - Je m'associe pleinement aux remerciements et hommages de mon collègue.

Quelles seront les étapes de l'examen des dossiers à distance par les commissions d'examen des voeux ? N'y a-t-il pas un risque de donner plus d'importance à la phase de traitement automatisé des dossiers ?

Les concours post-bac seront remplacés par une sélection sur dossier. Les critères retenus seront-ils rendus publics ? Une telle sélection risque d'accentuer le poids des déterminismes sociaux.

Enfin, j'attire votre attention sur l'inquiétude des étudiants de master dont les stages sont supprimés ou décalés.

Mme Frédérique Vidal, ministre . - S'agissant du calendrier des concours, l'objectif est de reporter les épreuves prévues en avril et en mai en juin et en juillet. Le Gouvernement communiquera les dates et les modalités des concours dès que possible.

Nous espérons que la rentrée universitaire pourra se faire dans les meilleures conditions, mais il est impossible de l'affirmer aujourd'hui. La durée de validité de l'ordonnance est donc une sécurité.

Il est habituel de porter le calendrier et les modalités d'examen à la connaissance des étudiants au plus tard quinze jours avant l'organisation des épreuves. D'ailleurs, beaucoup d'étudiants ne connaissaient pas, avant la crise sanitaire, leurs dates d'examen. Par ailleurs, l'heure est plutôt à un allégement qu'à une complexification des épreuves.

S'agissant des stages qui n'ont pas pu être effectués, nous avons rédigé des fiches techniques à l'attention des établissements afin que l'ensemble des étudiants soient traités de la même façon. Certains stages seront considérés comme neutralisés, mais dans tous les cas, les étudiants ne seront pas pénalisés parce qu'ils n'auront pas pu faire leur stage dans les temps. Nous pourrons vous communiquer ces fiches.

Nous allons contacter l'ensemble des étudiants par mail pour que ceux qui sont restés confinés se signalent et puissent faire l'objet d'une attention particulière. Toutefois, les aides du Crous sont ouvertes à l'ensemble des étudiants, y compris à ceux qui sont retournés au domicile familial.

Nous n'avons pas, à ce stade, identifié de foyer épidémique au sein des résidences universitaires. L'immense majorité des jeunes de moins de 25 ans qui sont infectés n'ont pas de symptômes ou des symptômes peu graves, et bien souvent - c'est tout le problème - ils ne savent même pas qu'ils sont malades.

Les commissions d'examen des voeux se tiendront par visioconférence. Nous travaillons avec les écoles qui vont effectuer leur sélection sur dossier et non sur concours à la publication de leurs attendus et de leurs critères.

Les étudiants de master, comme l'ensemble des étudiants, ne peuvent pas faire leur stage. Des modalités particulières leur seront appliquées pour qu'ils puissent néanmoins valider leur année. Les fiches techniques que nous avons rédigées permettront que tous les étudiants soient traités de la même façon, et dans tous les cas, avec beaucoup de bienveillance.

Mme Sylvie Robert . - Au nom de mes collègues, je tiens à saluer à mon tour la mobilisation et l'engagement de la communauté éducative.

La communication est momentanément interrompue.

M. Laurent Lafon . - Selon vos dernières déclarations, certains examens pourraient être réalisés à distance avec télésurveillance, s'il n'y a aucun autre moyen. Mais quels contrôles seraient possibles pour éviter toute triche lorsque l'étudiant est seul derrière son écran ? Juridiquement, ne s'expose-t-on pas à des recours aboutissant à l'annulation des examens au nom du règlement général sur la protection des données (RGPD) ? Avez-vous interrogé la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) à ce sujet ?

Savez-vous combien d'étudiants n'ont pas accès au réseau et ne peuvent suivre les cours ni passer leurs examens, qu'ils soient dans les zones blanches ou faute d'équipements informatiques ?

Mme Frédérique Vidal, ministre . - Réaliser des examens à distance avec télésurveillance est une possibilité offerte aux établissements ; nous les avons interrogés pour savoir s'ils souhaitaient le faire, sachant que ce serait réalisé par des entreprises autorisées à réaliser cette surveillance, par le biais de la caméra branchée sur l'ordinateur. Nous avons testé cette solution pour les examens nationaux blancs, car toutes les épreuves classantes nationales informatisées (ECNi) se font sur tablette. Or très peu d'établissements souhaitent choisir cette solution à distance, hormis si aucune autre possibilité n'est offerte.

Nous avons recommandé aux étudiants de rentrer chez eux, à moins que leur domicile ne soit situé dans une zone blanche, auquel cas il était préférable qu'ils restent logés sur leur lieu d'études pour continuer à suivre leurs enseignements. Je n'ai pas de remontées exhaustives sur le nombre d'élèves ayant des difficultés. Les étudiants ont parfois des problèmes pour accéder à des data importantes et des forfaits insuffisants. Nous travaillons avec les opérateurs pour étendre les forfaits et aider les étudiants à acheter du matériel informatique.

Il est habituellement très compliqué d'avoir une idée de l'assiduité des étudiants en temps normal, donc d'autant plus dans la situation actuelle... J'ai fait lever l'obligation d'assiduité pour les étudiants ayant une bourse sur critères sociaux. Nous interrogeons en permanence les établissements pour nous assurer de la continuité pédagogique. Désormais, nous n'avons quasiment plus de questions sur la manière de réaliser des cours à distance, mais nous travaillons à la préparation des examens ; nous prenons les questions les unes après les autres.

Mme Maryvonne Blondin . - Qu'en est-il du concours du Capes ? J'ai entendu dire qu'il serait reporté en octobre. Cela pose problème, alors que le nombre de candidats diminue encore de 7,8 % cette année.

Mme Frédérique Vidal, ministre . - Ce concours est organisé par la direction générale des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale. À ma connaissance, ces services travaillent sur un report du même type que les concours post-classe préparatoire, donc vers mai-juin, afin que les enseignants puissent être affectés à la prochaine rentrée. Je n'ai pas entendu parler d'un report en octobre.

M. Max Brisson . - Avec mes collègues, nous remercions la communauté universitaire pour sa mobilisation. Comment aider les bacheliers actuels, qui risquent d'être pénalisés par cette année particulière, notamment les élèves de terminale venant des milieux les plus modestes ? Ne pourriez-vous pas prévoir au début de l'année universitaire prochaine, en septembre ou en octobre, des modules de remise à niveau pour tenir compte de la réalité de l'enseignement reçu cette année en terminale ? Soyons positifs, et essayons de sortir par le haut de cette crise pour travailler différemment sur l'accueil des étudiants en première année de licence.

Mme Frédérique Vidal, ministre . - Nous gérons les problèmes les uns après les autres, mais nous essayons aussi d'anticiper. Évidemment, nous devrons aider les bacheliers les plus en difficulté à réussir leur rentrée au travers du dispositif « Oui, si » et des semaines de remédiation. Nous n'avons pas épuisé les budgets dédiés, qui pourront donc être mobilisés. L'éducation nationale a à coeur d'accompagner les élèves les plus en difficulté pour qu'ils aient le plus de chances de réussir l'année suivante.

Nous demandons énormément aux enseignants du primaire, du secondaire, aux enseignants-chercheurs, qui sont mobilisés comme jamais pour que les élèves continuent à être accompagnés pédagogiquement. Ce n'est pas très grave si la rentrée universitaire est décalée de quinze jours... Actuellement, nous sommes concentrés sur les cours en ligne et les examens. Les présidents d'université et des grandes écoles réfléchissent à la reprise d'activité. Il faudra y associer les enseignants-chercheurs, actuellement concentrés sur autre chose. Ce n'est pas encore le moment de leur demander de réfléchir aux cours de remise à niveau pour la rentrée. Tout est extrêmement difficile en ce moment ; saluons leur travail vraiment exceptionnel.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie, Mme la ministre. Nous allons organiser une nouvelle réunion, dans de meilleures conditions techniques, sur le volet recherche.

Nous remercions toute la communauté scientifique, notamment les chercheurs dont nous avons bien besoin. Nous pensons aux soignants, aux étudiants en médecine, très mobilisés dès leur quatrième année, et pour lesquels cette période est l'épreuve du feu.

Nous pensons aussi à la communauté universitaire qui doit s'adapter à cette situation inédite tout en assurant la continuité pédagogique.

Audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Lundi 6 avril 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Cette deuxième partie de l'audition de Mme Vidal, commencée mercredi dernier, sera surtout consacrée à la recherche, mais nous reviendrons d'abord sur la situation de l'enseignement supérieur. Nous aimerions aussi savoir comment se déroule le processus Parcoursup cette année, au vu notamment de la décision que vient de rendre le Conseil constitutionnel à ce sujet.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - Je veux pour commencer vous faire un bref exposé de la situation actuelle dans l'enseignement supérieur. Pour assurer la continuité pédagogique, l'immense majorité des établissements sont passés aux formations à distance. Quant aux examens, trois modalités seront retenues, en fonction des exigences de chaque formation : l'évaluation se fera le plus souvent par contrôle continu ou remise de dossiers ; pour certaines matières où des épreuves écrites sont nécessaires, on étudie la possibilité d'examens à distance ; enfin, dans les rares cas où une présence physique est indispensable, notamment dans les filières sportives, un report de ces épreuves est envisagé.

Pour ce qui est des concours, une proposition a été élaborée sous l'égide de Mme Caroline Pascal, doyenne de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche. L'objectif est le report de toutes les épreuves écrites de ces concours. Le dispositif est presque prêt pour les épreuves de première année commune aux études de santé (Paces) et les épreuves classantes nationales (ECN) ; il est en cours de finalisation pour tous les concours de grandes écoles, d'écoles de commerce et d'écoles d'ingénieurs.

Concernant l'application Parcoursup, nous allons clôturer la phase de préinscription et de confirmation des voeux par les futurs étudiants. Nous avons fourni aux proviseurs et aux professeurs principaux la liste des élèves de terminale n'ayant confirmé aucun voeu, afin qu'ils puissent les contacter directement et, s'il s'agit d'un simple problème de connexion, prendre la main pour s'assurer que ces élèves ne soient pas exclus du dispositif. On le faisait déjà l'an dernier, mais cela revêt une importance toute particulière dans les circonstances actuelles. Le processus sera terminé au milieu de cette semaine ; les dossiers seront ensuite envoyés aux établissements.

J'en viens à la recherche. Plusieurs dispositifs ont été mis en place. Il est désormais possible pour les organismes de recherche d'abonder directement les laboratoires dont le rôle peut être essentiel dans la gestion de la crise du Covid-19. Des dispositifs spécifiques ont été ouverts, au-delà des financements attribués par le biais de REACTing à l'ensemble des organismes de recherche et, notamment, à l'alliance Aviesan. Des fonds sont attribués par l'Agence nationale de la recherche (ANR) au travers du dispositif Flash, qui permet un examen accéléré des dossiers. L'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) est également impliquée afin de développer des programmes d'aide et d'analyse épidémiologique à destination des pays du Sud. Citons enfin les programmes hospitaliers de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP), qui dépendent du ministère de la santé. Au total, 50 millions d'euros ont déjà été débloqués pour soutenir l'ensemble de ces projets.

Les essais cliniques déclarés sont massifs, mais nous observons aussi beaucoup d'initiatives prises directement par les équipes médicales de recherche dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Nous essayons d'avoir une vision globale de ces actions. Le ministère de la santé nous transmet un maximum d'informations afin que nous disposions des résultats cliniques des différents traitements utilisés par les médecins.

En plus du conseil scientifique qui aide le Gouvernement et le Président de la République à formuler et mettre en oeuvre les politiques publiques annoncées, nous avons créé un comité chargé d'une mission d'expertise ; nous lui renvoyons toutes les demandes des laboratoires publics et privés en matière, notamment, de tests sérologiques. Nous lui avons aussi demandé un travail de veille internationale afin d'identifier, au fur et à mesure qu'ils apparaissent, les différents outils de diagnostic et de sérologie. Cette démarche est articulée au sein d'une cellule de crise interministérielle : nous travaillons avec des représentants des ministères de la santé et de l'économie pour sécuriser les besoins potentiels en réactifs et passer au plus vite les commandes nécessaires : n'oublions pas qu'une pression mondiale s'exerce sur ces produits.

Je veux enfin aborder la question de l'aide aux étudiants. Nous avons mis en place, au travers du service de santé universitaire et en liaison avec les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), un dispositif de surveillance sanitaire de ceux d'entre eux qui demeurent dans les cités universitaires. Nous avons également pris des dispositions pour qu'ils puissent être aidés financièrement, en particulier s'ils ont perdu les rémunérations qu'ils percevaient au titre d'un stage ou d'un emploi étudiant et ne bénéficient pas des dispositifs de chômage partiel ou d'aide aux auto-entrepreneurs mis en place par le ministère du travail.

Ces démarches sont organisées par les Crous, en liaison avec les associations étudiantes : des référents sont désignés dans chaque résidence ; au travers de groupes sur les réseaux sociaux, ils vérifient notamment, en lien avec les services de santé, qu'aucun des résidents ne présente de symptômes. Quelques cas de Covid-19 ont été identifiés dans les résidences universitaires ; ces étudiants sont systématiquement transférés dans des studios dotés de blocs sanitaires et de cuisines, de manière à ce qu'ils puissent rester à la fois confinés et approvisionnés. Heureusement, dans la plupart des cas, les symptômes connaissent vite une évolution satisfaisante, mais une surveillance constante est nécessaire. Le dispositif d'alerte élaboré par les Crous en lien avec les associations semble fonctionner, mais notre attention sur ce point demeure toute particulière.

Mme Sylvie Robert . - Nous devons rester vigilants quant aux conditions de vie de tous les étudiants : ceux qui demeurent dans les résidences universitaires, certes, mais aussi ceux du parc privé qui, confinés comme tout le monde, ont, pour beaucoup d'entre eux, perdu les petits boulots qui leur permettaient de vivre. Certains étudiants rencontrent des difficultés préoccupantes. Dans les résidences universitaires de ma région, je constate une vraie vigilance sanitaire et un repérage des étudiants en difficulté économique, mais je veux attirer votre attention sur leur extrême précarisation : certains étudiants peuvent même rencontrer des difficultés alimentaires. Nous devons trouver les outils nécessaires pour les accompagner au mieux.

Mme Frédérique Vidal, ministre . - L'objectif est que tous les étudiants soient dans le radar. Nous avons demandé aux établissements de leur envoyer des informations ; nous sommes aussi passés par les Crous, qui disposent des adresses et numéros de téléphone de tous les étudiants. Nous allons essayer de mettre en place, pour les étudiants résidant dans le parc privé, un système similaire à celui qui fonctionne dans les résidences universitaires : de petits groupes animés par un étudiant référent chargé de déterminer si certains rencontrent des difficultés particulières. Des aides spécifiques s'ajouteront à la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) pour venir en aide à tous, boursiers ou non : on sait en effet que ce sont les étudiants qui sont juste au-dessus du plafond des bourses, ou ne touchent qu'une petite bourse, qui dépendent le plus des emplois étudiants et souffrent donc le plus de leur disparition. Nous essayons en tout cas d'utiliser le plus possible les réseaux sociaux pour le signalement de difficultés au sein de groupes d'étudiants.

Mme Sylvie Robert . - Qu'en est-il des étudiants du programme Erasmus qui ont dû revenir en France ? Pourront-ils retourner dans leur pays d'accueil ? Comment le second semestre de cette année d'études sera-t-il validé ? Y aura-t-il une approche harmonisée à l'échelon européen, ou bien leur sort dépendra-t-il de conventions particulières par pays, voire par université ou école ?

Mme Frédérique Vidal, ministre . - La direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) a produit des fiches afin d'offrir aux établissements des cadrages généraux et de proposer des solutions. Il est très peu probable que ces étudiants repartent cette année à l'étranger. Demain doit se tenir une première réunion entre ministres européens chargés de l'enseignement supérieur et de la recherche ; nous aurons des échanges sur ce sujet, afin d'harmoniser nos approches. Nous faisons passer aux établissements des messages de bienveillance : il faut que ces étudiants soient le moins pénalisés possible. Les étudiants étrangers rentrés de France chez eux bénéficient de l'enseignement à distance ; la réciproque n'est pas toujours vraie. Un bilan sera fait au niveau européen dans les jours qui viennent. Du moins, en France, tous les établissements savent que les dispositions prises dans l'ordonnance relative à l'organisation des examens et concours leur donnent toute latitude pour adapter, au bénéfice de l'étudiant, les modalités de contrôle des connaissances.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Pouvez-vous nous éclairer davantage sur Parcoursup ? Le Conseil constitutionnel a rendu une décision très attendue sur la nécessaire transparence des traitements algorithmiques utilisés pour le classement des dossiers de candidature. C'est d'ailleurs le sens d'un courrier que je vous avais adressé, à la suite des travaux de notre collègue Jacques Grosperrin sur le suivi de l'application de la loi sur l'orientation et la réussite des étudiants. Vous nous avez dit que le processus Parcoursup pour cette année est déjà bien avancé. Cette décision intéressante du Conseil constitutionnel reconnaît le principe du secret des délibérations, mais insiste sur la nécessité d'une meilleure communication des critères ayant présidé aux décisions. Au vu de cette décision, comment prenez-vous contact avec les établissements pour vous assurer qu'il y aura une véritable transparence sur ces critères, comme notre commission l'avait d'ailleurs déjà demandé ?

Mme Frédérique Vidal, ministre . - Je veux donner quelques chiffres sur Parcoursup. La phase de saisine et de confirmation des voeux est terminée. On relève plus de candidats et de voeux que l'année dernière, le système a fonctionné : 948 000 candidats ont confirmé au moins un voeu, - ils étaient environ 900 000 l'an dernier. 91,1 % des voeux et des sous-voeux sont confirmés, soit près d'un point de plus que l'an dernier. Cette hausse concerne tous les types de bacheliers : + 1,82 % pour les bacheliers généraux, + 2,26 % pour les bacheliers des voies technologiques et + 7,2 % pour les bacheliers professionnels. Le nombre de demandes de confirmation de voeux en réorientation augmente également. Les reprises d'études sont gérées à part, cette année, grâce à l'application Parcourplus ; celle-ci est utilisée par des candidats qui ont, pour 85 % d'entre eux, déjà exercé une activité professionnelle. Nous avons aussi vérifié l'absence de problèmes particuliers outre-mer, notamment en Guyane - 95 % ont confirmé au moins un voeu ; nous attendons des informations concernant Mayotte, seconde collectivité où des difficultés ont été rencontrées par le passé.

La décision du Conseil constitutionnel répond bien à une demande que vous aviez déjà formulée. Nous avons informé les établissements qu'ils devront expliquer la façon dont ils auront classé les étudiants, dans les filières sélectives, ou délivré les « Oui » et les « Oui si » dans les filières non sélectives. Chaque jury devra produire un compte rendu de ses délibérations et indiquer les critères utilisés. Pour leur faciliter la tâche, nous avons rédigé un modèle d'explication des critères que nous mettons à disposition des établissements dans le cadre de l'aide à la décision fournie dans Parcoursup ; chaque établissement pourra y ajouter les critères spécifiques qu'il emploie. Cela sera particulièrement important cette année au vu du nombre d'écoles qui sélectionneront exceptionnellement leurs étudiants, non par concours, mais sur dossier du fait des circonstances sanitaires. Le Conseil constitutionnel rappelle également que la procédure n'est pas complètement automatisée et qu'il faudra donc, à l'issue des délibérations, expliquer comment celles-ci se seront tenues et comment les classements auront été établis. Nous avons élaboré par anticipation les outils nécessaires ; quand un établissement utilise plutôt les siens, nous travaillons avec lui ; nous lui expliquons, désormais à distance et non plus in situ , comment rédiger les critères utilisés. C'est l'un des rôles de la cellule « Parcoursup ».

M. Jacques Grosperrin . - Que de temps perdu ! Cela fait un moment que le Sénat demande une telle transparence ; le Gouvernement aurait pu l'écouter. Maintenant, il doit s'y employer au moment même d'une crise majeure ! Les enseignants expriment une grande inquiétude quant à l'emploi des traitements algorithmiques. Chacun voit dans la décision du Conseil constitutionnel la justification de son propre point de vue, mais je regrette en tout cas le manque d'anticipation.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Évoquons à présent la recherche, secteur qui est au coeur de la crise sanitaire que nous subissons. Nous apportons notre soutien plein et entier à la communauté des chercheurs, très mobilisés en première ligne. L'attente est très forte sur les traitements thérapeutiques, les tests de dépistage et les vaccins sur lesquels travaillent nos chercheurs. Le moment est propice pour un premier bilan.

Mme Laure Darcos . - Une série de projets de recherche sur le Covid-19 a déjà été sélectionnée dans le cadre du consortium REACTing et du projet Flash de l'ANR ; une deuxième vague devrait suivre. Les moyens alloués par le Gouvernement à ces projets, déjà conséquents - 58 millions d'euros -, devront encore être ajustés en fonction des besoins. Quid des projets qui n'ont pas été retenus dans ces sélections, mais présentent un intérêt scientifique ? Comment pourront-ils bénéficier de financements ?

Vous affirmez que la loi d'urgence permet de simplifier et d'accélérer les procédures de recherche : comment cela se traduit-il ? Quelles adaptations sont prévues ? Le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) présidé par Mme Barré-Sinoussi se prononce-t-il sur ces modifications de procédure ?

Quant aux essais thérapeutiques en cours, que se passera-t-il si l'une des molécules testées s'avère efficace ? Comment agira-t-on collectivement ? L'Institut Pasteur, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) travaillent d'arrache-pied sur des vaccins, mais aussi sur des tests de diagnostic et de sérologie, enjeux essentiels pour le déconfinement. Comment les décisions seront-elles prises entre les groupes de chercheurs et les différents comités ?

Cette crise montre qu'on a besoin d'une recherche française et européenne. Le Président de la République a annoncé une augmentation des moyens alloués à la recherche à hauteur de 5 milliards d'euros annuels sur dix ans. Ce n'est qu'un premier pas, encore insuffisant pour voir le budget de la recherche atteindre 1 % du PIB. En savez-vous un peu plus sur le devenir du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche ? Verra-t-il bientôt le jour en dépit du calendrier parlementaire bouleversé des prochains mois, ou bien faudra-t-il passer par le projet de loi de finances pour 2021 pour faire adapter les premières mesures nécessaires en la matière ?

Mme Frédérique Vidal, ministre . - Le consortium REACTing, qui nous a permis de figurer parmi les premiers pays, dès février dernier, à proposer une réponse en termes de recherche, a reçu des financements destinés à l'amorçage de projets. Le principe est le même pour les appels Flash de l'ANR. Le comité scientifique de l'ANR a examiné les propositions et a estimé que quarante-quatre d'entre elles devaient être lancées, avec un financement immédiat. Pour les autres, des investigations supplémentaires sont nécessaires sur le plan de la solidité scientifique et de la bibliographie. Le pire en cette période serait de financer des recherches dont il a déjà été démontré qu'elles étaient inefficaces. Il ne s'agit pas d'un problème financier, puisque l'objectif est de soutenir tous les projets nécessaires : 65 % des projets REACTing sont financés et plus de 30 % de ceux de l'ANR.

Les organismes de recherche ont, sur leurs crédits de base, directement abondé plusieurs laboratoires dans lesquels des chercheurs travaillent sur ces sujets depuis longtemps et ont besoin de moyens supplémentaires. Quant aux projets présentés via les appels Flash de l'ANR, de l'ANRS et de REACTing, ce sont de nouvelles propositions de sujets de recherche.

Il faut donc distinguer les projets des équipes travaillant de longue date sur les coronavirus, financés par les organismes de recherche, et ceux de toute personne souhaitant proposer une idée nouvelle, lesquels sont soutenus dans le cadre des appels Flash de l'ANR ; enfin, les projets portant sur un nouveau protocole thérapeutique ou une nouvelle molécule attestée sont lancés par REACTing.

Nous essayons, au fur et à mesure que des molécules sont incluses dans les essais cliniques, de veiller à l'approvisionnement en matières premières ou en molécules elles-mêmes, si celles-ci ne sont pas fabriquées par des sociétés pharmaceutiques ayant au moins un laboratoire en France. La situation est très compliquée, car ces sujets sont mondiaux et tous les pays font de même. Pour cette raison, nous nous efforçons de mener un travail d'approvisionnement coordonné au niveau européen. C'est nécessaire, car, si nous commandons 10 000 doses d'un médicament tandis que les États-Unis en commandent 3 millions, nous passerons toujours derrière !

Même lorsque des commandes fermes sont passées, il arrive que les sociétés pharmaceutiques soient elles-mêmes en rupture de stock de plusieurs produits et nous annoncent des retards de livraison ; ce fut le cas pour certains tests. La tension mondiale sur les matières premières complique encore les choses.

S'agissant des tests sérologiques, que proposent de nombreuses compagnies étrangères et françaises, notamment des start-up, CARE examine leurs bases scientifiques et, si elles sont valides, un premier test, rapide, est fait sur des sérums de patients dans les CHU et laboratoires français. Les tests qui « passent » cette première étape sont transmis aux centres nationaux de référence (CNR), qui les valident définitivement.

Il faut être attentif, à la fois, à la spécificité - en effet, les coronavirus sont responsables de tous les rhumes de printemps - et à la sensibilité, en déterminant le nombre de faux positifs et de faux négatifs. Les premiers sont assez rares, mais les seconds peuvent exister puisque la réponse immunitaire de chaque individu est variable. Une analyse « macro » est faite sur place dans les CHU, puis une autre, plus complète, dans les CNR de Pasteur ou de Lyon. Nous envisageons d'habiliter certains CHU à faire ces tests complets, lesquels permettent de vérifier que les anticorps ainsi détectés sont protecteurs, c'est-à-dire capables de bloquer la propagation du virus dans des boîtes de culture. En effet, certains tests détectent des anticorps, mais il ne s'agit pas d'anticorps dits protecteurs. Cette manipulation prend trois ou quatre jours.

Plusieurs tests ayant déjà suivi ce processus de validation sont en cours de commande. Lorsqu'ils sont produits en France par des laboratoires ou des start-up, nous organisons la chaîne de production, travaillons avec le ministère de l'économie et des finances, notamment avec Mme Agnès Pannier-Runacher, qui est chargée de ce dossier, si nécessaire en réorientant des chaînes dédiées à d'autres types de tests, afin d'anticiper une phase industrielle.

Pour ce qui concerne les tests cliniques, CARE travaille sur un protocole-type, afin que tout hôpital ou tout médecin généraliste qui voudrait y participer puissent le faire en suivant une procédure normalisée. Cela permettra de conglomérer ensuite l'ensemble des résultats et de faire de la méta-analyse. Il y aura un protocole-type pour des essais en hôpital et un autre pour la médecine de ville.

J'en viens aux essais cliniques en cours. La première analyse consiste à examiner s'il est nécessaire d'arrêter une branche de ces essais parce qu'elle aurait des effets néfastes pour la santé. Pour l'instant, cela ne s'est pas produit. Les résultats sont envoyés à des statisticiens, qui établissent une analyse indépendante, dans le cadre d'une procédure qui est la plus rigoureuse possible sur le plan scientifique.

De nombreuses technologies émergent, que CARE est chargé de valider scientifiquement et qui sont financées directement. Sur la base des travaux disponibles dont la synthèse, faite par CARE, est transmise au conseil scientifique, celui-ci proposera des stratégies en matière de santé publique. Il est donc important, pour faire le lien, que des personnes siègent dans les deux instances.

S'agissant du financement de la recherche, le Président de la République a annoncé qu'y seraient consacrés 5 milliards d'euros supplémentaires par an. Aujourd'hui, 15 milliards d'euros par an sont investis dans ce domaine. Pour passer à 20 milliards annuels, des étapes successives sont prévues. Au total, 25 milliards d'euros seront investis sur dix ans.

Le Premier ministre me l'a confirmé ce matin : dès que le calendrier parlementaire le permettra, le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche sera soumis au Parlement. Il est néanmoins très important - c'est le sens de l'annonce du Président de la République - que nous puissions lancer les premiers investissements dès 2021, que la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ait été votée ou pas. Nous prévoyons, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, une première augmentation de 400 millions d'euros pour la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (Mires).

M. Pierre Ouzoulias . - Je suis heureux d'entendre que la décision du Conseil constitutionnel nous satisfait tous les deux. Les Sages nous réunissent !

L'Allemagne a engagé 3,5 milliards d'euros dès 2020 pour financer les équipements médicaux, la recherche d'un remède et d'un vaccin, et vient d'affecter 150 millions d'euros pour la constitution d'un réseau de recherche de médecine universitaire confié à l'équivalent du CHU de Berlin. La France a, quant à elle, débloqué 8 millions d'euros, et vous annoncez un fonds d'urgence doté de 50 millions : cet effort est un cran au-dessous de celui de nos voisins allemands.

Les laboratoires qui sont actuellement sur le front de la recherche insistent sur la nécessité de mettre aux normes leurs équipements et outils de recherche. Tandis qu'un laboratoire chinois travaillant sur le coronavirus dispose de deux cryomicroscopes électroniques valant chacun 5 millions d'euros, les laboratoires de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) en demandent depuis quatre ans un plus petit, valant 2 millions d'euros, sans réponse pour l'instant. Sans budget supplémentaire, il sera très difficile pour ces organismes de mettre leurs matériels à niveau, et donc de trouver des financements.

Je vous approuve sur la nécessité de faire une pleine confiance aux laboratoires, chercheurs et organismes de recherche, sans passer par les appels à projets, dans la situation actuelle d'urgence. Comment leur donner très rapidement les moyens de résoudre leurs problèmes d'équipements ?

Mme Frédérique Vidal, ministre . - Nous consacrons 4 milliards d'euros au déploiement du volet clinique et au développement de médicaments, que l'Allemagne finance à hauteur de 3,5 milliards. Nous sommes donc dans le même ordre de grandeur.

Pour ce qui est du financement de recherche, je rappelle que l'Allemagne comptabilise toujours en coûts complets, en incluant les salaires qui, chez nous, sont pris en charge par d'autres lignes. Les 50 millions d'euros dédiés au fonctionnement et à l'investissement que nous débloquons, sachant que 1 500 à 2 000 chercheurs travaillent sur le Covid-19, sont donc comparables aux crédits allemands dans ce domaine. Nous avons débloqué 8 millions d'euros début mars, puis 16 millions supplémentaires lors des dernières semaines. Nous réitérons ces opérations autant que de besoin.

L'acquisition de matériels est bien sûr nécessaire, mais il faut beaucoup de temps pour fabriquer, tester et calibrer un cryomicroscope. Il faudra le faire, et cela est prévu dans la future LPPR. En l'occurrence, ce n'est pas l'urgence du moment, d'autant qu'il y a un cryomicroscope tout à fait utilisable au sein du Centre commun de microscopie appliquée (CCMA), dans mon ancienne université - je connais donc bien le sujet.

Nous agissons dans deux directions différentes : le soutien immédiat et la préparation de l'avenir. Nous soutenons ainsi des programmes de recherche permettant de comprendre le fonctionnement du Covid-19 et d'augmenter la connaissance générale sur les coronavirus. Dans l'immédiat, l'urgence est au repositionnement de médicaments et de thérapies, aux essais cliniques et aux tests. Néanmoins, nous devons également accumuler des connaissances pour le long terme. Nous avons ainsi ouvert à travers l'ANR la possibilité de financer des projets à plus longue échéance.

On a trop négligé lors des trente dernières années l'accumulation de connaissances. La LPPR aura pour objet d'y remédier dans tous les champs disciplinaires, et pas seulement pour la santé. Nous aurons besoin, par exemple, de programmes de recherche de sociologie et d'anthropologie afin d'analyser les comportements en période de confinement ou lorsque le virus, ayant quitté l'Europe, continuera de sévir sur d'autres continents. Les projets financés relèvent donc pour un tiers des sciences humaines et sociales, dont le rôle est de penser et comprendre ces phénomènes. Il faut à la fois gérer l'urgence et respecter le temps de la recherche.

Mme Sonia de la Provôté . - L'épisode que nous traversons met en lumière la nécessité de mettre en cohérence tous les champs de la recherche, et nous constatons qu'il vous importe d'en trouver les voies et moyens. Le comité scientifique protocolise de façon adaptée à la situation et met en place une normalisation.

La LPPR devra trouver, hors des orientations majeures, des organismes institutionnels et des appels à projets, la façon de financer les projets et de s'irriguer de la connaissance produite par des équipes de recherche qui ont emprunté des chemins de traverse, mais qui étaient autrefois accompagnées sur le long terme. Rappelons que les grandes innovations ne sont pas toujours sorties des laboratoires les plus importants.

Comment saisir ces opportunités de la recherche « hors cadre » au travers de la LPPR et quelle part y sera dévolue ? On a reproché aux appels à projets d'être court-termistes, alors qu'une grande part de la recherche repose sur le temps long et les études multicentriques. Une cohorte, par exemple, sur le plan médical, ne s'étend pas sur cinq, mais sur vingt ans. Quelle en sera la traduction financière et organisationnelle ? Des comités scientifiques ne pourraient-ils pas être nommés, sur le modèle de CARE, pour recueillir la connaissance la plus exhaustive possible de la recherche française et mondiale, et associer recherches académique et hors cadre ?

Mme Frédérique Vidal, ministre . - Le budget actuel de la recherche s'élève à environ 15 milliards d'euros, mais 1,5 milliard seulement relève de l'ANR. Tout ne se fait donc pas sur la base d'appels à projets, loin de là. Certes, les salaires sont très faibles, mais la LPPR y remédiera. Quant à la politique de réinvestissement, s'agissant notamment du matériel, elle est perfectible. Il n'en reste pas moins que la France figure parmi les pays qui financent le plus la recherche hors-cadre. Ne confondons pas les appels à projets de l'ANR et la recherche finalisée. L'Agence finance aussi la recherche sur le Big Bang et les trous noirs ! Si la finalité de ces études n'est pas évidente, ces recherches n'en demeurent pas moins essentielles car elles apportent de la connaissance !

La veille est permanente sur la qualité scientifique de la recherche effectuée dans les laboratoires, sous l'autorité des conseils scientifiques des organismes et des universités. Dans la situation de crise que nous connaissons, après la première étape de sidération est venue celle de la mise en ébullition, dont nous devons tirer parti pour organiser et coordonner les initiatives. Il ne sert à rien que chacun ait des idées fabuleuses dans son coin, il faut s'associer pour aller plus vite.

Le rôle de CARE est d'assurer cette veille nationale et internationale. Ce comité, essentiel, est un instrument de guerre, qui fonctionne ainsi du fait du caractère exceptionnel de la période. L'organisation est énorme, mais la communauté des chercheurs ne demande qu'à participer. Ainsi, de même que des médecins acceptent de pratiquer des gestes infirmiers dans les services de réanimation, des sommités de la recherche fabriquent du gel hydroalcoolique...

Cela ne nous empêche pas de réfléchir, et nous le faisons depuis un an, à la question de l'investissement nécessaire dans la recherche en temps normal. Nous nous interrogeons ainsi sur l'identification plus rapide des laboratoires capables de fabriquer des primers pour la RT-PCR - Reverse transcriptase polymerase chain reaction . Il y a une tension mondiale sur les primers , mais aussi des synthétiseurs dans nos laboratoires : comment les réorienter ?

Les laboratoires ont aussi donné beaucoup de réactifs et de consommables aux hôpitaux, sans poser la question du remboursement. Il y a un élan ! Dans le même temps, des équipes espèrent être les premières au monde à comprendre comment fonctionne le virus. Le monde de la recherche est le mélange de ces deux démarches.

Mme Sonia de la Provôté . - Il ne s'agit pas de donner des ordres aux équipes et aux organismes, mais de mettre en place des protocoles de base, qui peuvent d'ailleurs être amendés. Dans le domaine de la santé, il est intéressant d'intégrer la médecine de ville. Cette approche pourrait être retenue pour d'autres sujets hors période « de guerre ». La constitution de comités ad hoc permettrait de mettre un coup d'accélérateur et d'assurer une veille dans maints domaines ainsi qu'une plus grande efficacité.

Mme Colette Mélot . - Tandis que les étudiants de Paces ont obtenu le report de leur concours, les candidats aux formations paramédicales ne sont pas traités de la même façon. Dans la filière orthophonie, le concours est remplacé par une sélection sur dossier. Or, cette admission, très sélective, nécessite en moyenne deux années d'une préparation spécifique souvent dispensée dans des établissements privés coûteux. Envisagez-vous un report du concours d'accès aux formations paramédicales ?

Mme Frédérique Vidal, ministre . - La décision a été prise de remplacer l'ensemble des concours post-bac, y compris dans la filière orthophonie, par une sélection sur dossier. En revanche, pour les concours de la Paces, de l'internat et post-préparatoires aux grandes écoles (post-CPGE), lesquels se déroulent après l'admission dans l'enseignement supérieur, les écrits ont été maintenus.

Cette décision a été précédée d'une discussion avec l'ensemble des écoles. Il fallait être clair pour les élèves et leurs familles. Nous avons essayé de sécuriser au maximum et de diminuer le stress pour tous. Oui, en cette année exceptionnelle, les admissions que vous avez mentionnées se feront sur dossier, un modèle que nous avons retenu depuis l'an dernier pour les concours aux instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Les coûts en ont d'ailleurs été réduits pour ces jeunes, qui n'ont plus à se déplacer dans la France entière pour passer les épreuves ; j'y vois une amélioration du système. Nous devrons en tirer des conclusions générales sur les frais de concours.

M. André Gattolin . - Je suis préoccupé par les plannings des semaines et des années à venir. On a évoqué la coordination européenne. Lors de la crise Ebola, il avait été décidé de lancer un grand chantier dans le cadre du programme Horizon Europe et les résultats avaient été intéressants. Au-delà du coronavirus, les risques sanitaires de ce type seront récurrents. Il faudra donc mettre en place des structures permanentes à l'échelle européenne afin d'être à la hauteur des États-continents, notamment les États-Unis.

Mme Frédérique Vidal, ministre . - Vous avez raison de souligner l'importance de la réaction européenne. REACTing, créé en 2011 après l'épidémie Zika, est membre d'un consortium européen de veille et de surveillance des épidémies. Ce réseau doit continuer à interagir et travailler même en dehors des périodes d'épidémie, et se mobiliser très rapidement lors d'épidémies pour mettre en place des protocoles de recherche et cliniques.

Il semble que la mobilisation et l'animation de ce réseau aient été moins actives dans les autres pays européens. En France, REACTing bénéficie chaque année de 500 000 euros pour agir au sein de ce consortium, ce qui nous a permis de lancer rapidement des essais cliniques. Nous avons ainsi été le premier pays à inclure des patients dans nos tests. Il faudra porter ce modèle au niveau européen.

L'Union européenne a ouvert un financement spécifique pour le Covid-19, à hauteur de 90 millions d'euros. Plusieurs fonds sont disponibles au niveau européen. Cela fera l'objet des discussions qu'auront demain les ministres de la recherche.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Merci, madame la ministre. Nous avons bien saisi votre réflexion et votre plan d'actions. Nous vous apportons tout notre soutien et restons très mobilisés sur ces sujets, notamment celui de la vie étudiante en cette période difficile de révision du baccalauréat et de l'orientation des bacheliers.

Notre commission est très mobilisée sur les problématiques de la recherche. Nous avons organisé des tables rondes avec des chercheurs éminents pour préparer l'avenir. Nous nous doutons que le calendrier parlementaire sera bouleversé, mais nous avons déjà commencé à travailler sur la LPPR. Toutes nos pensées vont à la communauté des chercheurs, des universitaires et des étudiants, aux médecins et à tous ceux qui prêtent main-forte dans les hôpitaux, ainsi qu'aux malades et à leurs familles.

Audition de M. Jean-Michel Blanquer,
ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Jeudi 9 avril 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre commission poursuit son travail de contrôle et d'information dans ce contexte de crise sanitaire. Après avoir auditionné Mme Frédérique Vidal par téléconférence en début de semaine, nous avons de nouveau recours à ce format pour auditionner M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Au nom de l'ensemble des membres de la commission, je vous remercie de vous être rendu disponible pour cette audition, monsieur le ministre, et d'avoir accepté de vous livrer à cet exercice un peu particulier. Cette audition, comme celle de lundi, fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié au bulletin des commissions et mis en ligne sur le site du Sénat. J'ajoute qu'un journaliste de Public Sénat suit cette téléconférence.

Avant toute chose, je tiens à saluer la remarquable mobilisation des personnels de l'éducation nationale, les enseignants en particulier, pour assurer un suivi pédagogique et tenter de limiter les effets de la fermeture des établissements scolaires sur les apprentissages des élèves. Je salue également les familles qui, plus que jamais, sont des acteurs incontournables de la coéducation. Nous sommes tous conscients des difficultés que bon nombre d'entre elles rencontrent, dès lors que les parents doivent jongler entre télétravail et école à la maison.

Monsieur le ministre, à la suite de votre propos liminaire, nos rapporteurs vous interrogeront sur plusieurs thématiques qui nous mobilisent, comme la carte scolaire pour la rentrée 2020 ou la continuité pédagogique mise en place pour faire face à la fermeture des établissements.

Selon vous, dans quel état d'esprit se trouvent les personnels de l'éducation nationale et les élèves ? Pourriez-vous nous dire un mot de l'organisation des examens et de ses conséquences sur Parcoursup ? Par ailleurs, notre commission est très attentive à la question des établissements français à l'étranger et souhaiterait disposer d'informations à leur sujet. Enfin, vous connaissez mon attachement à la question du numérique à l'école. Pourriez-vous dresser un premier bilan du recours aux outils et enseignements numériques depuis le début de ce confinement ? Quels sont les points de vigilance dont vous pourriez nous faire part à cet égard ?

Afin de rendre cette téléconférence aussi dynamique que possible, après votre propos liminaire, monsieur le ministre, je donnerai d'abord la parole à nos rapporteurs, auxquels vous pourrez répondre en détail, avant de la laisser aux représentants des groupes politiques.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - Je suis très heureux que cette audition puisse se tenir malgré les difficultés du moment. C'est précisément pour cela qu'il est bon que nous échangions et avancions ensemble. Les défis que nous aurons à relever requièrent une information partagée, une forme d'unité dans l'action et, bien sûr, un maximum de pragmatisme.

Je souhaite vous parler de l'une des missions prioritaires dont mon ministère doit s'acquitter, à savoir l'enseignement à distance.

Dans le cadre de la continuité pédagogique que nous cherchons à préserver dans cette période de crise, nous gardons évidemment à l'esprit les deux objectifs que nous nous assignons en temps normal, c'est-à-dire la hausse du niveau général des élèves, d'une part, et la lutte contre les inégalités, d'autre part. Dans les circonstances actuelles, ces objectifs sont particulièrement menacés : la non-fréquentation de l'école peut conduire à une baisse du niveau général, tandis que les inégalités peuvent s'accroître du seul fait que l'on renvoie chaque enfant à son environnement familial d'origine.

Cette crise révèle l'importance de l'école de la République, tant en ce qui concerne la socialisation des enfants que la lutte contre les injustices sociales. Ce contexte met en lumière le professionnalisme des personnels de l'éducation nationale. Chacun a pris conscience que le métier d'enseignant est indispensable et loin d'être facile à exercer : cette crise sera sans doute l'occasion de renforcer le prestige de cette profession au sein de la société.

Nous n'avons eu d'autre choix que d'organiser l'enseignement à distance dans des délais record. Pour ce faire, nous avons recouru à trois leviers.

Le premier instrument sur lequel nous avons pu compter est le Centre national d'enseignement à distance (CNED), particulier à la France, qui a contribué à la mise en place du dispositif « Ma classe à la maison », d'abord pour les élèves français de Chine, puis pour ceux de l'Oise, du Morbihan et du Haut-Rhin quelques semaines plus tard et, enfin, pour l'ensemble des élèves une fois les établissements fermés. Sur le plan pédagogique, les contenus étaient donc prêts au début du confinement. Sur le plan technique, si nous avons rencontré de grosses difficultés au démarrage, celles-ci ont rapidement été levées grâce aux collectivités locales qui, je le rappelle, sont responsables des environnements numériques de travail, et aux opérateurs.

Actuellement, 2,5 millions de familles sont connectées à « Ma classe à la maison », ce qui correspond à environ 400 000 professeurs. Ce chiffre est d'autant plus satisfaisant que l'on observe assez peu de problèmes techniques. Il s'agit d'un système de classe virtuelle intégrée, qui permet d'observer la progression des élèves de tout niveau, de la grande section de maternelle à la terminale, semaine après semaine. Ce support est évidemment gratuit, puisqu'il relève du service public de l'enseignement.

Le deuxième levier est celui des environnements numériques de travail. Très nombreux sont les enseignants ayant assez naturellement utilisé ces outils qui, je le rappelle, sont propres à chaque établissement.

Enfin, les enseignants ont souvent recours à ces technologies d'appoint que sont les mails et les plateformes de toute nature. Dans ce domaine, les professeurs font preuve de beaucoup de créativité. Même si je ne condamne pas ce troisième levier d'action, j'ai évidemment une préférence pour les deux premiers instruments : ils offrent en effet davantage de garanties, notamment en termes de protection des données personnelles, et contribuent à la fois au service public et à notre souveraineté dans le domaine pédagogique. À terme, il nous faudra réfléchir à la manière de faire en sorte que ces deux canaux s'imposent d'eux-mêmes. En tout cas, c'est une satisfaction, les enseignants et les élèves ont pu interagir.

Au cours de la première semaine suivant la fermeture des établissements scolaires, nous avons constaté beaucoup de volontarisme et une grande inventivité chez les personnels de l'éducation nationale. Je tiens à leur rendre hommage pour avoir joué le jeu dès le départ.

En parallèle, nous avons été confrontés au problème du calibrage de l'enseignement à distance : il ne faut donner ni « trop » ni « pas assez » de travail aux élèves. Ainsi, certaines familles nous ont rapidement fait observer qu'elles étaient submergées par la charge de travail. Nous avons rapidement cherché à réguler les « flux » pédagogiques en nous appuyant sur les recteurs - que je rencontre trois fois par semaine en visioconférence - et les corps d'inspection, ce qui a permis d'aboutir à une masse de travail plus équilibrée dans les jours suivants.

Pour autant, il faut veiller à ne pas laisser de « trous dans la raquette ». C'est le problème plus grave encore de ces élèves qui ne peuvent pas bénéficier des dispositifs de formation à distance. Assez rapidement, j'ai demandé que les recteurs, les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) et les chefs d'établissement se mobilisent pour que chaque enfant « décrocheur » puisse être contacté par téléphone au moins une fois par semaine. Ce système a permis de joindre la plupart des familles, notamment parmi les plus défavorisées, même si on estime, selon les premières enquêtes, qu'il y aurait 5 % à 8 % d'élèves, des lycées professionnels notamment, qui ne seraient pas en mesure aujourd'hui de suivre le même enseignement que les autres.

Pour lutter contre la fracture numérique, le Gouvernement a engagé plusieurs actions.

Je pense évidemment aux prêts et aux dons de tablettes, parfois sur l'initiative spontanée des collectivités locales. Il s'agit d'un travail interministériel qui mobilise également Julien Denormandie et Adrien Taquet.

Je pense aussi à l'accord conclu avec La Poste pour que celle-ci imprime et envoie au domicile des élèves qui en auraient besoin des contenus pédagogiques élaborés par les enseignants, avec une enveloppe T pour la réponse, permettant un envoi gratuit pour la famille. Ce système novateur devrait porter ses fruits au cours des prochaines semaines.

