B. LES POINTS DE VIGILANCE DU GROUPE DE TRAVAIL

Si la gestion de la crise par le ministère peut globalement être jugée satisfaisante, le groupe de travail appelle à la vigilance sur plusieurs sujets.

1. La transition entre le second degré et le supérieur à surveiller

En dépit de la crise, le calendrier de la procédure Parcoursup n'a pas été modifié , le ministère considérant que le fonctionnement entièrement dématérialisé de la plateforme n'était pas affecté par la fermeture des lycées. Le groupe de travail se veut plus prudent sur ce point, dans la mesure où le confinement a coïncidé avec la période de confirmation des voeux des lycéens. Il entend s'assurer, a posteriori , que la crise n'a vraiment eu aucune incidence sur la procédure cette année .

Par ailleurs, les bouleversements qu'aura connus l'année scolaire 2019-2020 (grèves liées à la réforme des retraites, fermeture des établissements, remplacement des épreuves du baccalauréat par du contrôle continu) auront inévitablement des conséquences sur le niveau des élèves quittant le second degré. Aussi, le groupe de travail estime qu'une période de remédiation en début de première année universitaire pourrait être utile pour éviter de mauvais résultats lors des premiers partiels et des taux d'échec qui repartiraient à la hausse en fin de première année.

2. Les limites de l'enseignement supérieur à distance

Quels que soient les efforts faits par les établissements pour mettre en ligne tout ou partie de leurs formations, une part non négligeable d'étudiants reste exclue de la continuité pédagogique pour des raisons principalement techniques, révélatrices de la fracture numérique (matériels inadéquats, forfaits téléphoniques et internet limités, zone blanche). Dès la deuxième semaine d'enseignement à distance, des établissements se sont aperçus qu'ils perdaient des étudiants, confrontés à des problèmes de connexion ou à l'épuisement de leur crédit internet. Des solutions temporaires ont pu être trouvées (prêt de matériel, bons d'achat), mais elles ne règlent pas le problème de fond des inégalités d'accès aux équipements numériques.

La crise aura ainsi eu le mérite de montrer que l'équipement informatique individuel des étudiants n'est pas de l'ordre du confort personnel, mais un élément important des conditions pédagogiques . Dans la continuité des propos tenus devant lui par le président de la CPU, le groupe de travail appelle les universités à se préoccuper davantage, à l'avenir, de la satisfaction de ce besoin .

La fracture est aussi sociale et financière . L'absence de cours en présentiel et l'arrêt des relations sociales au sein du collectif universitaire ou scolaire isolent davantage les étudiants décrocheurs ou financièrement fragiles. L'enseignement à distance agit ainsi comme un révélateur voire un amplificateur des inégalités .

En outre, la fermeture des bibliothèques universitaires a provoqué une rupture dans les habitudes d'apprentissage des étudiants. Le vide laissé est d'autant plus grand que ces espaces traditionnels de travail, de consultation et d'emprunt de documents sont aussi devenus d'importants lieux de vie, de loisirs, de détente et de rencontres.

Les difficultés liées à l'enseignement à distance n'épargnent évidemment pas les enseignants qui, dans l'urgence, et souvent sans y être préparés, ont dû adapter leurs pratiques. À cette transformation pédagogique, intellectuellement très exigeante, est venue s'ajouter une charge cognitive très importante liée à la nécessité de maintenir le lien avec les étudiants. La période de confinement s'est ainsi traduite par une charge de travail décuplée, une fatigabilité plus importante, une inquiétude sur la durée de cet enseignement en mode dégradé. Si les conditions de travail devraient s'améliorer avec la levée des contraintes liées au confinement, le groupe de travail entend rester attentif à l'évolution de l'enseignement à distance « déconfiné » .

3. Les enjeux posés par la réorganisation des examens et des concours
a) Les examens en distanciel : l'épineuse question de l'équité et de la surveillance

Alors que les établissements sont à peine sortis de la gestion de l'enseignement à distance, une autre urgence se pose à eux : comment organiser les examens de fin d'année, dans le cadre posé par la ministre ( cf. supra ) ? Faut-il maintenir toutes les épreuves ? Faut-il prendre davantage en compte le contrôle continu ? Sur quel périmètre faire porter l'évaluation des connaissances sachant qu'une partie de l'année a été complètement bouleversée ? Face à ces questions délicates, chaque école, chaque université essaye de construire sa propre solution, comme l'y autorise l'ordonnance du 27 mars 2020.

Mais toutes sont confrontées à deux écueils : l'équité entre les candidats et la surveillance des épreuves . L'utilisation d'outils d'examen à distance interroge en effet sur la façon d'assurer l'équité entre des candidats qui ne pas tous dotés d'équipements informatiques performants. Si, pendant une épreuve, un candidat est confronté à une rupture de connexion qui l'empêche de la terminer, devra-t-il la repasser à la session de rattrapage ? Quelle que soit la solution choisie, les établissements font face à des risques de recours . Certains syndicats étudiants ont d'ores et déjà prévenu qu'ils seront très attentifs aux moyens mis en oeuvre pour garantir l'équité entre les candidats.

