EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 30 septembre 2020, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de MM. Vincent Delahaye et Rémi Féraud, rapporteurs spéciaux, sur les ambassadeurs thématiques.

M. Vincent Éblé , président . - Nous en venons à la communication de MM. Rémi Féraud et Vincent Delahaye, rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État » sur les ambassadeurs thématiques.

M. Rémi Féraud , rapporteur spécial . - Le sujet de notre rapport est régulièrement médiatisé. Nous nous en tiendrons à sa partie budgétaire, comme nous en étions convenus lors du débat sur la légitimité et le coût des ambassadeurs thématiques, intervenu en séance au cours du dernier projet de loi de finances.

Au 1 er janvier 2020, on recense une vingtaine d'ambassadeurs thématiques. En poste à Paris, ils ne sont accrédités auprès d'aucun État étranger ni d'aucune organisation internationale. Ils sont rattachés à la direction du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et peuvent avoir une double tutelle - par exemple du ministère de la santé ou de celui de la culture - en fonction de leur domaine d'intervention. Leurs missions peuvent se répartir en trois catégories : les unes touchent à des sujets d'actualité et à des problématiques transversales, comme les droits de l'homme, la santé, le numérique ou bien le rayonnement culturel ; d'autres sont consacrées à des dossiers géographiques importants et sensibles, comme le conflit syrien ou bien le partenariat oriental de l'Union européenne : enfin, certaines missions concernent l'organisation d'événements internationaux comme le G7 de Biarritz. Le ministère insiste sur le fait que, s'ils bénéficient du titre d'ambassadeur, c'est pour renforcer leur autorité au plan international et faciliter leur accès auprès de personnalités étrangères. Ils bénéficient ainsi d'un rang qui leur permet d'exercer leurs missions correctement.

Nous n'avons pas constaté d'incohérence manifeste entre la réalité de l'exercice des fonctions d'ambassadeur thématique et la doctrine d'emploi qui définit ces fonctions, même si le contrôle reste insuffisant.

Initialement, dans les années quatre-vingt, les ambassadeurs thématiques étaient itinérants. Les premiers d'entre eux ont été nommés sous la présidence de M. Chirac. Leur nombre a augmenté pendant une dizaine d'années avant de se multiplier durant la dernière décennie. Ils étaient vingt au 1 er janvier 2020. Quelques-uns ont encore été nommés au cours de l'été.

Ces ambassadeurs sont pour l'essentiel des fonctionnaires et des diplomates. Quelques personnalités politiques exercent aussi la fonction, mais en nombre très limité quand elles ne sont pas fonctionnaires du Quai d'Orsay.

Les missions qu'exercent les ambassadeurs thématiques s'inscrivent dans des objectifs de politique étrangère, avec quelques exceptions - il y a eu par exemple un ambassadeur à la cohésion sociale.

On estime à environ 200 000 euros par ambassadeur la dépense annuelle moyenne pour une rémunération proche de 123 000 euros bruts, soit la moitié de celle attribuée à un ambassadeur en poste à l'étranger : en poste à Paris, les ambassadeurs thématiques ne perçoivent pas d'indemnité de résidence à l'étranger.

Le coût global de ces ambassadeurs atteint 1,8 million d'euros, montant à 2,3 millions d'euros si l'on prend en compte le CAS « Pensions ». La prise en charge des frais de mission et de représentation a représenté 400 000 euros en 2019, la hausse de ce montant par rapport aux années précédentes n'étant due qu'à l'intégration de dépenses qui n'étaient jusque-là pas prises en compte.

Les ambassadeurs thématiques disposent de collaborateurs, agents publics relevant d'un secrétariat partagé, pour un coût total de 1,5 million d'euros en 2019.

En 2019, première année où l'estimation a été réalisée, le coût global des ambassadeurs thématiques s'est élevé à 4,1 millions d'euros, soit 186 000 euros par ambassadeur sur un an.

M. Vincent Delahaye , rapporteur spécial . - Nous avons regardé le coût des ambassadeurs thématiques, mais aussi la définition de leurs missions et leurs obligations, qui posent quelques difficultés. Aucun décret n'en traite, à l'inverse des ambassadeurs en poste à l'étranger ou auprès d'organisations internationales. Il n'y a pas de lettre de mission pour tout le monde ! (Sourires) Un quart des ambassadeurs thématiques actuellement en poste n'en ont pas, ce qui est un peu bizarre.

Évaluer l'activité des ambassadeurs s'est révélé également difficile, car seule une minorité des lettres de mission - lorsqu'elles existent - mentionne formellement une obligation de rendre compte. En conséquence, un nombre très limité d'ambassadeurs ont remis des rapports d'activité - il y en a eu huit sur vingt - ou des rapports de fin de mission - nous n'en avons vu qu'un seul... Le ministère a été contraint de transmettre des pièces de nature diverse - agendas, comptes rendus, notes - qui témoignent d'une activité mais ne permettent pas d'apprécier le travail en tant que tel.

