Rapport d'information n° 432 (2020-2021) de MM. Jean SOL et Jean-Yves ROUX , fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, déposé le 10 mars 2021

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N° 432

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 mars 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) et de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement
et d'administration générale (2) sur l'
expertise psychiatrique et psychologique
en matière pénale : mieux organiser pour mieux juger ,

Par MM. Jean SOL et Jean-Yves ROUX,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Patrick Boré, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Élisabeth Doineau, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Laurence Garnier, Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, M. Olivier Léonhardt, Mmes Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Dominique Théophile .

(2) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Appelé à rendre la justice au nom du peuple français, le juge a la tâche particulièrement sensible d'appliquer la loi à des situations concrètes, sous le regard de l'opinion publique. Il ne peut s'en remettre à d'autres pour apprécier les faits ni pour dire le droit. L'article 427 du code de procédure pénale fixe le principe sur lequel repose le prononcé des décisions de justice en France : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction ».

Les magistrats disposent de la possibilité, pour éclairer leur appréciation des faits, de recourir à des experts tant en matière civile qu'en matière pénale 1 ( * ) , mais ne sont pas tenus par leurs conclusions 2 ( * ) . Si l'on a pu craindre, selon les époques, la substitution de l'expert au juge ou à l'inverse l'insuffisance de recours au savoir scientifique et technique dans les décisions de justice, la complémentarité entre le magistrat et l'expert est au coeur des affaires les plus complexes en matière civile et, pour ce qui concerne ce groupe de travail, en matière pénale. En cette dernière matière, l'expert désigné pour éclairer la juridiction - qu'elle soit constituée de magistrats professionnels uniquement ou de jurés populaires, dans le cas du procès d'assises - est de plus en plus souvent un expert psychiatre ou psychologue, chargé d'appréhender la personnalité du prévenu et les ressorts psychologiques qui ont accompagné la réalisation des faits qui lui sont reprochés.

Une séquence judiciaire particulièrement douloureuse, qui s'est ouverte dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 avec le meurtre de Mme Sarah Halimi et qui se poursuit aujourd'hui par l'examen d'un pourvoi par la Cour de cassation déposé par la famille de la victime contre l'arrêt de la chambre de l'instruction qui a estimé l'auteur présumé des faits dépourvu de discernement et donc irresponsable pénalement, replace le rôle de l'expert et des textes qui encadrent sa pratique au service de la justice pénale au coeur du débat.

La question de l'irresponsabilité pénale, aussi ancienne que le droit pénal lui-même 3 ( * ) , aujourd'hui codifiée à l'article 122-1 du code pénal, appelle du législateur une réflexion en profondeur, déjà entamée par le Sénat. En 2010 un rapport commun à la commission des affaires sociales et à la commission des lois avait dressé le constat alarmant du nombre de détenus souffrant de troubles mentaux et interrogé les causes du phénomène 4 ( * ) . Dix ans plus tard, le 18 février 2020, à la demande du groupe Union centriste et de notre collègue Nathalie Goulet, la Haute Assemblée débattait en présence de Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, de l'application du principe d'irresponsabilité pénale au regard d'une double actualité : d'une part, les actes de terrorisme et la tendance à « psychiatriser » la radicalisation violente ; d'autre part, l'assassinat de Sarah Halimi et la question posée aux experts et magistrats de « la frontière entre, d'une part, l'irresponsabilité pour cause d'intoxication et, d'autre part, la cause aggravante de responsabilité ».

Or, poser l'épineuse question du discernement du commettant au moment de l'acte, c'est d'abord interroger le rôle de celui chargé de l'évaluer : en premier lieu le juge, mais surtout l'expert professionnel mandaté pour l'éclairer.

C'est dans cet esprit que s'est constitué le 24 juillet 2019 un groupe de travail commun entre la commission des affaires sociales et la commission des lois du Sénat sur l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale, à l'initiative de Nathalie Delattre (Rassemblement démocratique social et européen, Gironde) et de Jean Sol (Les Républicains, Pyrénées-Orientales).

Malgré l'interruption de ses travaux en 2020 en raison du contexte pandémique et des élections sénatoriales, le groupe de travail, rapporté à l'issue du renouvellement par Jean Sol et Jean-Yves Roux (Rassemblement démocratique social et européen, Alpes de Haute-Provence), a néanmoins maintenu un rythme soutenu d'auditions et de rencontres, soucieux de recueillir le témoignage des magistrats, des praticiens de toutes les sensibilités et du ministère de la justice.

Arrivé au terme de ses travaux, le groupe de travail a acquis la certitude que la question de l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale ne pouvait plus faire l'économie d'une réforme dédiée. Jusqu'à présent traité de façon incidente, au gré des grandes lois pénales par lesquelles les gouvernements successifs ont souhaité imprimer leur marque à notre appareil répressif, l'expert judiciaire souffre aujourd'hui de n'avoir jamais été considéré en tant que tel.

Auxiliaire de la justice pénale, sa fonction lui paraît parfois considérée comme ancillaire, alors que la complexité croissante des affaires portées à sa connaissance en a fait un acteur déterminant de l'instruction, du procès et de l'application des peines. À cheval entre justice et santé, la mission de l'expert psychiatre ou psychologue se trouve au coeur de différentes traditions de l'action publique, qui compliquent la définition d'un statut à part.

Aussi attentif à l'exercice de sa pratique qu'au contenu de ses missions, le groupe de travail formule 20 propositions , dont la vocation est de donner à l'expert psychiatre ou psychologue les moyens de remplir effectivement son rôle. Si toutes ne sont pas de nature législative, certaines pourront utilement nourrir les débats parlementaires que les textes à venir sur la réforme de la justice ne manqueront pas de susciter.

LISTE DES PROPOSITIONS

___________

Proposition
n° 1

Associer davantage les experts psychologues à la réalisation des expertises post-sentencielles

Proposition
n° 2

Mettre en place, au niveau national, une option de psychiatrie ou de psychologie légale intégrée à la maquette du troisième cycle d'études médicales spécialisées en psychiatrie ou du master 2 de psychologie

Proposition
n° 3

Favoriser, à chaque fois qu'un expert récemment diplômé est sollicité par une juridiction, son accompagnement dans la mission d'expertise par un expert plus expérimenté

Proposition
n° 4

Intégrer un professionnel non-expert dans la commission chargée d'émettre un avis sur l'admission d'un candidat à la qualité d'expert

Proposition
n° 5

Prévoir pour tout expert psychiatre ou psychologue inscrit sur les listes agréées une obligation déclarative de ses liens d'intérêts, laquelle pourra être consultée par les conseils des parties au moment de la désignation de l'expert

Proposition
n° 6

Réévaluer la tarification des actes de psychiatrie et de psychologie légale, en prêtant une attention particulière à la modulation de la rémunération en fonction de l'ampleur de l'affaire et de l'investissement requis de l'expert

Proposition
n° 7

Revenir sur le projet de déductibilité directe par le magistrat tarificateur des cotisations salariales sur le tarif net versé à l'expert, cette pratique étant manifestement contraire aux dispositions en vigueur

Proposition
n° 8

Inscrire à l'article R. 227 du code de procédure pénale le principe selon lequel le magistrat ayant engagé des frais d'expertise est chargé de leur taxation, en conservant la voie de recours ouverte au ministère public

Proposition
n° 9

Faciliter pour l'expert les conditions de réalisation de l'expertise lorsque cette dernière se fait en maison d'arrêt, en lui ménageant un accès de droit à la personne et en imposant que la première expertise ait lieu dans un délai maximal de deux mois après l'incarcération

Proposition
n° 10

Préciser le cadre de la transmission du dossier médical à l'expert, en distinguant selon le stade de la procédure : en amont de l'instruction, attribuer à l'expert la qualité de membre de l'équipe de soins et maintenir sa soumission au secret médical ; au cours de l'instruction, expliciter dans le code de procédure pénale la capacité qu'a le juge de mettre le dossier médical à la disposition de l'expert, en sa qualité d'auxiliaire de justice

Proposition
n° 11

Compléter l'article 717-1 du code de procédure pénale en prévoyant que le juge d'application des peines communique systématiquement les résultats des expertises pré-sentencielles et post-sentencielles aux experts chargés de l'examen des détenus ainsi qu'aux conseillers des services pénitentiaires d'insertion et de probation

Proposition
n° 12

Préciser les articles 63-3, 706-88 et 706-88-1 du code de procédure pénale, afin de spécifier que l'examen clinique de garde à vue ne peut se prêter à la réalisation d'expertises psychiatriques ou psychologiques requises par l'enquête ; par ailleurs, prévoir une grille tarifaire spécifique de l'examen clinique de garde à vue

Proposition
n° 13

Mieux encadrer la possibilité pour les parties de solliciter un complément d'expertise pénale ou une contre-expertise pénale au moment de l'ouverture de l'instruction ; prévoir une contre-expertise de droit ouverte à la partie civile dans le cas où l'enquête montrerait des éléments susceptibles d'orienter vers une irresponsabilité pénale ; supprimer la prérogative du président de la chambre d'instruction prévue à l'article 186-1 du code de procédure pénale de ne pas saisir la chambre d'un appel d'une demande de contre-expertise ; maintenir la communication obligatoire du résultat de l'ensemble des expertises à toutes les parties

Proposition
n° 14

Envisager de modifier le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, en prévoyant que l'irresponsabilité pénale ne peut concerner que les personnes atteintes, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique, issu d'un état pathologique ou des effets involontairement subis d'une substance psychoactive

Proposition
n° 15

Préciser l'article 158 du code de procédure pénale en indiquant que, dans le cas où le juge d'instruction sollicite une expertise pour établir le discernement du commettant, cette expertise doit se concentrer sur les seules causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité pénale

Proposition
n° 16

Sensibiliser les magistrats à privilégier l'irresponsabilité pénale lorsque l'expertise pré-sentencielle fait apparaître un trouble ou une maladie mentale avérée ; en conséquence, renforcer les mécanismes de surveillance au sein des établissements de soins psychiatriques pour ces patients

Proposition
n° 17

Expliciter par une circulaire interministérielle le rôle des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) dans la prise en charge prioritaire des détenus atteints de troubles psychiatriques

Proposition
n° 18

Réexaminer la nécessité des expertises obligatoires en matière de dangerosité par la conduite d'un bilan de ces expertises ; dès à présent, clarifier, au sein du code de procédure pénale, la répartition des missions entre l'équipe chargée de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité et l'expert post-sentenciel

Proposition
n° 19

Préparer la réforme de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité du détenu, qui se substituerait à terme à l'expertise post-sentencielle, en intensifiant la formation criminologique des psychologues cliniciens contractuels auprès du centre national d'évaluation et en y assurant la présence de psychiatres

Proposition
n° 20

Repositionner l'intervention du médecin coordonnateur en lui attribuant, à la place de l'expert psychiatre post-sentenciel, la mission d'évaluer l'opportunité thérapeutique d'une injonction de soins et des traitements afférents ; permettre, en réécrivant l'article R. 3711-8 du code de la santé publique, que l'expert pré-sentenciel assume les fonctions de médecin coordonnateur

I. LA PRATIQUE DE L'EXPERTISE : DES CONDITIONS D'EXERCICE DE PLUS EN PLUS CONTRAINTES

A. UNE SOLLICITATION CROISSANTE DE L'EXPERT, FRUIT D'UNE DEMANDE TROP PEU RÉGULÉE

1. Nombre d'experts contre nombre d'expertises : un dangereux effet de ciseaux

Les listes d'experts psychiatres et psychologues

Comme tous les experts judiciaires, les experts psychiatres et psychologues doivent, pour se prévaloir de cette qualité, être inscrits sur une liste établie au niveau national ou pour le ressort d'une cour d'appel. Il s'agit d'une démarche volontaire de leur part, soumise à des conditions définies par la loi et le règlement.

L'article 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires à laquelle renvoie l'article 157 du code de procédure pénale dispose en effet que sont constituées :

1° Une liste nationale des experts judiciaires, dressée par le bureau de la Cour de cassation ;

2° Une liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d'appel.

Ces listes sont établies « pour l'information des juges »  et ils ne sont donc pas tenus de limiter leur choix aux experts inscrits. Cette liberté est cependant conditionnée par le type de contentieux qu'ils ont à juger. En matière civile, l'article 1 er de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires permettait initialement au juge de solliciter la personne de son choix en toute liberté. Sans revenir sur ce principe, la loi du 11 février 2004 5 ( * ) a, dans le cadre de l'unification des listes d'experts civils et pénaux, adopté une formule plus complexe :

« Sous les seules restrictions prévues par la loi ou les règlements, les juges peuvent désigner pour procéder à des constatations, leur fournir une consultation ou réaliser une expertise, une personne figurant sur l'une des listes établies en application de l'article 2. Ils peuvent, le cas échéant, désigner toute autre personne de leur choix . »

Ainsi, en matière civile la liberté persiste mais parait devoir être subsidiaire au choix d'un expert inscrit sur une des listes prévues.

Le recours aux experts est plus contraint en matière pénale. L'article 157 du code de procédure pénale dispose en effet que « les experts sont choisis parmi les personnes physiques ou morales qui figurent sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation ou sur une des listes dressées par les cours d'appel ». Toutefois le même article prévoit qu'« à titre exceptionnel, les juridictions peuvent, par décision motivée, choisir des experts ne figurant sur aucune de ces listes . »

D'après les chiffres communiqués aux rapporteurs par le ministère de la justice, 356 experts psychiatres et 701 experts psychologues sont aujourd'hui inscrits sur les listes des cours d'appel, pour un total de 1 057 experts . Ces données, qui accusent une diminution importante des effectifs 6 ( * ) , posent un constat dont l'ensemble des acteurs auditionnés par vos rapporteurs ont pointé le danger : l'attrition progressive du vivier des professionnels dédiés à l'expertise fait planer sur le bon accomplissement des missions de l'autorité judiciaire une menace dont les experts ont pris la mesure, mais ni eux-mêmes, ni surtout le ministère de la justice, ne paraissent suffisamment mobilisés pour la régler . Ses effets sont en effet masqués pour l'instant par deux phénomènes : le fort investissement de certains experts, capables de répondre aux nombreuses sollicitations dont ils font l'objet, et la possibilité même limitée, de recourir à des experts hors liste.

Le ministère de la justice a par ailleurs fourni les chiffres du volume annuel total d'expertises réalisées , en précisant qu'il n'était pas possible de distinguer entre les expertises pré-sentencielles et les expertises post-sentencielles.

2018

2019

2020

Expertises psychiatriques

48 924

49 034

49 148

Expertises psychologiques

35 192

36 887

38 393

Total

84 116

85 921

87 541

Source : ministère de la justice, d'après le questionnaire des rapporteurs

L'augmentation nette du nombre d'expertises demandées et produites, rapportée à la diminution du nombre d'experts inscrits, illustre l'importante pression que la demande croissante des magistrats fait subir aux auxiliaires médico-psychologiques de la justice pénale et la crainte légitime que l'on peut concevoir pour l'avenir de l'expertise judiciaire .

Cette pression est particulièrement sensible concernant les expertises psychologiques, dont l'augmentation est notable depuis 2018, et qui s'explique, comme l'a indiqué le syndicat national des psychologues (SNP) aux rapporteurs, par leur sollicitation accrue en matière pré-sentencielle.

Par ailleurs, il semble que le degré d'investissement des experts puisse considérablement varier . D'après le syndicat national des experts psychiatres et psychologues (SNEPP), 55 % des expertises sont accomplies par 20 % des experts, chiffre dont les rapporteurs déduisent une très forte concentration du travail d'expertise sur un faible nombre de professionnels.

L'ensemble de ces phénomènes, dénoncés avec force par l'ensemble des professionnels auditionnés comme préjudiciables à l'indispensable qualité de l'expertise en matière pénale , résulte de l'augmentation du nombre d'expertises demandées par les juges qui, dans la conduite de l'instruction, dans la phase du procès ou dans l'application des peines, ont toute latitude dans le nombre d'expertises qu'ils requièrent. Cette demande accrue d'expertise judiciaire, non régulée, résulte de deux phénomènes :

- la technicisation accrue des actions judiciaires , conjuguée à la médiatisation de leur déroulé, oblige les magistrats d'instruction et les juridictions de jugement à s'entourer d'avis de plus en plus nombreux avant le prononcé de la sentence ;

- la volonté d'anticiper au mieux le parcours post-carcéral, l' objectif de réinsertion sociale des anciens détenus et de prévention de la récidive revêtant un enjeu au moins aussi important que l'exécution des peines, contraint les magistrats à solliciter des avis et des compétences extérieurs nombreux.

L'opportunité du recours à l'expertise par le magistrat, dont il revient au législateur de fixer les contours, est une question particulièrement délicate. La complexité croissante des affaires portées devant le juge l'oblige bien souvent à solliciter des compétences spécifiques, qui excèdent les limites de son office, et sont nécessaires au prononcé de sa décision. Les rapporteurs n'en sont pas moins convaincus que l'augmentation continue de la demande d'expertises est en partie le fruit d'un exercice moins serein de la fonction judiciaire par les juges qui détiennent, dans un État de droit, le monopole strict de dire le droit et trancher les différends.

Aussi, l'ensemble des propositions que les rapporteurs exposeront dans la suite de leur rapport a pour ambition de rationaliser le recours à l'expertise, sans remettre en cause le droit fondamental dont dispose tout magistrat de se faire éclairer avant de juger.

Comment la difficulté à trouver des psychiatres susceptibles
de faire les expertises pèse-t-elle sur le travail des magistrats ?

Interrogés par les rapporteurs sur l'impact du manque de psychiatres pour la conduite des missions qui leur sont confiés, les services de la Chancellerie ont transmis l'analyse suivante :

Au stade de l'enquête, la difficulté à trouver des psychiatres susceptibles de procéder à des expertises emporte des conséquences sur l'exercice de l'action publique et le choix des modes de poursuites.

Ainsi, dans le cadre d'une procédure suivie en flagrance, cette carence conduit les magistrats du parquet à :

- prolonger des mesures de garde à vue dans le but de laisser le temps nécessaire à la réalisation de l'examen psychiatrique et à la rédaction du rapport par l'expert, quand bien même il s'agirait du seul acte restant à réaliser ;

- lever des mesures de garde à vue en vue de reprise ultérieure afin de permettre la programmation d'un tel examen, ce alors que la réponse pénale aurait pu être immédiatement rendue ;

- lever des mesures de garde à vue et ordonner des poursuites d'enquête sous la forme de l'enquête préliminaire ;

- passer outre la réalisation d'un examen psychiatrique durant l'enquête lorsque l'ouverture d'une information judiciaire est envisagée, laquelle en permettra la réalisation ;

- reporter la réalisation de l'expertise sur la juridiction dans le cadre d'un supplément d'information ordonné à l'audience, en particulier dans l'hypothèse d'un déferrement, impliquant alors un renvoi de l'affaire avec, le cas échéant, des mesures de sûreté.

Dans le cadre de l'enquête préliminaire, la pénurie d'experts nécessite une grande anticipation et la fixation de rendez-vous à l'avance, ce qui se répercute sur les délais d'enquête.

Par ailleurs, face à des éléments laissant présumer que la personne mise en cause souffre de troubles mentaux ou du comportement ayant entouré le passage à l'acte, et en l'absence d'expert disponible afin de procéder à un examen ou une expertise, les magistrats du parquet, en fonction des faits en cause, s'orienteront parfois vers un classement sans suite pour motif d'« état mental déficient », qui ne suppose pas d'expertise préalable (à la différence du classement pour motif d'irresponsabilité pénale pour trouble psychique).

Au stade de l'instruction, la pénurie d'experts psychiatres impose aux magistrats instructeurs de multiplier les contacts avec les experts en vue de s'assurer que l'un d'eux sera en capacité de réaliser la mesure qu'il projette d'ordonner avant l'établissement de l'ordonnance de commission d'expert. À défaut de cette pratique, le magistrat instructeur peut être amené à modifier son ordonnance de désignation, faute que l'expert initialement désigné soit en mesure de réaliser la mission confiée. Il en résulte un accroissement de la charge de travail du magistrat et du greffe, ainsi qu'un accroissement des délais nécessaires à la réalisation de l'expertise et au dépôt du rapport.

Au stade du jugement, la pénurie d'experts peut conduire les juridictions ayant ordonné une expertise à devoir choisir entre le fait de passer outre l'absence de rapport d'expertise en statuant sans ces éléments d'information (lorsque l'expertise est facultative), ou bien le fait d'ordonner un nouveau renvoi afin d'accorder un délai supplémentaire à l'expert, ou encore de désigner un nouvel expert pour suppléer le premier qui n'a pas été en mesure de mener sa mission dans les délais impartis. Il en résulte un accroissement du délai de jugement de l'affaire.

2. L'expertise présentencielle : une demande spécifique qui peut s'exprimer à toutes les étapes de la procédure pénale

L'expression « expertise présentencielle », terme largement usité par les praticiens sans être reconnu en droit, désigne l'ensemble des expertises médicales ou psychologiques requises par l'autorité judiciaire à divers stades de la procédure précédant le prononcé du jugement .

Selon l'étape à laquelle l'expertise est demandée, l'autorité prescriptrice, le contenu et la destination peuvent considérablement varier. Il peut s'agir d'une expertise demandée au stade de la garde à vue (GAV), au stade de l' instruction ou au cours de la phase de jugement .

• La garde à vue

Aux termes de l'article 62-2 du code de procédure pénale, la garde à vue est une « mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit ». Les pouvoirs d'enquête sont alors exercés par l'officier de police judiciaire (OPJ), sous le contrôle du procureur de la République, seule autorité compétente pour décider de l'ouverture d'une information judiciaire, à l'issue de la mesure.

Les expertises requises au stade de la GAV, quelle que soit l'infraction ayant donné lieu à la mesure, sont régies par les articles 63-3, 706-88 et 706-88-1 du code de procédure pénale. Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur ou par l'OPJ à l'origine de la mesure. Cet examen donne obligatoirement lieu à la production d'un certificat médical versé au dossier. En cas d'une ou de deux prolongations de la GAV au-delà du délai légal de 24 heures, l'examen médical de la personne est alors obligatoirement réalisé et le certificat médical produit doit impérativement se prononcer sur son aptitude au maintien en garde à vue .

Pour ce stade préliminaire de l'enquête, le CPP ne prévoit pas davantage de précision sur les limites de l'examen médical réalisé. En conséquence, et bien que l'ambition de cet examen soit de se borner à la vérification d'un état général de santé compatible avec une privation temporaire de liberté, il est fréquent qu'il soit réalisé par un psychiatre , désigné par le procureur ou l'OPJ à des fins plus précises .

• L'instruction

Obligatoire si l'infraction revêt un caractère criminel, facultative si elle est de nature délictuelle, la saisine du juge d'instruction par le procureur de la République inaugure la phase d'information judiciaire et transfère l'intégralité des pouvoirs d'enquête à l'office du juge. C'est à ce stade que les articles 156 et suivants du code de procédure pénale lui attribuent la possibilité de recourir à l'expertise, aux fins d'information exhaustive de la juridiction de jugement .

Bien qu'il soit le décisionnaire exclusif du recours à l'expertise, le juge d'instruction peut être saisi de multiples demandes en ce sens, émanant du procureur de la République ou de chacune des parties, auxquelles il demeure libre de ne pas faire droit, sous réserve de motiver sa décision.

Contrairement à la garde à vue, le code de procédure pénale définit avec plus de précision la vocation de l'expertise sollicitée au cours de l'instruction . L'article 158 dispose qu'elle ne peut « avoir pour objet que l'examen de questions d'ordre technique » et que sa mission est explicitement précisée dans la décision du juge qui ordonne l'expertise. Toutefois, toujours sur décision du juge d'instruction, le mandat donné à l'expert peut être étoffé de modifications ou de compléments demandés par le procureur de la République ou les différentes parties. Le juge dispose de la faculté de rejeter ces demandes par décision motivée.