L'organisation des examens en distanciel pose aussi la question des moyens de lutter contre la fraude . La Dgesip a mis à disposition des établissements une fiche recensant les solutions envisageables en matière de télésurveillance et les offres des fournisseurs. Mais les principaux systèmes existants 4 ( * ) sont loin d'être la panacée : ils sont matériellement compliqués à déployer pour de gros effectifs, ils sont souvent très coûteux, surtout, ils interrogent sur le plan du respect des libertés individuelles et de leur conformité au règlement général sur la protection des données (RGPD) . Face au risque de dérives, le groupe de travail appelle à la plus grande vigilance sur l'utilisation de ces outils de surveillance en distanciel des candidats .

b) Les concours en présentiel : un défi en termes de logistique et de sécurité sanitaire

Après avoir trouvé un accord sur le nouveau calendrier des concours post-classes préparatoires, le comité de pilotage s'est attelé à l'organisation des épreuves écrites qui débuteront fin juin, dans un contexte sanitaire sans doute encore très tendu .

Caroline Pascal a fait part au groupe de travail des quatre grandes difficultés que cette mission nécessite de résoudre :

• le nombre et le choix des centres d'examens : avec les mesures de distanciation sociale et l'interdiction des grands rassemblements, il est impossible d'accueillir les candidats dans les conditions habituelles. Il faut donc envisager un doublement du nombre de salles et l'occupation de centres plus petits, permettant une meilleure prise en charge d'un nombre limité de candidats ; la réquisition des locaux de certaines universités est également une possibilité ;

• les modalités de passation et de surveillance des épreuves : la distanciation sociale impose aussi de prévoir des plages horaires plus longues pour éviter les attroupements à l'arrivée et au départ des candidats ; la mobilisation de retraités pour la surveillance des centres, comme cela se faisait habituellement, est exclue cette année : le recours à des étudiants rémunérés est une piste envisagée ;

• les mesures sanitaires : le port du masque par les candidats devrait être rendu obligatoire, le nettoyage des salles après chaque épreuve et la mise à disposition de gel hydroalcoolique sont des prérequis indispensables. Se pose aussi la question des mesures d'hygiène liées aux fournitures données aux candidats ;

• les déplacements des candidats : les mesures restrictives de déplacement imposent de revoir la cartographie des centres d'examens et de multiplier les centres de proximité afin d'éviter aux candidats de devoir changer de département ou de région pour passer les épreuves ;

• l'hébergement des candidats : les solutions d'hébergement traditionnelles (hôtels, location) ne sont pas mobilisables cette année : une réflexion est actuellement en cours entre le Mesri, les Crous, la CPU et les collectivités territoriales pour trouver des alternatives. Parmi celles-ci, sont évoquées la réquisition d'universités, de gymnases ou de centres de loisirs.

À cela s'ajoutent deux problématiques plus spécifiques , l'une liée au calendrier de déconfinement en outre-mer et aux conditions de passation des épreuves dans les centres d'examen à l'étranger.

c) La nécessaire clarification des moyens financiers destinés au suivi social des étudiants

Le groupe de travail appelle le ministère à une clarification rapide des moyens dédiés aux mesures d'aides aux étudiants, qui pourraient s'avérer sous-calibrés face à l'ampleur des besoins.

• l'enveloppe de 10 millions d'euros consacrée aux aides spécifiques d'urgence des Crous sera-t-elle suffisante alors que les difficultés financières rencontrées par les étudiants, notamment pour payer leur loyer, vont sans doute durer plusieurs mois ?

• si, comme le souhaite le groupe de travail, le droit à bourse est prolongé jusqu'en juillet pour les étudiants concernés par des examens ou des concours, comment et à quelle hauteur cette mesure sera-t-elle financée ?

• une nouvelle mobilisation de la CVEC sera-t-elle nécessaire , comme l'a laissé penser le président de la CPU lors de son audition ? En tout état de cause, le groupe de travail estime indispensable de faire le point sur les conditions d'utilisation de cette contribution, qui demeurent opaques . Il s'interroge aussi sur le soutien apporté aux étudiants des établissements non couverts par la CVEC comme les établissements privés ;

• la budgétisation de l'aide exceptionnelle à 160 millions d'euros est-elle conforme aux besoins du public ciblé ? Quand ces moyens seront-ils débloqués ?

Le groupe de travail pointe également les probables effets de seuil de ces aides qui pénaliseront les jeunes issus de classes moyennes , dont les familles ont des revenus supérieurs à la limite fixée pour en être bénéficiaire, mais qui vont pourtant devoir faire face à leurs propres difficultés financières (chômage partiel ou autre) tout en assumant la charge d'un étudiant pas encore inséré dans le monde du travail.

Par ailleurs, le groupe de travail s'inquiète des conséquences financières de la crise sur les Crous . D'après la présidente du Cnous, la diminution de leurs recettes d'exploitation, liées à la fermeture des restaurants universitaires et à la suspension des loyers, devrait s'élever à 200 millions d'euros. Cette perte considérable pourrait mettre en péril le réseau des Crous, dont le rôle est essentiel en cette période de crise.

Le groupe de travail plaide en conséquence pour un abondement de la subvention pour charges de service public des Crous , à due proportion des pertes subies.

Le prochain projet de loi de finances rectificatif sera l'occasion pour le groupe de travail d'interpeller le Gouvernement sur l'ensemble de ces sujets financiers et d'envisager le dépôt d'amendements .


* 4 Premier dispositif : photos prises de manière aléatoire toutes les 45 secondes, charge ensuite à un algorithme d'intelligence artificielle d'analyser les captures pour identifier les suspicions de triche ; deuxième dispositif : captation vidéo de la totalité de l'examen, également avec un outil d'intelligence artificielle repérant les événements inattendus ; troisième dispositif : télé-examen par contrôle direct des postes informatiques des candidats par un ou plusieurs surveillants.

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