C. DES CONTRAINTES JURIDIQUES ET FINANCIÈRES QUI N'EMPÊCHENT PAS L'INNOVATION DANS LES POLITIQUES SOCIALES

1. L'action sociale légale des départements semble à première vue laisser peu de place aux actions volontaires à moyens budgétaires constants

Les trois allocations individuelles de solidarité représentent la contrainte juridique et financière la plus évidente.

L'article L. 115-1 du code de l'action sociale et des familles énonce que « la lutte contre la pauvreté et les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains » , justifiant l'intervention du législateur. Le cadre légal du RSA ne laisse, par conséquent, que peu de place à l'initiative des départements . La loi fixe précisément les conditions requises pour bénéficier de cette prestation 63 ( * ) , dont le montant est fixé et revalorisé annuellement par décret (564,78 euros à compter du 1 er avril 2020). Les services du département assurent l'instruction administrative des demandes et la décision d'attribution relève du président du conseil départemental, même si le service de la prestation est en pratique assuré par les CAF dans le cadre de conventions passées avec le département. Eu égard aux devoirs de recherche d'emploi qui s'attachent aux bénéficiaires du RSA, le conseil départemental a pour mission d'orienter ces derniers vers les organismes du service public de l'emploi, mais il peut également décider d'assurer lui-même les actions d'accompagnement et d'insertion des bénéficiaires dans le cadre de conventions passées avec Pôle emploi 64 ( * ) . Les décisions de suspension des droits ou de radiation relèvent du président du conseil départemental, mais répondent à des critères fixés par la loi et complétés par décret.

Ce strict encadrement juridique s'applique également à l'APA, « définie dans des conditions identiques sur l'ensemble du territoire national » 65 ( * ) et à la PCH , pour laquelle la nature des charges couvertes est définie par la loi, tandis que les montants maximums et le taux de prise en charge sont fixés par décret.

La contrainte juridique représentée par les allocations individuelles de solidarité donne naissance à une importante contrainte financière, représentant une dépense globale non pilotable de 19,4 milliards d'euros en 2019, soit à elles seules près de 30 % des dépenses de fonctionnement des départements . S'il est difficile de comparer avec précision les montants de leurs dépenses sociales, qui varient selon les périmètres retenus, on peut néanmoins estimer que le financement des AIS en représente en moyenne plus de la moitié.

Les allocations individuelles de solidarité financées par les départements

RSA

APA

PCH

Conditions

- Être âgé de 25 ans ou plus (sauf jeunes actifs, jeunes parents)

- Condition de ressources financières

- Être âgé de 60 ans ou plus

- Être en situation de perte d'autonomie (GIR 1 à 4)

- Condition d'autonomie : difficulté absolue pour la réalisation d'une activité importante du quotidien ou difficulté grave pour la réalisation d'au moins 2 activités importantes du quotidien.

- Condition d'âge : être âgé de moins de 60 ans (sauf poursuite d'activité) ou parent d'enfant handicapé de moins de 20 ans

Prestation

Prestation monétaire calculée en fonction des ressources et de la composition du foyer. Pour une personne seule, le montant plafond du RSA est de 564,78 euros par mois.

Le service de la prestation est assuré par les CAF.

L'allocataire dispose en outre d'un droit à un accompagnement social et professionnel et il a le devoir de rechercher un emploi.

APA à domicile : plan d'aide permettant de financer les dépenses nécessaires au maintien à domicile, dont le montant maximum mensuel dépend du niveau de dépendance (de 674,27 euros pour le GIR 4 à 1742,34 euros pour le GIR 1). Une participation financière de l'allocataire peut être laissée à sa charge en fonction de ses ressources.

APA en établissement : financement d'une partie du tarif dépendance fixé par l'établissement médico-social d'accueil. Une partie peut être laissée à la charge de l'allocataire en fonction de ses ressources.

Financement de 5 formes d'aides, prises en charge selon un taux pouvant varier en fonction des ressources de l'allocataire :

- aide humaine (aidant familial, emploi d'une tierce personne...) ;

- aide technique (achat de matériel de compensation du handicap...) ;

- aide à l'aménagement du logement ;

- aide au transport ;

- aide animalière.

Des aides spécifiques et exceptionnelles peuvent également être prises en charge.

