C. LE DÉCLENCHEMENT DE L'ARTICLE 7 DU TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE CONTRE LA POLOGNE PUIS LA HONGRIE

L'article 7 du TUE est le mécanisme a priori le plus puissant dont dispose l'Union européenne pour faire respecter l'État de droit puisqu'il permet d'infliger des sanctions aux États membres concernés. Toutefois, son déclenchement n'implique pas automatiquement des sanctions. Ainsi, la Pologne et la Hongrie sont actuellement visées par cette procédure, mais ni la première ni la seconde ne sont aujourd'hui sanctionnées.

1. L' « option nucléaire » de l'article 7 du traité sur l'Union européenne

L'article 7 du TUE , dont le dispositif avait été introduit par le traité d'Amsterdam, prévoit un mécanisme de sanctions à l'encontre d'un pays qui contreviendrait au respect des valeurs mentionnées à l'article 2 dudit traité. Il se compose d'un volet préventif et d'un volet répressif.

Le volet préventif (article 7, paragraphe 1) peut être enclenché en cas de « risque clair de violation grave » de l'État de droit dans un État membre. La Commission, le Parlement européen ou un tiers des États membres invite alors le Conseil, statuant à la majorité des 4/5 e des États et après approbation du Parlement européen, à constater l'existence de ce risque.

Le volet répressif (article 7, paragraphe 2) ne peut être déclenché qu'en cas de constatation de « l'existence d'une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l'article 2 » . Mais son application requiert une décision unanime du Conseil européen , à l'exception de l'État visé par la procédure.

Une fois ce vote acquis, le Conseil peut décider, à la majorité qualifiée, de suspendre certains droits de l'État membre concerné, « y compris les droits de vote » au sein du Conseil.

Le constat de risque de violation n'est pas un préalable juridiquement nécessaire au constat de violation.

Procédure de déclenchement de l'article 7 du TUE

Source : Secrétariat général des affaires européennes (SGAE).

Cette procédure est cependant lourde , à tel point que l'ancien Président Barroso l'avait qualifiée d' « option nucléaire » . En effet, non seulement les règles de vote sont très strictes, avec des conditions quasi impossibles à réunir en pratique, mais aussi la procédure n'obéit pas à un calendrier contraignant, ni le Conseil ni le Conseil européen n'étant soumis à une quelconque injonction.

En réalité, comme l'a dit une personne auditionnée par les rapporteurs, « l'article 7 est une fausse arme nucléaire ».

De surcroît, sans doute l'article 7 du TUE souffre-t-il de l'absence d'une étape intermédiaire permettant sa mise en oeuvre plus graduelle . En effet, actuellement, soit la procédure n'est pas déclenchée, soit elle l'est mais il ne se passe rien, soit des sanctions massives - la perte du droit de vote au Conseil - sont prononcées. Des sanctions moins lourdes, mais réalistes et donc potentiellement effectives, devraient être prévues.

2. La procédure de l'article 7 déclenchée à l'encontre de la Pologne et de la Hongrie, cependant dans l'impasse jusqu'à présent

Le volet préventif de la procédure de l'article 7 du TUE est désormais déclenché à l'égard de deux pays, mais selon des modalités différentes.

a) Le cas de la Pologne

Dans son rapport de janvier 2020 sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Pologne 33 ( * ) , l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) rappelle le contexte politique en Pologne à compter de 2015 .

