B. UNE CONNAISSANCE DES FRICHES AMÉNAGEABLES À PARFAIRE

1. Définir le concept de friches

La définition d'une politique de réhabilitation des friches -et plus particulièrement des friches polluées- suppose au préalable de définir ce que l'on entend précisément par friche . Or beaucoup d'acteurs ont indiqué à la commission d'enquête que ce concept souffrait justement d'une absence de définition claire et officielle . Cette situation rend d'autant plus complexe l'exercice visant à estimer le nombre de friches et leur superficie sur un territoire donné. En outre, l 'absence de statut juridique de la friche conduit à appréhender cette notion de manière indirecte, sous différents prismes (biens sans maître, bien en état d'abandon manifeste, site dont le responsable est défaillant dans le cadre de la réglementation ICPE).

Pour M. Marc Kaszynski, président du Lifti, le terme de friches désignait historiquement des terrains agricoles non-exploités, en déprise, avant d'être transposé, dans les années 1970, aux terrains et bâtiments industriels abandonnés dans les régions industrielles du Nord et de l'Est de la France. Le terme englobe désormais tous types de biens et recouvre une grande diversité de situations. La définition du concept de friche se heurte justement à la plasticité de la notion . Les friches peuvent résulter de diverses activités : on distingue ainsi les friches industrielles, minières, agricoles, commerciales, résidentielles ou encore ferroviaires. En outre, il convient de s'interroger sur le délai à partir duquel il est possible de parler de friche. Par exemple, certaines emprises du groupe SNCF peuvent rester inusitées pendant plusieurs années et ainsi « présenter une apparence temporaire de friches (de par le développement spontané de la végétation) mais faire l'objet de façon périodique, d'une utilisation intensive pour des opérations de régénération ou développement du réseau ferré » 310 ( * ) .

En tout état de cause, et malgré ses natures diverses, une friche semble néanmoins se caractériser par deux éléments :

- la perte d'usage (l'idée d'abandon) ;

- la difficulté à présenter, en l'état, un intérêt sur le marché .

En juin 2019, Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, a mis en place un groupe de travail sur la réhabilitation des friches . L'un de ses sous-groupes de travail, relatif à l'inventaire national des friches, et coprésidé par l'association des maires de France (AMF) et le Lifti, a assis ses travaux sur la définition suivante de la friche : « bien ou droit immobilier, bâti ou non-bâti, quel que soit son affectation ou son usage, dont l'état, la configuration ou l'occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans une intervention préalable ».

Eu égard aux difficultés que pose l'absence de définition du concept de friche -et ce alors même qu'il fait l'objet d'un intérêt grandissant dans le cadre de la lutte contre l'étalement urbain et avec l'objectif de zéro artificialisation nette- la commission d'enquête estime nécessaire de définir un statut de friche dans la loi , notamment dans le code de l'urbanisme. Cette définition pourrait s'inspirer de celle du sous-groupe travail et servir de base à la politique de reconversion des friches.

Proposition n° 40 : Introduire dans la loi la définition du statut de friche, en s'inspirant de la définition établie par le sous-groupe de travail national relatif à l'inventaire national des friches.

Cet exercice de définition montre néanmoins que la notion de friches et celle de sols pollués, si elles peuvent se recouper, recouvrent des réalités différentes. Les friches ne sont en effet pas toutes polluées : un site peut être devenu une friche sans avoir nécessairement accueilli d'activité polluante, mais simplement parce que sa valeur foncière est très faible. À l'inverse les sols pollués ne sont pas tous à l'état de friches , à l'image du collège Saint-Exupéry de Vincennes.

2. Développer les inventaires territoriaux des friches

En dépit de cette absence de définition officielle et unifiée à l'échelle nationale, plusieurs acteurs ont tenté de réaliser des inventaires des friches présentes sur un territoire donné. D'après M. Marc Kaszynski, les tentatives de recensement mises en oeuvre dans le cadre des contrats de plan ou de programmes européens comme le Feder n'ont pas été pérennisées et « seuls quelques territoires, métropoles ou EPF durablement concernés par ce sujet ont poursuivi pour leurs besoins propres des inventaires de friches » 311 ( * ) .