Nous avons également lancé l'opération « Nation apprenante », qui incite les médias - audiovisuel public et privé, presse nationale et presse quotidienne régionale - à créer une « atmosphère » éducative en diffusant des contenus qui doivent avoir un rapport avec les programmes de l'éducation nationale, avec une validation par une cellule constituée d'inspecteurs. Le programme le plus emblématique est probablement celui de La Maison Lumni sur France 4. France Culture diffuse également des émissions à destination des élèves de première qui préparent l'oral du bac sur les oeuvres au programme. Je ne peux pas évoquer tous les projets en détail, mais je tiens à citer le réseau Canopé, qui contribue également à développer les ressources pédagogiques auprès des élèves. Le site Éduscol du ministère recense les ressources mises à disposition. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la dimension internationale, puisque des échanges d'expériences ont lieu avec les autres ministres de l'Union européenne et ceux de la francophonie, ainsi qu'avec l'Unesco et l'OCDE. Ces comparaisons internationales doivent nous permettre de partager nos initiatives et de nous améliorer.

J'ai évoqué les enjeux auxquels nous devons faire face : la réussite pédagogique et l'inclusion sociale. Nous pouvons encore progresser, afin de ramener dans le circuit pédagogique l'ensemble des élèves, notamment ceux des lycées professionnels. Les gestes professionnels ne sont pas faciles à transmettre à distance. Là aussi, les professeurs font preuve de nombreuses initiatives.

Dernière chose, nous avons mis en place des dispositifs de soutien scolaire pour cette période de crise, mais aussi pour l'après-crise. Ainsi, le dispositif « Vacances apprenantes » permettra aux élèves qui le souhaitent, au cours de la seconde semaine des vacances de printemps, de bénéficier de six heures d'enseignement personnalisé à distance, par petit groupe de un à six élèves. Ce soutien sera proposé à tout élève qui en fait la demande. Il doit notamment permettre de raccrocher les élèves qui n'ont pas pu profiter de la continuité pédagogique dès le début du confinement. Nous développerons également des modules de soutien scolaire durant l'été. Enfin, nous envisageons de relancer les colonies de vacances sous une forme renouvelée durant la période estivale.

M. Jacques Grosperrin. - Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier d'avoir entendu les observations des sénateurs du groupe Les Républicains, ainsi que celles des membres du bureau de notre commission, au sujet de la carte scolaire, et ce d'autant qu'il était évidemment très compliqué pour vous de l'élaborer dans ce contexte de crise sanitaire.

Nous réclamions un moratoire, dans la mesure où la plupart des maires n'ont pas encore pris leurs fonctions. Or vous avez annoncé, il y a quelques jours, qu'il n'y aurait aucune fermeture de classes dans les communes de moins de 5 000 habitants. Il s'agit d'un symbole fort pour la ruralité, mais aussi d'une décision qui redonne le pouvoir décisionnel aux élus. Il faudra veiller à ne pas dresser les territoires les uns contre les autres, en particulier les zones rurales contre les zones urbaines, car ces dernières souffrent aussi.

Pourquoi avoir retenu ce seuil de 5 000 habitants, monsieur le ministre ? Chacun sait que l'Insee considère qu'une commune rurale est une unité urbaine de moins de 2 000 habitants.

Votre ministère a annoncé la création de 1 248 postes dans le premier degré, en plus de la création des 440 postes déjà prévus. Ces postes seront-ils créés par voie de concours ou ferez-vous appel à des contractuels ? Quelles seront les implications budgétaires de cette annonce ? Une redistribution des crédits entre les différentes actions et les différents programmes de la mission « Enseignement scolaire » est-elle prévue, ou s'agit-il d'une augmentation nette de postes ?

Alors que les priorités du Gouvernement dans le cadre du futur plan de sortie de crise iront certainement à la santé et à la reprise économique, nous nous interrogeons également sur la pérennité et la continuité d'un certain nombre de réformes. Je pense au dispositif « Plus de maîtres que de classes », qui n'a d'ailleurs pas démontré sa pleine efficacité, à l'école inclusive ou au dédoublement des classes.

Ma deuxième question porte sur la session du bac de septembre 2020. Nous avons compris que les notes obtenues dans le cadre du contrôle continu, à l'exception de celles qui sont recueillies au cours de la période de confinement, seront prises en compte aux premier et deuxième trimestres, voire au troisième. Quid de ces élèves, qui ont actuellement une moyenne ne leur permettant pas d'avoir le bac, alors qu'ils réussiraient, en intensifiant leurs efforts quelques semaines avant le bac - le fameux « bachotage » -, à décrocher leur diplôme ? Estimez-vous que le nombre de redoublants de terminale sera supérieur cette année, sachant qu'une augmentation du nombre de redoublants aura mathématiquement des répercussions sur l'organisation des classes et les emplois du temps des terminales à la rentrée 2020 ?

En temps normal, combien de candidats se présentent-ils à cette session ? Quelles sont les projections pour la session de septembre 2020 ? On peut penser que le nombre de candidats sera plus important. Dès lors, comment les chefs d'établissement concilieront-ils l'organisation de cette session du bac et la rentrée scolaire ?

M. Antoine Karam. - Monsieur le ministre, en tant que rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole, technique et professionnel, je souhaite vous interroger sur les difficultés spécifiques rencontrées par cet enseignement dans le cadre de certaines formations à distance. En effet, si l'enseignement à distance de certaines matières, comme les mathématiques ou encore l'histoire-géographie, est possible, il est beaucoup plus complexe à mettre en oeuvre pour les matières nécessitant des travaux pratiques. Je pense par exemple aux formations en menuiserie, en ébénisterie ou encore en horticulture. Comment faire en sorte que ces enseignements soient correctement assurés, tant sur le volet théorique que pratique ?

Ma deuxième question porte sur les diplômes certifiants. Les compétences sont évaluées via le contrôle en cours de formation (CCF). Les élèves passent ces contrôles lorsqu'ils atteignent le niveau de compétence technique nécessaire. Le CCF permet de certifier que l'élève en formation a bien acquis le geste technique, la compétence et le savoir-faire professionnel : il est donc essentiel pour leur employabilité. Or, cette année, il est prévu que, en l'absence d'évaluation en CCF, les notes seront obtenues à partir de celles du livret. Pour les entreprises, comment s'assurer que l'élève diplômé possédera bien le geste technique et non la seule connaissance théorique de ce dernier ? Comment garantir aux futurs diplômés que leur formation certifiante ne sera pas moins cotée sur le marché du travail que celle des autres années ?

Enfin, certains syndicats de l'enseignement agricole ont vivement réagi à vos annonces, car ils doutent d'une concertation effective entre votre ministère et celui de l'agriculture : pourriez-vous nous éclairer sur ce point et nous assurer que cette concertation a bien eu lieu entre les deux ministères ?

M. Claude Kern. - Je tiens également à saluer les enseignants pour leur contribution, leurs efforts et l'ingéniosité dont ils font preuve dans cette période exceptionnelle.

Monsieur le ministre, la crise que nous traversons affecte aussi les établissements d'enseignement français à l'étranger. Certains parents seront - ou sont déjà - confrontés à des difficultés pour payer les frais de scolarité. Or ceux-ci sont une source de financement essentielle pour les établissements du réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Quelles mesures avez-vous prises pour les aider à affronter cette situation ? Est-il envisageable que ces établissements puissent bénéficier du fonds de soutien créé pour faire face à l'épidémie de Covid-19 ?

Je redoute l'effritement des effectifs du corps enseignant à l'étranger puisque, on le sait, de nombreux enseignants ont été rapatriés ou ont demandé leur rapatriement, et que certains d'entre eux ont même quitté leur poste sans prévenir leur hiérarchie ou l'ambassade dont ils dépendent. Quelles dispositions comptez-vous prendre en ce qui les concerne ? Surtout, comment comptez-vous compenser ce manque d'effectifs dans l'immédiat et à la reprise ?

Enfin, pour faire face à la fracture numérique, avez-vous imaginé des solutions de téléenseignement dans les pays où le réseau internet est peu développé ?

M. Jacques-Bernard Magner. - Monsieur le ministre, je voudrais vous faire part de ma satisfaction de vous avoir entendu parler du renouveau des colonies de vacances qui, on le sait, sont très utiles pour les enfants des couches populaires. Malgré ces circonstances malheureuses, il faut saisir l'occasion d'apporter notre soutien au réseau associatif.

En tant que rapporteur des crédits de la jeunesse et de la vie associative, je souhaite vous interroger sur l'organisation du service national universel (SNU) pour 2020.

En effet, la phase des quinze jours de cohésion des volontaires du SNU actuellement en classe de seconde devait se dérouler du 22 juin au 5 juillet. Comme chaque année, en raison du baccalauréat, ces élèves de seconde ne devaient plus avoir cours à cette période de l'année. Or vous avez annoncé que tous les lycéens auraient cours jusqu'au 4 juillet pour tenter de rattraper, au maximum, le retard dû à la période de confinement.

Nous comprenons cette décision, mais le recul de la fin effective de l'année scolaire a des conséquences directes sur le SNU. Nombre de jeunes concernés par le SNU devaient être logés pendant la phase de cohésion dans des centres d'accueils collectifs pour mineurs, à l'exemple des colonies de vacances ou des centres de loisirs. Or ceux-ci ne seront certainement pas libres après le 4 juillet. Pouvez-vous nous en dire plus sur les dates de la phase de cohésion ? On peut en effet raisonnablement penser que les centres devant les accueillir seront utilisés tout l'été.

En 2020, l'expérimentation du SNU devait être généralisée à l'ensemble des départements et concerner 30 000 jeunes. Ne pourrait-on pas annuler l'édition 2020 et reporter cette généralisation à l'année prochaine ? Cela permettrait de redistribuer des crédits, ce qui peut être utile dans le contexte actuel. Pour rappel, le SNU représente un coût estimé entre 30 et 45 millions d'euros en 2020.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Monsieur Grosperrin, nous avons dû revoir, de manière exceptionnelle, nos prévisions de rentrée en ce qui concerne la carte scolaire, mais nous l'avons fait dans une direction et un esprit qui ne font qu'accélérer la mise en oeuvre de notre politique : notre objectif est d'augmenter les moyens de l'enseignement primaire pour rattraper notre retard par rapport aux autres pays de l'OCDE. C'est pourquoi, rentrée après rentrée, nous investissons dans le primaire, en créant des postes, alors même que le nombre d'élèves diminue, notamment en milieu rural, ce qui nous oblige parfois à fermer des classes.

Le Président de la République s'est engagé l'année dernière à ne plus fermer d'écoles sans le consentement du maire, à dédoubler les classes de grande section de maternelle dans les zones REP (Réseaux d'éducation prioritaire) et REP + - le plus souvent en milieu urbain, mais parfois aussi en milieu rural - et à limiter à vingt-quatre élèves les effectifs des classes de grande section de maternelle, de CP et CE1 dans toute la France. L'objectif de non-fermeture d'écoles ne signifie pas qu'il n'y aura plus de fermetures de classes : celles-ci sont parfois nécessaires - ne serait-ce que pour des raisons d'équité - pour corriger les déséquilibres entre les territoires dus aux évolutions démographiques. Le gel des fermetures de classes est donc une mesure exceptionnelle qui vise à envoyer un message de soutien à tous les territoires.

N'opposons pas les territoires ruraux et les territoires urbains. La mesure ne concerne pas que les territoires ruraux, mais toutes les communes de moins de 5 000 habitants. On peut toujours discuter évidemment du seuil retenu, mais l'idée est, de manière pragmatique, de viser les petites communes, celles où le risque est de voir fermer des classes sans ouverture par ailleurs. Dans ces communes, aucune fermeture de classe ne pourra intervenir sans l'accord du maire. Dans les communes de plus de 5 000 habitants, nous prenons l'engagement - c'est nouveau - que le solde des ouvertures et des fermetures se traduira par une amélioration du taux d'encadrement. Ces communes sont donc aussi gagnantes.

Une tribune parue dans la presse dimanche dernier et signée par certains maires de Seine-Saint-Denis m'a beaucoup surpris, car elle émane de maires de communes où les taux d'encadrement ont augmenté, atteignant même des niveaux historiques. J'y ai répondu lors de la dernière séance des questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale. Les créations de postes sont nombreuses en Seine-Saint-Denis, comme dans le reste de la France d'ailleurs, et, dans beaucoup de communes de ce département, le nombre d'élèves par classe sera inférieur à vingt à la rentrée. Je suis prêt à examiner toute situation où il n'y aurait pas une amélioration du taux d'encadrement dans une commune de plus de 5 000 habitants concernée par une fermeture de classe. Autant il était absurde de nous accuser de favoriser la ville par rapport aux campagnes, lorsque nous avons annoncé notre effort en faveur des zones REP et REP+, autant nous accuser maintenant de favoriser les campagnes par rapport aux villes n'a pas de sens ! Nous avons la même bienveillance pour toutes les parties de notre territoire. Nous nous ajustons en fonction des besoins.

Cela aboutit à des créations de postes que l'on pourra constater partout à la rentrée prochaine. Il s'agit de créations nettes qui se traduisent par des crédits supplémentaires, conformément à un arbitrage budgétaire du Premier ministre. Les concours de recrutement seront maintenus, même s'ils seront évidemment aménagés pour tenir compte des circonstances. Ils auront lieu en juin et juillet. Nous en arrêterons les modalités d'ici à la fin de la semaine. Nous aurons aussi recours, comme chaque année, aux concours spéciaux, sans doute avec une plus grande ampleur, notamment dans les académies de Versailles et de Créteil, les plus concernées par ces concours.

Je vous remercie d'avoir souligné que ces adaptations de la carte scolaire étaient, en partie, une réponse aux attentes du Sénat. J'avais en effet été interpellé au Sénat à ce sujet. Celui-ci a donc joué un rôle important, en accord avec le Gouvernement et l'Assemblée nationale. Toutefois, il ne s'agit pas d'un virage, mais plutôt d'une accentuation de notre politique pour créer des postes d'enseignants dans le premier degré, soutenir les REP et les REP+, ainsi que la ruralité, dans le cadre des contrats départementaux de ruralité, que connaît bien le sénateur Duran.

Vous m'avez aussi interrogé sur le baccalauréat et la session de septembre. Je ne reviens pas sur les motifs qui nous ont conduits à proposer cette formule cette année. La session de septembre est renforcée. Elle constitue un filet de sécurité et un point de repère. Le maintien de cette session finale constitue aussi la preuve que nous ne voulons pas en finir, à la faveur des circonstances exceptionnelles, avec la forme classique du baccalauréat. Son format évoluera en 2021, mais de manière équilibrée, avec 60 % de la note qui résultera du contrôle final et 40 % du contrôle continu. La crise n'entraîne donc pas d'évolution de notre doctrine, même si elle permet de montrer les vertus du contrôle continu.

La session de septembre sera organisée de façon classique, mais le nombre de candidats sera plus élevé puisqu'elle sera ouverte aux candidats libres et aux candidats dont la moyenne est inférieure à 8 sur 20 au contrôle continu, si le jury d'examen estime qu'ils ont fait preuve d'assiduité et de motivation. Pour mémoire, j'avais pris une mesure similaire l'an dernier lorsque j'avais reporté d'une semaine le brevet en raison de la canicule : à titre exceptionnel, les élèves qui n'avaient pu le passer avaient pu se présenter à la session de septembre. Il est probable que cette session commencera à la fin du mois d'août afin de ne pas trop perturber la rentrée. Je serai plus précis sur ces points au cours des prochains jours, notamment lorsque j'aurai consulté les organisations syndicales. Je ne pense pas que le nombre de redoublants augmentera. Le contrôle continu ne me semble pas plus sévère que l'examen final. Il aura peut-être, en revanche, un effet sur le nombre de mentions délivrées, qui risque de diminuer. Les jurys seront souverains et pourront améliorer les notes de certains élèves qui sont scolarisés dans des établissements qui notent plus sévèrement et qui auraient sans doute pu obtenir une mention si l'examen final avait été maintenu. Nous allons définir des repères objectivés pour permettre aux jurys de procéder aux harmonisations.

Monsieur Karam, l'annonce des modalités du baccalauréat a été précédée d'une concertation étroite avec le ministère de l'agriculture pour tenir compte des spécificités de l'enseignement agricole. Comme pour l'enseignement professionnel, la question est d'évaluer la transmission du geste technique dans le cadre d'un enseignement à distance. Les notes obtenues par le CCF seront prises en compte par les jurys. Par bienveillance envers les élèves, nous devrons avoir une moins grande exigence sur la durée du stage, puisque certains stages auront été interrompus. Le geste professionnel sera évalué sur la base des appréciations obtenues lorsqu'il aura pu être démontré avant la période de confinement, mais aussi après, je l'espère.

Je n'ai jamais affirmé que la rentrée aurait lieu le 4 mai. J'ai simplement dit que c'était le scénario qui avait ma préférence. Je continue à espérer que la reprise des cours pourra intervenir en mai : ce n'est pas une hypothèse impossible, mais nous sommes dépendants de l'évolution de l'épidémie et de l'avis des autorités sanitaires. Dans ce cas, les élèves pourront avoir des notes au troisième trimestre qui compteront pour le contrôle continu. Les notes obtenues pendant le confinement ne seront pas prises en compte pour ne pas accroître les inégalités, mais cela ne signifie pas que les élèves ne doivent pas travailler pendant cette période. Au contraire ! Cela les aidera à obtenir de meilleures notes au troisième trimestre. Nous avons supprimé l'épreuve terminale du baccalauréat qui devait avoir lieu en juin pour permettre aux élèves de retourner en classe à la fin de l'année et de rattraper, autant que possible, le retard. Si la rentrée est possible, les élèves auront classe jusqu'au 4 juillet et l'assiduité sera prise en compte pour l'obtention du diplôme.

Les élèves de l'enseignement agricole et professionnel, qui doivent faire la preuve qu'ils ont bien acquis certains gestes professionnels, pourront le faire au cours du troisième trimestre, si le retour au lycée est possible. Si tel n'est pas le cas, ils pourront être évalués sur la base de leur bulletin scolaire et du CCF. Ceux qui poursuivront leur scolarité en BTS pourront consolider leurs connaissances au début de la rentrée prochaine. J'en profite, à cet égard, pour indiquer qu'en début d'année les élèves, de tous les niveaux, seront évalués pour permettre une personnalisation des parcours et faciliter le rattrapage si besoin. Quant aux élèves qui partiront directement travailler en entreprise - une petite moitié d'entre eux -, notre relation avec les entreprises, dans un contexte économique particulier, devrait permettre de parvenir à une certaine fluidité entre les compétences acquises pendant la scolarité et les compétences mobilisées en entreprise, à l'image de ce qui se passe en période ordinaire.

Monsieur Kern, dès le début de la crise, Jean-Yves Le Drian et moi-même avons été très attentifs à la situation des établissements d'enseignement français à l'étranger. Nous avons même été parfois conduits à les fermer sans attendre que le pays d'accueil décide un confinement. Les lycées de l'AEFE, comme tous les lycées français, bénéficient du système d'enseignement à distance. C'est d'ailleurs en Chine que le dispositif « Ma classe à la maison » a été lancé en premier. Vous avez évoqué plusieurs facteurs de fragilisation des établissements liés à la crise ainsi que la problématique du retour des enseignants dans l'Hexagone. Nous travaillons avec l'AEFE et la Mission laïque française, en lien avec le ministère des affaires étrangères, pour permettre un retour à la normale et une reprise de poste dès la rentrée, en fonction des pays. Nous devrons aussi tirer les enseignements de la crise, notamment en ce qui concerne l'enseignement à distance. Celle-ci a révélé l'existence d'une fracture numérique. Nous travaillons avec les opérateurs de téléphonie pour pouvoir installer « Ma classe à la maison » sur les téléphones portables afin de surmonter les difficultés de connexion dans certains pays.

Monsieur Magner, il est évident que le SNU ne pourra se dérouler tel qu'il était initialement prévu. Nous devons travailler sur la base de scénarios en fonction de la date de fin de confinement. Je n'opposerai pas le SNU avec le service civique, car le SNU pourrait s'avérer utile dans la période actuelle. On pourrait ainsi imaginer des articulations nouvelles. Pourquoi ne pas autoriser des jeunes volontaires de 16 ans à participer, au titre du SNU, à des missions du service civique ? Il s'agit de pistes qui pourraient être mises en oeuvre, sinon dans l'immédiat, du moins dans la seconde partie de l'année ou en 2021. Le SNU semble en tout cas plus pertinent que jamais, même si ses modalités devront évidemment être adaptées en raison des circonstances : son objectif n'est-il pas de renforcer la résilience et de développer la capacité d'agir dans un tel contexte ?

Merci pour votre soutien sur les colonies de vacances. J'avais déjà évoqué la nécessité de leur donner un nouveau souffle. Les circonstances nous forcent à accélérer, selon des modalités que nous préciserons bientôt, en lien avec tous les acteurs, le monde associatif, l'éducation populaire, les collectivités locales, etc. Vos propositions seront aussi les bienvenues. Nous devons parvenir à augmenter le nombre d'enfants qui partent en colonie de vacances, pour des durées accrues, dans un cadre qualitatif meilleur, dans un rayon géographique qui ne soit pas trop éloigné du domicile, tant en raison des circonstances que pour des raisons écologiques et pour faciliter la découverte de l'environnement de la région. J'espère que les conditions sanitaires nous permettront de faire de belles choses cet été.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci monsieur le ministre d'avoir souligné le rôle du Sénat sur la carte scolaire. Je vous avais écrit au nom du bureau de notre commission qui se réunit tous les lundis en cette période de crise. Nous avions eu un long débat sur le sujet. Vous nous avez répondu très rapidement et je vous en remercie.

Mme Françoise Laborde. - Monsieur le ministre, vous avez déjà répondu à plusieurs questions que je voulais vous poser, notamment sur la carte scolaire et le seuil des 5 000 habitants. Je veux attirer votre attention sur les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased). On m'interroge beaucoup sur ce sujet, ainsi que sur les auxiliaires de vie scolaires (AVS) et les commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) chargées d'intégrer les nouveaux enfants : pourront-elles se réunir ?

Vous avez évoqué la date de la rentrée et le soutien scolaire, sujet très important. Je veux aussi vous interroger sur l'articulation entre la session du baccalauréat de septembre et les inscriptions sur la plateforme Parcoursup. La session de septembre peut être utile pour les candidats libres ou ceux qui souhaitent profiter des vacances pour bachoter. Mais comment sera réalisée l'articulation avec Parcoursup ?

Vos réponses sur l'enseignement agricole ont été très claires. Le ministre de l'agriculture nous a d'ailleurs indiqué ce matin que vous aviez agi en étroite concertation.

Enfin, mon collègue Max Brisson et moi-même menons une réflexion sur les directeurs d'école. La situation actuelle illustre l'importance de leur mission. Il convient d'avancer sur la question de leur statut et de leur rémunération.

M. Laurent Lafon. - Vous avez annoncé le maintien des oraux du baccalauréat de français. Les modalités de déconfinement étant incertaines, est-ce définitif ?

Au sujet des colonies de vacances éducatives, pour la plupart associatives ou organisées par les collectivités, le flou entourant la fin du confinement ne permet pas de passer les commandes publiques, en particulier pour le mois de juillet. Il importe donc d'informer les maîtres d'oeuvre le plus rapidement possible.

M. Olivier Paccaud. - Nous avons salué la conscience professionnelle remarquable du corps enseignant, mais qu'en est-il des masques et des équipements de protection destinés aux professeurs volontaires ? Du matériel commence à être livré dans les écoles depuis quelques jours. Existe-t-il une doctrine claire en la matière au niveau de l'éducation nationale ?

Il existe deux catégories de « perdus » du confinement, dont le nombre est évalué entre 5 % et 10 % : les élèves souffrant de la fracture numérique et les élèves issus de milieux modestes. Certaines collectivités peuvent fournir du matériel. Vous avez évoqué la mise en place de stages de remise à niveau pendant les vacances de printemps. Or, ce sont principalement ces élèves en fracture numérique ou issus de milieux modestes et qui rencontrent des difficultés pour accéder à l'enseignement à distance qui en ont le plus besoin. L'éducation nationale prévoit-elle de mettre en place une politique spécifique en faveur de ces publics ?

Je veux également insister sur les élèves victimes de violences familiales, qui ne peuvent plus être signalés. Des actions sont-elles menées pour y remédier ?

Enfin, je me fais le porte-parole du sénateur Piednoir, qui demande de clarifier la situation des candidats libres ou hors contrat au baccalauréat.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Madame Laborde, le sort des élèves en situation de handicap ou à besoins particuliers est complexe dans la période actuelle. Les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) n'ont pas vocation à aller à domicile. Chaque élève est un cas particulier, et nous avons fait le maximum, avec Sophie Cluzel, pour que les familles se sentent soutenues. Des mesures de souplesse en matière de confinement sont accordées, notamment en faveur des enfants autistes. À la rentrée scolaire, nous aurons plus que jamais besoin des compétences psychologiques, notamment des Rased. Il convient de renforcer la mobilisation de ces compétences.

S'agissant des examens, les jurys de la session de juin-juillet peuvent se prononcer sur les candidats qui émanent d'une institution délivrant un livret scolaire. C'est valable pour l'enseignement public, l'enseignement privé sous contrat et hors contrat. Bien sûr, le jury sera juge de la qualité et du sérieux de ce livret. Cette crise est d'ailleurs l'occasion d'un rapprochement d'une partie du secteur hors contrat avec l'éducation nationale. Nous ne voulons léser aucun élève, être dans la bienveillance de tous envers tous ; les solutions les plus favorables pour passer les examens sont à chaque fois retenues. L'ouverture de la session de septembre aux candidats libres leur offre une solution. Celle-ci ne devrait pas être si chargée, les candidats libres inscrits au CNED possédant un livret scolaire.

Pour ce qui est de l'admission dans l'enseignement supérieur, les commissions rectorales permettront plus largement les ajustements nécessaires.

L'oral du baccalauréat de français, monsieur Lafon, est le seul examen terminal qui demeure, principalement parce qu'il ne fait pas l'objet d'un contrôle continu. Nous souhaitons également envoyer le signal du maintien d'un examen terminal du baccalauréat lorsque les conditions pratiques et sanitaires le permettent. Enfin, pour des raisons pédagogiques, nous incitons ainsi les élèves de première à continuer à travailler. Nous envoyons des signaux à la fois de non-stress et de travail. Bien entendu, si les conditions du retour à la normale après le confinement ne permettent pas d'organiser cet oral, nous pourrions retenir la note de contrôle continu en français ou organiser un oral au cours de l'année scolaire prochaine ; mais nous n'en sommes pas là. Nous avons en outre réduit le nombre de textes à préparer - 15 pour la voie générale, 12 pour la voie technique.

Pour ce qui est des colonies de vacances éducatives, nous souhaitons que la collaboration entre l'État et les collectivités locales permette un certain volontarisme. Les circonstances exceptionnelles autorisent des formes juridiques particulières.

Monsieur Paccaud, l'accueil des enfants de soignants est une préconisation de l'OMS (Organisation mondiale de la santé). Nous suivons les recommandations des autorités de santé concernant les gestes barrières, la distanciation ; c'est pourquoi les groupes sont limités à dix. Environ 30 000 enfants sont accueillis chaque jour. Le port du masque n'est pas considéré comme l'élément principal de protection dans ces circonstances. Néanmoins, dès lors que les masques sont en quantité suffisante pour les personnels soignants, l'éducation nationale en a commandé pour ses établissements.

Concernant les « perdus » du confinement, nous prenons des initiatives pour offrir ou prêter du matériel, en lien avec les collectivités locales et avec les associations, qui prendront une ampleur particulière pendant les vacances de printemps. Nous travaillons avec Julien Denormandie sur cette question, pour utiliser certains moyens au titre de la politique de la ville ou des Cités éducatives.

Nous avons pris à bras-le-corps, avec Adrien Taquet, la question des violences intrafamiliales, dont l'éducation nationale est ordinairement le premier vecteur de signalement. Dans « Ma classe à la maison » figure à présent un bandeau sur le 119 et une nouvelle campagne de sensibilisation a été lancée. Le personnel est appelé à se mobiliser au moindre soupçon.

Je rappelle pour finir qu'une foire aux questions est actualisée en permanence par une cellule de crise sur le site du ministère, les réponses qui y figurent ont valeur de circulaire.

Mme Marie-Pierre Monier. - Mme Claudine Lepage, dont je relaie la question, souhaite savoir si la session de septembre concerne aussi les candidats libres hors réseau de l'AEFE.

J'attire votre attention sur le cas des agriculteurs qui n'ont pas de solution de garde pour leurs enfants. Ceux-ci pourraient-ils être accueillis à l'école ?

Les AESH sont-ils au chômage partiel ? Qu'est-il prévu pour les familles bénéficiant habituellement de leur aide ? Certains, sur la base du volontariat, ont pu garder des élèves. Est-ce envisageable ?

Qu'en est-il du calendrier d'affectation au lycée Affelnet ?

L'école à la maison révèle les inégalités sociales et territoriales. Selon un sondage, 70 % des enseignants redoutent le décrochage des élèves fragiles. Dans la mesure où il est difficile d'aborder de nouvelles notions à distance, que prévoyez-vous à l'issue de la crise pour ces élèves décrocheurs ? Instaurerez-vous des cours spécifiques destinés aux élèves présentant le baccalauréat au rattrapage en septembre ?

Le travail, la mobilisation et l'implication des enseignants sont exemplaires, soulignés par tous. Le temps n'est-il pas venu, monsieur le ministre, de leur montrer notre reconnaissance à travers une véritable revalorisation salariale ? Nous saluons la création de postes adaptés dans le premier degré. Maintenez-vous la suppression de 400 postes dans le secondaire ? Enfin, qu'en est-il du statut des professeurs stagiaires et des affectations dans le second degré ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'élargis la question de Mme Monier sur l'accueil des enfants d'agriculteurs à celui des enfants des agents de La Poste, à l'origine de l'absentéisme souligné hier en audition par Philippe Wahl.

M. Max Brisson. - En dépit de la continuité pédagogique, en particulier pour les plus défavorisés, rien ne remplace l'école. Pour y remédier, vous avez annoncé des stages de remise à niveau pendant les vacances d'été et de printemps. Pouvez-vous nous en dire plus sur leur organisation, leur durée, leur public ? Le dispositif sera-t-il limité en raison de son coût ? Connaissez-vous le nombre d'élèves inscrits à ces stages en zone C et celui des enseignants mobilisés ?

Est-il prévu l'année prochaine une adaptation des progressions pour tenir compte des défauts d'apprentissage ? Les programmes étant désormais construits autour de la notion de cycle couvrant plusieurs années scolaires, n'est-ce pas le cadre approprié pour envisager les indispensables remédiations ?

Finalement, vous pourriez devenir, en ces circonstances douloureuses, le ministre de la reconquête pédagogique du mois de juin dans les lycées, d'une forte instillation de contrôle continu au baccalauréat et d'une scolarité par cycles plus ancrée.

Je conclus par une question de Laure Darcos : les livrets scolaires des établissements hors contrat, rarement numérisés, pourront-ils être consultés sur support papier par les jurys ?

Mme Céline Brulin. - Face à la crainte de l'accroissement des inégalités scolaires, nous saluons l'engagement remarquable des enseignants. Des mesures exceptionnelles doivent être prises. Si je me réjouis de l'annonce de créations de postes et de fermetures annulées en zones rurales, il ne faut pas oublier les milieux urbains. Je soutiens le principe de ne fermer aucune classe en éducation prioritaire. Dans mon département, mais il n'est pas le seul, les mesures d'ouverture et de fermeture conduisent à des effectifs de plus de 25 élèves par classe en éducation prioritaire, où les efforts devront pourtant être accrus. En outre, une réflexion au niveau de la commune du solde entre ouvertures et fermetures pour calculer le taux d'encadrement ignore les inégalités entre les quartiers. Il faudrait privilégier une approche quartier par quartier, voire école par école pour les corriger.

Enfin, concernant l'enseignement à distance, des consignes pédagogiques claires sont-elles données aux équipes de consolider les notions acquises, mais sans en aborder de nouvelles, afin de ne pas renforcer les inégalités scolaires ?

M. Damien Regnard. - Concernant les élèves des établissements d'Asie du Sud-Est passant le baccalauréat cette année, comment sera évalué le contrôle continu, dans la mesure où ils n'ont eu qu'un trimestre de cours ?

Plus de 99 % des établissements à l'étranger sont fermés, certains depuis fin janvier, et aucune réouverture n'est prévue avant la rentrée. Outre la crise sanitaire, ces pays subissent une crise économique considérable, ce qui menace l'équilibre financier des établissements français : à court terme, les parents ne peuvent plus faire face et estiment que l'enseignement à distance ne justifie pas les frais de scolarité demandés pour le deuxième et le troisième trimestres ; à moyen terme se dessine une baisse du nombre de nos ressortissants à l'étranger pour la rentrée prochaine, qui s'annonce donc très difficile, d'autant que nos établissements disposent au mieux de trois mois de trésorerie. J'ai déjà fait part de ce constat préoccupant au directeur de l'AEFE, M. Brochet, ainsi qu'au secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne. Les parents et les chefs d'établissement ont besoin d'être rassurés : le message que tout sera mis en oeuvre pour sauver le réseau doit leur être envoyé.

En attendant, nous nous mobilisons pour trouver des solutions : le sénateur del Picchia a déposé une proposition de loi suggérant de faire appel à la solidarité nationale. De mon côté, je souhaite vous interroger sur la faisabilité de certaines mesures de soutien.

Pour les communautés françaises uniquement, peut-on modifier le calcul des bourses en prenant en compte non pas l'année n-1, mais l'année n, avec un abondement important de l'enveloppe des bourses ?

Peut-on envisager la prise en charge des salaires par le ministère de l'éducation nationale pour les établissements gérés directement (EGD) par l'AEFE et les établissements conventionnés ? Pour les établissements partenaires, dans quelle mesure le code de l'éducation pourrait-il être assoupli pour permettre des subventions de fonctionnement ? Cela pourrait passer par des conventions temporaires avec ceux-ci.

Peut-on envisager la prise en charge par l'État des pensions civiles aujourd'hui réglées par l'AEFE et qui représentent 74 % de la masse salariale ?

Enfin, peut-on suspendre la participation à la rémunération des résidents (PRR) et la participation forfaitaire complémentaire (PFC) perçue par l'AEFE pour 2020 et 2021, ce qui permettrait aux établissements de dégager une trésorerie importante ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Une autre question se posait concernant les enseignants affectés à l'étranger rentrés en France sans l'autorisation de leur hiérarchie. Leur situation va-t-elle être régularisée ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Concernant les solutions d'accueil pour les enfants d'agriculteurs, j'approuve évidemment l'inspiration de la question de Mme Monier, mais ce qu'a ajouté madame la présidente au sujet des enfants des salariés de La Poste souligne la difficulté de la situation : de nombreuses professions pourraient légitimement demander à bénéficier du dispositif, mais si on accédait à leur demande, on finirait par rouvrir les écoles, en contradiction avec ce que nous prônons. Le dispositif a déjà été élargi aux enfants des membres des forces de sécurité intérieure, ce qui est déjà assez considérable, car cet accueil est ouvert du lundi au dimanche. Je ne dis pas que ce serait infaisable, mais ce serait ouvrir la boîte de Pandore, au risque de rendre la situation ingérable. À l'origine, je rappelle que nous avons suivi une recommandation de l'OMS visant à faciliter la disponibilité des personnels soignants.

S'agissant des AESH, ils ne sont pas au chômage partiel et continuent d'être rémunérés. L'objectif est qu'il puisse naturellement reprendre leur activité. Certains d'entre eux se sont portés volontaires pour participer aux dispositifs d'accueil et ils percevront à ce titre les primes prévues. Je tiens à signaler que le mécanisme de primes a été conçu postérieurement à l'appel au volontariat, les volontaires se sont donc manifestés spontanément et je tiens à leur rendre hommage.

S'agissant d'Affelnet, le calendrier normal devrait pouvoir être respecté, puisque le dispositif est conçu pour être totalement numérisé. La consigne donnée aux principaux de collège est donc que les professeurs principaux puissent être contactés par les élèves, de même que les conseillers d'orientation. L'objectif est de respecter les délais, afin que les affectations respectent les premiers voeux des familles, dans l'intérêt de tous.

Plusieurs d'entre vous ont demandé comment nous allions gérer les progressions et les éventuels retards dans les apprentissages. Dans cette période, le principe de base - qui est d'ailleurs universel, puisqu'il est appliqué par exemple au Japon ou en Corée du Sud - est la consolidation des savoirs déjà acquis, plutôt que la progression vers de nouvelles connaissances. On n'empêchera pas que certains élèves progressent rapidement dans cette période, parce que leur environnement familial est favorable, quand d'autres stagnent, voire régressent : on essaie de l'éviter, mais il faut être lucide. C'est pourquoi il faut prévoir des mécanismes de remédiation : c'est le sens des stages prévus pendant les vacances de printemps, à distance, et pendant les vacances d'été, en présentiel. Donc, les consignes pédagogiques pour la période actuelle sont claires et nous travaillons à une personnalisation de la remédiation - les mécanismes d'évaluation en début d'année scolaire, pour les élèves de CP, CE1, sixième et seconde, devraient nous y aider, mais nous allons mettre des outils à disposition des enseignants pour l'ensemble des classes. Sur le modèle de ce qui est prévu pour les élèves de CM2, nous étendrons à tous les niveaux de classe la possibilité de stage à la fin du mois d'août, voire pourquoi pas à d'autres moments. Certaines des colonies de vacances que nous proposerons auront également une dimension scolaire sur une petite partie de la journée, mais nous en sommes encore au stade de la réflexion.

En ce qui concerne la revalorisation salariale prévue pour 2021, je tiens à dire que la crise sanitaire ne doit pas avoir pour effet de retarder le traitement des grands dossiers engagés avant son déclenchement, surtout dans un contexte où la population française est amenée à constater le rôle fondamental joué par les enseignants dans notre pays. Nous travaillons donc à cette revalorisation salariale, en lien avec les organisations syndicales, même si nos derniers entretiens étaient plutôt concentrés sur le sujet des examens. Nous avons évidemment besoin de travailler au niveau gouvernemental pour voir plus précisément comment mettre en oeuvre cette revalorisation au vu des circonstances.

Les professeurs stagiaires ont vocation à être titularisés dans les temps. D'une manière générale, notre objectif est de ne pas faire perdre une année aux personnes concernées, qu'il s'agisse des élèves ou des enseignants. Nous aménageons les dispositifs, mais sans les retarder au-delà de l'année scolaire.

Monsieur Brisson, il est évidemment plus pertinent de raisonner à l'échelle d'un cycle concernant les apprentissages et le parcours des enfants doit être adapté à la situation. Nous devons effectivement illustrer cette année l'objectif de la reconquête du mois de juin, que nous nous étions préalablement fixé. Vous avez posé la question des livrets scolaires papier : les jurys statuent de plus en plus sur des livrets numérisés, mais rien ne s'oppose à la prise en compte d'un livret papier. J'en profite pour répondre à la question de Mme Lepage sur les candidats libres hors réseau AEFE : la doctrine est claire, le livret scolaire est le point de repère des jurys ; un candidat libre inscrit au CNED a un livret scolaire. En l'absence de livret scolaire, les candidats devront se présenter à la session de septembre.

Madame Brulin, les évolutions que nous préparons ne lèsent absolument pas les zones urbaines. Concernant l'éducation prioritaire, le nombre maximal de 25 élèves par classe reste la norme et je suis prêt à examiner les cas que vous pourrez me soumettre. Certains secteurs d'éducation prioritaire connaissent une très forte baisse démographique et un principe général de non-fermeture de classes n'aurait pas de sens, ne serait-ce qu'en termes d'équité vis-à-vis d'autres zones d'éducation prioritaire. En revanche, il me paraît faisable de garantir des seuils d'encadrement pour l'éducation prioritaire.

Monsieur Regnard, effectivement, les élèves d'Asie n'ont plus de cours depuis la fin janvier. La majorité d'entre eux se sont inscrits au CNED et ils pourront tous bénéficier des rattrapages nécessaires lorsque la classe reprendra. Je fais totalement confiance aux chefs d'établissement et à leurs équipes pour mettre en place toutes les remédiations nécessaires.

En ce qui concerne l'appui administratif et financier au réseau de l'AEFE, j'ai bien noté vos suggestions. Je vais travailler avec Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Lemoyne pour envisager comment soutenir ce réseau. N'ayez aucun doute : nous le considérons comme un joyau qui ne doit pas être abîmé par la crise actuelle. Notre créativité et notre volontarisme devront l'aider à passer le cap. L'ensemble des structures scolaires du monde connaît des difficultés actuellement, c'est peut-être une occasion pour notre réseau de s'affirmer. N'oublions pas que le Président de la République a fixé l'objectif d'augmenter le nombre d'élèves à l'étranger : il ne faut pas renoncer à cette ambition, tout en restant lucide sur les conditions matérielles et financières actuelles. Le ministère des affaires étrangères et le ministère de l'éducation nationale seront amenés prochainement à présenter leur stratégie dans ce domaine.

En conclusion, je tiens à vous informer que nous allons organiser des états généraux du numérique éducatif à la rentrée prochaine, probablement à Poitiers, après avoir organisé des consultations à l'échelle de chaque académie, de façon à tirer les enseignements de la période que nous venons de vivre. Je sais que ce sujet vous intéresse - vous y avez déjà consacré plusieurs rapports et vous ne manquerez pas de produire de nouvelles contributions à la lumière de l'expérience actuelle. L'idée, comme je viens de le dire pour l'AEFE, est d'envisager comment transformer un problème en une opportunité : on voit bien, dans la situation actuelle, que le fait d'avoir un service public national de l'éducation est une force qui permet, grâce à des outils comme le CNED ou Canopé, de développer des solutions à l'échelle nationale, mais aussi de la francophonie.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cette initiative est tout à fait bienvenue, monsieur le ministre. Vous connaissez ma mobilisation personnelle sur ce sujet : j'ai eu l'occasion de souligner le fait que les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) devaient disposer de moyens pour former les formateurs sur ces questions numériques.

Avant de conclure définitivement, je vais redonner la parole à Jacques Grosperrin, puis à Antoine Karam, car je souhaite que nous évoquions la situation dans les outre-mer.

M. Jacques Grosperrin. - Après la période de clivage autour de la réforme du baccalauréat et de celle des retraites, nous assistons à une bonne réaction d'ensemble de la communauté éducative, qui s'est bien adaptée à la situation et sait le faire dans la durée. Nous vous rendons hommage, monsieur le ministre, pour votre action dans ce contexte inédit.

Certains spécialistes s'interrogent sur la possibilité de déconfiner les enfants et de les faire revenir à l'école ; dans la mesure où il faudrait que la population soit immunisée à 60 %, ils estiment que les parents d'enfants en maternelle, qui sont jeunes et en bonne santé, présentent moins de risques. En parlez-vous au niveau interministériel ?

M. Antoine Karam. - Dans les outre-mer, de nombreuses inquiétudes se sont exprimées quant à la continuité pédagogique et à l'aggravation des inégalités scolaires. Ces inquiétudes sont encore plus grandes pour les élèves des sites isolés, qui sont nombreux en Guyane. Monsieur le ministre connaît bien ce territoire où l'enseignement à distance se heurte à une couverture numérique totalement défaillante : les enfants des communes de l'intérieur sont particulièrement touchés. Peut-on envisager de permettre à ces enfants de reprendre tous les éléments du programme à leur retour en classe, puisque les vacances scolaires commencent ce soir ?

J'attire également votre attention sur la situation des enseignants métropolitains affectés sur notre territoire. Nombre d'entre eux souhaiteraient pouvoir rentrer dans l'Hexagone à l'occasion des vacances, en dépit des mesures de restriction des vols. Nous comprenons leur souhait, mais il faut absolument éviter les va-et-vient, étant entendu que l'ensemble des cas de coronavirus recensés dans les outre-mer ont été importés de l'Hexagone. Quel message le ministère entend-il leur adresser ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Monsieur Grosperrin, nous devrons façonner notre doctrine du déconfinement dans les semaines qui viennent. Nous vivons une situation inédite et c'est sur la base, notamment, de comparaisons internationales que nous trouvons des solutions. Un travail interministériel est en cours ; bien évidemment, il suit très exactement les préconisations des autorités de santé. Je ne suis pas en situation de répondre précisément à votre question ; comme vous le savez, Jean Castex est chargé de la coordination interministérielle dans ce domaine. À l'issue de ces travaux, nous aurons une véritable doctrine du déconfinement.

Monsieur Karam, évidemment, nous devons nous adapter à la situation particulière de la Guyane, notamment en ce qui concerne les élèves isolés. Des expériences ont été faites avec des téléphones portables, mais leur portée est forcément limitée : les remises à niveau prévues lors des vacances de printemps seront donc très importantes. Quant aux professeurs originaires de métropole, j'ai été interrogé par le recteur : il convient évidemment de respecter les règles du confinement qui empêchent ce type de déplacement. Je comprends que les professeurs concernés vivent parfois des situations très difficiles, mais la règle du confinement s'impose. Ceux qui sont affectés dans des communes éloignées peuvent faire du soutien scolaire, sur le fameux « temps de six heures », en respectant les gestes barrières. J'ai conscience de la dureté de cette position, mais toute autre décision serait contraire aux directives des autorités de santé.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Un dernier mot pour remercier votre ministère, tous ses personnels administratifs et enseignants, qui doivent faire face à une situation complexe. Je salue également le corps des Dasen avec lesquels les élus ont eu de nombreux contacts ces derniers jours, pour l'établissement de la carte scolaire : ils sont à l'écoute et ne ménagent pas leur temps. Nous sommes à vos côtés, parce que nous devons faire front ensemble, pour la crédibilité de l'éducation nationale, vis-à-vis des familles, mais aussi de ses 12 millions d'élèves.

Nous poursuivrons nos échanges avec vous, mais aussi avec Didier Guillaume, pour l'enseignement agricole, et avec Jean-Yves Le Drian, pour les établissements français à l'étranger.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Je vous remercie d'avoir salué le travail merveilleux réalisé par l'ensemble des personnels de l'éducation nationale dans cette période difficile. Si la situation actuelle permet de renforcer l'osmose entre l'éducation nationale et la société française, ce ne peut qu'être positif pour le pays.

Audition de M. Franck Riester, ministre de la culture

Jeudi 16 avril 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Après avoir entendu Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer, notre commission poursuit cette semaine ses travaux de contrôle sur l'impact de la crise sanitaire dans les domaines qui relèvent de sa compétence.

Monsieur le ministre, au nom des membres de cette commission, mais aussi de tous les acteurs du secteur qui nous font part de leurs préoccupations, je tiens à vous remercier de vous présenter devant nous. Comme vous le savez, cette audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu qui sera publié sur le site internet du Sénat.

La crise sanitaire du Covid-19 frappe particulièrement durement le monde culturel : salles de spectacle, musées, monuments, lieux d'exposition, festivals et galeries d'art sont fermés jusqu'à nouvel ordre et le resteront probablement bien au-delà des premières mesures de déconfinement. De plus, beaucoup d'actions culturelles et sociales ne peuvent avoir lieu à l'école et dans d'autres lieux. Cette situation est d'autant plus dramatique que, au-delà de la valeur ajoutée qui lui est propre, la culture est un secteur pivot de notre économie, qui fait vivre tant d'autres entreprises. Mais je n'oublie pas que les premières victimes de cette situation sont les créateurs - les artistes-auteurs -, qui font face à une diminution drastique, quand elle n'est pas totale, de leurs revenus. Ils méritent une attention particulière.

Il est nécessaire d'accompagner très étroitement ce secteur : d'abord, pour répondre à l'urgence actuelle ; ensuite, pour garantir les conditions d'une véritable relance lorsque l'activité pourra reprendre. Prenons garde à ne laisser personne de côté, ni à oublier des « trous dans la raquette », ce qui n'est pas évident dans un secteur où les acteurs présentent autant de spécificités, même les uns par rapport aux autres.

J'ajoute que les acteurs culturels ont besoin de visibilité et d'anticipation, essentielles dans un secteur où la programmation est au coeur de leur fonctionnement. Sur ce sujet, il subsiste encore beaucoup trop d'imprécisions. J'espère que cette audition sera l'occasion de lever certaines d'entre elles.