Le rapport note ainsi qu'« il est légitime d'affirmer que les réformes engagées par les autorités en place ont déclenché une crise politique et [...] constitutionnelle en Pologne . La crise politique a éclaté au lendemain des élections législatives de 2015. Ces élections se sont déroulées dans un climat politique de plus en plus polarisé et alors que le mécontentement de la société polonaise à l'égard de son élite dirigeante grandissait ». Le rapport poursuit : « C'est la première fois depuis 1991 qu'un parti [le parti Droit et justice, Pis] parvient, à lui seul, à avoir la majorité absolue en Pologne. Il convient de faire observer que le PiS n'a pas obtenu la majorité des deux tiers qui lui aurait permis de changer la constitution polonaise. [...] Le dialogue, ou même la coopération, entre le gouvernement et les partis d'opposition sont donc limités, voire inexistants et les responsables politiques adoptent de plus en plus souvent des stratégies politiques à somme nulle. Cette situation est compensée, dans une certaine mesure, par l' existence d'une société civile ample et dynamique qui participe activement aux débats sur les développements politiques et sociaux du pays ». Selon les auteurs du rapport, « le PiS a vu dans sa victoire écrasante un blanc-seing des électeurs pour réformer en profondeur le système politique et social du pays. En même temps, il a eu l'impression, à son arrivée au pouvoir, que les structures étatiques et les institutions démocratiques étaient dominées par les autorités précédentes et qu'elles leur étaient favorables, ce qui, selon lui, visait à saboter la mise en oeuvre du programme de réforme du nouveau gouvernement. En particulier, les nouvelles autorités considéraient le système judiciaire, et plus précisément la Cour constitutionnelle, comme un mécanisme essentiel permettant aux autorités précédentes de remettre en cause le programme de réforme du nouveau gouvernement ». Toutefois, « aucune force politique ni organisation de la société civile n'a contesté le fait que le système judiciaire [polonais] présentait des faiblesses avant 2015. Toutes les parties prenantes sont convenues qu'il fallait remédier à ces insuffisances . Il est cependant clair que ces réformes doivent respecter les normes et règles acceptées au niveau européen. En outre, elles doivent viser à améliorer l'indépendance du système judiciaire et l'administration de la justice dans le pays ».

Or, comme le note la résolution de l'APCE 34 ( * ) sur ce sujet, « ces réformes [du système judiciaire polonais] violent, à plusieurs égards, les normes et règles européennes. Leur effet cumulé porte atteinte et nuit gravement à l'indépendance de la magistrature et à l'État de droit en Pologne. Par ailleurs, elles ont exposé le système judiciaire aux ingérences politiques et aux tentatives de prise de contrôle politique de l'exécutif, ce qui remet en question les principes mêmes d'un État démocratique régi par la prééminence du droit ». En conséquence, par cette résolution, l'APCE a décidé « d'ouvrir la procédure de suivi à l'égard de la Pologne jusqu'à ce que les préoccupations susmentionnées soient traitées de manière satisfaisante ». La Pologne est le seul État membre de l'Union européenne à figurer parmi les dix pays soumis actuellement à une telle procédure de suivi.

L'Union européenne a tiré des conclusions similaires, ce qui l'a conduite à déclencher finalement la procédure de l'article 7 du TUE. Le 20 décembre 2017 , après dix-huit mois de dialogue infructueux, et trois recommandations, dont seule la première était vraiment prévue par son nouveau cadre sur l'État de droit, la Commission , constatant qu'aucune de ses recommandations n'avait été mise en oeuvre, a proposé au Conseil, sur le fondement de l'article 7, paragraphe 1, du TUE de constater l'existence d'un risque clair de violation grave par la Pologne de l'État de droit 35 ( * ) , et a présenté une quatrième recommandation 36 ( * ) .

Dans cette recommandation, la Commission rappelle ses trois recommandations précédentes et fait part de ses nouvelles préoccupations apparues depuis en ce qui concerne l'État de droit en Pologne. Ces préoccupations portent sur les éléments suivants : a) la loi sur la Cour suprême, adoptée par la Diète le 8 décembre 2017 ; b) la loi portant modification de la loi relative au Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois, adoptée par la Diète le 8 décembre 2017. Du reste, les préoccupations et les actions recommandées exposées dans la recommandation du 26 juillet 2017 qui concernent le Tribunal constitutionnel, la loi sur l'organisation des juridictions de droit commun et la loi relative à l'École nationale de la magistrature restent d'actualité. Pour ces raisons, la Commission estime que la situation d'une menace systémique envers l'État de droit en Pologne telle que présentée dans ses recommandations précédentes s'est encore considérablement aggravée . La loi sur le Conseil national de la magistrature et la loi sur la Cour suprême, en liaison également avec la loi sur l'École nationale de la magistrature, et la loi sur l'organisation des juridictions de droit commun accentuent sensiblement la menace systémique envers l'État de droit. Dès lors, la Commission a présenté, en même temps que sa quatrième recommandation, une proposition de décision du Conseil relative à la constatation d'un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l'État de droit.