Exemples d'initiatives de recensement des friches

- L'EPF de Lorraine a créé un observatoire des friches à l'échelle des quatre départements lorrains. À titre d'illustration, un travail de recensement a été conduit en 2018 en Meurthe-et-Moselle, qui a permis d'identifier 107 sites, pour une surface cumulée de 656 hectares ;

- l'association des EPFL a indiqué que l'EPFL de Savoie avait mis en place, depuis 2018, un observatoire des friches économiques sur le département, alimenté par les remontées d'informations des collectivités et complété par les données nationales et par l'EPFL ;

- les représentants de la Métropole européenne de Lille ont indiqué que Lille métropole communauté urbaine avait engagé des démarches d'inventaire des friches industrielles sur son territoire dès 1995, sur la base des déclarations des communes. Ces inventaires ont été mis à jour en 2001, 2007 et 2018, et ils visent à « identifier des sites potentiellement mutables sur lesquels la métropole pourrait mettre en oeuvre ses compétences ». L'actualisation de 2018, qui intègre les friches de la SNCF, a permis d'identifier environ 245 friches, sur une surface d'environ 650 hectares ;

- la SNCF estime que la superficie des friches ferroviaires représente 250 hectares.

Source : Commission d'enquête

Un travail de recensement des inventaires de friches a été réalisé en 2018 par la Junior entreprise de l'école centrale de Lille, à la demande du Lifti. L'« Inventaire des inventaires de friches » 312 ( * ) conclut à une importante disparité des initiatives selon les territoires :

Source : Centrale Lille Projets, Lifti, « Inventaire des inventaires de friches », 2018

D'une part, la répartition des initiatives est inégale sur le territoire national . Le rapport explique ce constat par différents phénomènes 313 ( * ) . D'autre part, les caractéristiques des initiatives elles-mêmes peuvent beaucoup varier d'un territoire à l'autre . S'agissant de la structure à l'initiative du projet par exemple, aucun organisme ne se dégage, d'après l'étude, comme étant en permanence à l'origine de l'inventaire. Sur la forme ensuite, 56 % des inventaires ont été réalisés sous la forme d'une cartographie de type atlas, et seulement 16 % consistent en un observatoire.

Au total, faute d'inventaire exhaustif -mais aussi sous l'effet de l'absence de définition officielle de ce qu'est une friche- les friches représentent un gisement foncier dont il est difficile de connaître les caractéristiques , notamment leur nombre, la surface qu'elles recouvrent et leur répartition sur le territoire national. M. Marc Kaszynski estime qu'elles se répartissent sur l'ensemble du territoire, mais plus spécifiquement dans les bassins industriels, qui concentrent, de fait, un plus grand nombre de friches industrielles. Les connaissances relatives à l'état des sols de ces friches et à leur niveau de pollution sont elles aussi lacunaires . M. Kaszynski a néanmoins indiqué à la commission d'enquête que, d'après les professionnels, les deux tiers des friches industrielles 314 ( * ) seraient polluées .

Pourtant, l' identification et la caractérisation des friches est un préalable indispensable à la mise en oeuvre des différentes politiques publiques visant à lutter contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols. En outre, comme le souligne le président du Lifti, cette phase d'identification contribue également, d'une part, aux politiques de préservation de la biodiversité et des services écosystémiques, d'autre part aux politiques de développement économique des territoires. Ces étapes permettent également de localiser au plus tôt des éventuelles pollutions sur ces sites et d'agir rapidement avant leur diffusion . À cet égard, il est intéressant de noter que la majorité des inventaires recensés par l'étude de l'école centrale de Lille ont été réalisés dans une perspective de recensement du foncier disponible ou de développement économique .

Ainsi, alors que les friches s'imposent à l'État, aux collectivités territoriales mais aussi aux acteurs privés comme un sujet crucial, au coeur des politiques d'aménagement du territoire et de développement durable, les projets sont, le plus souvent, traités au cas par cas et non pas dans le cadre d'une stratégie globale. Les parties prenantes manquent donc d'un outil de partage de connaissances et de pratiques sur le sujet. Le travail de recensement des inventaires mené en 2018 révèle néanmoins l'importance de disposer de référentiels communs -à commencer par la définition de la notion de friche- qui permettront d'homogénéiser les données pour pouvoir ensuite les comparer.