Lorsque l'expert désigné par le juge lui transmet ses conclusions, ce dernier, en application du principe du contradictoire , les porte à la connaissance des parties et l' article 167 précise qu'un délai minimal de 15 jours doit leur être fixé afin de leur permettre de formuler une demande « notamment aux fins de complément d'expertise ou de contre-expertise ». Cette demande, à l'instar des précédentes, doit faire l'objet d'une décision motivée si le juge refuse d'y faire droit. L' article 167-1 prévoit toutefois une exception à cette faculté de rejet, lorsque les résultats d'une expertise sont de nature à conduire à la reconnaissance d'une irresponsabilité pénale de la personne mise en examen en raison d'un trouble mental : dans ce cas, la demande de contre-expertise émise par la partie civile, si elle est formulée dans un délai de 15 jours, est de droit .

À ce stade de la procédure d'enquête, le recours à l'expertise demeure par principe à la discrétion du magistrat instructeur , à l'exception toutefois des cas visés à l'article 706-47-1 du code de procédure pénale.

Les cas d'expertise présentencielle obligatoire
prévus par le code de procédure pénale

Aux termes de l'article 706-47-1, les personnes poursuivies pour l'une des infractions suivantes doivent être obligatoirement soumises à une expertise médicale avant tout jugement au fond :

- crime de meurtre ou d'assassinat lorsqu'ils sont commis sur un mineur ou lorsqu'ils sont commis en état de récidive légale ;

- crime de torture ou d'actes de barbarie, ainsi que crime de violence sur un mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;

- crime de viol ;

- délit d'agressions sexuelles ;

- délit et crime de traite des êtres humains à l'égard d'un mineur ;

- délit et crime de proxénétisme à l'égard d'un mineur ;

- délit de recours à la prostitution d'un mineur ;

- délit de corruption de mineur ;

- délit de proposition sexuelle faite par un majeur à un mineur de quinze ans ;

- délit de production ou de consommation de pédopornographie ;

- délit d'incitation d'un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ;

- délit d'atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans.

Habituellement ordonnée par le juge d'instruction au début de l'information judiciaire (ou, plus rarement, par la juridiction de jugement), cette expertise médicale peut également être ordonnée dès le stade de l'enquête (soit dès le placement en garde à vue) par le procureur de la République.

Versée au dossier d'instruction, cette expertise spécifique vise à évaluer l'opportunité d'une injonction de soins , que la juridiction pourra éventuellement ordonner dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire , en complément ou en prolongement de la peine prononcée 7 ( * ) .

Les rapporteurs souhaitent d'emblée signaler le caractère particulier de cette expertise qui, bien qu'intervenant en amont du prononcé de la sentence, se projette au-delà du strict cadre de l'établissement de la responsabilité pénale.

Comme l'a souligné le ministère de la justice aux rapporteurs, les hypothèses de recours obligatoire à l'expertise présentencielle étant en réalité limitées, l'explosion du nombre de demandes est liée à l'augmentation du nombre de poursuites engagées pour certaines des infractions visées (comme les agressions sexuelles) ainsi qu'à la volonté des magistrats instructeurs d'étoffer l'information judiciaire .

• Le jugement

Bien que le code de procédure pénale réserve à la phase de l'instruction l'essentiel des sollicitations d'expertises , le déroulement du procès devant la juridiction de jugement - notamment en matière correctionnelle - peut également s'y prêter.

De façon générale, les experts sollicités au cours de l'instruction peuvent être invités à exposer à l'audience le résultat des opérations auxquelles ils ont procédé . Ils peuvent y être librement interrogés par le président du tribunal, le ministère public et les avocats des parties. Sauf autorisation expresse du président à se retirer, ils sont tenus d'assister aux débats. Par ailleurs, l'article 169 prévoit que, dans le cas où une personne entendue comme témoin à l'audience « contredit les conclusions d'une expertise ou apporte au point de vue technique des indications nouvelles », la juridiction de jugement doit se prononcer par décision motivée sur les suites qui seront données.

En matière criminelle , la phase de jugement étant obligatoirement précédée d'une phase d'information judiciaire, l'article 283 du code de procédure pénale attribue au président de la cour d'assises , dans le cas où l'instruction lui semble incomplète ou si des éléments nouveaux ont été révélés depuis sa clôture , la faculté d'ordonner « tous actes d'information qu'il estime utiles » et donc, le cas échéant, de nouvelles expertises.

En matière correctionnelle 8 ( * ) , l'ouverture d'une information judiciaire n'est pas obligatoire et demeure à la discrétion du procureur de la République, qui conserve l'intégralité des pouvoirs d'enquête. L'enquête peut alors connaître des durées variables, selon que le procureur décide d'une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel ou d'une comparution différée 9 ( * ) . Dans le second cas, le procureur de la République dispose d'un délai supplémentaire (deux mois maximum) pour requérir des actes d'information spécifiques.

C'est cependant essentiellement au stade de la comparution que le tribunal correctionnel doit procéder à l'ensemble des actes qu'il estime nécessaires à la manifestation de la vérité, au rang desquels figurent les expertises. Plusieurs modalités d'intervention de l'expertise sont alors possibles :

- préalablement à l'audience : l'article 388-5 du code de procédure pénale prévoit que, dès réception de la citation à comparaître par les parties, ces dernières peuvent adresser au tribunal, par conclusions écrites, une demande d'ordonner tout acte d'information, dont des expertises. S'il refuse d'ordonner ces actes, le tribunal doit spécialement motiver sa décision. Aux termes de l'article 397-1, le tribunal peut également, de son propre chef et après recueil des observations des parties, constater que « l'affaire ne paraît pas en l'état d'être jugée » et reporter l'audience au-delà d'un délai qui ne peut être inférieur à six semaines (ou à 4 mois si la peine encourue est supérieure à 7 ans d'emprisonnement). Il est alors loisible au prévenu de demander au tribunal d'ordonner tout acte d'information, le tribunal pouvant refuser de faire droit à cette demande par jugement motivé ;

- au cours de l'audience : l'article 434 du code de procédure pénale dispose que « si le tribunal estime qu'une expertise est nécessaire », il y est procédé dans les mêmes conditions que pour la phase d'instruction en matière criminelle, à l'exception notable de la faculté ouverte aux parties civiles et au ministère public de demander une contre-expertise, même dans le cas où l'expertise conclurait à l'irresponsabilité pénale .

Pour résumer, les experts psychiatres et psychologues sont susceptibles d'intervenir à tous les stades de la procédure pénale sans que le législateur ait prévu de gradation ni de critère d'intervention spécifique, ce que les professionnels auditionnés par les rapporteurs ont présenté comme une absence de « régulation » de la demande d'expertises porteuse de dérives. Ces dernières peuvent être liées aux conditions de réalisation qui rendent purement formelles les expertises obligatoires, ou à l'exploitation de certaines « failles » de la procédure pénale .

3. L'expertise post-sentencielle : une exigence légale en expansion

L' expertise post-sentencielle est sollicitée par la juridiction chargée de suivre l'exécution et l'application d'une peine prononcée. Contrairement à l'expertise présentencielle, dont le recours est intrinsèquement lié à la mission originelle de l'autorité judiciaire, l'expertise post-sentencielle est d'émergence plus récente et, sans doute de ce fait, a fait l'objet d'une codification plus précise .

Ce degré accru de précision entraîne une certaine rigidité de son cadre de réalisation, notamment pour la qualité de ses auteurs : l'expertise post-sentencielle est assez largement réservée à des experts psychiatres et les interventions d'experts psychologues sont plus rares.

De façon générale, elle est, à l'instar de l'expertise présentencielle, conçue de façon non-limitative : l'article 712-16 du code de procédure pénale dispose en effet que le juge de l'application des peines (JAP) peut « procéder ou faire procéder, sur l'ensemble du territoire national, à tous examens, auditions, enquêtes, expertises, réquisitions » qu'il estime nécessaires.

Pour autant, plusieurs obligations légales prévoient que l'expertise post-sentencielle intervienne à deux moments cruciaux du parcours d'exécution de la peine : par principe, lorsque le détenu condamné à un suivi socio-judiciaire à l'issue de sa peine dépose une demande d'aménagement de peine et, par exception, lorsque certaines peines touchent à leur fin .

• Les cas d'aménagement de peine

Les mesures d'aménagement de peine, qui ont toutes pour finalité d'alléger la période de détention du condamné au profit de mesures alternatives de surveillance ou de probation, sont décrites aux articles 712-5 à 712-7 du code de procédure pénale et recouvrent un large spectre, allant de la permission de sortir à la libération conditionnelle, en passant par les mesures de détention à domicile sous surveillance électronique.

L'article 712-21 du même code dispose que ces mesures d'aménagement de peine doivent obligatoirement s'accompagner d'une expertise psychiatrique préalable lorsqu'elles visent une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire (SSJ) , et que cette expertise doit être réalisée par deux experts lorsque la personne a été condamnée pour le meurtre, l'assassinat ou le viol d'un mineur de 15 ans.

Le ministère de la justice a indiqué à vos rapporteurs qu'« auparavant, l'article 712-21 du CPP exigeait une expertise à chaque fois que la personne avait été condamnée pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire était encouru », mais qu'en raison de difficultés importantes de mise en oeuvre liées à la pénurie d'experts, le champ de l'obligation avait été circonscrit par la loi du 15 août 2014 10 ( * ) aux seuls cas où le suivi socio-judiciaire a été effectivement prononcé .

Pour autant, ainsi que le détaille une circulaire d'application du 26 septembre 2014, la limitation de l'expertise post-sentencielle obligatoire ne s'est nullement traduite par une baisse de l'incitation à y recourir dans les cas facultatifs, puisque « dans les autres cas, la juridiction de l'application des peines appréciera si une telle mesure est nécessaire. Les parquets devront requérir une telle expertise dès lors que, en dehors des cas légaux obligatoires, elle leur paraît nécessaire sur le fondement de l'article 712-16 du code de procédure pénale . Ce pourra notamment être le cas lorsque la personne a été condamnée à une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, même s'il n'a pas été prononcé, notamment en cas de crime de viol ou de délit d'agression sexuelle » 11 ( * ) .

• Certains cas d'achèvement de la peine pour les détenus particulièrement dangereux

L'expertise post-sentencielle est également requise, « à titre exceptionnel », lorsque des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, à une peine de 15 ans d'emprisonnement ou de réclusion pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, à une peine de 10 ans d'emprisonnement ou de réclusion pour crime, assassinat, torture ou viol, « présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité » 12 ( * ) .

Dans ce cas, et uniquement si la cour d'assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation, l'examen de dangerosité intervient au moins un an avant la date prévue de libération et l'avis de deux experts post-sentenciels est alors recueilli par le juge d'application des peines en vue d'une éventuelle rétention de sûreté .

Fruit d'une exigence législative en croissance - la « loi Guigou » de 1998 13 ( * ) ayant posé le principe de l'expertise obligatoire en cas de suivi socio-judiciaire et la « loi Dati » de 2008 14 ( * ) ayant créé le cadre de la rétention de sûreté - l'expertise post-sentencielle a été décrite aux rapporteurs par le docteur Cyril Manzanera comme ayant conduit à une mobilisation excessive des experts psychiatres , les contraignant à faire passer l'expertise présentencielle « au second plan ».

De nombreux autres experts ont questionné l'utilité de ces sollicitations, non régulées et dans leur majorité jugées nombreuses, redondantes et chronophages . Interrogé à cet égard, le ministère de la justice a répondu à vos rapporteurs que « l'exigence d'expertise [post-sentencielle] est pleinement justifiée, notamment s'agissant des faits les plus graves, afin de prévenir la récidive, qui demeure l'objectif à atteindre » et qu'en conséquence, « en dépit de fondements multiples de recours à l'expertise médicale et compte tenu du fait que de nombreuses mesures sont ordonnées en dehors de toute obligation textuelle », le nombre d'expertises post-sentencielles demandées par les juges d'application des peines ne connaît aucune disproportion .

Ce hiatus important dans l'appréciation de la demande d'expertise ne peut évidemment se satisfaire d'un status quo . Les rapporteurs y voient la preuve de l'urgence du groupe de travail dont ils ont précédemment demandé la création, afin que praticiens et magistrats puissent communément s'entendre sur quelques critères de régulation.

Toutefois, un premier pas pourrait être franchi en déchargeant quelque peu les experts psychiatres de leur monopole imposé par le législateur de l'expertise post-sentencielle, en y associant davantage les experts psychologues .

Proposition n° 1 : associer davantage les experts psychologues à la réalisation des expertises post-sentencielles.

B. DES DÉFAUTS DANS LE RECRUTEMENT QUI PÈSENT SUR LE RENOUVELLEMENT DU VIVIER

1. Une profession insuffisamment structurée

Les experts ne forment pas un corps de métier uniforme et homogène . Ils rassemblent des professionnels de la psychiatrie légale et de la psychologie légale, qui peuvent alternativement exercer en établissement public de santé et intervenir comme collaborateurs occasionnels du service public (COSP) de la justice, ou comme professionnels libéraux
- avec de fortes différences de pratique. Ainsi, d'après le docteur Roland Coutanceau, président délégué du syndicat national des experts psychiatres et psychologues (SNEPP), 60 % des experts psychologues sont libéraux, alors que 70 % des experts psychiatres sont des praticiens hospitaliers.

Concernant les experts psychiatres, cette prépondérance du secteur hospitalier public vient, selon le professeur Daniel Zagury, de ce que « les hospitaliers ont toujours perçu le champ de l'expertise pénale comme une extension de leur engagement de service public » 15 ( * ) . En conséquence, la question de la compatibilité de leur activité hospitalière avec leur engagement dans l'expertise pénale a été tranchée par un décret du 26 juillet 2005, codifiant un article R. 6152-30 au code de la santé publique (CSP), qui prévoit que « les praticiens hospitaliers peuvent, après accord du directeur de l'établissement de santé, consacrer deux demi-journées par semaine à des activités intérieures ou extérieures à leur établissement d'affectation ».

Les rapporteurs, favorables à ce que l'expertise demeure proche d'une pratique clinique, saluent l'équilibre atteint par ce décret, qui permet à tout psychiatre hospitalier de consacrer jusqu'à une journée par semaine à des missions d'expertise.

Par ailleurs, la représentation des intérêts des experts est singulièrement éclatée . Historiquement, chaque cour d'appel abrite en son ressort une compagnie d'experts , structure associative chargée de regrouper l'ensemble des experts de toutes disciplines inscrits sur ses listes et d'assurer leur formation, forcément distincte de celle que les experts ont reçue en-dehors de leur pratique expertale, ainsi que la cohésion de leurs membres. L'affiliation de chaque expert à une compagnie est obligatoire .

Ces compagnies d'experts peuvent, pour leur part, adhérer au conseil national des compagnies d'experts judiciaires (CNCEJ), association reconnue d'utilité publique qui a pour vocation de représenter au niveau national l'ensemble du corps expertal et d'être l'interlocuteur privilégié du ministère de la justice à cet égard.

Au sein du CNCEJ, s'organisent également des compagnies nationales disciplinaires , qui regroupent les experts d'une même spécialité préalablement inscrits dans une compagnie d'experts : c'est notamment le cas de la compagnie nationale d'experts psychiatres près les cours d'appel (CNEPCA) et de la compagnie nationale des experts psychologues (CNEPSY).

Les mutations progressives du travail expertal ont toutefois incité les professionnels de l'expertise à porter leur parole en dehors du strict cadre de la compagnie d'experts et à privilégier les organisations syndicales nationales de leur profession, qui se sont peu à peu dotées de commissions spécifiques dédiées à la problématique de l'expertise . Par ailleurs, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles 16 ( * ) , qui a profondément modifié la place de l'expertise - notamment post-sentencielle - dans l'exercice de la fonction judiciaire a confirmé pour de nombreux experts psychiatres la nécessité de les doter d'un statut propre et de reconnaître leur spécificité au sein des experts judiciaires : c'est ainsi qu'est née l' association nationale des psychiatres experts judiciaires (ANPEJ).

Ces interrogations relatives à la spécificité du statut de l'expert n'ayant toujours pas trouvé de réponse stabilisée, le syndicat national des experts psychiatres et psychologues (SNEPP), fondé en 2018, promeut la défense des intérêts communs entre les deux professions.

De l'avis des rapporteurs, cette représentation éclatée des intérêts des experts psychiatres et psychologues, cumulée à la diminution de leurs effectifs, explique en grande partie l'érosion progressive de leur situation. Selon l'union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), elle est la véritable cause des maux de l'expertise, qui ne résident pas, comme on le déplore souvent, dans une pénurie de professionnels mais dans un défaut patent d'organisation .

2. Un défaut important d'attractivité en raison d'un manque de formation et de collégialité

De l'avis de nombreuses personnes auditionnées, la diminution du nombre d'experts inscrits sur les listes s'explique par un niveau de formation de moins en moins adapté aux exigences de l'exercice .

Les rapporteurs ont en effet relevé une forme de hiatus entre le CNCEJ, responsable de la formation professionnelle des experts, qui considère que cette dernière repose surtout sur la « rencontre avec des professionnels du monde judiciaire », et les professionnels et instances représentatives auditionnés, qui expriment une véritable demande de formation initiale, intégrée au parcours universitaire des professionnels .

Cette formation initiale comprendrait un socle de connaissances communes utiles à l'ensemble des thérapeutes et professionnels de santé intervenant en appui au service public de la justice ou à l'administration pénitentiaire, susceptibles d'exercer les fonctions d'expert présentenciel, d'expert post-sentenciel ou de médecin coordonnateur dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire à l'issue de la peine carcérale. Outre la maîtrise de son propre champ disciplinaire, le professionnel requiert un savoir juridique général et spécialisé sur la procédure judiciaire, des connaissances en criminologie , la maîtrise du cadre des soins pénalement ordonnés , une connaissance du milieu pénitentiaire , enfin une sensibilisation aux nouveaux moyens de mesure du risque de récidive (notamment les méthodes actuarielles).

Les spécialistes ont indiqué au cours des auditions que le périmètre de cette formation appelait la mise en place d'une option de psychiatrie ou de psychologie légale intégrée à la maquette du troisième cycle d'études médicales spécialisées en psychiatrie ou du master 2 de psychologie, qui n'a cependant jamais été retenue par le ministère de l'enseignement supérieur, ce dernier estimant cette formation suffisamment assurée par les diplômes universitaires dispensés dans le ressort des université.

Or ces formations spécifiques, laissées à la discrétion des équipes pédagogiques de chaque université, semblent d'un contenu et d'une qualité fort variables, qui privent la formation des experts de l'homogénéité requise . C'est pourquoi vos rapporteurs estiment indispensable d'intégrer, dans le cadre d'un diplôme national, une formation spécifique à la psychiatrie ou à la psychologie légale dans la maquette universitaire des futurs professionnels.

Proposition n° 2 : mettre en place, au niveau national, une option de psychiatrie ou de psychologie légale intégrée à la maquette du troisième cycle d'études médicales spécialisées en psychiatrie ou du master 2 de psychologie.

Au-delà du renforcement de leur formation théorique, les experts - à l'instar d'ailleurs de l'ensemble des professionnels du soin - expriment une demande croissante de collégialité de leur pratique, surtout à ses débuts . Ainsi, l'initiation et la formation à l'expertise pourraient s'appuyer sur un statut d'expert junior ou auditeur d'expertise afin que les futurs experts bénéficient d'une forme de tutorat .

La désignation de deux experts (un junior et un senior) pourrait être systématique en matière criminelle et permettrait à des experts débutants de ne pas être isolés ; cette dynamique vertueuse soutiendrait la formation des experts et contribuerait sans doute à l'enrayement du mouvement de désaffection constaté. Le principe est aujourd'hui celui de la désignation d'un expert unique, sauf en cas de contre-expertise pour lesquelles un collège de trois experts est nommé. Il apparaît cependant que même dans ces cas la collégialité n'est pas toujours effective et que le débat entre experts se fait souvent par l'intermédiaire d'écrits.

Proposition n° 3 : favoriser, à chaque fois qu'un expert récemment diplômé est sollicité par une juridiction, son accompagnement dans la mission d'expertise par un expert plus expérimenté.

3. La possibilité d'un biais de sélection par le juge commettant

Le statut des experts en matière pénale est régi par la loi du 29 juin 1971 17 ( * ) , qui définit les modalités de leur désignation par les magistrats. Ce texte, profondément modifié par la loi du 11 février 2004 18 ( * ) , fixe également les conditions d'inscription sur les listes tenues par les cours d'appel et, au niveau national, par la Cour de cassation.

L'inscription initiale en qualité d'expert sur une liste dressée par la cour d'appel est faite, dans une spécialité particulière, à titre probatoire pour une durée de trois ans . À l'issue de cette période probatoire et sur présentation d'une nouvelle candidature, l'expert peut être réinscrit pour une durée de cinq années , après avis motivé d'une commission associant des représentants des juridictions et des experts. À cette fin sont évaluées l'expérience de l'intéressé et la connaissance qu'il a acquise des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d'instruction confiées à un technicien.

Lors de leur inscription initiale sur une liste dressée par une cour d'appel, les experts, comme auxiliaires de justice, prêtent serment , devant la cour d'appel du lieu où ils demeurent, d'accomplir leur mission, de faire leur rapport et de donner leur avis en leur honneur et conscience.

Aux termes de l'article 2 de la loi du 29 juin 1971 précitée, l'inscription d'un expert sur une de ces listes ne peut intervenir qu'à l'issue d'un examen par une commission associant des représentants des juridictions et des experts .

Composition de la commission d'examen des candidatures d'experts judiciaires

- un magistrat du siège de la cour d'appel désigné par le premier président, président de la commission ;

- un magistrat du parquet général désigné par le procureur général, rapporteur de la commission ;

- six magistrats du siège des tribunaux judiciaires du ressort de la cour d'appel désignés par le premier président au vu des propositions des présidents de ces tribunaux. En outre, le président peut désigner, à la demande du rapporteur, un magistrat du siège d'un tribunal judiciaire non représenté ;

- deux magistrats des parquets des tribunaux judiciaires du ressort de la cour d'appel désignés par le procureur général au vu des propositions des procureurs de la République près ces tribunaux ;

- un membre des juridictions commerciales du ressort de la cour d'appel désigné par le premier président au vu des propositions des présidents de ces juridictions ;

- un membre des conseils de prud'hommes du ressort de la cour d'appel désigné par le premier président au vu des propositions des présidents de ces juridictions ;

- cinq experts inscrits sur la liste dans des branches différentes de la nomenclature depuis au moins cinq ans et désignés conjointement par le premier président et le procureur général après avis des compagnies d'experts judiciaires ou d'union de compagnies d'experts judiciaires ou, le cas échéant, de tout organisme représentatif.

Source : décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, article 12

Auditionné par les rapporteurs, le professeur Jean-Pierre Olié, ancien expert près les cours d'appel de Versailles et de Paris puis expert agréé par la Cour de cassation, s'est montré très critique à l'égard de ce mode de sélection . Dans un premier temps, il regrette que la commission chargée de l'inscription des futurs experts sur les listes agréées ne comprenne aucun professionnel non-expert , dont la pratique strictement clinique pourrait utilement éclairer les magistrats.

Proposition n° 4 : intégrer un professionnel non-expert dans la commission chargée d'émettre un avis sur l'admission d'un candidat à la qualité d'expert.

Son principal reproche, qu'il n'est pas seul à adresser, concerne le possible biais de sélection de l'expert par le magistrat qui, contraint de désigner parmi les inscrits de la liste de la cour d'appel, finit par devenir familier de la pratique de chacun . En découlerait une forme de sélection, qui pousserait les magistrats « à nommer des experts qui répondent aux questions dans un sens qui leur convient et les experts pourraient se conformer aux désirs du magistrat » 19 ( * ) .