Le Parlement européen a salué cette décision dans sa résolution du 1 er mars 2018. À la suite du déclenchement de cette procédure, le Conseil a auditionné les autorités polonaises les 26 juin, 18 septembre et 11 décembre 2018.

Le 17 septembre 2020, le Parlement européen a fait état de ses préoccupations sur le fonctionnement du système législatif et électoral, l'indépendance de la justice et les droits des juges et la protection des droits fondamentaux, et estimé que « non seulement la situation de l'État de droit en Pologne n'a pas été traitée, mais elle s'est sérieusement détériorée depuis le déclenchement de la procédure prévue par l'article 7, paragraphe 1, du traité UE ». Il a considéré que « les discussions menées au sein du Conseil [...] n'ont été ni régulières ni structurées, et qu'elles n'ont ni permis d'aborder de manière suffisante les questions de fond qui justifiaient l'activation de la procédure ni permis de saisir pleinement les conséquences des actions du gouvernement polonais sur les valeurs visées à l'article 2 du traité UE ». Par conséquent, le Parlement européen a jugé « urgent d'élargir la portée de la proposition motivée [de la Commission] en y incluant les risques évidents de violations graves d'autres valeurs fondamentales de l'Union, en particulier la démocratie et le respect des droits de l'Homme ».

Très récemment, l'APCE a de nouveau examiné la question de l'indépendance des juges en Pologne (et en Moldavie) 37 ( * ) . Faisant le point sur les réformes concernant le Tribunal constitutionnel, le Conseil national de la magistrature, la Cour suprême et les tribunaux ordinaires, l'APCE détaille la loi dite « muselière », adoptée fin janvier 2020 - après néanmoins son rejet par le Sénat, où l'opposition est désormais majoritaire. Cette loi contient des dispositions fortement critiquées par la Commission de Venise, telles que : l'exclusion des questions politiques des débats au sein des collèges et des assemblées de juges, qui leur interdit d'adopter des résolutions « qui remettent en cause les principes de fonctionnement des autorités de la République de Pologne et de ses organes constitutionnels » ; l'obligation pour les juges à déclarer publiquement leur appartenance à des associations ; l'interdiction de toute remise en question de la légitimité des juridictions, des organes constitutionnels d'État et des organes de contrôle et de la protection de la loi dans le cadre des activités des tribunaux et de leurs organes ; l'allongement de la liste des infractions disciplinaires des juges, par l'ajout d'infractions définies de manière vague (« actions ou omissions qui peuvent empêcher le fonctionnement de la justice ou le rendre difficile de manière considérable », « actions mettant en cause l'existence d'une relation de subordination d'un juge, l'efficacité de sa nomination ou la légitimité d'un organe constitutionnel de la République de Pologne », « activité publique incompatible avec les principes d'indépendance des juges »), et des sanctions disciplinaires ; la modification de la procédure d'élection du premier président de la Cour suprême en abaissant considérablement le quorum au troisième tour de scrutin à 32 juges (sur 100 actuellement) - si ce seuil n'est pas atteint, le Président de la République peut nommer un premier président de la Cour suprême assurant l'intérim ; l'accroissement des compétences des deux nouvelles chambres de la Cour suprême, la chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques étant désormais autorisée à examiner les cas où le statut juridique du juge serait remis en cause. Le rapport conclut ainsi : « La situation de la justice polonaise est très grave ». Quant à la résolution 38 ( * ) adoptée par l'APCE sur le fondement de ce rapport, le 26 janvier dernier, elle note que « de nombreux juges ont fait l'objet de différentes formes de harcèlement ces derniers mois. Des procédures disciplinaires ou pré-disciplinaires ont notamment été initiées contre des juges qui ont parlé en public de l'indépendance de la justice, critiqué les réformes en cours, participé à des activités de sensibilisation du public aux questions liées à l'État de droit et/ou adressé des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ou à la Cour suprême polonaise. Certains juges ont été menacés ou de facto rétrogradés ». Dans cette résolution, « l'Assemblée condamne la campagne d'intimidation menée par le pouvoir politique contre certains juges critiques et contre le pouvoir judiciaire en général [...]. Celle-ci n'est pas digne d'une démocratie et d'un État de droit ».