J'en viens aux médias.

Avec la crise, les Français, y compris les plus jeunes, retrouvent goût à regarder la télévision et à écouter la radio. Je souhaite rendre hommage à toutes les équipes des chaînes publiques et privées qui assurent une information de qualité et proposent également des divertissements, de la culture et de l'éducation. Jamais la chaîne de la connaissance, France 4, n'avait aussi bien justifié sa mission.

L'avenir des médias était au coeur de l'examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, engagé à l'Assemblée nationale il y a un mois. Qu'adviendra-t-il du calendrier de cette loi ? Ce texte est-il menacé, comme on a pu le lire dernièrement dans la presse ? Plus fondamentalement, le projet de loi ne doit-il pas évoluer pour tenir compte des leçons de la crise sanitaire ?

En matière d'industries culturelles au sens large, la crise pourrait renforcer des tendances longues déjà à l'oeuvre, à commencer par la mainmise des grandes plateformes sur des pans entiers de notre créativité et de notre démocratie. La presse n'est plus consultée qu'en ligne, ce qui conforte la position de Google et Facebook, déjà prédateurs dans le marché publicitaire. Les films ne sont plus visionnés que sur les services de vidéo, largement dominés par Netflix, Amazon, Disney et d'autres. Or il faut assurer la survie de nos champions nationaux et européens et garantir que, dans le monde d'après, ils bénéficieront d'un cadre adapté à leur développement.

Après une présentation liminaire du ministre, nous aborderons successivement la création et le patrimoine, puis les médias et les industries culturelles. À chaque fois, nos rapporteurs pour les missions et programmes budgétaires relatifs à leurs domaines poseront des questions au ministre et, après les réponses de celui-ci, les orateurs des groupes politiques pourront à leur tour l'interroger.

M. Franck Riester, ministre de la culture. - J'accorde une grande importance à cette audition, qui me permet de répondre à vos interrogations. Je ne pourrai pas, au demeurant, apporter toutes les réponses, car cette crise est inédite, et les moyens d'en sortir le seront aussi. La situation invite à l'humilité et au pragmatisme.

Le Gouvernement a souhaité apporter une réponse rapide et massive à la crise, pour protéger nos compatriotes de ses conséquences par des mesures de portée générale : prêts garantis par l'État, accès au chômage partiel, fonds de solidarité, reports de charges et bien d'autres dispositifs encore. Avec Muriel Pénicaud, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et Christophe Castaner, sous l'autorité du Premier ministre, j'ai fait en sorte que les problématiques des structures et professionnels qui dépendent de mon ministère - artistes, intermittents, festivals et orchestres, qui constituent le tissu entrepreneurial et associatif - soient prises en compte. Nous avons ainsi obtenu que le fonds de solidarité, dont le montant a été porté de 1 milliard à 7 milliards d'euros, prenne en compte le caractère irrégulier de la rémunération des artistes-auteurs. Bruno Le Maire a accepté que, pour ces professionnels, la moyenne des revenus sur les douze derniers mois soit retenue, au lieu de la référence au mois correspondant de l'année précédente. Nous avons également mis en place des dispositifs spécifiques via le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), le Centre national de la musique (CNM), le Centre national du livre (CNL) et le Centre national des arts plastiques (CNAP), pour accompagner les plus petits acteurs du secteur, touchés de plein fouet par la crise.

À l'invitation du Président de la République, nous devons également préparer le déconfinement. Le fait qu'il sera probablement plus tardif pour le secteur de la culture justifie un plan de relance spécifique, qui sera élaboré en concertation avec Bruno Le Maire et Gérald Darmanin.

Au-delà des problèmes économiques et sociaux, il faut prendre en compte la dimension psychologique majeure de la crise, qui engendre des situations terribles. C'est pourquoi nous devons donner de l'espoir et imaginer le monde de la culture de demain. L'État, les collectivités territoriales, qui font un travail remarquable, le Parlement, en premier lieu le Sénat, toutes les forces vives de ce pays doivent se mobiliser pour la culture, qui n'est pas seulement une économie, mais un moyen de mieux vivre individuellement et collectivement, de se rassembler pour partager des émotions communes et de donner du sens à la relance de notre pays.

En répondant à vos questions, je détaillerai les leviers que nous comptons actionner à très court terme, notamment en faveur du théâtre privé, des pigistes, des associations, de l'audiovisuel, du cinéma ou des orchestres.

Mme Sylvie Robert. - L'annulation en cascade des festivals était attendue : le Président de la République l'a annoncée, indiquant que les festivals à public nombreux prévus avant la mi-juillet ne pourraient avoir lieu. Comment se matérialisera l'interdiction ? Les préfets prendront-ils des arrêtés ? Qu'en sera-t-il après la mi-juillet ? Comme la présidente de notre commission l'a souligné, les organisateurs ont avant tout besoin de visibilité et d'anticipation. Le Gouvernement doit nous indiquer s'il envisage une décision au niveau national, si la clause de force majeure sera activée pour protéger les organisateurs et si les collectivités territoriales seront accompagnées.

Dans un entretien donné ce matin, vous avez jeté un trouble en annonçant que certains « petits » festivals pourraient avoir lieu après le 11 mai : qu'est-ce qu'un petit festival et à qui appartiendra-t-il de le définir ? Y aura-t-il un cadrage national ou laisserez-vous à chaque territoire, via les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), le soin de garantir la sécurité des artistes, des organisateurs et des publics ?

L'État a lancé des dispositifs pour aider la culture, mais les collectivités territoriales aussi, notamment les régions, avec les plans d'urgence, et les métropoles. Comment s'articuleront ces initiatives ?

Pouvez-vous confirmer que les dispositifs d'activité partielle sont cumulables avec les aides publiques ?

Enfin, concernant les services non faits, les ordonnances prises par le Gouvernement permettent que les subventions prévues au titre des projets culturels accompagnés par les collectivités territoriales et l'État soient versées. L'État-culture joue le jeu, les collectivités aussi même si certaines résistent. En revanche, nous avons été informés que le ministère de l'éducation nationale n'avait pas garanti aux artistes-auteurs intervenant en milieu scolaire qu'ils recevraient les subventions promises.

Je m'interroge sur la situation des artistes-auteurs, en particulier les artistes visuels. Sur les 2 millions d'euros versés au CNAP par le ministère, 500 000 euros iront aux artistes-auteurs, alors qu'ils représentent 70 % du total des artistes. Les arts visuels méritent un effort particulier, d'autant que les critères d'accès au fonds de solidarité et aux dispositifs de référence ont été élargis. La transition de leur régime social vers l'Urssaf aura-t-elle lieu en juin comme prévu ?

Je prends acte de l'annonce d'un plan de relance pour la culture et vous remercie du travail que vous avez mené avec Muriel Pénicaud pour les intermittents ; cependant, certaines questions demeurent en suspens, notamment pour les primo-entrants dans le régime. Les intermittents, qui souffrent beaucoup pendant cette période, feront-ils l'objet de dispositions complémentaires ?

M. Alain Schmitz . - J'interviens au nom de Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme « Patrimoines », qui ne pouvait participer à cette réunion.

En ce 16 avril, nous revient en mémoire la sidération éprouvée voilà un an exactement devant Notre-Dame de Paris livrée aux flammes. Or l'épidémie a conduit à une nouvelle interruption du chantier de reconstruction. Quand les travaux reprendront-ils ? Les retards affecteront-ils le calendrier ? N'oublions pas non plus les autres chantiers de restauration à l'arrêt. Tout cela nourrit de vives inquiétudes autour des entreprises de restauration du patrimoine, un secteur très fragile. Comment allez-vous les accompagner ? Ne peut-on envisager dès aujourd'hui la mise en place d'un taux de TVA réduit sur les travaux de restauration ?

Il est à craindre que les crédits du programme 175, « Patrimoines », ne soient pas intégralement consommés en 2020. Peut-on accélérer le rythme de consommation au second semestre et relever le taux de participation de l'État aux projets de restauration des collectivités territoriales, quelle que soit leur taille ? Ce serait un bon moyen d'assurer la consommation des crédits, de soutenir les entreprises et d'accompagner les collectivités territoriales.

Enfin, nous sommes préoccupés par la situation des établissements culturels : musées, monuments, sites touristiques. Les petits musées, déjà fragiles, sont tout aussi touchés que les grands opérateurs, dont les ressources propres sont très supérieures aux subventions perçues ; or le manque à gagner pour eux en billetterie, en produits dérivés, en activités annexes comme en valorisation du patrimoine est considérable.

Nous sommes particulièrement inquiets de la situation du Centre des monuments nationaux (CMN), déjà fragile avant la crise, qui attendait beaucoup de l'ouverture prévue de l'Hôtel de la Marine. Prévoyez-vous un plan de soutien spécifique pour les établissements culturels relevant du programme 175 ou traiterez-vous ces établissements au cas par cas, et selon quels critères ?

M. Franck Riester, ministre. - Concernant les festivals, nous partageons l'émotion de nos compatriotes, des organisateurs, des artistes qui devaient se produire, des bénévoles et salariés face aux annulations. C'est un arrache-coeur pour notre pays, l'un des champions mondiaux des festivals ; nous avions tous l'habitude de nous rendre au cours du printemps et de l'été à ces rendez-vous, dont l'annulation est un choc collectif. Je mesure les conséquences financières directes et indirectes - pour le tourisme, les restaurants, les bars, les hôtels -, mais aussi sociales, humaines et psychologiques, car, pour de nombreux artistes, ce sont des semaines, des mois, voire des années de travail qui sont remis en cause.

À cela s'ajoute le fait que certains festivals comme Cannes ou Avignon sont des places de marché. Il faudra trouver une organisation différente cette année, en lien avec la direction de ces festivals, pour éviter que la saison ne soit sacrifiée. Avignon, en particulier, irrigue la vie culturelle de nos territoires.

Dans ces conditions, comment accompagner les festivals, soit dans leur transformation en événements plus compatibles avec les conditions sanitaires, soit dans leur maintien en l'état ?

Je commencerai par m'expliquer sur la notion de petit festival. Le Président de la République a annoncé que le déconfinement commencerait le 11 mai ; la restauration, l'hôtellerie, les arts et spectacles verront ce déconfinement plus étalé dans le temps que les autres secteurs d'activité. Les grands rassemblements, notamment les grands festivals prévus avant la mi-juillet, ne pourront se tenir. Certains festivals prévus après cette date seront peut-être annulés eux aussi : l'annulation des Vieilles Charrues, à Carhaix, a d'ores et déjà été annoncée par la direction du festival. En revanche, des festivals de dimensions plus modestes pourront peut-être se tenir avant la mi-juillet. Nous évaluerons dans les semaines qui viennent, en concertation avec les autorités de santé, les organisateurs, les artistes, les collectivités territoriales, la possibilité de les maintenir. Les normes sanitaires, la jauge, la configuration des lieux devront être déterminées, mais aucune réponse ne sera imposée depuis Paris au niveau national.

Nous avons deux obsessions : la sécurité des artistes, des techniciens, des organisateurs, du public et un retour aussi rapide que possible des artistes devant leur public. C'est pourquoi nous avons créé une cellule d'accompagnement des festivals, qui recensera les problématiques, évaluera les normes de sécurité, les mesures de distanciation sociale, les gestes barrières à adopter, etc. Ces éléments seront synthétisés, partagés avec les collectivités, remontés aux cellules interministérielles de crise pour trouver au cas par cas les meilleures solutions possibles. Une réponse uniforme serait en contradiction avec la diversité des festivals. Les dispositifs seront réévalués au fil du déconfinement.

Les collectivités territoriales ont joué le jeu de l'accompagnement financier et continueront de le faire ; l'État sera lui aussi au rendez-vous, sur le plan financier, mais aussi administratif, notamment pour faire en sorte qu'une annulation soit la moins brutale possible. L'accompagnement sera assuré en concertation avec le ministère de l'intérieur et les cellules interministérielles de crise, en lien avec les préfets départementaux. Si un festival prévu avant le 15 juillet satisfait aux normes de sécurité sanitaire, qui seront progressivement définies, que la faisabilité financière et opérationnelle est garantie, que les collectivités, organisateurs et artistes y sont favorables, il pourra avoir lieu.

Je travaille en permanence avec les collectivités : le 2 avril, j'ai réuni le Conseil des territoires pour la culture (CTC) et j'ai demandé aux DRAC d'organiser dans un délai de quinze jours des conseils locaux pour la culture dans leur territoire, pour que les décisions soient partagées au plus proche du terrain.

Je confirme que les entreprises et associations culturelles pourront bénéficier du dispositif de chômage partiel, même si elles reçoivent des subventions publiques.

Concernant le service non fait, vous avez rappelé, madame Robert, la doctrine de mon ministère. J'échange régulièrement avec mon collègue Jean-Michel Blanquer sur le sujet. Nous considérons que les engagements pris doivent être tenus par l'État, mais cela concerne aussi les grands opérateurs et grandes institutions majoritairement subventionnés par l'État. Je sais que les collectivités territoriales s'inscrivent elles aussi dans ce principe.

Le fonds réservé par le CNAP aux artistes-auteurs n'est qu'une première étape. Il n'a pas encore été intégralement utilisé : j'invite les artistes à se rapprocher du CNAP et à constituer des dossiers. Le fonds de solidarité peut lui aussi les accompagner, puisque les conditions d'accès ont été adaptées à leurs spécificités.

Nous n'oublions pas les intermittents qui n'ont pu effectuer le nombre minimal d'heures annuel à cause du confinement et des annulations. Nous travaillons avec le groupe de protection sociale Audiens à la création d'un fonds spécifique pour ce public, afin d'éviter, pour reprendre l'expression de Mme Morin-Desailly, les trous dans la raquette. Personne ne sera laissé de côté. Cette crise aura inévitablement des conséquences, mais elles doivent être les moins dures possibles. Nous mesurons notre chance de posséder, en France, des dispositifs pérennes de protection sociale en cas de crise. Le Gouvernement est mobilisé pour, coûte que coûte comme l'a dit le Président, amortir les conséquences pour le secteur culturel.

Le patrimoine, c'est un tissu de professionnels, propriétaires, bénévoles, artistes, institutions - musées, sites patrimoniaux, bibliothèques, archives, architectes -, un réseau exceptionnel touché de plein fouet par la crise. Nous veillerons à ce que les chantiers des monuments historiques reprennent le plus vite possible, mais avec toutes les garanties nécessaires à la protection de ceux qui y travaillent. Pour le chantier de Notre-Dame de Paris, la direction générale des patrimoines, les ministères du travail et de la transition écologique et solidaire, les organisations syndicales, l'établissement public, les représentants des entreprises travaillent à un cahier de préconisations. Une reprise de ce chantier emblématique pourrait avoir un effet d'entraînement sur celle des chantiers de restauration partout en France.

Monsieur Schmitz, il faut faire preuve de prudence quant à d'éventuelles réorientations budgétaires. Je ne peux dire dès aujourd'hui où des économies pourront être dégagées, d'autant que le ministère va mobiliser un important budget pour sortir de la crise, notamment en matière patrimoniale. Le plan de relance est en cours d'élaboration pour accompagner ce secteur très important au niveau territorial, puisqu'il nourrit l'activité du bâtiment, le tourisme, la restauration et l'hôtellerie.

Il n'y a pas de politique d'ensemble pour les établissements comme le CMN qui dépendent du ministère de la culture. J'étais en ligne aujourd'hui avec Jean-Luc Martinez, président-directeur de l'établissement public du musée du Louvre, et Catherine Pégard, présidente de l'établissement public du château de Versailles. Ces deux institutions accumulent des pertes très importantes. Il faudra travailler au cas par cas, en fonction de la situation et des modèles de financement.

Mme Catherine Dumas . - Les quatorzièmes Journées européennes des métiers d'art, prévues au mois de mars, devaient célébrer les artisans aux mains d'or. Comment l'Institut national des métiers d'art aidera-t-il ces trésors vivants que sont nos artisans, seuls ou dans une TPE ou PME ? Vous avez évoqué un plan d'aide.

Nous sommes très sollicités par les organisateurs de festivals, qui souffrent de l'incertitude et attendent de l'État des décisions sur la saison estivale. Beaucoup de mesures économiques et humaines doivent être prises au plus vite.

Mme Françoise Laborde . - Depuis un ou deux ans, les festivals ont eu à pâtir d'exigences préfectorales assez hétérogènes en matière de sécurité. À ces exigences en termes de sécurité « sécuritaire » viennent désormais s'ajouter des impératifs liés à la sécurité sanitaire. Sans cadre national, il y a un vrai danger pour les festivals. Les collectivités sont amenées à mettre en balance les enjeux culturels et touristiques et la gestion sanitaire. Compte tenu du principe de précaution, beaucoup de festivals petits, moyens ou gros ont déjà fait le choix de l'annulation.

Mme Colette Mélot . - Je souhaite insister sur les acteurs de la culture qui, n'étant ni salariés, ni intermittents, ni indépendants, ne bénéficient d'aucun dispositif d'aide. Ce sont en particulier les intermittents employés à titre dérogatoire et ceux qui relèvent des établissements publics en régie directe, notamment les orchestres ; les éditeurs, très durement touchés ; les jeunes musiciens qui voulaient entrer dans l'intermittence cette année. Toute la chaîne est menacée. Comment adapter aux professionnels de la culture les dispositifs d'urgence, notamment les délais de paiement des échéances sociales et fiscales ?

Mme Sonia de la Provôté . - La situation des petits musées est analogue à celle des petits festivals : certains pourraient rouvrir dès le 11 mai. Les questions qui se posent sont elles aussi les mêmes : y aura-t-il une jauge limite ? Il est nécessaire de fixer des critères afin d'éviter que le flou ne s'installe.

Quand rouvriront les conservatoires et écoles d'art ? Une partie de leur activité relève des collectivités, et non du ministère de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Quelle est la doctrine du ministère de la culture à ce sujet ? À quelle échéance les actions d'éducation artistique et culturelle reprendront-elles une fois les écoles rouvertes ?

Enfin, un bilan provisoire de l'état des chantiers patrimoniaux a-t-il été établi ? Pourquoi ne pas profiter de cette période pour mettre en place une programmation accélérée à destination des innombrables entreprises d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ou de maîtrise d'oeuvre, ainsi que des collectivités ?

M. Jean-Raymond Hugonet . - Afin de renouveler le statut des intermittents, vous avez neutralisé la période allant du 15 mars à la fin du confinement dans le décompte des heures. Cependant, cette mesure n'a pas dissipé les inquiétudes : un grand nombre de spectacles prévus entre le 4 et le 15 mars ont été annulés après l'interdiction des rassemblements, et l'été sera lui aussi très perturbé ; or le printemps et l'été sont les périodes les plus propices au travail pour les intermittents.

Pouvez-vous envisager les mesures suivantes : prolonger d'un an les droits des intermittents, neutraliser la période de confinement pour ceux qui voulaient présenter leur première demande d'intermittence et, enfin, créer un fonds provisoire pour les intermittents, sur le modèle de celui de 2004-2005 créé après la modification des règles de l'assurance chômage en 2003 ?

Mme Sylvie Robert . - Ma collègue Marie-Pierre Monier m'a confié deux questions sur le patrimoine. Ce secteur, qui comprend en particulier les musées, fera-t-il l'objet d'un plan de soutien et de relance spécifique ? Comment le Gouvernement compte-t-il aider nos 10 000 guides-conférenciers, souvent non éligibles au chômage partiel ?

Je reviens sur les festivals, à la situation desquels je suis particulièrement sensible. Peut-on vraiment imaginer que, d'ici à la fin août, un festival de grande ampleur pourra se tenir ? Je n'en suis pas certaine. D'ailleurs, plusieurs pays européens, comme la Belgique, sont en train d'interdire ces grands rassemblements. Dès lors, un cadre national doit être instauré qui offre de la visibilité aux organisateurs et leur permette d'annuler sans difficulté. Vous savez dans quelles conditions le festival des Vieilles Charrues a pris sur lui, sans arrêté ni aucune autre disposition, de ne pas se tenir cette année.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nombreux sont les festivals, petits et grands, à vivre des moments extrêmement difficiles - pas seulement dans le champ des musiques actuelles ; je pense au festival d'Avignon et au festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence.

M. Franck Riester, ministre. - Annuler tous les festivals jusqu'à la fin août serait sans doute plus facile. Les territoires ont une demande forte de visibilité et d'accompagnement, mais ils sont nombreux à attendre aussi de l'espoir : nombre d'élus et d'artistes aimeraient essayer de tenir leur festival, dans le respect des consignes du moment. Acceptons que cette question soit réglée au cas par cas.

Le Président de la République a offert une visibilité : les grands festivals seront annulés au moins jusqu'à la mi-juillet. Pour ce qui est des Vieilles Charrues, de longues discussions se sont tenues avec les organisateurs ; ils ont pris une décision, que nous allons accompagner sur le plan administratif.

Le Sénat ne peut pas attendre du Gouvernement qu'il impose des décisions unilatérales sans tenir compte des réalités de terrain. Nous proposons non pas une mesure nationale, mais une décision au cas par cas. Si, au vu des paramètres financiers et d'organisation, un festival espère pouvoir se maintenir, donnons aux organisateurs les moyens d'essayer. Au vu des modalités de déconfinement, il faudra voir quelles jauges permettent de garantir que les conditions de sécurité sanitaire peuvent être satisfaites : une fosse avec 3 000 personnes n'est pas imaginable, mais, dans le cadre d'un petit festival rural, un musicien pourrait peut-être jouer devant cinquante personnes respectant les consignes de sécurité, à commencer par l'espacement d'un mètre.

En somme, il s'agit de ménager une souplesse, sans prendre le moindre risque pour les artistes ni les publics et en faisant toujours preuve de compréhension à l'égard des festivals. Ainsi, l'État sera au rendez-vous pour soutenir Solidays, autour duquel un formidable élan s'organise. Plus largement, un référent spécialement chargé des festivals a été nommé au sein de chaque DRAC. Les CTC régionaux dont j'ai parlé doivent aussi s'approprier ces questions. Les préfets, en liaison avec les autres acteurs de l'État, s'efforceront d'accompagner les festivals aussi bien que possible.

Si certains festivals peuvent avoir lieu, tout le monde en sera heureux ; ceux qui ne pourront se tenir seront accompagnés.

S'agissant des musées et autres sites patrimoniaux, j'ai décidé de créer une cellule « Patrimoine », chargée de collecter toutes les interrogations. En liaison avec les collectivités territoriales, nous accompagnerons de notre mieux les différents acteurs. Musée par musée, il faudra apprécier les possibilités d'organisation des équipes et d'accueil des publics.

Madame Dumas, nous travaillons avec l'Institut national des métiers d'art sur un plan spécifique à ce secteur, dont la préparation avance bien, en partenariat avec les fondations partenaires ; je tiendrai le Sénat au courant des progrès dans ce domaine.

J'ajoute que les conservateurs-restaurateurs sont éligibles au fonds de solidarité de 7 milliards d'euros, lequel bénéficie aussi aux artistes-auteurs. Je suis très attentif à la mise en oeuvre opérationnelle de ce dispositif : pour ces derniers, j'ai moi-même constaté une difficulté sur le site de la direction générale des finances publiques (DGFiP), que nous avons levée en liaison avec le ministère des finances. De même, pour les intermittents du spectacle, nous avons résolu un problème de délai sur le site de Pôle emploi. Je tiens à aller jusqu'à ce niveau de détail, pour éviter tout hiatus entre les explications que je vous donne et le quotidien des personnes concernées.

Pour celles et ceux qui n'entrent pas dans le dispositif d'intermittence, madame Mélot, nous travaillons à mettre en place un fonds de professionnalisation.

Madame de la Provôté, pour les conservatoires comme pour les petits musées, il nous faut examiner avec les collectivités territoriales les modalités qui permettraient leur réouverture.

Plus généralement, je suis attaché à un cadre national en matière de politiques culturelles, mais l'adaptation aux territoires est nécessaire. On ne peut pas à la fois soutenir la décentralisation, ce qui est mon cas, et refuser aux préfets la souplesse qui permet de décider localement, en partenariat avec les acteurs.

En tout cas, croyez bien que, grâce au dispositif que nous avons instauré - cellule nationale et cellules régionales -, toutes les informations me parviennent. Je suis donc au fait de presque tous les problèmes spécifiques que rencontrent les acteurs de la culture.

Monsieur Hugonet, je vous confirme que celles et ceux dont les droits arrivent à échéance après le 1 er mars bénéficieront d'une prolongation pendant la période d'application des mesures de restriction d'activité. Pour l'instant, on considère que la crise sanitaire se terminera non pas le 11, mais le 31 mai ; dans le cadre de l'affinement du travail autour du déconfinement, on verra s'il convient de différer la fin de cette période de référence. Pour ce qui est d'une éventuelle prolongation d'un an, nous verrons s'il convient de l'intégrer dans le cadre du plan spécifique que nous élaborerons avec Gérald Darmanin et Bruno Le Maire.

S'agissant des travaux, si les programmes peuvent être accélérés dans le respect des règles patrimoniales et environnementales, nous y sommes favorables.

Quant aux guides-conférenciers, ils sont intégrés au dispositif des indépendants.

J'ajoute que, pour le spectacle vivant hors musique, soit essentiellement le théâtre privé non subventionné, nous sommes en train de finaliser, en liaison avec la Ville de Paris, un plan que l'État abondera à hauteur d'au moins 5 millions d'euros ; il sera géré par l'Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP). J'invite toutes les collectivités territoriales qui le souhaiteraient à s'y associer, car ce plan bénéficiera aux théâtres privés de l'ensemble du pays.

Enfin, après le succès de la plateforme #Culturecheznous, dont nous lancerons la semaine prochaine la deuxième phase, avec plus de 500 institutions et 700 projets, l'accès à la culture par le numérique sera l'une des dimensions du plan global de sauvegarde et de développement de la culture dans les semaines et les mois qui viennent. S'il est essentiel que le public retrouve, le moment venu, le contact physique avec les oeuvres et les artistes, nous pouvons tirer parti de cette période pour amplifier l'accès à la culture pour tous grâce au numérique.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - En effet, il faudra tirer tous les enseignements de la digitalisation accélérée de notre monde dans cette période.

S'agissant des festivals, vous avez insisté sur la prise de décision locale et la responsabilisation des acteurs de terrain, mais n'oublions pas que les grands festivals dépendent d'artistes internationaux, et qu'il n'est pas toujours possible de décider de manière autonome.

Par ailleurs, c'est en ce moment que les acteurs culturels travaillent à la reprise des saisons en septembre ou octobre. L'Académie de médecine allemande vient de préconiser la fermeture des salles pour une durée pouvant atteindre dix-huit mois. Plutôt que de nourrir de faux espoirs ou de laisser planer l'incertitude, essayons de renseigner les acteurs au plus tôt, quitte à envisager des reprises partielles.

Enfin, pouvez-vous nous confirmer que les aides pour le chômage partiel peuvent être cumulées avec les subventions pour charges fixes ? Il s'agit d'une préoccupation très importante des structures culturelles, lesquelles recourent d'ailleurs au chômage partiel de manière très responsable.

M. Franck Riester, ministre. - Même quand elles perçoivent des subventions, les associations ont accès au chômage partiel.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Quid des établissements publics de coopération culturelle (EPCC) ?

M. Franck Riester, ministre. - Le cumul n'est pas possible pour les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) lorsqu'ils perçoivent une majorité de subventions publiques, non plus que pour les entreprises publiques ; pour les EPCC, je pense qu'il l'est, mais je dois m'en assurer.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Au-delà de la forme juridique, associations et EPCC recouvrent une même réalité.

M. Franck Riester, ministre. - Par ailleurs, je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'anticiper, mais les données sanitaires ne sont pas toujours évidentes. Nous y verrons plus clair quand les établissements nous auront transmis leurs problématiques autour de la mise en place des mesures de protection, notamment de distanciation. Nous examinerons avec les autorités sanitaires les moyens de maintenir un certain nombre de rassemblements publics.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Il serait bon que ce travail soit fait sous quinze jours, dans le cadre de la préparation du plan de déconfinement, car le temps presse.

M. Franck Riester, ministre. - Vous avez raison.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous passons aux questions sur les médias et les industries culturelles.

M. Jean-Pierre Leleux . - La crise sanitaire a eu un effet immédiat sur le marché publicitaire, donc sur les ressources de la presse écrite, des chaînes privées et, dans une moindre mesure, des chaînes publiques. La dégradation de la situation des comptes de ces entreprises, violente et durable, risque d'être fatale à certaines.

Pour faire face à cette situation inédite, les professionnels envisagent deux types de mesures. D'une part, un crédit d'impôt communication pourrait être instauré ; plafonné et limité dans le temps, il permettrait d'accompagner la reprise. Le Gouvernement est-il prêt à étudier le principe d'une telle aide ? Quand pourrait-elle entrer en vigueur ? D'autre part, les chaînes privées considèrent qu'il faut réinterroger le modèle de financement mixte de l'audiovisuel public, afin de réserver la publicité aux acteurs privés, dont elle est l'unique ressource. Entendez-vous cet argument ?

Par ailleurs, comment envisagez-vous la suite de la réforme de l'audiovisuel, dont la crise sanitaire a chamboulé le calendrier ? L'examen du projet de loi reprendra-t-il prochainement, éventuellement avec un périmètre modifié ? La crise ne justifie-t-elle pas d'aller plus loin, par exemple dans la modernisation réglementaire en matière de production et de publicité, que nombre d'acteurs trouvent un peu trop timorée ?

Notre commission a toujours considéré la réforme du financement de l'audiovisuel public comme une composante à part entière de la réforme audiovisuelle. Vous l'aviez annoncée pour 2021 au plus tard : ce calendrier est-il toujours d'actualité ou la réforme sera-t-elle reportée après 2022 ?

M. Michel Laugier. - Alors que la presse montre, dans le contexte de la crise, qu'elle est plus que jamais indispensable pour combattre la prolifération des fausses informations et messages douteux sur internet, l'augmentation du temps passé par nos concitoyens devant les médias d'information profite pour l'essentiel aux médias en ligne et versions web des publications, dont la fréquentation a doublé.

Avec une chute des ventes de 40 % et le quasi-tarissement des recettes publicitaires, la presse, notamment locale, voit ses ressources s'effondrer. Résultat : certains journaux menacent de faire faillite. De surcroît, Presstalis semble dans une situation désespérée. Sans parler du problème des abonnements : nous comptons sur vous pour obtenir du président de La Poste que l'amélioration se confirme en la matière.

Quelles aides permettraient-elles de soulager la presse à court et moyen terme ? Est-il envisageable d'attribuer plus rapidement les crédits inscrits en loi de finances ? Le collectif budgétaire les augmentera-t-il massivement ? J'apporte bien évidemment mon soutien à avec Jean-Pierre Leleux sur la nécessité d'un crédit d'impôt.

Par ailleurs, où en est-on dans le choix d'une solution pérenne pour Presstalis, alors que deux options restent sur la table ? Les assurances que vous avez données aux marchands de presse vont dans le bon sens, mais il faut aller plus loin pour régler un problème qui a trop longtemps duré et ainsi garantir la chaîne de distribution.

Mme Françoise Laborde . - Alors que, plus que jamais, lecture, musique et films font partie de notre quotidien, il est vital de préserver la richesse de notre culture.

Les auteurs forment une profession éclatée et fragilisée économiquement. Aujourd'hui, du fait de leurs conditions de rémunération spécifique, ils entrent difficilement dans les aides générales. Le choix a été fait de déléguer l'attribution des aides, notamment à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et au Centre national du livre (CNL) : que deviendront ces dispositifs spécifiques si, comme vous l'avez annoncé, tous les auteurs sont couverts par le fonds de solidarité ?

Alors que le secteur du cinéma est à l'arrêt, toute la chaîne de production est touchée. L'article 17 de la loi du 23 mars 2020 assouplit de manière temporaire les règles de la chronologie des médias. D'autre part, le CNC a pris des mesures pour aider le secteur, mais au prix du creusement de son déficit, qui pourrait dépasser 100 millions d'euros, compte tenu aussi des baisses de recettes. Comment comptez-vous soutenir le redémarrage du cinéma et de la production ?

Enfin, je suppose que l'année de la BD sera étendue à 2021. D'ailleurs, dans le contexte actuel, nombre d'auteurs s'efforcent de mettre en valeur leur art, notamment par le biais de l'éducation nationale.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Dès l'annonce de la suppression de France 4, notre commission s'est mobilisée en faveur d'un moratoire, au nom notamment de la couverture du territoire. Or, depuis le début de la crise, cette fréquence est remarquablement utilisée par l'audiovisuel public, notamment à destination des enfants privés d'accès au numérique. Du coup, certains députés de la majorité se mettent à leur tour à plaider pour un moratoire. Que se passera-t-il après le 9 août ?

M. Franck Riester, ministre. - Vos interventions illustrent l'étendue des chantiers qui sont devant nous pour sauver le monde de la culture, de la presse, des médias et du cinéma. En particulier, la baisse des recettes publicitaires est dramatique - j'en parlais, plus tôt dans la journée, avec des représentants des radios associatives locales.

Dans ce contexte, notre tâche est colossale et nécessitera une grande énergie, dans l'union nationale. Je mesure l'attente d'une mobilisation de l'État, mais j'insiste sur la nécessité de nous serrer les coudes, dans un esprit constructif et de rassemblement, pour relever ces défis sans précédent dans un passé récent. La tâche sera difficile, mais vous pouvez compter sur moi pour travailler main dans la main avec vous, dans la transparence et l'écoute.

Nous étudions l'idée de créer un crédit d'impôt. Elle a du sens, d'autant que la publicité soutient la croissance. Reste que, de tels dispositifs, nombre de secteurs en demandent... Le Gouvernement et le Parlement devront faire les choix les plus opportuns sur l'utilisation des fonds mobilisés pour la relance, en prenant en compte toutes les problématiques dans l'esprit de responsabilité le plus large. En tout cas, il ne doit pas s'agir de déshabiller les uns pour habiller les autres, car tous les secteurs ont et auront besoin d'aide. Ainsi, si l'on retire à l'audiovisuel public une part de ses ressources, comment lui assurer les moyens de continuer à exercer ses missions, dont la crise actuelle met en lumière toute l'importance pour nos compatriotes, notamment en matière d'information, de culture et d'éducation ?

De fait, malgré la crise et les risques, les journalistes et tous les salariés des médias accomplissent un travail exceptionnel pour continuer à informer nos compatriotes. En particulier, l'audiovisuel public adapte ses grilles pour proposer à nos compatriotes des contenus éducatifs et culturels dans le contexte du confinement.

Que les dispositifs mis en place ne pénalisent personne : voilà quelle doit être notre ligne de conduite. C'est ce que j'explique aux professionnels qui viennent me trouver pour me proposer des solutions. C'est d'ailleurs dans cet esprit que, à la faveur du projet de loi sur la réforme de l'audiovisuel, j'avais proposé un assouplissement publicitaire visant à donner plus de moyens aux acteurs traditionnels, mais sans trop pénaliser les radios et la presse quotidienne régionale par rapport à la télévision ; l'ouverture de la publicité pour la grande distribution à la télévision les aurait trop défavorisées.

En somme, il s'agit de concevoir, dans le cadre d'un plan global pour toutes les activités de notre pays, des dispositifs sectoriels qui ne pénalisent pas certains au détriment des autres. Pour cela, il nous faudra être inventifs et courageux.

Le Président de la République l'a dit clairement : nous ne sortirons pas de la crise tels que nous y sommes entrés. Tous les projets de réforme seront donc réexaminés.

Néanmoins, les principaux objectifs du projet de loi sur la réforme de l'audiovisuel restent pertinents : mieux, il nous faut plus que jamais nous doter d'outils au service de notre souveraineté culturelle ! De même, il faut plus que jamais obliger les plateformes à financer la création et préparer la télévision linéaire de demain, étant entendu que, comme l'a rappelé Mme la présidente, la diffusion hertzienne garde toute sa pertinence et devra continuer d'être assurée dans de bonnes conditions de qualité.

Il est tout particulièrement nécessaire aussi d'améliorer l'efficacité de la régulation du secteur audiovisuel et des communications numériques pour mieux protéger les publics, notamment contre les propos haineux, la désinformation et le piratage. La création d'un groupe public, destinée à mieux prendre en compte la révolution des usages liée à la révolution numérique, reste, elle aussi, plus que jamais d'actualité pour relever les défis à venir, à travers notamment une réaffirmation des missions de service public.

Tous ces objectifs demeurant essentiels, le projet de loi sera examiné, mais selon un calendrier qui dépendra des priorités des différents secteurs d'activité. Bien sûr, nous intégrerons dans le texte des dispositions tenant compte de la crise et en tirant les conséquences. Je pense notamment à la mise en oeuvre effective du droit d'auteur et des droits voisins pour les journalistes et éditeurs de presse. Si les négociations avec Google n'avancent pas, peut-être faudra-t-il agir par la loi. Ainsi, le Gouvernement aborde le réexamen de ce projet de loi à l'aune de la crise dans un esprit constructif, tout en réaffirmant les objectifs initiaux du texte.

Nous avons vu à quel point France 4 a été réactive, offrant des contenus éducatifs particulièrement pertinents. Dans le cadre du réexamen de la réforme, j'ai demandé à Delphine Ernotte de présenter un pacte Jeunesse, au cas où la diffusion de France 4 serait interrompue le 9 août, mais aussi de proposer une grille théorique pour cette chaîne tenant compte des enseignements du confinement, afin de nourrir la réflexion du Gouvernement et du Parlement. Dans les semaines qui viennent, je reviendrai vers vous pour échanger sur la décision définitive que le Gouvernement sera amené à prendre.

La presse fait face à des difficultés depuis des années. Depuis que je suis ministre, je consacre à ce secteur beaucoup d'énergie, s'agissant notamment des droits voisins, une question sur laquelle David Assouline et l'ensemble du Sénat ont été moteurs ; je pense aussi à la modernisation de la loi Bichet.

Au côté des dirigeants de Presstalis, des coopératives et des éditeurs de presse, nous travaillons, avec Bruno Le Maire et ses services, à un projet de transformation de Presstalis qui garantisse l'accès à une presse pluraliste partout sur le territoire. La situation financière de cette entreprise est très grave, mais je m'efforce de prévenir toute rupture dans la distribution de la presse. Je me suis engagé à assurer aux marchands de journaux le versement de ce qui leur est dû ; nous avons transféré les fonds nécessaires à Presstalis, qui les versera dans les jours à venir.

Par ailleurs, nous accélérons le versement des aides à la presse pour soutenir la trésorerie des éditeurs. De façon générale, l'État accélère le versement de ses subventions partout où c'est possible.

Oui, nous devons accompagner les auteurs ! Le plan que j'ai décidé dans la foulée du rapport Racine prend aujourd'hui tout son sens et devra même être amplifié ; vous pouvez compter sur moi en la matière. L'État a été très réactif pour autoriser les organismes de gestion collective à utiliser les 25 % de rémunération pour copie privée et les irrépartissables pour financer des aides sociales au bénéfice des artistes-auteurs. Tous les auteurs ne pourront pas bénéficier du fonds de solidarité, mais nous veillerons à ce que tous soient pris en compte d'une manière ou d'une autre, par exemple via les opérateurs ou les organismes de gestion collective. Personne ne doit se trouver dans une situation désespérée.

S'agissant du cinéma, un plan de relance sera mis en place en liaison avec le CNC et tous les professionnels. Il faudra inciter le public à revenir dans les salles et favoriser une reprise rapide des tournages. La baisse des recettes publicitaires à la télévision entraînant une réduction des moyens du CNC, nous devrons réfléchir aux moyens d'accompagner la production cinématographique et audiovisuelle, afin que les investissements se poursuivent.

À ce stade, je ne suis pas en mesure d'évaluer le manque à gagner pour le CNC, mais il est sûr que nous devrons obliger les plateformes à investir dans la production et rechercher des financements complémentaires. Nous en reparlerons quand je vous présenterai le plan de relance de l'ensemble du secteur culturel.

Quant à l'accélération de la diffusion en vidéo à la demande (VOD) d'un certain nombre de films, il ne s'agit pas d'une remise en cause de la chronologie des médias de portée générale ; elle a été décidée spécifiquement pour certaines productions, en concertation avec les producteurs, les acteurs, les salles et le CNC.

Mme Céline Brulin. - Je veux évoquer la presse, dont la situation est extrêmement fragile. Chacun mesure bien les conséquences de la disparition de journaux, que ce soit sur un plan démocratique ou en termes de proximité. La presse quotidienne régionale souffre particulièrement - je pense à Paris-Normandie . Il ne faudrait pas laisser la porte plus grande ouverte encore aux géants du numérique ou à la diffusion de fausses nouvelles.

Vous avez salué la décision de l'Autorité de la concurrence sur les droits voisins. Avez-vous d'ores et déjà prévu un accompagnement spécifique des éditeurs de presse ? Les dizaines de millions d'euros en jeu constitueraient une bouffée d'oxygène pour la presse écrite.

L'Alliance, le syndicat de la presse d'information générale, vous a présenté il y a quelques mois un plan de mesures structurelles, dont certaines sont pertinentes en cette période de crise. Entendez-vous les mettre en oeuvre ?

Nos rapporteurs l'ont évoqué, certaines mesures doivent être prises immédiatement pour aider les journaux indépendants qui sont menacés. Je pense à des dispositions en matière de TVA, à l'augmentation des aides accordées aux journaux à faibles recettes publicitaires. Les aides du Fonds stratégique pour le développement de la presse sont aujourd'hui captées par Presstalis. Je plaide pour la nationalisation de cette société. Vous avez dit qu'il ne fallait pas déshabiller Pierre pour habiller Paul, mais c'est ce qui se passe avec ce fonds.

Je finirai mon propos en ayant un mot pour les salariés du secteur de la presse, qui travaillent pour nous permettre de recevoir nos journaux, notamment les pigistes, qui sont encore davantage en situation de précarité.

M. André Gattolin . - Les plateformes numériques du film, les SVOD, rencontrent un grand succès. Depuis son lancement le 7 avril dernier, Disney + est l'application la plus téléchargée en France. La question de la contribution de ces plateformes à l'écosystème du film français est importante. En Allemagne, la directive Services de médias audiovisuels (SMA) devrait entrer en vigueur en septembre. Nous allons prendre du retard dans l'examen de la loi sur la réforme de l'audiovisuel : ne serait-il pas nécessaire de transposer cette directive d'ici à l'automne ?

Je m'intéresse au livre numérique - avec Jean-Marie Mizzon, j'ai été nommé corapporteur d'une mission sur le sujet - , qui rencontre dans notre pays une grande résistance des éditeurs et des lecteurs. Depuis le début du confinement, on assiste à une explosion du livre numérique.

Du côté de l'édition, Antoine Gallimard, interviewé ce matin sur une radio, indiquait que le chiffre d'affaires des éditeurs était en baisse de 30 %, ce qui représente une perte de 25 000 emplois directs et de 50 000 si l'on prend en compte tous les acteurs de la chaîne du livre.

La plupart des librairies, dont certaines étaient à bout de souffle, sont fermées. Existe-t-il un plan de réouverture de ces magasins, et dans quelles conditions ?

La condamnation récente d'Amazon pour des raisons sanitaires ne risque-t-elle pas de créer un précédent ? Si, demain, le livre numérique se développait - Antoine Gallimard évoquait une augmentation de 40 % de son offre numérique -, quel serait son système de distribution ? Serons-nous dépendants de plateformes numériques américaines ? Ne faudrait-il pas réfléchir dès maintenant à une plateforme souveraine, française ou européenne ?

M. David Assouline. - Je m'associe aux inquiétudes exprimées par mes collègues en cette période catastrophique pour de nombreux secteurs, notamment l'audiovisuel, le cinéma et la presse. Il faut faire, dans ces domaines, des efforts à la hauteur de ceux réalisés dans d'autres secteurs, car la situation sera durablement difficile.

Je vous demande d'annuler la trajectoire de réduction budgétaire qui a été imposée à l'audiovisuel public pour la période 2018-2022. Dans les deux années à venir, la poursuite de cette trajectoire ne pourra qu'entraîner une baisse de la qualité, dans un environnement qui sera plus concurrentiel puisque les ressources publicitaires seront réduites. Se priver de 1 euro de redevance, soit 30 millions d'euros, c'est-à-dire trois fois ce que représente le budget de France 4, a déjà conduit à une réduction du périmètre de l'audiovisuel public, notamment avec l'arrêt de cette chaîne. Pourtant, tout le monde est convaincu de l'utilité de France 4, comme l'ont montré les dernières semaines.

Il faut aussi desserrer l'étau sur Radio France. La qualité des programmes et les efforts des personnels nécessitent un arrêt du plan d'économies.

Si l'État peut s'endetter au point où il le fait aujourd'hui, en brisant tous les dogmes budgétaires pour répondre à la crise, il peut aussi agir pour France Télévisions.

Vous vous êtes engagé à faire appliquer la loi sur les droits voisins. Fort de cette décision de l'Autorité de la concurrence, pouvez-vous hausser le ton face à Google pour parvenir à un accord rapide ? Si le Gouvernement le souhaite, il peut définir dès la loi de finances, sans attendre l'examen de la loi sur la réforme de l'audiovisuel, le taux qui serait appliqué aux plateformes.

Face à l'urgence et à la nécessité, sortons de notre train-train quotidien et prenons ces décisions rapidement.

M. Jean-Raymond Hugonet . - On peut s'interroger sur l'impact de l'interruption des activités culturelles sur la consommation du pass culture et sur la capacité du ministère à évaluer correctement ce dispositif en 2020. On peut aussi douter de l'opportunité de procéder à de nouveaux élargissements de l'expérimentation. Ne pourrait-on pas plutôt transférer une partie des crédits alloués au pass culture, qui ne pourront être consommés cette année, à des besoins plus essentiels, comme le soutien aux structures culturelles frappées de plein fouet par l'arrêt de leurs activités ?

Radio France, qui est sortie de 63 jours d'une grève historique et très dure pour tomber dans la crise du Covid-19, a fait preuve d'une grande réactivité en déclenchant rapidement son plan de continuité d'activité, avec un engagement sans réserve des équipes. Information de qualité, contenus éducatifs, culture, musique et divertissements conservent toute leur place sur les antennes de Radio France pour garantir le lien social dont notre société a besoin. Avec la baisse de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) avant même cette crise, vous avez choisi de placer Radio France sur une trajectoire économique sévère. Aujourd'hui, au lieu de maintenir une stratégie qui risque de s'avérer décalée et contre-productive, à l'heure de la reprise des négociations salariales et alors même que les recettes de la redevance se sont avérées en 2019 supérieures aux prévisions, ne serait-il pas temps d'envoyer un signal budgétaire positif ?

Mme Colette Mélot . - Je veux évoquer l'importance des quotas musicaux pour la création française. Vous avez récemment reçu un courrier de la part des radios privées demandant un moratoire sur le plafonnement des rotations. Les radios font face à une baisse importante de leurs revenus publicitaires. Toutefois, les professionnels de la musique s'inquiètent de voir les radios s'appuyer sur cette situation de crise pour reprendre des demandes anciennes, sans lien avec le Covid-19.

La crise ne doit pas servir d'échappatoire aux obligations de diffusion des auteurs et des artistes francophones, touchés de plein fouet. Leurs revenus sont lourdement grevés par l'annulation des spectacles et des séances d'enregistrement et par la chute des ventes ; les priver de droits d'auteur et de droits voisins revient à leur infliger une double peine.

Quelles suites entendez-vous donner aux demandes de ces professionnels ?