Le magistrat demeurant seul responsable de l'appréciation des faits 20 ( * ) et n'étant pas tenu par l'avis de l'expert, il peut paraître naturel qu'il préfère recourir aux experts dont il partage les orientations, spécialement en matière de responsabilité pénale. Les divergences d'appréciation entre praticiens voire entre « écoles » en matière de psychiatrie pénale sont bien connues des magistrats, certains experts considérant que le discernement n'est jamais totalement aboli et que la peine est nécessaire au travail thérapeutique, alors que d'autres tiennent des positions tendant d'abord à éviter la prison à une personne qui a pu connaître un épisode psychiatrique. Le choix de l'expert opéré par le magistrat est non seulement la conséquence d'habitudes de travail prises avec un nombre réduit de personnes, mais également le fruit de l'orientation du magistrat lui-même, qui est un élément constitutif du processus judiciaire. Du point de vue des experts non retenus ou critiques des décisions prises, elle peut cependant paraître comme une remise en cause de l'intégrité scientifique de l'expertise. Particulièrement complexe en matière de psychiatrie et de psychologie, cette intégrité renvoie à la déontologie de l'expert.

Or le risque déontologique pouvant aboutir à une désignation biaisée de l'expert a été amplement argumenté par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale consécutive à l'affaire d'Outreau, qui a notamment dénoncé la nomination par le juge d'instruction d'experts présentant des liens d'intérêt et ayant une connaissance préalable des victimes présumées et des personnes mises en examen 21 ( * ) . Il semble que, depuis, fort peu de dispositions aient été prises pour s'assurer de la parfaite neutralité de l'expert au moment de sa désignation .

En effet, la désignation de l'expert par le juge d'instruction relève d'une compétence purement discrétionnaire. L'article 161-1 du code de procédure pénale ne prévoit pour les parties que la possibilité de demander l'adjonction d'autres experts à celui désigné, mais pas de contester devant le juge d'instruction la neutralité de ce dernier . Cette neutralité devrait s'apprécier par rapport aux divers liens d'intérêts de l'expert, qui ne font l'objet à ce jour que d'une seule disposition réglementaire : l'article D. 38 du code de procédure pénale, selon lequel l'expert, membre d'une association susceptible de se constituer partie civile à l'instance à laquelle l'expert est associé, doit en informer le juge d'instruction.

Sollicité sur cette question, le ministère de la justice a fait savoir aux rapporteurs qu'un « groupe de travail installé depuis bientôt deux ans et réunissant les compagnies d'experts, la Cour de cassation, la direction des affaires civiles et du sceau et la direction des services judiciaires a permis d'aborder cette thématique. Les membres de ce groupe de travail se rejoignent sur la proposition tenant à faire obligation à l'expert de régulariser une déclaration d'intérêts à l'occasion de son inscription sur une liste, ensuite mise à jour annuellement » 22 ( * ) .

Il conviendrait donc d'étayer la loi du 29 juin 1971 et le décret du 23 décembre 2004 en prévoyant une obligation déclarative pour tout expert psychiatre ou psychologue de ses liens d'intérêts (participations, activités associatives...), dont la consultation serait ouverte aux conseils des parties à l'instruction au moment de sa désignation. Un intérêt susceptible de biaiser la neutralité de l'expert pourrait alors motiver une demande auprès du juge d'instruction, pour laquelle ce dernier rendrait une ordonnance motivée, susceptible d'appel.

Proposition n° 5 : prévoir pour tout expert psychiatre ou psychologue inscrit sur les listes agréées une obligation déclarative de ses liens d'intérêts, laquelle pourra être consultée par les conseils des parties au moment de la désignation de l'expert.

C. D'IMPORTANTES LACUNES DANS LA RÉMUNÉRATION DE L'EXPERT, RÉVÉLÉES PAR UNE DÉPENSE PUBLIQUE FAIBLEMENT PILOTÉE

Le niveau , l' assujettissement au régime général de la sécurité sociale et les délais de versement concentrent à ce jour l'essentiel des critiques des experts judiciaires en matière pénale concernant leur rémunération.

1. Des rémunérations strictement tarifées

Les rémunérations touchées par les experts judiciaires appartiennent à la catégorie des « frais de justice » , soit l'ensemble des dépenses de procédure qui, résultant d'une décision de l'autorité judiciaire, restent à la charge définitive ou provisoire de l'État. Le niveau général des émoluments compris dans les frais de justice s'inscrit dans l' évolution plus globale des crédits budgétaires attribués au ministère de la justice et qui sont chaque année fixés par le Parlement en loi de finances.

Selon l'angle d'observation adopté - celui du ministère ordonnateur ou celui de l'expert rémunéré - le constat est radicalement opposé : bien que les crédits consacrés à la rémunération des experts n'aient jamais été aussi dynamiques (+ 13,2 % depuis 2018) depuis leur intégration au budget de l'État , les experts se plaignent d'une rémunération qui, considérée par rapport au travail qu'ils fournissent, n'a cessé de diminuer.

Le ministère de la justice a communiqué les chiffres de cette dépense aux rapporteurs sur les trois derniers exercices budgétaires.

(en millions d'euros)

2018

2019

2020

Expertises psychiatriques

19,1

20,2

20,3

Expertises psychologiques

11,3

12,9

14,1

Total

30,4

33,1

34,4

Source : ministère de la justice, d'après le questionnaire des rapporteurs

La rémunération d'un expert chargé d'accomplir une mission de psychiatrie ou de psychologie légale est déterminée par l'article R. 117 du code de procédure pénale, dont les modifications sont issues d'un décret du 27 février 2017 23 ( * ) . L'article dispose que la rémunération d'une expertise se fonde sur le tarif conventionnel pratiqué par l'assurance maladie pour le remboursement à l'assuré des frais engagés lors d'une consultation, multiplié par un coefficient déterminé par arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre du budget.

Aux termes de l'article R. 117, cet arrêté doit s'efforcer de ne pas appliquer de grille tarifaire uniforme à l'expertise , en distinguant les rémunérations « selon la nature et l'étendue des actes prescrits », en prévoyant « une ou plusieurs indemnités complémentaires selon le lieu, le jour ou l'heure de réalisation de la mission », enfin en déterminant « les conditions dans lesquelles, à titre exceptionnel et par une décision motivée de l'autorité judiciaire, certains experts, à raison de la complexité, de l'ampleur ou de la durée de la procédure [...] peuvent être rémunérés, dans la limite d'un plafond, sur présentation d'un devis ». Le principe de la rémunération de l'expert est par conséquent celui d' une tarification prédéfinie, le cas échéant modulée , avec un recours, par exception et dans le respect d'un plafond, au règlement d'un devis .

L'arrêté pris le même jour 24 ( * ) codifie dans le code de procédure pénale l' article A. 43-6 , qui fixe les coefficients de ladite grille tarifaire pour les actes de psychiatrie et de psychologie légale.

Tableau des rémunérations tarifaires
des actes de psychiatrie et psychologie légale

Type d'expertise

Contenu de l'expertise

Auteur de l'expertise

Tarif applicable

Psychiatrie légale

Expertise comportant un ou plusieurs examens

Salarié ou COSP

312 euros

Libéral

429 euros

Expertise comportant un ou plusieurs examens et concernant une infraction sexuelle

Salarié ou COSP

331,5 euros

Libéral

448,5 euros

Psychologie légale

Expertise comportant un ou plusieurs examens

Salarié ou COSP

253,5 euros

Libéral

370,5 euros

Expertise médico-psychologique pratiquée par un médecin ayant aussi la qualité de psychologue

Salarié ou COSP

253,5 euros

Libéral

370,5 euros

Source : article A. 43-6 du CPP

Note : les rémunérations indiquées se fondent sur les tarifs conventionnels issus de la convention quinquennale signée en 2016 et organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie. Son échéance initiale du 24 octobre 2021 a été reportée au 31 mars 2023 par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

En application du décret précité, le même arrêté codifie un article A. 43-6-1 , dédié au cas exceptionnel de l'expertise « hors-normes » (EHN) , qui pose une triple limite aux cas de rémunération de l'expert sur présentation de devis :

- elle n'est ouverte qu'aux experts libéraux ;

- la limite de la rémunération est portée à 750 euros hors taxe ;

- la complexité de l'expertise doit être vérifiée par trois critères cumulatifs : un déplacement de plus de 200 kilomètres depuis la résidence de l'expert, une mission comportant des questions inhabituelles nécessitant des recherches spécifiques, enfin la complexité ou le contexte particulier de la procédure.

Le contenu de l'arrêté du 27 février 2017 inspire aux rapporteurs plusieurs remarques, toutes déduites d'un diagnostic unique : les mesures régissant concrètement la rémunération des experts vont à l'encontre des intentions contenues dans le décret qui en définissait les principes .

En premier lieu, la grille de l'article A. 43-6 du CPP, bien que prétendant définir des rémunérations « tarifaires », s'apparente davantage à une grille « forfaitaire » . En effet, il n'est prévu aucune variation dans la rémunération de l'expert psychiatre ou psychologue selon le nombre d'examens requis par l'autorité judiciaire, l'expertise étant alors définie comme la somme de ces examens. Or, de l'avis unanime des personnes auditionnées, le nombre d'examens, qui sont autant d'actes prescrits visés par le décret, peut être un indice assez fiable de la complexité de la mission de l'expert et devrait par conséquent être pris en compte dans la modulation du tarif.

De façon plus générale, l'arrêté ne tient que très partiellement compte des orientations du décret, qui s'était montré attentif à ce que la rémunération de l'expert reflète l'intensité du travail fourni . La seule modulation prévue - limitée aux actes de psychiatrie légale et non étendue à ceux de psychologie légale - qui concerne les expertises requises en cas d'infraction sexuelle, présente un double problème :

- d'une part, retenir le seul critère de la nature de l'infraction ne rend que très imparfaitement compte du travail fourni par l'expert ;

- d'autre part, l'article 706-47-1 du code de procédure pénale ayant prévu l' obligation d'une expertise médicale avant tout jugement au fond en cas d'infraction sexuelle (mais aussi de crime de meurtre commis sur mineur ou en état de récidive légale et de crime de torture ou de violence sur mineur), la réévaluation de l'expertise psychiatrique dans de pareils cas présente un risque inflationniste sans que ce dernier ne se justifie pour autant par l'exigence des travaux conduits.

Pour compléter la description de l'indemnisation de l'expert, l'article R. 112 du code de procédure pénale prévoit le versement d'une indemnité spécifique lorsque, en plus de l'élaboration de leur rapport, la juridiction d'instruction ou de jugement (essentiellement les cours d'assises) souhaite recueillir leur témoignage. Cette indemnité forfaitaire, actuellement de 44,05 euros éventuellement majorés si l'expert justifie d'une perte de revenu consécutive à la déposition, a été fortement décriée par les experts auditionnés comme couvrant très imparfaitement l'effort et l'épreuve subis par l'expert contraint de témoigner. Celui-ci doit en effet se replonger dans un dossier traité il y a parfois plusieurs années et se trouve confronté, lors de l'audience, non plus à la seule question du discernement mais souvent à de nouvelles questions tenant aux motivations et aux conditions de possibilité de l'acte.

En fin de compte, les chiffres retenus pour les tarifs sont unanimement dénoncés par les experts auditionnés comme nettement insuffisants au regard des missions accomplies.

À ce titre, les rapporteurs soulignent qu'il était initialement prévu qu'intervienne à compter du 1 er janvier 2019 une revalorisation des coefficients appliqués aux tarifs conventionnels pour les seuls experts COSP, qui n'aurait cependant pas débouché sur une réévaluation de la rémunération de ces experts mais qui aurait eu pour seule ambition de « tenir compte des charges sociales salariales qui devront à compter de cette date être déduites du revenu brut » 25 ( * ) , afin d'apporter une réponse au problème récurrent des cotisations sociales impayées 26 ( * ) .

Ce point particulier fera l'objet d'un développement spécifique ultérieur. À ce stade, il suffit de signaler que le ministère de la justice, contraint d'abandonner provisoirement l'application de ce précompte des cotisations salariales sur la rémunération en raison de problèmes techniques, a considéré qu'une « évolution du tarif des expertises psychologiques et psychiatriques pour les experts relevant du statut de COSP ne se justifiait plus », ce qui ne laisse pas de surprendre...

Vos rapporteurs ont acquis de toutes ces observations la conviction que les articles A. 43-6 et A. 43-6-1 du CPP devaient être intégralement réécrits .

Dans le contexte précédemment décrit d'une démographie défavorable des experts psychiatres et psychologues, la double question de l' attractivité financière de l'expertise et de l' adéquation de la rémunération à l'investissement personnel de l'expert est absolument centrale. Pour cela, il est indispensable que :

- les tarifs soient définis à raison de chaque examen demandé, et non à raison de l'expertise considérée globalement ;

- les tarifs, qui intègrent depuis le 1 er janvier 2019 le montant des cotisations sociales salariales, soient réévalués en tenant compte de leur montant net ;

- pour moduler la rémunération de l'expert en fonction de la complexité de la mission, les tarifs tiennent compte de critères objectifs autres que la seule nature de l'infraction considérée. Ainsi la compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d'appel (CNEPCA) et l'association nationale des psychiatres experts judiciaires (ANPEJ) suggèrent que soient retenues le niveau de qualification du praticien ainsi que le temps requis pour la réalisation de la mission ;

- enfin, pour le cas des EHN ouvrant droit à une rémunération sur devis, qui sont par définition moins fréquentes, leur recours soit ouvert aux experts COSP et que seules deux des trois conditions prévues par l'article A. 43-6-1 du code de procédure pénale soient réunies.

Proposition n° 6 : réévaluer la tarification des actes de psychiatrie et de psychologie légale, en prêtant une attention particulière à la modulation de la rémunération en fonction de l'ampleur de l'affaire et de l'investissement requis de l'expert.

Afin de contenir l'évolution budgétaire induite par les mesures ci-dessus proposées, il est nécessaire de les accompagner d' une rationalisation du nombre d'expertises demandées , que vos rapporteurs ont déjà appelée de leurs voeux et pour laquelle ils renvoient aux propositions suivantes .

Il est en effet regrettable qu'en raison d'un nombre croissant d'expertises, la variable d'ajustement du budget de l'expertise judiciaire en matière pénale soit le tarif de la mission. La tendance à la forfaitisation remplace la volonté affirmée de prise en compte du travail réellement fourni. Les développements qui suivent (notamment ceux consacrés aux expertises post-sentencielles, dont la demande connaît un mouvement exponentiel) se consacreront plus amplement à cette question.

2. L'assujettissement des experts au régime général de la sécurité sociale : une régularisation tardive par l'État et un problème de lisibilité de la rémunération

Ainsi que l'illustre le tableau précédent, les tarifs versés aux experts diffèrent selon leur statut - COSP ou libéral - lequel détermine l'affiliation du bénéficiaire à un régime de sécurité sociale.

Le principe énoncé au bulletin officiel des finances publiques (Bofip), issu d'une réponse ministérielle à une question posée le sénateur Jean-Pierre Sueur 27 ( * ) , est, en application de l'article L. 640-1 du code de la sécurité sociale (CSS) celui de l' affiliation au régime social des professions libérales . En conséquence, les cotisations et contributions sociales dues par l'expert libéral - d'un niveau approchant 46 % de sa rémunération nette 28 ( * ) - doivent être calculées par lui-même sur les revenus perçus à ce titre au cours de l'année civile précédente, et versées aux Urssaf.

Toutefois, aux termes de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale (CSS), tout médecin ou psychologue exerçant des activités d'expertise, s'il n'est pas affilié à un régime de travailleurs non-salariés , bénéficie automatiquement de la qualité de COSP, qui entraîne l'affiliation obligatoire aux assurances sociales du régime général. C'est concrètement le cas des psychiatres et des psychologues qui exercent leurs fonctions en établissement de santé ou dans une structure qui les salarie. Selon l'article D. 311-3, cette affiliation des experts COSP au régime général suppose une obligation de l'organisme pour le compte duquel est effectuée la mission de verser aux Urssaf les cotisations et contributions sociales - d'un niveau d'environ 56 % de la rémunération nette 29 ( * ) .

La sollicitation d'un expert COSP ou d'un expert libéral change donc fondamentalement le niveau et le cycle de la dépense pour le magistrat tarificateur. Jusqu'au 1 er janvier 2019, une expertise menée par un COSP coûtait au ministère de la justice, en sus du tarif net, l'ensemble des cotisations et contributions sociales afférentes. Le surcoût relativement important représenté par cette charge a historiquement conduit le ministère de la justice à tenter d' inciter les juridictions à recourir à des experts psychiatres et psychologues libéraux .

Cette incitation à « libéraliser » le travail des experts psychiatres et psychologues ne s'est néanmoins pas retrouvée dans le différentiel des tarifs énoncés à l'article A. 43-6 du CPP qui, pour les deux professions, prévoient des rémunérations nettes 30 ( * ) beaucoup plus intéressantes pour les COSP, échouant ainsi à « attirer » les professionnels libéraux vers la pratique de l'expertise.

Aussi, la question du traitement social de la rémunération des experts reste particulièrement délicate et donne lieu depuis 2014 à d' épineux débats opposant le ministère de la justice, organisme débiteur des cotisations pour les COSP, et le ministère de la santé, favorable au maintien d'une affiliation des experts COSP au régime général.

Le problème des cotisations sociales salariales impayées des experts COSP

Les conclusions d'une mission interministérielle rendues en juillet 2014 ont formulé un constat sans appel sur la rémunération des experts COSP employés par le ministère de la justice, qui ne leur appliquait, en contradiction manifeste avec le principe général d'une affiliation des COSP au régime général de sécurité sociale, « aucun assujettissement aux cotisations sociales ».

Comme l'a souligné Virginie Duval dans un entretien de 2016, « la situation s'est aggravée en décembre 2015 quand Christiane Taubira [alors garde des sceaux] a voulu régler la question des COSP pour lesquels on venait de découvrir que les charges n'avaient pas été payées depuis 30 ans. Sur les 48 600 travailleurs concernés, 40 500 relevaient du ministère de la justice, dont les experts psychiatres. Il y avait plusieurs solutions : soit on les rattachait au régime général et c'est donc le contribuable qui payait, soit on décidait d'en faire des travailleurs indépendants assumant leurs propres charges, soit on les laissait choisir, en fonction de leurs autres activités » 31 ( * ) .

Après quelques atermoiements 32 ( * ) , un décret du 2 juin 2016 33 ( * ) a finalement retenu la solution d'une affiliation de l'ensemble des experts psychiatres et psychologues COSP au régime général de sécurité sociale. À compter de cette date, les augmentations de crédits budgétaires consacrés à la couverture des frais de justice doivent essentiellement se lire comme des mesures de compensation destinées à couvrir les cotisations salariales désormais mises à la charge de l'État, calculées à part de la rémunération versée . Les rapporteurs ignorent si ces mesures, d'un montant fixe depuis 2018 de 32,3 millions d'euros 34 ( * ) , assurent la couverture ex ante de tous les droits ouverts, ou seulement la couverture ex post des cotisations effectivement versées par le ministère de la justice aux Urssaf.

Les crédits consacrés à l'augmentation nette des tarifs appliqués aux prestations d'expertise (couvrant l'intégralité des experts judiciaires, au-delà des seuls psychiatres et psychologues) ont pour leur part connu une évolution très modique, voire dégressive : 7,6 millions d'euros au titre de la loi de finances (LF) pour 2017 et 3,8 millions d'euros au titre de la LF pour 2018.

La discussion parlementaire du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019 a failli trancher la question dans un sens favorable au ministère de la justice, en excluant, par un amendement adopté à l'Assemblée nationale 35 ( * ) , les experts judiciaires de la liste des professionnels affiliés au régime général de la sécurité sociale. Le Sénat a toutefois rectifié la mesure en réintroduisant le principe, toujours en vigueur, d'une affiliation obligatoire au régime général en cas de non-affiliation à un régime de travailleurs non-salariés .

C'est donc par un autre moyen que le coût budgétaire endossé par le ministère de la justice au titre de l'affiliation sociale des experts aurait normalement dû être allégé.

À partir du 1 er janvier 2019 , le magistrat tarificateur aurait normalement dû appliquer une déductibilité directe des cotisations sociales salariales du montant versé à l'expert (soit environ 7,5 % de l'assiette) . Ne seraient donc restées à sa charge que les cotisations sociales patronales 36 ( * ) .

Pour l'expert, la rémunération prévue par l'article A. 43-6 du code de procédure pénale serait ainsi passée d'une rémunération nette à une rémunération brute et, comme l'indique explicitement la note interne mentionnée ci-dessus, les augmentations tarifaires pratiquées (la dernière datant du 1 er janvier 2019) auraient été entièrement consacrées à la couverture des cotisations salariales. Pis, ces augmentations n'auraient manifestement pas suffi à compenser pour l'expert la perte nette engendrée par la déductibilité directe de ses cotisations salariales : en effet, les tarifs n'auraient augmenté entre 2017 et 2019 que de 5,45 %, pour une baisse du montant net de 7,5 %. Entre 2017 et 2019, la perte sèche sur la rémunération - phénomène inédit - aurait donc pu être évaluée à près de 2 % .

Outre cet impact dommageable sur la rémunération nette de l'expert COSP, les rapporteurs protestent avec force contre la méthode de la déductibilité directe des cotisations salariales de la rémunération , pour deux raisons principales :

- elle est en contradiction manifeste avec la volonté exprimée par le législateur, au cours de la discussion du PLFSS pour 2019, de maintenir l'affiliation des experts au régime général dans sa version issue du décret de 2016 ;

- elle est également contraire à la lettre de l'article D. 311-2 du CSS, qui dispose que toutes les cotisations (salariales comme patronales) sont calculées « sur les rémunérations versées [...] ou pour chaque acte ou mission ». Il est univoquement indiqué que la rémunération tarifaire doit servir de base au calcul des cotisations sociales , qui ne peuvent donc se déduire de cette dernière.

La pratique de la déductibilité directe des cotisations salariales doit donc être écartée comme contraire au droit en vigueur . En conséquence, les rapporteurs en appellent à un maintien de la pratique actuelle, selon laquelle le tarif énoncé par les articles A. 43-6 et A. 43-6-1 du CPP est un tarif net.

Proposition n° 7 : revenir sur le projet de déductibilité directe par le magistrat tarificateur des cotisations salariales sur le tarif net versé à l'expert, cette pratique étant manifestement contraire aux dispositions en vigueur.

3. Des difficultés de l'expert lors de la liquidation des frais et honoraires

Les développements précédents sur la rémunération de l'expert ont montré que les critères retenus pour définir les tarifs ne prenaient que très imparfaitement en compte la difficulté du cas et le temps consacré à son étude .

Or, comme l'a clairement indiqué le professeur Daniel Zagury, un « dossier peu fourni et un cas clinique simple » peuvent ne donner lieu qu'à « une heure de travail », lorsqu'un « dossier étoffé aux incidences pronostiques majeures » entraîne un investissement pouvant « dépasser largement dix à quinze heures de travail » 37 ( * ) .

Ce problème de l'inadéquation des tarifs au travail réellement fourni peut être parfois doublé d'un problème d'engagement de la parole du magistrat prescripteur de l'expertise . Dans une contribution écrite parvenue aux rapporteurs, le professeur Zagury leur a fait état de deux anecdotes : dans le cadre de l'affaire Troadec d'une part, et dans celui d'une affaire impliquant l'Église de scientologie d'autre part, son expertise comme psychiatre a été sollicitée au cours de l'information judiciaire par le juge d'instruction des tribunaux judiciaires de ces deux ressorts (Nantes et Versailles respectivement), donnant lieu à chaque fois à la production d'un devis personnalisé, validé et signé par le juge d'instruction ainsi que par le vice-procureur de la République . Malgré cette double validation, la tarification du rapport d'expertise a à chaque fois été rapportée par le magistrat taxateur à 312 euros, soit le tarif d'une seule expertise de psychiatrie légale perçue par un praticien COSP.