Cette loi a conduit la Commission , le 29 avril 2020, à déclencher une quatrième procédure d'infraction contre la Pologne , estimant qu'elle portait atteinte à l'indépendance des juges polonais et était incompatible avec la primauté du droit de l'Union européenne. Après l'envoi d'une lettre de mise en demeure, la Commission, le 30 octobre, est passée à l'étape suivante de la procédure en adressant un avis motivé, puis un avis motivé complémentaire, le 27 janvier 2021. Elle considère en effet que la Pologne enfreint le droit de l'Union en autorisant la chambre disciplinaire de la Cour suprême, dont l'indépendance et l'impartialité ne sont pas garanties, à prendre des décisions qui ont une incidence directe sur les juges et la manière dont ils exercent leurs fonctions. Selon la Commission, cette disposition compromet la capacité des juridictions compétentes à fournir des voies de recours effectives, en application de l'article 19 du TUE.

Par ailleurs, le 2 mars dernier, la CJUE, en réponse à une question préjudicielle de la Cour suprême administrative polonaise, a jugé 39 ( * ) que les modifications successives de la loi polonaise sur le Conseil national de la magistrature ayant pour effet de supprimer le contrôle juridictionnel effectif des décisions de ce Conseil présentant au président de la République des candidats aux fonctions de juge à la Cour suprême sont susceptibles de violer le droit de l'Union. En outre, la Cour a jugé qu' en cas d'adoption de modifications législatives intervenue en violation du droit de l'Union, le principe de primauté de ce droit impose de laisser inappliquées ces modifications, qu'elles soient d'origine législative ou constitutionnelle .

b) Le cas de la Hongrie

La Hongrie 40 ( * ) , contrairement à la Pologne, n'a pas fait l'objet du nouveau cadre de l'Union européenne pour l'État de droit. Les tensions sur l'État de droit sont apparues dans ce pays dès 2011, soit plus tôt qu'en Pologne, mais aussi avant la présentation du nouveau cadre, en 2014. Pour autant, les atteintes à l'État de droit en Hongrie sont bien identifiées et documentées : elles concernent principalement la place de la société civile et la liberté d'association, la diversité déclinante du paysage médiatique, le recul de l'indépendance du système judiciaire, les insuffisances de la lutte contre la corruption, ainsi qu'une politique migratoire non conforme à la CEDH et au droit de l'Union européenne. Elles ont été confirmées très récemment, par exemple avec la confirmation en appel de l'interdiction pour Klub Radio , dernière radio indépendante hongroise, d'émettre au-delà du 14 février 2021, pour un manque de diligence dans une procédure administrative. Klub Radio a toutefois annoncé son intention de saisir la Cour suprême. Autre illustration, le 18 février dernier, la Commission a adressé à la Hongrie un avis motivé relatif à la législation migratoire adoptée dans le contexte de la pandémie, dont la Commission estime qu'elle restreint illégalement l'accès à la procédure d'asile 41 ( * ) . À défaut, la Commission pourrait saisir la CJUE. Enfin, le 25 février suivant, l'avocat général de la CJUE a conclu que la criminalisation par la législation hongroise de l'activité d'une organisation constitue un obstacle non justifié à l'exercice des droits garantis par la législation de l'Union en matière d'aide aux demandeurs de protection internationale et, partant, un manquement aux obligations découlant de cette législation.

Le Parlement européen s'est montré très actif sur le respect des droits fondamentaux en Hongrie, puisqu'il a adopté pas moins de sept résolutions sur la situation dans ce pays avant de déclencher la procédure de l'article 7 du TUE à son encontre.