Coût global 2019

10,9 milliards d'euros

6 milliards d'euros

2,5 milliards d'euros

Source : mission d'information

Au-delà des AIS, l'ensemble des secteurs de l'action sociale départementale comportent d'importants volets obligatoires. Parmi les actions obligatoires des départements, on peut notamment citer :

- le financement des services départementaux d'action sociale, d'ASE et de PMI, qui représentent en moyenne environ 40 % des effectifs départementaux ;

- l'accueil en établissement au titre de la protection de l'enfance ;

- le transport scolaire des élèves en situation de handicap ;

- l'hébergement des personnes en situation de handicap et des personnes âgées ;

- l'abondement des fonds d'aide relevant de la politique d'insertion (fonds d'aide aux jeunes en difficulté, fonds de solidarité pour le logement).

2. Les départements doivent autant que possible s'efforcer de surmonter ces contraintes pour s'emparer pleinement de leur vocation sociale
a) Des solutions existent pour dégager des marges de manoeuvre financières

Dans son rapport sur les finances publiques locales de 2017, la Cour des comptes 66 ( * ) a dressé un inventaire des pratiques permettant aux départements de dégager des « marges d'action » en matière sociale , c'est-à-dire de réduire certaines dépenses ou d'en contenir la progression pour financer de nouvelles politiques.

La Cour, conformément à la logique qui est la sienne, insiste sur le dimensionnement des plans d'aide aux personnes âgées ou aux personnes handicapées - dont le coût, il est vrai, varie fortement d'un département à l'autre. Elle recommande aussi, cela n'étonnera pas, de renforcer le contrôle du respect des obligations des bénéficiaires du RSA et la lutte contre la fraude, ainsi que d'améliorer le recouvrement des participations dues par les usagers et la récupération des sommes indûment versées.

D'autres préconisations montrent que la maîtrise des dépenses n'est pas nécessairement synonyme de dégradation du service rendu . La Cour encourage ainsi les départements à renforcer les moyens qu'ils consacrent à l'insertion professionnelle des bénéficiaires du RSA , pour mieux maîtriser les dépenses liées au versement de l'allocation. Elle recommande aussi de renforcer les contrôles exercés sur les établissements et services qui participent à la mise en oeuvre des politiques d'aide sociale, afin de s'assurer de l'effectivité des prestations et de leur juste rémunération.

Enfin, certaines recommandations ont trait à la gestion des services départementaux chargés de l'aide sociale : coordination des services centraux et territoriaux, consolidation des systèmes d'information, etc .

b) Plusieurs départements ont démontré leur capacité d'initiative et d'innovation en matière sociale

Les départements, dans la mesure de ce qui leur est possible juridiquement et financièrement, doivent s'efforcer de développer une politique d'action sociale dynamique et proactive , laissant la place à l'innovation et à l'expérimentation.

Les initiatives en la matière sont trop nombreuses et variées pour que la mission puisse en donner plus qu'un aperçu. Car les conditions de la réussite des politiques sociales peuvent différer fortement d'un département à l'autre, en fonction de leurs caractéristiques démographiques et socio-économiques.

(1) Une gestion réactive des conséquences sociales immédiates de la crise sanitaire

La crise sanitaire a illustré la réactivité des départements en matière d'action sociale.

Des dispositifs d'aide aux personnes vulnérables ont été mis en place dans des délais très brefs . Ainsi, le département des Hautes-Pyrénées a créé dès le mois de mars une cellule d'urgence pour les personnes âgées et un standard téléphonique dédié. De nombreux départements ont engagé des démarches pour lutter contre l'isolement des personnes, à l'instar du dispositif de veille sanitaire lancé par le département de la Charente-Maritime en partenariat avec l'association des maires et La Poste ou des plateformes d'entraide de voisinage créées par une quinzaine de départements.

Les départements ont également su apporter une aide d'urgence aux publics en situation de précarité . Le département de l'Hérault a ainsi décidé de prolonger de six mois les droits des personnes en situation de handicap. Plusieurs départements ont ouvert des lieux d'accueil pour les jeunes (Finistère, Seine-Saint-Denis, Haute-Garonne) ou ont permis par arrêté aux assistantes maternelles exerçant à domicile d'accueillir jusqu'à six enfants (Doubs, Indre-et-Loire, Isère, Rhône, Saône-et-Loire, etc. ). Le département de la Somme a mobilisé des agents volontaires pour assurer un lien téléphonique avec les bénéficiaires des aides sociales et créé un fonds d'urgence spécial Covid-19, destiné à financer des aides de 150 euros par personne sous condition de ressources, afin d'apporter un soutien alimentaire ou de répondre à un besoin dans l'attente de l'ouverture de droits à d'autres prestations (comme le RSA).