Le ministère semble avoir pris conscience de la nécessité d'agir - notre mission n'y était pas étrangère. Son secrétaire général a signé une note de service prévoyant un meilleur suivi budgétaire infra-annuel qu'illustre, notamment, le changement de méthode comptable, avec la prise en compte de la totalité des coûts ; une autorisation préalable de son service ou de la direction de la modernisation du ministère pour le recrutement de personnels supplémentaires, contrairement à la situation précédente ; une obligation d'établir des plans d'action et de produire des rapports de fin de mission.

Ces mesures vont dans le bon sens, mais nous suggérons de les renforcer en prenant un décret qui aurait pour objet de consacrer juridiquement la catégorie des ambassadeurs thématiques ; de décrire en termes généraux les missions qui peuvent être confiées à un ambassadeur thématique ; de prévoir que la nomination d'un ambassadeur thématique s'accompagne obligatoirement de la notification d'une lettre de mission précisant les objectifs qui lui sont assignés, les moyens qui lui sont alloués et les autorités ou directions auxquelles l'ambassadeur est rattaché ; d'indiquer l'obligation faite à l'ambassadeur thématique de rendre compte de son action à la direction ou l'autorité à laquelle il est rattaché par la voie d'un rapport d'activité annuel et d'un rapport de fin de mission.

Nous n'avons pas réussi à obtenir les évaluations annuelles des ambassadeurs thématiques et n'avons obtenu que peu de lettres de mission et de rapports d'activité. Le sujet commence à être pris en compte, mais il doit faire l'objet d'améliorations sensibles pour rentrer dans un cadre normal d'activité - ces ambassadeurs sont rémunérés par les deniers publics.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - En dépit de brefs débats sur ce sujet lors de l'examen des lois de finances, c'est la première fois que nous avons une évaluation réelle du coût de ces ambassadeurs thématiques et une synthèse de ce qui manque : lettres de mission, rapports annuels...

Je m'interroge sur la liste des vingt ambassadeurs thématiques. Certains me semblent pleinement justifiés par la mission très claire qu'ils occupent, comme le président du groupe de Minsk ou le représentant du Président de la République sur la Syrie. Mais je m'interroge sur le délégué aux investissements internationaux ou le délégué à l'action culturelle extérieure de la France.

M. Philippe Dallier . - Ou au sport ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Quelle est l'utilité de ces derniers, alors que nous avons des ambassadeurs dans des organisations internationales et, pour ce dernier cas, notamment à l'Unesco ? Ces ambassadeurs ne font-ils pas double emploi avec ces représentants dans les organisations internationales, ou certains de nos diplomates comme les attachés culturels ?

Le ministère des affaires étrangères participe à la réduction de l'effort public dans les ambassades et les consulats, dont certains ont des missions extrêmement compliquées. Ainsi, pour la crise sanitaire, les ressortissants français, mais aussi les instituts français, les alliances françaises, les lycées français sont en grande difficulté. Nos ambassades manquent de personnel et agissent dans des conditions difficiles. Or les ambassadeurs thématiques, ce sont vingt personnes avec des équipes. Ne serait-il pas plus intéressant de remettre ces postes d'appui dans le réseau diplomatique pour gérer la crise actuelle ? Par exemple, le Vietnam est entièrement fermé, il n'y a pas de vol pour le pays. Nos ressortissants et nos entreprises ont besoin d'assistance et ne peuvent se tourner que vers les consulats et les ambassades.

L'on peut entendre les engagements du ministère, mais ce n'est pas une simple note de service qui résoudra le problème. Je pense qu'il serait utile de déposer un amendement d'appel pour supprimer ces postes d'ambassadeurs thématiques, et de le retirer si le ministre s'engage à publier un décret comme vous le préconisez. Qu'il n'y ait pas de lettre de mission ou de rapport pose problème... Cet amendement d'appel permettrait de s'assurer réellement des progrès réalisés et notamment pour que les missions et le travail de ces ambassadeurs soient plus visibles. Face à une circulaire du ministère, nous connaissons la possible résistance de l'administration...

M. Jérôme Bascher . - J'aime beaucoup, humainement, les ambassadeurs thématiques, et je remercie les rapporteurs de leur travail. Mais ce sujet a le don de m'horripiler. Je connais Catherine Bréchignac, ancienne présidente du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et du Haut Conseil des biotechnologies, ancienne secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences, qui n'a pas besoin d'être nommée ambassadeur pour se voir confier une mission. Cela n'a pas de sens.

Listons ce que doit être un ambassadeur thématique. Il y a un ambassadeur de l'environnement, mais une ministre est chargée de ce sujet ; de même pour le sport. Ces postes comprennent une tâche de négociation, mais c'est le rôle du ministre, de son administration, des ambassadeurs ! Ces personnes pourraient plutôt être chargées de mission auprès du ministre, surtout si elles ont auparavant été ambassadeurs ; elles n'ont pas besoin du titre ! Elles auraient une mission ponctuelle, définie par une lettre de mission, avec application du statut de la fonction publique, plutôt que de faire l'objet de mesures ultra-dérogatoires, voire scandaleuses.

