B. ALORS QUE LE RECRUTEMENT DE COMPÉTENCES RARES ET SPÉCIALISÉES EST UN IMPÉRATIF POUR L'ÉTAT NUMÉRIQUE, IL EST DIFFICILE POUR L'ADMINISTRATION DE CONCURRENCER LE SECTEUR PRIVÉ

Les rapporteurs spéciaux se sont déjà appuyés, dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances ou de leurs contrôles précédents, sur les constats dressés par la Cour des comptes dans son rapport sur les systèmes d'information de la DGFiP et de la DGDDI 45 ( * ) . Ils partageaient son inquiétude sur la capacité de ces administrations à attirer et recruter des compétences rares et spécialisées dans les domaines informatique et numérique . La Cour des comptes avait réitéré ses constats dans son rapport public annuel, dont un chapitre était dédié au recrutement de ces personnels qualifiés par les ministères économiques et financiers 46 ( * ) . Ces ministères et administrations se heurtent aujourd'hui à trois blocages pour recruter ce type de profils : l'attractivité des postes offerts, la compétitivité face au secteur privé et la fidélisation des compétences .

Le recrutement devient alors un enjeu primordial, qui nécessite de s'intéresser aux actions mises en oeuvre par la DGFiP pour accroître sa notoriété et renforcer son attractivité :

- donner davantage de visibilité aux réalisations de la DGFiP dans le domaine informatique (participation au cloud de l'État ; maîtrise du prélèvement à la source, développement rapide du datamining ...) ;

- dynamiser la politique de communication avec la création d'une cellule spécialisée dans le développement de la communication externe en matière de recrutement (diffusion de messages pour toucher un public le plus large possible, création d'une marque employeur , modernisation des supports de communication, identification des vecteurs de communication les plus porteurs, notamment auprès des établissements universitaires, des jeunes diplômés ou dans le cadre de forums d'orientation et de recrutement). Dans son rapport public annuel, la Cour relevait qu' il fallait en effet rénover et diversifier toutes les filières de recrutement : « face à un marché de l'emploi numérique en tension », les ministères économiques et financiers « communiquent trop peu sur leurs projets et leurs offres d'emploi » 47 ( * ) . Elle recommandait de renforcer l'attractivité des ministères en mobilisant l'ensemble des leviers au-delà de la seule question de la rémunération, et notamment la marque employeur et l'environnement de travail, ce que la DGFiP semble déjà avoir entrepris ;

- modifier la nature des épreuves et les programmes des concours informatiques pour les rendre plus proches des enseignements dispensés dans les établissements scolaires et universitaires informatiques ;

- assouplir les conditions relatives aux diplômes afin de permettre aux étudiants en dernière année de passer le concours de la DGFiP sans attendre d'être diplômés ;

- faire de l'apprentissage une voie de recrutement : l'apprentissage et l'investissement qu'il représente pour les services doivent pouvoir se concrétiser dans le cadre d'une voie spécifique de recrutement à l'issue du cycle d'apprentissage. Une réflexion a été engagée sur ce point avec la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) et c'est une piste que les rapporteurs spéciaux souhaitent fortement voir aboutir . Là-encore, la réflexion ouverte par la DGFiP a anticipé l'une des recommandations de la Cour des comptes dans son rapport public annuel, puisqu'elle proposait de faciliter, pour les meilleurs apprentis, leur recrutement par concours (spécifique ou de droit commun) ou par contrat à l'issue de leur formation.

S'ils soutiennent les actions entreprises par la DGFiP, qui ne peuvent que concourir à renforcer l'attractivité de ces métiers, les rapporteurs spéciaux rappellent que les pistes proposées pour faciliter et améliorer le recrutement de compétences rares et spécialisées doivent inclure une réflexion sur les salaires et sur les contrats proposés à ces profils . Ce sera d'autant plus essentiel pour la transformation numérique du ministère que « disposer, en nombre suffisant, des personnels en capacité de conduire les projets numériques est un préalable à l'entrainement de l'ensemble des agents du ministère dans cette mutation » 48 ( * ) .