Dans ce cadre, le sous-groupe de travail relatif à l'inventaire national des friches, a proposé la définition de deux types d'indicateurs qui caractérisent une friche :

- d'une part, les indicateurs endogènes , qui répondent au besoin de connaissances préalables à un projet (géoréférencement, description de l'état environnemental, surface, dernière activité constatée, titulaires des droits, prix de vente, fiscalité applicable) ;

- d'autre part, les indicateurs exogènes , qui sont contextuels et qui sont nécessaires pour définir et piloter un projet donné sur un site en particulier.

Pour autant, et comme le suggère M. Marc Kaszynski, il faut se garder de « de la tentation de vouloir tout savoir sur les friches, ce qui aboutit à des blocages faute de moyens et d'ingénierie suffisants » 315 ( * ) . C'est pourquoi, s'appuyant sur les recommandations du sous-groupe de travail et sur les travaux du Lifti, la commission d'enquête considère que les premiers indicateurs pourraient -dans une première étape qui consiste à faire émerger des stratégies globales- servir de « noyau dur » à la création d'un réseau national des inventaires des friches , qui regrouperait les inventaires réalisés à l'échelle locale reposant sur ces mêmes indicateurs.

Le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a lancé, en juillet 2020, une version test d'une application « Cartofriches », qui a pour objectif d'aider les collectivités et les porteurs de projets à les recenser et qui s'appuie notamment sur les bases de données Basias et Basol et trois observatoires locaux. Cette application test, et les retours d'expériences des utilisateurs permettront d'en faire une première base au lancement de l'inventaire national proposé par le Lifti et soutenu par la commission d'enquête.

Une telle structuration des données autour des friches nécessite néanmoins de renforcer la connaissance des friches au niveau local -les acteurs les plus proches du terrain étant les plus à mêmes de recenser l'information- en mobilisant les différents échelons de collectivités (communal, intercommunal mais aussi régional, afin notamment faire le lien avec les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires) ainsi que les EPF et les EPFL. Ceci suppose de doter les collectivités de davantage de moyens financiers et en ingénierie sur le sujet. Enfin, en fonction des suites qui pourraient être données à la proposition de loi de M. Jean-Luc Lagleize 316 ( * ) , il pourrait être nécessaire d'associer les « observatoires de l'habitat et du foncier » 317 ( * ) à cette démarche.

Proposition n° 41 : Créer un réseau national des inventaires territoriaux de friches alimenté par les collectivités territoriales, les EPF et les EPFL et reposant sur un référentiel partagé informant notamment sur l'état environnemental des friches répertoriées.

Dans un second temps, une fois l'inventaire national des friches mis en place, il serait utile que cet outil permette de partager des expériences de réhabilitation de friches , dans une logique de diffusion des bonnes pratiques. La réhabilitation des friches au cas par cas ne permet pas de bénéficier de retours d'expérience ni d'économies d'échelles, ce qui n'est pas de nature à rassurer un potentiel acquéreur. Il est donc important d'encourager tout type d'initiatives en ce sens, à l'image du projet « ID Friches », lancé par la région Auvergne-Rhône-Alpes et qui vise à mobiliser le potentiel foncier de la région en proposant un accompagnement personnalisé.


* 310 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.

* 311 Réponses au questionnaire de la commission d'enquête.

* 312 Centrale Lille Projets, Lifti, « Inventaire des inventaires de friches », 2018.

* 313 Histoire industrielle des territoires, existence d'acteurs institutionnels dédiés aux friches, sensibilisation au sujet, non homogénéité de la définition du concept de friche...

* 314 Le terme de friches industrielles étant ici entendu comme « ayant abrité une exploitation pouvant relever de l'ICPE ».

* 315 Audition du 10 juin 2020.

* 316 Proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmente l'offre de logements accessibles aux Français.

* 317 Article 3 de la proposition de loi.

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