Dans le cas d'espèce, il ne s'agit pas pour les rapporteurs de dénoncer l'application stricte de l'article A. 43-6 du code de procédure pénale par le magistrat taxateur , c'est-à-dire l'autorité chargée d'apurer les débets de la juridiction, mais de s'étonner qu'un devis validé par l'autorité prescriptrice de l'expertise n'ait pas engagé l'autorité judiciaire à l'égard de l'expert . Cela paraît d'autant plus contestable que, selon une réponse apportée par le ministère de la justice à une question écrite du sénateur Jean Louis Masson, « les experts n'ont pas la possibilité, dans le respect des règles procédurales, de retenir leur rapport tant qu'ils n'ont pas été réglés de leurs frais et honoraires ». Ce n'est donc qu'après avoir fourni leur travail que les experts ont connaissance de leur rémunération, sans que cette dernière ne corresponde obligatoirement au devis produit.

Ce problème est le fruit d'une ambiguïté du circuit de la dépense applicable aux frais de justice , entretenue par les textes en vigueur. En effet, les articles R. 107 et suivants du code de procédure pénale, qui traitent de la négociation des « frais et honoraires » des experts lorsque ces derniers dépassent 460 euros, identifient clairement la juridiction commettante de l'expertise comme décisionnaire concernant la discussion tarifaire avec l'expert . En cas de dépassement du montant de 460 euros, l'expert doit en informer le juge d'instruction, qui en informe lui-même le ministère public, lequel peut saisir, par l'intermédiaire du procureur général, le président de la chambre d'instruction, dont la décision est alors définitive.

Pour autant, l'article R. 227 du même code désigne « le président de chaque juridiction ou le magistrat qu'il délègue » comme magistrat taxateur. Autrement dit, le pouvoir taxateur de la juridiction est exercé - directement ou par délégation - par le président du tribunal judiciaire ou le président de la cour d'appel, qui président les cours auxquelles appartiennent respectivement le juge d'instruction et le président de la chambre d'instruction. Aux yeux des rapporteurs, cette dichotomie entre l'autorité judiciaire chargée de l'engagement de la dépense et celle chargée de sa liquidation peut exposer l'expert à des divergences d'appréciation préjudiciables au moment de la validation de son devis .

Ces dernières sont par ailleurs évitables , en ce que le second alinéa de l'article R. 227 autorise le président du tribunal judiciaire à déléguer au juge d'instruction la taxation des frais qu'il a engagés . Il serait opportun que cette dérogation devienne la règle, afin de fiabiliser la signature du magistrat prescripteur de l'expertise. Le risque d'une dépense budgétaire moins contrôlée qu'entraînerait la validation de devis excessifs, resterait contenu par la possibilité de recours que conserve le ministère public devant la chambre de l'instruction.

En effet, une jurisprudence récente ayant montré que le juge taxateur était parfaitement apte à mettre à la charge de l'État une rémunération de l'expert pénal supérieure au plafond de 750 euros défini pour l'expertise hors-normes 38 ( * ) , les rapporteurs, confiants dans la mesure que sauront montrer les magistrats, se déclarent favorables au principe d'une fixation souveraine 39 ( * ) par le magistrat prescripteur du prix de l'expertise qu'il requiert .

Proposition n° 8 : inscrire à l'article R. 227 du code de procédure pénale le principe selon lequel le magistrat ayant engagé des frais d'expertise est chargé de leur taxation, en conservant la voie de recours ouverte au ministère public.

D. DES DIFFICULTÉS CONCRÈTES DE RÉALISATION DE L'EXPERTISE

Au-delà de l'explication financière, dont le professeur Daniel Zagury indique que ne retenir qu'elle ne serait « pas bien sérieux » 40 ( * ) , certaines conditions compliquant la réalisation de l'expertise contribueraient particulièrement à dissuader les experts.

Elles peuvent être déclinées en quatre volets :

- le contexte physique et temporel contraint de la mission ;

- la mise à disposition souvent incomplète des éléments indispensables à l'accomplissement de l'examen ;

- pour le cas de l'expertise présentencielle, une tendance croissante à devoir exécuter la mission au cours de la phase de garde à vue ;

- ainsi qu'une tendance au rallongement de la procédure d'instruction , due à la multiplication des demandes de contre-expertises.

1. Un cadre d'exercice particulièrement contraint

Qu'elle intervienne au stade de la garde à vue, de l'information judiciaire, du jugement, ou au stade post-sentenciel, le lieu de l'expertise est soit le commissariat de police , soit la maison d'arrêt pour le cas d'une personne mise en examen ou placée en détention provisoire, soit l' établissement pénitentiaire pour le cas d'une personne condamnée.

Dans toutes les situations, les difficultés d'accès et l'exiguïté du lieu de l'entretien 41 ( * ) peuvent rendre l'examen clinique particulièrement complexe.

Le docteur Jean-Claude Pénochet a ainsi indiqué aux rapporteurs qu'il était fréquent que les personnels des maisons d'arrêt refusent l'accès à l'expert, même sur présentation d'une commission rogatoire, en raison des équipements particuliers dont ce dernier peut être doté (ordinateur et dictaphone). À cet égard, il serait utile d'étoffer le code de procédure pénale d'une disposition spécifique prévoyant que, pour l'exercice de la mission pour laquelle il a été commis par le magistrat (ou par l'officier de police judiciaire dans le cas de la garde à vue), l'expert dispose d'un accès de droit à la personne .

Une autre difficulté de contexte a trait au moment de l'expertise , qui peut engendrer d'importantes variations. Selon la complexité du profil, le moment d'intervention de l'expertise peut en effet être déterminant. Or celle-ci peut être d'autant plus tardive que la durée de la détention provisoire (dans le cas d'une expertise requise par le juge d'instruction ou par le tribunal correctionnel) est susceptible d'être portée jusqu'à 2 ans en matière correctionnelle et 4 ans en matière criminelle.

Selon l'union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), la première expertise en maison d'arrêt aurait lieu entre 4 à 6 mois après la commission de l'expert par le juge d'instruction ou le tribunal correctionnel. Le SNEPP précise que ce délai peut être réduit à 2 mois pour le tribunal correctionnel, et que les délais allant de 3 à 6 mois sont plus fréquents pour les instructions criminelles. Le syndicat national des psychologues (SNP) évoque pour sa part des durées oscillant généralement entre 3 et 4 mois.

L'Unafam décrit alors deux cas de figure, qui illustrent les biais possibles que comporte l'écoulement d'un tel délai : soit la personne, qui s'est adaptée au milieu carcéral, montre un profil excessivement rationnel pour se protéger, ce qui compliquera la tâche de l'expert pour qualifier son discernement au moment de la commission de l'acte ; soit la personne reste repliée sur elle-même, mutique, ce que l'expert pourra alors interpréter comme du mutisme volontaire.

Sur les recommandations de l'Unafam, les rapporteurs préconisent que la première expertise intervienne dans le mois qui suit le transfert en maison d'arrêt , avant que l'adaptation à la prison ne se fasse et ne biaise l'attitude de la personne pour l'analyse de l'expert. Compte tenu des différentes données livrées par les personnes auditionnées, et prenant pour référence le délai de 2 mois défini par la loi du 23 mars 2019 pour la réalisation des expertises en cas de comparution à délai différé en matière correctionnelle, les rapporteurs estiment qu'un progrès substantiel serait accompli si le délai de réalisation de la première expertise présentencielle était réduit à 2 mois maximum .

Proposition n° 9 : faciliter pour l'expert les conditions de réalisation de l'expertise lorsque cette dernière se fait en maison d'arrêt, en lui ménageant un accès de droit à la personne et en imposant que la première expertise ait lieu dans un délai maximal de deux mois après l'incarcération.

2. Une transmission souvent lacunaire des informations nécessaires

Il peut être déterminant, pour la bonne réalisation d'une expertise psychiatrique ou psychologique, de disposer d' informations exhaustives sur l'état de santé de la personne.

Régie par l'article L. 1110-4 du code de santé publique (CSP), la transmission d'informations relatives à l'état de santé d'un patient entre professionnels de santé n'est possible, sans recueil nécessaire du consentement du patient, qu'à la double condition d'appartenir à la « même équipe de soins » et que la transmission serve « la coordination ou la continuité des soins, la prévention ou le suivi médico-social et social ». Ainsi, bien que l'expert psychiatre ou psychologue soit professionnel de santé, la nature spécifique de sa mission ne lui permet pas de prétendre à ce que lui soit transmis de droit le dossier médical de la personne qu'il doit expertiser .

Par ailleurs, aux termes de l'article R. 4127-108 du CSP, le strict accomplissement de sa mission le délie de tout secret médical .

Dans ces conditions, l'information de l'expert quant à l'état de santé de la personne concernée varie dans les faits, selon le cadre de l'expertise.

Si cette dernière intervient en amont de la phase d'instruction
- le plus souvent dans le cadre d'une enquête préliminaire ou d'une enquête de flagrance dirigée par le procureur de la République - l'article 60-1 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour le procureur de requérir auprès d'un médecin traitant le dossier médical de la personne incriminée, sans obligation pour le médecin de déférer à cette réquisition, en vertu du secret médical .

En revanche, si l'expertise intervient au cours de la phase d'instruction , les pouvoirs d'enquête du magistrat ne permettent plus au médecin de s'opposer à la transmission du dossier médical, en application de l'article 81 et d'une décision de la Cour de cassation 42 ( * ) . Le dossier médical intègre alors les « scellés » , qui désignent l'ensemble des objets saisis par l'autorité judiciaire pour aider à la manifestation de la vérité, et que l'article 163 habilite tout expert commis par le juge d'instruction à consulter.

Ces distinctions de procédure, pleinement justifiées au regard des enjeux qui séparent l'enquête préliminaire de l'instruction, sont insuffisamment prises en compte pour l'aménagement des missions de l'expert, ce qui appellerait deux modifications :

- en amont de la phase d'instruction , même s'ils ne contestent pas la possibilité pour le médecin traitant d'opposer, avec un motif légitime, le secret professionnel à la transmission du dossier médical aux OPJ chargés de réquisition, les experts estiment que la spécificité de leur mission à ce stade de la procédure - qui demeure la vérification de l'état de santé de la personne - pâtit d'une certaine confusion avec celle des enquêteurs. Il a en effet été indiqué aux rapporteurs que, bien que professionnel de santé, l'expert restait perçu par le corps médical comme un auxiliaire de justice prenant activement part à l'enquête . Or, la mission de l'expert au stade préalable à l'instruction ou au procès devant normalement se cantonner à l'examen médical, il semblerait opportun que lui soit attraite, pour cette occasion, la qualité de membre de l'équipe de soins et qu'à ce titre le médecin traitant puisse, sans être contraint de recueillir le consentement de la personne, lui communiquer son dossier médical à sa demande. L'exercice de la mission de l'expert devrait alors se faire dans le respect du secret professionnel ;

- au cours de la phase d'instruction , la mission de l'expert doit au contraire être perçue comme une mission d'appui à l'enquête menée par le magistrat. Malgré sa qualité de professionnel de santé, il ne saurait donc l'exercer en tant que membre de l'équipe de soins, et son accès au dossier médical de la personne doit demeurer strictement conditionné à l'intégration aux scellés décidée par le juge. Toutefois, la consultation du dossier médical restant un élément déterminant du travail de l'expert, il conviendrait de rendre le code de procédure pénale plus explicite sur la possibilité laissée au juge d'ouvrir cet accès à l'expert psychiatrique ou psychologique.

Les rapporteurs préconisent donc qu'en matière d'accès au dossier médical de la personne les prérogatives et le statut de l'expert soient explicitement distingués selon qu'il intervient avant ou au cours de l'instruction .

Proposition n° 10 : préciser le cadre de la transmission du dossier médical à l'expert, en distinguant selon le stade de la procédure : en amont de l'instruction, attribuer à l'expert la qualité de membre de l'équipe de soins et maintenir sa soumission au secret médical ; au cours de l'instruction, expliciter dans le code de procédure pénale la capacité qu'a le juge de mettre le dossier médical à la disposition de l'expert, en sa qualité d'auxiliaire de justice.

Au cours de l'expertise post-sentencielle, l'expert rencontre des difficultés comparables d'accès au dossier médical du détenu ainsi qu'à l'historique de ses expertises, particulièrement préjudiciables si l'on considère sa mission d'évaluation du risque de récidive.

L'article 717-1 du code de procédure pénale dispose explicitement que le juge d'application des peines transmet au médecin traitant du condamné tous les rapports des expertises réalisées ainsi que toute autre pièce utile du dossier, mais exclut l'expert, comme auxiliaire de la justice pénale, de ce circuit d'information .

Un exemple anonymisé exploité par Martine Herzog-Evans, juriste spécialisée en droit de l'exécution des peines, montre que ce défaut d'information entre professionnels de santé intervenant autour du détenu présente le double inconvénient d'un recours excessif à l'expertise et d' un défaut de contrôle du diagnostic par les pairs .

La communication insuffisante entre experts post-sentenciels : un exemple

M. X a été condamné le 22 mars 1990 par la cour d'assises des Pyrénées-Atlantiques à la réclusion criminelle à perpétuité, en sanction d'une série de violences sexuelles toutes réalisées sous la menace d'une arme. Du 22 juillet 1985 à janvier 1987, le condamné s'est livré à des actes de violence sexuelle sur 15 victimes, dont 11 viols, 2 tentatives de viols et 2 actes d'attentat à la pudeur sur mineur de 15 ans.

La plupart des expertises psychiatriques post-sentencielles ordonnées par le juge de l'application des peines ont été « globalement convergentes et [ont conclu] à un pervers narcissique fixé, peu susceptible d'évolution ». Au total, sept expertises psychiatriques post-sentencielles indépendantes ont été conduites entre 2001 et 2011, dont seule la dernière a conclu à une absence de dangerosité .

Ces conclusions optimistes, « en totale contradiction avec la précédente expertise réalisée seulement 1 an auparavant avec pourtant une conclusion péjorative de personnalité perverse », ont permis à M. X de bénéficier dès septembre 2011 d'un régime de placement extérieur et d'un hébergement de stabilisation dans un foyer d'insertion. En janvier 2012, soit 4 mois après être sorti de détention, M. X est à nouveau mis en examen pour des faits de viol commis sur une résidente du foyer.

Source : http://herzog-evans.com

De semblables difficultés d'accès ont été relevées par les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) , chargés de la préparation du détenu à sa réinsertion sociale. Selon les juridictions d'application des peines, l'accès aux expertises pour ces services est extrêmement hétérogène, en dépit de l'importance de leur travail de suivi des détenus.

Cet état de fait est d'autant plus regrettable que le magistrat chargé de l'affaire dispose normalement dans le dossier de l'ensemble des expertises demandées, ce qui devrait être un facteur limitant la multiplication des demandes qu'il formule et faciliter la transmission des informations aux experts sollicités et aux SPIP.

Proposition n° 11 : compléter l'article 717-1 du code de procédure pénale en prévoyant que le juge d'application des peines communique systématiquement les résultats des expertises présentencielles et post-sentencielles aux experts chargés de l'examen des détenus ainsi qu'aux conseillers des services pénitentiaires d'insertion et de probation.

3. Le report de l'expertise présentencielle sur la phase de garde à vue

Au cours des auditions des rapporteurs, une dérive a été unanimement relevée et dénoncée par les experts psychiatres : la réalisation de l'expertise présentencielle dès le stade de la garde à vue .

L'obligation légale pesant sur l'OPJ ordonnateur de la garde à vue se limitant à un examen médical si la personne le demande (ou sans cette condition si la garde à vue est prolongée), rien n'empêche cet examen médical d'être conduit par un psychiatre , à qui le procureur de la République ou l'OPJ peuvent d'emblée demander de se prononcer sur le discernement de la personne lors de la commission de l'acte.

Les psychiatres auditionnés reconnaissent tous le bien-fondé d'un avis médical pour s'assurer de la compatibilité entre l'état de santé de la personne et la poursuite de la garde à vue, mais considèrent que ce cadre, par définition anxiogène et qui peut « contribuer à l'énoncé de propos incohérents, inexacts de la part du gardé à vue sans que l'on puisse parler strictement de mensonges » 43 ( * ) , ne se prête absolument pas à la discussion d'un lien entre une éventuelle pathologie mentale de la personne et la commission de l'acte . Le docteur Jean-Claude Pénochet a même indiqué aux rapporteurs qu'il lui arrivait, dans 50 % des cas, que les faits reprochés à l'individu ne figurent pas dans la réquisition pour l'examen médical.

Ainsi, comme l'a rappelé en 2001 le jury de la 5 e conférence de consensus de la fédération française de psychiatrie (FFP) sur la psychopathologie et les traitements actuels des auteurs d'agression sexuelle, « les examens psychiatriques demandés en urgence, dans le temps de la garde à vue d'un sujet, sur le mode de la réquisition d'un psychiatre expert ou non, doivent se borner à la recherche d'éventuels troubles psychiatriques nécessitant des soins psychiatriques urgents et contre-indiquant la garde à vue . Cette réquisition ne doit pas remplacer l'expertise présentencielle dans sa forme classique . Comme toute expertise, elle ne doit jamais dégager des traits de personnalité qui seraient utilisés comme argument à charge pour un sujet qui nierait les faits à l'origine de sa garde à vue ».

Plusieurs facteurs expliquent ce report croissant de la demande d'expertise au stade de la garde à vue.

En premier lieu, l'article A. 43-6 du code de procédure pénale ne pose aucune distinction dans le tarif versé à l'expert psychiatre selon le stade de la procédure auquel il intervient . Ainsi, la réquisition d'un psychiatre pour l'examen d'une personne gardée à vue, même pour la réalisation d'une vérification d'aptitude, sera tarifée comme un acte d'expertise de psychiatrie légale et recevra le même tarif que l'expertise proprement dite , requise dans le cadre de l'instruction. Le psychiatre réquisitionné n'est donc pas financièrement incité à évoquer le cadre de l'expertise pour en différer la réalisation.

En second lieu, l'expertise de garde à vue n'est pas revêtue du même enjeu selon la nature des faits reprochés. Si ces derniers sont de nature criminelle , le juge d'instruction est obligatoirement saisi (soit sur réquisitoire du procureur de la République, soit par une plainte avec constitution de partie civile) et la phase d'information judiciaire peut alors utilement se prêter, à l'issue de la garde à vue, à toute expertise requise. Si les faits reprochés sont de nature délictuelle , les pouvoirs d'enquête restent le plus souvent aux mains du procureur de la République, qui ne peut les exercer que dans les délais contraints qui précèdent la comparution devant le tribunal correctionnel .

Injustifiable en matière criminelle, l'expertise de garde à vue peut donc être parfois ressentie comme une nécessité par les magistrats du parquet saisis d'une affaire correctionnelle, pressentant que les délais resserrés de l'enquête ne leur permettront pas de mener toutes les expertises requises dans un format comparable à celui de l'information judiciaire. En conséquence, le ministère de la justice a indiqué à vos rapporteurs que l'on pouvait constater des « prolongations des mesures de garde à vue dans le but de laisser le temps nécessaire à la réalisation de l'examen psychiatrique et à la rédaction du rapport par l'expert, quand bien même il s'agirait du seul acte restant à réaliser », ou encore des « levées de mesures de garde à vue en vue de reprise ultérieure afin de permettre la programmation d'un tel examen, ce alors que la réponse pénale aurait pu être immédiatement rendue » 44 ( * ) .

Les rapporteurs estiment que, même en matière correctionnelle, cette dérive de l'expertise de garde à vue doit être combattue . L'instauration récente par la loi du 23 mars 2019 de la comparution à délai différé a précisément eu pour vocation de faciliter les pouvoirs d'enquête du procureur et de lui permettre de disposer d'un délai supplémentaire entre la fin de la garde à vue et la comparution devant le tribunal correctionnel.

L'article 397-1-1 du code de procédure pénale prévoit en effet que, pour les délits punis d'une peine de prison d'au moins deux ans et pour les délits flagrants punis d'une peine de prison d'au moins 6 mois, dans les cas où « l'affaire n'est pas en état d'être jugée selon la procédure de comparution immédiate parce que n'ont pas encore été obtenus les résultats de réquisitions, d'examens techniques ou médicaux déjà sollicités », le procureur peut requérir du juge des libertés et de la détention (JLD) une mesure de détention provisoire d'une durée maximale de deux mois avant la comparution devant le tribunal correctionnel. Cette détention provisoire, que le JLD peut commuer en contrôle judiciaire ou en assignation à résidence, se prête bien mieux à la réalisation d'une expertise psychiatrique ou psychologique que la garde à vue.

Deux mesures paraissent donc indispensables pour « spécialiser » l'intervention médicale selon le stade de la procédure pénale, en réservant l'examen clinique d'aptitude à la privation de liberté à la garde à vue, et l'expertise proprement dite à l'information judiciaire ou à la détention provisoire en cas de comparution à délai différé :

- expliciter dans le code de procédure pénale les finalités de l'examen médical en garde à vue, en prévoyant que ce dernier se limite à la vérification de la compatibilité de l'état de santé de la personne avec la privation de liberté ;

- prévoir une grille tarifaire spécifique pour l'examen médical de garde à vue qui, en vertu de l'article R. 117 du code de procédure pénale, est actuellement intégrée dans la grille tarifaire de l'expertise.

Proposition n° 12 : préciser les articles 63-3, 706-88 et 706-88-1 du code de procédure pénale, afin de spécifier que l'examen clinique de garde à vue ne peut se prêter à la réalisation d'expertises psychiatriques ou psychologiques requises par l'enquête ; par ailleurs, prévoir une grille tarifaire spécifique de l'examen clinique de garde à vue.

4. Expertises et contre-expertises : un allongement de la procédure parfois préjudiciable

L'introduction de plusieurs dispositions au code de procédure pénale aménageant la possibilité pour les parties ou pour le procureur de la République de saisir le juge d'instruction de demandes de contre-expertises ou de compléments d'expertise a répondu au souci du législateur, suite à l'affaire d'Outreau, d' augmenter la place du principe du contradictoire dans l'expertise pénale. Ce souci s'illustre particulièrement dans les articles 161-1, 167 et 167-1.

L' article 161-1 , issu de la loi du 5 mars 2007 45 ( * ) , prévoit qu'une fois que le juge d'instruction a ordonné une expertise , il en prévient sans délai les parties et le procureur qui disposent d'un délai de 10 jours pour demander à ce que la saisine de l'expert soit précisée ou à ce qu'un autre expert soit désigné. Le juge d'instruction, s'il décide de ne pas faire droit à ces demandes, doit rendre une ordonnance motivée, qui elle-même peut être contestée dans un délai de 10 jours devant le président de la chambre d'instruction.

L' article 167 , quant à lui, prévoit l'obligation pour le juge d'instruction de donner connaissance des conclusions des experts aux parties et à leurs avocats et de leur fixer un délai minimal de 15 jours pour présenter leurs observations et formuler une demande de complément d'expertise ou de contre-expertise. Le juge d'instruction dispose d'un mois pour examiner cette demande et peut la rejeter sous réserve de rendre une décision motivée. Cette décision peut faire l'objet d'un appel dans les mêmes conditions que précédemment. Dans le cas où les conclusions de l'expertise tendraient à l' irresponsabilité pénale , l' article 167-1 prévoit que la contre-expertise demandée par la partie civile est de droit, et doit être accomplie par au moins deux experts .

Reposant sur des fondements a priori renforcés, le respect du principe du contradictoire en matière d'expertise pénale connaît néanmoins quelques fragilités .

En premier lieu, l'article 161-1, relatif à la communication obligatoire aux parties et au ministère public par le juge d'instruction d'une première demande d'expertise, peut ne pas s'appliquer « lorsque les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions par l'expert doivent intervenir en urgence et ne peuvent être différés pendant le délai de dix jours prévu [...] ou lorsque la communication prévue [...] risque d'entraver l'accomplissement des investigations ». Cette exception à la publicité de la demande d'expertise par le juge compromet de façon évidente le principe du contradictoire , en repoussant l'information des parties sur les conclusions d'expertise au moment de leur restitution. C'est pourquoi, bien que les rapporteurs en reconnaissent la nécessité pour les affaires particulièrement complexes, ils saluent la décision de la Cour de cassation de 2016 46 ( * ) , qui précise qu'elle doit rester d' application stricte .