En matière strictement sanitaire, de nombreux départements ont souhaité que les laboratoires départementaux d'analyse , qui interviennent en principe dans les domaines de la santé animale et végétale et de l'hygiène alimentaire, puissent être associés aux campagnes de dépistage. Il a cependant fallu attendre un arrêté du 5 avril 2020 du ministre des solidarités et de la santé 67 ( * ) pour que ces laboratoires puissent prendre part à ces campagnes, sur autorisation du représentant de l'État. Entendue par la mission, l'ADF a regretté la faible sollicitation de ces laboratoires par les ARS .

(2) Des politiques d'insertion proactives

Les départements, fortement contraints par les dépenses liées au financement du RSA, tendent parfois à délaisser les politiques « actives » d'insertion . L'observatoire national de l'action sociale relève que la part des dépenses actives dans les dépenses nettes totales d'insertion des départements a diminué de 8 points en dix ans : celle-ci s'élevait en 2018 à 5,7 % des dépenses nettes d'insertion des départements (560 millions d'euros), le reste étant dédié au financement de l'allocation RSA proprement dite, contre 12,7 % (830 millions d'euros) en 2009 lors de la décentralisation du RSA 68 ( * ) .

Plusieurs départements ont pris des initiatives pour dynamiser leurs actions d'insertion, par exemple en développant une plateforme de mise en relation des bénéficiaires du RSA et des employeurs locaux . C'est notamment le cas des départements du Loir-et-Cher, du Vaucluse, et plus récemment du Bas-Rhin. L'application développée par ce dernier département, « Job Connexion 67 » , présente la particularité de s'étendre à l'ensemble du bassin d'emploi, y compris transfrontalier, et de proposer des solutions aux bénéficiaires du RSA pour lever certains freins périphériques au retour à l'emploi (transport, garde d'enfants...).

Plusieurs départements à majorité de gauche se sont également déclarés volontaires pour expérimenter la mise en place d'un « revenu de base » , ce qui a donné lieu au dépôt de propositions de loi à l'Assemblée nationale en décembre 2018, puis au Sénat en mars 2019.

La proposition de loi d'expérimentation territoriale
visant à instaurer un revenu de base

La proposition de loi d'expérimentation territoriale visant à instaurer un revenu de base a été déposée à l'Assemblée nationale le 18 décembre 2018 par plusieurs députés du groupe Socialistes et apparentés 69 ( * ) .

Elle est la traduction législative d'une réflexion initiée à la fois par des parlementaires, des élus membres de différents conseils départementaux, appuyés par des experts de l'innovation sociale. Elle propose une réforme de la structure des prestations sociales, à partir de l'expérimentation de deux modèles : une fusion RSA/Prime d'activité et une fusion RSA/Prime d'activité/aides au logement. Trois principes ont été dégagés :

- l'inconditionnalité et l'automatisation du dispositif pour résorber le non-recours, « contemporanéiser » les prestations et encourager la pluriactivité ;

- l'ouverture aux jeunes de moins de 25 ans ;

- la dégressivité du revenu de base en fonction des revenus d'activité.

Le texte a été rejeté par l'Assemblée nationale en première lecture le 31 janvier 2019. Une proposition de loi identique a été déposée au Sénat par notre collègue Roland Courteau, le 29 mars 2019 70 ( * ) .

La question du revenu universel, sous ses différentes acceptions, outrepasse de loin le champ d'investigation de la mission qui ne s'est pas prononcée sur l'opportunité de tel ou tel mécanisme. En revanche, face à la crise de l'emploi qui risque de prolonger la crise sanitaire, il y a tout lieu d'encourager les initiatives prises par les départements pour renouveler leurs politiques d'insertion en améliorant l'accompagnement vers l'emploi des publics en difficulté.

Recommandation n° 5 : Encourager les départements, malgré les contraintes liées au financement du RSA, à développer leurs politiques actives d'insertion.