M. Franck Riester, ministre. - Nous le savons, la presse est dans une passe difficile. Je suis attentif tant à la situation globale du secteur qu'aux cas particuliers. J'ai par exemple suivi de près le dossier de France-Antilles , qui fait aujourd'hui l'objet d'un plan de reprise permettant d'envisager l'avenir avec davantage de sérénité. Je suis également le dossier de Paris-Normandie , dont la députée Agnès Firmin Le Bodo m'a saisi. Les préfets me remontent en permanence les problèmes - le préfet de Guadeloupe m'a ainsi saisi du problème des petites radios et télévisions locales guadeloupéennes.

Avec Bruno Le Maire, nous travaillons à un plan global pour la presse, qui intègrera le volet distribution avec Presstalis, mais aussi la question de la restructuration des imprimeries et la mise en place d'un fonds stratégique. Nous envisageons également de mettre en place des dispositifs fiscaux. Je vous présenterai ce plan dans les semaines qui viennent.

S'agissant des pigistes, les entreprises qui y ont recours pourront bénéficier du dispositif de chômage partiel à partir du moment où les pigistes auront fait trois piges dans l'année, dont deux durant les quatre derniers mois. Ces critères précis sont ceux exigés pour élire les représentants de ce corps professionnel. Les organisations syndicales, les entreprises et nous-mêmes avons estimé qu'il s'agissait d'un critère simple - nul besoin d'une carte de presse.

Je suis déterminé à faire appliquer la loi sur les droits voisins. La décision de l'Autorité de la concurrence est une bonne nouvelle. Sous réserve de la détermination d'un véhicule législatif adéquat, je n'exclus pas de renforcer notre législation sur ce point. Cela doit se faire en lien avec les éditeurs de presse, qui négocient avec les acteurs concernés, comme Google.

Toute la chaîne du livre est en crise. La solidarité entre les différents maillons apporte une première réponse : certains éditeurs ont renoncé à exiger des libraires le paiement à court terme de ce que ceux-ci leur devaient, pour ne pas leur imposer une pression financière. Nous souhaitons que les librairies fassent partie des commerces qui pourront rouvrir le 11 mai prochain. Un certain nombre d'entre elles ont organisé un service de retrait de commandes qui marche bien. Le déconfinement ne devra pas se faire dans la précipitation pour éviter toute prise de risque des libraires, de leurs équipes et des clients. Une préparation et un accompagnement seront nécessaires. Un dispositif a été mis en oeuvre par le CNL pour aider les artistes-auteurs, les libraires et les plus petits éditeurs. Par ailleurs, je suis favorable à ce que l'opération BD 2020 soit prolongée en 2021 - c'est une bonne idée !

La condamnation d'Amazon a été évoquée. Nous devrons nous assurer, avec les organisations syndicales et l'inspection du travail, que l'entreprise respecte bien les préconisations sanitaires avant la reprise des activités.

En ce qui concerne Radio France, je l'ai dit précédemment à propos des recettes publicitaires, il ne faut pas que des dispositifs spécifiques de sortie de crise viennent déshabiller Pierre pour habiller Paul. On ne peut pas supprimer la publicité dans l'audiovisuel public sans trouver de ressources complémentaires. Je ne retiens donc pas cette idée pour le moment.

La crise entraîne une baisse des recettes publicitaires de Radio France. Il faudra mettre en oeuvre un plan spécifique pour l'audiovisuel public qui tiendra compte du fait que ce secteur a su s'adapter en accomplissant, de façon exemplaire, des missions de service public. Je salue les équipes de Radio France et me félicite de son initiative pour soutenir la scène française musicale. Je ne peux pas vous dire dès maintenant quelle sera la nouvelle trajectoire budgétaire, alors que je ne connais pas encore les conséquences financières exactes de la crise.

Sur le pass culture, je vous invite à ne pas entrer dans un « boutiquage » budgétaire, en prenant des millions ici pour les mettre là. Le moment venu, une fois connues les conséquences budgétaires de la crise, je vous présenterai le plan d'urgence et le plan de relance que nous proposerons. J'entends votre message, mais la méthode proposée n'est pas la meilleure. Le plan de relance comprendra des leviers pour agir tant sur l'offre que sur la demande. Il faudra pousser les Français à aller au cinéma, à voir des spectacles. La demande peut être encouragée par des dispositifs comme le pass culture. Certes, celui-ci ne sera pas déployé comme nous l'avions prévu avant la crise, mais il faut, par exemple, donner la possibilité aux jeunes d'aller acheter des livres quand les librairies rouvriront grâce à ce dispositif : c'est un moyen de relancer le secteur. Donner des moyens aux jeunes - et aux moins jeunes d'ailleurs, car je veux que cet outil soit proposé demain à tous les Français - d'aller voir des spectacles me semble avoir du sens. Il faudra réévaluer le dispositif, peut-être pour l'accélérer. Nous avons déjà dû reculer la deuxième étape de l'expérimentation, qui devait commencer début avril, en raison du confinement. J'insiste, ne faisons pas de plomberie budgétaire et n'oublions pas d'agir sur la demande, et pas seulement sur l'offre, même si celle-ci est primordiale et prioritaire.

Sur les quotas, je suis favorable à ce qu'ils évoluent s'il y a un consensus entre les producteurs de musique et les radios. Les professionnels travaillent sur cette question en lien avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ce qui devrait permettre de déboucher sur une issue positive.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Vous l'avez constaté, mes collègues sont extrêmement mobilisés sur toutes ces questions. Nous n'avons pas molli depuis le début de la crise.

Je vous remercie d'avoir évoqué les problématiques tant de l'Hexagone que de l'outre-mer, en particulier des Antilles. Des collègues ultramarins de notre commission nous écoutent, notamment Antoine Karam. Il est très important de se mobiliser pour chaque territoire.

Notre action doit reposer sur l'anticipation et la lisibilité, car c'est ce que nous demandent les acteurs. Il faut y ajouter la coordination : il est important de travailler de façon interministérielle sur chaque sujet. J'ai été frappée que les libraires aient tapé à la porte de M. Le Maire, mais il est évident que des dispositifs économiques peuvent aider certains secteurs de la culture. Il faut que Bercy comprenne comment fonctionne l'écosystème. La coordination doit aussi se faire entre l'État et les collectivités territoriales. Vous avez réuni le Conseil des territoires pour la culture, nous vous en remercions. Les conférences territoriales de l'action publique doivent aussi se tenir sur l'initiative des présidents de région en coordination avec les préfets, afin que les collectivités territoriales travaillent avec l'État déconcentré. Les dispositifs doivent se compléter pour le bénéfice de l'ensemble des acteurs, pour que personne ne soit laissé au bord du chemin.

J'insiste sur la nécessité que les établissements publics qui portent des projets culturels puissent, comme les associations, cumuler le dispositif du chômage partiel et les subventions. Les collectivités ont annoncé qu'elles continueraient à verser leurs subventions de fonctionnement. Cela permettait d'éviter que ces structures aient recours au fonds d'urgence, qui devrait être laissé aux structures labellisées et aux acteurs plus fragiles.

Le plan de relance est tout aussi important que le plan d'urgence. La commission est globalement très favorable à un crédit d'impôt communication. Nous pourrions travailler en concertation avec vous sur ce sujet.

Nous avons évoqué la presse. Je m'associe à l'attention portée à Paris-Normandie .

Les modèles économiques sont bouleversés par la crise. L'argent va se faire rare, nous allons entrer dans une période de récession. M. Hugonet a eu raison de poser une question, qui n'est pas taboue, sur le pass culture : il faut en faire le bilan, car d'autres dépenses sont peut-être plus urgentes pour sauver des structures essentielles pour la vie culturelle de notre pays.

La question de France 4, qui a été évoquée par MM. Leleux et Assouline, est importante, car, si la fréquence libérée était remise sur le marché, elle serait susceptible d'être attribuée à des acteurs privés. Or le « gâteau » publicitaire est aujourd'hui fragilisé. France 4 n'utilise pas cette ressource : c'est un argument en faveur du maintien de cette chaîne. Le moment est peut-être venu de clarifier les modèles économiques et de conduire la réforme de la CAP, même si ces points n'étaient pas prévus dans la loi sur la réforme de l'audiovisuel. Soyons inventifs !

Nous devons construire la société de demain en faisant preuve de vigilance pour que la culture garde toute sa place. Nous comprenons les priorités sociales, économiques et sanitaires, mais la culture nourrit l'économie, le social, la cohésion, le bien-être et, donc, la santé. Ne laissons pas la culture au bord du chemin, d'autant que ce secteur fragile, qui mérite autant d'attention que les autres, fait la renommée et la spécificité de notre pays. Vous pouvez compter sur nous : la représentation nationale doit prendre toute sa part de responsabilité dans cette crise.

Même si je suis contente d'avoir des outils numériques à l'heure actuelle, je rêve du moment où je retournerai dans une salle de spectacle, pour retrouver le plaisir de l'émotion partagée. La culture, c'est être ensemble !

M. Franck Riester, ministre. - Je rêve moi aussi de retourner dans une salle de cinéma ou de théâtre, mais également dans la salle de réunion de votre commission de la culture pour partager avec vous, en chair et en os, nos combats communs. Il nous faut de l'audace, de la transparence, de l'anticipation et de la détermination pour défendre la culture - je suis d'accord avec vous, madame la présidente.

Je conclurai par l'importance de la culture dans l'économie, dans les questions sociales et sociétales pour donner du sens à nos actions, pour avoir une vision non pas seulement matérielle, mais aussi sensible du monde. L'histoire nous montre que la sortie des crises se traduit toujours par un réinvestissement dans la culture. Après la Seconde Guerre mondiale, le CNC et le centre dramatique national de Colmar ont été créés ; après la grande dépression, Roosevelt a investi massivement dans la culture, grâce au New Deal .

Il faut aider les acteurs du secteur à traverser cette période de crise et à préparer des jours meilleurs. J'aurai besoin de vous tous, et vous pourrez compter sur moi.

Audition de M. Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur

MERCREDI 22 AVRIL 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Dans le cadre de notre mission de suivi de la gestion de la crise liée au Covid-19, nous poursuivons ce matin nos travaux sur le secteur de la recherche, en auditionnant M. Christophe d'Enfert, professeur à l'institut Pasteur et directeur de l'unité biologie et pathogénicité fongiques.

Merci, monsieur le professeur, de vous être rendu disponible pour cette audition, très importante pour nous, alors que vous devez être extrêmement sollicité en cette période difficile. Je tiens une nouvelle fois à exprimer, au nom de tous les membres de cette commission, notre total soutien à la communauté des chercheurs et notre reconnaissance pour leur engagement exceptionnel.

La visite que nous avions effectuée de l'institut Pasteur de Paris avait été, pour nous, une découverte passionnante. Ce dernier, ainsi que les 32 instituts Pasteur du réseau international sont fortement mobilisés pour trouver des réponses à la pandémie de Covid-19. Dès janvier dernier, un groupe d'action, dit task force coronavirus , a été lancé pour coordonner les nouvelles recherches pasteuriennes sur cette maladie infectieuse. De nombreux autres projets, menés en partenariat ou avec le soutien d'organismes tiers, sont également en cours de validation.

Parmi les grands domaines sur lesquels s'exerce l'expertise de l'institut Pasteur, nous avons choisi de nous concentrer sur la recherche thérapeutique et les vaccins.

Après votre intervention liminaire, je donnerai la parole à Laure Darcos, notre rapporteure des crédits de la recherche, qui anime un groupe de travail ayant pour mission de suivre l'évolution du secteur de la recherche dans la période actuelle, puis aux membres des groupes politiques choisis par leurs pairs pour vous interroger.

M. Christophe d'Enfert, directeur scientifique de l'institut Pasteur . - Je vous remercie pour votre invitation, madame la présidente, et pour les mots de soutien que vous venez d'exprimer à l'égard des chercheurs. Depuis trois mois, la communauté des scientifiques fait effectivement preuve d'un engagement total pour tenter de trouver des solutions à cette pandémie. Le soutien des sénateurs et, plus largement, de nos gouvernants est important.

Je suis directeur scientifique de l'institut Pasteur depuis janvier 2020, après avoir occupé les fonctions de directeur de la technologie et des programmes scientifiques. Parallèlement, je dirige une unité de recherche s'intéressant aux champignons pathogènes de l'homme. J'ai eu d'autres expériences par le passé : professeur à l'école Polytechnique, responsable du secteur microbiologie, immunologie, et infection à l'Agence nationale de la recherche (ANR), directeur scientifique de l'institut de recherche technologique Bioaster.

L'institut Pasteur a été fondé en 1887 par Louis Pasteur pour promouvoir la vaccination contre la rage. Ce dernier l'a structuré autour de trois missions principales : la recherche sur les maladies infectieuses, plus largement les maladies ; la santé publique ; la formation. Une quatrième s'y est adjointe : le développement de l'innovation et le transfert technologique. Employant environ 2 800 personnes, dont 1 800 travaillent dans les laboratoires, l'institut comprend 12 départements de recherche, dont un de virologie, 135 entités de recherche et une vingtaine de plateformes technologiques et d'expérimentation animale.

Comment s'est-il organisé pour répondre à l'épidémie de Covid-19 ?

Sur le versant de la santé publique, l'institut Pasteur héberge des centres nationaux de référence (CNR). Parmi eux, le CNR chargé des infections respiratoires est dirigé par Sylvie van Der Werf.

L'une de ses missions est de proposer des tests de référence pour le diagnostic et le suivi des maladies virales. Le CNR a donc mis au point, dès janvier, le test qRT-PCR, un test moléculaire de diagnostic, qui a été partagé avec les centres français pouvant le réaliser, mais qui est aussi utilisé dans le cadre du CNR en lien avec la cellule d'intervention biologique d'urgence.

Le CNR s'est également impliqué dans le séquençage du génome du virus, qu'il a mis à disposition de la communauté scientifique après l'avoir isolé. Son périmètre d'action comprenant l'évaluation des tests moléculaires proposés par différentes entreprises, il a conduit un certain nombre de travaux sur ces tests commerciaux, avec rapports transmis aux autorités de santé et publiés. Enfin, il a contribué au développement de tests de sérologie de référence. Nous disposons dans ce domaine de tests et de panels de séra, qui peuvent nous permettre de qualifier d'autres tests soumis par les industriels.

Sur le versant de la recherche, ayant pris conscience, au cours de la deuxième quinzaine de janvier 2020, de la gravité de la crise et de la nécessité d'une structuration adéquate de notre recherche pour répondre aux défis qui se présentaient, nous avons mis en place une task force coronavirus . Placée sous la responsabilité du professeur Bruno Hoen et sous la mienne, cette cellule de coordination réunissant scientifiques et fonctions supports permet de gagner en efficacité et de bénéficier de financements sur la recherche Covid-19 - nos équipes ont ainsi tiré parti des appels à projets français ou européens. Nous avons déjà remonté des projets au Comité analyse, recherche et expertise (CARE) et continuons de le faire dans le cadre de cette task force . Par ce biais, nous assurons chaque semaine une animation scientifique destinée à toutes les équipes travaillant sur des projets en lien avec le Covid-19.

Aujourd'hui, plus de 250 chercheurs, ingénieurs, techniciens et personnels des services supports sont impliqués sur ce sujet, soit depuis chez eux, soit depuis notre campus, puisque cette activité est la seule que nous ayons laissée sur le campus pendant le confinement. Les dispositions prises par l'État concernant les procédures accélérées sur les manipulations d'organismes génétiquement modifiés (OGM) et sur les études cliniques sont très bénéfiques à l'avancée de nos recherches.

Pour évoquer l'état de ces recherches, j'en resterai aux thèmes choisis pour l'audition - vaccinologie et thérapeutique -, mais je répondrai aux éventuelles questions portant sur l'épidémiologie ou le diagnostic.

S'agissant de la vaccinologie, plusieurs projets sont menés. J'en citerai trois. Les deux premiers font appel à des virus atténués comme plateforme vaccinale. Des travaux conjoints sont ainsi menés par Christiane Gerke, Frédéric Tangy et Nicolas Escriou autour de la rougeole ; d'autres sont développés autour d'une plateforme lentivirale - donc de la famille du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) - par l'équipe de Pierre Charneau. Une autre approche est celle de la vaccination ADN, avec, notamment, les travaux développés par Étienne Simon-Lorière.

Tous ces projets avancent bien. Les différentes stratégies vaccinales sont actuellement testées chez l'animal, afin de pouvoir mettre en évidence l'induction d'une réponse immunitaire et la production d'anticorps, tout particulièrement d'anticorps neutralisants, essentiels pour bloquer l'infection à la suite de la vaccination. Nous espérons être en mesure de qualifier ces réponses vaccinales dans le courant du mois de mai, afin de nous engager vers des études cliniques.

S'agissant du domaine thérapeutique, les actions que nous menons s'inscrivent, pour l'essentiel d'entre elles, dans un plus long terme.

Nous avons mis en place une plateforme d'évaluation de molécules antivirales. Ce petit groupe de chercheurs teste, à partir d'idées soumises par des équipes industrielles ou académiques, l'efficacité antivirale de certaines molécules.

Nous travaillons aussi à l'identification de stratégies thérapeutiques permettant de bloquer l'entrée du virus, en particulier par le développement d'anticorps monoclonaux, d'inhibiteurs de la polymérase du virus ou de molécules susceptibles d'interférer sur les fonctions de l'hôte essentielles à la réplication du virus. Sur ce dernier point, j'aimerais mettre en avant notre collaboration avec l'université de San Francisco et le Mount Sinai Hospital à New York : elle nous a permis de repérer quelques molécules, soit disposant d'une autorisation de mise sur le marché (AMM), soit entrées en phase d'essais cliniques, qui peuvent présenter un intérêt thérapeutique. Enfin, depuis plus récemment, nous menons des projets sur la susceptibilité à l'infection, le possible neurotropisme du virus ou la réponse de l'hôte au cours de l'infection.

Nos chercheurs travaillent donc sur ce sujet sans répit, sept jours sur sept, pour proposer des solutions vaccinales ou thérapeutiques, mais aussi des approches quant au diagnostic et à la sérologie.

Nous sommes une fondation de recherche, je le rappelle, et c'est grâce à notre flexibilité que nous avons pu engager très rapidement certains projets. Je voudrais donc saluer la générosité publique, qui, au-delà des financements de l'État, nous fait vivre. Nous avons très rapidement lancé une campagne de soutien à l'institut Pasteur pour ses recherches sur le Covid-19, qui nous permet aujourd'hui de soutenir nos projets, ici comme au sein du réseau.

Il n'y a pas de réponse sans expertise. C'est aussi parce que l'institut Pasteur a bâti une très solide expertise en virologie, internationalement reconnue, notamment sur le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), ou sur le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) que nous pouvons être réactifs sur cette épidémie.

Je voudrais donc profiter de ce propos introductif pour dire combien il est important de soutenir la recherche fondamentale, même sur des sujets qui, sur le moment, ne paraissent pas prioritaires.

Par ailleurs, nos jeunes chercheurs ont continué à travailler pendant le confinement, mais dans des conditions qui ne sont pas les mêmes qu'habituellement. L'État devra les aider à rattraper le retard accumulé.

J'ai noté avec plaisir que plusieurs appels à projets lancés par l'ANR sur le Covid-19 présentaient des taux de succès très élevés : 30 %, au moins, contre 10 % à 12 % en temps normal. Maintenir de tels taux à l'avenir permettrait à la recherche française d'avancer plus efficacement !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je réaffirme le soutien du Sénat à l'institut Pasteur. Dans le cadre des débats budgétaires, nous nous étions alarmés des dispositions prises sur le mécénat et fortement mobilisées sur le sujet. La chaîne Public Sénat vient également de programmer un excellent film sur l'institut Pasteur et la lutte contre la rage. C'est vous dire combien nous sommes attentifs à votre institut !

Mme Laure Darcos . - Je me joins aux remerciements de la présidente. Je souhaitais aussi évoquer notre combat pour le mécénat, dont elle vient de parler ; nous savons à quel point celui-ci est fondamental pour un institut comme le vôtre.

Cette crise doit faire comprendre la nécessité d'un plus fort investissement dans la recherche biomédicale. Je me bats depuis trois ans, par exemple, pour que le budget de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) soit augmenté pour tous les projets REACTing. J'espère que le Gouvernement entendra... Quant à votre remarque sur les projets lancés par l'ANR, j'espère aussi que nous continuerons sur cette lancée.

Pouvez-vous développer vos propos sur la piste d'un vaccin apparenté au vaccin contre la rougeole ? Si j'ai bien compris, on ne vaccine qu'une fois contre la rougeole. Peut-on d'ores et déjà envisager un vaccin permettant de se protéger sans crainte de mutations ?

Vous travaillez avec des centres et universités à l'étranger : université de Pittsburgh, Themis en Autriche, etc. Cela démontre une forte coopération internationale, au moment où, sur notre territoire, on perçoit des problèmes de gouvernance. On ne sait pas vraiment comment les établissements de recherche et les instances, comme le conseil scientifique présidé par le professeur Delfraissy ou le CARE piloté par madame Barré-Sinoussi, travaillent ensemble, comment se fait le partage de données... Pouvez-vous nous apporter des éclairages sur ce point ?

Vous avez été moins disert sur les traitements antiviraux. Participez-vous à certains projets de Discovery, l'essai clinique mis en place dans le cadre du consortium REACTing ?

Hier, vous avez annoncé que 6 % de la population française avait été atteinte par le virus, alors qu'un taux de 60 % serait nécessaire pour le rendre moins virulent. Quelles en seront les conséquences sur la pandémie ?

M. Christophe d'Enfert . - En matière de gouvernance, l'organisation s'est construite au fil de l'eau. Au démarrage de l'épidémie, la structure REACTing s'est vu confier la mission de coordonner la réponse de la France et plusieurs projets ont pu être lancés dans ce cadre. Puis, ont été instaurés le conseil scientifique et le CARE, dont les rôles sont clairement différents : le premier a pour fonction d'aider la Présidence de la République et le Gouvernement dans la prise de décisions sur la gestion de l'épidémie ; le second de contribuer à l'amélioration de la coordination de la recherche et à une prise en compte la plus rapide possible des initiatives issues du tissu de la recherche, académique ou industrielle. Il existe donc des procédures permettant de faire remonter au niveau du CARE des projets, qui font ensuite l'objet d'une réflexion menée conjointement par le comité et le consortium REACTing.

L'instauration du CARE a été une mesure essentielle. J'avais remarqué, voilà un certain temps, que les initiatives étaient nombreuses en France, mais que le manque de coordination entre ces projets engendrait un risque de redondance. Une certaine redondance peut être intéressante, car chacun développe une approche spécifique, mais il faut absolument un partage d'informations, d'où l'importance du travail de coordination de CARE. À l'avenir, cette mission devrait revenir à REACTing, pour la gestion d'éventuelles futures épidémies.

On a donc un peu peiné pour mettre en place l'organisation, mais elle commence aujourd'hui à s'éclaircir. Il faut maintenant voir comment CARE et REACTing donneront suite aux remontées d'informations et comment les subsides pour la recherche sur le Covid-19 seront utilisés.

Les projets de recherche sur un possible vaccin sont nombreux sur le plan mondial et le partage d'informations est très rapide. Des articles sont mis à disposition sur des sites comme celui du New York Times , de medRxiv ou de l'institut Pasteur - l'article concernant le taux de personnes attaquées par le virus en France, par exemple, a été mis en ligne et ouvert à la communauté scientifique avant toute évaluation par des pairs. Le partage d'informations se fait aussi via les réseaux sociaux.

Par ailleurs, des chartes de partage d'informations ont été signées, notamment par certains porteurs de projets vaccinaux. Certes, on ne peut pas empêcher une forme de concurrence entre projets, mais cela n'enlève rien à la volonté de tous de trouver rapidement une solution.

La manière dont les consortiums de recherche se mettent en place est souvent le reflet de l'histoire. Nos collaborations avec l'université de Pittsburgh ou la société de biotechnologie autrichienne Themis ont été mentionnées. Nous travaillons avec celle-ci sur la rougeole depuis plusieurs années ; on ne va pas changer les choses au moment où l'épidémie survient ! Pour une bonne collaboration, il faut une connaissance et une confiance mutuelles. D'ailleurs, certains autres projets européens qui ont été financés se fondent aussi sur des projets préexistants, ce qui me permet d'insister, à nouveau, sur l'importance de la recherche au niveau européen et du caractère bottom-up de la recherche.

L'institut Pasteur n'est pas impliqué dans le programme Discovery, mais il l'est dans l'étude Covidaxis, visant à évaluer des stratégies chimioprophylactiques de prévention de l'infection chez les personnels soignants. Cette étude, pilotée par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne, est en phase de démarrage. L'hydroxychloroquine sera évaluée dans un premier temps, suivie de la combinaison de deux antiviraux ciblant les protéases : le lopinavir et le ritonavir. De nouvelles molécules seront introduites au cours de l'étude. Celle-ci est intéressante à plusieurs titres, mais surtout parce qu'elle cible une population fortement exposée, ce qui permettra de travailler à sa protection tout en dégageant plus rapidement des résultats.

Enfin, avec 5,7 % des Français exposés au virus, nous sommes effectivement loin de l'immunité collective, qui serait atteinte avec un taux compris entre 60 % et 70 %. Si nous ne voulons pas que le déconfinement se traduise par une deuxième vague épidémique, nous devrons donc le mettre en oeuvre de manière progressive, en privilégiant le maintien du télétravail. Il faudra impérativement respecter les gestes barrières, la distanciation physique, et le port du masque devra être, autant que possible, systématique, en particulier dans les transports en commun et les environnements de travail.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je garde aussi en tête notre visite de l'institut Pasteur, qui avait constitué un moment important, et la mobilisation autour de la problématique du mécénat.

Je lis et j'entends que les personnes ayant contracté le Covid-19 pourraient être ultérieurement recontaminées. Qu'en est-il d'un vaccin dans ce cas ? Au-delà des recherches sur les thérapies et les vaccins, travaillez-vous sur les modes de propagation du virus, par exemple sur sa survie sur certaines surfaces ? Vous avez indiqué mobiliser 250 personnes sur le sujet. Pourquoi ne pas en mobiliser plus, au vu de la complexité de la situation ? Y a-t-il eu mutation du virus par rapport à celui qui a circulé en Chine ? Vous n'avez pas mentionné, dans l'étude tout juste évoquée, l'association de l'hydroxychloroquine et de l'azithromycine chère au professeur Didier Raoult. Menez-vous des recherches sur celle-ci ?

Mme Sonia de la Provôté . - Ma première question porte sur le calendrier. Un délai de 18 à 24 mois a été évoqué pour la mise à disposition d'un vaccin. Selon vos propos dans la presse, il serait maintenant de 21 mois. Qu'en est-il précisément ?

Par ailleurs, la course mondiale au vaccin suscite des collaborations et des concurrences, ces dernières étant parfois de nature, l'institut Pasteur le sait bien, à modifier les règles du jeu. La Chine, devenue un intervenant de taille dans ce jeu concurrentiel, n'obéit pas toujours aux mêmes codes. Comment voyez-vous votre rôle et l'évolution de vos travaux dans un tel contexte ? Comment collaborez-vous avec des pays non européens, tout en préservant une partie de votre souveraineté ? Constatez-vous, à l'échelle européenne, une homogénéisation des stratégies, avec l'émergence d'une organisation qui pourrait nous conduire vers une souveraineté européenne ?

Le confinement donne lieu à des injonctions contradictoires. On met en place des mesures de prévention de la mortalité quand l'immunité collective est la solution ! Vous avez évoqué la nécessité d'un déconfinement progressif. Mais les données épidémiologiques nous font défaut pour pouvoir anticiper au mieux cette période. Les hommes sont-ils plus à risque que les femmes ? Les enfants sont-ils vraiment des vecteurs importants de la maladie ?

Enfin, le Sénat avait mis en place une mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, dont les conclusions ont été rendues en septembre 2018. Mais la problématique est toujours d'actualité. Elle prend même un tour compliqué dès lors que l'on évoque les molécules à usage de réanimation ! À l'époque, des inquiétudes avaient été exprimées sur le devenir de l'institut Pasteur ou la protection de certaines cellules souches, et on voit bien, avec cette crise, à quel point il est stratégique d'avoir la main sur la production dans le secteur sanitaire. L'institut Pasteur réfléchit-il à une remise en cause de son organisation mondiale, en vue de réintroduire une production de vaccins en France et en Europe ?

M. Christophe d'Enfert . - La question de la maîtrise des outils de production, en particulier de production vaccinale ou médicamenteuse, relève de la politique nationale, plus que de celle de l'institut Pasteur. Il ne me revient donc pas d'y répondre - je pourrai le faire en tant que citoyen, mais vous ne m'avez pas invité pour cela.

En revanche, je peux évoquer la politique de l'institut Pasteur.

En tant que fondation de recherche, celui-ci n'est pas impliqué dans la production de médicaments ou de vaccins. Nous établissons, quand c'est nécessaire, des relations avec des industriels afin que nos innovations puissent être déployées auprès des populations avec le maximum d'efficacité. L'interaction avec l'industrie permet d'accélérer ce déploiement. Ce modèle ne doit pas être remis en cause et il ne faut pas réintégrer ces activités de production au niveau de l'institut Pasteur.

Nous disposons par ailleurs d'un réseau international, reconnu comme une véritable pépite. C'est grâce à lui, notamment, qu'un test de diagnostic mis au point à l'institut Pasteur de Hong Kong a pu être déployé rapidement en Asie du Sud-Est, mais aussi en Afrique de l'Ouest. L'internalisation de l'institut Pasteur doit donc être préservée.

S'agissant précisément du vaccin et de la persistance des anticorps, on s'interroge effectivement sur la durée nécessaire pour qu'une infection ayant induit une réponse immunitaire entraîne une production d'anticorps, sur la protection offerte par ces anticorps et sur leur persistance. Des travaux de recherche et des enquêtes sérologiques nous permettront d'apporter des réponses, mais nous n'en disposerons que dans le futur. Pour certains vaccins, comme celui contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, il faut trois injections initiales et plusieurs rappels pour établir une immunisation de longue durée. Mais, à l'heure actuelle, on ne sait pas ce qu'il en sera pour les vaccins développés contre le coronavirus.

Ce qui permet, par ailleurs, une réduction probable du délai d'obtention d'un vaccin, ce sont les procédures accélérées. Peut-être celles-ci n'étaient pas suffisamment en place au début de l'épidémie, ce qui a fait imaginer des phases d'essais cliniques allant de l'automne 2020 à l'automne 2021. On pense aujourd'hui qu'il sera possible de les démarrer en juillet et d'accélérer les phases 2 et 3 pour obtenir des résultats cliniques dans le courant du premier semestre de 2021. C'est ce que l'on peut espérer.

Oui, toute collaboration non européenne présente des risques. Cela doit probablement interroger l'Europe sur les modèles qu'elle a mis en place, mais, à nouveau, cela ne relève pas de mon rôle de commenter le sujet.

S'agissant de la propagation du virus, si l'institut Pasteur n'est pas concerné par des sujets comme sa propagation sur les surfaces, relevant plus de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), nous sommes impliqués dans des études épidémiologiques ayant pour objectif de comprendre sa propagation à l'échelle de la population : il s'agit d'études de modélisation ou d'études de sérologie en population.

Le confinement donne effectivement le sentiment d'injonctions contradictoires. Mais les modèles montrent toute son importance pour limiter la propagation de l'épidémie. Il nous a permis de réduire la pression sur les hôpitaux, donc d'améliorer la prise en charge des malades, et de revenir, dans une semaine ou deux, à un état épidémique équivalent à celui du 1er mars. Cela nous permettra de nous préparer pour mieux prendre en charge ce qui serait une deuxième phase épidémique, avec augmentation du nombre de tests, généralisation du port du masque, maintien des gestes barrières et de la distanciation physique.

D'après une étude de l' Imperial College de Londres, à la date du 28 mars, le confinement avait divisé par 2 500 le nombre de morts en France. C'est la raison pour laquelle il faut l'accepter, plutôt que de rêver d'une immunité collective. Il est vrai que les règles que nous allons devoir respecter dans les mois à venir permettront de limiter le nombre de morts au détriment de l'établissement d'une immunité collective, mais nous pouvons espérer qu'un vaccin sera disponible dans quelques mois, permettant alors d'obtenir une immunité collective artificielle.

Pour le moment, le virus mute relativement peu, ce qui est un bon signe sur le plan de la vaccination.

Je n'ai pas connaissance de travaux de l'institut Pasteur sur l'association promue par le professeur Didier Raoult. Mais, certaines études montrant que cette combinaison est associée à une augmentation des effets secondaires, une réflexion s'impose.

La différence entre les hommes et les femmes ou le fait que les enfants soient vecteurs sont des questions qui commencent à être étudiées. Les études de sérologie, en particulier, nous permettront d'avoir une meilleure connaissance sur la transmission du virus au sein des populations.

Enfin, 250 chercheurs mobilisés sur le sujet, c'est déjà beaucoup ! Tous les jours, de nouveaux chercheurs se joignent à ces équipes. Tous les jours, de nouvelles idées sont proposées. Mais la recherche fondamentale avance à un certain rythme et la multiplication d'intervenants n'aurait pas forcément un effet positif : ce qui compte, c'est d'avoir de bonnes idées et de réussir à les mettre en pratique le plus rapidement possible !

M. André Gattolin . - Je réitère les félicitations de mes collègues quant aux travaux de l'institut Pasteur.

Sur la question d'une coordination permanente en matière de recherche virologique ou pandémique, lors d'une récente audition, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation nous a annoncé un budget annuel de 500 000 euros pour REACTing, hors phase épidémique. Or, si ce type de pandémies devait se reproduire, il faudrait disposer de véritables budgets. Il faudrait même prévoir des programmes « monitoring » plus que « reacting ».

De nombreux travaux ont été réalisés sur la question de la transmission animale, avec certaines hypothèses émises sur les bouleversants écosystémiques. Les instituts Pasteur au Vietnam ou au Laos s'intéressent de près à ces hypothèses. Pouvez-vous nous en dire plus ?

On a beaucoup parlé de coopération internationale, notamment avec la Chine. Voilà deux mois, l'ambassadeur de Chine, qui respecte sans doute davantage les scientifiques que la représentation parlementaire dans ses propos, a visité l'institut Pasteur, lequel, dans un communiqué datant de novembre 2017, fait mention d'une collaboration entre lui-même, l'institut Mérieux et le fameux laboratoire P4 de la ville de Wuhan. Qu'en est-il vraiment ? Y a-t-il transparence, interactivité et équilibre dans nos collaborations avec la Chine ?

J'en viens à la polémique sur les retards de décision et la communication de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Trois semaines se sont écoulées entre la déclaration d'épidémie et celle de pandémie. Cela peut être délicat pour vous de vous exprimer sur ce point, mais ne pouvait-on faire mieux ?

M. Stéphane Piednoir . - Ma première interrogation porte sur la réouverture des écoles et, plus particulièrement, sur le degré de contagiosité des enfants. Leur système immunitaire en construction leur vaudrait d'être moins récepteurs. Cela ferait-il d'eux de moindres transmetteurs du virus, ce qui serait plutôt une bonne nouvelle ? Pouvez-vous revenir, sans entrer dans les détails scientifiques, sur la spécificité de ce coronavirus ? Pourquoi est-il si virulent ? Des études sont-elles menées sur les conditions d'une possible extinction naturelle ? On parle beaucoup de la chaleur, qui intervient dans l'extinction du virus de la grippe saisonnière.

M. Christophe d'Enfert . - S'agissant du budget de REACTing hors phase épidémique, je pense que cette épidémie doit nous interroger rapidement, dans les mois à venir, sur notre organisation globale. Nous devons faire en sorte d'être mieux organisés au moment du déclenchement des épidémies, afin de disposer d'une recherche coordonnée et de capacités à évaluer rapidement des médicaments.

Ce sujet est en lien avec celui du bouleversement des écosystèmes. L'institut Pasteur mène effectivement des travaux en Asie du Sud-Est pour mieux comprendre les transmissions de ces coronavirus entre insectes, chauves-souris, petits animaux et hommes, et savoir dans quelle mesure ces connaissances pourraient nous aider à mieux prédire de futures épidémies. Il faudra réfléchir aux moyens d'apporter un soutien financier à ces équipes de terrain, mettant en oeuvre une biologie souvent considérée comme moins intéressante et ayant pourtant toute sa part dans notre compréhension de l'origine de ces épidémies.

La visite de l'ambassadeur de Chine avait pour but de témoigner de la reconnaissance de la diaspora chinoise en France à l'égard de l'institut Pasteur, pour son engagement dans la compréhension d'une épidémie alors très active sur le sol chinois.

Je n'entrerai pas dans le détail sur la problématique du laboratoire P4 de Wuhan : d'une part, à ma connaissance, l'institut Pasteur n'a pratiquement pas été impliqué dans sa mise en place ; d'autre part, s'il existe des interrogations quant aux dispositifs de sécurité de cet établissement, il n'y a aucune preuve de la rumeur selon laquelle le coronavirus aurait émergé d'un laboratoire chinois.

Quant à la transparence de la Chine sur l'ampleur de l'épidémie, le faible nombre de morts qui y sont comptabilisés soulève effectivement de nombreuses questions. L'histoire nous dira ce qu'il en est réellement. Selon un article paru aujourd'hui dans le New York Times, je crois, l'étude de la surmortalité dans les pays permettra, dans le futur, d'avoir une image de l'impact de l'épidémie bien plus nette que celle qui transparaît à travers les chiffres communiqués par les États.

Peut-être l'OMS a-t-elle tardé à annoncer une épidémie de portée mondiale, ou pandémie, mais je ne suis pas certain que cela aurait changé quoi que ce soit. A contrario , elle a envoyé des signaux très clairs sur les risques associés à cette pandémie et martelé des consignes pour que l'on teste. Or, on le voit, la pandémie a été contenue dans les pays ayant généralisé les tests. On peut donc regarder ce qu'a fait l'OMS, mais, dans ce cas, il faut aussi regarder la façon dont on a pris en charge l'épidémie.

N'étant pas spécialiste, je ne veux pas trop me prononcer sur la réouverture des écoles. La question de savoir si les enfants sont vecteurs ou pas suscite effectivement des interrogations. Des études vont probablement être mises en oeuvre sur la séroprévalence au sein de cette population et permettront de dégager des connaissances sur le sujet. Selon les premières informations dont je dispose, il ne semble pas que les enfants soient particulièrement vecteurs de la maladie, mais, à nouveau, je ne suis pas spécialiste du sujet.

S'agissant de la protection contre le virus, l'interrogation demeure. Nous avons des exemples rapportés, indiquant des possibilités de recontracter le virus. En l'absence de certitudes, il faut donc maintenir les gestes barrières et la distanciation physique.

En quoi ce virus est-il problématique ? Il présente, au niveau moléculaire, une très bonne adaptation entre sa protéine de surface, la protéine S, et le récepteur ACE2 situé à la surface de nos cellules, ce qui facilite son entrée dans celles-ci. C'est probablement ce qui le rend plus virulent.

On sait par ailleurs que les coronavirus sont sensibles à une hygrométrie et une température élevées, ce qui peut laisser envisager une baisse de l'épidémie durant la phase estivale, mais avec un rebond probable à l'automne ou en hiver. Mais, comme on en apprend tous les jours avec ce virus, il est encore difficile d'avancer des hypothèses sur la suite de l'épidémie.

Mme Céline Brulin . - Merci pour cet éclairage et, plus globalement, pour le travail mené par l'institut Pasteur. Je voudrais revenir sur la question qui nous taraude : la reprise de l'école. Vous évoquez des études épidémiologiques et sérologiques, notamment des études spécifiques aux enfants. Dans quel délai pouvons-nous espérer disposer d'informations plus précises ? Avant le 11 mai ? Dans la perspective de la rentrée prochaine ? L'institut Pasteur est-il associé à la réflexion sur la reprise de l'école ? Si certaines décisions sont bien appuyées par le conseil scientifique, il semble que, pour celle-ci, l'expertise scientifique n'a pas été complètement au rendez-vous !

Mme Colette Mélot . - J'ai, moi aussi, été impressionnée par la visite de l'institut Pasteur et je m'associe aux propos de mes collègues ayant exprimé nos remerciements et notre reconnaissance.

Au moment où la France va s'engager dans un déconfinement progressif, alors qu'une très faible part de sa population aurait été en contact avec le virus, avons-nous une estimation du nombre de personnes asymptomatiques et de leur degré de contagiosité ? Ce déconfinement apparaît comme une équation insoluble. Est-il utile de tester massivement la population ? À quel bilan devons-nous raisonnablement nous attendre dans les mois à venir, en l'absence de traitements efficaces ?

M. Christophe d'Enfert . - Il m'apparaît vraiment difficile de commenter la décision de reprise de l'école, qui est une décision politique, dûment informée par le conseil scientifique. J'ai compris que cette reprise serait extrêmement progressive et l'on peut penser que, au-delà même de cette stratégie, le degré d'acceptation des familles restreindra les effectifs dans les écoles.

Sur l'implication de l'institut Pasteur dans cette réflexion - j'ai cru entendre des doutes exprimés sur l'expertise présente au sein du conseil scientifique -, le professeur Arnaud Fontanet, spécialiste en épidémiologie, et le docteur Simon Cauchemez, spécialiste en modélisation des épidémies, tous deux travaillant à l'institut Pasteur, siègent dans cette instance. Ce dernier est donc totalement impliqué et appuie le Gouvernement dans sa stratégie de gestion de l'épidémie. J'imagine que mes collègues ont apporté leur expertise dans la décision de reprise de l'activité des écoles.

Je n'ai pas les chiffres en tête concernant les personnes asymptomatiques, mais celles-ci représentent un pourcentage non négligeable et sont susceptibles de propager le virus. Néanmoins, en termes sérologiques, elles ont en règle générale des réponses moins importantes que les personnes ayant été symptomatiques, ce qui indique qu'elles ont probablement porté moins de virus et, donc, été moins contagieuses.

Dès lors que l'on ne connaît pas avec certitude le lien entre séropositivité en anticorps et protection contre une infection par le virus, il serait dangereux d'envisager des tests de masse. On serait effectivement amenés à dire à certaines personnes qu'elles sont séropositives, sans pouvoir préciser si elles sont, ou non, protégées, et cela aurait pour effet induit de baisser la garde sur les gestes barrières, avec, derrière, un risque de reprise épidémique. En outre, les tests de diagnostic rapide, qui se présentent sous une forme similaire à celle des tests de grossesse, n'ont souvent pas des sensibilités et des spécificités suffisamment élevées pour que, dans un contexte de propagation peu importante, on puisse en tirer des informations pertinentes. Pour une campagne massive de tests, il faudrait donc, en plus, disposer de tests de diagnostic rapide avec des sensibilités et des spécificités les plus élevées possible.

Le bilan auquel il faut s'attendre est assez complexe à évaluer. À un moment donné, on a estimé que 60 % de la population mondiale serait touchée, soit 4 milliards de personnes. Le taux de mortalité avoisinant 2 % laissait donc envisager que 80 millions d'individus décéderaient du Covid-19, autour de 200 000 à 300 000 en France. Mais ces chiffres s'entendent sans différenciation entre pays, sans mesures de confinement et sans stratégie thérapeutique trouvée. Or, on le constate aujourd'hui, les méthodes de confinement, de distanciation et de gestes barrières permettent de limiter l'épidémie. Il est donc difficile de donner des chiffres.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Pourriez-vous nous préciser le travail des instituts Pasteur en Afrique ? Ce continent est, lui aussi, l'objet de toutes nos préoccupations.

Mme Mireille Jouve . - Par une étude rendue publique hier matin, l'institut Pasteur constate que, le nombre de Français ayant contracté la maladie restant trop faible, l'épidémie risque de connaître une reprise après le 11 mai. Le 2 avril dernier sur France 2, vous avanciez qu'avec les beaux jours la circulation du virus pourrait se réduire, tout en pointant un risque de résurgence à l'automne. Ce matin même, le professeur Raoult a évoqué une telle saisonnalité. Certains indicateurs confirment-ils cette hypothèse ?

Le Gouvernement a fixé un objectif de 500 000 tests de diagnostic hebdomadaires réalisés à compter du 11 mai prochain. Un recensement des capacités de dépistage a commencé, mais de nombreux laboratoires publics s'étonnent de ne pas être sollicités. Cette décision serait justifiée par la capacité des chercheurs à pouvoir établir des comptes rendus d'examen et rendre des résultats individuels. Quel regard portez-vous sur ce cloisonnement ?

M. Max Brisson . - Membre du groupe de travail que notre commission consacre au retour à l'école, j'ai noté vos réponses prudentes. Mais l'institut Pasteur a-t-il une connaissance de l'état sanitaire des enfants en âge d'être scolarisés ? Pourquoi ces classes d'âge sont-elles moins exposées au Covid-19 ? Sont-ils asymptomatiques, résistants au virus ? Ces éléments d'analyse nous permettraient d'apporter notre pierre au débat relatif à la réouverture des écoles.

La fiabilité des tests suscite la polémique. Ces derniers doivent-ils être concentrés sur les individus ayant été en contact avec des personnes contaminées ? Faut-il, au contraire, les déployer le plus largement possible ?

M. Christophe d'Enfert . - Au sujet du retour à l'école, je ne suis pas en mesure de vous éclairer, n'ayant pas suffisamment d'informations. Toutefois - on le constate clairement -, plus on est âgé, plus on risque de contracter la maladie avec une forte amplification virale. Les études de sérologie devraient nous apporter des informations quant au degré d'exposition des enfants. Ces derniers ne semblent pas être les vecteurs que l'on prédisait.

Un certain nombre de coronavirus sont saisonniers. Ils peuvent être sensibles à la chaleur ou à l'humidité. Dès lors, l'été favoriserait leur déclin, mais ce n'est qu'une hypothèse. On pourrait me rétorquer que le MERS circule dans des pays au climat chaud et sec.

J'ai beaucoup de respect pour le professeur Raoult, mais la chute du nombre de cas que l'on observe aujourd'hui me semble d'abord due au respect du confinement. Cela étant, je peux me tromper moi aussi.

Il faut bien distinguer les tests de diagnostic, pour lesquels l'objectif hebdomadaire de 500 000 a été fixé, et les tests de sérologie. Le CNR des virus des infections respiratoires et le CNR associé, à Lyon, dirigé par le professeur Bruno Lina, sont chargés d'évaluer, sur la base d'un étalon, l'efficacité de ces différents tests. À cette fin, ils rendent aux autorités de santé des rapports d'information. Pour ce qui concerne les tests de diagnostic, ces documents sont mis à disposition des médecins sur le site de la Société française de microbiologie (SFM). C'est sur ces résultats, établis par des structures indépendantes, qu'il faut se fonder pour décider ou non de l'utilisation d'un test.

Le fait de rendre un test est un acte médical ; le rendu des tests doit donc être mené sous le contrôle d'une autorité médicale. En mars dernier, la question du recours aux tests s'est posée ; leur disponibilité semblait alors limitée, du fait, probablement, de problématiques de production, une partie des réactifs n'étant pas fabriquée en Europe. Or cette question paraît résolue, si j'en crois le ministre des solidarités et de la santé et le Premier ministre.

Les laboratoires de ville et les laboratoires hospitaliers sont sans aucun doute en mesure de prendre en charge ces tests. Dans la phase de déconfinement, il est très important de faire ce qui a été fait au tout début de l'épidémie : tracer et tester les contacts dès qu'un nouveau cas est repéré. Cette information est nécessaire pour contenir le redémarrage de l'épidémie.

Enfin, le réseau des instituts Pasteur dispose d'un certain nombre de sites sur le continent africain, que ce soit au Maghreb, en Afrique de l'Ouest - Sénégal, Côte d'Ivoire, Cameroun, Gabon - ou à Madagascar. La collaboration au sein du réseau, qui vise à apporter des compétences et des moyens aux instituts situés en Afrique, se décline sous diverses formes : transferts technologiques depuis l'institut de Hong Kong pour le diagnostic ; transferts depuis les instituts de Paris et de Hong Kong pour la sérologie ; financement de projets de recherche en épidémiologie, dans les instituts Pasteur d'Afrique, par l'institut Pasteur de Paris ; soutien au ressourcement scientifique et technique.