En second lieu, la possibilité ouverte aux parties de demander une contre-expertise à deux stades différents de l'instruction (la demande de première expertise du juge d'instruction et la communication de ses conclusions aux parties), parfois très éloignés dans le temps, ne paraît pas toujours se justifier en ce qu'elle dévoierait le principe du contradictoire au profit d'un allongement parfois artificiel de la procédure . Le professeur Zagury résume ce phénomène en des termes explicites : « notre système est devenu fou : il multiplie inconsidérément les demandes d'expertises de pure forme pour obéir aux exigences procédurales mais il est incapable d'honorer celles qui répondent à un enjeu crucial : [...] une première expertise médiocre dès la garde à vue, une deuxième évidemment en contradiction et une troisième pour trancher. La quatrième est à suivre, ajoutant à la confusion... » 47 ( * ) .

La multiplication des expertises à différents stades de la procédure présente deux défauts principaux :

- elle peut rallonger cette dernière de façon importante ;

- surtout, elle fait intervenir l'expert à des moments différents de l'instruction, alors que les professionnels auditionnés sont unanimes à considérer que la fiabilité de l'expertise psychiatrique ou psychologique dépend de sa précocité .

Aussi, les rapporteurs considèreraient le principe du contradictoire en matière d'expertise pleinement satisfait à partir du moment où les parties et le ministère public sont mis en mesure de présenter, au moment de la première demande du juge d'instruction ou concurremment à celle-ci, une demande de contre-expertise. Les rapporteurs estiment également que c'est à ce stade de la première demande, si les résultats de l'enquête préliminaire sont susceptibles d'orienter les conclusions de l'expertise vers une irresponsabilité pénale, que la demande de contre-expertise par la partie civile devrait être de droit.

En plus d'apporter les modifications requises aux articles 161-1 et 167 du code de procédure pénale, il est indispensable de modifier l'article 186-1 du même code, qui donne au président de la chambre d'instruction le pouvoir de décider, par ordonnance, de ne pas saisir la chambre de l'appel interjeté par une partie qui aurait demandé une contre-expertise dès le début de l'instruction et à laquelle le juge d'instruction n'aurait pas fait droit. Si l'on admet que l'essentiel du principe du contradictoire réside à l'initiation de l'instruction, il convient de supprimer cette prérogative personnelle du président de la chambre d'instruction susceptible d'entraver la demande de contre-expertise.

Par conséquent, il ne paraît pas indispensable de maintenir une possibilité inconditionnée de demande de contre-expertise au moment de la communication des résultats de la première expertise . Cette possibilité ne devrait rester ouverte que dans des cas très limités : si les parties estiment qu'une expertise dont le rapport a été remis n'a pas été faite avec objectivité, ou l'a été en contradiction avec la déontologie de l'expert.

Les rapporteurs sont bien sûr favorables à ce que soit maintenu le caractère obligatoire de la communication de l'expertise (quelle qu'en soit la partie demandeuse) à toutes les parties.

Proposition n° 13 : mieux encadrer la possibilité pour les parties de solliciter un complément d'expertise pénale ou une contre-expertise pénale au moment de l'ouverture de l'instruction ; p-1 cpp

révoir une contre-expertise de droit ouverte à la partie civile dans le cas où l'enquête montrerait des éléments susceptibles d'orienter vers une irresponsabilité pénale ; supprimer la prérogative du président de la chambre d'instruction prévue à l'article 186-1 du code de procédure pénale de ne pas saisir la chambre d'un appel d'une demande de contre-expertise ; maintenir la communication obligatoire du résultat de l'ensemble des expertises à toutes les parties.

II. LES MISSIONS LÉGALES DE L'EXPERT : UN AUXILIAIRE DÉTERMINANT DE LA JUSTICE PÉNALE MAIS DES CONTENUS ENCORE TROP IMPRÉCIS

Bien que les missions des experts présentenciels et post-sentenciels ne soient pas explicitement balisées par la loi et que le magistrat commettant dispose d'une assez grande liberté dans leur définition, les rapporteurs ont souhaité mettre l'accent, pour chacun, sur la demande qui leur est majoritairement formulée : la détermination du discernement de la personne au moment de l'acte pour le cas présentenciel, la détermination du risque de récidive pour le cas post-sentenciel.

A. ABOLITION ET ALTÉRATION DU DISCERNEMENT : LA NÉCESSITÉ D'UNE INTERPRÉTATION STRICTE

L'article 121-3 du code pénal s'ouvre sur une disposition univoque : « il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». À la racine de cette intention, qui conditionne à elle seule l'établissement de la responsabilité pénale de l'auteur, se trouve le discernement de ce dernier au moment de la commission des faits . La mission dont l'expert psychiatre ou l'expert psychologue est investi par le juge d'instruction consiste donc à déterminer la qualité du discernement du commettant.

Intervenant dans le cadre de l'enquête judiciaire menée par le juge instructeur, la mission expertale n'a pas pour ambition de remettre en cause l'imputation du délit ou du crime au prévenu, mais d' estimer, en premier lieu, l'accessibilité de ce dernier à la sanction pénale que le droit prévoit et, en second lieu, le degré d'intentionnalité de l'acte . Ainsi, elle met en lumière la finalité véritable du procès pénal, susceptible de parfois l'exposer à l'incompréhension des victimes ou plus largement du public : la peine ne sanctionne pas le fait répréhensible, dont le constat reste indiscutable, mais bien celui qui l'a commis , dont la conscience a pu connaître une éclipse plus ou moins forte au moment de sa commission.

L' article 122-1 du code pénal distingue à cet égard deux cas : les cas d' abolition du discernement, dont le droit prévoit qu'ils doivent se traduire par l'irresponsabilité pénale du commettant, et les cas d' altération du discernement, qui restent punissables mais qui contraignent la juridiction à tenir compte de cette circonstance lorsqu'elle fixe la peine.

La loi du 15 août 2014 48 ( * ) a permis de mieux circonscrire la latitude laissée au juge en cas d'altération du discernement, dans le sens résolu d'une atténuation de la responsabilité pénale . Sur l'initiative de la commission des lois du Sénat, le texte a précisé l'article 122-1 du code pénal en prévoyant qu'en cas d'altération, « si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans ».

Aux deux possibilités décrites par l'article 122-1 du code pénal, s'ajoute celle énoncée par l' article 122-2 du même code, aux termes duquel « n'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister ». Bien que la mention de cette autre cause d'irresponsabilité pénale fasse l'objet d'un article distinct et qu'à cet égard il semble que la « force » ou la « contrainte » évoquée ne soit pas de nature psychique, l'expertise psychiatrique ou psychologique y a tout autant recours qu'à l'article 122-1.

Historiquement, la détermination du discernement par l'expert s'entendait de façon binaire : l'article 64 du code pénal de 1810 disposait en effet qu'il n'y avait « ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ». La « démence », notion qui ne recouvre aucune réalité médicale, ou la contrainte présentaient les deux cas limitatifs en dehors desquels le prévenu devait être considéré comme ayant agi en plein discernement .

L'importante réforme du code pénal de 1992 a étendu les causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité pénale en introduisant la notion d'altération du discernement et en élargissant les causes d'abolition ou d'altération à tout « trouble psychique ou neuropsychique ». Substituer cette formule à celle, désuète, de « démence » n'a pas pour autant eu pour effet d'en préciser les contours . Même si de nombreux professionnels interprètent le trouble psychique ou neuropsychique de façon stricte, comme un renvoi aux « pathologies psychiatriques ou neurologiques, [...] considérées, en l'état actuel des connaissances scientifiques, comme ayant une origine somatique ou non » 49 ( * ) , le législateur, en choisissant de ne pas se référer explicitement à l'état pathologique, semble avoir laissé la porte ouverte à d'autres formes de troubles, notamment de nature psychologique .

Or l'actualité a montré que cette acception élargie du trouble psychique ou neuropsychique pouvait susciter certaines interrogations.

Les cas d'expertise psychiatrique ou psychologique concluant à l'abolition du discernement et, par conséquent, à l'irresponsabilité pénale de l'auteur de l'acte 50 ( * ) exposent naturellement les ordonnances de non-lieu rendues par le juge d'instruction à l' incompréhension et à la colère des victimes . Ces réactions, légitimes dans une société où la tenue du procès s'est heureusement substituée à l'assouvissement des vengeances privées, disent toute l'urgence qu'il y a à définir, dans des limites claires et strictes, le périmètre des crimes dont l'auteur ne peut rendre compte . Conscients de ce devoir, les rapporteurs rappellent toutefois qu'un État de droit se mesure à l'indépendance de ses magistrats, et que les bornes de leur office ne peuvent de ce fait être définies que par la loi.

Aussi, s'il est indispensable de préserver explicitement dans la loi le cas spécifique du criminel ou du délinquant irresponsable, plusieurs affaires récentes, au raisonnement médiatique important, ont interrogé la pertinence actuelle du cadre légal de l'abolition du discernement.

À la faveur d'un débat tenu le 18 février 2020 au Sénat sur la demande du groupe Union centriste 51 ( * ) , en présence de Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, l'évocation du meurtre de Sarah Halimi , survenu le 4 avril 2017, a permis que soit rappelée la portée et les limites de l'article 122-1 du code pénal.

La garde des sceaux a, à cette occasion insisté sur les évolutions qu'a connues la procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale depuis la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental :

« La procédure applicable aujourd'hui a été considérablement modifiée avec l'adoption de la loi du 25 février 2008, qui a prévu trois évolutions majeures, que je veux vous rappeler.

« Cette loi a tout d'abord permis que la question de la responsabilité pénale de l'auteur des faits soit débattue publiquement et contradictoirement lors d'une audience dédiée devant la chambre de l'instruction.

« Elle a ensuite permis que la justice puisse, malgré la déclaration d'irresponsabilité pénale de l'auteur, dire qu'il existe des charges suffisantes à son encontre d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés.

« Elle a enfin permis, je le rappelais à l'instant, que des mesures de sûreté puissent être décidées par les juges à l'encontre de l'auteur des faits, afin de garantir la protection des victimes et de la société.

« Avant la réforme de 2008, l'irresponsabilité pénale était simplement constatée par le juge d'instruction ou par les juridictions, qui rendaient des ordonnances de non-lieu, des jugements de relaxe ou des arrêts d'acquittement s'ils estimaient que le trouble psychique ou neuropsychique dont était atteint le suspect au moment des faits avait aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

« La souffrance des victimes et la réalité de la commission matérielle de l'infraction ne pouvaient alors pas être reconnues par la justice.

« Ces décisions étaient insatisfaisantes et très mal comprises par les victimes et leurs familles, celles-ci ayant le sentiment que, pour la justice, le crime ou le délit n'avait, en réalité, pas eu lieu.

« La loi de 2008 a donc trouvé un équilibre (...) en permettant aux juges de dire tout à la fois qu'une personne peut être pénalement irresponsable, mais qu'elle a bien matériellement commis les faits qui lui sont reprochés.

« Elle a ainsi permis, je le répète, qu'un débat public et contradictoire puisse se tenir, en présence de l'ensemble des parties, débat au cours duquel la personne mise en examen et les experts l'ayant examinée durant la procédure sont entendus. (...)

« Lors de cette audience, les témoins peuvent également être entendus. Le procureur général, la personne mise en examen, les parties civiles, ainsi que leurs avocats respectifs peuvent poser des questions au mis en cause. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le débat a été assez long dans l'affaire que je viens d'évoquer, puisqu'il a duré, je crois, près de neuf heures.

« À l'issue du débat, les juges de la chambre d'instruction prennent leur décision en toute indépendance, sans être tenus par les conclusions des expertises livrées devant eux. Lorsqu'ils estiment qu'il existe des charges suffisantes et que le mis en cause était atteint d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement au moment des faits, ils rendent un jugement ou un arrêt de « déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental .

« Par cette décision, ils déclarent, j'y insiste, que la personne a bien commis les faits qui lui sont reprochés, mais ils constatent qu'elle ne peut faire l'objet d'une condamnation pénale. »

Cette évolution de la procédure, plus respectueuse du droit des victimes et des parties civiles paraît effectivement équilibrée aux rapporteurs. Elle n'épuise pas cependant la question du discernement.

Chronique des expertises au cours de l'affaire du meurtre de Sarah Halimi

Le 4 avril 2017, Sarah Halimi était assassinée par défenestration par Kobili Traoré, alors que ce dernier était en proie à une « bouffée délirante » consécutive à une consommation particulièrement importante de cannabis. L'appartenance de la victime à la communauté juive ainsi que les circonstances de l'assassinat ont conduit à ce que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris retienne, tardivement (le 27 février 2018), le caractère antisémite comme circonstance aggravante du meurtre.

Le 4 septembre 2017, le professeur Daniel Zagury, premier expert psychiatre saisi par la juge d'instruction, remet son rapport, qui conclut à une altération du discernement et qui insiste sur le fait qu'« en dépit de la réalité indiscutable du trouble mental aliénant, l'abolition du discernement ne peut être retenue du fait de la prise consciente et volontaire régulière de cannabis en très grande quantité ».

Le 4 avril 2018, la juge d'instruction saisit de son propre chef par ordonnance trois autres experts, qui ont rendu le 11 juillet leur rapport, lequel indique que Kobili Traoré « souffre d'un trouble psychotique chronique, vraisemblablement de nature schizophrénique, faisant suite à un épisode délirant aigu inaugural » et qu'à ce titre son discernement était bel et bien aboli au moment de la commission de l'acte. Selon ce collège d'experts, le professeur Zagury avait rejeté l'abolition en raison du caractère conscient et volontaire de la prise de cannabis ; leur avis considère au contraire que les taux de THC relevés dans le sang du prévenu étant modérés, la prise de cannabis n'a pu induire la crise et que le processus psychotique était déjà amorcé.

Saisie par les avocats de la famille de la victime, la juge d'instruction a ordonné une troisième expertise, rendue par un second collège de trois experts le 20 mars 2019. Le rapport conclut également à l' abolition du discernement , mais pour des motifs sensiblement distincts de l'expertise précédente : l'absence de discernement ne découlerait pas d'une pathologie mentale - en l'occurrence le « trouble psychotique chronique » évoqué par la précédente étude - mais de la survenue non anticipée de la bouffée délirante , sans que le prévenu, pourtant consommateur habituel de cannabis, n'ait été en mesure de la prévoir. Les conseils de la famille de la victime font alors part de leur étonnement face à un rapport d'expertise qui conclut à l'abolition tout en affirmant que le prévenu « n'a aucune maladie mentale ».

Le 12 juillet 2019, la juridiction d'instruction, considérant qu'il y avait des raisons plausibles de conclure à l'irresponsabilité pénale du prévenu, a rendu une ordonnance de non-lieu , dont le parquet a fait appel trois jours plus tard auprès de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris. Cette dernière rend le 19 décembre 2019 un arrêt confirmant l'ordonnance de non-lieu et concluant à l'irresponsabilité pénale du prévenu .

S'appuyant plus particulièrement sur la troisième expertise, la cour d'appel indique que l'abolition du discernement n'aurait été exclue que si la preuve avait été rapportée que l'auteur des faits avait conscience que sa consommation pouvait entraîner la bouffée délirante dont il a été saisi . Outre des mesures de sûreté prises à l'égard de la famille de la victime, la cour d'appel a saisi en urgence le préfet d'une demande d'hospitalisation sans consentement.

Les avocats de la famille de la victime se sont depuis pourvus en cassation, pourvoi dont l'examen a commencé le 3 mars 2021 .

Bien que la garde des sceaux ait indiqué, lors du débat du 18 février 2020, qu'il paraissait « sage, avant de légiférer à nouveau, d'attendre la décision de la Cour de cassation », elle a reconnu que la grande émotion suscitée par cette affaire avait conduit le gouvernement de l'époque à constituer une commission composée de personnalités qualifiées afin de « travailler sur la notion d'irresponsabilité pénale en cas d'absorption volontaire de substances, en examinant d'éventuelles lacunes de notre droit ». Les rapporteurs entendent saisir cette opportunité pour apporter leur contribution à cette réflexion en cours .

Il semble bien qu'à la lumière de ce douloureux exemple, le droit de l'irresponsabilité pénale en cas de trouble psychique ou neuropsychique présente une lacune. En pareille matière, le législateur doit bien entendu redoubler de prudence , et la tentation d'énumérer limitativement dans la loi les cas d'abolition du discernement doit être retenue. Pour autant, comme l'illustre l'affaire Halimi, les termes actuels du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal présentent un indéniable défaut de précision et balisent insuffisamment le travail des experts. Pour citer une nouvelle fois le professeur Daniel Zagury, « que certains [experts] soient plus restrictifs et d'autres plus extensifs dans leurs appréciations médico-légales est probablement rendu inévitable par la loi elle-même. Mais ce qui devrait être un écart minime dans le style de l'expert est devenu un véritable boulevard ».

Les deux premières expertises du meurtrier de Mme Halimi ont pour point commun de fonder leur conclusion sur l' état pathologique du prévenu : l'altération, puis l'abolition, ont été retenues en raison de l'origine schizophrénique de la bouffée délirante. Bien que divergentes, elles se montrent toutes deux, par leur motif, conformes à l'esprit que les rapporteurs confèrent au premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal : les causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité pénale doivent prioritairement découler d'un état pathologique constaté .

A contrario , les conclusions de la troisième expertise, pourtant fondées en droit, ont paru s'éloigner plus résolument de cet esprit. Parvenue à la conclusion d'un discernement aboli, elle se distingue nettement de la seconde expertise en indiquant qu' il suffit qu'une bouffée délirante, même dépourvue de fondement pathologique, intervienne sans que l'auteur en ait consciemment formé le projet pour que l'abolition du discernement soit caractérisée.

Les rapporteurs admettent volontiers qu'une intoxication involontaire d'un individu par une substance puisse conduire à l'abolition de son discernement, sans qu'il soit nécessaire que l'auteur de l'acte soit atteint, au moment des faits, d'un trouble mental. Le critère nécessaire d'une pathologie mentale médicalement vérifiée pour qualifier l'abolition ne peut donc être inscrit seul dans la loi .

Il conviendrait alors de préciser ce que recoupe l'intoxication involontaire : suivant l'interprétation de la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 19 décembre 2019, elle ne se limiterait pas à l'intoxication « subie » par l'auteur (que l'on pourrait qualifier d'hétéro-imposée) et pourrait aussi désigner l'intoxication à laquelle il s'est sciemment exposé, mais dans l'ignorance manifeste de ses effets .

De nombreuses personnes auditionnées par les rapporteurs ont fait part de la nécessité de combler le vide laissé par la loi à cet égard : sans remettre en cause la notion de « trouble psychique ou neuropsychique », il convient d'expliciter le cas où ce dernier, lorsqu'il n'est pas le fait d'une pathologie mentale, peut néanmoins se traduire par l'irresponsabilité pénale de l'auteur. D'après les rapporteurs, ce cas doit être limité à celui d'une exposition du commettant aux effets d'un agent extérieur de toute nature qui lui étaient manifestement inconnus .

En l'état du droit cette question relève du magistrat chargé de l'affaire, la caractérisation du discernement relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond 52 ( * ) . La nécessité d'encadrer plus avant le pouvoir d'appréciation des magistrats se pose et doit être envisagée avec prudence. Il apparaît néanmoins que la clarification de cette question pour la conduite des expertises serait nécessaire.

Dans l'attente de la solution retenue par la Cour de cassation, les rapporteurs proposent donc d'envisager la réécriture du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal.

Une modification du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal

Version actuelle : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes . »

Version proposée : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique, issu d'un état pathologique ou des effets involontairement subis d'une substance psychoactive, et ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes . »

À ce stade, les rapporteurs n'estiment pas utile de porter la même modification au second alinéa de l'article 122-1 du code pénal , en ce que l'altération du discernement ne vise pas le même objet que l'abolition et maintient - au moins partiellement - l'imputabilité du fait pénalement répréhensible à son auteur. Or la circonstance d'un effet manifestement subi par l'auteur d'une substance psychoactive ne peut s'entendre, par définition, que comme ayant totalement anéanti le discernement du commettant.

La circonstance d'un trouble psychique ou neuropsychique, qui n'est pas nécessairement issu d'un état pathologique , doit donc demeurer la seule susceptible d'être retenue pour qualifier le discernement altéré.

Proposition n° 14 : envisager de modifier le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, en prévoyant que l'irresponsabilité pénale ne peut concerner que les personnes atteintes, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique, issu d'un état pathologique ou des effets involontairement subis d'une substance psychoactive.

B. DIAGNOSTIC ET PRONOSTIC : L'ATTRIBUTION DISCUTABLE À L'EXPERT PRÉSENTENCIEL D'UNE MISSION D'ESTIMATION DE LA DANGEROSITÉ

L'article 122-1 du code pénal dispose par ailleurs que la responsabilité pénale du commettant doit être établie à partir de son discernement au moment des faits . Par conséquent, et bien qu'il soit souvent nécessaire d'inscrire la reconstitution d'un trouble psychique momentané dans un spectre plus large, la loi commande à l'expert de concentrer son analyse sur l'état du commettant au moment de la commission de l'acte, en limitant les considérations antécédentes ou prospectives .

Lorsqu'il est mandaté par un juge d'instruction, l'expert psychiatre ou l'expert psychologue est tenu de répondre à un ensemble de questions , dont le nombre et la teneur sont à la discrétion des magistrats mais qui, dans la pratique, reproduisent un même modèle issu, pour le cas des psychiatres, d'une circulaire d'application de 1958 et, pour le cas des psychologues, d'une circulaire d'application de 1999 53 ( * ) .

Questions posées à l'expert psychiatre

Questions posées à l'expert psychologue

L'examen du sujet révèle-t-il chez lui des anomalies mentales ou psychiques ? Le cas échéant, les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent.

Analyser les dispositions de la personnalité du mis en examen dans les registres de l'intelligence, de l'affectivité et de la sociabilité et apprécier leurs dimensions pathologiques éventuelles

L'infraction qui est reprochée au sujet est-elle ou non en relation avec de telles anomalies ?

Faire ressortir les facteurs personnels, familiaux et sociaux ayant pu influer sur le développement de sa personnalité

Le sujet présente-t-il un état dangereux ?

Déterminer l'intelligence, l'habileté manuelle et l'attention

Le sujet est-il accessible à une sanction pénale ?

Préciser si des dispositions de la personnalité ou des anomalies mentales ont pu intervenir dans la commission de l'infraction

Le sujet est-il curable ou réadaptable ?

D'une façon générale, vous fournirez toutes données utiles à la compréhension du mobile des faits reprochés à la personne, et le cas échéant de son traitement

Le sujet était-il atteint au moment des faits d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant soit aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, soit altéré le contrôle de ses actes, au sens de l'article 122-1 du code pénal ?

Indiquer dans quelle mesure la personne est susceptible de se réadapter et préciser quel moyen il conviendrait de mettre en oeuvre pour favoriser sa réadaptation

Le sujet a-t-il agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle il n'a pas résisté au sens de l'article 122-2 du code pénal ?

Le sujet est-il susceptible de faire l'objet d'un traitement dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire au sens de l'article 222-48-1 du code pénal ?

Le nombre et la diversité des questions posées aux experts présentent, aux yeux des rapporteurs, le risque de détourner l'expertise présentencielle de sa finalité initiale : la détermination du discernement du commettant au moment de l'acte.

Ainsi que l'ont unanimement dénoncé les experts psychiatres et psychologues auditionnés, les questions « prospectives » posées par les juges sur le caractère dangereux, curable ou réadaptable du prévenu anticipent la phase post-processuelle et se placent dans une temporalité différente de celle de la commission de l'acte . Le professeur Jean-Pierre Olié a confirmé cette tendance, en indiquant aux rapporteurs que, de plus en plus, la commission des experts par les magistrats insiste sur le risque de récidive , davantage que sur la qualité du discernement au moment des faits.

