B. LE FINANCEMENT DE LA MGP : UN COMPROMIS BOITEUX QUI N'EST PAS SOUTENABLE DANS LA DURÉE

Le premier constat porte sur la modestie du budget métropolitain par rapport aux enjeux. Malgré près de 3,6 milliards d'euros de recettes, la Métropole du Grand Paris ne disposait pour 2019 que d'un budget propre de 206 millions d'euros dont 42 millions d'euros en fonctionnement et 164 millions d'euros en investissement. De l'avis même de Patrick Ollier : « Aujourd'hui, le budget de notre métropole est indigent ».

En fait, six ans après sa création, les flux financiers entre la MGP, les communes et les établissements publics territoriaux (EPT) visant à leur garantir les ressources dont ils disposaient avant 2016, représentent toujours près de 98 % des recettes et des dépenses de la MGP.

Le modèle transitoire de partage du produit des impôts économiques (CFE, CVAE) entre la métropole et les EPT prévoit, dorénavant en 2023, après avoir été reporté d'année en année depuis 2019, la disparition de toutes recettes fiscales pour les EPT mais aussi de leur dotation d'intercommunalité, au bénéfice de la MGP. La question se reposera inévitablement de la reconduction de ce dispositif ou de sa refonte en 2023.

Avoir créé les EPT en 2016, les incitant à se développer, en leur conservant une partie de la progression annuelle de la CFE, pour les en priver complètement quelques années plus tard a été une décision qui ne peut malheureusement être comprise que comme la regrettable volonté, à l'époque, de ménager « la chèvre et le chou ».

Le modèle actuel de financement de la MGP comme des EPT est donc tout simplement insoutenable pour la métropole comme pour les territoires.

1. Un budget métropolitain trop modeste et sans effet péréquateur

Une partie très limitée des dépenses d'investissement, 54 millions d'euros pour 2019, est consacrée au fonds d'investissement métropolitain (FIM). Mais en réalité, les dépenses exécutées du FIM s'établissent à une moyenne d'environ 28 millions d'euros annuels depuis 2016, avec un point bas en 2019 à 16,9 millions d'euros selon le compte administratif pour 2019. À l'échelle d'une communauté de 7,2 millions d'habitant, l'effet péréquateur reste quasi nul.

D'autres dispositifs existent, mais n'agissent que « dans l'épaisseur du trait » et sont également inopérant pour aboutir à un quelconque rééquilibrage territorial :

- le fonds métropolitain pour l'innovation numérique (1,8 million d'euros pour 30 communes et 6 EPT ;

- la dotation de soutien à l'investissement territorial (DSIT), versée annuellement par la MGP aux EPT et le cas échéant à des communes de la métropole pour la réalisation ou la gestion d'un ou de plusieurs équipements répondant à un enjeu de solidarité territoriale. Cette dotation est prélevée annuellement sur la CVAE et correspond à une fraction de la dynamique de CVAE dont le taux, compris entre 10 % et 50 %. Elle est votée chaque année par le conseil de la métropole. En 2017, la MGP a ainsi versé 13,9 millions d'euros aux EPT au titre de la DSIT (30 % de la dynamique de la CVAE) 10 ( * ) . Mais cette dotation qui est par définition volatile n'a pas été versée en 2018 en raison de la baisse de la CVAE perçue par la MGP l'année précédente.

Le tableau suivant illustre le caractère contraint et l'absence de marge de manoeuvre du budget métropolitain : « Durant la période transitoire (2016-2021), la MGP supportera la volatilité de la CVAE et sera par ailleurs tenue d'assurer les attributions de compensation aux communes et EPT. Ce jeu à somme nulle ne permettra donc pas, dans un premier temps, de dégager de fortes marges de manoeuvre. » 11 ( * )

Budgets primitifs de la MGP pour 2019 et 2020

Source : MGP

Pour abonder dans le sens du président de la métropole, force est de constater l'inadaptation des moyens budgétaires pour inverser la tendance de l'aggravation des inégalités. Alors que par ailleurs, la somme des moyens financiers en circulation est importante, après avoir redistribué les recettes fiscales selon le fléchage de la loi NOTRe, il ne reste à la MGP que 150 à 200 millions d'euros d'investissement.