Dès le 10 mars 2011, sa résolution abordait la loi hongroise sur les médias, dans laquelle il invitait « les autorités hongroises à rétablir l'indépendance de la gouvernance des médias » et « à faire cesser les ingérences de l'État dans la liberté d'expression » et considérait que « la sur-réglementation des médias nuit à l'existence d'un pluralisme efficace dans la sphère publique ». Dans sa résolution du 5 juillet suivant, le Parlement européen se penchait sur la constitution hongroise révisée et demandait aux autorités hongroises « à traiter les questions et les problèmes soulevés par la Commission de Venise et à mettre en oeuvre ses recommandations » (recherche du consensus, protection égale des droits de chaque citoyen, respect de l'intégrité territoriale des autres pays, réaffirmation de l'indépendance du système judiciaire, etc.).

Ses résolutions ultérieures avaient une portée plus générale. Ainsi, celle du 16 février 2012 portait sur les récents événements politiques en Hongrie et soulignait de « graves inquiétudes quant à la situation hongroise en ce qui concerne l'exercice de la démocratie, l'État de droit, le respect et la protection des droits de l'Homme et des droits sociaux, le système d'équilibre des pouvoirs, l'égalité et la non-discrimination ». Elle demandait également à la Commission, « en tant que gardienne des traités, de surveiller attentivement les éventuelles modifications et la mise en oeuvre des lois en question ainsi que leur conformité avec la lettre et l'esprit des traités européens » dans toute une série de domaines (indépendance de l'appareil judiciaire, statut de la banque nationale, indépendance de l'autorité chargée de la protection des données, liberté et pluralisme des médias, législation électorale, droits de l'opposition, etc.). Surtout, pour la première fois, elle évoquait le déclenchement de la procédure de l'article 7 du TUE . La résolution du 3 juillet 2013 était de même nature, mais développait beaucoup plus les griefs retenus contre la Hongrie. Le Parlement européen, dans sa résolution du 10 juin 2015, condamnait « les déclarations répétées de Viktor Orban visant à susciter un débat sur le rétablissement éventuel de la peine de mort » dans son pays et déplorait le contexte et les modalités des consultations publiques organisées sur l'immigration. La résolution du 16 décembre 2015 visait à assurer le suivi de la précédente résolution : le Parlement européen s'y déclarait « gravement préoccupé par la série de mesures législatives adoptées en très peu de temps ces derniers mois, qui ont rendu l'accès à une protection internationale extrêmement difficile et arbitrairement assimilé les réfugiés, les migrants et les demandeurs d'asile à des criminels » et exprimait « ses inquiétudes » sur le respect du principe de non-refoulement ou encore sur la rhétorique xénophobe des autorités ; il demandait « une nouvelle fois à la Commission d'activer la première phase du cadre de l'Union pour renforcer l'État de droit » et « d'évaluer l'émergence d'une menace systémique dans cet État membre qui pourrait donner lieu à un risque manifeste de violation grave au sens de l'article 7 du traité UE » . Enfin, la résolution du 17 mai 2017 notait « une grave détérioration de l'État de droit , de la démocratie et des droits fondamentaux » en Hongrie, invitait « la Commission à surveiller de près l'usage que font les autorités hongroises des fonds de l'Union européenne », déplorait que « la Commission n'ait pas réagi à la demande d'activation du cadre de l'Union pour renforcer l'État de droit » et estimait que « la situation actuelle en Hongrie représente un risque clair de violation grave des valeurs visées à l'article 2 du traité UE et qu'elle justifie le lancement de la procédure prévue à l'article 7, paragraphe 1, du traité UE » en confiant le soin à sa commission LIBE d'engager la procédure .