Constatée dès 1958, la préoccupation quant à la dangerosité et au risque de récidive a connu un resurgissement notable lors de l'examen de la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté et la déclaration d'irresponsabilité pénale 54 ( * ) . Le traitement de ces deux objets par le même vecteur législatif a durablement installé dans le débat public une confusion dommageable entre « dangerosité psychiatrique » et « dangerosité criminologique » . Si les deux peuvent effectivement aboutir à la commission d'un acte délictueux ou criminel, la première se définit comme la composante d'un trouble mental susceptible d'avoir éclipsé le discernement de l'auteur, alors que la seconde puise ses causes dans un faisceau plus large d'indices, qui ne remet pas nécessairement en question la conscience de l'auteur au moment de la commission.

Les rapporteurs constatent que l'assimilation progressive de la dangerosité criminologique à la dangerosité psychiatrique a conduit le juge à substituer, dans le cadre de l'expertise présentencielle, la question du risque de récidive à celle du discernement au moment de l'acte 55 ( * ) .

Deux difficultés se déduisent de ce constat :

- d'une part, il dénature l'objet de l'expertise présentencielle , à laquelle l'article 122-1 du code pénal n'a pas attribué de mission prédictive en disposant explicitement que seul comptait le discernement « au moment des faits » ;

- d'autre part, il dénature la décision juridictionnelle qui, plus attentive à la « dangerosité » à venir de l'individu qu'à son discernement, ne se prononcera pas sur sa responsabilité à raison des faits considérés mais en fonction de leur reproduction potentielle .

Cette dérive peut facilement s'expliquer par le quasi-mutisme du code de procédure pénale concernant le contenu de l'expertise , qui a été à plusieurs reprises interprété par la chambre criminelle de la Cour de cassation comme laissant au juge d'instruction une latitude assez grande dans la commission de l'expert. Dans un arrêt de 2003, cette dernière a en effet indiqué, en réponse à plusieurs moyens soulevés sur les limites du rôle assigné aux experts, que « l'accomplissement d'une mission d'expertise psychiatrique relative à la recherche d'anomalies mentales susceptibles d'annihiler ou d'atténuer la responsabilité pénale du sujet n'interdit pas aux médecins experts d'examiner les faits, d'envisager la culpabilité de la personne mise en examen, et d'apprécier son accessibilité à une sanction pénale » 56 ( * ) .

Souvent citée pour justifier des missions élargies de l'expert, les rapporteurs seraient tentés d'interpréter cette décision dans le sens inverse : le silence de la loi quant au contenu de la mission de l'expert ne devrait pas conduire les juges à le solliciter pour autre chose que l'examen des faits, la culpabilité de la personne et l'appréciation de son accessibilité à une sanction pénale . Ils s'estiment par ailleurs confortés dans cette analyse par plusieurs dispositions du code de procédure pénale, qui réservent l'expertise de dangerosité aux cas des condamnés dont la peine a déjà été prononcée.

Cette attention accrue portée au risque de récidive témoigne pour les rapporteurs d'un glissement problématique des préoccupations de la société, moins soucieuse de l' accessibilité du prévenu à une sanction pénale que de l' utilité de la sanction . Ce mouvement doit être replacé dans le contexte de ces dernières décennies, qui a alternativement connu la disqualification de la peine d'emprisonnement au profit de mesures de réinsertion du délinquant, et, a contrario , la volonté politique de prolonger la peine par des mesures de rétention en cas de dangerosité avérée. Sans contester l'opportunité de cette inflexion, vos rapporteurs se doivent de rappeler qu'elle n'en a pas pour autant fait disparaître du code pénal l'absolue nécessité pour le juge de fonder prioritairement la peine sur l'acte commis , et d'envisager la réinsertion ou la rétention du délinquant dans un temps distinct 57 ( * ) .

Outre ces considérations, l'examen simultané par l'expert de la responsabilité pénale d'un individu dont le discernement n'est pas certain et de sa dangerosité mêle, aux yeux du syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP), deux démarches incompatibles au sein d'un même exercice : la démarche strictement clinique, chargée de se prononcer sur le trouble psychique à l'origine de la diminution du discernement, et la démarche plus subjective d'évaluation du risque de récidive.

Aussi, les rapporteurs proposent de limiter explicitement dans la loi la mission de l'expert présentenciel à la seule détermination du discernement au moment de l'acte et de réserver l'examen de la dangerosité et de l'éventuelle réinsertion du prévenu à la phase post-sentencielle.

Proposition n° 15 : préciser l'article 158 du code de procédure pénale en indiquant que, dans le cas où le juge d'instruction sollicite une expertise pour établir le discernement du commettant, cette expertise doit se concentrer sur les seules causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité pénale.

C. LE PARCOURS D'EXÉCUTION DE LA PEINE : LE RÔLE DE L'EXPERT POST-SENTENCIEL EN DÉBAT

À l'issue du jugement, l'intervention de l'expert psychiatre ou psychologue change de nature. D'auxiliaire de la justice pénale chargé d'assister le juge dans l'établissement de la responsabilité de l'individu, l' expert post-sentenciel se voit désormais investi d'un rôle ponctuel de suivi médical ou psychologique de la peine, dans le but de préparer la réinsertion.

Ce rôle, beaucoup plus étroitement balisé par la loi , peut connaître d' importantes variations qui, contrairement aux ambiguïtés de l'expertise présentencielle, sont bel et bien induites par le profil de la personne condamnée, les circonstances du jugement et - surtout - par la préparation de la sortie d'emprisonnement.

Lorsque le juge d'instruction a rendu une ordonnance d'irresponsabilité pénale, qui interrompt l'information judiciaire, il peut, en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale, l'assortir d' une décision d'admission en soins psychiatriques, selon le régime de l'hospitalisation sans consentement prise sur décision du représentant de l'État . L'expert peut alors intervenir selon les modalités spécifiques de cette prise en charge, décrites aux articles L. 3213-1 et suivants du code de la santé publique 58 ( * ) .

Dans le cas où la juridiction de jugement a conclu à la responsabilité pénale, même atténuée, du prévenu, l'intervention de l'expert reste régie par le code de procédure pénale et se définit davantage comme un accompagnement de l'exécution de la peine prononcée , notamment lorsque cette dernière comprend un suivi socio-judiciaire ou lorsque le détenu en sollicite un aménagement . Doit également être distingué le cas de l' obligation de soins consécutifs à la peine exécutée.

Les rapporteurs souhaitent d'emblée préciser que cette « pénalisation » de l'intervention de l'expert post-sentenciel dans le cas d'une peine privative de liberté est, à l'instar de l'expertise présentencielle, résolument orientée vers une appréciation du risque de récidive .

1. La prévalence des populations sous main de justice atteintes de troubles psychiatriques : une réalité critique

La présence de personnes atteintes de troubles psychiatriques en établissement pénitentiaire pose plusieurs difficultés , connues depuis longtemps, dont deux principales.

En premier lieu, elle illustre une dérive, observable en amont, de l'expertise psychiatrique présentencielle qui ne déduit pas toujours, comme elle le devrait, d'un constat irréfutable de maladie mentale l'abolition du discernement du commettant. En privilégiant l'option de l'altération, l'expertise maintient l'accessibilité du prévenu à une sanction pénale et permet son incarcération. Ces phénomènes de « fausse altération » sont interprétés par la communauté scientifique comme répondant à la préférence marquée de l'opinion publique pour l'enfermement carcéral des malades mentaux criminels par rapport à une option strictement thérapeutique .

Cette préférence, toute compréhensible si l'on considère le grand public, ne saurait pourtant influencer la pratique de l'homme de l'art : selon les professeurs Jean-Pierre Olié, auditionné par vos rapporteurs, et Henri Lôo, l'importante proportion de troubles psychotiques constatée en milieu carcéral (20 %) n'est pas une conséquence de l'enfermement, mais d'une « expertise psychiatrique [qui] ne remplit plus sa mission première d'orienter vers les structures sanitaires les personnes souffrant de troubles psychiatriques » 59 ( * ) .

Lors de son audition par les rapporteurs, l'union syndicale de la psychiatrie (USP) a identifié l'allocution du Président de la République à Antony le 2 décembre 2008, au cours duquel a été évoqué le meurtre commis à Grenoble sur une personne de 26 ans par un malade en fuite de l'établissement de soins psychiatriques où il était accueilli, comme un moment déterminant de cette inflexion sécuritaire .

Les rapporteurs souhaitent à cet égard souligner que ce discours a, au contraire, rappelé que « la place des malades [n'était] pas en prison » et que la solution résidait dans un renforcement de la surveillance des malades dangereux en établissement de soins . Le constat posé par la mission d'information du Sénat en 2010 se trouve malheureusement confirmé.

Le financement et l'organisation des soins psychiatriques font depuis quelques temps l'objet d'importantes préoccupations et de nombreux travaux, auxquels vos rapporteurs ne peuvent que renvoyer. Il leur paraît néanmoins important que, dans les actions qui seront engagées en la matière, une attention particulière soit apportée à la surveillance des profils les plus problématiques.

Proposition n° 16 : sensibiliser les magistrats à privilégier l'irresponsabilité pénale lorsque l'expertise présentencielle fait apparaître un trouble ou une maladie mentale avérée ; en conséquence, renforcer les mécanismes de surveillance au sein des établissements de soins psychiatriques pour ces patients.

La seconde difficulté identifiée par les rapporteurs a trait plus largement à l'incarcération des prévenus qui ont été estimés par l'autorité judiciaire accessibles à une sanction pénale. L'enjeu est celui de l' adaptation du soin psychiatrique qui leur est prodigué dans le milieu carcéral .

Un rapport des sénatrices Laurence Cohen, Colette Giudicelli et Brigitte Micouleau 60 ( * ) a décrit les différents niveaux de la prise en charge psychiatrique des personnes placées sous main de justice :

- le premier niveau, de loin le plus répandu, est constitué par les unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), mises en oeuvre par un établissement public de santé situé à proximité de l'établissement pénitentiaire 61 ( * ) et situées au sein de chaque établissement ;

- le deuxième niveau poursuit l'offre de traitements psychiatriques ambulatoires mais fournit la possibilité d'une hospitalisation partielle et permet donc une extraction temporaire du détenu dans un autre établissement pénitentiaire pourvu d'un service médico-psychologique régional (SMPR) . Ces hospitalisations partielles ne dépassent pas la dizaine de jours par an ;

- le troisième niveau requiert l'hospitalisation complète et suppose un transfert permanent du détenu dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) . Ces unités, qui se trouvent dans un hôpital , accueillent exclusivement des détenus, sous la surveillance de l'administration pénitentiaire chargée d'assurer la sécurité. Une fois passé le sas de sécurité, le détenu se retrouve dans un service hospitalier classique et ce sont les soignants qui détiennent les clefs des chambres, ce qui n'est pas le cas pour les détenus souffrant de troubles strictement somatiques accueillis en unité hospitalière interrégionale sécurisée (UHSI). Ainsi, de façon quelque peu paradoxale, le principe de confidentialité des soins, faiblement appliqué dans le milieu carcéral, est strictement respecté en UHSA puisque les « surveillants de l'administration pénitentiaire n'ont plus accès aux locaux internes de l'UHSA, qui sont des services hospitaliers placés sous l'autorité des médecins ».

Un constat doit être posé : les acteurs auditionnés par les rapporteurs ont été unanimes à dénoncer l'absence de distinction, parmi les populations détenues et éligibles à des soins psychiatriques, entre les individus atteint d'un trouble mental et incarcérés en raison d'une altération du discernement au moment de la commission de l'acte, et les individus incriminés en raison d'un trouble grave de la personnalité . Autrement dit, il doit être tenu compte, pendant l'incarcération, de l' origine pathologique du délit ou du crime commis .

Or, ainsi que le relève le docteur Michel David, l'administration pénitentiaire privilégie, dans la dispensation des soins psychiatriques, la dynamique de la vie carcérale - en réservant par priorité ces soins aux détenus qui perturbent la vie pénitentiaire - sur la typologie médicale 62 ( * ) .

Par conséquent, les services psychiatriques pénitentiaires comprennent indifféremment , d'une part, des détenus atteints de pathologies mentales souffrant de troubles névrotiques, de troubles de l'humeur ou de troubles liés à l'utilisation de substances psychoactives et, d'autre part, des détenus souffrant de troubles de la personnalité et de troubles émotionnels et comportementaux 63 ( * ) .

Aussi, l'idée initiale de l'UHSA était-elle de se conformer à l' article D. 398 du code de procédure pénale , aux termes duquel « les détenus atteints [de] troubles mentaux [rendant impossible son consentement et constituant un danger pour elle-même ou pour autrui] ne peuvent être maintenus dans un établissement pénitentiaire », et de réserver l'hospitalisation psychiatrique hors établissement pénitentiaire à ces cas.

Il semble néanmoins que la pratique se soit éloignée de cette prescription . Un rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale de la justice (IGJ) de 2018 constate que les profils diagnostics varient fortement d'une UHSA à une autre et que, si « les psychoses dominent de loin le tableau clinique des séjours » (34 % à 38 %), les troubles de la personnalité y sont également fortement représentés (18 % à 20 %). Aux termes du rapport, les écarts de répartition dans les diagnostics de séjour soulèvent la question de l'égalité des soins selon le type de troubles : « la moindre proportion de psychoses dans certaines UHSA peut signifier leur moindre repérage et/ou leur orientation vers des structures de droit commun avec, aux dires d'experts, une possible perte de chance en termes de qualité de prise en charge » 64 ( * ) .

Ainsi que l'a rappelé le docteur Cyril Manzanera aux rapporteurs, l'autorité judiciaire doit conserver à l'esprit que l'incarcération d'une personne atteinte de trouble mental, contrairement à la personne atteinte de trouble grave de la personnalité, l'expose à des phases de décompensation plus ou moins violentes qui peuvent mettre sa santé en danger.

Le deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal, largement réécrit par la loi du 15 août 2014 65 ( * ) , prévoit que la réduction de peine prévue en cas d'altération du discernement puisse s'accompagner, après avis médical et si la juridiction considère que la nature du trouble le justifie , de soins adaptés.

Cette disposition particulière, laissée à la discrétion de la juridiction, semble dans les faits très peu appliquée : le syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP) a en effet indiqué aux rapporteurs que « les personnes condamnées au titre de l'article 122-1 alinéa 2 et présentant des pathologies psychiatriques avérées connaissent peu d'aménagement de peine du fait d'une difficulté d'accès à la libération conditionnelle, en général soumise par le juge d'application des peines à l'engagement du secteur de soins psychiatriques dans une prise en charge adaptée ».

Les rapporteurs se montrent donc favorables à ce que l'article D. 398 du code de procédure pénale connaisse une application stricte, et que la file active des UHSA soit prioritairement constituée de détenus atteints de troubles mentaux. Outre une modification à l'article R. 3214-1 du code de la santé publique afin de rendre cette exigence plus explicite 66 ( * ) , il convient que le ministère de la santé et le ministère de la justice prennent les mesures de précision requises à cet égard .

Proposition n° 17 : expliciter par une circulaire interministérielle le rôle des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) dans la prise en charge prioritaire des détenus atteints de troubles psychiatriques.

2. L'évaluation du risque de récidive : le rôle de l'expert post-sentenciel concurrent de celui des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation

L'intervention de l'expert post-sentenciel au cours du parcours d'exécution de la peine présente cette différence avec l'expertise présentencielle d'avoir pour finalité explicite la mesure du risque de récidive à travers une évaluation de la dangerosité de l'individu . Cette évaluation est requise dans les cas d'infractions particulièrement graves ayant entraîné :

- une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité ;

- une condamnation à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à 15 ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, à savoir les crimes sexuels ;

- une condamnation à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à 10 ans pour les crimes d'assassinat, de meurtre aggravé, de torture, acte de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration.

Deux cas de figure sont alors possibles : soit l'expert intervient à la fin de l'exécution de la peine pour les individus présentant « une probabilité très élevée de récidive » et se prononce sur l'opportunité d'une rétention de sûreté 67 ( * ) ou d'une surveillance judiciaire 68 ( * ) (notamment par la pose d'un dispositif électronique) , soit l'expert intervient après le dépôt par le détenu d'une demande de libération conditionnelle 69 ( * ) .

Ces trois possibilités engagent une procédure semblable, décrite avec quelques variations à plusieurs endroits du code de procédure pénale et qui fait intervenir plusieurs acteurs selon un schéma singulièrement complexe .

Dans le cas de l'opportunité d'une rétention de sûreté, le juge d'application des peines (JAP) ou le procureur de la République saisit la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS) aux fins d'assurer l'examen de la dangerosité de l'individu. Cet examen requiert le placement de la personne pour au moins 6 semaines dans l'un des trois sites d'évaluation du centre national d'évaluation (CNE) 70 ( * ) . Dans les cas d'une surveillance judiciaire et d'une libération conditionnelle, la saisine de la CPMS par le JAP est facultative, le placement en CNE restant seul obligatoire.

Il est explicitement prévu, pour chacun des trois cas envisagés (rétention de sûreté, surveillance judiciaire, libération conditionnelle), que cet examen de dangerosité soit « assorti d'une expertise médicale ». La partie réglementaire du code de procédure pénale confirme le caractère complémentaire de cette expertise , selon une formule particulièrement ambiguë : en effet, si l'article R. 61-8, qui traite de la composition de la CPMS, prévoit bien qu'elle comprenne un « expert psychiatre » ainsi qu'un « expert psychologue titulaire d'un diplôme d'études supérieures spécialisées ou d'un mastère de psychologie », l'article R. 61-11 prévoit que l'examen de dangerosité doit être réalisé « par un psychiatre et un psychologue titulaire d'un diplôme d'études supérieures spécialisées ou d'un mastère de psychologie » autres que ceux membres de la CPMS .

Les rapporteurs relèvent d'abord que, beaucoup plus qu'au stade présentenciel, le législateur insiste sur le caractère médical de l'expertise post-sentencielle qui, de fait, mobilise davantage d'experts psychiatres que d'experts psychologues . Le syndicat national des psychologues (SNP) a en effet indiqué aux rapporteurs que les expertises psychologiques étaient nettement plus nombreuses en présentenciel qu'en post-sentenciel.

Les rapporteurs déduisent également de ces dispositions que l'évaluation globale de dangerosité du détenu, dont la loi prévoit qu'elle fonde la décision du JAP, se compose dans les faits de deux éléments distincts , qu'une note du ministère de la justice de 2015 71 ( * ) a sommairement décrits sans en désigner explicitement les auteurs : la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation de la personnalité , qui serait réalisée par la CPMS ou par les équipes du CNE dans les cas où la CPMS n'est pas saisie, et la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation de la dangerosité , qui serait réalisé par les experts dédiés.

Selon la procédure retenue, l'ambiguïté entre l'évaluation de dangerosité et l'expertise psychiatrique post-sentencielle se retrouve à plusieurs endroits du code de procédure pénale à propos de la qualité des auteurs de l'expertise et de sa finalité.

Finalité de l'expertise post-sentencielle selon les cas

Procédure

Infraction

Nature de l'expertise
et qualité des experts

Finalité explicitée par la loi

Rétention
de sûreté

Crimes d'assassinat, de torture ou de viol

(art. 706-53-14 CPP)

Expertise médicale réalisée par deux experts (ceux mentionnés à l'article R. 61-11 CPP)

Dangerosité

Surveillance judiciaire

Crime ou délit ayant entraîné une détention d'au moins 7 ans

(art. 723-31-1 CPP)

Expertise médicale réalisée par deux experts (ceux mentionnés à l'article R. 61-11 CPP)

Dangerosité

Libération conditionnelle

Crimes d'assassinat, de torture ou de viol

(art. 730-2 CPP)

Expertise médicale réalisée par deux experts psychiatres ou par un expert psychiatre et un expert psychologue titulaire d'un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation universitaire fondamentale et appliquée en psychopathologie

Opportunité du recours à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido

À l'examen de ces dispositions, il paraît que, selon le cadre dans lequel s'inscrit l'expertise post-sentencielle, cette dernière n'obéit pas aux mêmes finalités, et que le partage entre l'expert d'une part et la CPMS ou le CNE d'autre part est variable. Les rapporteurs en appellent à une clarification d'urgence de ces dispositions afin que les missions de chacun soient davantage explicitées.

De plus, ils regrettent qu'aucune évaluation de l'utilité de l'évaluation de la dangerosité des détenus n'ait été conduite et souhaite qu'elle puisse être menée afin de mesurer l'impact de ces obligations sur la prévention de la récidive et par là leur opportunité.

Proposition n° 18 : réexaminer la nécessité des expertises obligatoires en matière de dangerosité par la conduite d'un bilan de ces expertises ; dès à présent, clarifier, au sein du code de procédure pénale, la répartition des missions entre l'équipe chargée de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité et l'expert post-sentenciel.

Une autre conséquence se déduit de la double intervention de ces acteurs dans l'aménagement du parcours de peine : l' étanchéité de leur mission et la possible discordance de leurs conclusions . En effet, il a été rappelé aux rapporteurs que « les psychiatres et psychologues désignés par le JAP font leurs expertises d'un côté, puis que les psychologues et autres personnels du CNE font leur évaluation pluridisciplinaire de dangerosité [du leur] » 72 ( * ) . Les psychologues et autres personnels du CNE désignent plus précisément les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation , rattachés au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) du CNE et de l'établissement pénitentiaire du détenu, ainsi que les psychologues cliniciens liés par contrat à la direction interrégionale des services pénitentiaires.

Lors de son audition, Mylène Armand, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation, a relevé plusieurs incohérences de ce double examen.

En premier lieu, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la multiplication des demandes et la pénurie déjà décrite d'experts psychiatres et psychologues compromet gravement la qualité des expertises post-sentencielles .

En deuxième lieu, l'absence totale d'articulation entre les deux travaux pouvant parfois conduire à des résultats contradictoires incapables de convenablement éclairer le JAP, cela plaiderait pour un abandon de l'expertise post-sentencielle au seul profit de l'évaluation conduite par les personnels du CNE . Grâce à l'interdisciplinarité de leur équipe, qui allie la formation spécifique des SPIP et l'approche clinique des psychologues, le CNE apparaît en effet comme le principal intervenant en matière d'appréhension du risque de récidive 73 ( * ) .

La formation des équipes des CNE

Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation sont aujourd'hui formés en approche cognitivo-comportementale à un modèle d'évaluation du risque de la récidive dit RBR (risques, besoins, réceptivité). Les analyses réalisées sur la base de ce modèle retiennent huit grands facteurs de récidive (les « big eight ») dont les plus importants sont la fréquentation des pairs délinquants, les distorsions cognitives ou « idées fausses » et l'impulsivité ou la détection d'une personnalité antisociale .

Cette formation est dispensée à l'école nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) d'Agen et comprend un volet initial de 2 ans, complété par une formation continue tout au long de la carrière. Cette offre pédagogique est issue de nombreux échanges avec l'école de criminologie de Montréal, nourris depuis 2014, et influence plusieurs maquettes universitaires, dont celle de l'université de Lille (proposition prochaine d'un diplôme universitaire de criminologie avec RBR).

Pour reprendre une typologie exposée par Mylène Armand, la formation progressive des futurs conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation au modèle RBR a introduit un profond changement de paradigme, qui voit aujourd'hui la coexistence de trois types de pratiques : les conseillers de l'ancienne génération , dont le métier est très imprégné d'une vocation de travail social et qui oeuvrent surtout à limiter les facteurs externes de récidive (qualité du logement), les conseilleurs de la génération intermédiaire , davantage formés à la détention en milieu ouvert et dont les tâches sont orientées vers le contrôle (des interdictions et des obligations), enfin les conseillers de la nouvelle génération , sensibilisés à la prévention de la récidive.

L'approche strictement clinique du détenu est, pour sa part, réalisée par des psychologues cliniciens contractuels , dont « les niveaux de formation à la criminologie et à la délinquance et à son traitement sont de nature très variable » 74 ( * ) .