Le but de cette solidarité, c'est que les instituts africains puissent contribuer localement à la lutte contre l'épidémie. En développant notre action à l'échelle internationale, nous sommes fidèles à la pensée exprimée par Louis Pasteur voilà plus de cent trente ans. Il faut assurer une prise en charge efficace de l'épidémie, partout sur la planète.

Mme Catherine Morin-Desailly , présidente. - Nous suivons de près le travail des instituts Pasteur - nous avons notamment visité l'institut de Hué, au Vietnam. Leur réputation, notamment en matière de virologie, s'appuie sur des moyens annuels dédiés, et, à ce titre, nous serons extrêmement vigilants lors des prochains débats budgétaires. La ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation nous a annoncé un budget « recherche » augmenté de 400 millions d'euros en 2021. S'y ajoutent le plan d'urgence de 50 millions d'euros au titre du Covid-19, les 3 millions d'euros de l'appel à projets Flash de l'ANR et les fonds investis dans le projet REacting.

Nous resterons en lien avec vous pour nous assurer que vos recherches sont bel et bien financées. Vous portez nos espoirs : le confinement à vie n'est pas une solution...

M. Christophe d'Enfert . - Nous sommes bien d'accord !

Mme Catherine Morin-Desailly , présidente. - Nous sommes donc suspendus à vos travaux de recherche thérapeutique.

Enfin - Laure Darcos l'a souligné -, nous sommes très attentifs à la défiscalisation des dons dans le cadre du mécénat. À cet égard, votre fondation est en première ligne.

Nous exprimons à tous les chercheurs de l'institut Pasteur nos encouragements et notre gratitude.

Audition de Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports

MARDI 5 MAI 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous accueillons aujourd'hui Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports, pour une audition organisée en visio-conférence. Le secteur du sport est, avec ceux de la culture et de l'éducation, un des plus touchés par la crise sanitaire. Les stades et les salles de sport ont été fermés dès la mi-mars. Les athlètes ont été privés d'entraînement. Les contrôles antidopage sont, par ailleurs, beaucoup plus difficiles à mettre en oeuvre dans ces conditions, avec les inquiétudes que cela peut créer.

Plusieurs événements qui devaient se dérouler ce printemps ou cet été ont été reportés - je pense au tournoi de Roland-Garros, au Tour de France cycliste, à l'Euro 2020 et aux jeux Olympiques de Tokyo. Si les championnats amateurs ont été rapidement écourtés, il a fallu attendre la semaine dernière pour que, à l'initiative du Gouvernement, les championnats professionnels soient à leur tour définitivement interrompus pour la saison en cours. Cette situation n'est pas sans poser des questions d'insécurité juridique, qui ont amené le Gouvernement à préparer des projets de loi d'habilitation à légiférer par ordonnances. Vous aurez l'occasion, j'imagine, de nous en dire un mot.

Vous nous présenterez aussi l'action de votre ministère dans les différents moments de cette crise : la phase d'urgence, la phase de déconfinement qui devrait intervenir partiellement la semaine prochaine, puis le plan de soutien ou de relance à destination des acteurs, dont chacun d'entre nous est convaincu de la nécessité. Nous sommes très impatients de vous entendre. Nous sommes aussi très intéressés par le sport dans les territoires. Les élus locaux et les sénateurs sont très mobilisés sur ces sujets.

À l'issue de cette présentation, je donnerai la parole à notre rapporteur chargé des crédits du sport, notre collègue Jean-Jacques Lozach, auquel vous pourrez répondre en détail, puis aux orateurs désignés par chaque groupe politique. Je précise que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié sur le site du Sénat.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports . - Je vous remercie de m'avoir conviée à cet échange, après plus de deux mois de crise et au lendemain de l'intervention du Premier ministre au Sénat. Je souhaite pouvoir aborder avec vous l'ensemble des actions du ministère des sports pour faire face au Covid-19, concrètement et en toute transparence. Je vous demande un regard tout à la fois critique et bienveillant. J'ai besoin de vos observations, de vos remarques, de vos questions et de vos propositions.

Pour que les mesures de précaution sanitaire indispensables à la réussite de ce déconfinement entrent dans le quotidien des Français, elles doivent être acceptées. Pour être acceptées, elles doivent être comprises. Pour être comprises, elles doivent être entendues. Nous devons les diffuser et les expliquer, et nous comptons sur vous pour cela. Il nous appartient aussi - et c'est tout l'intérêt de notre échange - de les préciser, de les affiner et de les rendre intelligibles. Chaque ministre y travaille dans son domaine.

Notre société tout entière doit faire bloc. Nous devons être solides et inventifs, sûrs de nos valeurs et de nos priorités. En tant qu'élus de la Nation, passionnés par le sport, vous avez un rôle important à jouer pour aider le sport à relever le plus grand challenge qu'il ait jamais eu à relever.

Ce défi, depuis le début de la crise, l'ensemble des acteurs du mouvement sportif en a pris la pleine mesure. Je tiens à souligner l'esprit de solidarité et de responsabilité qui l'a constamment guidé. Cela s'est traduit par l'affirmation forte et claire de la prééminence des principes de sécurité sanitaire sur la continuité de la pratique sportive. Un esprit d'unité et une véritable volonté de collaboration ont régné autour des réflexions et dispositifs mis en place par le ministère comme par les autres acteurs. Pourtant, ce n'était pas une évidence, car, à l'image de l'ensemble de la société, l'écosystème sportif est cruellement touché par la crise. Les conséquences sont désastreuses pour sa viabilité économique et les emplois qui en dépendent. Chaque club et association, chaque fédération, chaque sportif professionnel, chaque entreprise privée en a souffert et en souffre encore. Certains sont en péril.

Les agents de mon ministère ont été exemplaires, qu'il s'agisse des agents de la direction des sports, de nos services déconcentrés ou de nos établissements. Leur engagement, leur disponibilité et leur vision de l'intérêt général ont constitué des atouts capitaux dans la gestion de cette crise.

Alors que les conditions du confinement sont désormais posées, il est impératif de conserver cet état d'esprit. L'enjeu est de partager toutes les informations disponibles, tout particulièrement auprès de notre réseau de petites associations sportives. De ce point de vue, je veux insister sur le rôle central des collectivités territoriales, proches de ces petites associations qui maillent notre pays. Représentants des collectivités, vous jouez aussi un rôle essentiel. Je compte sur vous et suis prête, avec mes équipes, à continuer à échanger avec vous. Nous pourrions d'ailleurs envisager ensemble de nouvelles modalités pour le faciliter.

Pour gérer la crise, nous avons choisi une méthode collaborative. Dès le 25 février dernier, une cellule de crise quotidienne s'est réunie avec toutes les têtes de réseaux de la gouvernance du sport en France : le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), le Comité paralympique et sportif français (CPSF), le Comité d'organisation des jeux Olympiques (COJO), l'Association nationale des directeurs techniques nationaux (AsDTN), la direction interministérielle aux grands événements sportifs (Diges), le ministère de l'Europe et des affaires étrangères via l'ambassadrice pour le sport, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), la direction des sports, l'Agence nationale du sport (ANS) et les représentants des collectivités territoriales. Dans le même temps, le directeur des sports a engagé un plan strict de continuité de l'activité du ministère et entretenu un dialogue social étroit avec les représentants de ses agents.

Ce système de dialogue permanent nous a permis de réagir ensemble au gré des informations disponibles chaque jour et d'éviter les interventions cacophoniques ou contradictoires. La qualité de cette collaboration se fonde sur une confiance mutuelle, construite, depuis plus d'un an, au travers de l'ANS, avec les représentants de l'Association des maires de France (AMF), de l'Assemblée des départements de France (ADF), de Régions de France ou de France Urbaine. Nous pourrons évoquer, d'ailleurs à l'occasion de nos débats, à quel stade d'avancement en est la déclinaison territoriale de l'ANS.

Cette méthode collaborative a contribué à un pilotage transparent et partagé de toutes les problématiques qui ont émergé successivement. Elle a aussi permis de dégager très tôt trois principes directeurs : la primauté stricte des enjeux sanitaires sur les enjeux de continuité sportive ; le respect de la doctrine édictée par le ministère des solidarités et de la santé, sans chercher à développer une analyse sanitaire propre au ministère des sports ; et, enfin, la volonté de ne pas se substituer aux autorités préfectorales et locales, qui sont au plus près des réalités des territoires.

Dans un souci de brièveté, je n'évoquerai pas toutes les questions qui se posent à nous, comme les effets du report des jeux de Tokyo et ses éventuelles conséquences sur Paris 2024, ou encore les réformes qui étaient en gestation avant la crise, et qui sont au repos aujourd'hui : je pense notamment à la réforme de l'organisation territoriale de l'État ou aux cadres techniques sportifs. Nous y reviendrons, je pense, dans nos échanges.

J'aborderai rapidement la question de la gestion de la crise en phase de confinement, puis en phase de déconfinement, dans laquelle nous sommes, et enfin la préparation de l'après.

Grâce à la cellule de crise, nous avons pu répondre d'une même voix aux interrogations de toutes les fédérations, de centaines d'organisateurs d'événements sportifs et de dizaines de milliers de clubs.

Nous avons travaillé sport par sport, pratique par pratique, événement par événement. Nous avons aussi avancé sur de nombreuses autres dimensions. J'en détaillerai trois : l'accompagnement économique, la mise en place de dispositifs solidaires et la proposition d'offres aux Français pour faire du sport chez soi.

Les pertes du mouvement sportif sont estimées à ce stade à une vingtaine de milliards d'euros, mais ce chiffre est sans doute au-dessous de la réalité. J'ai veillé à ce que tout l'écosystème sportif bénéficie des dispositifs de soutien gouvernemental appliqués au monde économique : chômage partiel, exonérations et report de charges, prêts garantis par l'État par exemple. D'autres dispositifs de soutien sont encore en cours de réflexion.

Nous menons également un travail spécifique concernant la reprise et le soutien au sport professionnel, qui ne reprendra pas, au moins, avant août prochain. Je m'emploie beaucoup aussi à ce que les positions des diffuseurs de télévision et des ligues professionnelles se rapprochent. On note des progrès, car les positions étaient assez lointaines.

Nous avons aussi avancé sur le thème « sport et solidarité ». Nous avons mobilisé l'ensemble des ressources humaines de l'écosystème du sport, dès la mi-mars, pour des missions de solidarité, comme l'aide alimentaire par exemple. Il s'agit de nos 170 000 éducateurs sportifs et, sur la base du volontariat, des agents du ministère. Je tiens aussi à souligner la mobilisation de nombre de nos fédérations à nos côtés, comme la Fédération française de sauvetage et de secourisme, la Fédération française de tennis ou la Fédération française de football, qui ont mis certaines de leurs installations à disposition des sans-abri, ou des clubs comme l'Olympique de Marseille ou le Paris Saint-Germain. De même, l'Insep ou les centres de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS) ont mis à disposition leurs locaux pour soutenir l'activité de nos hôpitaux.

J'en viens à la promotion du sport à la maison. Cette période de confinement et de télétravail a démontré plus que jamais l'importance de l'activité sportive dans l'équilibre personnel de nos concitoyens, pour leur bien-être comme pour leur santé. Elle pose plus encore la question de la place accordée au sport dans notre société. Nous avons soutenu et promu de nombreuses offres de start-up qui proposaient gratuitement des contenus visant à aider à faire du sport à la maison. Le ministère a également créé sa propre plateforme bougezchezvous.fr. Toutes ces initiatives ont été et sont toujours, je crois, très utiles pour mieux vivre cette période difficile de confinement.

Avec Jean-Michel Blanquer, Gabriel Attal et le ministère de l'éducation nationale, nous sommes aussi en train d'envisager les voies et moyens qui permettraient aux écoles de bénéficier du tissu associatif sportif et des clubs pour la reprise progressive de l'école dans les prochains temps, dans le cadre d'un nouveau dispositif appelé « Sport, santé, culture, civisme » (2S2C). Les solutions devraient être trouvées très localement, mais cela semble à notre portée et à celle des collectivités.

Nous allons rentrer dans une phase nouvelle de la gestion de la crise : une première phase de déconfinement. La pratique sportive va reprendre à compter du 11 mai, progressivement, pour limiter les risques de contamination. J'ai proposé au Premier ministre une doctrine de reprise par étapes, qui autorise d'abord uniquement la reprise des activités individuelles extérieures. Ces activités devront respecter des critères de distanciation adaptés à chaque discipline : dix mètres d'écart entre les personnes pour un footing ou le vélo, un espace de quatre mètres carrés par personne et dans un périmètre de 100 kilomètres autour de chez soi. Jusqu'au 2 juin minimum, les rassemblements autorisés seront limités à dix personnes. La reprise des activités en espace intérieur et des sports collectifs ne sera envisagée que dans une seconde phase, selon l'évolution de la pandémie.

Le ministère des sports est en train d'établir une liste précise des activités autorisées, pour que chacun puisse savoir s'il peut pratiquer son sport favori et dans quelles conditions. Plusieurs guides pratiques sont en cours de préparation avec tous nos partenaires et devraient pouvoir être publiés dans les tout prochains jours. Il s'agira de guides précis, établis sport par sport, avec les fédérations, les ligues ou les clubs professionnels, ou par typologie d'équipements, en lien avec l'Association nationale des élus en charge du sport (Andes), et l'Association nationale des directeurs et intervenants d'installations et des services des sports (Andiiss). Il y aura aussi un guide à destination de nos sportifs de haut niveau, qui a été préparé avec la cellule haute performance, et un guide sanitaire et médical. Nous publierons aussi des précisions concernant la reprise du sport à l'école. Chacun de ces guides sera validé par les autorités sanitaires.

De manière générale, autoriser à nouveau la pratique des sports à contacts ou collectifs ne semble pas aujourd'hui compatible avec la doctrine sanitaire. Les compétitions sportives, y compris professionnelles, même à huis clos, resteront interdites, au moins jusqu'au mois d'août. Les manifestations sportives rassemblant plus 5 000 personnes sur un même lieu ne seront pas possibles non plus jusqu'à fin août ou début septembre 2020.

J'échange actuellement avec mes homologues européens pour améliorer notre coordination. Chaque pays a été touché de manière différente, impliquant des réponses adaptées, mais je crois beaucoup dans les vertus de ces échanges. Ils sont essentiels pour garantir la meilleure reprise pour tous de nos championnats nationaux et européens.

Nous sommes conscients des conséquences économiques lourdes générées par le caractère progressif du déconfinement. Cela paraît néanmoins indispensable pour qu'il soit efficace et pour éviter tout risque de reprise massive des contaminations.

En fonction de l'évolution concrète de la pandémie, il conviendra de revoir ces modalités, d'ici à la fin mai. D'ores et déjà, plusieurs pistes commencent à être envisagées. Je veux rappeler toutefois que les interdictions que j'ai évoquées jusqu'à août prochain sont, pour nous, des objectifs réalisables si la situation sanitaire s'améliore conformément à nos attentes. Il nous faut donc avoir l'humilité et l'honnêteté de dire que ce calendrier pourrait être repoussé, mais certainement pas avancé. Je serai évidemment pleinement à l'écoute de vos différentes interventions et de vos retours de terrain sur ces sujets.

Nous devons aussi nous projeter sur « l'après », d'envisager les pistes qui nous permettront de soutenir l'ensemble du mouvement sportif gravement touché dans la période. Le risque, que nous devrons collectivement surmonter, est celui de l'affaiblissement des associations sportives, de leur structure financière et de leurs emplois. Le risque est aussi celui de la baisse de l'engagement sportif à la reprise, des bénévoles comme des pratiquants.

Nous devons donc penser déjà à un plan de relance global et coordonné avec l'ensemble des acteurs, notamment les collectivités territoriales. Nous avons déjà engagé ce travail avec tous nos partenaires, en identifiant plusieurs thématiques stratégiques : le soutien à la pratique ; le soutien aux fédérations et aux clubs ; les déclinaisons territoriales et l'emploi ; la place des services de l'État, des établissements, de l'ANS, de la formation et du sport de haut niveau ; enfin, le soutien économique aux acteurs et au sport professionnel, grâce à la mobilisation de Bpifrance, de France Sport Expertise, ou de Business France.

Je souhaite vous associer au mieux à toutes nos réflexions autour de ce plan de relance, qui devra aussi faire l'objet d'aménagements législatifs et réglementaires. Après la première loi d'urgence du 23 mars 2020, de nombreuses ordonnances adoptées ont concerné le sport, sur les plans administratif, social ou financier. C'était indispensable pour aider nos associations et nos agents économiques. Une seconde loi d'urgence devrait permettre de sécuriser les décisions des fédérations et des ligues professionnelles face aux risques de contentieux en ce qui concerne l'arrêt de leurs compétitions 2019-2020, sans pour autant interdire d'éventuels recours. Enfin, un décret « sport » est également en préparation pour prendre en compte les évolutions réglementaires liées à la crise et au report des jeux de Tokyo de 2020 à 2021. Il concernera en particulier la possibilité pour les fédérations de décaler jusqu'au 30 avril 2021 le renouvellement de leurs instances dirigeantes.

Au-delà de ces évolutions, nous devons déjà nous projeter un peu plus loin pour penser au sport d'après la crise et approfondir nos réflexions sur la place qu'il devrait occuper dans notre société. Là, encore, j'aurai besoin de vous.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie d'avoir rappelé que le sport regroupe à la fois le monde professionnel et la pratique amateur. Il s'ancre dans des territoires et les collectivités territoriales jouent un rôle important. Vous avez aussi souligné que le sport constitue un secteur économique, avec des enjeux financiers non négligeables, et l'interruption du versement des droits télévisés risque de le fragiliser.

Je vous prie de bien vouloir m'excuser, mais je dois vous quitter avant le terme de l'audition : je dois intervenir en séance, dans le cadre du débat sur la prolongation de l'état d'urgence. Je cède donc la présidence à M. Leleux.

- Présidence de M. Jean-Pierre Leleux, vice-président -

M. Jean-Jacques Lozach . - Merci, madame la ministre. Vous avez détaillé l'action de votre ministère et du Gouvernement. Le sport est fortement frappé par la crise. Les clubs et les associations sont victimes d'un effet ciseau, entre la baisse de leurs recettes et le maintien de leurs charges fixes. Dès lors, pourriez-vous nous en dire plus sur les priorités du plan de relance que vous envisagez et sur ses modalités de financement ?

Vous avez dressé le bilan de la loi instituant l'Agence nationale du sport, dont notre collègue Claude Kern était le rapporteur, mais beaucoup de décrets d'application ne sont pas encore parus, qui auraient facilité la déclinaison territoriale de l'agence. Ces décrets seront-ils bientôt publiés ?

Le sport professionnel semble riche, en particulier le football et le rugby, mais, avec la crise, il apparaît un petit peu comme un colosse aux pieds d'argile. Patrick Wolff, le président de l'association des ligues de sport professionnel, nous indiquait ce matin que les clubs pourraient tenir financièrement jusqu'à la fin du mois d'août, mais craignait des difficultés par la suite. Ne faudrait-il pas repenser le modèle, très inflationniste, du sport professionnel, qui semble vivre un petit peu au-dessus de ses moyens ?

Enfin, le débat est-il définitivement clos sur le calendrier de reprise et la possibilité d'organiser des événements sportifs à huis clos en août - je pense notamment aux finales de la Coupe de France de football ou de la Coupe de la Ligue ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre . - Je veux rappeler l'importance de l'ANS, qui a permis la mise en place d'une gouvernance partagée, en associant tous les acteurs et, notamment, les collectivités territoriales. Les décrets que vous évoquez sont presque finalisés.

Le plan de relance devra s'articuler avec les actions entreprises à tous les niveaux : local, départemental, régional et national, mais aussi privé, car le sport bénéficie de financements de sources très diverses. Le ministère a pleinement défendu la place du sport. Celui-ci relève, en France, de la compétence de l'État, à la différence de certains de nos voisins. C'est ce qui nous a conduits, en toute connaissance de cause, à annoncer la suspension des compétitions. L'État jouera son rôle et nous serons attentifs à la déclinaison territoriale du plan de relance. Il s'agit de soutenir l'emploi, d'aider les petites associations tout comme le monde du sport professionnel. Les clubs souffrent de la perte des recettes de billetterie et de l'interruption du versement des droits de retransmission audiovisuelle, car les diffuseurs n'ont pas joué le jeu, alors que leurs charges fixes demeurent. Ils sont donc pris en étau. Les mesures que nous avons prises, en faveur du chômage partiel ou avec les prêts garantis, constituent une aide précieuse, mais elles ne pourront pas durer toujours.

La Ligue de football professionnel proposait de reprendre les compétitions le 13 juin, pour finir la saison le 3 août. Comme le Premier ministre l'a indiqué lors de la présentation de la stratégie de sortie du confinement, les saisons des sports professionnels, notamment celles de football ou de rugby, sont terminées. Cette décision était inéluctable dès lors que l'on veut respecter les mesures de prévention sanitaire, fondées sur la distanciation sociale, les gestes barrières et la limitation des déplacements. Il reste une incertitude pour l'organisation d'événements sportifs en août, qui peut être envisageable, avec un nombre limité de personnes, si l'évolution de l'épidémie est positive et que nous n'avons pas à redescendre d'une marche dans le confinement. Toutefois, quoi qu'il arrive, les événements qui regroupent plus de 5 000 spectateurs ne pourront se tenir avant septembre. Une inconnue tient aussi aux possibilités d'entraînement, car, avant de reprendre la compétition, les sportifs doivent pouvoir s'entraîner ensemble ; or, dans les conditions sanitaires actuelles, cela n'est pas possible. Cela vaut aussi pour les sports de contact.

Dans les sports individuels, en revanche, il sera possible de reprendre l'entraînement. C'était une mesure très attendue.

M. Michel Savin. - Les fédérations et les clubs amateurs craignent de voir le nombre de licenciés chuter l'année prochaine, de l'ordre de 5 à 10 %. Comment les soutenir ?

Le monde du sport de haut niveau est préoccupé par la baisse du nombre de contrôles antidopage. Quelles mesures allez-vous prendre pour rétablir ces contrôles ?

Vous avez évoqué l'association entre les collectivités territoriales et l'éducation nationale à travers le dispositif 2S2C. Le Premier ministre a annoncé des aides aux collectivités territoriales. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet ? De même, pourriez-vous nous donner des précisions sur le calendrier de réouverture des piscines, car les collectivités sont en train de recruter les maîtres-nageurs ?

Une ordonnance, en préparation, prévoit d'autoriser les clubs ou les organisateurs d'événements sportifs qui ont été annulés à proposer aux titulaires de billets ou d'abonnements des avoirs, au lieu de remboursements. Pourquoi ne pas instaurer plutôt un crédit d'impôt ? Cela soulagerait la trésorerie des clubs. Les recettes des clubs professionnels reposent essentiellement sur la billetterie, plus que sur les droits de retransmission audiovisuelle. Ils craignent une baisse du nombre de spectateurs à la rentrée. Là encore, quelles mesures envisagez-vous pour les soutenir ?

M. Claude Kern . - Je me permets de vous reposer la question de Jean-Pierre Leleux sur les décrets concernant le fonctionnement territorial de l'ANS, car vous n'y avez pas répondu : quand paraîtront-ils ? Allez-vous tenir compte de nos propositions ?

Vous avez rappelé l'importance économique du sport et le nombre d'emplois directs ou indirects induits. Les clubs rencontrent des difficultés financières à cause de la crise. Certes, le Gouvernement a mis en place des aides, mais celles-ci ne suffiront pas à compenser les pertes de recettes. Ne conviendrait-il pas d'envisager d'autres solutions, comme une baisse de la TVA, une baisse des charges ou un relèvement du plafond de la réduction d'impôt au titre des dépenses de mécénat dans le sport ou de sponsoring ?

Vous avez dit que le débat sur la date de la reprise était clos. Mais avant de pouvoir reprendre, les sportifs ont besoin de plusieurs semaines d'entraînement. Autant le confinement pouvait être brutal, autant la reprise de la compétition ne pourra être que progressive. L'Union des associations européennes de football (UEFA) envisage une reprise de la Ligue des champions en août. Le Paris Saint-Germain et l'Olympique Lyonnais, qui sont encore en course, risquent d'être pénalisés, alors que les clubs espagnols, italiens ou allemands auront déjà repris l'entraînement. De même, comment envisagez-vous la reprise pour les sports en salle, comme le basketball, le handball, ou le volleyball ?

M. Jacques-Bernard Magner . - J'aurai une critique et une question. Une critique, tout d'abord : pendant le confinement, le sport n'a pas eu la part qu'il méritait. On a privilégié la restriction. Il aurait certainement été possible de maintenir la pratique d'activités sportives individuelles, avec des conditions, mais la limitation de la pratique sportive à un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile était pour le moins ridicule et difficile à faire respecter !

Une proposition, ensuite. Pendant des années, les petits clubs et le monde amateur ont pu bénéficier d'emplois aidés. Mais la ministre du travail a eu la bonne idée de les supprimer... Le nouveau dispositif n'est pas adapté. Or on compte beaucoup sur le monde associatif lorsqu'il y a une crise. Aujourd'hui, les besoins sont énormes. Ne pourrait-on pas rétablir ces emplois aidés pour les collectivités territoriales et les associations sportives ?

Certains clubs professionnels et certaines fédérations disposent de moyens considérables grâce aux droits de retransmission audiovisuelle et mènent grand train, mais ne soutiennent guère le monde amateur. Comment comptez-vous aider ce dernier ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre . - En ce qui concerne les associations, nous travaillons à un plan de relance, qui ne sera pas uniquement ministériel, mais qui sera réalisé en lien avec toutes les fédérations. Celles-ci ont tout à fait conscience que la situation des clubs amateurs est difficile. Monsieur Magner, je ne partage pas votre point de vue, car beaucoup de Français ont découvert le sport à l'occasion de cette crise. Le sport figurait d'ailleurs parmi les cinq exceptions de sortie autorisées - ce n'était pas le cas en Espagne ou en Italie. Le Premier ministre a insisté à plusieurs reprises sur l'importance de pratiquer un sport pour la santé. Cette reconnaissance du rôle du sport en termes de santé publique constitue un bon signal. L'enjeu aujourd'hui est de ramener le public vers les associations sportives, en surmontant la peur de la maladie. Nous devons travailler à une campagne nationale de communication en ce sens auprès du public, tout en déployant évidemment des aides pour soutenir les emplois ou contribuer aux frais de fonctionnement.

Une ordonnance est en préparation qui s'inspire du tourisme et autorise les organisateurs d'événements sportifs à proposer aux détenteurs de billets un avoir, au lieu d'un remboursement, afin de soulager leur trésorerie. Nous n'avons pas voulu aller jusqu'au cas des associations, laissant le soin aux fédérations de gérer la situation avec leurs licenciés. Je note avec intérêt votre proposition de crédit d'impôt et nous y réfléchirons avec attention. Les clubs dépendent aussi des financements privés. Or, ceux-ci risquent de diminuer avec la baisse des dépenses de publicité et de communication. C'est pourquoi nous sommes en train d'étudier avec Bercy des manières d'inciter les entreprises à maintenir leurs investissements dans le sport.

En ce qui concerne les équipements sportifs et les piscines, nous travaillons avec l'Andiiss et l'Andes à un plan de réouverture dès que les conditions sanitaires le permettront. Je sais très bien que la préparation physique ne suffit pas et que les nageurs de haut niveau ont besoin d'aller à la piscine pour s'entraîner et pouvoir exercer leur métier, au même titre que les autres professions, mais la réouverture des équipements dépendra de l'évolution de l'épidémie.

Le sport à l'école est important. C'est aussi une opportunité pour les associations de reprendre contact avec les jeunes et les familles. Son développement est au coeur du plan 2S2C sur lequel nous travaillons avec Jean-Michel Blanquer et Gabriel Attal. Nous comptons, d'ailleurs, sur vous aussi pour inciter les collectivités territoriales à rejoindre cette initiative. Nous avons même envisagé avec le mouvement sportif et les associations d'avancer la rentrée sportive, en prévoyant des vacances sportives dès le mois de juillet. Les enfants pourraient ainsi être accueillis dans des stages sportifs à la journée, parallèlement aux activités des centres de loisirs proposées par les collectivités territoriales. De même, les clubs et les associations sportives pourraient proposer des activités lors des colonies de vacances. D'habitude, les clubs s'arrêtent en juillet et en août. Il me semble que, cette année, leur activité devrait plutôt se prolonger. Profitons de l'initiative 2S2C pour nous mobiliser pour accueillir les enfants, avec un nombre d'adultes suffisant pour les encadrer et garantir le respect des normes sanitaires, afin que chacun puisse participer ou envoyer ses enfants en toute confiance.

Les fédérations de sports collectifs ont mis un terme aux saisons en cours. Les compétitions reprendront en septembre, si tout va bien. Certaines fédérations, comme la Fédération française de tennis, la Fédération française de football ou la Fédération française de cyclisme ont créé des fonds de solidarité en faveur du monde amateur. Nous appuyons ces initiatives. De même, l'ANS a maintenu toutes ses subventions et en facilite les modalités d'accès. Nous ne voulons pas non plus supprimer les aides aux organisateurs d'événements sportifs, même si ceux-ci ont dû être annulés.

En ce qui concerne les contrôles antidopage, nous avons rencontré des difficultés, car les personnels de l'Agence française de lutte contre le dopage ont été mobilisés pour faire face à la crise sanitaire. De plus, comme les compétitions ont été supprimées à cause du confinement, le nombre de contrôles a baissé mécaniquement, mais ceux-ci n'ont pas cessé et les sportifs doivent toujours transmettre leur localisation à l'agence. Nous poursuivons aussi notre effort de prévention. Nous avons ainsi préparé un guide spécifique pour le sport de haut niveau, qui explique clairement que le dopage est dangereux pour la santé.

Enfin, les décrets que vous évoquez devraient paraître avant l'été. Nous espérons pouvoir organiser des conférences régionales du sport à la rentrée, avec comme thématique prioritaire le plan de relance dans le sport.

M. Antoine Karam . - Madame la ministre, je vous parle depuis la Guyane. Les outre-mer ont beaucoup apporté au sport français, j'ai en particulier une pensée, que vous partagerez sans doute, pour Malia Metella, première vice-championne olympique de natation issue de l'outre-mer, ainsi que pour son frère Mehdy. Je suis moi-même adepte de sport amateur et je considère que le mouvement sportif est le premier parti de France !

Les associations sportives ont-elles bien bénéficié des dispositifs prévus au même titre que les entreprises en difficulté ? Beaucoup d'actions bénévoles ont été menées dans les clubs, comment s'assurer que ceux-ci ont bien été informés, afin qu'ils ne passent pas à côté des aides financières et organisationnelles auxquelles ils pourraient prétendre pour relancer leur activité dans les semaines qui viennent ? Le sport est en effet un facteur important de socialisation.

Mme Mireille Jouve . - Je partage les préoccupations de mes collègues quant au soutien aux clubs sportifs amateurs, à la baisse des subventions et à la disparition des emplois aidés.

S'agissant de la réouverture de certains équipements sportifs, l'équitation ou le golf se pratiquent dans un cadre spatial peu contraint permettant le respect de la distanciation sociale. La réouverture des parcours de golf et des centres équestres pourrait-elle être envisagée dès le 11 mai, afin de permettre à ces clubs de respirer financièrement ? La même question pourrait être posée à propos de la navigation de plaisance, des sports nautiques et d'autres activités encore.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Madame la ministre, vous nous invitez à porter sur votre action un regard critique et bienveillant, je commencerai par la critique. Les propos que vous avez tenus le 22 avril, selon lesquels, par les temps qui courent, « le sport n'est pas prioritaire », étaient d'une grande maladresse, en particulier au vu de la diminution apparente de la surface de votre ministère. Vous avez, certes, rectifié le tir le 24 avril, mais le mal était fait. Pourtant, il n'y a pas de meilleur moment pour promouvoir le sport-santé, un axe important, auquel le Sénat est particulièrement attaché. L'occasion est inespérée : j'ai personnellement vu des gens qui ne couraient jamais s'y mettre. Pourquoi ne vous exprimez-vous pas plus à ce sujet ?

J'ai une pensée, en ce 5 mai, pour mes amis corses : ce jour-là, en 1992, des amateurs de football sont morts en assistant à un match. Pourquoi ne soutenez-vous pas plus Mme Nathalie Boy de la Tour, dans sa tentative de remettre un peu d'humanité dans ce sport populaire ? Les taux d'imposition du football professionnel ne sont pas à la hauteur de ce que celui-ci rapporte ; pourquoi ne vous entend-on pas militer pour plus de raison et de solidarité, en particulier au vu de ce que nous allons vivre après le Covid-19 ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre . - La phrase que vous citez a été reprise par L'Équipe sans être remise en contexte ; répondant à une question sur Eurosport, j'ai dit que la santé primait la reprise des compétitions : la priorité, c'est la vie et la santé des athlètes et de nos concitoyens. Je l'assume particulièrement en ce 5 mai !

On connaît les vertus du sport spectacle professionnel, qui représente la quintessence du sport populaire et son rôle dans le quotidien des Français. Ce secteur dispose d'énormément de moyens. J'ai dit il y a deux jours, provoquant la colère de certains présidents de clubs, qu'il n'était pas normal que l'on ne soit pas plus précautionneux en matière d'investissement. Voyez : en un mois de crise, cet écosystème est à genoux. Ce n'est pas possible. Il faut remettre ce fonctionnement en question. Je discute avec Mme Nathalie Boy de la Tour tous les deux jours, les décisions prises le sont en concertation avec elle et avec les instances du football amateur comme professionnel.

Ce n'est pas facile : dans cette période où les médias sont à la recherche de sujets, ils ne parlent malheureusement que du spectacle et pas du sport-santé ou du sport-inclusion. Le contexte a permis au ministère des sports de sortir des tiroirs des éléments sur ces sujets, mais nous dépendons de l'espace médiatique pour le faire savoir ; or, même pendant cette période, c'est le sport professionnel qui intéresse les médias spécialisés, plutôt que des sujets comme la santé ou l'écologie, alors que les compétitions ne peuvent avoir lieu. C'est incroyable ! Il y a pourtant beaucoup d'autres thèmes à traiter. Nous y travaillons donc, même si nous ne parvenons pas toujours à en parler.

En outre, le déconfinement scolaire est prioritaire et je suis heureuse que le sport vienne, dans ce domaine, en soutien à l'éducation nationale. Je sais qu'Olivier Véran est convaincu par le thème du sport-santé, et nous l'évoquerons avec lui dès qu'il pourra souffler. Comme nous l'avions annoncé avec Agnès Buzyn, nous venons de lancer la deuxième vague de labellisation des maisons sport-santé. Notre engagement à terme est d'en ouvrir 500 - il est tenu - et nous mettons ainsi en réseau des acteurs qui feront du sport un véritable outil de santé publique pour aider les gens, physiquement comme mentalement.

Monsieur le sénateur Karam, je vous le confirme, je me suis battue pour que les associations soient nommément inscrites dans la loi, et c'est bien le cas. Il existe 380 000 associations sportives en France, je ne suis pas en mesure d'adresser un mail à chacune d'entre elles, nous misons sur la communication publique via les fédérations pour faire passer le message, et nous comptons également sur vous, parlementaires. Les associations ont accès au Fonds de solidarité, elles peuvent bénéficier du chômage partiel, de prêts garantis par l'État, et les travailleurs indépendants, les auto-entrepreneurs, peuvent être compensés des non-rentrées d'argent, voire du manque de chiffre d'affaires.

La reprise va être possible pour ces associations et les clubs sportifs, y compris pour ceux qui proposent des sports de contact. Il s'agira alors de proposer d'autres activités, conformes aux règles sanitaires, à leurs adhérents. Nous avons besoin que le monde associatif parvienne à restaurer du lien social, par groupes de plus en plus grands.

M. Michel Laugier . - Qu'en est-il du renouvellement des instances fédérales, repoussé en fin d'année ? Ne serait-il pas préférable de le programmer après les jeux Olympiques, soit vers l'automne 2021 ?

Pourriez-vous préciser l'aide au sport amateur et aux collectivités locales ? La période a donné lieu à des dépenses imprévues et à un manque de recettes, les budgets sont donc limités. En outre, le sport amateur repose également sur l'aide des entreprises locales, lesquelles vont également faire face à des problèmes financiers. Comment envisagez-vous la reprise dans ces conditions ?

Au vu de la cacophonie qui a accompagné la décision de mettre fin aux championnats, notamment de football, ne faudrait-il pas revoir la structure des instances ? Entre fédérations et ligues, il y en a peut-être une de trop.

Mme Céline Brulin . - Le dispositif 2S2C accompagne la reprise de l'école et le ministre, M. Blanquer, ainsi que les autorités académiques fondent beaucoup d'espoir dessus pour accueillir les enfants en petits groupes. Cependant, à chaque fois qu'il est évoqué, c'est pour solliciter l'aide des collectivités territoriales dans sa mise en oeuvre. Pouvez-vous préciser quels moyens votre ministère, en particulier, serait en mesure de déployer, en lien, par exemple, avec les clubs sportifs, lesquels pourraient ainsi relancer leur activité ?

En outre, j'espère trouver en vous une alliée pour obtenir la réouverture des plages. Je suis élue de Normandie, nous disposons de très grandes plages, avec des marées, il faudrait les rouvrir à la pratique sportive, car c'est possible sans créer d'attroupements, notamment à marée basse. Nous pouvons laisser cela à l'appréciation des maires, qui sauront en décider. Ce serait de bon sens : les parcs et les jardins publics seront ouverts, il serait incompréhensible que les plages ne le soient pas, d'autant plus que, dans ce cas, la limite de 100 kilomètres désavantagerait les habitants du littoral en excluant de larges territoires de la pratique sportive.

Enfin, tout le monde réfléchit au monde d'après, certains de mes collègues ont souhaité un plus grand ruissellement des ressources du sport professionnel vers le sport amateur. La pratique sportive s'est développée durant cette période de confinement, mais souvent derrière un écran, et cela pourrait donner lieu à des comportements nouveaux. À l'avenir, comment permettre aux clubs amateurs de prendre leur part de ces nouvelles activités ? Ne pourrait-on pas envisager de créer une plateforme publique proposant des activités en ligne en s'appuyant sur la richesse du tissu associatif de nos territoires ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Les salles de sport et de fitness ont fait preuve de beaucoup de créativité et d'adaptabilité pour fonctionner à distance au profit de leurs 6 millions d'adhérents, mais plusieurs patrons d'enseignes du secteur accusent les banques de traîner les pieds pour leur accorder des suppléments de trésorerie, alors même que les salariés ont bénéficié du chômage partiel et que les coachs sportifs indépendants ont été aidés par l'État. Pourriez-vous influer pour les aider ?

Je suis une élue parisienne et je vis à proximité du stade Roland-Garros. Ce tournoi permet à la Fédération française de tennis de financer les 8 000 clubs français. Vous avez annoncé que celui-ci ne pourrait se tenir fin septembre que s'il était possible d'autoriser alors la présence de public. Envisagez-vous de lui permettre de se dérouler à huis clos, le cas échéant, afin de limiter les dégâts ? Il est important qu'il se tienne coûte que coûte en raison de l'impact social et économique de ce sport, auquel je suis moi-même particulièrement attachée.

Enfin, l'organisation des jeux Olympiques de 2024 semble menacée, puisque l'on évoque un surcoût de plus de 3 milliards de dollars en raison du report d'un an des jeux de Tokyo.

Mme Colette Mélot . - Je reviens sur la question concernant la reprise des activités équestres, qui est restée sans réponse : comme d'autres secteurs, les poneys-clubs et les centres équestres ne peuvent recevoir de public en vertu du décret du 23 mars. Malgré les annonces autorisant les groupes de dix personnes en extérieur, ces structures demeurent dans l'expectative. Or, outre les activités équestres de plein air, les manèges revêtent des caractéristiques qui rendent possible le respect des règles sanitaires. À moins d'une semaine de l'échéance, pourriez-vous faire une annonce à ce sujet ?

S'agissant des salles de sport, elles connaissent une application très inégale des règles d'encadrement et des obligations d'hygiène et de sécurité. Les salles low cost , en particulier, fonctionnent sous statut simple de loueur d'espace et s'affranchissent des règles de sécurité. C'est alarmant, d'autant que la réouverture prochaine ne tient pas compte de ces différenciations réglementaires. Ne faudrait-il pas rehausser à long terme les obligations d'hygiène et de sécurité pour l'ensemble des salles et organiser une réouverture différenciée selon le nombre d'adhérents par mètre carré ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre . - Monsieur le sénateur Laugier, le Premier ministre a annoncé la reprise individuelle du sport, amateur comme professionnel, parce que c'était simple : il suffisait d'aller au-delà de la règle du « un kilomètre » et d'élargir la limite de rassemblement à dix personnes. Il reste maintenant à prendre en compte les spécificités de chaque discipline. C'est un travail complexe que nous menons avec les représentants des différents sports : les 114 fédérations ont chacune été chargées, par avance, d'élaborer un guide spécifique. Elles étaient un peu perdues, car elles ne pouvaient pas se projeter sur une date, mais nous leur avons demandé d'y travailler.

Les sports avec animaux relèvent conjointement de mon ministère et du ministère de l'agriculture, qui a soutenu la filière de l'équitation, par exemple, pour tout ce qui concerne la nécessité de nourrir les animaux. Nous travaillons sur leur reprise. S'agissant des pratiques dans les grands espaces : montagnes, mer, lacs, plans d'eau, forêts, la question relève d'un arbitrage interministériel, car, dans les zones rouges, ces espaces resteront fermés, ou seront refermés. Selon le code couleur, il restera possible, pour les préfets, d'aller au-delà ou en deçà des préconisations. Nous étudions, par exemple, la possibilité de mettre en place des plages dynamiques, comme les parlementaires nous l'ont proposé, qui ne soient que des lieux de passage et non des endroits où déposer sa serviette, car il faut se battre contre le relâchement. Nous ne retrouverons pas le bien-vivre ensemble tout de suite.

Nous sommes toutefois conscients que les sportifs de haut niveau doivent pratiquer en mer, de même, les nageurs ont besoin, à défaut de piscines, d'avoir accès à des lacs, à des plans d'eau en plein air, voire à la mer.

La troisième étape sera l'ouverture des équipements au grand public, lorsque cela sera possible. Nous y travaillons, les sportifs, les associations et les fédérations de marche, d'équitation ou d'escalade, qui ont l'habitude des grands espaces, ont besoin d'être rassurés et nous sommes en contact avec eux. Je comprends leur impatience, mais cela ne revêt aucun caractère d'urgence, contrairement au déconfinement scolaire. Il s'agit de sortir progressivement du confinement afin d'éviter l'afflux de populations. Je vous rappelle que le sport est à la jonction entre plaisir, loisir, passion, et métier.

Concernant les salles de sport et de fitness, elles sont considérées comme les autres établissements recevant du public (ERP) et sont contrôlées. Malgré le caractère privé plus qu'associatif de ces structures, les agents de mon ministère ont vocation à opérer ces contrôles et ces salles ne pourront rouvrir qu'en respectant les règles que le secteur aura lui-même édictées. Comme les hôtels et les restaurants, ces établissements auront besoin d'un accompagnement plus important de l'État : ils sont inclus dans le plan de continuation économique jusqu'à la fin du mois de juin, qui prévoit un report de charges, voire une annulation des charges fiscales et patronales, dans des proportions qui vont au-delà de ce qui est prévu pour d'autres secteurs. Nous suivons cette situation de très près.

Vous m'interrogez sur Roland-Garros et sur les grands événements, comme les jeux Olympiques. Notez que les mesures qui s'imposeront pour l'organisation de ces derniers avaient déjà été prévues avant la crise, car nous avions conçu un projet inclusif, écologique et économique puisque 5 % seulement des équipements devront être construits. Il y aura sans doute des dépassements de coûts, mais la situation est contrôlée activement de manière collaborative par l'État et les collectivités territoriales concernées et les ajustements éventuellement nécessaires seront décidés conjointement. Le report des jeux de Tokyo et l'incertitude sur les compétitions à l'avenir sont inquiétants, nous faisons ce que nous pouvons pour rassurer les acteurs concernés.

À mon sens, Roland-Garros n'a de sens que si le public peut y assister. Si ce n'était pas possible, il faudrait au moins que les joueurs puissent s'entraîner, se rencontrer et voyager. Tous les scénarios sont à l'étude, mais ce sont les organisateurs qui ont proposé des reports tant que la tenue du tournoi en configuration classique n'était pas envisageable.

S'agissant du Tour de France, l'Union cycliste internationale (UCI) a annoncé un calendrier prévoyant des compétitions préparatoires en août. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que les compétitions puissent reprendre, avec pour priorité la sécurité des sportifs et en anticipant la reprise des entraînements en amont.

La date des élections fédérales a fait l'objet d'un consensus général de toutes les fédérations et du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et a été fixée au 30 avril de l'année prochaine. Nous pensions aussi que l'on nous proposerait de les tenir après les jeux Olympiques, mais nous avons apprécié cette décision commune comme un geste démocratique marquant l'attachement au respect des mandats et aux modalités d'élection. Les élections au CNOSF auront ainsi lieu au mois de juin ; l'ANS devra donc jouer pleinement son rôle pour assurer la continuité technique et sportive, dans la mesure où la gouvernance sera susceptible de changer quelques mois avant les jeux Olympiques, afin de garantir la stabilité des préparations comme des critères de sélection.

Je n'ai pas l'intention de m'immiscer dans la gouvernance des instances sportives, qui relève d'une réflexion commune à mener entre le sport professionnel, les clubs, la Fédération et la Ligue. Le lien est très fort entre le sport et l'État, je le réaffirme, ainsi qu'entre les ligues professionnelles et les fédérations. Ce sont ces dernières qui signent un contrat de subdélégation avec les ligues, lesquelles ne sont donc pas des entités privées et indépendantes : il existe bien un lien entre le sport professionnel et le monde amateur avec des modalités de redistribution financière et d'équité, dont on peut discuter. Le contexte est en effet propice à réfléchir à tout cela, et j'aurais préféré que les quelques mois de confinement permettent aux acteurs de se poser les bonnes questions plutôt que de se demander quel jour il fallait arrêter le championnat.

Enfin, en ce qui concerne le protocole 2S2C, nous avons mobilisé l'ANS pour réorienter des moyens vers l'éducation nationale ; les fédérations sont très intéressées, car elles recherchent depuis longtemps ce lien avec l'éducation nationale, et le mouvement sportif est très heureux d'y être associé. Les modalités de cette mobilisation feront l'objet de discussions avec les collectivités territoriales.

Audition de M. Didier Guillaume,
ministre de l'agriculture et de l'alimentation

JEUDI 7 MAI 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous continuons notre série d'auditions consacrées à la crise sanitaire en accueillant aujourd'hui Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, pour évoquer la situation de l'enseignement agricole.

Monsieur le ministre, vous le savez, notre commission est particulièrement attachée à cet enseignement. Il constitue un formidable outil pour les jeunes avec des taux d'insertion professionnelle que je souhaite une fois encore saluer : selon les derniers chiffres, le taux net d'emploi à trois ans après la fin de la formation initiale atteint 76 % chez les titulaires d'un CAP agricole, 82 % pour les titulaires d'un bac pro agricole et 90 % pour ceux titulaires d'un BTS agricole.

Surtout, les établissements de formation agricole sont des laboratoires d'innovation, ancrés dans nos territoires et acteurs de la proximité. Nous avons tous des exemples dans nos départements de lycées agricoles, de maisons familiales rurales dont nous sommes particulièrement fiers.

