II. CONTRÔLER : POUR S'ASSURER DU RESPECT PAR LA POSTE DE SES OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC

A. LE SERVICE UNIVERSEL POSTAL : UNE COMPENSATION À ACCORDER SOUS RÉSERVE D'UNE CONTRE-EXPERTISE DE L'ARCEP ET D'UNE NOTIFICATION À LA COMMISSION EUROPÉENNE

1. La contre-expertise de l'Arcep est un prérequis indispensable à l'octroi par l'État d'une compensation, ce qui nécessite de sécuriser le cadre juridique applicable au régulateur

Dans la perspective d'une compensation octroyée par l'État au groupe La Poste au titre du service universel postal, il est indispensable que cette compensation soit accordée sur la base d'une évaluation du coût net du service universel postal réalisée par l'Arcep . En effet, il est nécessaire de garantir l'objectivité de l'évaluation, surtout au regard des enjeux financiers. Par ailleurs, une évaluation et une méthodologie de calcul indépendantes sont nécessaires au regard des critères d'appréciation de la Commission européenne.

Or, aujourd'hui, la loi ne confie pas une telle mission à l'Arcep, car la situation financière du compte du service universel postal est inédite , ce qui conduit La Poste à demander pour la première fois une compensation pour l'exercice de cette mission de service public.

En effet, jusqu'en 2017, l'équilibre financier du service universel postal était assuré par la hausse progressive des tarifs postaux. Ainsi, le calcul du coût net du service universel postal n'était pas justifié. Toutefois, la baisse tendancielle du volume du courrier, accélérée en 2020, conduit à un déficit du compte du service universel postal estimé par La Poste à 1,3 milliard d'euros.

L'évaluation du coût net du service universel postal par l'Arcep est désormais indispensable, sur le modèle de l'évaluation du coût net de la mission de contribution à l'aménagement du territoire qui est d'ores et déjà réalisée par l'Arcep, conformément aux dispositions prévues à l'article 6 de la loi du 2 juillet 1990.

Les rapporteurs souhaitent attirer l'attention sur la nécessité pour l'Arcep d'anticiper les évolutions législatives à venir et de commencer à élaborer une méthodologie de calcul appropriée, car il n'est pas souhaitable qu'une compensation de l'État soit accordée sans contre-expertise.

Recommandation n° 8 : modifier la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste pour que :

- l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) soit chargée d'évaluer chaque année le coût net du service universel postal à partir duquel la compensation de l'État est déterminée ;

- la méthode d'évaluation mise en oeuvre soit précisée par un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) ;

- l'Arcep transmette chaque année au Gouvernement et au Parlement un rapport sur le coût net du service universel postal.

Concrètement, une telle évaluation implique l'élaboration par les équipes compétentes de l'Arcep d'un scénario contre-factuel, selon la méthodologie du coût net évité approuvée par la Commission européenne. Le scénario contre-factuel, qui est un scénario hypothétique permettant d'estimer le coût pour La Poste de la distribution du courrier et de la livraison de colis sans prise en compte des obligations légales de service public et des obligations réglementaires de qualité de service, permet d'évaluer, par déduction du coût actuel pour La Poste, les charges attribuables à l'exercice du service universel postal.

L'évaluation du coût net des missions de service public confiées au groupe La Poste est également indispensable afin de contre-expertiser les estimations réalisées par La Poste et de limiter les risques de surcompensation avant notification auprès de la Commission européenne. En effet, si l'évaluation de l'Arcep se base sur les informations comptables et le modèle de modélisation transmis par La Poste, ce qui pourrait donner le sentiment d'un manque d'indépendance du régulateur, il convient toutefois de préciser que les règles de comptabilité réglementaire sont déterminées par l'Arcep et que le modèle de modélisation est modifié par l'Arcep. Par exemple, dans le cadre de la mission de contribution à l'aménagement du territoire, le coût net est estimé à 243 millions d'euros par La Poste en 2019 alors qu'il est estimé à 231 millions d'euros par l'Arcep pour la même année, la compensation de l'État étant fixée à partir de l'évaluation de l'Arcep 10 ( * ) .

Selon l'Arcep, l'élaboration d'un tel scénario contre-factuel propre au service universel postal nécessite plusieurs mois de travail et un éventuel renforcement des moyens humains de l'autorité de régulation. Par ailleurs, il serait plus confortable pour l'Arcep de travailler avec un cadre juridique sécurisé, c'est-à-dire une fois la loi du 2 juillet 1990 modifiée afin de lui confier explicitement cette mission d'évaluation.

Cependant, au regard du caractère immédiat de la situation dans l'hypothèse d'une première compensation accordée dès l'année 2021 et afin de prendre en compte les difficultés évoquées par l'Arcep, l'élaboration du scénario contre-factuel pourrait s'effectuer en deux temps, ce qui suppose que l'Arcep anticipe les évolutions législatives à venir :

- à court terme et avant la fin de l'année 2021, un premier scénario contre-factuel simplifié pourrait être élaboré par l'Arcep, à effectifs constants, afin d'appuyer la décision du Gouvernement dans l'octroi d'une compensation ;

- à moyen terme et dès la modification de la loi du 2 juillet 1990, un second scénario contre-factuel plus détaillé pourrait être élaboré par l'Arcep, avec d'éventuels effectifs supplémentaires, afin d'appuyer chaque année la décision du Gouvernement dans l'octroi de la part budgétaire de la compensation.