La nouvelle approche cognitivo-comportementale, déterminante dans l'appréhension de la dangerosité criminologique du détenu (et non de sa dangerosité psychiatrique), ne fait que très marginalement partie de la pratique de l'expert psychiatre post-sentenciel qui, réalisant son expertise en totale autonomie de celle de l'équipe du CNE, n'est absolument pas incité à s'y former 75 ( * ) . Ce constat est partagé par le docteur Valérie Moulin, maîtresse de conférences au centre hospitalier université vaudois (CHUV), selon laquelle les experts psychiatres privilégient des « outils de jugement professionnel structurés » (OJPS), qui n'intègrent aucune dimension criminologique.

Les rapporteurs seraient ainsi tentés d'avancer, à l'instar de l'expertise présentencielle, que l'attribution d'une mission prédictive de récidive à un professionnel de santé chargé de la détection des pathologies psychiatriques, se justifie difficilement .

Il est néanmoins encore trop tôt pour substituer au modèle actuel d'une expertise post-sentencielle couplée à une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité celui d'une évaluation unique conduite par les SPIP et les psychologues cliniciens du CNE. Pour autant, à mesure que se diffuse la formation des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation au risque de récidive, il est parfaitement envisageable que, d'ici une ou deux dizaines d'années, l'utilité de l'expertise post-sentencielle se soit en grande partie réduite .

Pour préparer au mieux cet horizon, deux ajustements paraissent incontournables :

- intensifier la formation criminologique des psychologues cliniciens contractuels auprès du CNE ;

- assurer, au sein du CNE, la présence de quelques psychiatres , qui assureraient les missions devant être irréductiblement confiées à un médecin, à savoir un avis sur les patients détenus à la suite d'une altération du discernement consécutive à un trouble pathologique et l'opportunité d'un traitement inhibiteur de libido. Ces psychiatres membres de l'équipe du CNE bénéficieraient de facilité de transmission du dossier médical du détenu.

Proposition n° 19 : préparer la réforme de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité du détenu, qui se substituerait à terme à l'expertise post-sentencielle, en intensifiant la formation criminologique des psychologues cliniciens contractuels auprès du centre national d'évaluation et en y assurant la présence de psychiatres.

3. Le contrôle post-carcéral et l'opportunité de l'injonction de soins : quand l'expert redevient soignant

L'intervention de l'expert post-sentenciel ne se situe pas seulement au cours de l'exécution de la peine, mais également à son issue, lorsqu'il apparaît que la libération de l'individu, pour assurer sa réinsertion, doit s'assortir de mesures de contrôle post-carcéral . En ce que ces mesures de contrôle sont ordonnées par le juge d'application des peines (JAP), l'expert demeure auxiliaire de la justice pénale, mais réinvestit pleinement son rôle premier de dispensateur du soin .

Parmi les diverses mesures de soins pénalement ordonnées, seule l'injonction de soins, dans le cadre du suivi socio-judiciaire (SSJ) consécutif à l'exécution de la peine carcérale, maintient le rôle de l'expert post-sentenciel 76 ( * ) . Le SSJ résulte en grande partie de la réponse pénale apportée à la criminologie pédophilique par la loi dite Guigou 77 ( * ) du 17 juin 1998, qui a créé l'article 131-36-1 du code pénal aux termes duquel le SSJ « emporte, pour le condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive ». Le SSJ a été qualifié par la chambre criminelle de la Cour de cassation de « peine complémentaire », dont l'inobservation expose l'ancien détenu à une peine d'emprisonnement.

La mesure de SSJ ne peut être prononcée que dans les cas prévus par la loi. Elle est encourue, d'une part en cas de meurtre ou d'assassinat précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie , d'autre part en cas d'agressions sexuelles (y compris l'exhibition sexuelle), de corruption de mineur, de diffusion de messages violents ou pornographiques ainsi que d'atteintes sexuelles sur mineur . Elle peut être mise en oeuvre en cas de surveillance judiciaire ou dès le stade de la libération conditionnelle.

L'article 131-36-4 du code pénal prévoit que le SSJ comprend, sauf décision contraire de la juridiction de jugement, une injonction de soins , s'il est établi par expertise médicale que la personne est susceptible de faire l'objet d'un tel traitement . Cette injonction de soins peut être également prononcée par le JAP postérieurement à la décision ayant ordonné le SSJ : dans ce cas spécifique, décrit à l'article 763-3 du CPP, l'expertise médicale préalable reste obligatoire et doit être réalisée par deux experts si la condamnation résulte d'un meurtre ou assassinat d'un mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie.

Aux termes de l'article 706-47-1 du code de procédure pénale, cette injonction de soins peut prendre la forme d'un traitement inhibiteur de libido , sur le modèle de ce que prévoit, sous une forme légèrement différente et pour un spectre plus large d'infractions, l'article 730-2 du même code pour les demandes de libération conditionnelle 78 ( * ) .

L'injonction de soins est étroitement décrite aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, qui font intervenir une figure centrale du suivi thérapeutique de l'ancien détenu : le médecin coordonnateur .

Le régime de l'injonction de soins

• L'article 706-47-1 du code de procédure pénale dispose que, dès le stade de l'expertise présentencielle , l'expert médical - en l'occurrence psychiatre - soit interrogé sur l'opportunité d'une injonction de soins dans le cas où la personne est poursuivie (mais pas encore condamnée) pour un des crimes figurant à l'article 706-47 (crime de meurtre, d'assassinat, de torture ou d'acte de barbarie, crime sur mineur et crimes sexuels).

• Lorsque l'injonction de soins a été décidée par la juridiction de jugement, le juge d'application des peines (JAP) désigne, sur une liste de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation appropriée établie par le procureur de la République, un médecin coordonnateur qui est chargé d'inviter le condamné à choisir un médecin traitant, qui mettra en oeuvre l'injonction de soins et de transmettre au JAP ou à l'agent de probation les éléments nécessaires au contrôle de l'injonction de soins.

En leur qualité de membres de l'équipe de soins , et contrairement aux experts post-sentenciels au sens strict, le médecin coordonnateur et le médecin traitant ont pleinement accès aux rapports des expertises médicales réalisées pendant l'instruction judiciaire et au cours de l'exécution de la peine 79 ( * ) .

Si la personnalité du condamné le justifie, le médecin coordonnateur peut inviter celui-ci à choisir, soit en plus du médecin traitant, soit à la place de ce dernier, un psychologue traitant ayant exercé pendant au moins cinq ans.

• L'injonction de soins peut donc faire intervenir jusqu'à quatre professionnels de santé distincts :

- l'expert présentenciel, chargé de se prononcer sur son opportunité en amont du jugement ;

- éventuellement, l'expert post-sentenciel, consulté lorsque le détenu achève l'exécution de sa peine carcérale ou demande une libération conditionnelle ;

- le médecin coordinateur de son parcours post-carcéral ;

- le médecin traitant chargé de la mise en oeuvre du traitement.

Ce nombre est difficilement compressible en raison d'un régime d'incompatibilités défini par voie réglementaire. L'article R. 3711-8 du CSP dispose en effet que le médecin coordonnateur ne peut être le médecin traitant, et ne peut avoir été désigné pour procéder, au cours de la procédure judiciaire, à son expertise. En revanche, rien n'interdit à l'expert post-sentenciel, dont l'intervention est ultérieure à la procédure judiciaire, d'assumer les fonctions de médecin coordonnateur.

Enfin, un arrêté du 8 décembre 2011 80 ( * ) a porté à 60 le nombre de personnes soumises à une injonction de soins qu'un médecin coordonnateur peut suivre simultanément.

En cas d'absence d'injonction de soins, l'article 706-136-1 du code de procédure pénale prévoit le cas spécifique d'une obligation de soins , que le JAP peut ordonner à la libération de toute personne condamnée pour une infraction commise dans un état de discernement altéré et qui n'a pas été condamné à un SSJ. Cette obligation de soins doit être ordonnée après avis médical .

Ainsi, dans le cas particulier des infractions pour lesquelles un suivi socio-judiciaire et une injonction de soins sont encourus, l'avis de l'expert post-sentenciel, explicitement désigné comme médecin et donc psychiatre, sur l'opportunité de ces mesures doit être obligatoirement recueilli . Cette disposition suscite la circonspection de la plupart des professionnels auditionnés par les rapporteurs.

En effet, un rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGSJ de 2011 indiquait qu'il était « admis par la majorité des experts que la plupart des auteurs d'infraction à caractère sexuel ne sont pas des malades mentaux mais possèdent des troubles variés de la personnalité, un grand polymorphisme de déviance sexuelle (notamment pédophilie, sadisme, exhibitionnisme, fétichisme...) et une fréquente association à des conduites addictives » 81 ( * ) . Cette position est largement partagée par le docteur Roland Coutanceau, ainsi que par les représentants de l'union syndicale de la psychiatrie (USP), pour lesquels l'injonction de soins ne serait pas nécessaire dans la plupart des cas, car elle n'a d'efficacité que dans le traitement des troubles mentaux, et non des troubles de la personnalité .

Aussi, certains spécialistes posent franchement la question de l'opportunité de cet avis de l'expert post-sentenciel, en évoquant les dangers d'une « sur-psychiatrisation » 82 ( * ) de l'opportunité de l'injonction de soins.

Les rapporteurs reconnaissent l'intérêt que peuvent avoir des soins pénalement ordonnés au détenu à l'issue de son parcours carcéral et, à ce titre, l'intervention préalable d'un professionnel de santé pour éclairer la décision du juge de l'application des peines. Ils ne sont toutefois pas favorables à ce que cet avis soit automatiquement celui d'un expert psychiatre , dont la pratique clinique emporte mécaniquement un certain nombre de biais et que sa mission d'expert maintient dans un rôle d'auxiliaire de la justice pénale, alors que son examen est essentiellement d'opportunité thérapeutique 83 ( * ) .

Il paraîtrait plus avisé de repositionner à cet égard le rôle du médecin coordonnateur , dont le droit n'oblige justement pas qu'il soit un expert en psychiatrie. Vos rapporteurs trouveraient opportun que son intervention spécifique , actuellement postérieure à la décision de l'injonction de soins, se substitue à celle de l'expert post-sentenciel : le médecin coordonnateur se verrait ainsi attribuer un rôle strictement thérapeutique (et non d'auxiliaire de la justice pénale) d'examen de l'opportunité du traitement, qu'il reviendrait par la suite au médecin traitant de mettre en oeuvre. Afin de rendre cette transition plus opérationnelle, vos rapporteurs préconisent également de faire sauter le verrou de l'article R. 3711-8 du code de santé publique , qui empêche l'expert présentenciel d'exercer les fonctions de médecin coordonnateur, considérant que cette incompatibilité complique leur désignation dans un contexte de pénurie 84 ( * ) .

Proposition n° 20 : repositionner l'intervention du médecin coordonnateur en lui attribuant, à la place de l'expert psychiatre post-sentenciel, la mission d'évaluer l'opportunité thérapeutique d'une injonction de soins et des traitements afférents ; permettre, en réécrivant l'article R. 3711-8 du code de la santé publique, que l'expert présentenciel assume les fonctions de médecin coordonnateur.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunies le mercredi 10 mars 2021, sous la présidence de Mmes Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, et Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois, les commissions ont examiné le rapport d'information de MM. Jean Sol et Jean-Yves Roux, rapporteurs, sur l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous examinons ce matin, conjointement avec la commission des lois, le rapport d'information de nos collègues Jean Sol et Jean-Yves Roux sur l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale. Je salue nos collègues de la commission des lois et ceux qui participent à notre réunion à distance.

Décidé par le bureau de nos deux commissions l'an dernier, ce travail commun a subi les vicissitudes de la crise sanitaire et a dû être reporté. Notre collègue Nathalie Delattre qui en était à l'origine et avait été désignée rapporteure n'appartient plus à la commission des lois et c'est donc un binôme différent qui nous présente ses travaux ce matin.

Comme nous avons pu le constater avec la crise, le recours à l'expertise est d'un maniement difficile. Les experts ne sont pas forcément unanimes, ce qui peut créer de la confusion et ils ne dispensent en rien de décider et de porter une responsabilité pour les décisions prises. C'est tout l'enjeu de bien préciser leur positionnement et les conditions de leur intervention.

C'est ce que nous allons examiner ce matin en matière psychiatrique et psychologique.

Mme Catherine Di Folco , présidente . - Je tiens à excuser l'absence de François-Noël Buffet, retenu par une réunion avec le président Larcher, et à remercier nos deux rapporteurs, Jean-Yves Roux et Jean Sol pour leur important travail.

M. Jean-Yves Roux , rapporteur . - Fruit d'une réflexion de longue haleine, nos travaux ont été rejoints par une actualité tragique, dont les conséquences judiciaires ne sont pas achevées : je veux bien entendu parler du meurtre de Sarah Halimi, dont l'examen par la Cour de cassation a débuté mercredi 3 mars dernier. Tout en l'intégrant à notre réflexion, nous avons cependant tenté de prendre le recul nécessaire à l'appréciation sereine du problème auquel nous faisons face.

Ce problème est celui de la relation entre le magistrat et l'expert chargé de l'éclairer par son savoir scientifique dans un domaine particulièrement sensible, celui de l'état mental d'une personne accusée d'un crime ou d'un délit. Paradoxalement, alors même que la scientificité de l'expertise psychiatrique connaît encore des détracteurs, on lui demande de plus en plus de se prononcer sur des questions graves, susceptibles de déterminer le sort de l'accusé et la perception de la justice rendue par les victimes et leurs familles. On a tendance aussi à la confondre avec ce qu'elle n'est pas, notamment l'expertise criminologique quand il s'agit de déterminer le risque de récidive ou la dangerosité.

Avant de laisser la parole à Jean Sol, je me concentrerai sur le nombre de sollicitations d'expertises et sur la question fondamentale du discernement.

Je souhaite tout d'abord rappeler le principe énoncé à l'article 427 du code de procédure pénale : c'est le juge qui décide, nul ne peut se substituer à lui et il ne peut se défausser sur personne de cette obligation qui lui est faite de rendre justice.

Si le juge peut recourir à des experts pour l'aider dans sa tâche, dans quelque domaine que ce soit, il n'est pas tenu par leurs avis - la jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur ce point. Le juge peut aussi choisir librement un expert, au-delà des listes établies par les cours d'appel ou la Cour de cassation.

Le lien de confiance entre le juge et l'expert est donc essentiel, ce qui explique pourquoi les magistrats préfèrent travailler avec certains experts, dont ils partagent les analyses en matière de responsabilité pénale. La psychiatrie est en effet partagée en écoles scientifiques et théoriques, qui peuvent peser sur l'appréciation du discernement ou du risque de récidive.

Comme l'a souligné la Chancellerie lors de son audition, les fondements permettant de recourir à une expertise psychiatrique en matière pénale sont multiples - compatibilité de l'état de santé d'une personne avec une mesure de garde à vue, détermination de la responsabilité pénale au sens de l'article 122-1 du code pénal, recueil d'éléments de personnalité et, en « post-sentenciel », évaluation de la dangerosité d'une personne condamnée et des risques de récidive, etc.

De surcroît, en dehors des hypothèses dans lesquelles l'expertise est obligatoire, la juridiction de l'application des peines peut toujours diligenter une expertise si elle l'estime utile.

La Chancellerie a insisté sur le nombre finalement réduit d'expertises obligatoires dans la masse des expertises conduites, et sur une forme de sur-sollicitation des experts par les magistrats et les parties. Clairement, une mise à plat doit intervenir et conduire à la définition de bonnes pratiques dans une circulaire du garde des sceaux, pour éviter tout recours excessif. Un équilibre doit être trouvé entre la multiplication des avis et la nécessité de juger.

Depuis 2008, le nombre de cas où le juge se voit imposer l'obligation de recourir à une expertise a augmenté. Or aucun bilan n'a été fait de ces mesures, qui touchent pourtant aux limites de ce que peut la psychiatrie : prédire le comportement à venir. De nombreux experts auditionnés nous ont indiqué que ce travail serait sans doute mieux fait par d'autres professionnels que les psychiatres. Nous souhaitons donc qu'un bilan de ces expertises obligatoires en matière de dangerosité puisse être conduit par les inspections des ministères.

A minima , les expertises obligatoires posent d'importantes difficultés si elles ne sont pas conduites dans des délais raisonnables, et lorsque la réalité des faits ne correspond pas aux conclusions de l'expertise. C'est ce bilan précis qui nous manque.

J'en viens à la raison historique du recours à l'expertise psychiatrique en matière pénale, la détermination du discernement. Je rappelle que l'article 122-1 du code pénal prévoit deux cas dans lesquels le discernement entraîne une absence totale ou partielle de sanction pénale : l'abolition du discernement, qui interdit la condamnation, et son altération, qui entraîne une réduction de peine.

Nos deux commissions se sont penchées il y a plus de dix ans sur cette question et le rapport de nos collègues de l'époque reste malheureusement d'actualité. Trop de personnes atteintes de troubles mentaux sont en prison. À l'inverse, l'assassinat de Mme Halimi a montré que, malgré les réformes de procédure mises en place en 2008 pour que le prononcé de l'irresponsabilité ne puisse être assimilé à une exonération, un important travail reste à conduire pour que les parties civiles ne s'estiment pas trahies quand une décision d'abolition du discernement est rendue.

La décision d'irresponsabilité rendue en première instance et en appel dans l'affaire Halimi est pendante devant la Cour de cassation. Elle pose une question de droit, que notre collègue Nathalie Goulet avait soulevée en février 2020 lors d'un débat en séance publique. Dans quels cas l'utilisation de psychotropes est-elle une circonstance aggravante ? Dans quels cas au contraire est-elle une cause d'abolition du discernement ? La question de droit est celle de la lettre de l'article 122-1, qui reconnaît le « trouble psychique ou neuropsychique » comme seule cause de l'abolition du discernement. Or l'intoxication peut provoquer des bouffées délirantes en dehors de toute pathologie. Si l'intoxication est volontaire, on peut considérer qu'il y a été procédé en connaissance de cause.

Toutefois, si les conséquences psychiatriques de l'intoxication ont été subies involontairement, l'abolition nous paraît possible. Nous souhaitons donc contribuer au débat actuel en formulant une proposition de rédaction en ce sens. Concrètement, l'intoxication peut avoir été recherchée pour commettre une infraction, mais il peut aussi exister des cas dans lesquels cette intoxication a eu des conséquences psychiques que l'auteur de l'acte ne pouvait anticiper. Il nous paraît important que le juge puisse prendre en compte cette réalité.

Il s'agit à l'évidence d'un sujet complexe, sur lequel les débats doivent se poursuivre. La frontière entre altération et abolition reste et restera particulièrement difficile à déterminer. C'est pourquoi l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale demeure essentielle. Il nous paraît donc indispensable de la recentrer sur ce point et d'oeuvrer pour que les relations entre magistrats et experts soient les plus efficaces possible, au service de la justice.

M. Jean Sol , rapporteur . - Permettez-moi avant toute chose d'adresser des remerciements particuliers à Mme Nathalie Delattre, à qui revient l'initiative du travail que nous vous présentons. Étalé sur plus d'une année et temporairement suspendu en raison du contexte pandémique, le groupe de travail commun à nos deux commissions a tenté de mettre à profit ce délai rallongé pour approfondir sa réflexion et rencontrer de nombreux acteurs qui se sont penchés sur cette question ancienne, délicate et à notre sens non tranchée de la responsabilité pénale du criminel lorsque le crime est commis en l'absence de discernement.

Notre rapport s'inscrit dans le contexte douloureux du meurtre de Mme Sarah Halimi, survenu dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, de la main d'un individu ayant agi sous l'emprise de psychotropes. L'information judiciaire qui a suivi ce drame s'est offerte au grand public, légitimement ému de cette affaire, comme la chronique désarmante d'une justice tributaire d'expertises aux avis inexplicablement divergents.

Pour vous en livrer brièvement le résumé, l'auteur des faits a successivement été soumis à trois expertises ayant chacune livré des conclusions différentes. Alors que la première, conduite par un expert seul, évoquait une altération du discernement et, par conséquent, un maintien de la responsabilité pénale du commettant, les deux suivantes, collégiales, ont pour leur part identifié une abolition du discernement, conduisant à son irresponsabilité pénale.

Les motifs de la troisième expertise ont suscité les plus grandes interrogations : l'abolition du discernement y était retenue, non sur le fondement d'une pathologie mentale préexistante dont la substance psychoactive aurait aggravé les effets, mais sur le fondement déconcertant d'une ignorance initiale du commettant quant à ces mêmes effets.

Au cours de l'examen du pourvoi de la famille de la victime par la Cour de cassation mercredi dernier, le parquet général a explicitement déploré un état du droit insatisfaisant, qui ne permet pas de trancher le débat sur l'impact de la « faute antérieure », autrement dit le geste accompli en conscience qui prépare l'éclipse du discernement. C'est là, à notre sens, que la loi présente une lacune et que l'intervention du législateur, désormais éclairée par de nombreux débats, est attendue.

En plus du problème de fond soulevé par cette affaire, rappelé par Jean-Yves Roux, les suites judiciaires du meurtre de Mme Halimi sont une illustration éloquente des heurts auxquels expose le recours itératif aux expertises et contre-expertises.

Reconnaissons, mes chers collègues, que le code de procédure pénale, légitimement soucieux d'augmenter la place du contradictoire dans l'expertise pénale présentencielle, a conduit à une multiplication parfois dommageable des interventions d'experts.

Non seulement cette multiplication est susceptible d'allonger la procédure, mais elle fait en plus intervenir l'expert à des moments différents de l'instruction ou du jugement, alors que les professionnels font unanimement dépendre la fiabilité de leur travail de sa précocité après les faits.

Les vingt propositions figurant dans notre rapport esquissent un début de régulation de la demande d'expertises par le magistrat. Nous suggérons ainsi de limiter la possibilité ouverte aux parties de demander une contre-expertise à deux stades différents de l'instruction, parfois très éloignés dans le temps.

De façon plus générale, nous pointons le danger qui guette une justice dont la demande d'expertises connaît un dynamisme important, dans un contexte de diminution constante du nombre d'experts disponibles.

Cet effet de ciseaux, relevé par l'ensemble des professionnels auditionnés comme préjudiciable à l'indispensable qualité de l'expertise en matière pénale, est le produit de trois causes : l'absence totale de contrainte limitative énoncée par la loi à l'égard des juges demandeurs ; la technicisation accrue des actions judiciaires et leur exposition médiatique ; enfin, l'objectif de réinsertion sociale des anciens détenus, qui contraint les juges d'application des peines à solliciter des avis et des compétences extérieurs afin d'anticiper au mieux le parcours post-carcéral.

De la loi Guigou de 1998 relative au suivi sociojudiciaire à la loi Dati de 2008 relative à la rétention de sûreté, les demandes d'expertise ont en effet connu une véritable prolifération, reflet du souci croissant et légitime de prévenir et d'évaluer le risque de récidive d'un prévenu ou d'un détenu arrivé au bout de son parcours pénitentiaire. Cette mission mobilise de plus en plus intensément les experts psychiatres, qui sont unanimes à questionner l'utilité de ces sollicitations, non régulées et jugées dans leur majorité redondantes et chronophages.

Cette dérive confirme un mouvement préoccupant, à savoir l'attribution d'une mission prédictive de dangerosité à un professionnel de santé chargé de la détection des pathologies psychiatriques.

Cette attention accrue portée au risque de récidive a fini par déteindre sur l'expertise présentencielle, témoignant d'un glissement problématique de la mission du magistrat, moins soucieux de l'accessibilité du prévenu à une sanction pénale que de l'utilité de cette dernière.

Ce mouvement doit être replacé dans le contexte de ces dernières décennies, qui a alternativement connu la « disqualification » de la peine d'emprisonnement au profit de mesures de réinsertion du délinquant, et, a contrario, la volonté politique de renforcer la peine par des mesures de rétention en cas de dangerosité avérée.

Sans contester l'opportunité de l'une ou l'autre de ces inflexions, nous nous devons de rappeler qu'elles n'ont pas pour autant fait disparaître du code pénal l'absolue nécessité pour le juge de fonder prioritairement la peine sur l'acte commis, et d'envisager la réinsertion ou la rétention du délinquant dans un temps distinct.