À l'issue de cette longue série de résolutions, conçue de façon graduée, le Parlement européen a donc logiquement mis en oeuvre l'engagement qu'il avait pris dans sa résolution du 17 mai 2017 en déclenchant la procédure de l'article 7, paragraphe 1, du TUE à l'encontre de la Hongrie, le 12 septembre 2018. C'est la première fois que le Parlement européen activait cette procédure contre un État membre , sur la base du rapport établi, au nom de sa commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, par Mme Judith Sargentini (Verts/ALE - Pays-Bas). Cette résolution est accompagnée d'une proposition de décision du Conseil constatant l'existence d'un risque clair de violation grave, par la Hongrie, des valeurs sur lesquelles l'Union est fondée.

Depuis le déclenchement de cette procédure, le Conseil a auditionné les autorités hongroises les 16 septembre et 10 décembre 2019.

Il convient de noter que la Hongrie a contesté la validité de cette résolution du Parlement européen devant la CJUE au motif qu'il fallait tenir compte des abstentions pour calculer si la majorité des deux tiers des suffrages exprimés prévue par l'article 354 du TFUE avait été atteinte et que, en ne le faisant pas, le Parlement n'avait pas respecté cette disposition. L'affaire n'a pas encore été jugée, mais l'avocat général de la CJUE , dans ses conclusions , a considéré que la Hongrie avait un intérêt certain à agir contre la résolution attaquée, qui ne se limite pas à déclencher l'article 7, paragraphe 1, du TUE, mais emporte également des conséquences juridiques autonomes à l'égard de cet État membre. Il a donc proposé à la Cour de déclarer le recours recevable. En revanche, sur le fond, il a proposé à la Cour de rejeter le recours de la Hongrie comme non fondé , en se basant notamment sur l'interprétation du Règlement du Parlement européen.

Dans ces deux cas, le Conseil n'a pas encore statué. Autrement dit, il n'a même pas constaté l'existence, ni en Pologne ni en Hongrie, d'un risque clair de violation grave de l'État de droit.

Plus encore, l'unanimité requise au Conseil européen pour l'enclenchement du volet répressif de la procédure de l'article 7 constitue un obstacle dirimant au vote de sanctions contre l'État membre concerné, dès lors que la Pologne et la Hongrie ont fait savoir qu'elles seraient solidaires l'une de l'autre au Conseil européen .

La procédure de l'article 7 est aujourd'hui dans l'impasse, tant pour le dossier polonais que pour le dossier hongrois.


* 33 Rapport établi par Mme Azadeh Rojhan Gustafsson (Suède - SOC) et M. Pieter Omtzigt (Pays-Bas - PPE/DC), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe de l'APCE ( doc. 15025 ).

* 34 Résolution 2316 (2020) du 28 janvier 2020.

* 35 Texte COM (2017) 835 final du 20 décembre 2017.

* 36 Recommandation (UE) 2018/103 de la Commission du 20 décembre 2017 concernant l'État de droit en Pologne complétant les recommandations (UE) 2016/1374, (UE) 2017/146 et (UE) 2017/1520.

* 37 Rapport établi par M. Andrea Orlando (Italie - SOC) au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'APCE ( doc. 15204 ).

* 38 Résolution 2359 (2021) .

* 39 Aff. C-824/18 .

* 40 Pour plus de détails sur la situation en Hongrie, on se reportera utilement au rapport d'information n° 146 (2020-2021), établi par MM. Jean Bizet, André Gattolin et Jean-Yves Leconte, au nom de la commission des affaires européennes, sur les relations de la Hongrie avec l'Union européenne.

* 41 Selon cette législation, avant de pouvoir demander une protection internationale en Hongrie, les ressortissants de pays tiers doivent d'abord faire une déclaration d'intention dans laquelle ils expriment leur volonté de demander l'asile auprès d'une ambassade hongroise située en dehors de l'Union européenne et se voir délivrer un permis d'entrée spécial à cet effet, émis à la discrétion des autorités hongroises. Selon la Commission, les nouvelles procédures d'asile prévues par la législation hongroise sont contraires à la directive sur les procédures d'asile interprétée à la lumière de la Charte des droits fondamentaux. Cette législation empêche les personnes se trouvant sur le territoire hongrois, y compris à la frontière, de demander une protection internationale. Les autorités hongroises disposent de deux mois pour notifier à la Commission les mesures prises pour répondre à ces préoccupations.

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