Vos rapporteurs regrettent également, alors que la MGP pourrait parfaitement mettre en place un mécanisme de solidarité métropolitain visant à réduire, en fonctionnement, les disparités de richesses fiscales des EPT, que la simple évocation, dans l'enceinte de la MGP, du principe d'un tel mécanisme de péréquation déclenche immédiatement de nombreux débats sans jamais aboutir à une décision.

2. Les flux financiers impliquant la métropole du Grand Paris : une situation provisoire qui ne peut éternellement être reconduite
a) Le schéma global de financement n'est pas pérenne

La loi NOTRe a instauré un système complexe de flux financiers entre la MGP et les EPT dans le but d'assurer une neutralité financière pour les établissements publics territoriaux et les communes.

Les EPT, qui ont remplacé, à compter de 2016, les EPCI qui existaient avant la création de la MGP tout en couvrant de nouvelles communes jusqu'alors isolées, ne perçoivent plus les mêmes ressources. Les anciens EPCI collectaient ainsi la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), à l'exception de la cotisation foncière des entreprises (CFE) dont la loi NOTRe prévoyait le maintien au profit des EPT de 2016 à 2020. En lieu et place de leurs anciennes ressources, un fonds de compensation des charges transférées (FCCT) versé annuellement par les communes, comprend :

- une fraction égale au produit de la taxe d'habitation (TH), de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) perçu par l'EPT à hauteur du produit perçu par l'EPCI existant 31 décembre 2015 ;

- à compter de 2021, une fraction de la CFE perçue par la commune en 2020.

C'est donc sur la base de ce principe de « neutralité financière » pour les communes et les EPT que se fondent ces multiples flux financiers, notamment les attributions de compensation (AC) qui représentaient 3,37 milliards d'euros de versement de la MGP aux communes en 2019.

Au chapitre des recettes, la métropole perçoit la CVAE, l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER), la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier bâti et la DGF (dotation d'intercommunalité et dotation de compensation) tandis que les EPT continuent à percevoir la CFE avec une perspective d'unification des taux.

Comme les EPT se voient garantir le même niveau de ressources que les EPCI préexistants, selon les cas, c'est la MGP qui verse une dotation d'équilibre aux EPT, ou l'inverse. Par ailleurs, la création d'un fonds de compensation des charges territoriales (FCCT) visait à compenser le fait que les communes perçoivent aujourd'hui des recettes fiscales qui étaient auparavant perçues par les EPCI antérieurs. Enfin, le graphique ci-dessous fait apparaître d'autres flux aux ressources de la MGP (DGF, impôts économiques) auparavant perçues par les EPCI ou par les communes membres, et que, pour l'essentiel, la MGP reverse depuis 2016 aux communes.

Les flux financiers MGP-EPT-communes (2016-2020)

Source : Forum métropolitain du Grand Paris

La loi NOTRe avait initialement prévu qu'à partir de 2021, la CFE serait intégralement perçue par la métropole, avec pour conséquence une modification de statut des EPT, transformés en syndicats de commune sans fiscalité propre, qui ne verseraient plus d'attribution de compensation aux communes et seraient financés par un double mécanisme de reversement de fiscalité :

- le fonds de compensation des charges territoriales qui sera alimenté par les impôts ménages et la CFE ;

- une dotation de soutien à l'investissement territorial, financé par une part de la croissance de la CVAE (10 %) et de la CFE (50 %).

Ajoutant de la complexité à la complexité, ce dispositif n'a pas été mis en oeuvre, au grand dam des « territoires pauvres, favorables à une métropole puissante [...] tandis que les territoires les plus riches voudront pérenniser la solution transitoire » 12 ( * ) .

En loi de finances pour 2021, faute d'évolution du schéma institutionnel de la Métropole du Grand Paris, ce système qui avait déjà été prorogé d'un an en 2019 puis en 2020 l'a de nouveau été jusqu'en 2023 qui marquera la fin de la période au cours de laquelle la CFE est perçue de façon dérogatoire par les EPT, sauf nouvelle prorogation.