(3) Une capacité à fédérer les acteurs locaux

Plusieurs départements ont, en outre, porté à la connaissance de la mission des initiatives impliquant plusieurs strates de collectivités territoriales et témoignant de leur capacité à impulser une dynamique autour de certaines thématiques d'action sociale telles que la politique de l'autonomie :

- le département de la Drôme a par exemple su tirer parti de la dynamique de création des Maisons départementales de l'autonomie (MDA) issue de la loi « ASV » pour créer et animer un réseau de points d'accueil de la MDA portés par 27 CCAS des communes les plus peuplées du département, capables d'informer et d'orienter les usagers ;

- le département de la Mayenne, qui présente une population plus âgée et plus vieillissante que la moyenne nationale, a quant à lui su accompagner et guider l'ensemble des acteurs locaux dans la mise en oeuvre des transitions qui ont affecté les politiques de l'autonomie dans les années récentes, soit le tournant « inclusif » des politiques du handicap via l'initiative « Territoire 100 % inclusif » et le tournant « domiciliaire » des politiques du grand âge grâce au plan « May'aînés » en partenariat avec les mairies, les EPCI, les bailleurs sociaux et les opérateurs publics et privés concernés.

Le plan « May'aînés »

L'initiative « May'aînés » , lancée en 2019 par le conseil départemental de la Mayenne, est un grand plan d'évolution de l'offre d'accompagnement des personnes âgées sur le territoire du département afin de mieux répondre à leurs besoins. Ses mesures visent avant tout à permettre aux personnes de mettre en oeuvre leur projet de vie en se maintenant le plus longtemps possible en autonomie et à domicile. Il s'agit en particulier de prévenir, de limiter et d'accompagner le cas échéant la perte d'autonomie de façon progressive.

Le plan comporte 12 mesures articulées autour de 8 thématiques et déclinées en 9 feuilles de routes territoriales pour chacune des 9 intercommunalités parties prenantes.

1° Habitat séniors :

- Mise en place d'une offre de logements adaptés ;

- Accompagnement dans l'adaptation du bâti/aménagement de logements.

2° Soutien à la mobilité :

- Financement d'un véhicule électrique collectif par EPCI pour faciliter la mobilité des usagers et leur accès aux activités de la vie quotidienne.

3° Soutien aux services d'aide à domicile :

- Amélioration de la communication entre le département et les services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) ;

- Revalorisation de la participation du département aux heures APA et valorisation et appui des temps de coordination, de formation, d'échange de pratiques au sein des SAAD.

4° Soutien aux aidants :

- Accompagner les aidants et favoriser le répit.

5° Mesures de soutien à l'accueil familial :

- Soutien à l'accueil familial, en améliorant la professionnalisation des accueillants familiaux et en développant les partenariats entre ESMS et dispositifs d'accueil familial.

6° Diversifier l'offre des EHPAD :

- Augmentation de l'aide à l'investissement sur les projets immobiliers des EHPAD ;

- Soutien à la mise en place de nouveaux équipements ;

- Évolution de la politique tarifaire des EHPAD.

7° Action de santé :

- Actions de santé en faveur des personnes âgées, développement de la télémédecine et de solutions innovantes pour favoriser l'accès aux soins.

8° Promotion des métiers :

- Soutien à l'innovation et à la promotion des métiers.

Source : site Internet du département de la Mayenne


* 63 Articles L. 262-2 et suivants du code de l'action sociale et des familles.

* 64 Article L. 262-33 du même code.

* 65 Article L. 232-1 du même code.

* 66 Cour des comptes, Les finances publiques locales , Chapitre V : « L'impact des dépenses sociales sur l'équilibre financier des départements », octobre 2017, consultable à l'adresse suivante : www.ccomptes.fr .

* 67 Arrêté du 5 avril 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

* 68 Lettre de l'ODAS, « Dépenses départementales d'action sociale en 2018 : un pacte financier respecté... mais à quel prix ? » , juin 2019.

* 69 Proposition de loi n° 1541 d'expérimentation territoriale visant à instaurer un revenu de base, présentée par les députés Hervé Saulignac, Valérie Rabault, Joël Aviragnet, Ericja Bareigts, Gisèle Biémouret, Boris Vallaud et les membres du groupe Socialistes et apparentés, enregistrée à la présidence du bureau de l'Assemblée nationale le 18 décembre 2018.

* 70 Proposition de loi n° 421 (2018-2019) d'expérimentation territoriale visant à instaurer un revenu de base, déposée par Roland Courteau le 29 mars 2019.

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