Toutefois, nous avons noté que ni le Président de la République, ni, plus récemment, le Premier ministre dans ses interventions devant l'Assemblée nationale ou le Sénat n'avaient évoqué la situation particulière des établissements d'enseignement agricole. Déjà, les précisions apportées début avril par Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, sur les modalités du bac 2020, ont suscité de nombreuses critiques parmi les syndicats enseignants de la filière agricole. Ils dénonçaient une décision unilatérale de la part du ministère de l'éducation nationale s'imposant à l'enseignement agricole.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l'état de la concertation avec les syndicats, tant au niveau national qu'au niveau régional ? Il semblerait qu'il y ait des difficultés au niveau local avec certaines directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt.

Par ailleurs, pouvez-vous nous faire un état des lieux du suivi pédagogique des élèves pendant la période de confinement ? On parle de 5 à 8 % d'élèves en situation de décrochage dans l'éducation nationale, mais des taux plus élevés pour les lycées professionnels. Qu'en est-il dans l'enseignement agricole ? Quelles solutions ont été mises en place pour permettre cette continuité pédagogique pour les élèves qui ne pouvaient accéder à un enseignement numérique ?

Comment se prépare la réouverture des établissements agricoles et dans quelles conditions ? Les problématiques des transports scolaires, de la restauration et de l'internat y sont particulièrement importantes. Une date est-elle envisagée ?

Toujours dans le domaine de l'enseignement, mais cette fois-ci concernant le supérieur, comment vont se dérouler les concours d'accès aux écoles nationales d'agronomie, vétérinaires ou de paysage ?

Enfin, nous souhaiterions savoir comment la recherche en agriculture, par l'intermédiaire du nouvel Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), se mobilise contre le Covid-19.

Monsieur le ministre, nous vous écoutons.

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Merci madame la présidente, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs. Je suis très heureux de pouvoir échanger avec vous sur l'enseignement agricole et supérieur, aussi précisément que possible compte tenu des constantes évolutions.

La mise en place des mesures de déconfinement dans l'enseignement en général se fait dans le cadre de concertations avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, et Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur. Personne ne comprendrait que chacun reste dans son silo ! Nous avons dans l'enseignement agricole 200 000 apprenants. Il y en a plus de 10 millions dans l'éducation nationale.

Nous travaillons ensemble avec Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, mais nous menons parallèlement des réunions spécifiques avec l'ensemble des syndicats et les Directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) qui sont l'équivalent de nos recteurs. Le déconfinement ne sera réussi que s'il est progressif, à l'inverse du confinement qui a été brutal. Et je tiens à vous assurer, madame la présidente, que nous travaillons en bonne intelligence et en totale concertation, j'y suis très attaché.

Je vous précise que quelques membres de mon équipe assistent à cette visioconférence : Mme Chmitelin, la nouvelle directrice générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) qui était précédemment ma directrice de cabinet, M. Bonaimé jusqu'alors conseiller en charge de l'enseignement agricole et maintenant directeur de cabinet adjoint, M. Ginez, mon nouveau conseiller pour l'enseignement agricole, la recherche, l'innovation et l'installation des jeunes qui était précédemment au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, ainsi que Bénédicte Bergeaud, ma conseillère parlementaire.

Je tiens à saluer le travail accompli par les fonctionnaires de mon ministère, par toutes les personnes en « deuxième ligne » comme l'a évoqué le Président de la République, ainsi que le fort engagement de la « première ligne », représentée par l'ensemble de nos soignants et scientifiques, sans oublier les familles endeuillées et les personnes qui ont souffert.

La « deuxième ligne » a tenu parce que la production et l'ensemble de la filière alimentaire et agroalimentaire ont tenu mais aussi parce que l'enseignement agricole, supérieur et technique a mené ses missions essentielles en assurant la continuité pédagogique. Nos plus de 16 000 enseignants et intervenants n'ont pas failli, même si cela n'était pas simple - j'ai pu le constater lors des comités techniques ministériels qui réunissent les organisations syndicales et le secrétariat général du ministère. La DGER est en constante discussion avec les organisations syndicales.

Nos 138 363 élèves, nos 35 086 apprentis et nos 35 278 étudiants ont tenu.

L'enseignement agricole, une pépite dont je fais une priorité, a su s'adapter à cette crise, parce qu'il est agile. Il est un atout pour l'alimentation et l'agriculture, au moment où cette dernière n'a jamais été autant dans les discussions de nos concitoyens. Nous le savons, c'est par la formation, par l'enseignement technique agricole, la recherche et l'enseignement supérieur que nous y arriverons.

Il me semble important de ne pas oublier : en effet comme je le dis depuis dix ans, et je l'ai récemment rappelé lors d'une précédente audition, l'enseignement agricole perdait des effectifs. Or, si à la rentrée 2018/2019, il y avait 3 000 élèves en moins par rapport à l'année scolaire précédente, il y en a eu 3 000 de plus à la rentrée 2019/2020 ! Nous avons réussi notre pari, grâce à des orientations fortes lancées en totale concertation avec les cadres, les enseignants, les directeurs d'établissements, les collectivités, les élus et les professionnels.

Avant cette crise, j'avais lancé un certain nombre d'orientations pour changer cet enseignement agricole, non pas de fond en comble mais en termes qualitatifs. Nous avons d'abord lancé « L'aventure du vivant » qui a permis de « raccrocher » des élèves. Ils ont ainsi perçu l'enseignement agricole non plus comme un second choix mais comme un primo choix, permettant de leur assurer un travail et des métiers intéressants. La réforme des diplômes a aussi été un choix fort et je souhaite que la Direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) continue d'y travailler. Nous avons voulu « enseigner pour produire autrement » ou plutôt « enseigner à produire autrement » parce que notre formation ne peut être déconnectée de la réalité.

Nous avons également beaucoup travaillé sur la refondation de l'enseignement vétérinaire, pour notamment pallier le manque de vétérinaires en zones rurales.

Enfin, nous avons fait évoluer la doctrine au sein du ministère avec la réforme, absolument indispensable, de la recherche et de l'enseignement supérieur en matière agricole et environnementale, qui s'est traduite par cette magnifique fusion de l'Inra et de l'Irstea, devenus Inrae, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, et avec le lancement du très beau chantier de regroupement des sites franciliens d'AgroParisTech et de l'Inra sur le campus Paris-Saclay.

Enfin, j'ai veillé à ce qu'il n'y ait aucune fermeture d'établissements ou de classes. Je ne fais pas de différence entre les trois familles de l'enseignement agricole, elles sont toutes indispensables. J'ai bien sûr la responsabilité de l'enseignement public mais l'enseignement privé ou les maisons familiales rurales (MFR) jouent aussi un rôle essentiel de maillage sur tout le territoire.

Nous avons souhaité repositionner la formation au plus près des attentes sociétales : la transition agroécologique, qui doit être enseignée et mieux enseignée, le bien-être animal, qui est une préoccupation forte, l'élargissement du champ des compétences transversales : le digital, le numérique, ...

Ces réformes, lancées il y a dix-huit mois, ont été percutées par la crise sanitaire actuelle mais je tiens à affirmer devant votre commission que celle-ci ne doit pas arrêter la dynamique réformatrice du ministère. L'enseignement agricole a su s'adapter, à la fois au niveau de la continuité pédagogique qui est une problématique essentielle, notamment pour les parents, mais aussi au niveau de la continuité productive de nos exploitations agricoles. Je crois que cette visioconférence est retransmise, je tiens donc à préciser que nos exploitations agricoles et nos fermes travaillent et que plus de 95 % des jeunes ont ainsi pu poursuivre leur formation pendant cette période.

Je veux à nouveau saluer la mobilisation sans faille de nos équipes, et contrer les critiques et dénigrements trop faciles envers les fonctionnaires, sur lesquels on peut s'appuyer pourtant en temps de crise. La DGER a fourni un travail remarquable pour permettre l'enseignement à distance, soit par internet - 12 000 classes virtuelles ont été ouvertes, ce qui est conséquent au regard de la taille de notre ministère - soit par les services de Docaposte. J'ai bien entendu les remarques émises par certains sénateurs sur le fonctionnement de La Poste durant cette crise, mais il n'empêche que leurs services ont permis de faciliter l'échange de documents entre les enseignants et les élèves en rupture numérique, souvent parce qu'ils résident en zones blanches, ou n'ont pas accès à internet.

En totale coordination avec les trois ministères concernés, une Foire aux questions a été mise en place sur internet pour répondre aux nombreux questionnements des jeunes : le passage du bac, la fin de leur stage, l'organisation de la rentrée dans le supérieur, ...

J'ai veillé à ce que l'enseignement agricole soit présent tout au long de cette crise, même si bien sûr certaines de ses spécificités empêchent l'apprentissage à distance, comme la partie service à la personne, notamment dans les MFR.

La mobilisation des écoles vétérinaires dans la réserve sanitaire pour contribuer à la santé de nos concitoyens, celle de nos laboratoires vétérinaires pour les tests et celle de certains de nos internats pour l'accueil des personnes sans domicile fixe et isolées, ont été des actions fortes de solidarité.

Cette crise ne sera pas sans impact sur les effectifs. Nous allons devoir y retravailler, recréer la dynamique que nous avions initiée comme par exemple relancer à la rentrée prochaine le tour de France des territoires, en utilisant le camion de l'Aventure du vivant qui devait aller au plus près des jeunes. L'impact est également social car, comme l'a dit le Président de la République, les conséquences de cette crise n'ont pas été les mêmes selon votre lieu de vie (maison ou appartement, zones rurales ou urbaines) et votre niveau d'équipement (internet, ...).

Je conclurai en rappelant que pour réussir, le déconfinement doit être progressif et être accepté par tous, effectué en coordination entre nos ministères précédemment cités mais également celui du travail en ce qui concerne nos Centres de formation des apprentis (CFA) et nos centres de formation professionnelle et de promotion agricole (Cfppa). Il doit aussi inclure, M. Karam sait que nous y veillerons, les territoires d'outre-mer.

Cette concertation devra également se faire en interne et tenir compte des spécificités, dont celles de nos lycées multi-pôles et multi-sites qui regroupent les Cfa, Cfppa, exploitations, centres équestres, ... ; l'internat par exemple représente 100 000 de nos 200 000 apprenants, soit 50 % d'entre eux, contre 10 % dans l'éducation nationale. Il faudra continuer de les loger en appliquant les mesures sanitaires, la sécurité des enseignants, des élèves et de tous les personnels étant une priorité. Il n'y aura pas de reprise des cours si la sécurité sanitaire ne peut pas être assurée.

Cette crise a révélé l'importance de la souveraineté alimentaire qui ne pourra se faire qu'avec le renouvellement des générations auxquelles nous devons donner des perspectives positives.

L'enseignement agricole doit continuer à jouer un rôle moteur pour l'économie et la population. Si nous sommes capables de jumeler formation, éducation, recherche avec compétitivité et innovation, et ce à tous les échelons, national, régional, local, et en concertation avec les enseignants et les syndicats, nous atteindrons notre objectif principal qui est de voir nos jeunes continuer à apprendre. Vous avez évoqué, madame la présidente, le taux de 5 % de décrocheurs : il nous faut impérativement le diminuer.

Nos lycées agricoles, techniques, les MFR, les CFA, vont donc ré-ouvrir progressivement et tranquillement, dans le cadre de la prévention et de la sécurité sanitaire, et nous suivrons individuellement tous ceux qui ne pourront être présents physiquement.

Je suis prêt à répondre à vos questions, en vous rappelant combien notre ministère, mon cabinet et la DGER sont à votre disposition madame la présidente ainsi qu'à celle des membres de votre commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie monsieur le ministre pour ce propos liminaire complet. Je tiens à vous dire que notre commission a à coeur de suivre de très près les conséquences de cette crise sanitaire, secteur par secteur. Nous avons ainsi constitué un groupe de travail transpartisan, animé par notre collègue, Antoine Karam, qui auditionne et consulte, en lien avec votre ministère. Cette audition vise à approfondir le travail mené par ses membres qui partagent une passion commune pour l'enseignement agricole. Je donne donc la parole à Antoine Karam, avec nous depuis la Guyane.

M. Antoine Karam . - Je vous remercie, monsieur le ministre, au nom du groupe de travail que je pilote, pour l'ensemble des précisions que vous nous avez apportées.

J'en profite pour saluer l'ensemble de vos collaborateurs et collaboratrices et particulièrement M. Olivier Ginez, qui était il y a peu de temps encore en Guyane dans le cadre d'autres fonctions.

Ce groupe de travail sur l'enseignement agricole, mis en place à l'initiative de la présidente, a auditionné un certain nombre d'acteurs de l'enseignement agricole : des syndicats enseignants, des syndicats des personnels, des représentants de parents d'élèves, des MFR ou encore le Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP). Il en ressort une grande inquiétude pour l'avenir de l'enseignement agricole. Les établissements d'enseignement agricole connaissent des pertes financières importantes. Le CNEAP a ainsi évoqué une perte de 15 millions d'euros. Or, un certain nombre d'exploitations agricoles et d'établissements d'enseignement étaient déjà dans des situations financières compliquées avant même la crise de Covid-19.

À cela s'ajoutent des problèmes de recrutement des élèves : l'enseignement agricole est mal connu. Je sais que votre ministère y travaille pour y remédier. Les journées portes ouvertes, mais aussi l'orientation et l'information en fin d'année scolaire jouent un rôle fondamental pour faire découvrir cette voie d'enseignement. À peine un tiers des élèves inscrits dans les lycées agricoles se destine à des métiers en lien avec le secteur de l'agriculture ! Or, cette année, de nombreux établissements n'ont pas pu organiser de journées portes ouvertes et faire connaitre la diversité des formations proposées. Quant aux conseils de classe et à l'information des élèves, ils se font dans des conditions plus dégradées que les années précédentes.

Enfin, les familles hésitent à inscrire leurs enfants dans l'enseignement agricole, en raison des grandes incertitudes pesant sur leur projet pédagogique : je pense à la tenue des stages, mais aussi aux conditions logistiques d'accueil à la rentrée de septembre 2020. Les établissements ne savent pas si elles doivent accepter le même nombre d'inscription en internat ou bien un nombre plus faible.

Difficulté financière, interrogation sur le maintien du projet pédagogique dans des conditions satisfaisantes, moindre information sur cette filière : l'enseignement agricole est aujourd'hui en grande précarité. De ce constat découlent plusieurs questions :

Premièrement, à combien s'élèvent les pertes financières pour l'ensemble de l'enseignement agricole depuis le début du confinement ? Un soutien financier est-il prévu ? Il en va de l'attractivité de l'enseignement agricole : comment attirer des jeunes alors qu'au même moment l'exploitation agricole de l'établissement dépose le bilan ?

Deuxièmement, pour la première fois depuis de nombreuses années, on a constaté à la rentrée 2019 une augmentation du nombre d'élèves inscrits dans l'enseignement agricole, notamment en raison d'une action volontariste de votre ministère ainsi que du ministère de l'éducation nationale, que je salue. Or, cette dynamique risque d'être cassée. Quelles mesures vont être prises pour faire connaître l'enseignement agricole dans le contexte particulier actuel ?

Troisièmement, que pouvez-vous répondre aux chefs d'établissement et aux familles qui s'interrogent sur des questions logistiques très concrètes mais renvoyant directement au projet pédagogique des lycées agricoles : le maintien d'un nombre suffisant de lits en internat dans le respect des conditions sanitaires, les stages. Sur ce dernier point, votre ministère est-il en négociation avec les branches professionnelles et les entreprises pour permettre le retour des élèves, dans des conditions de formation et de protection satisfaisantes ?

Enfin, quatrième et dernière question : le Gouvernement s'était engagé à porter un plan de requalification et de revalorisation salariale pour les agents de catégorie 3 de l'enseignement agricole privé sous contrat. Revalorisation intégrée au budget lors de l'examen de la loi de finances pour 2020. Cependant, le décret de mise en oeuvre de ce plan n'a visiblement pas encore été pris. Pouvez-vous nous donner votre éclairage ?

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour ces questions très claires.

Les pertes financières pour l'ensemble de l'enseignement agricole depuis le début du confinement s'élèvent à une centaine de million d'euros.

Les Journées portes ouvertes (JPO) n'ont en effet pu avoir lieu mais les JPO virtuelles mises en place se sont très bien passées et ont permis d'informer nos jeunes le mieux possible.

En ce qui concerne les internats, chaque inscription pour l'année scolaire 2020/2021 sera prise en compte et nous ferons le point en septembre, nous ne pouvons le faire avant. S'il nous faut diviser par deux, voire par trois, le nombre de lits, il faudra trouver d'autres modalités pour nos internes. En revanche, je tiens à le souligner : pour la rentrée 2020-2021, nous inscrivons tout le monde.

Le problème qui s'est posé sur les stages et les apprentis a pu être décalé. Et nous travaillons bien sûr, monsieur Karam, en lien avec les filières professionnelles pour que toutes nos formations, initiales et continues, soient en adéquation avec elles.

S'agissant de la revalorisation financière, le Gouvernement s'y était engagé à travers la loi ASAP, mais celle-ci étant stoppée par la crise, la revalorisation est décalée mais ne doutons pas qu'elle sera mise en place dès que possible.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vais maintenant donner successivement la parole à nos deux rapporteurs : Mme Laure Darcos pour la recherche, puis M. Stéphane Piednoir, pour l'enseignement supérieur.

Mme Laure Darcos . - Je souhaite insister, monsieur le ministre, sur le nouvel établissement public, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), qui prend toute sa part dans les projets de recherche sur le Covid-19. Je voudrais que vous puissiez nous parler de cette fameuse protéine qui aurait été trouvée par un laboratoire américain et l'Inrae, démontrant la manière dont celle-ci infecte les cellules et génère ce coronavirus.

Je ne suis pas scientifique, et vous non plus monsieur le ministre, mais cela intéresse nos collègues et je suis fière de voir que l'Inrae contribue à la mobilisation de notre recherche et à cette course contre la montre pour trouver des solutions.

Par ailleurs, à titre personnel, je tenais à vous remercier car vous avez été le premier membre du Gouvernement à défendre les marchés et à dire qu'il fallait les ré-ouvrir, combat pour lequel je me suis beaucoup engagée, et qui a permis de desserrer un peu l'étau pour nos préfets.

M. Stéphane Piednoir . - J'ai quelques questions ciblées sur l'enseignement supérieur. Vous avez évoqué la continuité pédagogique : pouvez-vous nous faire état des difficultés éventuelles rencontrées par les étudiants dans l'enseignement agricole, pour lequel les aspects pratiques sont différents des autres enseignements ? En outre, comment l'interruption de certains stages va-t-elle être prise en compte pour la validation des bacs professionnels, la partie professionnelle étant essentielle dans ce diplôme ?

Pour les BTS agricoles, il a été convenu qu'ils soient évalués de manière continue. Avez-vous connaissance de réticences car c'est justement sur le dernier trimestre de l'année scolaire qu'étaient concentrées certaines pratiques ?

Dernière question sur le recrutement au sein de nos écoles d'agronomie ? Comment se passe-t-il, sachant qu'il existe des difficultés pour examiner les dossiers ? L'ensemble des établissements supérieurs ayant choisi de fermer leurs portes jusqu'en septembre, comment se réunissent les jurys ?

Je partage vos propos quant à la revalorisation du métier et au terme de primo choix que vous avez employé. Ne faudrait-il pas lancer une action de communication sur tous les métiers de l'agriculture pour favoriser l'augmentation des effectifs que vous avez évoquée ?

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Chère Laure Darcos, vous n'êtes pas scientifique mais vous connaissez beaucoup plus de choses que moi dans le domaine de la recherche ! Je suis dans l'impossibilité de vous répondre, mais je vais demander à M. Philippe Mauguin, le président-directeur général de l'Inrae, à l'issue de cette audition, de vous fournir des informations, qu'il faudrait peut-être insérer dans les Faq de notre site internet.

Nos laboratoires vétérinaires travaillent depuis longtemps sur la famille des coronavirus - et ces derniers sont nombreux ! -. Je pense notamment à l'École nationale vétérinaire de Toulouse, et ce n'est pas parce que leur ancienne directrice n'est autre que notre nouvelle directrice générale de l'enseignement et de la recherche ! Mme Chmitelin a mis en place un gros travail de partenariat avec l'Institut Pasteur sur la question de l'air ambiant dans certains locaux hospitaliers, notamment au CHU de Purpan, en lien avec l'Inserm. Je tiens également à citer l'action de l'École nationale vétérinaire d'Alfort dans le cadre du consortium de recherche REACTing.

Je sais d'ailleurs que vos connaissances, madame Darcos, sont telles que vous êtes en mesure de répondre beaucoup mieux que moi à vos questions, mais j'espère que mes réponses vous conviennent !

Je vous remercie, monsieur Piednoir, pour vos questions concrètes auxquelles je vais essayer de répondre tout aussi concrètement. Nos étudiants sont, comme nous, victimes de cette situation mais ils ne doivent pas l'être deux fois plus. Cela a engendré beaucoup de discussions, mais je me suis engagé, à partir du moment où certains élèves étaient en difficulté en terme de stage ou de validation de concours, à ce qu'ils ne soient pas empêchés d'obtenir leur diplôme. Ceci concerne également les BTS agricoles.

Concernant le recrutement pour l'enseignement supérieur et les concours d'accès à nos écoles, la directrice générale de l'enseignement supérieur et de la recherche m'a assuré que le nécessaire avait été fait pour s'adapter aux circonstances, à l'instar des autres concours d'accès aux grandes écoles. Pour exemple, les épreuves du concours A par voie principale après la classe préparatoire, qui réunissent plus de 3 000 candidats, sont devenues des épreuves uniquement écrites.

En revanche, pour les concours parallèles, ceux qui permettent une diversification des profils de recrutement - par exemple, devenir vétérinaire après avoir fait un BTS ou devenir ingénieur agronome par apprentissage -, soit environ 15 000 candidats répartis sur six concours, j'ai obtenu à ce que les entretiens de motivation soient maintenus en juillet, au besoin de manière dématérialisée. Ils jouent en effet un rôle très important pour recruter les futurs vétérinaires et ingénieurs sur des aptitudes et non sur des critères purement académiques.

En ce qui concerne la question de la communication sur les métiers de l'agriculture, nous avions amorcé une grande campagne et je tiens à vous assurer que nous la remettrons en place dès que possible. Cette crise aura au moins permis de mettre en évidence l'agriculture, souvent décriée, toutes les entreprises agroalimentaires, tous les métiers de l'agriculture et notamment ceux liés à la recherche et à l'innovation.

Au sein de mon ministère, sur les 1 000 dossiers qu'il faut gérer quotidiennement, le plus essentiel est l'avenir de nos jeunes, et pour reprendre l'expression du Président de la République, il faut « quoi qu'il en coûte » amener ces jeunes à avoir la meilleure formation possible aux métiers de demain.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous partageons votre avis sur cet enjeu pour les jeunes. Je vais maintenant donner la parole à notre rapporteur chargé de la jeunesse, M. Jacques-Bernard Magner, qui représente le groupe socialiste et républicain.

M. Jacques-Bernard Magner . - Monsieur le ministre, je tiens à vous féliciter pour la réussite de l'opération de soutien aux agriculteurs pour les récoltes que vous avez lancée. Il semblerait que cette réserve sollicitée en l'absence de main-d'oeuvre étrangère ait bien fonctionné. Le Service national universel (SNU) qu'on adosse souvent au secteur militaire, ne pourrait-il pas finalement être utilisé dans ce cadre-là pour nos structures agricoles ? Le Président a évoqué la difficulté alimentaire mais l'agriculture a tenu et a permis que cette période se passe plutôt bien, même si certains agriculteurs n'ont pu écouler toutes leurs marchandises.

Vous souhaitez à juste titre revaloriser l'image de l'enseignement agricole. Les jeunes y vont en effet le plus souvent car ils sont issus de familles d'agriculteurs. Pourtant il y a un certain nombre de métiers aujourd'hui en tension qui attendent des bras mais aussi des têtes car il faut une technicité importante pour être agriculteur. Donc, à la lumière de cette crise, à quelles solutions avez-vous pensé pour que les métiers agricoles soient promus ?

Enfin, s'agissant des stages, qui sont de plus en plus difficiles à trouver pour les apprentis faute d'un nombre suffisant de maîtres-formateurs, ne serait-il pas bon de créer un statut du scolaire alternant pour aider à la recherche de stages auprès des professionnels de l'agriculture et permettre aux jeunes de commencer une formation scolaire en attendant de trouver un contrat d'apprentissage?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vais prendre une série de questions après celles de M. Magner, si vous en êtes d'accord monsieur le ministre, et je vais donner la parole à Mme Vérien pour le groupe Union centriste.

Mme Dominique Vérien . - Monsieur le ministre, Vous parlez de pleine concertation mais les MFR, au moins dans mon département, ne l'ont pas ressenti comme tel. Elles ont même parfois reçu les instructions de votre ministère en même temps que les parents, ce qui a compliqué le fait de se préparer à leur répondre et à les rassurer. Quant aux difficultés de la rentrée, les élèves de ces structures sont parfois six par chambre. Enfin, les élèves des MFR sont parfois éloignés de la nation apprenante et ils ont plutôt besoin de choses pratiques et d'encadrement. J'espère que la concertation dont vous parlez tant va arranger la situation.

Je souhaite aussi parler des stagiaires, pas des apprentis qui, sous la coupe de leur maître de stage, sont sous la responsabilité de l'entreprise, mais des autres, ceux qui sont sous la responsabilité du chef d'établissement. Est-ce à lui de vérifier si l'accueil du stagiaire se fait dans le respect des conditions de sécurité sanitaire actuelles ?

Les portes ouvertes virtuelles réussies que vous avez évoquées n'ont pas été un grand succès pour les MFR. Elles ont donc assez peu d'inscriptions. Or, les financements attribués seront définis sur la base du nombre d'élèves au 1 er octobre. Ne pourrait-on pas décaler d'un ou deux mois ce décompte, car beaucoup de choix risquent d'évoluer en septembre, et ces financements sont importants pour éviter de se séparer de formateurs ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - J'en profite pour excuser Mme Billon qui devait intervenir également pour le groupe Union centriste. Je donne la parole à Mme Brulin, pour le groupe CRCE.

Mme Céline Brulin . - Monsieur le ministre, le Président de la République a annoncé le déconfinement au 11 mai le 13 avril dernier, et la communauté éducative a ressenti que les semaines qui ont suivi n'ont pas été suffisamment mises à profit pour préparer très concrètement la rentrée. Celle-ci devrait s'effectuer pour les lycées, selon l'annonce du Premier ministre, au-delà du 2 juin et commencerait probablement par les lycées professionnels, ce qui ne paraît pas incongru. Si cela inclut, comme nous le pensons au sein de notre groupe de travail, les lycées agricoles, nous disposons d'un peu plus de temps pour véritablement préparer cette rentrée.

Je rejoins les propos prononcés à l'instant : il y a un certain nombre d'acteurs qui ne se sentent pas suffisamment associés. Or certaines questions relatives aux lycées agricoles sont encore plus complexes que celles de l'éducation nationale, comme le décrochage qui semble plus important en cette période d'enseignement à distance.

Il y a aussi la question des internats que vous avez à juste titre évoquée : que faire, lorsque l'on sait que 50 % des élèves sont concernés, et qu'à la reprise éventuelle de juin ou septembre, on ne pourra pas tous les loger dans des chambres collectives ? Même chose pour les transports, les périmètres de recrutement des lycées agricoles étant très larges. Je pense aussi aux demandes qui s'expriment sur le gel des stages, cette question nécessite d'être tranchée même si je conçois que ce ne soit pas simple.

Enfin, deux derniers sujets et non des moindres : avant même la crise sanitaire, la question des seuils de dédoublement étaient souvent évoquée. Celle-ci se pose aujourd'hui avec encore plus d'acuité compte tenu des circonstances qui restreignent le nombre de personnes par groupe. Qu'en sera-t-il à la rentrée ? Et qu'avez-vous également prévu pour tous les emplois directement imputés sur les budgets des établissements et qui, parce que ce sont des contrats de droit public, ne bénéficient pas des mesures de chômage partiel ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - La question des transports renvoie aux régions, vous allez peut-être pouvoir nous en dire plus sur la construction de ce lien avec la collectivité en charge du transport scolaire ? Je donne maintenant la parole à M. Grosperrin, rapporteur des crédits « enseignement scolaire ».

M. Jacques Grosperrin . - La présidente l'a fort bien dit dans ces propos liminaires, l'enseignement agricole est un laboratoire d'innovations, souvent en avance. J'ai le sentiment que le public qu'il concerne est un peu plus fragile et que cet enseignement a été mis un peu plus en difficulté par le confinement ; il semble donc qu'il y ait plus de décrocheurs, certainement davantage que les 5 % annoncés. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont l'enseignement agricole s'est adapté vis-à-vis de ces décrocheurs ?

En ce qui concerne la question de la suppression des stages en entreprises, ont-ils été compensés ou rattrapés, cette expérience étant primordiale ? Comment se prépare le redémarrage des Cfppa ?

Le ministre de l'éducation nationale souhaitait faire reprendre les lycéens des classes à examen uniquement et les classes charnières. Certains demandent la suppression des épreuves de français. Quelle est votre position ?

Et enfin, s'agissant du recrutement au sein des MFR, une crainte existe pour les 4 e et 3 e car il semble que du fait du confinement, les futurs apprenants potentiels aient moins la possibilité de découvrir les formations proposées par les MFR et se retrouvent donc un peu « bloqués » dans le système d'enseignement de l'éducation nationale.

M. Jean-Yves Roux . - Merci monsieur le ministre pour vos propos préliminaires. Mes questions portent sur les lycées et formations supérieures agricoles de type BTS agricoles. Dans le plan de déconfinement présenté récemment au Sénat, il a été annoncé que l'ouverture des lycées ne serait décidée que fin mai et que l'enseignement professionnel serait prioritaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur la validation ou non des années et cursus lorsque les stages n'ont pas pu se tenir et sur le report éventuel de ces stages en juillet ou septembre ?

Est-il envisageable que les étudiants à partir de 16 ans et surtout les apprentis, puissent effectuer des stages dès cet été ? Le cas échéant, comment sera-t-il possible de garantir la sécurité de tous et ainsi aider les petites exploitations à continuer de prendre des stagiaires et apprentis ? Ces exploitations _ vous les connaissez bien au niveau de la Drôme - n'auront pas les moyens sur le long terme de désinfecter et de procurer des masques et des solutions hydroalcooliques.

Mme Colette Mélot . - Merci monsieur le ministre pour toutes les précisions que vous nous avez apportées. Ma première question porte sur l'épreuve orale de français en première STAV (Sciences et technologies de l'agronomie et du vivant). L'intersyndicale nous a récemment informés de sa demande de suppression de ces épreuves, les conditions de préparation compte tenu de l'épidémie ne permettant pas à l'ensemble des élèves d'aborder sereinement cette épreuve mise en place pour la première fois cette année. Quelle suite entendez-vous donner à cette demande ?

Ma deuxième question concerne la réouverture des CFA prévue le 11 mai. Or, nombre de ces centres occupent les locaux des lycées qui resteront quant à eux fermés, leur entretien étant placé sous la responsabilité des conseils régionaux. Comment sera assuré l'accueil des apprentis, des stagiaires et du personnel de ces centres dans le respect des protocoles sanitaires ?

Mme Maryvonne Blondin . - Je regrette, monsieur le ministre, que dans le protocole élaboré par l'éducation nationale, il n'y ait pas eu une fiche spécifique sur les établissements agricoles. L'internat fait véritablement partie du projet pédagogique de l'établissement agricole. Ce projet comporte à la fois un volet éducatif, de vie collective via l'internat, mais aussi un volet d'apprentissage de la vie économique : ces jeunes peuvent y développer un réseau de ventes de leurs produits qui leur permet de mettre en place différentes techniques de commercialisation, en lien avec les producteurs locaux et la population locale. Cela génère des ressources propres qui permettent aux établissements de financer d'autres projets. Or, on connait la fragilité financière de ces établissements, qui risque d'être accentuée par la crise de Covid-19.

Je voudrais également attirer votre attention sur la rentrée normalement prévue le 2 juin prochain pour ces élèves d'internat. Ils viennent de toute la France, selon les spécialités enseignées, et les transports représentent une réelle inquiétude pour les chefs d'établissement. Vont-ils devoir mettre en place une alternance hebdomadaire ?

Ma dernière question concerne l'arrêt des notes prévu pour le 10 juin, alors que la rentrée se ferait le 2 juin. Ne serait-il pas possible de le décaler ? Enfin, comme l'ont indiqué plusieurs de mes collègues, on constate sur le terrain une forte inquiétude pour la rentrée de septembre, notamment sur les effectifs : en effet, la visibilité et la valorisation de l'enseignement agricole ont été moins importantes, en particulier parce que les conseils de classe dans les collèges n'ont pas pu se tenir.

M. Max Brisson . - Je participe au groupe de travail animé par Antoine Karam, et cela m'a confirmé qu'il existe de formidables établissements d'enseignement agricole, toutes filières confondues, lieux d'innovations pédagogiques dont l'éducation nationale pourrait parfois s'inspirer.

Ma question porte sur des publics particuliers, très nombreux dans l'enseignement agricole, on ne le sait pas assez, à savoir les publics à besoins éducatifs particuliers, dont ceux en situation de handicap dont le nombre s'élève, selon les chiffres de votre ministère au 1 er janvier 2019, à près de 2 400. Comment la pédagogie a-t-elle été adaptée pour eux ? Comment s'organise la présence des AESH en classe dans ce contexte de limitation du nombre de personnes et de distanciation sociale ? L'école inclusive s'applique également dans l'enseignement agricole.

Concernant le retour vers l'école, le protocole mis en place par l'éducation nationale s'applique aussi aux établissements d'enseignement agricole. Il n'empêche qu'un particularisme fort existe, ne pourrait-on pas y réfléchir ? Et comme je l'ai déjà demandé à Jean-Michel Blanquer, quels seront les objectifs pédagogiques d'ici le 4 juillet ? Comment prépare-t-on la rentrée de septembre prochain, compte tenu de cette année scolaire écourtée ?

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Je vous remercie pour ces questions précises et concrètes. Tout d'abord, la rentrée de nos établissements est prévue dans un mois, ce qui nous laisse du temps pour préparer et ensuite observer l'évolution pour les premiers qui ouvriront, notamment au niveau des transports. Car rassurez-vous, mesdames et messieurs les sénateurs, nous y veillerons et nous ferons en sorte pour les internats que la distanciation sociale soit appliquée. La règle de base est le principe de précaution.

Pour répondre à plusieurs de vos questions, notamment à celle de Mme Blondin, je n'ai pas souhaité que l'on ait une circulaire commune avec l'éducation nationale. Notre enseignement est spécifique et, si les consignes sanitaires sont les mêmes pour tous les établissements d'enseignement, nous mettons en place nos propres directives, circulaires et guides de bonnes pratiques, pour pouvoir être agiles, mobiles et réactifs.

S'agissant des transports, nous travaillons en étroite collaboration avec les régions, associées à toutes nos réunions, et je remercie d'ailleurs M. Morin et M. Muselier qui l'a remplacé à la tête des Régions de France. Même s'il y a parfois des tiraillements, nous avons pour même objectif l'intérêt des jeunes.

En ce qui concerne les réunions de concertations, nous tenons à ce qu'il y en ait le plus possible. Nous en avons pour exemple tenu cinq cette semaine : CHSCTM, CHSCT, CTM,... Nous concertons le mieux et le plus possible.

Monsieur Jacques-Bernard Magner, merci d'avoir évoqué « l'armée de l'ombre » qui s'est levée pour aider les agriculteurs. Plus de 200 000 personnes se sont inscrites sur la plateforme, 15 000 ont travaillé, les conditions climatiques et les restrictions sur les périmètres de déplacement à respecter ne nous ont pas permis d'aller au-delà. M. Magner a aussi évoqué à juste titre le SNU comme support pour renouveler ce type d'actions. Actuellement, dans le cadre du Service national de la jeunesse (SNJ), il est possible que des jeunes en missions d'intérêt général puissent travailler en exploitations agricoles mais nous allons réfléchir à cette suggestion.

Nous partageons votre inquiétude quant à l'avenir des stages. Pour l'instant, le nombre de contrats de stage n'a pas baissé mais la crise va bien évidemment faire des dégâts dans tous les domaines. Certaines entreprises prendront certainement moins de stagiaires. Nous suivrons cela de près.

Madame Vérien, vous avez parlé de manque de concertation, mais nous n'en menons effectivement pas avec les 800 établissements ! Nous les menons avec toutes les fédérations, les représentants de l'UMFREO (Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation), charge à eux ensuite d'en référer à chaque MFR. Le ministère a édité ses propres guides de bonnes pratiques.

Par contre, lorsque vous parlez des élèves comme étant loin de la nation apprenante, je ne partage pas du tout cet avis et j'ai du mal avec cette stigmatisation. L'enseignement doit accueillir tous les enfants de la République et le rôle des MFR, que je soutiens, est justement d'intégrer ces élèves en difficulté. J'ai pu constater dans le cadre de mes fonctions d'élu départemental pendant plus de vingt ans, qu'un grand nombre de véritables décrocheurs reprenait goût à la vie professionnelle grâce aux MFR.

Je suis d'ailleurs le premier ministre de l'agriculture à avoir participé à la rentrée des classes des trois familles de l'enseignement agricole. Je ne fais pas de différence de traitement entre les enfants de la République.

Madame Vérien, je ne sais pas du tout ce qui vous permet d'affirmer que les journées portes ouvertes virtuelles des MFR n'ont pas été une réussite. Je ne partage pas cet avis. Par définition, elles ne pouvaient accueillir du monde ! Elles étaient virtuelles, nous n'avons pas eu le choix qu'il en soit autrement, et les retours que j'ai eus de la DGER, de mon cabinet et d'élus, sont très positifs quant au fait de les avoir maintenues de manière dématérialisée.

Je tiens à rassurer Mme Brulin : nous préparons bien évidemment la rentrée et nous ferons en sorte d'être prêts pour début juin. Cinq séances de concertation avec toutes les instances du ministère associant tous les acteurs sont prévues. Je n'ai vraiment pas le sentiment qu'il ne se soit rien passé depuis l'annonce du Président de la République du 13 avril, en tout cas les fonctionnaires de mon ministère travaillent 7 jours sur 7.

Nous allons maintenir les seuils de dédoublement car nous avons eu plus d'élèves et je veux saluer les enseignants car cela a été difficile à mettre en place.

Comme je l'ai indiqué à M. Karam, nous évaluons pour la partie enseignement de mon ministère le coût à cent millions d'euros. Cela inclut le soutien à nos personnes sous contrat qui n'ont pas pu bénéficier du chômage partiel. La situation était dramatique et nous avons fait en sorte de n'arrêter aucun contrat.

Monsieur Grosperrin, les données sur les décrocheurs proviennent des 800 établissements, compilées par la DGER. Je vous confirme que le taux d'élèves décrocheurs s'élève à 5 %.

Vous êtes nombreux à avoir évoqué les Cfppa et les CFA : dès le 11 mai, il est possible de les ouvrir même s'ils ne le seront sans doute pas tous. Il faut déconnecter la possibilité d'ouvrir les Cfppa de l'ouverture globale des lycées, et tenir compte des multi-sites et multi-pôles dont je parlais en introduction. Les Cfppa avec les CFA n'ouvriront bien sûr que si les conditions sanitaires le permettent, et si les instances locales se sont réunies.

M. Jean-Yves Roux évoquait la continuité pédagogique : l'enseignement agricole supérieur a fait le choix du maintien des stages en entreprises. Quant aux masques et solutions hydroalcooliques, ils seront fournis par l'État pour les collégiens des classes de 4 e et 3 e . Les lycéens devront venir avec leurs propres masques. Certaines régions ont annoncé qu'elles équiperaient les lycéens. Les gels hydroalcooliques seront mis à disposition de tous les apprenants et enseignants et les procédures seront précisées dans le cadre des guides de bonnes pratiques et d'une circulaire nationale émise par la DGER.

Madame Mélot, nous avons parlé avec Jean-Michel Blanquer de l'éventuelle suppression des épreuves orales de français pour les 1 ere STAV. Cette réflexion implique l'ouverture de tous les lycées, la cohérence de toutes les filières entre régions. Toutefois, pour l'instant, nous ne sommes pas favorables à leur suppression.

Madame Blondin, la fragilité financière des établissements est en effet bien réelle. Cette crise est terrible pour tous. Vous évoquiez aussi le fait de décaler les notes après le 10 juin. Cela ne sera pas possible car il faut respecter le calendrier de Parcoursup mais mon objectif et celui du Gouvernement est bien qu'aucun jeune ne soit pénalisé par cette crise.

Monsieur Brisson, je connais votre engagement en faveur de l'éducation inclusive qui est en effet très importante. Les situations sont plus ou moins compliquées suivant le handicap pour respecter au mieux la distanciation sociale, mais la priorité fixée à mes services est qu'il n'y ait pas là encore de double peine. Il va falloir faire en sorte que les jeunes handicapés puissent être accueillis. Les établissements d'enseignement agricole scolarisent environ 8 500 élèves à besoins éducatifs particuliers, parmi lesquels 4 916 bénéficient d'un Projet personnalisé de scolarisation (PPS). La Dger a mis en ligne dès le 20 mars des préconisations à destination des équipes éducatives ainsi qu'un appui pédagogique.

Les équipe pédagogiques s'en sont saisies et ont mis en place un contact hebdomadaire voire quotidien au téléphone avec un seul interlocuteur référent. La logique d'accompagnement du handicap se poursuivra selon la logique du déconfinement, soit dans l'établissement si le jeune ne présente aucune pathologie considérée facteur à risque, soit à distance.

Je rappelle que la reprise des lycées agricoles ne se fera en juin que si les conditions épidémiologiques le permettent. La décision sera prise fin mai. Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation se prépare donc à accueillir les jeunes dans ses 800 établissements. Nous ne prendrons de décisions qu'après avoir considéré la situation de chaque établissement, chaque région, chaque secteur. Je suis favorable, pour des raisons d'équité sociale, à ces réouvertures. Il faut rouvrir les établissements même si nos jeunes n'ont pas arrêté de travailler grâce au travail à distance et à Docaposte.

En lien avec le personnel enseignant et les organisations syndicales, nous allons tout faire pour mener à bien ce redémarrage. J'ai fixé un cap clair, celui de la réussite éducative et pour le suivre - en utilisant encore le langage marin - il faut que tout l'équipage soit à bord. Cet équipage est constitué de l'administration, des parlementaires, des élus des conseils d'administration, de l'ensemble des organisations syndicales, du personnel enseignant, mais aussi de l'ensemble du personnel des régions mis à disposition, comme les agents d'entretien, de restauration. Nous sommes tous dans le même navire et malgré la tempête qui s'est abattue sur nous, le navire France a tenu !

Malgré nos appréciations divergentes et nos débats politiques intenses, nous avons tous pour même objectif la réussite éducative de nos jeunes et le rayonnement de notre enseignement agricole. Nous devons tous ramer dans le même sens pour mener à bon port toute notre communauté éducative, les apprenants, les enseignants, les agents qui travaillent dans nos lycées et exploitations.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Merci monsieur le ministre, vous avez des propos toujours très enthousiastes et une belle force de conviction. Je vous souhaite donc le meilleur temps possible pour cette traversée sans trop de remous ! Nous restons extrêmement mobilisés sur ce sujet, d'autant que, vous l'avez compris, nous avons mis en place un groupe de travail animé par Antoine Karam que je remercie à nouveau. Je compte sur lui et l'ensemble des collègues de la commission pour poursuivre les travaux et être attentifs à ce bilan fin mai qui permettra la réouverture ou non des établissements début juin, c'est ce que je vous souhaite en tout cas.

Audition de M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre
de l'éducation nationale et de la jeunesse

MERCREDI 13 MAI 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Monsieur le Ministre, nous vous remercions de votre disponibilité. Nous avons auditionné le ministre de l'éducation nationale, il y a quelques jours pour évoquer le sujet de l'école, de la jeunesse et du périscolaire. Ces sujets sont très importants pour notre commission. Aussi, nous nous réjouissons de pouvoir conclure notre cycle d'auditions des membres du gouvernement relatif à ces sujets avec vous.

Le secteur associatif est un acteur essentiel de la solidarité et du vivre-ensemble. On dénombre en France quelque 1,5 million d'associations, mobilisant entre 16 et 20 millions de bénévoles. Signe de cette vitalité associative, le nombre d'associations augmente chaque année de 2,4 %.

Les associations participent pleinement à l'animation de nos territoires et au développement du lien social. Face à la crise que nous traversons, les associations et les bénévoles ont su se mobiliser, parfois au-delà de leurs activités traditionnelles, renforçant la résilience des territoires et ont su créer une vraie créativité. Un exemple parmi tant d'autres : des associations sportives, privées d'entraînement ou de compétition, ont mis en place un système de livraison de courses pour des personnes fragiles.

Le secteur associatif est également un acteur économique : près d'un salarié du secteur privé sur dix est employé par une association. Or ce secteur a été très durement frappé par la crise. On estime à 1,4 milliard d'euros les pertes de recettes d'activités pour le mois de mars dernier. Près de 70 % des associations ont fait une demande de recours au chômage partiel ; 30 % des associations employeuses avaient, à cette même période, moins de trois mois de trésorerie devant elles.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les mesures gouvernementales prises pour aider les associations ? On nous a signalé des difficultés pour accéder au fonds de solidarité, car Bercy demande l'identifiant fiscal - or les associations non lucratives n'en possèdent pas.

Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé vouloir dynamiser les colonies de vacances. Ce secteur a été fortement frappé par la crise, avec l'annulation des classes vertes et le confinement pendant les vacances de printemps. Les vacances d'été approchent. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? De nombreuses incertitudes demeurent.

Enfin, le futur projet de loi contenant des mesures d'urgence comporte une demande d'habilitation relative à la réserve civique. Dans son avis sur le texte, le Conseil d'État a souligné que le Gouvernement ne donnait aucune justification à l'extension de cette réserve. Avant d'habiliter le Gouvernement, le législateur a besoin de connaître les raisons de cette demande.

À l'issue de votre intervention liminaire, je donnerai la parole à Jacques-Bernard Magner, notre rapporteur pour avis des crédits « jeunesse et vie associative », qui anime par ailleurs un groupe de travail sur la jeunesse et la relance de l'activité du secteur associatif.

Je précise que des journalistes suivent en direct cette audition, qui sera par ailleurs mise en ligne par Public Sénat.

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - J'ai pu mesurer tout au long de cette crise à quel point il était précieux d'avoir les retours de terrain des élus et des parlementaires pour identifier les difficultés et les lever. Dans le contexte inédit que traverse notre pays, la mobilisation de tous est essentielle.

La vie associative est un secteur central par le lien social qu'elle permet, mais aussi pour des raisons économiques : 10 % du PIB et 1,5 million d'emplois qui sont, par principe, non-délocalisables. Comme les entreprises et l'ensemble des structures de droit privé, les associations ont été touchées par la crise du coronavirus. L'essentiel de leurs activités ont dû être suspendues du fait du confinement. Un certain nombre d'associations, celles de l'aide alimentaire et de la solidarité d'urgence, ont poursuivi leur activité, qui était vitale dans ce contexte.

Après l'annonce du confinement, ma première préoccupation a été de réunir les réseaux associatifs et d'identifier avec eux les difficultés. La première était d'ordre économique : qui dit confinement et suspension des activités dit perte de recettes et de cotisations. Cela pose aussi la question des subventions et du maintien des salariés.

J'ai très rapidement annoncé que tous les dispositifs de droit commun mis en place pour les entreprises seraient accessibles aux associations : chômage partiel, prêts garantis par l'État - qui permet de répondre aux difficultés de trésorerie que vous avez évoquées, Madame la Présidente dans votre propos liminaires, fonds de solidarité, report de charges et de loyers...