Des dérogations sont déjà permises depuis l'adoption de la loi pour la transformation de la fonction publique 49 ( * ) . Il est maintenant possible de recruter des contractuels « lorsqu'il s'agit de fonctions nécessitant des compétences techniques spécialisées ou nouvelles » 50 ( * ) et la loi a également introduit le contrat de mission, inspiré du contrat de chantier. Pour mener à bien un projet, les administrations de l'État et les établissements publics peuvent en effet recruter un agent par un contrat à durée déterminée (CDD), dont l'échéance est la réalisation du projet . À l'initiative du Sénat, la durée minimale de ce contrat a été fixée à un an et sa durée maximale à six ans. Ce type de contrat peut attirer des profils plus intéressés par le projet à mener, plus mobiles au cours de leur carrière .

Dans le même temps, avec l'objectif de rendre plus attractifs les postes de contractuels et pour les profils plus intéressés par ce type de postes, la circulaire du Premier ministre du 21 mars 2017 facilite le recours au contrat à durée indéterminée (CDI), lorsque cela s'avère être un facteur de motivation suffisant et que l'employeur public a démontré l'employabilité à long terme du profil recherché. Elle permet également de faire des propositions salariales d'embauche plus intéressantes . Cette circulaire a rapidement trouvé une traduction au sein des ministères économiques et financiers : l'instruction du secrétariat général des ministères économiques et financiers du 19 décembre 2017 permet de proposer des rémunérations en cohérence avec l'état du marché de l'emploi en définissant une grille d'évaluation du niveau salarial qui tient compte de manière pondérée de la rémunération antérieure, de l'expérience professionnelle et du niveau de diplôme.

La DGAFP a par ailleurs rédigé, avec la direction du budget et la direction interministérielle du numérique (Dinum) 51 ( * ) , un référentiel des rémunérations pour les métiers en tension afin de simplifier le visa des services de contrôle budgétaire et comptable ministériels (CBCM) 52 ( * ) . Toutefois, d'après les informations transmises aux rapporteurs spéciaux, ces derniers ont une approche parfois très restrictive de ces assouplissements et de la liste des « métiers en tension », ce qui contraint les capacités de recrutement des administrations à la recherche de ces compétences.

Les rapporteurs spéciaux avaient déjà relevé, lors des examens des projets de loi de finances pour les années 2018 et 2019, que la montée en puissance de la MRV et du projet CFVR allait nécessairement enjoindre la DGFiP à rechercher des compétences dont elle ne dispose traditionnellement pas dans son vivier de recrutement . Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, sur l'initiative de Thierry Carcenac, rapporteur spécial, la commission des finances du Sénat avait adopté un amendement de crédit sur la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » afin de renforcer les crédits destinés à permettre le recrutement, en tant que contractuels, de data-scientists et de data-analysts . Les rapporteurs spéciaux expliquaient alors que l'administration éprouvait des difficultés à recruter et à fidéliser ces profils atypiques.

Ce constat a été confirmé par le service du contrôle fiscal : les compétences recherchées ne sont pas toutes disponibles à la DGFiP, qui a dû recourir à des recrutements extérieurs (des contractuels, deux attachés de l'Insee, un partenariat avec un laboratoire de recherche du centre national de la recherche scientifique [CNRS] spécialisé dans l'utilisation des techniques d'analyse de données en matière de lutte contre la fraude). Ainsi, un tiers des équivalents temps plein (ETP) de la MRV est constitué de personnels extérieurs à la DGFiP .

L'organisation de la mission requêtes et valorisation (MRV) et les profils recrutés

La MRV s'organise autour de quatre équipes :

- une équipe informatique ( cinq agents de la DGFiP et deux contractuels ) chargée de l'administration de la plateforme informatique, de la gestion des flux de données et de l'automatisation des travaux. Les agents de cette équipe doivent à la fois disposer de compétences dans l'utilisation des outils d'administration de plateformes informatique et en matière de développement ;

- deux équipes d'analyse risque (10 agents) chargées de l'élaboration de requêtes visant les fraudes organisées par des particuliers ( quatre agents de la DGFiP ) ou par des professionnels ( cinq agents de la DGFiP et un contractuel ). Ces requêtes se fondent principalement sur des critères transmis par les équipes de contrôle ;

- une équipe de data-science ( sept personnes dont deux attachés de l'Insee, trois contractuels, un doctorant détaché du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et un agent de la DGFiP diplômé d'une formation en data-science ), chargée des travaux d'analyse reposant sur des techniques mathématiques ou statistiques.