En matière post-sentencielle, l'évaluation du risque de récidive par un expert peut venir directement concurrencer celle des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, l'absence totale d'articulation entre ces travaux pouvant conduire à des résultats contradictoires susceptibles de compliquer l'office du juge de l'application des peines.

À mesure que se diffuse la formation criminologique des SPIP au risque de récidive, il nous semble parfaitement envisageable que la nécessité de l'expertise post-sentencielle se réduise nettement d'ici dix ou vingt ans.

J'évoquerai à présent quelques éléments ayant trait à la pratique de l'expertise et aux difficultés concrètes rencontrées par les experts.

La première d'entre elles tient bien évidemment à leur rémunération. L'article R. 117 du code de procédure pénale, issu d'un décret du 27 février 2017, prévoit explicitement de ne pas appliquer de grille tarifaire uniforme aux actes d'expertise, pour tenir compte de la nature et de l'étendue des actes prescrits. Toutefois, la grille tarifaire adoptée dans un arrêté du même jour ne prévoit aucune variation selon le nombre d'examens requis par l'autorité judiciaire, et ne tient que très partiellement compte de l'intensité du travail fourni...

Une expertise réalisée par un praticien hospitalier est invariablement tarifée à 312 euros, que cette dernière porte sur un cas clinique simple ou sur un dossier étoffé aux incidences pronostiques majeures. Outre la réévaluation de la tarification des actes de psychiatrie et de psychologie légales, il paraît indispensable de prêter une attention particulière à la modulation de la rémunération en fonction de l'ampleur de l'affaire et de l'investissement requis de l'expert.

C'est toutefois en matière d'assujettissement au régime général de la sécurité sociale que les modalités de rémunération des experts pénaux ont été le plus vivement critiquées.

Jusqu'en 2015, le ministère de la justice, pourtant employeur des experts, ne retenait aucune cotisation sociale de la rémunération qu'il leur versait ! C'est un décret du 2 juin 2016 qui a posé le principe d'une affiliation de l'ensemble des experts collaborateurs occasionnels du service public au régime général, régularisant enfin leur situation sociale. Les augmentations de crédits budgétaires consacrées à la couverture de leurs frais doivent donc essentiellement se comprendre comme des mesures de compensation destinées à couvrir les cotisations sociales désormais mises à la charge de l'État, et non comme des mesures de revalorisation de leur tarif.

Le passage pour l'expert d'une rémunération nette à une rémunération brute peut parfois dissimuler des phénomènes de perte sèche : si le projet élaboré en 2019 par le ministère de la justice avait été mis en oeuvre, la déductibilité directe des cotisations sociales du montant versé à l'expert se serait traduite par une amputation d'environ 7,5 % de sa rémunération, compensée par une augmentation tarifaire de 5,45 % seulement, soit une perte nette de près de 2 %. Il est urgent que les pouvoirs publics adoptent un pilotage plus précis de cette dépense, essentielle à l'attractivité de la mission.

Au terme de ce travail, nous avons acquis la certitude que le sujet de l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale ne peut plus faire l'économie d'une réforme dédiée. Jusqu'à présent traité de façon incidente, au gré des grandes lois pénales par lesquelles tous les gouvernements ont souhaité imprimer leur marque à notre appareil répressif, l'expert souffre aujourd'hui de n'avoir jamais été considéré en tant que tel.

À cheval entre justice et santé, sa mission croise différentes traditions de l'action publique. Nous espérons que notre rapport clarifiera les zones d'ombre qui entourent son action et ouvrira la voie à d'éventuelles traductions législatives.

M. Jean-Pierre Sueur . - J'appelle également de mes voeux un débat parlementaire qui pourrait traiter frontalement de ce sujet, si possible à l'occasion d'un projet ou d'une proposition de loi.

Cette histoire d'intoxication est vraiment très complexe. Où commence et où finit la responsabilité individuelle ? Imaginons un crime commis par une personne après une forte consommation de drogue : on peut considérer que son état la rend irresponsable, ou estimer au contraire que la prise répétée de stupéfiants ayant préparé la commission de l'acte relève de la volonté personnelle.

Je vois également une contradiction dans l'idée de limiter les contre-expertises, sans toutefois parvenir à la résoudre. Évidemment, plus les expertises sont proches des actes, plus elles ont une chance d'être pertinentes. Toutefois, pour les procès qui durent des années, voire des décennies, comment restreindre le droit à la contre-expertise sans porter atteinte au principe du contradictoire ?

Lorsque nous visitons des prisons, nous voyons en effet que beaucoup de détenus relèvent de la psychiatrie. Il faudrait suffisamment de places dans des établissements adaptés, mais aussi plus de psychiatres dans les prisons.

Mon intervention soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. J'en ai bien conscience !

Mme Florence Lassarade . - J'habite à dix kilomètres de l'unité de malades difficiles de Cadillac. Ne nous faisons pas d'illusions : même si des soins y sont dispensés, il s'agit d'un milieu carcéral. Je ne suis donc pas sûre qu'il soit plus facile d'être placé dans ce genre d'établissements, en cas d'irresponsabilité, que de passer plusieurs années dans une prison traditionnelle.

En effet, le nombre de psychiatres est insuffisant. Il manque aussi une formation en criminologie au cours des études de médecine. À l'inverse, les juristes sont sans doute formés à la criminologie, mais peut-être pas à des notions de psychiatrie.

Mme Laurence Cohen . - Il est difficile d'examiner cette problématique sans se pencher sur l'état très critique de la psychiatrie dans notre pays.

Quand nous visitons les prisons, nous constatons en effet que certains détenus auraient besoin de recevoir des soins psychiatriques.

J'ai participé, avec Brigitte Micouleau, à une mission sur les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) : nous nous sommes posé beaucoup de questions sur la prise en charge des patients, parfois sous camisole chimique. Je n'ai pas vraiment de solutions, mais le problème doit être considéré dans sa globalité.

Le syndicat de la magistrature s'est récemment inquiété d'une surpénalisation de la maladie mentale. Cela doit nous interroger.

Nous avons vraiment besoin d'une formation psycho-légale approfondie des internes en psychiatrie. Il faut aussi revisiter la rémunération des experts et leur reconnaissance par l'État.

Mme Marie Mercier . - Nous sommes tous conscients de la complexité de la maladie mentale. Il est très difficile de comprendre ce qui peut se passer dans la tête d'une personne atteinte d'un trouble psychiatrique.

On peut s'interroger sur la responsabilité individuelle, certes, mais il est difficile d'expliquer, par exemple, pourquoi telle personne va ressentir le besoin de se noyer dans l'alcool.

Je pense enfin qu'il est encore difficile d'évaluer toutes les conséquences de la pandémie en termes de déprogrammation de soins psychiatriques.

M. Jean-Yves Roux , rapporteur . - Le but de ce rapport est évidemment qu'une proposition de loi soit déposée le plus rapidement possible.

En pratique, aujourd'hui, c'est le juge qui décide si une intoxication aux stupéfiants peut conduire à une altération ou à une abolition du discernement. Doit-on préciser le code pénal sur ce point ? Nous le pensons.

La place des personnes atteintes d'un trouble mental n'est pas en prison. Un rapport réalisé par nos deux commissions en 2010 pointait déjà cette triste réalité.

Enfin, je suis bien entendu favorable au renforcement de la formation des psychiatres, un problème qui est ressorti des auditions que nous avons menées.

M. Jean Sol , rapporteur . - Nous proposons d'ajouter un critère légal à l'irresponsabilité pénale, fondé sur le caractère involontaire de l'intoxication. Autrement dit, si une faute antérieure du commettant a conduit à son manque de discernement, la responsabilité pénale de ce dernier me semble devoir être maintenue.

La restriction du principe de contre-expertise doit selon nous être inscrite dans la loi pour être valable. Elle doit bien entendu respecter l'égalité des armes entre les parties.

Notre rapport contient plusieurs propositions sur les UHSA, dont il convient de revoir les missions et de renforcer les moyens.

Pour combler le déficit de formation des psychiatres, nous proposons d'ajouter une option nationale en psychiatrie ou psychologie légale à l'issue des formations de médecine ou de psychologie.

Enfin, d'après de nombreux professionnels que nous avons auditionnés, le problème de l'emprisonnement de personnes atteintes de troubles psychiatriques provient de décisions judiciaires ayant conclu à l'altération, et non à l'abolition de leur discernement. Sans doute est-ce là le reflet d'une demande de la société de voir les criminels enfermés, quel que soit leur état mental.

Mme Brigitte Lherbier . - Lors de la bien triste affaire d'Outreau, l'affrontement des experts fut désastreux. En revanche, le fait que la contre-expertise ait été espacée du pic de médiatisation de l'affaire a plutôt été bénéfique. À cette occasion, de nombreux experts ont également alerté sur leur faible rémunération.

J'ai enseigné dans un institut d'études judiciaires et un institut de criminologie. Des formations de psychiatrie légale y sont dispensées, essentiellement tournées vers l'enquête. Mais elles sont réservées aux étudiants qui souhaitent passer les concours de magistrats et de commissaires de police. Il faudrait une formation plus générale pour les juristes.

Du côté des études de médecine, je ne sais pas en revanche si la formation de médecine légale est bien assurée.

M. Jean Sol , rapporteur . - Après l'affaire d'Outreau, le rapport Houillon avait soulevé le problème des liens d'intérêts des experts psychiatres ou psychologues.

Nous proposons dans notre rapport de renforcer la déontologie des experts, notamment au moyen d'une déclaration obligatoire de leurs liens d'intérêts.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Il me reste à vous demander l'autorisation de publier ce travail sous la forme d'un rapport d'information.

La commission des affaires sociales et la commission des lois autorisent la publication du rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM)

M. Michel Doucin , administrateur

Mme Jocelyne Viateau , administratrice

Dr Améziane Aït Menguellet , psychiatre

Dr Cyril Manzanera , psychiatre

M. Alain Blanc , magistrat honoraire

Mme Mylène Armand , directrice du service pénitentiaire d'insertion et de probation du Nord

Mme Valérie Moulin , psychologue et maître de conférences au centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)

Pr Jean-Pierre Olié , psychiatre

Audition commune :

Association nationale des psychiatres experts judiciaires (ANPEJ)

Dr Nidal Nabhan-Abou , présidente

Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d'appel (CNEPCA)

Dr Laurent Layet , président

Dr Jean-Claude Pénochet , psychiatre

Dr Michel Dubec , psychiatre

Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH)

Dr Paul Jean-François , membre du bureau chargé de l'expertise et de la psychiatrie légale

Syndicat national des experts psychiatres et psychologues (SNEPP)

Dr Roland Coutanceau , président délégué

Union syndicale de la psychiatrie (USP)

Dr Delphine Glachant , présidente

Dr Pascal Boissel , membre du conseil national

Syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP)

Dr Jean Ferrandi , secrétaire général

Dr Jean-Louis Lavaud , chef du pôle de psychiatrie, membre du conseil national

Conseil national des compagnies d'experts de justice (CNCEJ)

Mme Annie Verrier , expert psychologue, présidente

M. Alain Dumez , expert psychologue, président de la compagnie nationale des experts psychologues (CNEPSY), membre du CNCEJ

Dr Manuel Orsat , expert psychiatre, secrétaire général de la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d'appel (CNEPCA), membre du CNCEJ

Pr Daniel Zagury , psychiatre

Syndicat national des psychologues (SNP)

M. Patrick-Ange Raoult , membre du bureau national

Mme Hélène Dubost , secrétaire de la commission « psychologues experts » du SNP

Ministère de la justice - direction des services judiciaires (DSJ)

M. Frédéric Chastenet de Géry , chef de service, adjoint au directeur des services judiciaires

M. Lionel Paillon , sous-directeur des finances, de l'immobilier et de la performance au sein de la DSJ

Mme Bernadette Nogué , adjointe au sous-directeur des finances, de l'immobilier et de la performance


* 1 Cette possibilité est inscrite de longue date dans la pratique judiciaire et codifiée par l'ancien droit français. Plus récemment, la période « de 1791 à 1944 correspond à la naissance, à l'essor et à l'affirmation des auxiliaires de justice et des expertises » (Fr. CHAUVAUD, « Introduction générale », Experts et expertise judiciaire : France, XIX e et XX e siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003).

* 2 Pour s'en tenir à la matière pénale, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation est constante sur ce point (11 mars 1958, n° 78-92.860).

* 3 A. LEBIGRE, Quelques aspects de la responsabilité pénale en droit romain classique , Paris, PUF, 1967.

* 4 « Prison et troubles mentaux : Comment remédier aux dérives du système français ? », rapport d'information n° 434 (2009-2010) de M. G. BARBIER, Mme Chr. DEMONTÈS, MM. J.-R. LECERF et J.-P. MICHEL, fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, déposé le 5 mai 2010.

* 5 Loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques

* 6 Le nombre des experts psychiatres était de 800 en 2007, de 537 en 2012 et de 465 en 2014.

* 7 Cf. infra (III. B. 3.)

* 8 La matière correctionnelle se compose des infractions que la loi punit d'une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de 10 ans, ou d'une peine d'amende supérieure à 3 750 euros.

* 9 Issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, la comparution à délai différé permet au procureur de la République, à des fins d'enquête approfondie, de solliciter du juge des libertés et de la détention (JLD) une détention provisoire ne pouvant excéder deux mois d'une personne soupçonnée d'avoir commis un délit, avant qu'elle ne comparaisse devant le tribunal correctionnel. Le JLD peut faire droit à cette demande ou la commuer en contrôle judiciaire ou assignation à domicile.

* 10 Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

* 11 Circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions applicables le 1 er octobre 2014 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

* 12 Article 706-53-13 du code de procédure pénale.

* 13 Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs.

* 14 Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

* 15 D. ZAGURY, « L'expertise psychiatrique pénale : une honte française », Gazette du Palais , n° 19, mai 2016.

* 16 Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs.

* 17 Loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires.

* 18 Loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques, précitée.

* 19 M. DAVID, L'expertise psychiatrique pénale , Paris, L'Harmattan, 2006.

* 20 Lors de son examen en 2004 du projet de réforme de la loi de 1971, la commission des lois du Sénat avait noté que l'augmentation du niveau d'exigence pour l'inscription sur les listes d'experts paraissait peu cohérent avec la possibilité pour le juge de choisir toute personne de son choix pour réaliser une expertise. Considérant toutefois que les listes sont établies pour permettre au juge de disposer du meilleur niveau de compétence mais que l'appréciation des faits lui appartient elle avait jugé inopportun d'obliger les juges à choisir uniquement parmi les experts figurant sur les listes et préféré que le choix hors liste soit systématiquement motivée y compris pour les affaires civiles (rapport n° 226 (2002-2003) de M. J.-R. LECERF, fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 mars 2003). Cette obligation a finalement été introduite à l'article 265 du code de procédure civile par le décret n° 2012-1451 du 24 décembre 2012 relatif à l'expertise et à l'instruction des affaires devant les juridictions judiciaires.

* 21 Rapport de M. Ph. HOUILLON fait au nom de la commission d'enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, 6 juin 2006, p. 176.

* 22 Réponse du ministère de la justice au questionnaire des rapporteurs.

* 23 Décret n° 2017-248 du 27 février 2017 relatif aux modalités de fixation des tarifs des actes prescrits dans le domaine de la médecine légale, de la psychologie légale, de la toxicologie, de la biologie et de la radiologie et relevant des frais de justice.

* 24 Arrêté du 27 février 2017 pris pour l'application des 2° et 7° de l'article 2 et de l'article 3 du décret n° 2017-248 du 27 février 2017 relatif aux modalités de fixation du tarif des actes prescrits dans le domaine de la médecine légale, de la psychologie légale, de la toxicologie, de la biologie et de la radiologie et relevant des frais de justice.

* 25 Note interne du 28 février 2017 adressée par la direction des services judiciaires aux chefs de cour ainsi qu'aux référents « frais de justice », n° SJ17.69-FIP4.

* 26 Cf. infra .

* 27 Question écrite n° 07671 publiée dans le JO Sénat du 26 février 2009.

* 28 Haut Conseil du financement de la protection sociale, Rapport sur la protection sociale des travailleurs indépendants , septembre 2020.

* 29 Ibid.

* 30 Le montant des tarifs versés aux experts libéraux doit être réduit de 46 % pour atteindre la rémunération nette.

* 31 Gazette du Palais , 14 juin 2016, n° 22.

* 32 À l'issue desquels le Conseil d'État a rappelé la compétence exclusive du législateur pour déterminer les catégories de bénéficiaires du régime général de la sécurité sociale.

* 33 Décret n° 2016-744 du 2 juin 2016 modifiant le décret n° 2015-1869 du 30 décembre 2015 relatif à l'affiliation au régime général de sécurité sociale des personnes participant de façon occasionnelle à des missions de service public.

* 34 Annexe au PLF pour 2020, Bilan des relations financières entre l'État et la sécurité sociale .

* 35 Article 20 ter du PLFSS pour 2019.

* 36 D'après le ministère de la justice, dans les réponses qu'il apporte au questionnaire de vos rapporteurs, « cette solution dite cible, validée lors des réunions interministérielles, nécessitait des évolutions techniques complexes et coûteuses [...] qui n'ont pu émerger en raison de calendriers de déploiement incompatibles ».

* 37 D. ZAGURY, « L'expertise psychiatrique pénale : une honte française », loc. cit .

* 38 Cour d'appel de Riom, 1 er juin 2017, n° 17/00037.

* 39 Ce principe de fixation « souveraine » est énoncé par une décision de la Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2015, n° 14-85.888.

* 40 « [Tant il y a] de manières de gagner plus d'argent » (D. ZAGURY, « L'expertise psychiatrique pénale : une honte française », loc. cit ).

* 41 Cette dernière variable est particulièrement sensible dans le contexte actuel de pandémie, lequel impose des mesures de distanciation physique.

* 42 Cour de cassation, chambre criminelle, 24 novembre 2015, n° 15-83.349.

* 43 M. DAVID, L'expertise psychiatrique pénale , op. cit .

* 44 Réponse du ministère de la justice au questionnaire des rapporteurs.

* 45 Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale.

* 46 Cour de cassation, chambre criminelle, 15 juin 2016, n° 16-80.347.

* 47 D. ZAGURY, « L'expertise psychiatrique pénale : une honte française », loc. cit .

* 48 Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

* 49 M. DAVID, L'expertise psychiatrique pénale , op. cit .

* 50 D'après la CNEPCA et l'ANPEJ, les ordonnances d'irresponsabilité pénale ne représentent que 0,4 % des cas où le juge demande à ce que le discernement de l'auteur au moment de l'acte soit déterminé.

* 51 Compte rendu analytique officiel du 18 février 2020 disponible au lien suivant : http://www.senat.fr/cra/s20200218/s20200218_3.html

* 52 Cour de cassation, chambre criminelle, 13 février 2018, n° 17-86.952, cité par S. FUCINI, « Affaire Sarah Halimi : déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », Dalloz actualité , 3 février 2020.

* 53 J.-L. SENON, J.-Ch. PASCAL, G. ROSSINELLI et alii , Expertise psychiatrique pénale , Paris, Fédération française de psychiatrie, 2007.

* 54 Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

* 55 Ainsi que l'indiquent les professeurs J.-P. OLIÉ et D. ZAGURY dans une tribune du journal Le Monde du 23 janvier 2017, il est « de plus en plus demandé à l'expert psychiatre non point de savoir si le criminel était malade au moment de l'acte, mais de donner une prédiction de dangerosité ».

* 56 Cour de cassation, chambre criminelle, 29 octobre 2003, n° 03-84.617.

* 57 La protection de la société et la prévention la récidive au-delà des faits commis est une des missions de la justice pénale qui dépasse l'appréciation des seuls faits commis. Elle peut légitimement intervenir dès la phase présentencielle et constitue par exemple une cause pour le placement en détention provisoire de multi-réitérants même si les faits poursuivis en l'occurrence sont moins importants que des faits antérieurs n'ayant pas donné lieu à une telle mesure. Les rapporteurs sont cependant convaincus que ces mêmes considérations ne peuvent peser de la même manière lorsqu'il s'agit de déterminer le discernement d'une personne.

* 58 La déclaration d'irresponsabilité pénale du commettant et son transfert immédiat vers l'hospitalisation sans consentement en établissement de soins psychiatriques replacent l'expert médical ou psychologique dans son rôle premier d'accompagnement thérapeutique du patient dans un cadre strictement hospitalier - et non carcéral. Aussi, les rapporteurs ont-ils choisi d'exclure ce cas du champ de leurs investigations, limitées au rôle de l'expert comme auxiliaire de justice, tout en renvoyant aux travaux récents du contrôleur général des lieux de privation de liberté pointant les lacunes générales de l'hospitalisation sans consentement ( Soins sans consentement et droits fondamentaux , Paris, Dalloz, 2020).

* 59 Le Monde , 11 janvier 2012.

* 60 UHSA : construire pour soigner , rapport d'information de la commission des affaires sociales du Sénat n° 612 (2016-2017).

* 61 Article D. 368 du code de procédure pénale.

* 62 M. DAVID, L'expertise psychiatrique pénale , op. cit .

* 63 Ibid .

* 64 Évaluation de la première tranche des UHSA, en vue de l'installation d'une seconde tranche , décembre 2018.

* 65 Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

* 66 « L'unité spécialement aménagée au sein d'un établissement de santé mentionnée à l'article L. 3214-1 prend en charge les hospitalisations complètes avec ou sans leur consentement des personnes détenues dans des établissements pénitentiaires se trouvant sur un territoire défini par arrêté conjoint des ministres chargés de la justice, de la santé et de l'intérieur. »

* 67 Articles 706-53-13 et suivants du code de procédure pénale.

* 68 Articles 723-29 et suivants du code de procédure pénale.

* 69 Articles 730-2 et suivants du code de procédure pénale.

* 70 Le site du centre pénitentiaire de Fresnes, du centre pénitentiaire Sud-Francilien ou du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin.

* 71 Note du 17 juillet 2015 relative au Centre national d'évaluation des personnes détenues.

* 72 A. BLANC, « Les longues peines, au risque de l'oubli », Revue de droit criminelle et de droit comparé , t. I, janv.-mars 2016.

* 73 Comme le relevait M. HERZOG-EVANS dans un article du 20 janvier 2018 sur le rapport Cotte-Minkowski sur le sens et l'efficacité des peines ( Dalloz actualité ), « il serait autrement plus pertinent de mobiliser les CNE plus systématiquement, ce, non point en se fondant sur la nature des mesures, mais sur la nature des infractions (gravité et complexité) et le niveau de risque ».

* 74 A. BLANC, « Les longues peines, au risque de l'oubli », loc. cit .

* 75 Pour reprendre les termes de M. HERZOG-EVANS ( loc. cit. ), leur « compétence psycho-criminologique est hélas gravement lacunaire ».

* 76 Le cadre de l'injonction de soins a été présenté par nos collègues M. MERCIER, M. MEUNIER et D. VÉRIEN, dans leur rapport d'information n° 529 (2018-2019) fait au nom de la mission commune d'information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions.

* 77 Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs.

* 78 Cf. supra .

* 79 Article 717-1 du code de procédure pénale.

* 80 Arrêté du 8 décembre 2011 modifiant l'arrêté du 24 janvier 2008 pris pour l'application des articles R. 3711-8 et R. 3711-11 du code de la santé publique relatif aux médecins coordonnateurs.

* 81 L'évaluation du dispositif de l'injonction de soins , février 2011.

* 82 R. RYCKEBUSCH, L'injonction de soins, 20 ans après sa création : description, revue de la littérature et étude des pratiques de prescriptions pharmacologiques en Nord-Pas-de-Calais , thèse pour le diplôme d'État de docteur en médecine, Université de Lille, 2018.

* 83 Ibid .

* 84 Cette recommandation avait été émise par l'IGAS et l'IGSJ en 2011 sans être suivie d'effet.

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