M. Éric Bocquet . - Avez-vous rencontré un ambassadeur ou une ambassadrice thématique pour échanger ? Je m'étonne de voir encore Mme Royal sur la liste au 1 er janvier 2020.

M. Vincent Delahaye , rapporteur spécial . - Elle était encore en poste au 1 er janvier 2020 ; elle ne l'est plus actuellement.

M. Michel Canevet . - Merci pour ce rapport de qualité. Vos propositions sont nécessaires pour faire évoluer les choses. Une ambassadrice en poste a dû démissionner - ou être démissionnée - en raison des écarts entre les moyens prévus et ceux utilisés. Avez-vous pu vérifier que les moyens sont bien affectés à l'usage prévu et qu'il n'y ait pas d'errements préjudiciables ?

M. Vincent Segouin . - Ces ambassadeurs thématiques sont-ils soumis aux mêmes contraintes que les parlementaires, notamment en termes de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), ou de justification de leurs dépenses ?

M. Claude Raynal . - Merci pour ce rapport éclairant. Je m'interroge sur le calcul de la moyenne des rémunérations, dans la mesure où certains exercent la fonction bénévolement. Ne pourrait-on pas obtenir la moyenne de ceux touchant une rémunération ?

Certains ambassadeurs, ou anciens ambassadeurs ayant été en poste à l'étranger, sont chargés de mission interne au ministère. N'aurait-on pas intérêt à séparer les deux choses ? Le ministère des affaires étrangères a souvent des ambassadeurs sans mission...

M. Philippe Dallier . - Un certain nombre !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Comme les préfets hors cadre...

M. Vincent Éblé , président . - Ils sont payés quand même !

M. Claude Raynal . - Donner une mission thématique à un ambassadeur ne me choque pas, sachant qu'il est déjà rémunéré par le ministère. Combien de personnes qui ne sont pas ambassadeurs de plein exercice sont rémunérées par le ministère ? Un amendement d'appel pourrait aussi limiter le nombre maximal de tels ambassadeurs thématiques.

M. Vincent Éblé , président . - Cela s'appelle le plafond d'emploi....

M. Jérôme Bascher . - Comme pour les préfets réalisant une mission pour le compte du Gouvernement...

M. Vincent Delahaye , rapporteur spécial . - Nous n'avons pas souhaité nous prononcer sur l'opportunité des différents postes. Par ailleurs, nous avons manqué de temps pour rencontrer ces ambassadeurs. Nous n'avons pas pu non plus vérifier le rôle de tous leurs collaborateurs. Ainsi, Mme Royal ne percevait pas de rémunération spécifique comme ambassadeur thématique, mais elle avait deux collaborateurs en CDD, dont nous n'avons pas pu vérifier le travail.

Proposer un amendement d'appel me semble une bonne façon de faire. Il faut un meilleur encadrement de ces postes. Le ministère nous annonce des progrès, il faut que ceux-ci soient réalisés.

M. Rémi Féraud , rapporteur spécial . - Il y a des types très différents d'ambassadeurs thématiques. Quatre d'entre eux ne sont pas rémunérés pour cette tâche : outre Mme Royal, l'ambassadeur pour les investissements internationaux est aussi le directeur général de Business France. Cela ne nous a pas paru choquant, mais il faut l'expliquer. Le président de l'Institut français est également ambassadeur pour les relations culturelles internationales, sans rémunération spécifique pour cette ambassade. Enfin, l'ancienne secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences est aussi ambassadrice déléguée à la science, la technologie et l'innovation. La moyenne est calculée alors que seuls seize ambassadeurs thématiques sont rémunérés spécifiquement.

M. Vincent Éblé , président . - La moyenne est donc calculée sur les seize ambassadeurs rémunérés ?

M. Rémi Féraud , rapporteur spécial . - Oui. Il n'y a pas de dérive particulière ni de coût très important, mais le cadre juridique est insuffisant. Je comprends la nomination d'un ambassadeur pour plus de crédibilité dans les relations internationales, sinon cela relève d'un délégué interministériel. Il faut mieux encadrer. Durant la présidence de François Hollande, le nombre d'ambassadeurs thématiques a considérablement diminué : ils sont passés de 27 à 18.

M. Claude Raynal . - Il fallait que cela fût dit !

M. Rémi Féraud , rapporteur spécial . - Le nombre très variable d'ambassadeurs thématiques suivant les périodes montre que certaines responsabilités ne sont pas indispensables, mais qu'elles peuvent être utiles ; un amendement d'appel, pourquoi pas, afin d'encadrer et de passer de la circulaire au décret ?

M. Vincent Delahaye , rapporteur spécial . - Vincent Segouin, les ambassadeurs thématiques nommés en Conseil des ministres sont soumis à une obligation de déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique mais à l'inverse des parlementaires, ces déclarations ne sont pas rendues publiques.

La commission a autorisé la publication, sous la forme d'un rapport d'information, de la communication de MM. Rémi Féraud et Vincent Delahaye.

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