La question des subventions a été immédiatement posée, car nombre d'entre elles sont conditionnées à la tenue d'événements, qui n'ont pas pu se tenir. Les pouvoirs publics ont émis le souhait d'honorer les subventions. J'ai défendu et obtenu très tôt que les subventions de l'État qui avaient été décidées soient versées aux associations indépendamment de la tenue des projets qui y étaient liés. Je pense à Solidarité Sida, qui organise chaque année le festival Solidays. Elle recevra bien cette année de la part de l'État la subvention prévue, même si elle ne peut pas organiser son festival. Il en est de même pour de plus petites associations, notamment des associations environnementales qui organisent chaque printemps le décompte des espèces et reçoivent pour cela des subventions de l'Ademe. Elles n'ont pas pu réaliser ces activités cette année, mais les subventions sont maintenues.

Les associations s'interrogent également sur le maintien des subventions des collectivités locales. Au vue des échanges que j'ai eus avec les associations d'élus, il me semble que celles-ci ont émis le souhait de maintenir également les subventions des collectivités locales, ce que je ne peux que partager. Je profite de cette audition pour encourager les collectivités territoriales à maintenir les subventions prévues quand bien même les évènements ne peuvent pas se tenir.

La deuxième difficulté, pour les associations qui ont maintenu leur activité pendant le confinement, tient à l'âge moyen des bénévoles, souvent retraités. De nombreuses associations ont demandé à leurs bénévoles les plus âgés de rester chez eux pour ne pas s'exposer au virus : de ce fait, certains points de distribution n'ont pu ouvrir dans un premier temps. A titre d'exemple, les personnes de plus de 70 ans représentent un tiers des bénévoles des Restos du coeur. Cette situation m'a amené, en cohérence avec l'appel à la solidarité lancé par le Président de la République, à lancer la réserve civique, qui vise à mobiliser des Français qui en ont le temps, l'envie et la motivation autour de missions vitales pour le pays.

La réserve civique a connu un grand succès : plus de 300 000 Français se sont inscrits - plus que le nombre de missions disponibles. Un peu plus de 100 000 personnes ont été mobilisées dans une mission de la réserve civique, sur le terrain ou à distance.

L'article du projet de loi relatif à la réserve civique prévoit d'élargir l'éligibilité à l'ensemble des personnes morales qui exercent des missions de service public, notamment les sociétés anonymes à capitaux publics, le temps de l'urgence sanitaire ; c'est un dispositif cadré et borné dans le temps. Le problème s'est posé au moment du versement des minima sociaux, alors que La Poste connaissait des difficultés de fonctionnement : nous avons alors envisagé de mobiliser des volontaires de la réserve civique pour rappeler les consignes sanitaires de distanciation sociale et aider à la régulation dans les bureaux de poste. Or le droit ne le permettait pas. De même, il est impossible de mobiliser des volontaires pour participer à la distribution de masques dans les transports aux premiers jours du déconfinement. Avec cet article, l'État pourra dorénavant, en cas de reconfinement ou de nouvelle crise, mobiliser des volontaires pour venir en aide à des structures qui exercent des missions de service public, le temps de l'urgence sanitaire, même si celles-ci n'ont pas la nature juridique d'établissement public.

Deuxièmement, le confinement a eu un impact sur un certain nombre de jeunes, notamment en termes de précarité. Je pense aux étudiants ultramarins en métropole qui n'ont pu rentrer chez eux et pour qui la crise a représenté des coûts supplémentaires. Je pense aussi aux étudiants précaires, qui ont perdu leur job ou leur stage leur assurant un revenu, et n'ont plus eu accès au restaurant universitaire : ils se sont retrouvés avec moins de revenus et plus de frais. Je pense enfin à des jeunes précaires non étudiants. Tous ont besoin d'une aide financière pour passer ce moment difficile. Le Premier ministre a donc annoncé, devant le Sénat, le versement d'une aide d'urgence de 200 euros à 800 000 jeunes précaires de 18 à 25 ans, au début du mois de juin pour les étudiants et le 15 juin pour les autres. Sont concernés les jeunes touchant les APL. La plateforme permettant de solliciter cette aide exceptionnelle a été ouverte pour les étudiants sur le site www.étudiant.gouv.fr.

Le confinement a eu un impact sur les structures d'éducation populaire qui assurent le périscolaire, dont un certain nombre sont des associations. J'ai annoncé un certain nombre de mesures pour leur permettre de survivre à la crise. Les structures associatives d'accueil de loisirs sont financées en fonction du nombre d'enfants accueillis et du nombre de jours d'accueil. Or elles ont eu des coûts fixes à assumer pendant les semaines de fermeture... C'est pourquoi les caisses d'allocations familiales verseront à ces associations le même montant en 2020 qu'en 2019, quand bien même elles ont accueilli moins d'enfants, pour assurer la pérennité de leur financement.

Des mesures ont été prises pour soutenir les associations organisant des colonies de vacances, des classes de découvertes ou des voyages scolaires. Pour les colonies de vacances, nous leur avons donné la possibilité de proposer un avoir aux familles. Pour ce qui est des voyages scolaires, le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse a pris la perte à sa charge, puisqu'il a remboursé les familles qui s'étaient acquittées du coût d'un voyage scolaire n'ayant pu avoir lieu. Il s'agit bien évidemment de protéger les associations.

Pour cet été, la préoccupation sanitaire reste importante. Des annonces sont prévues le 2 juin prochain, deuxième étape du déconfinement, sur la question des vacances. Sans attendre cette date, Jean-Michel Blanquer et moi-même travaillons à ce que sera cet « été apprenant et culturel », comme l'a appelé le Président de la République, afin de permettre, avec les associations et les collectivités locales, à tous les enfants, notamment à ceux qui ont vécu un confinement difficile, de s'évader, de rencontrer d'autres enfants, de s'épanouir, mais également de rattraper un certain nombre d'apprentissages.

Chaque semaine, les acteurs sont réunis au ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse pour travailler à une fusée à trois étages. Le premier étage, c'est un renforcement du dispositif « école ouverte », qui existe depuis plusieurs années. Ce dispositif permet d'accueillir des enfants dans les locaux de l'école le matin et d'organiser des activités en partenariat avec les accueils de loisirs l'après-midi ; le deuxième étage, c'est l'organisation de micro-séjours d'excursion proches du lieu de résidence, avec des activités de découvertes patrimoniales ou culturelles ou de type scoutisme dans un environnement champêtre ; le troisième, ce sont les colonies de vacances qu'il faut soutenir et développer massivement cet été si une plus grande mobilité et le regroupement d'enfants sont possibles. Certes, nous n'aurons les réponses à ces deux impératifs que début juin, mais nous travaillons d'ors et déjà à des pistes d'actions et à des annonces.

Troisièmement, l'engagement civique a lui aussi été touché par la crise. Au moment du confinement, 58 000 jeunes étaient en mission de service civique ; 20 000 d'entre eux ont pu poursuivre leur mission, car ils l'exerçaient dans des structures qui ont poursuivi leurs activités. Je pense aux associations de solidarité alimentaire. Les autres, notamment ceux qui étaient rattachés à des établissements scolaires ou à des associations qui ont suspendu leur activité, ont vu leur mission s'interrompre. Nous avons voulu permettre à ces jeunes de s'engager différemment pendant la crise. Ainsi, 50 000 jeunes du service civique ont rejoint la réserve civique, y compris des jeunes qui poursuivaient leur mission en service civique, pour pouvoir s'engager encore davantage.

La crise du coronavirus a également affecté le service national universel (SNU), qui avait amorcé cette année la deuxième phase de sa montée en puissance, après un premier accueil de 2 000 jeunes l'année dernière. Ce service national universel a une dimension particulièrement importante car il doit permettre à tous les jeunes de découvrir l'étendue des possibles pour être utiles à leurs pays et aux autres. En cette période où nous avons plus que jamais besoin de l'engagement des Français, et en particulier de celui des jeunes, il faut que le SNU puisse continuer à remplir son rôle. Nous l'avons adapté. Ainsi, le séjour de cohésion, impliquant une mobilité des jeunes et un regroupement dans des centres, qui devait avoir lieu fin juin, est reporté à l'automne, et la mission d'intérêt général, qui devait quant à elle se tenir à l'automne, aura lieu avant l'été, dans des associations et structures publiques particulièrement mobilisées dans la crise du coronavirus et du déconfinement. Le séjour de cohésion se tiendra quand les conditions sanitaires le permettront, mais nous nous fixons comme objectif de l'organiser aux vacances de la Toussaint.

Je précise que les 2 000 jeunes qui avaient accompli leur SNU l'année dernière se sont immédiatement mobilisés face à cette crise, avant même que nous ne les sollicitions. Preuve que cette expérience leur a permis de mesurer ce qu'ils pouvaient apporter à la Nation ! Un kit réalisé avec l'association Voisins solidaires leur a été adressé pour leur permettre de venir en aide aux personnes âgées ou en situation de handicap près de chez eux.

Cette crise est très dure pour le pays. Mais elle a aussi vu l'émergence d'un élan de solidarité, d'une entraide du quotidien, de voisinage, et a montré la capacité de résilience des bénévoles et des associations. Autant d'aspects réjouissants et positifs révélés par ce moment très difficile. Je ne doute pas que cela survivra au coronavirus et que cet esprit soufflera longtemps sur notre pays.

M. Jacques-Bernard Magner . - Avant tout, je souhaite saluer la mobilisation de l'ensemble des bénévoles, des jeunes en service civique et des associations qui se sont investis pour faire face à la crise sanitaire et sociale que nous traversons. Par leurs actions et leur dévouement, ils ont contribué au maintien, voire au renforcement du lien social. Surtout, ils ont soutenu et soulagé la « première ligne » impliquée dans la lutte contre la Covid-19. Aussi, je regrette que cette mobilisation reste encore invisible aux yeux des pouvoirs publics : ni le Président de la République ni le Premier ministre n'ont salué ni même évoqué le rôle des bénévoles. Or il me paraît essentiel de renforcer la reconnaissance de la Nation envers l'engagement citoyen.

Ma première question porte sur les mesures de soutien à l'économie pour les associations. Lors de nos auditions, un certain nombre de difficultés ont été évoquées. Les associations non-employeuses ont malgré tout des charges, par exemple des locaux, or elles n'ont accès ni aux prêts garantis par l'État, ni au fonds de solidarité, donc au report des charges. Quelles solutions peuvent leur être apportées ?

Vous connaissez mon attachement au service civique qui a maintenant dix ans. Au moment où les missions reprennent progressivement et où les besoins des structures augmentent, de nombreux jeunes vont arriver au terme de leur contrat de service civique. Plusieurs acteurs majeurs, dont l'Agence du service civique, plaident pour une prolongation de quelques mois des missions. Vous avez évoqué celles qui ont été prolongées ou transformées. Pour autant, on pourrait envisager que ces missions, qui durent en moyenne six à sept mois, puissent être prolongées jusqu'à la fin de l'été, car les besoins sont nombreux. Cela permettrait aux structures concernées de disposer de jeunes déjà formés, intégrés et opérationnels. Que pensez-vous de cette proposition, que vous avez notamment évoquée devant l'Assemblée nationale ?

De nombreux jeunes en service civique ont été redéployés sur des missions urgentes, non sans lourdeur administrative ni incertitude juridique. Pourrait-on prévoir d'intégrer dans les prochains contrats de service civique la possibilité de transférer ces jeunes, avec leur accord, sur une mission urgente en cas de besoin, et avec une couverture par l'État en cas de problème ? Le projet de loi à venir contient une demande d'habilitation ; il serait utile de développer la réserve civique, qui a montré son efficacité au cours de cette crise, même si le nombre de missions proposée était inférieur au nombre de volontaires.

On nous parle beaucoup des colonies de vacances « apprenantes ». Cela suscite de nombreuses interrogations chez les organismes concernés. À moins de deux mois des vacances d'été, il devient urgent de définir leur rôle : s'agit-il d'un soutien scolaire ? L'acquisition de connaissances relève des enseignants. Dans ces conditions, quel rôle pour l'éducation nationale dans ces colonies de vacances ? Si l'on apprend toujours beaucoup lors des colonies de vacances, elles ne sauraient être des lieux de soutien scolaire ou d'apprentissages scolaires par des non-professionnels de l'éducation.

Enfin, vous voulez maintenir dès cette année l'extension du SNU à l'ensemble des départements pour 30 000 jeunes. Il me paraît plus judicieux de la reporter à 2021, en consacrant au service civique les 30 millions d'euros de crédits budgétaires qui étaient affectés à cette fin.

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État . - Comment le Gouvernement a-t-il soutenu les associations non-employeuses, qui n'ont par exemple pas bénéficié du chômage partiel ? Premièrement, par le report de charge, ouvert à toutes les associations. Deuxièmement, par le maintien des subventions, quand bien même les associations ne peuvent réaliser les activités prévues. Troisièmement, ces structures ont accès aux prêts garantis par l'État si elles ont une activité économique, même sans avoir de salariés.

Enfin, il existe le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), qui a remplacé la réserve parlementaire. Le calendrier a suscité de nombreuses interrogations, puisque la crise du coronavirus est apparue au moment où les subventions avaient été fléchées par les commissions, mais pas encore actées et versées. J'ai demandé que le calendrier initial soit tenu voire accéléré, pour que les subventions soient versées avant l'été.

Sur le prolongement des missions du service civique, il faut regarder les besoins des structures accueillantes et agir au coup par coup : toutes n'ont pas d'activité pendant l'été. C'est le cas par exemple de l'éducation nationale. Par conséquent, prolonger par principe tous les contrats de service civique n'aurait pas grand sens. En outre, les missions ne se sont pas toutes interrompues. Les jeunes ont continué à recevoir leur indemnité de service civique, même s'ils étaient confinés et que leur activité avait été suspendue ; ils pouvaient demander à ne pas percevoir l'indemnité pendant le confinement et à reprendre leur mission à l'issue de celui-ci.

En outre, une telle décision risquerait de retarder ou d'empêcher l'arrivée de nouveaux jeunes en service civique qui était prévue dans ces structures. J'ai reçu une lettre ouverte de députés Les Républicains demandant la prolongation des missions de service civique, en précisant que cela reviendrait à annuler l'arrivée de nouveaux jeunes. Or ces jeunes ont prévu d'intégrer la réserve civique prochainement et se sont organisés en conséquence : il n'est pas question de leur retirer leur mission. Si certaines structures décident de prolonger les missions en cours, en plus d'accueillir de nouveaux jeunes cet été, cela aura un impact financier, qui est en cours d'examen dans le cadre des arbitrages budgétaires.

Je reviens sur la question de l'insécurité juridique sur le service civique. Nous avons voulu faire prendre aucun risque aux structures. D'où un flottement pendant les deux premières semaines, au cours desquelles les jeunes ont suspendu leur mission. La situation étant inédite, certaines dimensions n'avaient pas été anticipées par l'Agence du service civique. La solution retenue a consisté à faire signer aux jeunes et aux structures un avenant au contrat de service civique : cela a permis de débloquer les choses très vite. Pourquoi, en effet, ne pas intégrer d'emblée cette possibilité dans le contrat initial, comme vous le suggérez ? À la lumière de cette expérience, il faut pouvoir se montrer agile.

Je suis conscient des questions que se posent les acteurs et opérateurs des colonies de vacances, notamment sur le protocole sanitaire et sur la notion de vacances apprenantes et culturelles. Nous avons avec les principaux acteurs des échanges très nourris, pour établir une sorte de cahier des charges. Je ne parle pas forcément d'une labellisation.

Évidemment, une colonie de vacances, un centre de loisirs est toujours un moment d'apprentissage. Du fait du confinement, de nombreux enfants ont perdu un temps important d'apprentissage formel. Comment leur permettre de vivre cet été à la fois l'apprentissage non-formel auprès des associations et de bénéficier d'une forme de tutorat ou de rattrapage plus formel ? Cela peut passer par l'intervention d'enseignants volontaires, par l'utilisation par les associations de ressources produites par l'éducation nationale, par le recours à des modules ludiques élaborés par des associations. C'est l'idée exprimée par le Président de la République.

J'insiste sur l'importance du service national universel. Il n'est pas encore question de généralisation cette année. En 2020, le budget prévu pour le SNU s'élève à 30 millions d'euros, contre plus de 500 millions d'euros pour le service civique : un redéploiement budgétaire ne suffirait pas à faire la différence en matière de service civique. Prolonger le contrat de service civique de tous les jeunes de la durée du confinement, comme vous le proposez, aurait une incidence budgétaire de l'ordre de 150 millions d'euros. Il faut des ressources supplémentaires en propre pour le service civique. Pour ma part, je défends à la fois le service civique et le service national universel.

Mme Dominique Vérien . - Nos auditions ont mis en lumière la demande d'un service civique un peu plus long. Dans les faits, il était initialement de neuf mois ; sa durée moyenne est aujourd'hui plutôt de six mois ; il faudrait la porter à huit mois, afin qu'un véritable travail de fond puisse avoir lieu. Cela coûterait en effet environ 150 millions d'euros, mais le service civique offre un véritable service et ce n'est pas pour rien que 50 000 des 60 000 jeunes se sont engagés dans la réserve civique à l'occasion de cette crise.

Cette crise a également permis de constater qu'il était possible de bien travailler en visioconférence. Les territoires ruraux peinent à accueillir des services civiques, pour des raisons de logement mais aussi d'encadrement. Celui-ci se fait depuis la ville-centre, rendant difficile l'organisation de services civiques dans les campagnes. Or on voit que l'encadrement pourrait se faire à distance.

Les colonies de vacances de cet été viseraient en priorité les enfants ayant subi un confinement strict, sans accès à la Nation apprenante et à la continuité pédagogique. Comment toucher ce public cible ? Lorsque nous interrogeons les parents pour le retour à l'école sur la base du volontariat, un certain nombre d'entre eux ne répondent même pas. Nous constatons des décrochages, alors que ces familles sont prioritaires pour les colonies de vacances. Par ailleurs, qui paiera le surcoût lié au moindre nombre d'enfants et aux contraintes sanitaires ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - L'un des enjeux de la sortie de crise sera de conserver le capital d'engagement qui s'est manifesté pendant le confinement. Seuls 100 000 des 300 000 personnes qui se sont inscrites sur la plateforme de la réserve civique ont pu se mobiliser. Qu'ont fait les autres ? Cela n'a-t-il pas créé une certaine frustration ?

En milieu urbain, où le confinement a été particulièrement difficile, il est urgent que les jeunes puissent retrouver une forme de socialisation, dans le respect des règles sanitaires, à travers des initiatives associatives. Pouvez-vous nous indiquer les activités que les associations, notamment sportives, sont en mesure de mettre en oeuvre ? Les activités autorisées dans le cadre périscolaire pourraient-elles rapidement l'être dans le cadre associatif, avec les mêmes gestes barrières ?

J'ai été interpellée sur la situation des logopèdes en stage d'équivalence pour pouvoir exercer la profession d'orthophoniste. Conformément au décret du 30 août 2013, la reconnaissance du diplôme est conditionnée à la réalisation d'un stage dont la durée est établie par la direction régionale de la jeunesse et des sports : entre 800 et 1 000 heures de pratiques sont en moyenne exigées, or nombre de stages ont été repoussés ou annulés en raison de la crise sanitaire, ce qui place les étudiants en situation de précarité, car, au cours de cette période, ils ne sont plus reconnus comme étudiants, stagiaires ou salariés et ne bénéficient d'aucune aide sociale ni d'aucun mécanisme de soutien économique. Compte tenu des besoins des patients sortant de réanimation, leur expertise paraît pourtant plus que jamais nécessaire. Est-il envisagé une suppression du nombre d'heures de stage prévu ?

Quid de la tenue des camps d'été pour les Scouts de France, qui comptent 160 000 adhérents, d'autant que ces structures ne pourront pas cette année bénéficier des centres d'accueil en plein air ? Elles ne dépendent pas de l'État et reçoivent très peu de subventions. Pour autant, elles ne doivent pas perdre d'argent ni d'adhérents.

M. Antoine Karam . - L'impact du confinement sur les apprentissages pose un véritable défi pour les vacances scolaires. J'ai noté avec intérêt la proposition de colonies de vacances « apprenantes ». Les conséquences économiques et sociales de cette crise touchent encore plus durement les familles les plus modestes ; il est donc important que les enfants les plus fragiles puissent bénéficier d'un enseignement lors de formes hybrides de séjour.

Monsieur le Ministre, vous connaissez bien mon territoire pour y être venu à plusieurs reprises. Dans les sites isolés, le téléenseignement s'est heurté à la fracture numérique, ce qui a provoqué le décrochage scolaire. Pouvez-vous nous assurer qu'il existera bien dans chaque département une offre de séjour apprenant ? La plateforme #jeveuxaider et le site www. covid19.reserve-civique.gouv.fr ont-ils vocation à soutenir localement l'organisation de ces séjours et l'ouverture des écoles ?

M. Pierre Ouzoulias . - Les colonies de vacances, nous y sommes tous passés ! Question de génération... C'est peut-être là que nous avons acquis notre engagement politique et notre engagement pour la collectivité.

Jean-Michel Blanquer et vous-même faites souvent allusion au programme du Conseil national de la résistance. Celui-ci, après le plan Langevin-Wallon, avait défini les colonies de vacances et fixé trois objectifs majeurs : premièrement, une oeuvre sociale ; deuxièmement, le moyen de développer une éducation populaire ; troisièmement, constituer un véritable service public rattaché au ministère de l'éducation nationale. J'aimerais que ce soit également votre ambition, mais il y a un problème de moyens. Comment restructurer ce qui a été trop déstructuré par le passé ? Quel est votre projet politique, au sens noble du terme, pour donner un contenu à ce qui pourrait être enseigné dans ces colonies de vacances ?

Il faut un cadrage national et mettre en place un service public de colonies de vacances.

M. Michel Savin . - La ministre des sports nous a indiqué que le Gouvernement travaillait sur un plan ambitieux de relance pour les associations. Pouvez-vous nous en préciser les grandes lignes ?

Un plan tourisme doté de plus de 1 milliard d'euros doit être présenté demain. Les colonies de vacances, qui font partie intégrante de l'économie touristique des territoires, en bénéficieront-elles ?

Les associations font face à d'importantes pertes de recettes en raison de l'annulation de nombreuses manifestations. Le mécénat, sur lequel nous avions travaillé ensemble, pourrait être une solution. Seriez-vous prêts à encourager entreprises et particuliers à soutenir le milieu associatif et à revoir à la hausse, même temporairement, les règles actuelles du mécénat ?

Mme Mireille Jouve . - Nous soulignons tous, depuis le début de la crise sanitaire, l'engagement remarquable des jeunes dans le cadre du service civique, notamment auprès de nos aînés.

Avant le début du confinement, plusieurs structures associatives ont attiré votre attention sur les difficultés qu'elles rencontrent à répondre à la demande croissante de service civique alors que leur niveau de ressources évolue de manière beaucoup plus modeste. Certaines redoutent également que les crédits du service civique connaissent une dynamique inverse de celle des crédits du SNU lors des prochains exercices budgétaires. J'espère que le Gouvernement restera attentif aux moyens alloués au service civique afin de ne pas compromettre la qualité des missions proposées et des formations dispensées dans ce cadre.

Mme Colette Mélot . - De nombreux centres de loisirs ouvrent de nouveau leurs portes, dans le respect du protocole national, lequel prévoit notamment des groupes d'enfants restreints et de fortes contraintes en matière de transport et de restauration. Le nombre de places est encore très limité, ce qui peut, au fil du temps, poser des problèmes aux familles.

Le ministre de l'éducation nationale a annoncé la mise en place de « vacances apprenantes », mais les organisateurs de colonies de vacances sont dans l'expectative. Vous nous avez dit qu'un cahier des charges était en cours d'élaboration. Je suis consciente des difficultés, mais les choses ne sont pas très claires : les centres ont pu rouvrir cette semaine dans certaines communes, mais pas dans d'autres, faute d'autorisation. Les collectivités ne semblent pas être bien informées.

De même, il serait bon d'accélérer les choses en ce qui concerne les colonies de vacances. Il est question de mini-séjours, soit de découverte du patrimoine, soit de type scoutisme, notamment dans les départements où l'on peut facilement emmener les enfants en forêt, comme en Seine-et-Marne. Des contacts ont-ils été pris avec les collectivités ? S'il faut rouvrir les écoles, les centres de loisirs et les accueils périscolaires, nous devons nous organiser et prévoir du personnel, notamment pour le ménage. À quelques semaines des vacances, les parents ne savent toujours pas si leurs enfants pourront aller en centre de loisirs ou en colonie et les collectivités locales, déjà bien occupées par la réouverture des établissements scolaires, ne savent toujours pas ce qu'on attend d'elles. Il ne faudrait pas prendre tout le monde au dépourvu au mois de juin...

Mme Sylvie Robert . - Nous avons salué, la semaine dernière, l'annonce du Premier ministre d'une aide de 200 euros pour 800 000 jeunes précaires ou modestes. Toutefois, lors de son audition, la directrice du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) a souligné combien les situations de grande précarité se développaient chez les jeunes, et pas seulement chez les étudiants. Que pensez-vous de l'idée qui circule actuellement, d'un RSA, ou autre dispositif de ce genre, au bénéfice des moins de 25 ans ?

Nous constatons dans nos territoires la fragilité de beaucoup d'associations. En outre, de nombreux jeunes vont avoir de grandes difficultés à retrouver un emploi, faute d'avoir pu bénéficier d'un stage ou d'une expérience professionnelle ou pour des questions d'insertion plus prégnantes. Dans ce contexte d'après confinement, ne pensez-vous pas que le recours aux emplois aidés puisse être une réponse ?

Le Président de la République et le ministre de la culture ont récemment invité les artistes à être aux côtés des jeunes et à mettre en place des ateliers dans les écoles, en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale, y compris durant les vacances. Ces ateliers d'éducation artistique et culturelle permettraient également de garantir quelques heures aux intermittents du spectacle, en sus des annonces du Président de la République. Les artistes et le milieu culturel sont-ils au coeur de votre réflexion pour l'été prochain ? Monsieur le Ministre, nous aimerions bien savoir comment bâtir cette saison d'été...

M. Laurent Lafon . - Nous comprenons bien qu'il n'est pas possible de soutenir toutes les associations. Les critères retenus permettent notamment de venir en aide à celles ayant une activité économique. Or les associations de l'économie sociale et solidaire (ESS) éprouvent des difficultés pour obtenir les prêts garantis par l'État ou une aide du fonds de solidarité en raison de leur montage financier, alors même qu'elles peuvent jouer un rôle important dans les mois à venir. Envisagez-vous une action spécifique en leur faveur ?

Vous avez indiqué que le calendrier du FDVA allait être accéléré pour que les crédits soient déboursés au plus vite. Envisagez-vous également de tenir compte des conséquences de la crise en termes de pertes de recettes ou de difficultés de trésorerie dans l'attribution des crédits du FDVA cette année ?

Comme Sylvie Robert, j'aimerais connaître votre point de vue sur l'instauration d'un RSA jeunes. De même, que pensez-vous d'un renforcement, demandé par de nombreuses associations de jeunesse, du parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea) ?

Avec la fermeture des frontières, un certain nombre de jeunes n'ont pu faire leur stage Erasmus. Or la règle interdit de faire deux mobilités Erasmus au cours d'un même cycle universitaire. Serait-il possible de la modifier exceptionnellement pour permettre à ces jeunes de partir l'année prochaine ?

M. Olivier Paccaud . - Monsieur le secrétaire d'État, vous avez dit que 2020 serait une année « pleine » pour le FDVA. Les grosses associations, qui ont pu bénéficier du chômage partiel, sont bien soutenues. Mais 2020 sera catastrophique pour les petites associations - celles, par exemple, qui tirent l'essentiel de leur financement de la brocante du village, qui n'aura pas lieu cette année. Peut-être recevront-elles une petite subvention de leur commune ou du département, voire quelques crédits du FDVA, si elles ont de la chance. Idéalement - rien n'interdit de rêver -, il faudrait revaloriser le FDVA. Vous nous avez dit qu'il correspondait à l'ancienne réserve parlementaire, mais le transfert s'est fait a minima ...

Par ailleurs, nous risquons d'avoir une promotion d'étudiants sacrifiée : ceux qui, au printemps, étaient en recherche de stage ou qui allaient en commencer un dans des entreprises qui n'auront plus les moyens de les accueillir. Il faudra que plan de relance ou le prochain projet de loi de finances rectificative tienne compte de cette situation.

Le Gouvernement, qui a déjà consenti des efforts très importants de plusieurs dizaines milliards d'euros, devrait aussi en faire un, conséquent, en faveur de la vie associative et de la jeunesse. Nos petites associations n'ont peut-être guère de poids économique, mais nous connaissons leur important rôle social. Elles ont besoin de ce soutien et je sais que vous saurez plaider auprès de Bercy pour qu'elles ne soient pas oubliées, non plus que nos jeunes, dans le futur plan de relance.

- Présidence de M. Jean-Pierre Leleux, vice-président -

M. Stéphane Piednoir . - Sans parler de génération sacrifiée, ce sont 700 000 étudiants, tous niveaux confondus, qui vont arriver sur un marché de l'emploi extrêmement dégradé. Toutefois, je ne partage pas forcément les solutions avancées par certains de mes collègues. Ne pourrait-on être un peu plus innovants pour à la fois inciter les jeunes à démarcher vraiment les entreprises et encourager les entreprises à les embaucher, plutôt que de recourir à « l'assistanat » ?

M. Jacques Grosperrin . - Pourrait-on faire évoluer le SNU ? Après les attentats du Bataclan, un module résilient de premiers secours avait été mis en place. Avec les stages de cohésion qui s'appuient sur les besoins de la société, ne pourrait-on donner une nouvelle orientation au SNU pour tenir compte de la pandémie ? Le déconfinement a entraîné un grand relâchement chez les jeunes. Ceux qui effectuent leur SNU pourraient agir via les réseaux sociaux, par exemple. Chacun sait que l'on apprend plus par ses pairs que par ses maîtres. Peut-être pourraient-ils également, bien que mineurs, accompagner la réouverture des écoles ?

Un mot de l'abondement financier du service civique par le SNU pour l'année 2020-2021. Le service civique a démontré son efficacité - Croix-Rouge, Ehpad, bibliothèques... Il peut encore faire beaucoup, notamment pour la rentrée scolaire 2020-2021, qui pourrait avoir lieu fin août, et durant le premier trimestre qui sera complètement différent de ceux que nous avons pu connaître. Nous avons besoin de cet appui fort.

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État . - Madame Vérien, la durée moyenne d'une mission de service civique est désormais de 7,2 mois. Il faut faire preuve de pragmatisme : certains jeunes ont besoin de davantage de temps et certaines missions peuvent réclamer un investissement plus important. Il faut savoir s'adapter. L'association Unis-Cité, par exemple, va chercher les jeunes les plus éloignés des dispositifs : la nature des missions et l'objectif poursuivi impliquent des durées plus longues. Ne fixons pas de règle unique. Il me semble important de s'adapter aux réalités : certaines missions doivent être réduites, mais nous n'avons aucunement l'intention de réduire brutalement la durée de toutes les missions.

Le développement du service civique dans les territoires ruraux est l'un de mes objectifs prioritaires. Il faut d'abord une mobilisation politique de notre part et de celle de l'Agence du service civique. C'est la raison pour laquelle, dans l'agenda rural, nous avons réservé à la ruralité 10 000 missions de service civique par an. C'est un objectif ambitieux.

Se pose ensuite la question de l'animation territoriale. Il peut être compliqué, pour une petite association rurale, d'accueillir un jeune en service civique - ce sont des démarches, du tutorat... Il faut donc faciliter la création de collectifs. Dans les Hautes-Pyrénées, dans le pays d'Adour, des associations se sont regroupées au sein du collectif Rivages qui accueille les jeunes puis les met à disposition des associations, ce qui leur évite des formalités. Ce type de structure aidera les associations rurales à s'emparer du service civique.

Comment permettre aux enfants qui en ont le plus besoin de partir en colonie de vacances? Cette question est centrale et structurante depuis longtemps. Il y a trente ans, 4 millions d'enfants partaient chaque année en colonie ; aujourd'hui, ils sont environ 800 000. Après une forte mobilisation, notamment en termes de communication, le nombre d'enfants s'est légèrement accru l'année dernière, pour la première fois depuis dix ans. Il y a de l'espoir et nous comptons encore nous mobiliser cet été.

L'enjeu est d'abord financier : envoyer ses enfants en colonie a un coût. Il existe des dispositifs de soutien, notamment via les caisses d'allocation familiale, pour les familles dont le quotient familial n'excède pas 800 euros. Pour les autres, qui peuvent avoir du mal à joindre les deux bouts, il peut être difficile de faire partir un enfant. Nous devons développer des aides nouvelles et les cibler vers ces familles.

Se pose ensuite la question de l'investissement des associations. Monsieur Savin, la question sera abordée demain lors du comité interministériel consacré au tourisme dont je rapporterai la partie « tourisme social ». Nous envisageons des mesures financières très importantes pour aider les associations du tourisme social, et donc notamment aux associations qui portent des colonies de vacances, pour les encourager à investir dans leurs infrastructures.

Madame Boulay-Espéronnier, nous avons réduit volontairement le nombre de missions et leur nature durant la période de confinement. On ne pouvait pas à la fois demander aux Français de rester chez eux et les inciter à sortir à la moindre occasion pour s'engager. L'objectif de la réserve civique n'était pas tant de permettre à chaque Français de s'engager que d'assurer aux associations qui avaient besoin d'être soutenues les moyens de poursuivre leur activité. Il y avait donc moins de missions que de candidats. Tous les volontaires qui n'ont pu s'engager en présenciel ont pu télécharger, sur le site de la réserve civique, un kit réalisé en partenariat avec l'association Voisins Solidaires pour s'engager à l'échelle de leur immeuble, de leur rue, de leur village, et venir en aide à une personne vulnérable. Près de 400 000 personnes ont téléchargé ce kit, soit davantage que le nombre d'inscrits à la réserve civique. Nous avons reçu assez peu de messages de personnes n'ayant pu s'engager dans une mission. Je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup de frustration.

Vous avez auditionné Roxana Maracineanu, je ne vais donc pas revenir en détail sur le protocole sanitaire pour la pratique sportive. Sports de combat, sports collectifs impliquant une proximité n'ont pu reprendre à ce jour. Seule l'évolution sanitaire permettra une reprise progressive de plus en plus large. Le 2 juin prochain, nous espérons pouvoir autoriser davantage de clubs sportifs à reprendre leur activité. Nous y travaillons.

Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question sur les logopèdes orthophonistes, mais je m'engage à vous répondre directement, dès que je le pourrai.

Le scoutisme dépend peu de l'État, mais je crois profondément que l'État a beaucoup à apprendre du scoutisme. Nous pouvons nous en inspirer pour ce que nous proposerons aux jeunes cet été, et plus globalement pour des évolutions plus structurantes. Le scoutisme n'est pas qu'un mouvement ancien qui aurait gardé ses rituels d'antan, c'est aussi un laboratoire pédagogique qui propose des idées nouvelles, à l'instar d'autres associations populaires. C'est l'un des rares mouvements d'éducation populaire dont le nombre d'inscrits continue de croître. Nous avons beaucoup de choses à développer avec eux. Les scouts se posent aussi des questions sur l'organisation de leurs séjours, cet été. Nous travaillons avec eux pour établir un protocole sanitaire clair, mais il est difficile de respecter la distanciation quand on partage une tente... Nous allons les accompagner pour leur permettre d'organiser leurs séjours, car beaucoup de jeunes en auront besoin.

Monsieur Karam, l'application des dispositifs annoncés pour cet été dépend aussi des collectivités locales. Il me semble que la collectivité territoriale de Guyane a décidé de ne pas rouvrir les écoles avant septembre ; je ne suis donc pas sûr que le dispositif « École ouverte » puisse s'appliquer cet été. En revanche, les accueils de loisirs sont possibles et nous apporterons un soutien, y compris financier, à ceux qui s'engageront dans le dispositif des vacances apprenantes dont je souhaite qu'il se développe en Guyane.

Monsieur Ouzoulias, comme je l'ai souligné dès ma nomination, je suis favorable à une vraie politique publique de soutien aux mouvements d'éducation populaire et particulièrement aux départs en colonies de vacances. Cette crise va peut-être nous permettre de faire aboutir le travail que nous avions engagé. Certaines annonces auront probablement lieu demain concernant les investissements. Début juin, quand nous saurons s'il est possible ou non d'organiser des colonies, des mesures de soutien aux familles pourront être annoncées.

Les colonies de vacances sont portées par des associations, par des acteurs de l'éducation populaire. Je fais attention à leur autonomie, y compris pour les pratiques pédagogiques qu'elles développent. Vous avez parlé de « service public » des colonies de vacances, mais il me semble important qu'elles reposent sur des acteurs associatifs qui les font vivre et qui doivent être soutenus par les pouvoirs publics.

Je souhaite que le projet politique porté dans le cadre de ces vacances apprenantes soit le plus partagé possible et que l'État ou l'éducation nationale ne dessinent pas seuls un projet qu'ils imposeraient au secteur. C'est l'objectif des réunions régulières que nous tenons au ministère avec les principaux acteurs. Vous êtes le bienvenu si vous souhaitez y assister.

Monsieur Savin, je crois profondément que la vie associative aura un rôle central dans le rebond du pays. Elle permet du lien social, une éducation à la citoyenneté, au collectif. Mais elle représente aussi des emplois, un secteur économique. Nous travaillons à un plan de relance associatif sur trois axes. D'abord, la sauvegarde et le développement de l'emploi associatif. Il n'y aura pas de retour aux emplois aidés, car nous voulons professionnaliser les associations et leur permettre de maintenir des emplois dans la durée. On peut imaginer un dispositif dégressif de soutien à l'emploi pour faire l'amorce ; à l'association ensuite de développer des ressources propres ou du mécénat.

Le deuxième axe de travail porte sur la professionnalisation et la consolidation du projet associatif et de la forme associative.

Enfin, la question de l'investissement dans l'avenir est centrale - développer des fonds propres, obtenir des avances de trésorerie... Sur toutes ces questions, je suis preneur de vos propositions.

Nous encourageons le mécénat et la générosité de ceux qui en ont les moyens. Le Sénat a d'ailleurs récemment adopté un amendement, soutenu par le Gouvernement, à la loi « Coluche » qui porte de 500 à 1 000 euros le plafond des dons à une association d'aide alimentaire déductibles à 75 %. Nous avons besoin de cette générosité. Les entreprises ont montré leur capacité à s'engager : je pense à celles qui ont réorienté leur production pour fabriquer du gel hydroalcoolique, des masques ou des équipements de protection, mais aussi aux petites entreprises, aux artisans, aux commerçants, aux restaurateurs qui ont préparé des repas pour les soignants. Pour sortir de cette crise, nous avons aussi besoin d'un « Notre-Dame social » et d'un engagement très fort des grandes fortunes.

Madame Jouve, il est effectivement nécessaire de développer le service civique. On entend souvent qu'il faudrait augmenter le nombre de jeunes en mission ou le nombre de missions. Mais mon premier objectif est celui de la qualité des missions : le service civique doit offrir aux jeunes une expérience enrichissante qui leur donne envie de s'engager et qui développe leurs compétences. Cet objectif doit être notre boussole.

Je ne peux laisser penser que le service civique aurait été abandonné budgétairement par ce Gouvernement. Le budget du service civique était de 385 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2017 ; de 508 millions en 2020, soit une augmentation de 68 %. L'engagement financier est et sera toujours là. Nous continuerons d'augmenter le budget de l'Agence du service civique, parce que nous croyons dans ce dispositif. Encore une fois, il n'y a pas de concurrence avec le SNU, ils sont complémentaires.

Madame Mélot, l'information des collectivités locales est essentielle. Si cette audition permet de faire passer des messages, je le fais bien volontiers. Un décret autorise tous les accueils de loisirs, dans toutes les collectivités, à rouvrir selon un protocole sanitaire différent de celui des établissements scolaires. Là aussi, élus et parlementaires peuvent nous aider à faire passer l'information, même si les services de l'État sont mobilisés localement.

Pour cet été, nous travaillons avec les associations d'élus à l'élaboration des dispositifs. Certaines communes ont déjà anticipé les choses : je me rends demain à Ris-Orangis qui a développé une offre nouvelle d'accueil des enfants. Nous aurons un enjeu particulier cet été : avec la fermeture des frontières hors Schengen, beaucoup des familles habitant les quartiers de la politique de la ville ne pourront retourner dans le pays d'origine de leurs familles pour les vacances, comme elles en ont l'habitude. Nous réfléchissons avec l'ensemble des acteurs à des solutions pour ces enfants.

Madame Robert, nous travaillons avec Frédérique Vidal sur la question de la précarité des jeunes, en particulier celle des étudiants. Comme vous l'avez rappelé, 800 000 jeunes vont percevoir une prime de 200 euros. La prime versée mi-mai aux familles modestes a aussi bénéficié indirectement à 350 000 jeunes de plus de 18 ans dont les parents ont bénéficié d'un supplément de 100 euros. Au total, près de 1,2 million de jeunes ont été concernés par les primes accordées aux plus précaires.

La question est structurelle, car la précarité des jeunes ne date pas d'aujourd'hui. Personnellement, et je sais qu'un certain nombre d'associations de jeunesse et de jeunes ne partagent pas cette opinion, je ne suis pas favorable à un RSA jeunes. Je considère que notre priorité consiste à garantir à tous les jeunes une formation et un emploi. Les pouvoirs publics n'ont pas été au rendez-vous de cet impératif depuis de nombreuses années. Le plan d'investissement dans les compétences de 15 milliards d'euros vise à offrir aux jeunes la perspective d'un emploi stable, qui leur plaise, pour lequel ils ont été formés.

À titre personnel toujours, je suis très sensible à l'idée développée par certains intellectuels, et qui fait son chemin dans d'autres pays, d'une dotation de départ en capital pour les jeunes. Nous demandons aux jeunes d'être entrepreneurs de leur propre métier, de leur propre vie. Mais encore faut-il se former, s'équiper, être mobile. Il faut pouvoir acheter une voiture, créer son activité en indépendant ou en auto-entrepreneur... Globaliser la somme des aides apportées aux jeunes pour la verser sous forme de dotation en capital permettrait à certains d'accomplir des projets et d'aller au bout de leurs ambitions. Ce n'est absolument pas une annonce, mais j'aimerais que nous réfléchissions à de telles solutions innovantes qui ont ma préférence.

MM. Paccaud et Piednoir ont aussi abordé la question de l'impact de cette crise sur l'emploi des jeunes. Les jeunes diplômés, ceux qui rentrent sur le marché du travail sont en général les premières victimes d'une crise économique. Nous suivons plusieurs pistes avec Bruno Le Maire, notamment celles d'une prime à l'embauche pour les entreprises qui recruteraient des jeunes ou des allégements de charges... Tout cela est en cours d'expertise. Je peux toutefois vous confirmer que cette question sera l'un des axes prioritaires des mesures de soutien à l'emploi du futur plan de relance.

Madame Robert, avec cette année blanche, le Président de la République a annoncé des mesures très fortes pour les intermittents. Il les a aussi invités à s'engager auprès de la jeunesse non seulement dans le cadre de l'éducation artistique et culturelle que nous développons beaucoup, mais aussi à travers les dispositifs que nous mettrons en place cet été. Les services de l'éducation nationale en région travaillent avec les directions régionales des affaires culturelles pour mobiliser les artistes et les intermittents. Nous travaillons avec Jean-Michel Blanquer et Franck Riester à une plateforme de mise en relation des artistes, des intermittents et des établissements scolaires et associations d'éducation populaire.

Monsieur Lafon, l'économie sociale et solidaire (ESS) est un enjeu extrêmement important. Nous avons déjà mis en place un fonds de secours pour les associations de l'ESS de moins de trois salariés : elles bénéficient d'un accompagnement à l'emploi et d'une subvention de 5 000 euros. Elles peuvent bien évidemment bénéficier aussi des prêts garantis par l'État et du chômage partiel. Nous voulons faire reconnaître les associations comme de vrais acteurs économiques. Cette audition et votre intervention nous y aident, je vous en remercie.

Que la répartition des crédits du FDVA intègre un critère d'urgence et de sauvetage des petites associations particulièrement touchées par la crise me semble légitime et nécessaire. Au sein des commissions qui vont se réunir, les représentants du mouvement associatif et des élus locaux - et, je l'espère, bientôt des parlementaires - auront à coeur de les soutenir.

Nous avons prévu, dans le cadre du plan pauvreté, d'augmenter de 30 % le nombre de jeunes ayant accès au Pacea, que je soutiens totalement.

Nous souhaitons que les mobilités internationales reprennent dès que possible. Les jeunes qui n'ont pu en effectuer cette année, notamment via Erasmus, ne doivent pas être lésés. S'il faut faire évoluer un point du règlement, nous le ferons.

Vous avez raison, monsieur Paccaud, la dotation du FDVA ne correspond pas totalement à celle de la réserve parlementaire. Nous en avons déjà débattu. Des arbitrages budgétaires pourront avoir lieu dans le cadre du plan de rebond que le Gouvernement présentera prochainement. L'exemple d'une association qui perd une source de recettes avec l'annulation de la brocante du village souligne le rôle essentiel des collectivités locales. Elles doivent s'efforcer, comme le fait l'État, de maintenir leur subvention à ces petites associations.

Monsieur Grosperrin, faut-il faire évoluer le SNU pour prendre en compte les conséquences de cette pandémie ? J'y suis favorable. La question de la résilience est au coeur du SNU et les armées nous aident considérablement. Beaucoup a été fait dans la phase de préfiguration autour du secours aux personnes, des accidents, des catastrophes naturelles, des attentats terroristes. La question des pandémies nécessite un certain nombre de formations spécifiques, notamment pour permettre aux jeunes d'intervenir auprès d'autres jeunes. Nous allons travailler à faire évoluer le module du SNU. Je partage vos propos sur l'importance du service civique dans l'éducation nationale. Nous poursuivrons dans ce sens. Il me semble avoir répondu à toutes les questions.

Mme Sylvie Robert . - Vous ne m'avez pas répondu sur les emplois aidés, monsieur le Ministre.

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État . - Nous n'envisageons pas un retour des emplois aidés. Les dispositifs de soutien à l'emploi des associations doivent leur permettre de devenir plus robustes et de ne pas dépendre uniquement d'une subvention. De manière plus générale, le Gouvernement travaille à garantir aux jeunes l'accès à des emplois stables, pérennes. Toutes les mesures que j'évoquais à l'instant, notamment un allégement de charges pour l'emploi de jeunes et les primes à l'embauche, tendent vers cet objectif. Aujourd'hui, il n'est pas prévu de recourir à des emplois aidés.

M. Jean-Pierre Leleux, vice-président . - Merci, monsieur le ministre d'avoir répondu en détail à nos questions. Je vous remercie de vous être plié à cet exercice avec l'engagement et l'enthousiasme qui sont les vôtres et qui font toujours plaisir à entendre.

Audition de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État
auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

MERCREDI 20 MAI 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - J'ouvre notre réunion de cet après-midi avec une certaine émotion car c'est la première fois, depuis deux mois et demi, que nous nous retrouvons en présentiel au Sénat. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que les outils de travail à distance sont, certes très utiles, mais qu'ils ne remplaceront jamais les échanges humains.

Nous auditionnons à cette occasion M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que je remercie chaleureusement, en votre nom à tous, d'avoir honoré notre invitation en venant jusqu'à nous.

Monsieur le secrétaire d'État, nous souhaitons vous entendre sur les conséquences de la crise sanitaire pour le réseau éducatif et culturel français à l'étranger, auquel, vous le savez, notre commission est très attachée.

Nous avons eu depuis quelques semaines des échanges avec le ministre de l'éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer, avec qui nous n'avons pas manqué d'aborder cette question. Il était cependant important que nous vous entendions.