2. La procédure de notification à la Commission européenne doit être respectée, indépendamment de la nature du mécanisme de compensation et des montants décidés

Dans le cadre des trois missions de service public confiées au groupe La Poste faisant l'objet d'une compensation, c'est-à-dire les missions de contribution à l'aménagement du territoire, de transport et de distribution de la presse ainsi que d'accessibilité bancaire, les compensations accordées ont été notifiées à la Commission européenne par les autorités françaises :

- la compensation de la mission de contribution à l'aménagement du territoire en faveur de La Poste pour la période 2018-2022 a été approuvée par la Commission européenne selon les termes suivants : « Il apparaît donc en conclusion des arguments ci-dessus que l'abattement fiscal pour la mission d'aménagement du territoire est une aide d'État au sens de l'article 107(1) du TFUE » ; « Sur la base de l'appréciation qui précède, la Commission a décidé de considérer la mesure d'aide comme compatible avec le marché intérieur sur la base de l'article 106(2) du TFUE » 11 ( * ) ;

- la compensation de la mission de service public de transport et de distribution de la presse en faveur de La Poste pour la période 2018-2022 a été approuvée par la Commission européenne selon les termes suivants : « Il apparaît donc en conclusion des arguments ci-dessus que la subvention pour la mission presse notifiée à la Commission est une aide d'État au sens de l'article 107(1) du TFUE » ; « Sur la base de l'appréciation qui précède, la Commission a décidé de considérer la mesure d'aide comme compatible avec le marché intérieur sur la base de l'article 106(2) du TFUE » 12 ( * ) ;

- la compensation de la mission d'accessibilité bancaire en faveur de La Banque Postale pour la période 2015-2020 a été approuvée par la Commission selon les termes suivants : « La Commission conclut que les conditions nécessaires à l'existence d'une aide sont remplies par la compensation versée dans le cadre de la mission d'accessibilité bancaire octroyée à La Banque Postale pour la période 2015-2020 » ; « La Commission constate que la France a illégalement mis à exécution l'aide en faveur de La Banque Postale dans le cadre de la mission d'accessibilité bancaire pour les années 2015 à 2020 en violation de l'article 108, paragraphe 3, du TFUE. Cependant, notamment sur la base du projet de convention qui devra être mis en oeuvre, la Commission considère que cette aide est compatible avec le marché intérieur au sens de l'article 106(2) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » 13 ( * ) .

Dans la perspective d'une compensation du déficit du service universel postal par l'État, y compris si une composante fiscale est retenue avec un abattement sur la taxe sur les salaires, les rapporteurs attirent l'attention sur la nécessité de notifier, dans tous les cas, les montants et le mécanisme de compensation choisi à la Commission européenne.

Recommandation n° 9 : notifier à la Commission européenne, comme pour les trois autres missions de service public, le montant et la nature du dispositif de compensation envisagé pour le service universel postal.

Encadré 1 : éléments pris en compte par la Commission européenne lors de l'analyse des éléments notifiés par les autorités françaises en matière de compensation des services publics de La Poste

Au regard du raisonnement appliqué par la Commission européenne dans les décisions précédentes relatives aux trois autres missions de service public, l'analyse effectuée devrait notamment comporter les éléments détaillés ci-dessous :

(1) l'appréciation de la compensation à la lumière de la jurisprudence Altmark 14 ( * ) selon laquelle les compensations des obligations de service public ne constituent pas des aides d'État au sens de l'article 107 du TFUE dès lors que les quatre conditions cumulatives suivantes sont remplies :

o l'entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations ont été clairement définies ;

o les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente - ce qui justifie davantage de confier à l'Arcep une mission d'évaluation du coût net du service universel postal ;

o la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations - ce qui justifie davantage de confier à l'Arcep une mission d'évaluation du coût net du service universel postal ;

o lorsque le choix de l'entreprise à charger de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public, le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations.

(2) l'appréciation de la compatibilité avec le marché intérieur de la compensation choisie pour le service universel postal, à la lumière des critères définis par l'Encadrement SIEG de 2012 15 ( * ) qui fait partie du paquet dit Almunia :

o le service doit pouvoir être réellement qualifié de SIEG ;

o les besoins du service public sont pris en compte via l'organisation d'une consultation publique (point 14 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o la nécessité d'un mandat précisant les obligations de service public et les méthodes de calcul de la compensation (point 16 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o la durée du mandat doit être justifiée (point 17 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o le respect de la directive 2006/11/CE relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu'à la transparence financière dans certaines entreprises (point 18 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o le respect des règles de l'Union européenne applicables aux marchés publics (point 19 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o l'absence de discrimination si la prestation d'un même SIEG est confiée à plusieurs entreprises (point 20 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o le montant de la compensation ne peut dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, ce qui peut être déterminé par l'utilisation de la méthode du coût net évité (points 21, 24 et 25 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o la vérification de l'absence de surcompensation (point 49 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o la prise en compte d'incitations à l'efficience (point 40 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o la fixation d'éventuelles exigences supplémentaires pouvant se révéler nécessaires pour garantir que le développement des échanges n'est pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union (point 58 de l'Encadrement SIEG de 2012) ;

o la transparence de la communication sur la compensation (point 60 de l'Encadrement SIEG de 2012).


* 10 Données communiquées par l'Arcep dans le cadre des questionnaires transmis aux rapporteurs.

* 11 Décision de la Commission européenne du 6 avril 2018 SA.49 469 (2018/N) - France

* 12 Décision de la Commission européenne du 24 janvier 2019 SA.48 883 (2018/N) - France

* 13 Décision de la Commission européenne du 24 octobre 2017 SA.41 147 (2017/N) - France

* 14 Cour de justice de l'Union européenne, Altmark, 24 juillet 2003

* 15 Communication de la Commission intitulée « Encadrement de l'Union européenne applicable aux aides d'État sous forme de compensations de service public (2011) ».

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