Le système financier de la MGP s'apparente donc à du provisoire qui dure. Il montre qu'en l'absence de réforme institutionnelle, le schéma de financement de la métropole n'est pas pérenne.

b) La trajectoire financière des EPT n'est pas soutenable au regard des inégalités territoriales

Les écarts de richesse fiscale entre les EPT vont de 1 à 11. Cette situation a été aggravée, dès l'origine, par le fait que les EPT regroupant des communes ne faisant pas précédemment partie d'un EPCI n'ont pas bénéficié d'une dotation d'intercommunalité en proportion de leur population. C'est la MGP qui a perçu les sommes correspondantes sans rééquilibrer cette situation que vos rapporteurs jugent profondément inégalitaire.

Cet état de fait résulte du différentiel de richesse des territoires métropolitains. Le produit de la CFE le plus bas s'établit à 26 euros par habitant contre 1 575 euros par habitant pour le plus haut. S'agissant de la CVAE, cette fourchette est comprise entre 9 et 1 392 euros par habitant, les valeurs extrêmes étant comprises entre Ablon-sur-Seine pour l'étiage bas et Puteaux (1 115 €/hab.) ou Rungis (1 392 €/hab.).

Mise à part le cas de Paris, dont le budget (8 milliards d'euros de dépenses de fonctionnement et 1,4 milliard d'euros de dépenses d'investissement pour 2020) semble hors norme comparé aux 11 autres territoires métropolitains, les disparités budgétaires entre EPT, rapportées à leur nombre d'habitant, sont frappantes par exemple entre Grand Paris Grand Est (101,8 millions d'euros de budget et 395 000 habitants) et Paris Ouest La Défense dont le budget, pour la population de 560 000 habitants (soit moins du double), est 4,5 fois plus important ( cf . tableau ci-après).

Budgets principaux et annexes des EPT ( en millions d'euros )

Nom

de l'EPT

Population

(habitants)

Budget principal total

dont fonctionnement

dont investissement

Budgets annexes assainissement
et aména-gement

dont exploitation

dont investissement

N°2 Vallée Sud Grand Paris

401 755

283,3

177,9

105,4

22,7

8,7

14,0

N°3 Grand Paris Seine Ouest

322 928

318,8

241,8

76,9

66,7

5,9

60,8

N°4 Paris Ouest
La Défense

560 000

463,4

442,8

20,6

159,4

85,8

73,5

N°5 Boucle Nord
de Seine

441 042

257,4

120,3

137,1

16,5

7,5

9,0

N°6 Plaine Commune

432 010

486,3

342,6

143,7

23,9

8,0

15,9

N°7 Paris Terres d'Envol

363 330

215,9

170,1

45,8

36,0

12,5

23,6

N°8 Est Ensemble

418 239

343,8

267,9

76,0

47,4

16,1

31,3

N°9 Grand Paris Grand Est

394 355

101,8

90,5

11,4

37,7

14,3

23,4

N°10 Paris Est Marne & Bois

511 621

160,7

155,8

4,9

27,7

13,6

14,1

N°11 Grand Paris Sud Est Avenir

318 284

253,6

184,8

68,8

18,2

7,9

10,3

N°12 Grand-Orly Seine Bièvre

708 834

440,4

382,6

57,8

26,7

14,8

11,9

Source : Délégation aux collectivités territoriales, d'après les budgets primitifs des EPT pour 2020 (budget primitif pour 2019 pour l'EPT n° 6)

Les données budgétaires présentées dans ce tableau correspondent aux disparités géographiques Est-Ouest de revenus étayées par les études de l'Insee et de l'APUR. Cette trajectoire financière n'est pas soutenable au regard des inégalités territoriales.

* *

*

L'organisation institutionnelle et la gouvernance actuelles du Grand Paris, avec des moyens et des compétences limités, ne peuvent répondre aux besoins d'une métropole mondiale et doivent changer pour affronter les enjeux d'attractivité, de développement durable et de réduction des inégalités.

Les besoins d'une métropole mondiale...

d'habitants

communes

territoires (EPT) + Paris

du PIB national

... mais des moyens et des compétences limités

de recettes mais seulement...

de budget propre
à la MGP

compétences obligatoires

fonds d'investissement métropolitain


* 10 Rapport général n° 138 (2020-2021) de MM. Charles Guené et Claude Raynal, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020.

* 11 Note rapide de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme (IAU) d'Ile-de-France (n° 688, juin 2015).

* 12 La Gazette des Communes « Flux financiers du Grand Paris, mode d'emploi » par Pierre Cheminade (janvier 2015).

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