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Pour les effectifs de la MRV, le recrutement hors DGFiP s'est effectué par trois canaux : la publication des offres d'emploi sur le site de l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), la publication des offres sur le portail de l'emploi public et le recours aux réseaux spécialisés tels que Linkedin . Les contractuels sont recrutés sous CDD pour une durée de trois ans renouvelable. Ils sont titulaires de master 2 ou d'école d'ingénieurs spécialisés dans les problématiques statistiques appliquées, data science ou datamining .

En parallèle de ces actions, encouragées et engagées par plusieurs administrations, de la DGFiP à la DGAFP, il convient également de rappeler le rôle joué par la Dinum, qui pilote le programme TECH.GOUV d'accélération de la transformation numérique du service public . L'une des six missions de ce programme est consacrée à l'internalisation des compétences numériques au sein de l'État . Quatre actions composent ainsi la mission « TALENTS » du programme, dont deux semblent, aux yeux des rapporteurs spéciaux, plus particulièrement pertinentes et immédiatement applicables : la mise en place d'un dispositif de partage ponctuel d'expertise au sein de l'administration , avec la constitution d'un vivier de compétences internes et externes et la mise en place d'un cadre normatif ressources humaines pour encadrer et rendre attractive la filière numérique publique 53 ( * ) .

Le comité d'orientation stratégique interministériel du numérique (Cosinum), animé par le Dinum et présidé par le secrétaire général du Gouvernement, se réunit deux fois par an et prend notamment connaissance de l'avancement des missions et de la progression des indicateurs de pilotage du programme TECH.GOUV. Les rapporteurs spéciaux estiment que le recrutement de compétences rares dans les domaines informatique et numérique doit faire l'objet d'un suivi plus spécifique au sein du Cosinum.

Recommandation 7 (les moyens humains et technologiques) : poursuivre la réflexion engagée par la direction générale des finances publiques pour attirer des compétences rares et spécialisées dans les domaines numérique et informatique en prévoyant que les premières actions proposées (création d'une « marque employeur », amélioration de la communication, modification des épreuves du concours et valorisation de l'apprentissage) soient évaluées d'ici la fin de l'année 2022. Clarifier les règles applicables au recrutement des métiers en tension, pour éviter tout problème d'interprétation avec les services de contrôle budgétaire et comptable ministériel et créer une voie de recrutement pour les apprentis. Transmettre au Parlement un suivi de la mise en oeuvre du programme TECH.GOUV, notamment ce qui concerne son volet « TALENTS ».


* 45 Cour des comptes, Les systèmes d'information de la DGFiP et de la DGDDI (28 mai 2019).

* 46 Cour des comptes, Rapport public annuel. Disposer des personnels qualifiés pour réussir la transformation numérique : l'exemple des ministères économiques et financiers (février 2020).

* 47 Ibid., p. 188.

* 48 Ibid., p. 189.

* 49 Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

* 50 Article 18 de la loi de transformation de la fonction publique.

* 51 La direction interministérielle du numérique (Dinum) s'est substitué le 25 octobre 2019 à la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic).

* 52 Cela faisait partie des actions prévues dans le cadre du plan d'actions pour la filière numérique et des systèmes d'information et de communication (circulaire du 2 mai 2019 du directeur général de l'administration et de la fonction publique et du directeur interministériel du numérique et du système d'information et de commission de l'État).

* 53 Les deux autres actions concernent le pilotage du programme annuel Entrepreneurs d'intérêt général et l'accompagnement des managers publics aux méthodes de travail numérique et aux leviers de la transformation numérique.

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