Compte tenu de la situation, qui est préoccupante, nous avons souhaité mettre en place, mi-avril, un groupe de travail pour suivre la gestion de la crise dans ce secteur. Il est animé par notre rapporteur des crédits de l'action culturelle extérieure, M. Claude Kern, et composé de Mme Claudine Lepage et M. Damien Regnard. Ce groupe nous a ce matin présenté ses constats et recommandations concernant le réseau de l'enseignement français à l'étranger. Le panorama qu'il nous a dressé est, je dois dire, particulièrement sombre.

Le réseau traverse en effet l'une des plus graves crises de son histoire. Les familles sont touchées de plein fouet par les conséquences économiques de la crise sanitaire, et certaines d'entre elles considèrent que la continuité pédagogique n'est pas à la hauteur des frais de scolarité dont elles s'acquittent. Les établissements, en particulier ceux dotés d'une faible trésorerie, font face à de grandes difficultés financières, et courent le risque d'une probable perte d'effectifs à la rentrée prochaine. L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), qui fête cette année son trentième anniversaire, est très impliquée dans la gestion de cette crise, pour venir en aide aux établissements. Néanmoins, elle ne dispose sans doute pas de marges de manoeuvre budgétaires suffisantes.

Face à cette situation particulièrement dégradée, vous avez annoncé, le 30 avril dernier, deux mesures de soutien aux familles et aux établissements. Nous sommes impatients d'avoir des précisions à leur sujet car elles nous paraissent encore floues, surtout s'agissant de leurs modalités financières.

Un plan global de soutien au réseau est également en préparation au ministère. Pourriez-vous nous dire sur quelles pistes vous travaillez, et à quelle échéance ce plan sera présenté ?

Nous aimerions ensuite vous entendre sur la situation de notre réseau culturel car les instituts français et les alliances françaises sont eux aussi fortement ébranlés par cette crise, qui risque de s'inscrire dans la durée.

Je préside par ailleurs le groupe interparlementaire d'amitié France-Égypte, et je peux témoigner que le lycée du Caire fait également face à un certain nombre de problématiques. Tous ceux qui participent à ces groupes d'amitiés, en lien avec les pays du monde entier, font état de remontées comparables.

Après votre propos liminaire, notre rapporteur et ses collègues du groupe de travail vous interrogeront, puis je donnerai la parole aux intervenants de chaque groupe.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Madame la présidente, je vous remercie pour cette audition.

Le réseau de l'enseignement français à l'étranger est très clairement un joyau national. Il s'agit d'un outil éducatif puisque ses établissements, aux quatre coins du monde, permettent aux Français établis hors de France de bénéficier de la promesse républicaine. J'ai moi-même été scolarisé dans ce réseau pendant plusieurs années.

Il s'agit par ailleurs d'un outil d'influence, en tant que premier lien entre les citoyens du monde et notre pays. Nous leur donnons là ce que nous avons de meilleur en nous, c'est-à-dire notre éducation. Tout cela milite pour faire du sauvetage de l'enseignement français à l'étranger une priorité.

La crise sanitaire constitue un choc sans précédent pour notre nation, dans tous les secteurs. Il faudra encore de longs mois pour que nous retrouvions notre vie d'avant, qui sera nécessairement quelque peu différente. Il ne faut pas oublier que les premiers touchés furent nos compatriotes établis en Asie, dès le mois de janvier 2020. Ils ont dû eux aussi affronter les craintes liées à la pandémie, et certains continueront à être exposés à ce virus, dans des pays dont le système de santé n'est parfois pas suffisant pour couvrir les besoins. Nous avons-nous-mêmes constaté à quel point cette lutte est impitoyable.

Le 30 avril dernier, avec MM. Jean-Yves Le Drian et Gérald Darmanin, nous avons présenté un plan de soutien massif à nos compatriotes établis hors de France, d'un montant de 220 millions d'euros. Il comprend tout d'abord un dispositif sanitaire, qui repose sur des capacités d'évacuation à chaque instant, grâce à trois aéronefs prépositionnés, et des capacités d'emport individuelles ou en petit groupe. Nous avons d'ores et déjà procédé à un certain nombre d'évacuations sanitaires. J'en profite pour saluer l'action de M. Damien Regnard, qui a été très investi pour traiter le cas d'un de nos compatriotes au Kenya touché par la Covid-19, et qui a dû être évacué vers La Réunion.

Le plan comporte ensuite un dispositif de soutien social, consistant en une aide sociale d'urgence. Nous avons calibré 50 millions d'euros pour apporter des aides ponctuelles à des Français qui rencontreraient des difficultés. Néanmoins, la part prépondérante de ce plan de soutien porte sur le réseau des établissements d'enseignement français à l'étranger. Elle comprend un volet « bourses », permettant de traiter la question des frais de scolarité pour cette année et l'année suivante. Un autre volet prévoit une avance de trésorerie à l'AEFE, pour que celle-ci puisse mettre à disposition des établissements des moyens leur permettant d'agir vis-à-vis des familles.

Il apparaît en effet nécessaire d'agir à trois niveaux, celui des établissements, des familles, et de l'agence elle-même. L'enseignement français à l'étranger comprend 522 établissements, qui se décomposent en trois grands types : 71 établissements en gestion directe (EGD) ; 66 établissements conventionnés ; 295 établissements partenaires. 375 000 élèves y sont scolarisés, dont les deux tiers sont étrangers, et un tiers constitué de nationaux. Ces communautés éducatives sont autant de « morceaux » de France, et les élèves étrangers y apprennent avec leurs camarades bien plus que la langue française, l'histoire ou les mathématiques. Un certain vivre-ensemble, au coeur de nos valeurs républicaines, y est en effet partagé. Cette question des valeurs est du reste très présente dans notre conception de l'homologation des établissements.

Le Président de la République avait souhaité donner un nouvel élan à cet enseignement français à l'étranger. Nous avons ainsi présenté à l'automne dernier avec MM. Jean-Michel Blanquer et Jean-Yves Le Drian un plan de développement, qui avait pour ambition de doubler le nombre d'élèves d'ici 2030. Il s'agissait de conforter et d'agrandir ce réseau. Aujourd'hui, il convient en premier lieu de sauver l'existant, sans néanmoins renoncer à nos objectifs de développement. Nous devons manier le microscope pour le court terme, et la longue-vue pour atteindre cet horizon ambitieux.

La campagne d'homologation 2019-2020 a connu une forte augmentation du nombre de premières demandes, et d'extension d'homologation, puisque 99 dossiers ont été présentés. Cela représente une hausse de 20 % par rapport à l'année passée, et de près de 60 % sur les trois dernières années. La dynamique était donc enclenchée. La procédure d'homologation avait été simplifiée, en abaissant le nombre de pièces demandées, ou en offrant la possibilité de postuler dès la première année d'ouverture. Cet élan n'avait cependant pas amoindri les hauts standards de qualité posés par le ministère de l'éducation nationale et de la Jeunesse.

Cette campagne a naturellement été affectée par la crise sanitaire. Des missions d'inspection sont dépêchées pour instruire les demandes. Sur les 99 dossiers, 42 missions n'ont pu être menées. Un dispositif alternatif a été mis en place, en portant le nombre de commissions interministérielles d'homologation d'une à trois. Une première s'est réunie le 19 mai 2020, et sera suivie par une deuxième en juillet, et une troisième en octobre. Nous espérons pouvoir reprendre, au fur et à mesure que l'épidémie se résorbe, ces missions d'inspection.

Notre ambition est à la fois d'apporter des réponses aux familles et aux établissements. La crise a entraîné la fermeture de leur presque totalité. Jusqu'à 520 écoles ont dû être fermées sur 522. Des perspectives d'amélioration se dessinent aujourd'hui, puisque 92 établissements ont rouvert, parfois partiellement. En particulier, 50 % des établissements situés en Europe ont pu le faire.

Il a fallu relever un défi sans précédent pour assurer la continuité pédagogique. Les ressources du Centre national d'enseignement à distance (CNED) ont été très précieuses pour ce faire. Elles ont été mises à disposition du réseau. L'AEFE a joué un rôle d'ensemblier du dispositif de continuité pédagogique, avec l'élaboration d'un vade-mecum très régulièrement actualisé. Cet outil s'est avéré très utile pour les chefs d'établissements. Je salue également la Mission laïque française (MLF), qui s'est appuyée sur sa plateforme de formation, le forum pédagogique, pour accompagner les enseignants dans la mise en oeuvre de l'accompagnement à distance. La MLF a un vrai savoir-faire en matière numérique, avec un certain nombre de pratiques pédagogiques très stimulantes.

La fermeture massive des établissements a eu des conséquences sur l'organisation des examens nationaux, tels que le baccalauréat, ou le diplôme national du brevet. Le baccalauréat de français doit faire l'objet d'annonces par le ministre de l'éducation nationale dans les prochains jours. Tous les candidats scolarisés dans les établissements français à l'étranger, homologués ou en cours d'homologation, seront évalués en contrôle continu, sur la base du livret scolaire, des notes obtenues au cours de l'année, jusqu'à la date du début du confinement en France.

Un bon dialogue interministériel et les échanges avec les acteurs du réseau ont permis de prendre en compte un certain nombre de spécificités locales. Les établissements d'Asie, qui ont fermé dès la mi-janvier, ont été autorisés à comptabiliser les notes entre cette date et la mi-mars. Nous avons également intégré dans ce système de contrôle continu des candidats individuels issus d'établissements ayant entrepris la démarche d'homologation, même si celle-ci n'était pas encore effective. Cette mesure était nécessaire pour témoigner de l'importance que nous accordons à l'homologation, et de la qualité des personnels engagés dans ce processus.

En revanche, les candidats issus d'établissements étrangers, n'ayant pas engagé de procédure d'homologation, devront passer les épreuves programmées au début de l'année scolaire 2020-2021, tout comme les candidats individuels. C'est sans doute regrettable pour certains jeunes, qui n'auront pas les résultats du baccalauréat avant l'été. Néanmoins, il était nécessaire de faire preuve de cohérence en ce qui concerne l'importance de l'homologation.

La crise sanitaire a affecté de très nombreuses familles françaises et étrangères. La baisse subite de leurs revenus les a parfois conduites à n'être plus en mesure de payer les frais de scolarité, notamment pour le troisième trimestre. Les établissements ont parfois octroyé aux familles les plus en difficulté des facilités de paiement, sous la forme d'échéanciers, ou en remboursant des frais annexes (restauration, transport).

Il existe également une incertitude sur les effectifs de la prochaine rentrée scolaire même si, à ce jour, il est difficile de faire une évaluation précise.

La trésorerie de certains établissements, notamment celle des plus petits, est par ailleurs soumise à certaines tensions, qui ne sont pas sans impact sur les recettes de l'AEFE. Cette dernière intègre en effet dans son budget les droits d'écolage perçu pour l'ensemble des EGD, la participation des résidents, et la participation financière complémentaire due par les EGD et les établissements conventionnés. A ces recettes s'ajoute également la contribution des 295 établissements partenaires au fonctionnement du réseau. La situation actuelle met donc en péril l'équilibre budgétaire de l'AEFE, qui a déjà consenti un certain nombre d'économies ces dernières années.

Dans ce contexte, nous avons souhaité mettre en oeuvre un certain nombre de mesures. Elles sont le fruit d'un travail avec les parties prenantes de l'enseignement français à l'étranger, et d'un dialogue avec des parlementaires et le président de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE). Les partenaires sociaux ont également été consultés par mon cabinet. Parmi les souhaits souvent exprimés figuraient des demandes fortes en ce qui concerne les frais de scolarité. Le montant d'un trimestre d'écolage dans le réseau représente environ 650 millions d'euros. Une mesure de réduction de frais de scolarité, même symbolique, mais généralisée à tous les niveaux, et inconditionnelle, pèserait donc sur les établissements et l'agence. Aussi, nous avons décidé de mettre en place des dispositifs pour venir en aide aux familles qui rencontraient le plus de difficultés, tant françaises qu'étrangères. Il s'agit d'une condition sine qua non pour permettre à ces familles de maintenir leurs enfants dans notre réseau.

Ce plan d'urgence a pour principe de ne pas exclure des enfants en raison des difficultés économiques de leurs familles. Il convient également de ne pas écarter certains établissements du périmètre de ces aides. Quels que soient leurs statuts, nous souhaitions qu'ils puissent être accompagnés. Le programme 151 se voit ainsi abondé à hauteur de 50 millions d'euros sur l'aide à la scolarité. Les familles peuvent dès à présent déposer des recours gracieux, auprès de l'AEFE, pour obtenir une bourse. Ce recours est ouvert à la fois aux familles qui bénéficiaient déjà d'une bourse, et qui peuvent demander une révision de leur barème, mais également à celles qui n'en bénéficiaient pas, et qui peuvent à titre exceptionnel déposer une demande.

Nous avons pour l'heure reçu 3 800 recours. Pour qu'ils soient étudiés, les commissions locales des bourses ont été invitées à prendre en compte la situation économique des familles en 2020. D'habitude, elles se prononcent à partir des éléments de l'année précédente. Or la perte de revenus pouvant être subite, l'appréciation au regard des revenus actuels était importante. Un certain nombre d'assouplissements ont par ailleurs été apportés en ce qui concerne la prise en compte du patrimoine. Au Maroc, par exemple, 40 000 élèves sont scolarisés ; nous y avons reçu 500 demandes supplémentaires.

Pour soutenir la trésorerie des établissements, et que ceux-ci puissent eux-mêmes consentir des dispositifs d'aides aux familles étrangères que nous ne pouvons aider directement, nous avons acté, en accord avec le ministère de l'Action et des Comptes publics, le déblocage d'une avance de l'Agence France Trésor, à hauteur de 100 millions d'euros. Cette mesure est actuellement discutée par le conseil d'administration de l'AEFE, qui se déroule par voie électronique. Il doit se clore demain.

Afin de garantir que ces aides soient adaptées aux besoins des établissements, l'étude des dossiers fera l'objet d'une concertation, qui associe tous les acteurs de la communauté éducative, et nos ambassades. Le plan de développement de l'AEFE d'octobre 2019 faisait de l'ambassadeur un élément central. Nous tenons à ce que les ambassades jouent également ce rôle dans la mise en oeuvre de ces mesures d'urgence, même si l'AEFE, en qualité d'opérateur, instruit les demandes.

Notre préoccupation est de permettre aux EGD et aux établissements conventionnés de mettre en place un étalement des frais de scolarité, voire parfois de déposer des dossiers de remise gratuite. Les établissements partenaires ont par ailleurs été exemptés des frais de participation au fonctionnement du réseau, pour leur redonner des marges de manoeuvre. Le lien de ces derniers avec le réseau est d'une nature particulière. Pour pouvoir les aider directement, nous leur avons proposé la possibilité de solliciter un conventionnement temporaire. En effet, à la différence des EGD et des établissements conventionnés, ils n'ont pas une mission de service public. À travers ce conventionnement temporaire, nous souhaitons leur ouvrir la possibilité de solliciter des aides. Là aussi, il ne s'agit pas de nationalisation, mais de pragmatisme.

Les EGD et les établissements conventionnés pourront par ailleurs envisager de réduire les frais de scolarité du troisième trimestre pour les classes de maternelles, par exemple, dans une limite de 30 %. Ils pourront également limiter l'augmentation des frais de scolarité de l'année prochaine.

L'AEFE pourra soutenir ces mesures par cette avance de trésorerie délivrée par l'Agence France Trésor. M. Jean-Yves Le Drian et moi-même l'avons indiqué lorsque nous discutions de la proposition de loi relative aux Français de l'étranger, cette avance a vocation à être transformée en crédits budgétaires. Nous savons pouvoir compter sur le soutien des parlementaires en la matière.

Grâce à ce plan de soutien, nous sommes ainsi en mesure d'apporter une réponse globale car elle s'adresse à tous les établissements du réseau et à toutes les familles, françaises comme étrangères. Elle est également ciblée, dans la mesure où l'aide se fondera sur une analyse précise des besoins.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie pour cet état des lieux très important sur l'enseignement français à l'étranger et l'AEFE. Par la suite, nous pourrons évoquer les instituts et les alliances françaises.

M. Claude Kern . - Nous avons constitué un groupe de travail, qui a consacré une première partie de ses travaux à la situation de l'enseignement français à l'étranger. Nous avons prévu de nous intéresser au secteur culturel dans une deuxième phase. L'objectif du groupe était de dresser des constats, mais également de formuler des propositions. Nous vous les soumettrons prochainement.

Dans cette commission, nous sommes tous convaincus de l'importance de ce réseau, et du fait qu'il constitue un atout exceptionnel pour le rayonnement de la langue, de la culture, et de la diplomatie d'influence françaises. Face à l'ampleur de la crise, il y a urgence à agir, en apportant une réponse d'ensemble, coordonnée, ambitieuse, et dotée de moyens adaptés.

Nous partageons votre constat, mais je vous soumettrai pour commencer deux questions. Notre groupe de travail s'étonne que les deux mesures de soutien aux familles et aux établissements aient été annoncées le 30 avril, dans des termes relativement flous, sans qu'un plan d'action dressant le constat exhaustif de la situation, et apportant des solutions précises et chiffrées, n'ait été bâti préalablement. Pourquoi cette méthode ?

Vous avez évoqué l'avance de l'Agence France Trésor à l'AEFE. Les 100 millions d'euros seront bienvenus. Mais le dispositif choisi laisse penser que l'opérateur sera obligé de rembourser les sommes avancées. Or pour l'ensemble des acteurs du réseau, comme pour notre groupe de travail, ce système de solidarité à crédit est inconcevable. M. Jean-Yves Le Drian et vous-même avez annoncé aux parlementaires représentant les Français établis hors de France que l'avance pourrait être transformée en subvention lors d'un prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR). Vous avez confirmé cette information la semaine dernière au Sénat. Néanmoins, l'AEFE continue à considérer qu'il lui faudra rembourser les sommes avancées, selon des modalités fixées dans une convention entre les deux institutions. Demeurer sur cette position reporterait cette charge sur les parents, qui feront face à une augmentation des frais d'écolage. Quelle garantie autre qu'orale pouvez-vous apporter sur l'effectivité de cette transformation de l'avance en subvention ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - L'absence d'un constat exhaustif lors de nos annonces, que je qualifierais plutôt de génériques que de floues, s'explique par le caractère d'urgence de la situation. Nous avons alloué immédiatement 50 millions d'euros de crédits d'aide sociale, auxquels s'ajoutent les 100 millions d'euros de l'avance de l'Agence France Trésor. Ces sommes ne seront peut-être pas intégralement utilisées, ou au contraire, peut-être sera-t-il nécessaire de les accroître. Il était important en tous les cas de pouvoir doter le réseau de ces moyens immédiatement.

Le PLFR-2 avait déjà été voté, aussi aucun train budgétaire ne permettait de prendre des mesures additionnelles. L'avance a permis d'apporter une réponse immédiate aux problèmes de trésorerie de l'AEFE, et par répercussion, à ceux d'un certain nombre d'établissements demandeurs. Je réaffirme notre total engagement pour obtenir la conversion de cette avance en crédits budgétaires. Cette solution est partagée par notre hiérarchie, au-delà de M. Jean-Yves Le Drian et moi-même. Des réponses seront apportées dans les prochains textes budgétaires, mais l'AEFE doit naturellement tenir compte de la situation qui prévaut juridiquement. Dès lors qu'elle contracte une avance, elle ne peut anticiper le vote d'une mesure législative, aussi s'accommode-t-elle de ce premier outil. Je précise que son taux est particulièrement bas, à 0,1 %.

M. Claude Kern . - Cet argent est annoncé, mais pouvez-vous nous dire quand il sera débloqué ? L'AEFE et les familles l'attendent en effet. Par ailleurs, le ministère de l'économie et des finances partage-t-il votre position ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Le conseil d'administration de l'AEFE qui se tient actuellement doit valider ce dispositif, et l'usage de ces avances. Il prendra fin demain à 10 heures. Cela ne nous a pas empêchés de communiquer auprès des établissements et des familles, comme en attestent les 4 000 recours déjà déposés. Si j'en crois les communications d'un certain nombre de parlementaires à l'issu de la réunion du 30 avril avec MM. Gérald Darmanin et Jean-Yves Le Drian, ces mesures étaient attendues, et ont été saluées. Il existe une convention entre l'AEFE et l'Agence France Trésor pour la mise à disposition de cette avance. Il n'y a donc pas d'ambiguïté juridique. Le ministre des Comptes publics assistait par ailleurs à cette réunion, et approuve cette mesure.

Mme Claudine Lepage . - Je souhaiterais commencer par vous remercier pour le rapatriement des 180 000 Français qui étaient bloqués un peu partout dans le monde. Cela mérite d'être salué.

Il me semble que le vote du conseil d'administration de l'AEFE qui se tient actuellement est délicat. Je ne fais pas partie de ceux qui souhaitent la mort de l'AEFE, bien au contraire. Néanmoins, il lui est demandé de ventiler des prêts entre des établissements fragilisés par la crise. Certains seront dans l'incapacité de les rembourser dans les délais impartis, sauf à augmenter les frais de scolarité, qu'on leur demande par ailleurs de maîtriser, afin de ne pas provoquer le départ des familles. Cette situation est difficilement gérable. Elle ne peut qu'exacerber la colère de ces dernières, et fragiliser l'AEFE, tenue pour responsable du flou sur la nature des 100 millions d'euros d'aides promise par les ministres. Il est donc difficile de voter la mise en oeuvre de ces avances.

Je suis en outre gênée que ce plan de sauvetage prévoie d'aider tous les établissements. Parmi les établissements partenaires figurent en effet un certain nombre d'établissements privés, dont la gestion est opaque. Il me semble problématique que l'État avance de l'argent sans bien savoir comment il sera utilisé. Il est souhaitable de les aider, à condition que leur gestion soit transparente.

Par ailleurs, vous avez évoqué la convention temporaire qu'ils pourraient être amenés à signer avec l'AEFE, au cas où ils ne pourraient pas rembourser. Nous avons entendu hier que les parents d'élèves étaient farouchement opposés à ce conventionnement temporaire. Les établissements le sont aussi. En effet, s'ils sont d'accord pour recevoir de l'argent de l'État français, il se refuse à signer quoi que ce soit avec lui. Cela me gêne.

Dans le cadre de la préparation du plan de soutien, notre groupe de travail demande que la question du niveau des frais de scolarité soit traitée. Ils n'ont en effet cessé de croître depuis des années, et atteignent aujourd'hui un seuil limite d'acceptabilité. La population susceptible de s'inscrire dans les écoles françaises n'est ainsi plus la même qu'auparavant. Peut-être faudrait-il réfléchir à un mécanisme de régulation, sans porter atteinte à la structure de financement du réseau. J'ai rédigé un rapport il y a quelques années sur cette question. Certaines propositions ont été regardées avec bienveillance à l'époque, d'autres non. Nous étions alors dans un ancien monde. Mais je crois que certaines d'entre elles restent d'actualité.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Près de 190 000 Français bloqués hors de France ont pu revenir depuis la mi-mars. Nous nous souvenons tous au début de la crise, du nombre important d'appels en provenance du Maroc. Un certain nombre de dispositions avaient en effet été prises par les autorités marocaines, et beaucoup de Français souhaitaient pouvoir rentrer sur le territoire. Plus de 120 vols ont permis de faciliter le retour de 20 000 Français. Nous en sommes aujourd'hui à 200 vols depuis le Maroc.

Des situations similaires se sont aussi présentées dans la ville d'Iquitos, en Amazonie, aux Philippines, ou encore aux Fidji. Les parlementaires des Français établis hors de France ont été associés à ce travail, et ont signalé un certain nombre de cas. Nous poursuivons notre travail puisque nous avons obtenu le doublement des capacités pour le Maroc. Nous sommes ainsi passés de quatre vols hebdomadaires à huit. Une nouvelle compagnie, ASL Airlines, met également en place des vols depuis l'Algérie. Cela permettra d'apporter une réponse aux quelques milliers de Français qui en ont encore besoin. Un trafic maritime a également été mis en place pour rapatrier des détenteurs de camping-cars depuis Agadir, notamment. Un bateau a relié hier Tanger à la France.

La différence entre un établissement conventionné et un établissement partenaire tient précisément à ce que nous ne disposons pas de tous les éléments de gestion de ce dernier. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à ce que nos ambassadeurs apprécient la situation. Ils connaissent en effet le tissu social et éducatif. Cette appréciation nous permettra de déclencher des dispositifs de suivi et de soutien. Nous devons adopter une philosophie similaire à celle des prêts garantis par l'État (PGE). Le ministère de l'Économie et des Finances a notamment recommandé à un certain nombre de grandes entreprises de ne pas verser de dividendes. Nous pouvons considérer que le soutien est conditionné à la preuve que devront apporter les établissements d'avoir pris un certain nombre de mesures.

Même si le conventionnement temporaire a pu susciter des débats, il n'existe pas d'autre solution juridique. L'État ne peut aider une structure privée à l'étranger sans cette garantie. Il convient d'être pragmatique. Nous offrons cette possibilité, libre aux établissements de la solliciter.

Les parents prennent aujourd'hui en charge deux tiers des frais de scolarité. La subvention d'État se monte à 400 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les 100 millions d'euros de bourses. C'est pourquoi, dans le plan de développement de l'enseignement français à l'étranger, je me suis battu pour accroître la participation des parents d'élèves au conseil d'administration de l'AEFE. L'idée est qu'ils passent de deux à quatre. Par ailleurs, j'ai demandé à ce que les conseils d'établissements où ils siègent puissent être saisis en amont des projets de budgets. Ces mesures seront appliquées à l'automne prochain. Qui paie a le droit d'être associé et informé des décisions. Je serai du reste intéressé par des mesures permettant de réguler ces frais de scolarité, tout en préservant les capacités d'action du réseau.

M. Damien Regnard . - Je tiens à vous remercier pour les échanges que nous avons eus au cours de ces dernières semaines sur les Français établis hors de France, et l'enseignement français à l'étranger. Je vous signale que notre compatriote rapatrié depuis le Kenya, après plusieurs semaines entre la vie et la mort, a pu revenir en métropole la semaine dernière, pour trois mois de rééducation.

Notre groupe a travaillé sur les nombreux défis auxquels notre réseau fait face. Parmi nos recommandations, je souhaiterais revenir sur deux points. Alors que la survie de nombreux établissements est en jeu, il nous semble aujourd'hui incohérent de poursuivre l'objectif de doublement du nombre des élèves d'ici 2030. L'heure doit être à une totale mobilisation pour sauver et pérenniser coûte que coûte le réseau existant. Cet outil de soft power diplomatique et de rayonnement doit être considéré comme un investissement, et non comme une charge.

De plus, nous savons que 35 demandes d'homologation seront examinées lors de la prochaine commission interministérielle du mois de juillet. Au-delà de la baisse d'exigence des critères qualitatifs d'homologation que nous regrettons, l'extension du réseau serait une charge financière supplémentaire, puisque ces établissements nouvellement homologués entreraient alors dans le plan de soutien financier décidé à la suite de la crise sanitaire et économique. C'est pourquoi nous souhaitons demander un moratoire sur le plan de développement du réseau. Cette possibilité fait-elle partie de vos scénarii de travail ? À défaut, envisagez-vous de reconsidérer l'assouplissement des critères d'homologation, qui nous semble à terme préjudiciable à la qualité de l'enseignement ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - J'ai évoqué dans mon propos liminaire le fait qu'il ne fallait pas abandonner l'ambition d'accroître le nombre d'élèves scolarisés dans le réseau, à la fois dans les établissements existants, et parfois, dans des établissements que nous y intégrerons s'ils remplissent un certain nombre de critères. Il existe une croissance démographique dans certaines zones géographiques, où des pays se développent à grande vitesse. L'éducation est souvent un investissement pour les parents. Il serait dommage que nous laissions s'échapper cette opportunité d'offrir un accès à l'éducation à la française, et la capacité à accueillir plus tard ces élèves dans le supérieur. Naturellement, la priorité actuelle est le sauvetage du réseau. Néanmoins, nous devons avoir une vision large de la France. Ces deux objectifs sont conciliables, dans des temporalités différentes.

Par ailleurs, je souhaite redire que nous ne transigeons pas sur le contenu des critères d'homologation. Nous assouplissons un certain nombre de procédures administratives. Le ministère de l'éducation nationale est du reste très vigilant en la matière. Je souhaite concilier sauvetage et ambition. Il s'agit d'être conquérant.

M. Jacques Grosperrin . - Je souhaiterais revenir sur la question du baccalauréat. Il est indispensable que des réponses soient apportées aux familles. Des cellules pourraient-elles être chargées de répondre à leurs questions ?

Je voudrais revenir sur l'avenir du plan de développement de l'AEFE. L'agence fête cette année ses trente ans et avait, à cette occasion, proposé le thème du pari de l'éducation humaniste pour le programme Ambassadeurs en herbe. Certains projets devaient être récompensés au cours d'une rencontre internationale en mai 2020. Il s'agissait de faire de nos établissements des outils de diplomatie et d'influence. Les dossiers ont été rendus le 15 février, et une sélection est intervenue en mars. Qu'en est-il de ce projet ? 40 millions d'euros l'appuyaient.

M. Claude Malhuret . - Nous avons parlé des aides aux établissements d'enseignement français à l'étranger. Mais qu'en est-il des 250 établissements d'enseignement du français langue étrangère ? Ils sont extrêmement importants du point de vue économique, touristique, et pour la défense de la langue française et de la francophonie. Or ces établissements sont significativement pénalisés par la chute du nombre de voyages d'étrangers en France. Ils estiment ainsi à 90 % la chute de leurs enseignements et de leurs recettes. Des mesures d'aides sont-elles envisagées ? Bénéficieront-ils du dispositif de prolongation de l'activité partielle, comme le secteur du tourisme, et du report ou de l'annulation des charges patronales ? Un certain nombre d'entre eux risque en effet la faillite.

M. Max Brisson . - Je salue également votre travail pour rapatrier nos compatriotes, que j'ai pu constater pour certains habitants de mon département. Il en reste par ailleurs quatre au Maroc. Je salue également le travail du groupe sur les difficultés structurelles du réseau, auquel je suis attaché pour y avoir enseigné, avant même que l'AEFE n'existe.

Je souhaiterais vous interroger sur la situation des élèves du réseau, qui sont loin de ces considérations macroéconomiques, par ailleurs essentielles. Il existe, au niveau national, 4 % à 5 % de décrocheurs, et 20 % d'élèves qui se désengagent. Dans le réseau, quelle est l'ampleur de cette rupture vis-à-vis des apprentissages, par établissement ou secteur ? Je mesure à quel point les situations peuvent différer selon les pays, les établissements, et les populations qu'ils accueillent.

Par ailleurs, le ministre de l'éducation nationale essaie de mettre en place en France toutes les remédiations nécessaires pour la rentrée. L'AEFE s'y prépare-t-elle aussi, avec un calendrier décalé selon les zones géographiques ?

Enfin, malgré la crise du système, qui est antérieure à la crise sanitaire, la qualité pédagogique est un atout pour nos établissements. Vous avez évoqué les innovations qui pouvaient être mises en oeuvre, notamment à propos de la MLF. Ne sont-ce pas là des sources d'inspiration pour rénover notre système, et lui redonner l'attractivité qui assurait sa force par le passé ?

Mme Céline Brulin . - Quand les crédits que vous avez évoqués seront-ils formalisés ? Vous nous avez rassurés sur le fait que l'avance de l'Agence France Trésor serait transformée en ligne budgétaire. Un certain nombre d'autres mesures seront intégrées au projet de loi de finances (PLF) 2021, et non dans un PLFR. Or avec la part de plus en plus importante du financement des familles pour le réseau, et avec la crainte d'une diminution du nombre d'élèves, il me semble que ces mesures devraient être inscrites dans un PLFR.

Par ailleurs, les établissements rouvrent lorsque les pays où ils sont implantés rendent cela possible. Comment concevoir les remédiations nécessaires, avec des rythmes potentiellement très différents d'un établissement à l'autre ?

Mme Laure Darcos . - La crise va-t-elle compromettre certains financements des années croisées à venir des instituts français à l'étranger ? Remettra-t-elle en cause la politique culturelle extérieure ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Face à cette crise, un certain nombre de personnels d'éducation dits en postes à risque dans des lycées français ont regagné la métropole. Je souhaiterais savoir dans quelle proportion et avec quelles difficultés organisationnelles ? Je sais notamment que le proviseur du lycée du Caire a été contraint de rentrer en France.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Notre choix, plutôt que de mettre en place une cellule d'information centralisée, a été de faire en sorte que les établissements soient des centres ressources et qu'ils informent les familles. Le principe de subsidiarité permet une agilité bien supérieure.

Le programme des Ambassadeurs en herbe est un concours de joute oratoire pour les élèves du réseau. Il était impossible de le mettre en place cette année. La plupart des événements prévus pour fêter les trente ans de l'AEFE ont dû être ajournés. Lorsque nous reviendrons à une situation plus normale, il pourra être souhaitable d'en reprogrammer certains. Nous sommes très attachés à ce type d'événements.

En ce qui concerne les alliances françaises sur le territoire national, les propos du Président de la République étaient très volontaristes pour le monde de la culture. Dans son allocution du 13 avril, il a précisé que le secteur du tourisme, de la culture, des sports et de l'événementiel devait bénéficier d'un traitement particulier. Par exemple, les différents domaines de la culture sont intégrés dans les exonérations de charges de mars à juin. Ce tableau sera soumis au Parlement, dans le PLFR-3, d'ici quelques jours. Ces secteurs continueront à bénéficier d'une activité partielle plus favorable que d'autres, et ce jusqu'à la fin de l'année.

En ce qui concerne les 800 alliances françaises dans le monde, 650 ont dû être fermées, à l'instar des 117 instituts culturels locaux. Quelques-uns de ces établissements commencent à rouvrir. Un certain nombre d'entre eux ont par ailleurs mis en place des mesures de continuité, grâce au numérique. De fait, les activités générant des recettes ont connu une certaine baisse (cours de langue, organisation d'examens et de certification).

Nous avons identifié une trentaine de postes en situation fragile, y compris au sein de certains établissements dans de grands pays (États-Unis, Chine, Japon, Turquie). Nous sommes très vigilants les concernant. Une dizaine d'autres fait l'objet d'une surveillance accrue, en Argentine, au Mexique, en Indonésie et au Vietnam. A l'inverse, quelques établissements ont fait preuve d'une belle résilience budgétaire, notamment en Afrique et dans certains pays européens. Nous avons commencé un recensement de leurs besoins. Tout sera fait pour que ces établissements passent le cap. Nous finalisons un certain nombre de mesures, dont nous pourrons rediscuter dans le courant du mois de juin.

Le directeur de l'AEFE serait plus en mesure de fournir des données sur le décrochage par établissement et par pays. Je collecterai cependant ces données, et vous les transmettrai dans une réponse écrite.

Nous sommes placés en concurrence avec d'autres systèmes d'enseignement. Des établissements anglophones se développent. Nous avons beaucoup d'atouts, mais nous ne devons pas renoncer, pour rester attractifs, à favoriser l'apprentissage d'autres langues. Le Président de la République, lorsqu'il avait évoqué son plan pour le développement de la francophonie, avait souligné l'importance du plurilinguisme. La France porte l'apprentissage de la deuxième langue dans un certain nombre d'enceintes, telles que l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Le français est en effet bien placé pour être la deuxième langue choisie. Le plurilinguisme est un élément d'attractivité pour le réseau, comme le numérique, dont nous devons nous emparer pleinement.

L'AEFE dispose déjà d'une trésorerie, qui lui permet d'avancer des sommes aux établissements qui en ont besoin. Nous avons prévu l'avance pour pouvoir compléter ces montants. Ces avances seront disponibles au mois d'août, mais l'AEFE n'attend pas. Avec M. Jean-Yves Le Drian, nous portons cette position de la transformation en crédits budgétaires dans toutes les discussions interministérielles dédiées, notamment celle sur le PLFR-3. Une ventilation est possible entre celui-ci et d'autres mesures budgétaires pour 2021, mais l'idée est de sanctuariser cette somme le plus vite possible.

Les années croisées sont des moments très importants d'un point de vue culturel, mais également diplomatique. Il faut continuer au même rythme, tout en s'adaptant aux contraintes. L'année 2020 prévoyait une saison Africa. Je crois qu'il faut demeurer volontariste car en matière d'influence, nous avons pu constater que la crise était l'occasion pour un certain nombre de puissances émergentes de déployer davantage leur soft power .

Le nombre de professeurs ayant dû regagner la métropole est de l'ordre de quelques dizaines. La plupart du temps, ils ont contribué à la continuité pédagogique de là où ils se trouvaient. S'agissant des Français établis hors de France de façon pérenne, M. Jean-Yves Le Drian a indiqué qu'il leur fallait dans la mesure du possible demeurer à leur domicile. C'est pourquoi nous avons mis en place les dispositifs de soutien sanitaire et social, afin que ceux-ci puissent avoir accès à des soins appropriés en cas de problème, d'où le mécanisme d'évacuation fonctionnant en continu. L'idée est que les professeurs puissent dans la mesure du possible rester là où ils sont affectés. Je sais que le dialogue s'est enclenché naturellement entre ceux qui sont revenus, l'AEFE et leurs établissements. Mais leur nombre est relativement réduit.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Pouvez-vous approfondir la question des alliances françaises ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Il s'agit d'un travail en cours. Nous ne sommes pas au même degré d'avancement que pour l'enseignement français. Nous recensons les difficultés, avant de pouvoir élaborer les mesures d'accompagnement. Il serait à ce titre utile que la direction en charge de ce secteur au ministère puisse échanger avec votre commission.

Mme Catherine Dumas . - Qu'en est-il des étudiants qui ont l'habitude de suivre des stages à l'étranger ? Beaucoup en avaient prévu, y compris dans des lycées professionnels.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Aujourd'hui, la mobilité vers l'extérieur est très entravée. Près de 180 pays ont encore mis des mesures restrictives à l'accès des Français sur leur sol. Le travail intra-européen avance. Des initiatives quelque peu unilatérales ont été prises ces derniers jours, mais l'appel à la coordination commence à être entendu. Le 15 juin constitue à ce titre une date pivot. Au sein de l'espace Schengen, la liberté de circulation reprendra un cours plus normal.

Un certain nombre de ces stages pouvaient avoir lieu hors d'Europe. La situation risque de demeurer complexe plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Le principe qui prévaut aujourd'hui en Europe est celui du non-accès de ressortissants d'États tiers à l'espace Schengen. Il est valable jusqu'au 15 juin. Les discussions sont en cours, mais les ministres de l'Intérieur se réuniront le 5 juin. Il semblerait que les États européens souhaitent prolonger cette disposition pour quelques semaines. Cela a remis en cause un certain nombre de programmes, et nous devons parfois faciliter le retour d'étudiants français. Je songe par exemple à des étudiants en médecine en Roumanie, qui ont pu revenir la semaine dernière. Il est aujourd'hui important de temporiser sur ces déplacements lointains.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Vraisemblablement les musées, les bibliothèques et les médiathèques seront les premiers lieux de culture à rouvrir. La distanciation sociale et la régulation des flux des publics y sont en effet assez aisées. Certaines expositions sont cependant bloquées par les difficultés d'acheminement des oeuvres. Vos services travaillent-ils sur cette question ? Je songe notamment à l'exposition sur les Olmèques. Ces expositions seront-elles différées dans le temps ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Le sujet des musées concerne prioritairement M. Franck Riester. Néanmoins, vous avez raison de souligner qu'un certain nombre de musées a pu rouvrir. Naturellement, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères reste à leur disposition pour faciliter le transfert des oeuvres. Le flux des personnes a été entravé, mais celui des biens a pu continuer de manière assez soutenue. Je songe également à une exposition qui doit présenter des objets provenant du Tadjikistan au musée Guimet. Cela participe de cette logique d'influence, et j'ai bon espoir que nous puissions maintenir un programme dense.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Le Festival Normandie impressionniste doit accueillir des oeuvres notamment d'outre-Atlantique, et cela pose question. Ces manifestations sont censées reprendre, et nous comptons sur les services de votre ministère pour accompagner les transits sur place. Cela participera de la relance.

Par ailleurs, nous avons des contacts réguliers avec le délégué à la francophonie, M. Paul de Sinety, qui déplorait récemment que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ait lancé une opération nommée Marque France, dont la déclinaison était en anglais. Je m'en suis ouvert auprès de M. Jean-Yves Le Drian. Il est fâcheux que l'anglais soit choisi même dans des pays tels que le Brésil, l'Argentine et le Mexique, où la langue française est assez familière. Êtes-vous au courant de ce fait ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Ce sujet ne relève pas exclusivement du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mais était interministériel. Les différentes marques concernent l'attractivité économique et le tourisme. Il est important qu'il puisse y avoir une déclinaison selon les supports. Je suis très attaché à ce que puisse exister, outre ces déclinaisons en anglais, un équivalent en français. Le Président de la République a souhaité qu'un événement soit organisé à Paris pour valoriser le rôle de la France en matière de gastronomie. Dans ce domaine également, la concurrence fait rage. À l'initiative du chef, M. Alain Ducasse, et de l'ambassadeur, M. Philippe Faure, un Paris food forum a pu avoir lieu. Je me suis battu pour que cet événement puisse avoir comme nom officiel celui de Forum de Paris pour la gastronomie et l'alimentation durable. Nous nous adressons cependant au monde entier, et des déclinaisons sont nécessaires. J'ai néanmoins veillé à ce que ces deux dimensions puissent coexister sur les documents, et que le français ne soit pas relégué. Sans intervention politique, l'anglais aurait peut-être été privilégié.

Nous fêtons le cinquantenaire de la francophonie institutionnelle. À Niamey en 1970, un certain nombre de chefs d'État et de gouvernement ont signé ce pacte, qui a créé l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Celle-ci s'est par la suite transformée en Agence de la Francophonie, et en Organisation internationale de la Francophonie. La francophonie a cependant précédé sa version institutionnelle. Elle a commencé par de jeunes étudiants dans les années 1920, et s'est poursuivie avec des intellectuels et des écrivains. De ce point de vue, Mme Leïla Slimani est très engagée pour que nous puissions porter haut cette ambition, qui dans les jeunes générations, peut apparaître dépassée, ce qu'elle n'est naturellement pas. Elle est au contraire d'une grande modernité car le français est une langue qui permet de se retrouver.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous parlais en l'occurrence d'événements organisés dans des pays de langues latines, très proches du français, pour lesquelles la déclinaison de la Marque France se fait en anglais. Je trouve cela dommage.

M. Claude Kern . - Je partage votre position sur le plurilinguisme, mais pourquoi se battre pour que le français devienne la deuxième langue dans un certain nombre d'institutions, et non la première langue ? Je crois qu'il faut faire progresser la francophonie. Étant membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je me bats systématiquement contre les Français qui présentent leurs rapports en anglais.

Je ne reprendrai pas tous les éléments que vous avez présentés sur l'avenir du réseau, mais je constate qu'il reste beaucoup de travail. L'objectif de doublement des effectifs d'élèves d'ici 2030, voulu par le Président de la République et fixé dans le plan de développement du réseau, me semble très difficile à atteindre. Je partage votre position : il faut avant tout sauver le réseau existant. J'avais déjà émis des doutes sur ce plan de développement lorsqu'il avait été annoncé, notamment sur la date fixée. Avant d'annoncer une autre date, il conviendra de faire un nouveau point. Comme nous pouvons craindre de nombreuses défections, cet objectif devra être sans doute revu.

Nous sommes dans l'attente du déblocage de l'avance, et nous souhaiterions disposer d'une date, même approximative, de présentation du PLFR-3.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Un conseil des ministres doit se tenir le 10 juin, et traitera du PLFR-3.

J'adopte par ailleurs la même attitude que M. Claude Kern dans les conseils des ministres de l'Union européenne auxquels j'assiste. Je prends la parole en français. Notre représentant permanent auprès de l'Union européenne, il y a de cela quelques mois, avait du reste quitté une réunion, parce que les documents n'étaient pas disponibles en français. L'anglais n'est plus la langue officielle que d'un ou deux États de l'Union européenne après le Brexit. Nous travaillons à un plan avec Mme Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de la Francophonie, afin de former un certain nombre de fonctionnaires européens et internationaux à l'usage du français. Sur la durée, depuis vingt ou trente ans, le français a en effet reculé avec les élargissements successifs.

Mme Laure Darcos . - Je pense que les organismes internationaux, et notamment la Commission européenne, accueillent de moins en moins de jeunes Français. Nous sommes donc confrontés à des anglo-saxons et des jeunes d'Europe de l'Est qui s'expriment tous en anglais.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Je pense que la francophonie a de l'avenir. Je constate sur le territoire l'engagement associatif, par exemple la maison de la francophonie. Pour revenir sur le développement de l'enseignement français à l'étranger, et l'élan que le Président de la République avait impulsé pour 2030, l'idée était à la fois de renforcer les établissements existants et de favoriser l'émergence de nouveaux. Il ne s'agissait pas, lorsqu'un établissement nouveau ouvrait dans une ville où en existait déjà un autre, de prendre à l'un pour donner à l'autre. Nous avons donc demandé aux ambassadeurs de coordonner le développement du réseau. M. Olivier Poivre d'Arvor l'a fort bien fait en Tunisie. Il est important que puisse exister une certaine régulation, et nous assurer que la concurrence ne nuise pas au projet. Il s'agit de rester bien positionné dans un monde où de plus en plus de parents de jeunes de pays émergents sont prêts à investir dans l'éducation. Si nous conservons un effectif de même taille, arithmétiquement, nous perdons en influence.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Le rapport de Mme Claudine Lepage et de M. Louis Duvernois sur la francophonie avait formulé la recommandation que notre commission ne s'exprime qu'en français lorsqu'elle reçoit des délégations étrangères. Nous suivons cette règle, et nous faisons traduire, y compris quand nous nous déplaçons à l'étranger. Nous essayons d'être exemplaires en la matière.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État . - Le plurilinguisme doit s'exprimer à tous les niveaux. Si nous défendons le français sur la scène internationale, celui-ci doit également faire la place aux langues qui ont cours sur le sol français. Qui défend la francophonie doit également défendre les langues régionales. Il faut être cohérent, et nous ne devons pas faire preuve d'un impérialisme linguistique.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Notre commission défend la diversité culturelle, et l'exception culturelle. Pour nous, défendre le français, c'est défendre toutes les langues.

M. Max Brisson . - Je pense que si nous voulons que le français soit appris à l'étranger, nous devons également donner toute leur place aux autres langues sur notre territoire. Ce plurilinguisme vaut pour le système français à l'étranger, mais également en France, et est le seul moyen de sauver la place du français dans le monde.

Mme Catherine Dumas . - Les écoles françaises à l'étranger sont pionnières en la matière, puisque si l'enseignement y est en français, la langue du pays y est également enseignée, ainsi que l'anglais, et d'autres langues. Beaucoup d'élèves sortent de ces écoles en étant trilingues.

M. Max Brisson . - Le recul de l'espagnol comme première langue vivante est considérable dans mon département. L'anglais est appris à Bayonne, mais non l'espagnol. Il ne faut alors pas s'étonner que le français ne soit plus appris de l'autre côté de la frontière.

M. Claude Kern . - La situation est similaire en Alsace, où l'allemand est en net recul. Or les maisons-mères des grandes entreprises qui y sont installées sont allemandes. Elles demandent donc à ce que les jeunes recrutés sachent parler l'allemand. De même, de nombreux emplois ont du mal à être pourvus en Allemagne, faute d'un nombre suffisant de jeunes parlant la langue.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous allons conclure cette audition pour laquelle je vous remercie, M. le secrétaire d'État. Nous serons très vigilants dans la perspective du PLFR-3, sur la déclinaison de ce plan d'urgence. Nous continuerons avec notre groupe de travail à approfondir ces sujets. Aussi serons-nous sans doute amenés à vous entendre à nouveau, notamment sur le volet culturel.

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